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Arthur Bernède- Belphégor, 4-6 Les nuits et les ennuis du baron Papillon

4-6 Les nuits et les ennuis du baron Papillon

Les nuits et les ennuis du baron Papillon À l'heure où s'accomplissaient les événements que nous venons de décrire, le baron Papillon était en train de se demander tout simplement s'il n'allait pas demander le divorce.

En effet, une scène terrible avait mis aux prises les deux époux, entre lesquels avait jusqu'alors régné cette harmonie de bon ton qui sert à masquer une indifférence aussi mutuelle qu'absolue.

En rentrant chez lui vers sept heures du soir, le collectionneur avait trouvé la baronne dans le grand vestibule, au milieu d'un amoncellement de malles et de bagages qui eussent suffi à remplir un wagon de marchandises.

Braillant, gesticulant, elle donnait des ordres tous plus contradictoires et plus ahurissants à ses domestiques qui, littéralement affolés, ne savaient plus où donner de la tête.

– Ah çà !

que signifie ?… interrogea le baron, qui se demandait si sa femme n'avait pas achevé de perdre le peu de raison qui lui restait. Dressée sur ses ergots, telle une poule en colère, Madame répliquait :

– Belphégor me cause de telles frayeurs que j'ai décidé que nous partirions pour le Japon.

– Pour le Japon !

répétait le baron, ahuri. La baronne reprenait :

– Il faut que je fasse mes préparatifs.

Songe donc, un voyage de plusieurs mois… Et, désignant la véritable montagne qui se dressait autour d'elle, elle ajouta :

– Et encore, je n'emporte que le nécessaire !…

– Ma chère amie, déclarait Papillon, effrayé de l'orage qu'il n'allait pas manquer de faire éclater, j'aurais deux mots à te dire.

– Eh bien !

parle ! – Pas ici !… Passons, si tu veux bien dans mon cabinet de travail.

– Pourquoi ?

– Parce qu'il est inutile de mettre le personnel au courant…

Et tout en prenant sa femme par le bras, doucement, très doucement, il lui dit :

– Viens, mon chou… viens…

Et il l'entraîna jusque dans son bureau…

Littéralement empoisonné, le baron ne savait comment entamer un entretien qu'il pressentait mouvementé, et dont il n'osait prévoir les conséquences…

Déjà très nerveuse, et tout en roulant des yeux en boules de loto, Eudoxie le pressait :

– Eh bien !… qu'est-ce que tu attends ?… Il n'y a plus de domestiques.

Nous voilà en tête à tête, ainsi que tu le désirais… Pourquoi ces hésitations ?… ces réticences ?… Aurais-tu quelque mauvaise nouvelle à m'annoncer ? – Pas du tout !

– Alors ?…

Papillon tergiversait toujours.

Se montant de plus en plus, Eudoxie, sévèrement, articulait :

– Hippolyte, tu me caches quelque chose !

Et, tout à coup, elle s'écria :

– Je devine tout… Tu as une maîtresse.

– Moi !

– Oui, toi !… Une créature qui te retient à Paris.

– Mais pas du tout !… C'est ridicule de ta part d'avoir un pareil soupçon.

Et, appelant à lui le peu de courage qu'il avait à sa disposition, il fit, d'un air grave et solennel :

– Eudoxie, il nous est impossible de partir demain au Japon.

– Pourquoi ?

– Parce que j'ai lu dans un journal qu'une épidémie de béribéri, apportée à Yokohama par des Noirs, venait d'y éclater et se propageait dans tout l'empire nippon avec une rapidité foudroyante.

– Le béribéri !

s'exclamait Eudoxie. Qu'est-ce que c'est que cela ? – C'est la maladie du sommeil… Il paraît qu'en moins de huit jours elle a fait plus de cinq cent mille victimes.

– C'est absurde !… s'indignait Eudoxie… Il n'y a donc pas de médecins dans ce pays ?

– Si… et même d'excellents… Mais ils sont débordés…

– Alors, filons aux Indes.

– Aux Indes !… répéta Papillon, en feignant une subite épouvante… Aux Indes !…

– Qu'est ce qu'il y a encore aux Indes ?

Hippolyte, qui n'avait encore rien trouvé, fit, pour gagner du temps :

– Il s'y passe des choses effroyables.

– Quoi ?

– Des choses qu'on n'ose pas écrire dans les journaux… et que je ne veux pas te répéter.

– Je veux tout savoir !… tout !

– Eh bien !… Eh bien !… ânonnait péniblement le collectionneur… aux Indes, c'est… c'est la révolution… et on y massacre tous les Européens.

– Et en Amérique ?

– Il y a la grippe espagnole.

– Et en Australie ?

– Le choléra morbus.

– Et au Maroc ?

– Au Maroc ?… Mais tu n'y penses pas… ma chérie… au Maroc, on y enlève chaque jour, jusque dans les hôtels, un grand nombre de Françaises que l'on emmène dans le Rif pour servir d'esclaves aux favorites des chefs dissidents.

– Et en Algérie ?

– En Algérie ?… Il y a… il y a la fièvre aphteuse.

– La fièvre aphteuse ?… regimbait la baronne, je croyais qu'il n'y avait que les animaux à attraper ça.

Papillon, qui faisait preuve d'une imagination qu'il ne se fût jamais soupçonnée, affirmait, avec un sérieux imperturbable :

– C'est une erreur… Dans les pays chauds, elle se communique également aux gens… elle prend alors le nom de fièvre de Malte.

– Alors, sursautait Eudoxie, il n'y a plus moyen d'aller nulle part ?

Puis tout à coup, elle fit, saisie d'une idée subite.

– Et en Espagne ?

– En Espagne !

Malheureuse ! se récriait Papillon… En Espagne !… Mais tu ignores donc que le gouvernement dictatorial vient de rétablir l'Inquisition ? – Et après ?

– Comme nous appartenons à la religion protestante, nous serions immédiatement arrêtés, emprisonnés, et peut-être brûlés vifs.

– En ce cas, il n'y a qu'à nous faire catholiques.

– Cela nous entraînerait à des formalités qui demanderaient un temps considérable.

– Si nous filions en Italie ?… s'entêtait la baronne, nettement décidée à passer en revue tous les pays du monde.

– En Italie !… répéta le collectionneur en levant les bras au ciel…

« Mais, malheureuse, tu n'y songes pas !…

– Pourquoi ?… C'est un très beau pays…

– Et Mussolini ?…

– Mussolini !… Tous ceux qui l'ont approché disent que c'est un charmeur.

– Pour ses amis… mais pas pour ceux qui ne partagent pas ses idées.

– Comment !… Tu n'es pas fasciste ?

– Mais je ne suis rien du tout !… Ça ne me regarde pas, ce qui se passe en Italie.

– Eh bien ?

– Seulement, voilà, j'ai un de mes parents qui a écrit, il y a quelque temps, dans l'Impartial de Castelnaudary, un article assez violent contre Mussolini duce… article, qui, étant donnée l'influence de son auteur et l'importance de son journal, n'a pas manqué d'être mis sous les yeux du dictateur. « Si jamais il apprend que nous sommes les cousins de ce pamphlétaire, il nous fera certainement interdire la frontière et nous en serons pour nos frais de voyage.

Mme Papillon s'obstinait.

– Il nous reste encore l'Angleterre, la Suisse, la Hollande, l'Allemagne…

– Mon chou… je t'en supplie… implorait Papillon… tenons-nous-en là pour aujourd'hui.

– Alors, tu ne veux plus partir ?

– J'ai une migraine atroce.

Le fait est que l'effort cérébral auquel avait dû se livrer l'infortuné Hippolyte pour répondre à sa femme, lui avait donné un mal de tête que révélaient sa face congestionnée, ses yeux clignotants et ses paupières violacées.

Mais son égoïste et poltronne moitié était beaucoup trop hantée par la crainte du Fantôme pour accorder la plus légère pitié à son mari.

Et éclatant de fureur, elle dit :

– Une migraine !

Une migraine !… Prétexte pour n'en faire qu'à ta tête ! – Ma tête !… s'écriait le baron… Je voudrais bien, en ce moment ne pas l'avoir sur mes épaules.

– D'abord, piaillait Mme Papillon, tu ne peux pas avoir mal à la tête, puisqu'il n'y a rien dedans.

– Je te jure, se montait l'amateur de bibelots, que je souffre atrocement.

– Ce n'est pas vrai…

– Laisse-moi au moins prendre un cachet d'aspirine.

– Prends-en tout un flacon !

vociférait la baronne déchaînée… et puisque tu ne veux pas partir… eh bien !… moi, je m'en irai toute seule. – C'est cela !

conclut Hippolyte, sans chercher le moindrement à retenir son irascible femme qui, tout en continuant à proférer des sons, rauques et inarticulés, sortit en coup de vent du cabinet de travail. Demeuré seul, l'amateur de bibelots se prit le front à deux mains.

Puis il grommela :

– Oh !

oui, qu'elle s'en aille… qu'elle me fiche la paix, que je ne la voie plus… jamais ! jamais !

Puis il sonna son valet de chambre et lui ordonna de lui apporter un flacon de comprimés et un verre d'eau.

Le calmant produisit son effet… Un quart d'heure après, le baron était entièrement soulagé.

Alors, il se mit à arpenter son bureau, tout en monologuant :

– Déjà, avant l'apparition de ce Fantôme du Louvre, Eudoxie ne me rendait pas l'existence très facile… Elle a toujours eu un si mauvais caractère ; cependant, avec de la patience, c'était encore supportable.

« Mais depuis que ce maudit Belphégor a fait des siennes, cela devient intolérable.

« Ah !

pourquoi Belphégor ne l'a-t-il pas emportée ?… Car, j'en suis sûr, elle ne s'en ira pas sans moi !… Que faire ? Mon Dieu !… que faire ?… Jusqu'à l'heure du dîner, Papillon chercha vainement une solution, et lorsqu'il se retrouva à table, en face de la baronne, il s'aperçut à son attitude, que celle-ci non seulement n'avait pas désarmé, mais qu'elle était d'une humeur encore plus épouvantable.

« Ça va être gentil !

» se dit-il, en déployant sa serviette… Il ne se trompait pas. Elle commença par trouver exécrable un potage exquis, que son mari savourait avec délice.

Puis elle condamna, avec une sévérité non moins implacable, une timbale de homard à l'américaine, dont le fumet, à lui seul, garantissait l'exquise saveur…

Papillon esquissa une timide protestation.

– Mon chou… fit-il, je t'assure que cette timbale est délicieuse…

– Veux-tu que je te coiffe avec ?… menaça la terrible Eudoxie.

Hippolyte n'insista pas, et se contenta de piquer le nez dans son assiette.

Quant à Mme Papillon, elle se leva en déclarant :

– Je vais mettre la clef à la porte.

– À quoi bon ?

murmura le collectionneur, puisque tu pars demain. – Alors… grinça Eudoxie… tu me renvoies ?

– Non !… Mais c'est toi qui m'as dit que tu voulais partir.

– J'ai voulu voir, ripostait la baronne, jusqu'où irait ta muflerie.

« Maintenant, je suis fixée… tu ne m'aimes plus… et tu ne m'as jamais aimée… et puisqu'il en est ainsi, je vais demander le divorce, et puisque nous sommes mariés sous le régime de la communauté, j'exigerai la vente de toutes nos collections.

À ces mots, Papillon se redressa, comme s'il eût été secoué par une décharge électrique.

– Vendre les collections !

s'écria-t-il en verdissant… Ça, jamais !… J'aime mieux qu'on m'arrache les yeux et qu'on me coupe le nez, la langue et les oreilles. – C'est à prendre ou à laisser.

– Mais c'est de la folie… Me priver de ces œuvres d'art, de ces meubles précieux, de ces toiles magnifiques, de ces tapisseries splendides, qui sont l'orgueil et la joie de ma vie… ça, jamais !

– Nous verrons bien… Et ce n'est pas tout…

– Que vas-tu exiger de moi ?

– Nous mettrons aussi ton titre de baron en adjudication…

– Mais cela ne se fait pas, voyons…

– Tu l'as acheté… tu peux bien le revendre.

– C'est fou !… C'est insensé !… hurlait le baron.

Et déchaîné à son tour, hors de lui, emporté par une de ces colères de mouton enragé, Papillon s'élança vers sa femme, et, la saisissant à la gorge, il fit, l'écume aux lèvres :

– Un mot de plus… et je t'étrangle… comme un poulet !…

Alors, il se produisit un de ces phénomènes tels que Shakespeare en a introduit dans la Mégère apprivoisée. Mme Papillon, sans chercher à se dégager, laissa retomber sa tête vers l'épaule de son tortionnaire, et d'une voix pâmée, elle fit :

– Mon loup… mon aimé… aie pitié de ta pauvre chère folle qui t'adore et serait heureuse de mourir de ta main.

Papillon, ahuri, desserra son étreinte, qui, d'ailleurs, ne faisait courir aucun danger à sa femme, qui tomba aussitôt dans ses bras en balbutiant :

– Pardonne-moi, j'étais stupide.

Et elle ajouta, en enveloppant d'un regard énamouré l'amateur de bibelots, qui croyait rêver :

– Dieu !

que tu es beau, quand tu es en colère ! – Eudoxie !

– C'est toi qui avais raison… Demain, au lieu de nous embarquer pour le Japon, nous nous en irons, ainsi que tu me l'avais proposé, nous enfermer dans notre château de Courteuil.

Là, dans ses épaisses murailles, nous pourrons défier le Fantôme et recommencer notre lune de miel. Aussi touché par ce revirement inattendu qu'il avait été exaspéré par les menaces de sa femme, Papillon déposa sur le front brûlant d'Eudoxie l'habituel et classique baiser, grâce auquel il avait déjà si souvent réussi à arrêter les discussions qui menaçaient de devenir parfois orageuses.

Et Eudoxie, l'entraînant vers la table, lui dit :

– Viens t'asseoir près de moi, mon Hippolyte… Viens, nous boirons dans le même verre… nous mangerons dans la même assiette…

– La timbale va être froide… fit observer le gourmet qu'était le collectionneur.

– Nous la réchaufferons de notre tendresse… minauda Mme Papillon, en rendant avec usure à son mari le baiser qui avait mis le point final à cette querelle plutôt mouvementée.

Le lendemain, dès la première heure, le baron et la baronne Papillon partaient en auto pour leur château de Courteuil…

Qu'allaient-ils y rencontrer ?


4-6 Les nuits et les ennuis du baron Papillon 4-6 The nights and troubles of Baron Papillon

Les nuits et les ennuis du baron Papillon À l’heure où s’accomplissaient les événements que nous venons de décrire, le baron Papillon était en train de se demander tout simplement s’il n’allait pas demander le divorce.

En effet, une scène terrible avait mis aux prises les deux époux, entre lesquels avait jusqu’alors régné cette harmonie de bon ton qui sert à masquer une indifférence aussi mutuelle qu’absolue.

En rentrant chez lui vers sept heures du soir, le collectionneur avait trouvé la baronne dans le grand vestibule, au milieu d’un amoncellement de malles et de bagages qui eussent suffi à remplir un wagon de marchandises.

Braillant, gesticulant, elle donnait des ordres tous plus contradictoires et plus ahurissants à ses domestiques qui, littéralement affolés, ne savaient plus où donner de la tête.

– Ah çà !

que signifie ?… interrogea le baron, qui se demandait si sa femme n’avait pas achevé de perdre le peu de raison qui lui restait. Dressée sur ses ergots, telle une poule en colère, Madame répliquait :

– Belphégor me cause de telles frayeurs que j’ai décidé que nous partirions pour le Japon.

– Pour le Japon !

répétait le baron, ahuri. La baronne reprenait :

– Il faut que je fasse mes préparatifs.

Songe donc, un voyage de plusieurs mois… Et, désignant la véritable montagne qui se dressait autour d’elle, elle ajouta :

– Et encore, je n’emporte que le nécessaire !…

– Ma chère amie, déclarait Papillon, effrayé de l’orage qu’il n’allait pas manquer de faire éclater, j’aurais deux mots à te dire.

– Eh bien !

parle ! – Pas ici !… Passons, si tu veux bien dans mon cabinet de travail.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il est inutile de mettre le personnel au courant…

Et tout en prenant sa femme par le bras, doucement, très doucement, il lui dit :

– Viens, mon chou… viens…

Et il l’entraîna jusque dans son bureau…

Littéralement empoisonné, le baron ne savait comment entamer un entretien qu’il pressentait mouvementé, et dont il n’osait prévoir les conséquences…

Déjà très nerveuse, et tout en roulant des yeux en boules de loto, Eudoxie le pressait :

– Eh bien !… qu’est-ce que tu attends ?… Il n’y a plus de domestiques.

Nous voilà en tête à tête, ainsi que tu le désirais… Pourquoi ces hésitations ?… ces réticences ?… Aurais-tu quelque mauvaise nouvelle à m’annoncer ? – Pas du tout !

– Alors ?…

Papillon tergiversait toujours.

Se montant de plus en plus, Eudoxie, sévèrement, articulait :

– Hippolyte, tu me caches quelque chose !

Et, tout à coup, elle s’écria :

– Je devine tout… Tu as une maîtresse.

– Moi !

– Oui, toi !… Une créature qui te retient à Paris.

– Mais pas du tout !… C’est ridicule de ta part d’avoir un pareil soupçon.

Et, appelant à lui le peu de courage qu’il avait à sa disposition, il fit, d’un air grave et solennel :

– Eudoxie, il nous est impossible de partir demain au Japon.

– Pourquoi ?

– Parce que j’ai lu dans un journal qu’une épidémie de béribéri, apportée à Yokohama par des Noirs, venait d’y éclater et se propageait dans tout l’empire nippon avec une rapidité foudroyante.

– Le béribéri !

s’exclamait Eudoxie. Qu’est-ce que c’est que cela ? – C’est la maladie du sommeil… Il paraît qu’en moins de huit jours elle a fait plus de cinq cent mille victimes.

– C’est absurde !… s’indignait Eudoxie… Il n’y a donc pas de médecins dans ce pays ?

– Si… et même d’excellents… Mais ils sont débordés…

– Alors, filons aux Indes.

– Aux Indes !… répéta Papillon, en feignant une subite épouvante… Aux Indes !…

– Qu’est ce qu’il y a encore aux Indes ?

Hippolyte, qui n’avait encore rien trouvé, fit, pour gagner du temps :

– Il s’y passe des choses effroyables.

– Quoi ?

– Des choses qu’on n’ose pas écrire dans les journaux… et que je ne veux pas te répéter.

– Je veux tout savoir !… tout !

– Eh bien !… Eh bien !… ânonnait péniblement le collectionneur… aux Indes, c’est… c’est la révolution… et on y massacre tous les Européens.

– Et en Amérique ?

– Il y a la grippe espagnole.

– Et en Australie ?

– Le choléra morbus.

– Et au Maroc ?

– Au Maroc ?… Mais tu n’y penses pas… ma chérie… au Maroc, on y enlève chaque jour, jusque dans les hôtels, un grand nombre de Françaises que l’on emmène dans le Rif pour servir d’esclaves aux favorites des chefs dissidents.

– Et en Algérie ?

– En Algérie ?… Il y a… il y a la fièvre aphteuse.

– La fièvre aphteuse ?… regimbait la baronne, je croyais qu’il n’y avait que les animaux à attraper ça.

Papillon, qui faisait preuve d’une imagination qu’il ne se fût jamais soupçonnée, affirmait, avec un sérieux imperturbable :

– C’est une erreur… Dans les pays chauds, elle se communique également aux gens… elle prend alors le nom de fièvre de Malte.

– Alors, sursautait Eudoxie, il n’y a plus moyen d’aller nulle part ?

Puis tout à coup, elle fit, saisie d’une idée subite.

– Et en Espagne ?

– En Espagne !

Malheureuse ! se récriait Papillon… En Espagne !… Mais tu ignores donc que le gouvernement dictatorial vient de rétablir l’Inquisition ? – Et après ?

– Comme nous appartenons à la religion protestante, nous serions immédiatement arrêtés, emprisonnés, et peut-être brûlés vifs.

– En ce cas, il n’y a qu’à nous faire catholiques.

– Cela nous entraînerait à des formalités qui demanderaient un temps considérable.

– Si nous filions en Italie ?… s’entêtait la baronne, nettement décidée à passer en revue tous les pays du monde.

– En Italie !… répéta le collectionneur en levant les bras au ciel…

« Mais, malheureuse, tu n’y songes pas !…

– Pourquoi ?… C’est un très beau pays…

– Et Mussolini ?…

– Mussolini !… Tous ceux qui l’ont approché disent que c’est un charmeur.

– Pour ses amis… mais pas pour ceux qui ne partagent pas ses idées.

– Comment !… Tu n’es pas fasciste ?

– Mais je ne suis rien du tout !… Ça ne me regarde pas, ce qui se passe en Italie.

– Eh bien ?

– Seulement, voilà, j’ai un de mes parents qui a écrit, il y a quelque temps, dans l’Impartial de Castelnaudary, un article assez violent contre Mussolini duce… article, qui, étant donnée l’influence de son auteur et l’importance de son journal, n’a pas manqué d’être mis sous les yeux du dictateur. « Si jamais il apprend que nous sommes les cousins de ce pamphlétaire, il nous fera certainement interdire la frontière et nous en serons pour nos frais de voyage.

Mme Papillon s’obstinait.

– Il nous reste encore l’Angleterre, la Suisse, la Hollande, l’Allemagne…

– Mon chou… je t’en supplie… implorait Papillon… tenons-nous-en là pour aujourd’hui.

– Alors, tu ne veux plus partir ?

– J’ai une migraine atroce.

Le fait est que l’effort cérébral auquel avait dû se livrer l’infortuné Hippolyte pour répondre à sa femme, lui avait donné un mal de tête que révélaient sa face congestionnée, ses yeux clignotants et ses paupières violacées.

Mais son égoïste et poltronne moitié était beaucoup trop hantée par la crainte du Fantôme pour accorder la plus légère pitié à son mari.

Et éclatant de fureur, elle dit :

– Une migraine !

Une migraine !… Prétexte pour n’en faire qu’à ta tête ! – Ma tête !… s’écriait le baron… Je voudrais bien, en ce moment ne pas l’avoir sur mes épaules.

– D’abord, piaillait Mme Papillon, tu ne peux pas avoir mal à la tête, puisqu’il n’y a rien dedans.

– Je te jure, se montait l’amateur de bibelots, que je souffre atrocement.

– Ce n’est pas vrai…

– Laisse-moi au moins prendre un cachet d’aspirine.

– Prends-en tout un flacon !

vociférait la baronne déchaînée… et puisque tu ne veux pas partir… eh bien !… moi, je m’en irai toute seule. – C’est cela !

conclut Hippolyte, sans chercher le moindrement à retenir son irascible femme qui, tout en continuant à proférer des sons, rauques et inarticulés, sortit en coup de vent du cabinet de travail. Demeuré seul, l’amateur de bibelots se prit le front à deux mains.

Puis il grommela :

– Oh !

oui, qu’elle s’en aille… qu’elle me fiche la paix, que je ne la voie plus… jamais ! jamais !

Puis il sonna son valet de chambre et lui ordonna de lui apporter un flacon de comprimés et un verre d’eau.

Le calmant produisit son effet… Un quart d’heure après, le baron était entièrement soulagé.

Alors, il se mit à arpenter son bureau, tout en monologuant :

– Déjà, avant l’apparition de ce Fantôme du Louvre, Eudoxie ne me rendait pas l’existence très facile… Elle a toujours eu un si mauvais caractère ; cependant, avec de la patience, c’était encore supportable.

« Mais depuis que ce maudit Belphégor a fait des siennes, cela devient intolérable.

« Ah !

pourquoi Belphégor ne l’a-t-il pas emportée ?… Car, j’en suis sûr, elle ne s’en ira pas sans moi !… Que faire ? Mon Dieu !… que faire ?… Jusqu’à l’heure du dîner, Papillon chercha vainement une solution, et lorsqu’il se retrouva à table, en face de la baronne, il s’aperçut à son attitude, que celle-ci non seulement n’avait pas désarmé, mais qu’elle était d’une humeur encore plus épouvantable.

« Ça va être gentil !

» se dit-il, en déployant sa serviette… Il ne se trompait pas. Elle commença par trouver exécrable un potage exquis, que son mari savourait avec délice.

Puis elle condamna, avec une sévérité non moins implacable, une timbale de homard à l’américaine, dont le fumet, à lui seul, garantissait l’exquise saveur…

Papillon esquissa une timide protestation.

– Mon chou… fit-il, je t’assure que cette timbale est délicieuse…

– Veux-tu que je te coiffe avec ?… menaça la terrible Eudoxie.

Hippolyte n’insista pas, et se contenta de piquer le nez dans son assiette.

Quant à Mme Papillon, elle se leva en déclarant :

– Je vais mettre la clef à la porte.

– À quoi bon ?

murmura le collectionneur, puisque tu pars demain. – Alors… grinça Eudoxie… tu me renvoies ?

– Non !… Mais c’est toi qui m’as dit que tu voulais partir.

– J’ai voulu voir, ripostait la baronne, jusqu’où irait ta muflerie.

« Maintenant, je suis fixée… tu ne m’aimes plus… et tu ne m’as jamais aimée… et puisqu’il en est ainsi, je vais demander le divorce, et puisque nous sommes mariés sous le régime de la communauté, j’exigerai la vente de toutes nos collections.

À ces mots, Papillon se redressa, comme s’il eût été secoué par une décharge électrique.

– Vendre les collections !

s’écria-t-il en verdissant… Ça, jamais !… J’aime mieux qu’on m’arrache les yeux et qu’on me coupe le nez, la langue et les oreilles. – C’est à prendre ou à laisser.

– Mais c’est de la folie… Me priver de ces œuvres d’art, de ces meubles précieux, de ces toiles magnifiques, de ces tapisseries splendides, qui sont l’orgueil et la joie de ma vie… ça, jamais !

– Nous verrons bien… Et ce n’est pas tout…

– Que vas-tu exiger de moi ?

– Nous mettrons aussi ton titre de baron en adjudication…

– Mais cela ne se fait pas, voyons…

– Tu l’as acheté… tu peux bien le revendre.

– C’est fou !… C’est insensé !… hurlait le baron.

Et déchaîné à son tour, hors de lui, emporté par une de ces colères de mouton enragé, Papillon s’élança vers sa femme, et, la saisissant à la gorge, il fit, l’écume aux lèvres :

– Un mot de plus… et je t’étrangle… comme un poulet !…

Alors, il se produisit un de ces phénomènes tels que Shakespeare en a introduit dans la Mégère apprivoisée. Mme Papillon, sans chercher à se dégager, laissa retomber sa tête vers l’épaule de son tortionnaire, et d’une voix pâmée, elle fit :

– Mon loup… mon aimé… aie pitié de ta pauvre chère folle qui t’adore et serait heureuse de mourir de ta main.

Papillon, ahuri, desserra son étreinte, qui, d’ailleurs, ne faisait courir aucun danger à sa femme, qui tomba aussitôt dans ses bras en balbutiant :

– Pardonne-moi, j’étais stupide.

Et elle ajouta, en enveloppant d’un regard énamouré l’amateur de bibelots, qui croyait rêver :

– Dieu !

que tu es beau, quand tu es en colère ! – Eudoxie !

– C’est toi qui avais raison… Demain, au lieu de nous embarquer pour le Japon, nous nous en irons, ainsi que tu me l’avais proposé, nous enfermer dans notre château de Courteuil.

Là, dans ses épaisses murailles, nous pourrons défier le Fantôme et recommencer notre lune de miel. Aussi touché par ce revirement inattendu qu’il avait été exaspéré par les menaces de sa femme, Papillon déposa sur le front brûlant d’Eudoxie l’habituel et classique baiser, grâce auquel il avait déjà si souvent réussi à arrêter les discussions qui menaçaient de devenir parfois orageuses.

Et Eudoxie, l’entraînant vers la table, lui dit :

– Viens t’asseoir près de moi, mon Hippolyte… Viens, nous boirons dans le même verre… nous mangerons dans la même assiette…

– La timbale va être froide… fit observer le gourmet qu’était le collectionneur.

– Nous la réchaufferons de notre tendresse… minauda Mme Papillon, en rendant avec usure à son mari le baiser qui avait mis le point final à cette querelle plutôt mouvementée. "We will warm her with our affection," cried Madame Papillon, returning with wear to her husband the kiss that had put an end to this rather eventful quarrel.

Le lendemain, dès la première heure, le baron et la baronne Papillon partaient en auto pour leur château de Courteuil…

Qu’allaient-ils y rencontrer ?