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Arthur Bernède- Belphégor, 2-1 Où Chantecoq apprend successivement la disparition de...

2-1 Où Chantecoq apprend successivement la disparition de...

Deuxième partie - De mystère en mystère Où Chantecoq apprend successivement la disparition de Jacques Bellegarde et la réapparition de Belphégor

Il était neuf heures du matin… Sur la petite terrasse attenant à sa maison et recouverte d'une véranda, Chantecoq, installé dans un confortable rocking-chair, parcourait tranquillement les journaux, lorsque, brusquement, il releva la tête. Des pas rapprochés faisaient grincer le gravier de l'allée centrale. Le détective aperçut Pierre Gautrais qui se dirigeait vers lui, accompagné d'un homme d'une trentaine d'années, en costume de sport, et d'un garçon qui, habillé d'un vêtement rembourré de dresseur, tenait en laisse deux magnifiques chiens danois, Pandore et Vidocq. Chantecoq, se levant, fit quelques pas vers eux. Lorsqu'ils les eut rejoints, Gautrais aussitôt présenta : – Monsieur Carabot, directeur du chenil de la rue Saint-Honoré.

Ce dernier salua le détective qui, simplement, cordialement, lui tendit la main.

M. Carabot déclarait, en lui montrant les deux chiens :

– Ainsi que vous me l'avez demandé, monsieur Chantecoq, je vous amène Pandore et Vidocq, les deux plus beaux numéros de mon chenil. – Sont-ils bien dressés ? interrogeait Chantecoq.

– Vous allez voir ! fit le marchand avec un air très sûr de lui.

Et tout de suite il ordonna à son employé :

– Détachez-les !

Le garçon obéit. M. Carabot, tout en désignant une fenêtre ouverte de la villa à ses deux pensionnaires, qui, assis devant lui, le contemplaient de leurs yeux pétillants d'intelligence, fit simplement : – Allez !

Pandore et Vidocq s'élancèrent, escaladèrent les marches de la terrasse et, franchissant le rebord de la fenêtre, disparurent en un clin d'œil à l'intérieur de la maison. – Hé là ! observait Chantecoq un peu inquiet ; j'espère bien qu'ils ne vont rien démolir chez moi… – Soyez tranquille ! rassurait le directeur du chenil.

Et, prenant dans sa poche un sifflet, il en tira un son aigu et prolongé.

Aussitôt, les chiens reparurent… se précipitèrent vers lui, s'en vinrent se coucher à ses pieds. – Bravo ! appuyait le grand limier, très satisfait de cette expérience.

Le directeur s'approchait de son employé et lui donnait quelques ordres à voix basse. Le garçon se dirigea vers le soupirail de la cave et, tirant de sa poche une scie à métaux, il fit semblant de s'attaquer à l'un des barreaux. M. Carabot n'eut même pas besoin de prononcer une parole. Un simple coup d'œil lancé aux deux chiens suffit pour que ceux-ci s'élançassent sur le faux cambrioleur et l'immobilisassent avec une rapidité foudroyante, l'un en lui sautant à la gorge, l'autre en l'empoignant par une jambe. Il était visible que celui-ci, sous peine d'être dévoré, ne pouvait plus faire un mouvement. De nouveau, le marchand fit entendre un coup de sifflet et instantanément les deux danois lâchèrent le garçon et s'en vinrent s'étendre devant leur maître. – C'est parfait !… déclarait Chantecoq. Je crois qu'ils feront très bien mon affaire. Et, se tournant vers Gautrais qui admirait les deux superbes bêtes, Chantecoq ordonna :

– Va dire à ta femme de leur préparer une bonne pâtée.

Et il réintégra son studio.

Colette était en train de disposer des fleurs dans un vase de cristal qui ornait la table de travail du détective.

S'avançant vers elle, Chantecoq fit, tout en l'embrassant : – Bonjour, ma chérie !

– Bonjour, père, fit Colette en lui rendant son baiser.

Et, tout de suite, d'un ton anxieux, cette demande : – Rien de nouveau ?

Le détective répliquait :

– Non, rien encore. Et toi, tu n'as pas trop rêvé à Belphégor ? – Je n'ai jamais si bien dormi. Tout en l'enveloppant d'un regard qui révélait sa profonde tendresse, le détective reprit : – Alors, bien vrai, tu n'as pas peur ? Crânement, Colette ripostait :

– Pourquoi aurais-je peur ? N'es-tu pas toujours le plus fort ? Une sonnerie de téléphone retentit.

Le limier décrocha l'appareil et écouta. Sans doute la communication était-elle importante, car, malgré sa grande maîtrise de lui-même, il parut à la fois surpris et préoccupé.

À son tour, il lança dans le cornet d'ébonite : – À la description que vous m'en faites, c'est évidemment le Fantôme du Louvre qui vous a rendu visite la nuit dernière. Il se tut, écouta de nouveau ; puis il lança dans le cornet :

– Allô !… Je veux bien. Mais à la condition formelle que la police officielle ne sera pas saisie avant que j'aie fait mon enquête… Allô !… oui… mes méthodes sont tellement différentes… Vous me comprenez, n'est-ce pas ? Très bien ! parfait ! entendu !… Je vais venir tout de suite. Au revoir, mademoiselle !

Et, tout en raccrochant l'appareil, Chantecoq scanda : – Décidément, ce Belphégor a toutes les audaces.

– Qu'a-t-il encore fait ? interrogeait Colette avec un accent de vive curiosité.

– Il paraît que, la nuit dernière, le Fantôme du Louvre s'est introduit chez Mlle Simone Desroches. – L'amie de M. Bellegarde… précisa la jeune fille en pâlissant légèrement. Sans paraître remarquer le trouble qui s'était emparé d'elle, Chantecoq poursuivait : – Il se serait emparé d'un paquet de lettres écrites par ce journaliste et que Mlle Desroches avait elle-même serrées pendant l'après-midi, dans un meuble dont elle seule avait la clef. Et comme s'il se parlait à lui-même, il scanda : – Pourquoi ce nouveau vol ?… Décidément, cette affaire devient de plus en plus troublante !

– Père, observait Colette, est-on bien sûr que ce soit le Fantôme du Louvre qui ait commis ce larcin ?

– La demoiselle de compagnie de Mlle Desroches, qui vient de me téléphoner, m'en a fait une telle description qu'il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet ! – C'est vraiment extraordinaire ! murmurait Colette, tout en s'efforçant de dissimuler la profonde émotion qui s'était emparée d'elle. – Tellement extraordinaire, martelait le limier, que je vais de ce pas me rendre chez Mlle Desroches.

Il n'avait pas achevé cette phrase que la porte s'ouvrait avec fracas. Rouge comme une tomate, le chapeau de travers, essoufflée, affolée, la bonne grosse Marie-Jeanne se précipitait dans le studio en criant :

– Monsieur Chantecoq !… Mademoiselle Colette !…

Et elle se laissa tomber de tout son poids dans un fauteuil qui, malgré la solidité de ses pieds en acajou massif, fit entendre une plainte inquiétante.

– Voyons, qu'avez-vous ? interrogeait Colette en se précipitant vers sa nouvelle cuisinière.

Suffoquée, celle-ci haletait :

– M. Jacques n'était pas chez lui ; et la concierge m'a affirmé qu'il n'était pas rentré de la nuit. – Que dites-vous là ? s'exclamait la fille de Chantecoq tout en dirigeant son regard angoissé vers son père qui fronçait légèrement ses sourcils. Mme Gautrais poursuivait :

– Je suis passée au Petit Parisien. Là, on m'a dit qu'on n'avait pas revu M. Jacques depuis hier soir huit heures. Aussi j'ai peur qu'il ne lui soit arrivé malheur ! – Ne nous frappons pas ! déclarait Chantecoq. L'enquête que fait en ce moment Jacques Bellegarde réclame, ainsi que toutes celles de ce genre, la plus parfaite circonspection et le plus grand mystère. Il se peut fort bien qu'il ait cru utile de s'absenter. – Père, s'écriait Colette, j'ai le pressentiment qu'il est arrivé malheur à M. Jacques. – Calme-toi, mon enfant !

– Pourvu que Belphégor, qui doit le haïr férocement, ainsi que tous ceux qui s'acharnent à sa poursuite, ne l'ait pas, ainsi qu'il l'en menaçait, lâchement assassiné ! – Ne te mets donc pas de pareilles idées en tête.

– Le vol de ces lettres n'est-il pas extrêmement troublant ? – J'en conviens ! – Belphégor n'aurait-il pas dérobé cette correspondance dans le dessein de renforcer les charges qu'il cherche à accumuler contre Bellegarde ? – C'est fort probable, reconnaissait Chantecoq, très impressionné par la logique de sa fille. Celle-ci continuait :

– Une fois en possession de ces documents, Belphégor n'aurait-il pas trouvé plus prudent de s'éviter toute contradiction en supprimant le malheureux ? Et qui sait, si demain, les journaux ne nous apprendront pas que grâce aux machinations de ce bandit, M. Jacques s'est soi-disant suicidé… avouant ainsi qu'il était le Fantôme du Louvre ! – Ma chère Colette, reprenait Chantecoq, j'ai souvent admiré ton imagination et je l'ai admirée d'autant plus que, sauf de rares exceptions, elle était toujours d'accord avec la réalité. « Permets-moi, cependant, de te faire observer qu'aujourd'hui elle t'entraîne à des déductions dont je suis loin de partager le pessimisme. Et, avec un accent d'énergie qui se tempérait d'une expression de douce et tendre affection, le célèbre limier continua : – Je t'assure que tes hypothèses ne reposent sur aucune base solide. – Ah ! comme je voudrais que tu eusses encore raison ! laissa échapper la jeune fille.

Devinant que le cœur de son enfant était pris encore plus qu'elle ne s'en doutait elle-même, Chantecoq reprenait : – As-tu toujours confiance en moi ?

– Plus que jamais !

– Eh bien ! ma chérie, en toute franchise, je tiens à te déclarer que j'ai la conviction très nette, très arrêtée, que non seulement Jacques Bellegarde est vivant, mais qu'il dînera ce soir avec nous. Là-dessus je te dis « au revoir » ; car il faut que je passe chez Mlle Desroches.

– Promets-moi que tu ne vas pas bouger d'ici pendant mon absence ! – Oui, père.

Chantecoq embrassa le front de sa fille, puis, se retournant vers Marie-Jeanne, il lui murmura à l'oreille. – Je vous la confie !

– Monsieur, affirmait Marie-Jeanne avec une sincérité absolue, vous pouvez entièrement compter sur moi. Tant que je serai là, il n'arrivera rien à Mademoiselle. Et le détective quitta son studio.

Après être demeurée quelques secondes pensive et silencieuse, Colette fit quelques pas et se laissa tomber sur un siège.

Envahie de nouveau par l'inquiétude, elle courba le front et se cacha la tête entre les mains. Des larmes affluaient à ses yeux. Un douloureux sanglot gonfla sa poitrine.

« Pourquoi, se demanda-t-elle… oui, pourquoi ai-je tant de chagrin ? Marie-Jeanne la contempla, tout attendrie. Et, s'approchant de la jeune fille, elle fit avec bonhomie : – Faut pas pleurer comme ça, mademoiselle Colette !

Et se penchant vers la charmante enfant dont elle avait deviné le secret, elle ajouta simplement :

– Il reviendra !


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Deuxième partie - De mystère en mystère Où Chantecoq apprend successivement la disparition de Jacques Bellegarde et la réapparition de Belphégor

Il était neuf heures du matin… Sur la petite terrasse attenant à sa maison et recouverte d'une véranda, Chantecoq, installé dans un confortable rocking-chair, parcourait tranquillement les journaux, lorsque, brusquement, il releva la tête. Des pas rapprochés faisaient grincer le gravier de l'allée centrale. Le détective aperçut Pierre Gautrais qui se dirigeait vers lui, accompagné d'un homme d'une trentaine d'années, en costume de sport, et d'un garçon qui, habillé d'un vêtement rembourré de dresseur, tenait en laisse deux magnifiques chiens danois, Pandore et Vidocq. Chantecoq, se levant, fit quelques pas vers eux. Lorsqu'ils les eut rejoints, Gautrais aussitôt présenta : – Monsieur Carabot, directeur du chenil de la rue Saint-Honoré.

Ce dernier salua le détective qui, simplement, cordialement, lui tendit la main.

M. Carabot déclarait, en lui montrant les deux chiens :

– Ainsi que vous me l'avez demandé, monsieur Chantecoq, je vous amène Pandore et Vidocq, les deux plus beaux numéros de mon chenil. – Sont-ils bien dressés ? interrogeait Chantecoq.

– Vous allez voir ! fit le marchand avec un air très sûr de lui.

Et tout de suite il ordonna à son employé :

– Détachez-les !

Le garçon obéit. M. Carabot, tout en désignant une fenêtre ouverte de la villa à ses deux pensionnaires, qui, assis devant lui, le contemplaient de leurs yeux pétillants d'intelligence, fit simplement : – Allez !

Pandore et Vidocq s'élancèrent, escaladèrent les marches de la terrasse et, franchissant le rebord de la fenêtre, disparurent en un clin d'œil à l'intérieur de la maison. – Hé là ! observait Chantecoq un peu inquiet ; j'espère bien qu'ils ne vont rien démolir chez moi… – Soyez tranquille ! rassurait le directeur du chenil.

Et, prenant dans sa poche un sifflet, il en tira un son aigu et prolongé.

Aussitôt, les chiens reparurent… se précipitèrent vers lui, s'en vinrent se coucher à ses pieds. – Bravo ! appuyait le grand limier, très satisfait de cette expérience.

Le directeur s'approchait de son employé et lui donnait quelques ordres à voix basse. Le garçon se dirigea vers le soupirail de la cave et, tirant de sa poche une scie à métaux, il fit semblant de s'attaquer à l'un des barreaux. M. Carabot n'eut même pas besoin de prononcer une parole. Un simple coup d'œil lancé aux deux chiens suffit pour que ceux-ci s'élançassent sur le faux cambrioleur et l'immobilisassent avec une rapidité foudroyante, l'un en lui sautant à la gorge, l'autre en l'empoignant par une jambe. Il était visible que celui-ci, sous peine d'être dévoré, ne pouvait plus faire un mouvement. De nouveau, le marchand fit entendre un coup de sifflet et instantanément les deux danois lâchèrent le garçon et s'en vinrent s'étendre devant leur maître. – C'est parfait !… déclarait Chantecoq. Je crois qu'ils feront très bien mon affaire. Et, se tournant vers Gautrais qui admirait les deux superbes bêtes, Chantecoq ordonna :

– Va dire à ta femme de leur préparer une bonne pâtée.

Et il réintégra son studio.

Colette était en train de disposer des fleurs dans un vase de cristal qui ornait la table de travail du détective.

S'avançant vers elle, Chantecoq fit, tout en l'embrassant : – Bonjour, ma chérie !

– Bonjour, père, fit Colette en lui rendant son baiser.

Et, tout de suite, d'un ton anxieux, cette demande : – Rien de nouveau ?

Le détective répliquait :

– Non, rien encore. Et toi, tu n'as pas trop rêvé à Belphégor ? – Je n'ai jamais si bien dormi. Tout en l'enveloppant d'un regard qui révélait sa profonde tendresse, le détective reprit : – Alors, bien vrai, tu n'as pas peur ? Crânement, Colette ripostait :

– Pourquoi aurais-je peur ? N'es-tu pas toujours le plus fort ? Une sonnerie de téléphone retentit.

Le limier décrocha l'appareil et écouta. Sans doute la communication était-elle importante, car, malgré sa grande maîtrise de lui-même, il parut à la fois surpris et préoccupé.

À son tour, il lança dans le cornet d'ébonite : – À la description que vous m'en faites, c'est évidemment le Fantôme du Louvre qui vous a rendu visite la nuit dernière. Il se tut, écouta de nouveau ; puis il lança dans le cornet :

– Allô !… Je veux bien. Mais à la condition formelle que la police officielle ne sera pas saisie avant que j'aie fait mon enquête… Allô !… oui… mes méthodes sont tellement différentes… Vous me comprenez, n'est-ce pas ? Très bien ! parfait ! entendu !… Je vais venir tout de suite. Au revoir, mademoiselle !

Et, tout en raccrochant l'appareil, Chantecoq scanda : – Décidément, ce Belphégor a toutes les audaces.

– Qu'a-t-il encore fait ? interrogeait Colette avec un accent de vive curiosité.

– Il paraît que, la nuit dernière, le Fantôme du Louvre s'est introduit chez Mlle Simone Desroches. – L'amie de M. Bellegarde… précisa la jeune fille en pâlissant légèrement. Sans paraître remarquer le trouble qui s'était emparé d'elle, Chantecoq poursuivait : – Il se serait emparé d'un paquet de lettres écrites par ce journaliste et que Mlle Desroches avait elle-même serrées pendant l'après-midi, dans un meuble dont elle seule avait la clef. Et comme s'il se parlait à lui-même, il scanda : – Pourquoi ce nouveau vol ?… Décidément, cette affaire devient de plus en plus troublante !

– Père, observait Colette, est-on bien sûr que ce soit le Fantôme du Louvre qui ait commis ce larcin ?

– La demoiselle de compagnie de Mlle Desroches, qui vient de me téléphoner, m'en a fait une telle description qu'il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet ! – C'est vraiment extraordinaire ! murmurait Colette, tout en s'efforçant de dissimuler la profonde émotion qui s'était emparée d'elle. – Tellement extraordinaire, martelait le limier, que je vais de ce pas me rendre chez Mlle Desroches.

Il n'avait pas achevé cette phrase que la porte s'ouvrait avec fracas. Rouge comme une tomate, le chapeau de travers, essoufflée, affolée, la bonne grosse Marie-Jeanne se précipitait dans le studio en criant :

– Monsieur Chantecoq !… Mademoiselle Colette !…

Et elle se laissa tomber de tout son poids dans un fauteuil qui, malgré la solidité de ses pieds en acajou massif, fit entendre une plainte inquiétante.

– Voyons, qu'avez-vous ? interrogeait Colette en se précipitant vers sa nouvelle cuisinière.

Suffoquée, celle-ci haletait :

– M. Jacques n'était pas chez lui ; et la concierge m'a affirmé qu'il n'était pas rentré de la nuit. – Que dites-vous là ? s'exclamait la fille de Chantecoq tout en dirigeant son regard angoissé vers son père qui fronçait légèrement ses sourcils. Mme Gautrais poursuivait :

– Je suis passée au Petit Parisien. Là, on m'a dit qu'on n'avait pas revu M. Jacques depuis hier soir huit heures. Aussi j'ai peur qu'il ne lui soit arrivé malheur ! – Ne nous frappons pas ! déclarait Chantecoq. L'enquête que fait en ce moment Jacques Bellegarde réclame, ainsi que toutes celles de ce genre, la plus parfaite circonspection et le plus grand mystère. Il se peut fort bien qu'il ait cru utile de s'absenter. – Père, s'écriait Colette, j'ai le pressentiment qu'il est arrivé malheur à M. Jacques. – Calme-toi, mon enfant !

– Pourvu que Belphégor, qui doit le haïr férocement, ainsi que tous ceux qui s'acharnent à sa poursuite, ne l'ait pas, ainsi qu'il l'en menaçait, lâchement assassiné ! – Ne te mets donc pas de pareilles idées en tête.

– Le vol de ces lettres n'est-il pas extrêmement troublant ? – J'en conviens ! – Belphégor n'aurait-il pas dérobé cette correspondance dans le dessein de renforcer les charges qu'il cherche à accumuler contre Bellegarde ? – C'est fort probable, reconnaissait Chantecoq, très impressionné par la logique de sa fille. Celle-ci continuait :

– Une fois en possession de ces documents, Belphégor n'aurait-il pas trouvé plus prudent de s'éviter toute contradiction en supprimant le malheureux ? Et qui sait, si demain, les journaux ne nous apprendront pas que grâce aux machinations de ce bandit, M. Jacques s'est soi-disant suicidé… avouant ainsi qu'il était le Fantôme du Louvre ! – Ma chère Colette, reprenait Chantecoq, j'ai souvent admiré ton imagination et je l'ai admirée d'autant plus que, sauf de rares exceptions, elle était toujours d'accord avec la réalité. « Permets-moi, cependant, de te faire observer qu'aujourd'hui elle t'entraîne à des déductions dont je suis loin de partager le pessimisme. Et, avec un accent d'énergie qui se tempérait d'une expression de douce et tendre affection, le célèbre limier continua : – Je t'assure que tes hypothèses ne reposent sur aucune base solide. – Ah ! comme je voudrais que tu eusses encore raison ! laissa échapper la jeune fille.

Devinant que le cœur de son enfant était pris encore plus qu'elle ne s'en doutait elle-même, Chantecoq reprenait : – As-tu toujours confiance en moi ?

– Plus que jamais !

– Eh bien ! ma chérie, en toute franchise, je tiens à te déclarer que j'ai la conviction très nette, très arrêtée, que non seulement Jacques Bellegarde est vivant, mais qu'il dînera ce soir avec nous. Là-dessus je te dis « au revoir » ; car il faut que je passe chez Mlle Desroches.

– Promets-moi que tu ne vas pas bouger d'ici pendant mon absence ! – Oui, père.

Chantecoq embrassa le front de sa fille, puis, se retournant vers Marie-Jeanne, il lui murmura à l'oreille. – Je vous la confie !

– Monsieur, affirmait Marie-Jeanne avec une sincérité absolue, vous pouvez entièrement compter sur moi. Tant que je serai là, il n'arrivera rien à Mademoiselle. Et le détective quitta son studio.

Après être demeurée quelques secondes pensive et silencieuse, Colette fit quelques pas et se laissa tomber sur un siège.

Envahie de nouveau par l'inquiétude, elle courba le front et se cacha la tête entre les mains. Des larmes affluaient à ses yeux. Un douloureux sanglot gonfla sa poitrine.

« Pourquoi, se demanda-t-elle… oui, pourquoi ai-je tant de chagrin ? Marie-Jeanne la contempla, tout attendrie. Et, s'approchant de la jeune fille, elle fit avec bonhomie : – Faut pas pleurer comme ça, mademoiselle Colette !

Et se penchant vers la charmante enfant dont elle avait deviné le secret, elle ajouta simplement :

– Il reviendra !