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Arthur Bernède- Belphégor, 1-7 Le roi des détectives

1-7 Le roi des détectives

Le roi des détectives

Cet étrange personnage qui venait de jouer un rôle si inattendu dans le drame du Louvre n'était autre qu'un ancien agent de la Sûreté générale qui, avant la guerre, avait acquis, grâce à ses nombreux et retentissants exploits, une réelle célébrité.

Mobilisé en 1914, comme officier de réserve, Chantecoq, après s'être vaillamment battu et avoir mérité la Légion d'honneur et la croix de guerre, avait été mis en sursis d'appel et s'était livré à une chasse aux espions qui avait achevé d'en faire un véritable héros populaire.

Après l'armistice, il avait donné sa démission et s'était établi détective privé.

Il avait pris pour secrétaire, ou plus exactement pour collaboratrice, sa fille, la charmante Colette, qui s'était vite passionnée pour une profession dont son père avait su faire mieux qu'un métier, c'est-à-dire un art.

Sa réputation, solidement établie et basée à la fois sur sa valeur professionnelle et son grand caractère, lui avait valu une clientèle d'élite qu'il servait avec autant de succès que d'honnêteté, d'intelligence et de zèle.

Comment se trouvait-il mêlé à cette histoire ?… En deux mots, voici :

Chantecoq avait été officieusement chargé par le gouvernement italien de rechercher un bandit qui, à la suite d'un vol important commis dans un musée de Florence, s'était caché à Paris.

Supposant que ce gredin pouvait être le pseudo-Fantôme du Louvre, le grand détective s'était aussitôt adressé au gardien Pierre Gautrais qui avait servi autrefois sous ses ordres, pendant la guerre, et auquel il avait sauvé la vie.

Gautrais auquel son ancien chef inspirait une admiration et un dévouement sans bornes, s'était d'autant plus empressé d'entrer dans ses vues qu'il se sentait vaguement soupçonné par l'inspecteur Ménardier… Selon lui, Chantecoq, mieux que personne, ne manquerait pas d'élucider promptement cette angoissante énigme.

Malheureusement les circonstances, ainsi qu'on vient de le constater n'avaient pas donné raison à l'excellent gardien. Et Chantecoq, lui aussi, était obligé de s'avouer qu'il se trouvait en face du problème le plus ardu et le plus troublant qu'il eût à résoudre.

Mais ces difficultés n'étaient nullement faites pour décourager celui que Bellegarde avait salué du nom de « roi des détectives ». Dès le lendemain matin, il s'était enfermé dans son cabinet de travail, situé au rez-de-chaussée du petit hôtel particulier où il demeurait, aux Ternes, avenue de Verzy…

C'était une vaste pièce meublée avec goût, ornée de jolis bibelots et au fond de laquelle se dressait une grande bibliothèque garnie de livres aux riches reliures… On eût dit beaucoup plus le studio d'un artiste que le bureau d'un policier.

Assis devant sa table, après avoir récapitulé les événements de la veille, il s'efforçait d'en tirer les déductions capables de lui faire entrevoir, ne fût-ce qu'une toute petite lueur, à travers les ténèbres dans lesquelles il se débattait, lorsqu'une porte s'ouvrit doucement, livrant passage à Colette qui s'arrêta pendant un instant, pour contempler son père avec une expression de souriante tendresse.

Chantecoq, absorbé dans ses réflexions, n'avait pas remarqué sa présence. S'avançant à pas de loup, Colette, en un geste plein d'une grâce exquise, se pencha vers son père et l'entoura de ses bras.

– Bonjour, chérie, fit le limier en lui rendant son baiser.

– Rien de nouveau depuis hier soir ? interrogeait Colette, en s'asseyant sur un siège, en face de son père.

– Non, rien.

– Ménardier a dû être furieux, lorsqu'il vous a vus tous les deux, M. Bellegarde et toi !…

– Et comment !… Il voulait maintenir Bellegarde en état d'arrestation !

– Allons donc !

– J'ai eu même assez de peine à le convaincre qu'en agissant ainsi, il se couvrirait de ridicule. Mais laissons Ménardier tranquille ; nous avons à nous entretenir de choses beaucoup plus intéressantes.

– Le Fantôme ?

– Oui, le Fantôme.

– Je crois, soulignait Colette, que nous avons affaire à un rude adversaire.

Chantecoq garda le silence.

– Et toi, papa, qu'est-ce que tu en penses ? interrogea la jeune fille.

– Je cherche ! répliqua le détective, dont le front assombri reflétait le doute et l'anxiété qui étaient en lui.

Brusquement, il se leva… et se mit à arpenter lentement son cabinet… Puis, au bout d'un instant, il s'écria :

– Pourquoi ce gredin s'est-il attaqué à une statue aussi encombrante et aussi difficile à emporter ?

« Pourquoi n'a-t-il pas choisi plutôt un tableau, un objet précieux, un émail, une miniature, un ivoire, un joyau ? Et puis, par où est-il entré ? Par où s'est-il enfui ?

Tout en parlant, Chantecoq s'était rapproché de sa fille qui, le coude appuyé sur la table, semblait absorbée dans ses pensées… Et tout en lui posant la main sur l'épaule, il fit :

– Eh bien ! petite ?

Colette tressaillit… Puis, s'efforçant aussitôt de se ressaisir, elle répliqua, un peu gênée :

– Moi aussi, je cherche !

Chantecoq, tout en lui caressant affectueusement la joue, reprenait :

– Je crois plutôt que tu penses à un beau jeune homme…

– Père ! protesta la jeune fille en rougissant.

– Rassure-toi ! scandait le détective avec une solennité comique, tu ne tarderas pas à le voir apparaître.

Et, prenant un pneumatique déposé sur son bureau, il le tendit à sa fille en disant :

– Lis ce message, que je viens de recevoir.

Il était ainsi rédigé :

31, avenue d'Antin

Tél. : Élysée 86-29

Cher monsieur Chantecoq,

Un empêchement imprévu m'oblige à vous prier de bien vouloir remettre à cet après-midi, quinze heures, le rendez-vous que nous avons pris la nuit dernière, au Louvre.

Avec tous mes meilleurs sentiments,

Jacques Bellegarde.

J'ai cherché à vous joindre au téléphone… Mais impossible d'obtenir la communication. Voilà pourquoi je vous envoie ce bleu. J'espère qu'il vous parviendra à temps.

– Décidément, ponctuait Chantecoq, le service du téléphone va de plus en plus mal. Je vais adresser une réclamation.

– N'en fais rien, père ! demandait Colette. C'est moi qui ai décroché le récepteur.

– Pourquoi ?

– Tu étais rentré si tard et, ce matin, tu dormais si bien, que je n'ai pas voulu qu'on te dérangeât.

– Voyez-vous ça ! s'exclamait le détective, avec un bon sourire. Eh bien ! j'ai profité de ce que la communication était rétablie pour lui demander d'être ici à trois heures… Es-tu contente ?

D'un geste brusque et sans doute volontaire, Colette fit tomber à terre une pile de dossiers rangés sur la table. Vite, elle se baissa pour ramasser les feuillets épars sur le tapis… dissimulant ainsi à son père le trouble qui s'était emparé d'elle.

Chantecoq, dont le sourire s'était accentué en une expression de profonde tendresse, la regardait… Colette se releva… Sa moisson de documents était terminée… Et, tout en replaçant les papiers dans leurs chemises, elle fit, d'une voix dans laquelle tremblait le discret frémissement d'une vague espérance :

– Papa, si nous travaillions ?…


1-7 Le roi des détectives 1-7 The king of detectives

Le roi des détectives

Cet étrange personnage qui venait de jouer un rôle si inattendu dans le drame du Louvre n’était autre qu’un ancien agent de la Sûreté générale qui, avant la guerre, avait acquis, grâce à ses nombreux et retentissants exploits, une réelle célébrité.

Mobilisé en 1914, comme officier de réserve, Chantecoq, après s’être vaillamment battu et avoir mérité la Légion d’honneur et la croix de guerre, avait été mis en sursis d’appel et s’était livré à une chasse aux espions qui avait achevé d’en faire un véritable héros populaire. Mobilized in 1914, as a reserve officer, Chantecoq, after having fought valiantly and having earned the Legion of Honor and the Croix de Guerre, had been suspended from appeal and had engaged in a spy hunt that had completed making him a true popular hero.

Après l’armistice, il avait donné sa démission et s’était établi détective privé. After the armistice he had resigned and established himself as a private detective.

Il avait pris pour secrétaire, ou plus exactement pour collaboratrice, sa fille, la charmante Colette, qui s’était vite passionnée pour une profession dont son père avait su faire mieux qu’un métier, c’est-à-dire un art. He had taken for secretary, or more exactly as collaborator, his daughter, the charming Colette, who had quickly become impassioned for a profession of which her father had known how to do better than a trade, that is to say an art.

Sa réputation, solidement établie et basée à la fois sur sa valeur professionnelle et son grand caractère, lui avait valu une clientèle d’élite qu’il servait avec autant de succès que d’honnêteté, d’intelligence et de zèle. His reputation, firmly established and based both on his professional merit and his great character, had earned him an elite clientele which he served with as much success as honesty, intelligence and zeal.

Comment se trouvait-il mêlé à cette histoire ?… En deux mots, voici : How did he get involved in this story?… In two words, here is:

Chantecoq avait été officieusement chargé par le gouvernement italien de rechercher un bandit qui, à la suite d’un vol important commis dans un musée de Florence, s’était caché à Paris. Chantecoq had been unofficially commissioned by the Italian government to search for a bandit who, following a major theft in a museum in Florence, had gone into hiding in Paris.

Supposant que ce gredin pouvait être le pseudo-Fantôme du Louvre, le grand détective s’était aussitôt adressé au gardien Pierre Gautrais qui avait servi autrefois sous ses ordres, pendant la guerre, et auquel il avait sauvé la vie. Assuming that this scoundrel could be the pseudo-Ghost of the Louvre, the great detective immediately addressed himself to the guard Pierre Gautrais who had once served under his orders, during the war, and to whom he had saved his life.

Gautrais auquel son ancien chef inspirait une admiration et un dévouement sans bornes, s’était d’autant plus empressé d’entrer dans ses vues qu’il se sentait vaguement soupçonné par l’inspecteur Ménardier… Selon lui, Chantecoq, mieux que personne, ne manquerait pas d’élucider promptement cette angoissante énigme. Gautrais, to whom his former boss inspired boundless admiration and dedication, was all the more eager to enter into his views because he felt vaguely suspected by Inspector Ménardier… According to him, Chantecoq, better than anyone, would not fail to promptly elucidate this agonizing enigma.

Malheureusement les circonstances, ainsi qu’on vient de le constater n’avaient pas donné raison à l’excellent gardien. Et Chantecoq, lui aussi, était obligé de s’avouer qu’il se trouvait en face du problème le plus ardu et le plus troublant qu’il eût à résoudre.

Mais ces difficultés n’étaient nullement faites pour décourager celui que Bellegarde avait salué du nom de « roi des détectives ». Dès le lendemain matin, il s’était enfermé dans son cabinet de travail, situé au rez-de-chaussée du petit hôtel particulier où il demeurait, aux Ternes, avenue de Verzy…

C’était une vaste pièce meublée avec goût, ornée de jolis bibelots et au fond de laquelle se dressait une grande bibliothèque garnie de livres aux riches reliures… On eût dit beaucoup plus le studio d’un artiste que le bureau d’un policier.

Assis devant sa table, après avoir récapitulé les événements de la veille, il s’efforçait d’en tirer les déductions capables de lui faire entrevoir, ne fût-ce qu’une toute petite lueur, à travers les ténèbres dans lesquelles il se débattait, lorsqu’une porte s’ouvrit doucement, livrant passage à Colette qui s’arrêta pendant un instant, pour contempler son père avec une expression de souriante tendresse.

Chantecoq, absorbé dans ses réflexions, n’avait pas remarqué sa présence. S’avançant à pas de loup, Colette, en un geste plein d’une grâce exquise, se pencha vers son père et l’entoura de ses bras.

– Bonjour, chérie, fit le limier en lui rendant son baiser.

– Rien de nouveau depuis hier soir ? interrogeait Colette, en s’asseyant sur un siège, en face de son père.

– Non, rien.

– Ménardier a dû être furieux, lorsqu’il vous a vus tous les deux, M. Bellegarde et toi !…

– Et comment !… Il voulait maintenir Bellegarde en état d’arrestation !

– Allons donc !

– J’ai eu même assez de peine à le convaincre qu’en agissant ainsi, il se couvrirait de ridicule. Mais laissons Ménardier tranquille ; nous avons à nous entretenir de choses beaucoup plus intéressantes.

– Le Fantôme ?

– Oui, le Fantôme.

– Je crois, soulignait Colette, que nous avons affaire à un rude adversaire.

Chantecoq garda le silence.

– Et toi, papa, qu’est-ce que tu en penses ? interrogea la jeune fille.

– Je cherche ! répliqua le détective, dont le front assombri reflétait le doute et l’anxiété qui étaient en lui.

Brusquement, il se leva… et se mit à arpenter lentement son cabinet… Puis, au bout d’un instant, il s’écria :

– Pourquoi ce gredin s’est-il attaqué à une statue aussi encombrante et aussi difficile à emporter ?

« Pourquoi n’a-t-il pas choisi plutôt un tableau, un objet précieux, un émail, une miniature, un ivoire, un joyau ? Et puis, par où est-il entré ? Par où s’est-il enfui ?

Tout en parlant, Chantecoq s’était rapproché de sa fille qui, le coude appuyé sur la table, semblait absorbée dans ses pensées… Et tout en lui posant la main sur l’épaule, il fit :

– Eh bien ! petite ?

Colette tressaillit… Puis, s’efforçant aussitôt de se ressaisir, elle répliqua, un peu gênée :

– Moi aussi, je cherche !

Chantecoq, tout en lui caressant affectueusement la joue, reprenait :

– Je crois plutôt que tu penses à un beau jeune homme…

– Père ! protesta la jeune fille en rougissant.

– Rassure-toi ! scandait le détective avec une solennité comique, tu ne tarderas pas à le voir apparaître.

Et, prenant un pneumatique déposé sur son bureau, il le tendit à sa fille en disant :

– Lis ce message, que je viens de recevoir.

Il était ainsi rédigé :

31, avenue d’Antin

Tél. : Élysée 86-29

Cher monsieur Chantecoq,

Un empêchement imprévu m’oblige à vous prier de bien vouloir remettre à cet après-midi, quinze heures, le rendez-vous que nous avons pris la nuit dernière, au Louvre.

Avec tous mes meilleurs sentiments,

Jacques Bellegarde.

J’ai cherché à vous joindre au téléphone… Mais impossible d’obtenir la communication. Voilà pourquoi je vous envoie ce bleu. J’espère qu’il vous parviendra à temps.

–  Décidément, ponctuait Chantecoq, le service du téléphone va de plus en plus mal. Je vais adresser une réclamation.

– N’en fais rien, père ! demandait Colette. C’est moi qui ai décroché le récepteur.

– Pourquoi ?

– Tu étais rentré si tard et, ce matin, tu dormais si bien, que je n’ai pas voulu qu’on te dérangeât.

– Voyez-vous ça ! s’exclamait le détective, avec un bon sourire. Eh bien ! j’ai profité de ce que la communication était rétablie pour lui demander d’être ici à trois heures… Es-tu contente ?

D’un geste brusque et sans doute volontaire, Colette fit tomber à terre une pile de dossiers rangés sur la table. Vite, elle se baissa pour ramasser les feuillets épars sur le tapis… dissimulant ainsi à son père le trouble qui s’était emparé d’elle.

Chantecoq, dont le sourire s’était accentué en une expression de profonde tendresse, la regardait… Colette se releva… Sa moisson de documents était terminée… Et, tout en replaçant les papiers dans leurs chemises, elle fit, d’une voix dans laquelle tremblait le discret frémissement d’une vague espérance :

– Papa, si nous travaillions ?…