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Arthur Bernède- Belphégor, 1-3 Simone Desroches

1-3 Simone Desroches

Simone Desroches

Le même soir, vers onze heures, une file d'autos de maîtres, auxquelles se mélangeaient quelques rares et modestes taxis, stationnaient rue Boileau, à Auteuil, près d'un hôtel particulier, à l'architecture très moderne… De nouvelles voitures ne cessaient d'arriver, amenant de nombreux invités… Ceux-ci, après être entrés dans la maison et avoir remis leurs manteaux et leurs chapeaux au vestiaire, au lieu de pénétrer dans les salons, d'ailleurs plongés dans l'ombre, longeaient, sous la conduite de valets de chambre en impeccable livrée, la longue galerie qui desservait tout le rez-de-chaussée, traversaient un petit jardin très ombragé, et pénétraient dans un vaste atelier dont la décoration n'était pas sans évoquer le souvenir des manifestations les plus outrancières de feu l'exposition des Arts décoratifs.

À la clarté discrète de lampes voilées, on distinguait dans cette pièce, encombrée de divans profonds et de sièges aux formes cubiques, une foule qui, dès le premier abord, semblait singulièrement mélangée : inévitables snobs, toujours prêts à s'enthousiasmer de ce qui ennuie les uns, et à déclarer « infect » ce qui plaît aux autres ; vieilles dames aux cheveux coupés à la Ninon et même à la « garçonne » ; jeunes bohèmes des deux sexes accourus de la « Rotonde », et du « Dôme » de Montparnasse ; rimailleurs faméliques échappés du « Lapin agile » de Montmartre ; rares gens du monde authentiques, qui semblaient déjà regretter de s'être fourvoyés, par curiosité, dans ce milieu vraiment par trop original.

Une vive lueur qui provenait d'un plafonnier invisible éclaira tout à coup, dressée debout sur une estrade aux tentures sombres, une jeune femme d'une remarquable beauté. Drapée dans une sorte de péplum blanc qui laissait apparaître ses épaules de marbre et ses bras magnifiques, on eût dit une fée shakespearienne, s'évadant tout à coup de la nuit.

C'était la maîtresse de la maison, Mlle Simone Desroches, jeune déesse mondaine, qui s'apprêtait à déclamer sa dernière œuvre devant ses amis.

Tout d'abord, elle promena ses grands yeux sur ses invités, tous figés en une attitude dévotieuse. Son regard s'arrêta un moment sur la porte d'entrée, comme si elle n'attendait plus que quelqu'un, qu'elle avait hâte de voir, pour attaquer les premières strophes de son poème… Mais la porte demeurait obstinément close… Simone ne put réprimer un léger soupir. Mais comprenant, au frémissement qui courait parmi l'assistance, que l'on commençait à trouver un peu trop long ce silence préparatoire, Simone attaqua d'une voix harmonieuse :

LES FLEURS DU MENSONGE

Ode symphonique

Et, sur un ton de mélopée, elle poursuivit, en appuyant chaque mot et en scandant chaque syllabe :

Mon âme est une forteresse

Dont j'ai fait le jardin de mon cœur…

Mon cœur est le jardin terrestre

Où s'étiolent d'étranges fleurs…

Laissons la poétesse infliger à ses hôtes un long supplice que nos lecteurs ne nous pardonneraient pas de leur faire partager… et ne nous occupons plus que de la femme, d'ailleurs captivante entre toutes, qu'était Simone Desroches.

Unique enfant d'un banquier de Paris très connu, elle avait perdu sa mère de bonne heure. Son père, entièrement absorbé par ses affaires, avait dû confier l'éducation et l'instruction de sa fille à une institutrice d'origine Scandinave, Mlle Elsa Bergen, qui, tout en meublant l'esprit de son élève des connaissances les plus étendues et en développant ses réelles aptitudes artistiques, n'avait pas su lui inspirer les principes qui eussent fait d'elle une vraie jeune fille.

D'un caractère indépendant et d'un esprit romanesque, à la mort de son père, qui était survenue très peu de temps après sa majorité, Simone avait décidé de vivre sa vie. À la tête d'un héritage que l'on disait considérable, elle avait acheté cet hôtel d'Auteuil, où elle s'était installée avec Elsa Bergen, qui, grâce à l'ascendant qu'elle avait pris sur son ancienne pupille, avait réussi à se faire attacher à elle en qualité de dame de compagnie.

Alors, Simone, qui se croyait une grande poétesse, avait réuni autour d'elle une cour d'admirateurs, subjugués par sa beauté, ou simplement attirés par l'appât de sa fortune.

Parmi eux, on remarquait un certain Maurice de Thouars, fils de famille décavé, qui représentait une marque d'automobiles, toujours à court de capitaux. Très beau, très sportif, véritable don Juan de dancing et de bar, et, par conséquent, très infatué de sa personne, il s'était vite convaincu qu'il n'avait qu'un mot à dire pour que la belle Simone tombât dans ses bras.

À son vif désappointement, celle-ci lui avait déclaré :

– Je ne veux pas plus d'un mari que d'un amant. J'entends rester moi-même et ne pas m'embarrasser d'entraves qui me coûteraient ma liberté.

Mais elle avait compté sans l'amour, qui ne devait pas tarder à s'emparer victorieusement, tyranniquement de son âme.

Simone Desroches, trois mois après, était devenue l'esclave de son cœur. La forteresse s'était laissé prendre, et c'était Jacques Bellegarde qui en était le vainqueur.

Ils s'étaient rencontrés en Syrie, où Simone excursionnait, et où Bellegarde se trouvait en tournée de reportage. Ils avaient d'abord vécu en camarades. Mais bientôt l'atmosphère, le décor, quelques aventures pittoresques et même corsées, au cours desquelles le jeune journaliste eut l'occasion de donner la mesure de sa vive intelligence, de son adresse et de son courage, avaient eu raison de ses principes de poétesse ; et elle s'était donnée à Jacques avec la même ardeur qu'elle avait mise à se défendre contre les attaques de ses autres soupirants.

Mais, dès leur retour à Paris, Simone s'était montrée une compagne tellement inquiète, jalouse et tyrannique, qu'elle en était arrivée à refroidir et même presque à éteindre le sentiment très vif et très sincère qu'elle avait inspiré au reporter.

Celui-ci, soucieux avant tout de conserver intacte sa dignité d'homme et de remplir consciencieusement ses obligations professionnelles, ne supportait plus qu'avec peine l'esclavage dans lequel Simone voulait l'asservir. Elle, au contraire, s'était attachée de plus en plus à lui… Elle rêvait même de mariage… Il refusa… Elle était riche… Lui n'avait que son talent pour toute fortune… Alors, ce furent des drames, des scènes, des reproches, des prières, qui excédaient Bellegarde… Il songea à la rupture. Seule une crainte l'arrêta : celle que Simone, dans l'exaspération de son désespoir, ne cherchât à se tuer, ainsi qu'elle l'en avait plusieurs fois menacé.

Et voilà pourquoi bien qu'il éprouvât, surtout après le mystérieux billet signé Belphégor, le besoin de se recueillir au moment où allait s'engager entre le fantôme du Louvre et lui un duel qu'il pressentait implacable, il avait décidé d'aller faire acte de présence chez Simone, quitte à filer à l'anglaise si la séance se prolongeait trop avant dans la nuit.

Lorsqu'il pénétra dans l'atelier, Simone achevait son ode symphonique, au milieu des acclamations frénétiques et des cris pâmés de son entourage.

Dès qu'elle aperçut Jacques, son visage se colora d'une expression de joie que tous attribuèrent au plaisir et à la fierté que lui causait son triomphe… En réalité, peu lui importaient ces bravos, ces cris d'admiration, ce concert d'éloges… Maintenant qu'il était là, elle ne voyait plus que lui, et c'est vers lui seul qu'elle voulait aller, à lui seul qu'elle voulait être.

Mais le flot de ses invités la pressait, l'emprisonnait… l'étouffait… Des esthètes voulaient lui baiser les mains. Le baron Papillon, le riche collectionneur et la baronne, aussi snobs que riches et aussi sots que vains, proféraient, lui d'une voix de basse profonde, elle d'un ton criard et suraigu de soprano léger, des louanges qui tendaient à prouver qu'ils étaient aussi connaisseurs en poésie qu'en bibelots. Le beau Maurice de Thouars, qui avait réussi à s'approcher de l'artiste, s'apprêtait à lui adresser ses plus chaleureux compliments, mais Simone, qui avait réussi à échapper à la cohue bourdonnante, le repoussait en disant :

– Je vous en prie… Laissez-moi… je n'en puis plus ! Je suis brisée !

Et rejoignant vite Jacques Bellegarde, elle lui tendit la main, tout en disant d'une voix mourante :

– Ah ! vous voilà, vous… Enfin !

Puis, tout en le regardant longuement d'un air de tendre reproche, elle ajouta tout bas :

– Pourquoi viens-tu si tard ?

– Je n'ai pas pu…

– Tu vas rester ?…

– C'est impossible… cette affaire du Louvre…

– Un prétexte…

– Je t'assure que c'est très sérieux. Laisse-moi te raconter.

– C'est inutile…

– Pourquoi ?

– Je préfère t'épargner un mensonge.

– Tu verras demain dans les journaux…

– Je ne lis jamais les journaux.

Des domestiques apportaient sur des plateaux des rafraîchissements vers lesquels se ruaient les invités, qui n'étaient pas tous des gens d'une éducation parfaite.

La poétesse et le reporter continuaient à s'entretenir à voix basse. Maurice de Thouars, qui les observait avec une expression de jalousie mauvaise, se dirigea vers une femme d'une cinquantaine d'années, aux cheveux presque blancs, au visage naturellement sévère, et qui, dès le début de la soirée, affectait de se tenir discrètement à l'écart.

C'était Elsa Bergen, la demoiselle de compagnie de Simone.

Tout en lui désignant, d'un coup d'œil significatif, les deux amoureux, M. de Thouars lui murmura, non sans une certaine amertume :

– Toujours aussi toquée de ce journaliste ?

– Ne m'en parlez pas ! répliqua Elsa Bergen d'un air pincé… Elle veut l'épouser.

Le beau Maurice eut un léger sursaut… La Scandinave reprenait :

– Mais… il refuse… Il prétend qu'elle est trop riche pour lui.

Puis elle ajouta sur un ton de confidence :

– Je crois plutôt qu'il en a assez…

– Le fait est qu'ils ont l'air de se disputer ferme.

– Elle lui fait encore une scène.

– Elle est terrible.

– Il finira par se lasser, prédisait Mlle Bergen.

– Tant mieux ! fit Maurice de Thouars avec un inquiétant sourire.

Un virtuose à l'air grave et ennuyé venait de s'installer devant un grand piano à queue de concert. Et projetant d'un air inspiré ses dix doigts sur le clavier, il fit résonner un accord dont la dissonance eut le don d'imposer silence à tous et de figer chacun à sa place.

Le baron Papillon, assourdi par ce tapage, s'approcha de Simone, et lui demanda :

– Quel est ce virtuose ?

Profitant que l'attention de Mlle Desroches était distraite par le riche collectionneur, Jacques Bellegarde s'esquiva rapidement, et lorsque Simone se retourna, elle le vit franchir le seuil de la porte… Un cri faillit lui échapper. Mais elle se contint. Deux perles au bord de ses cils révélèrent seulement la grande douleur qui était en elle. Alors, tandis que le pianiste continuait le fracas de son tonnerre inharmonieux, la jeune poétesse s'assit tristement sur un siège et se cacha la figure entre les mains.

– Quelle artiste ! murmura M. Papillon en désignant Simone à sa femme.

– On dirait qu'elle pleure, fit la baronne.

Simone pleurait en effet, mais ce n'était pas l'émotion artistique qui lui arrachait des larmes… c'était son amour en détresse… son rêve brisé.

Jacques Bellegarde avait regagné aussitôt son petit rez-de-chaussée de l'avenue d'Antin et, après une nuit de repos bien gagné, et même une assez grasse matinée, il s'était levé très en forme et prêt à reprendre son enquête.

Comme il passait de son cabinet de toilette dans sa chambre, il aperçut, assise dans un fauteuil et lisant Le Petit Parisien, sa femme de ménage, qui n'était autre que Marie-Jeanne, l'épouse légitime de Pierre Gautrais, le gardien du Louvre.

Plongée dans sa lecture, Marie-Jeanne ne l'avait pas vu venir. Pendant un instant, il la regarda d'un air amusé. Puis, tout à coup, il frappa dans ses mains.

La plantureuse commère eut un cri de surprise et de frayeur.

– Le fantôme !

Mais reconnaissant le journaliste, elle fit, la main sur son cœur, comme pour en comprimer les battements :

– Excusez-moi, monsieur Jacques, j'étais en train de lire votre article… Il est rudement tapé !

Et, tout en déposant le journal sur la table, elle allait se retirer, mais Jacques la rappela.

– Un mot, madame Gautrais.

– À votre service, monsieur Jacques, fit la brave femme en se rapprochant.

Bellegarde réfléchit quelques secondes, puis reprit :

– Pouvez-vous me rendre un grand service ?

– Avec plaisir, monsieur Jacques, vous êtes si gentil pour moi ! C'est grâce à vous si je vais parfois au théâtre presque à l'œil, et à la Chambre des députés sans rien payer du tout… Aussi croyez que si c'est en mon pouvoir…

D'un geste amical, le reporter arrêta le flot de paroles qui menaçait de le submerger. Puis, l'air grave et pesant bien chaque mot, il fit :

– Il faut que votre mari m'aide à me cacher ce soir dans la salle des Dieux barbares.

– Diable ! s'écria Marie-Jeanne… Ça ne va pas être commode.

Jacques insistait :

– Mais si, voyons…

– Je veux bien essayer, seulement…

Une sonnerie électrique vibrait dans l'antichambre.

– Allez voir, ordonna le journaliste. En tout cas, je n'y suis pour personne !

La femme de ménage s'en fut, pour revenir presque aussitôt, annonçant d'un air d'hostilité :

– C'est encore elle !

Jacques eut un geste d'agacement.

– En voilà un crampon ! souligna Marie-Jeanne.

Et, comme Bellegarde, nerveusement, écrasait dans un cendrier la cigarette allumée qu'il tenait à la main, elle demanda :

– Faut-il lui dire que vous n'êtes pas là ?

– Non ! répliquait Jacques… Elle serait capable de m'attendre dans la rue. Faites-la entrer dans mon bureau.

Lorsque Marie-Jeanne eut disparu, le reporter grommela entre ses dents :

– Cette femme me rend la vie intenable… Cela ne peut pas durer !

Et après avoir arpenté deux ou trois fois sa chambre, cherchant le moyen de rompre avec Simone sans trop de tracas, il ouvrit la porte qui donnait dans son cabinet de travail… Mlle Desroches, qui semblait émue, angoissée, s'en fut vers lui, et, tirant brusquement un billet de son sac, elle le tendit au journaliste, en disant d'une voix tremblante :

– Voilà ce que je viens de recevoir !

Jacques prit le message et lut :

Mademoiselle,

Je sais combien vous vous intéressez à M. Jacques Bellegarde… Aussi, je vous conseille vivement d'user de toute l'influence que vous avez sur lui pour l'empêcher de s'occuper plus longtemps de l'affaire du Louvre… Sinon, il est condamné.

Belphégor.

– Pas possible ! fit le reporter en affectant de sourire.

– Je t'en supplie, s'écriait Simone… renonce à cette enquête.

– Tu es folle ! ripostait Jacques.

– Tu ne m'aimes plus !… haletait la jeune femme.

Et elle se laissa tomber sur un siège, les épaules secouées par de douloureux sanglots.

Bellegarde, gêné, se rapprocha d'elle. Puis, avec plus de douceur, il lui dit :

– Voyons, sois raisonnable !

Être raisonnable, n'est-ce pas demander l'impossible à une amoureuse ?… N'est-ce pas surexciter, exaspérer le déchaînement de ses inquiétudes ?

Relevant la tête, Simone protestait :

– C'est précisément parce que je suis raisonnable que je te supplie de m'écouter.

Et, d'une voix fébrile, elle accentua :

– Jacques, j'en ai le pressentiment, tu cours un grand danger.

– Moi !…

– Oui, toi.

– Mais non !

– Ce matin, contrairement à mes habitudes, j'ai lu les journaux… qui rendaient compte de l'assassinat du Louvre.

– Eh bien ?…

– À peine les avais-je terminés, que je recevais ce billet.

– J'ai reçu le même hier soir…

– Et tu n'y attaches pas plus d'importance ?

– Malice cousue de fil blanc !

– Comment cela ?

– Hier, j'ai très bien compris que je gênais l'inspecteur Ménardier qui est chargé de cette affaire ; et maintenant, j'en suis sûr, c'est lui qui aura employé ce subterfuge pour se débarrasser de moi.

– Un policier tel que lui, objectait Simone, n'emploierait pas des procédés aussi enfantins… Pour moi, cette missive est réelle… Jacques, je t'en supplie, renonce à une entreprise où, j'en ai la conviction, tu t'exposes aux plus graves dangers.

– Oh ! je t'en prie… scandait le journaliste, excédé.

Bouleversée, la jeune femme s'écriait :

– S'il t'arrive malheur, je ne te survivrai pas !

– Ma pauvre Simone, reprenait Jacques Bellegarde, tu es une grande romanesque.

Elle n'eut qu'un cri :

– Je t'adore !

Jacques, presque malgré lui, détourna la tête. Lentement, il dégagea ses mains que sa maîtresse tenait emprisonnées dans les siennes ; puis il s'en fut vers son bureau, ouvrit un tiroir et y renferma le message que Mlle Desroches venait de lui remettre.

Celle-ci, qui ne l'avait pas quitté des yeux, murmurait, accablée :

– Je sens bien que tout est fini !

D'un mouvement brusque, comme si elle rassemblait le restant de ses forces prêtes à l'abandonner, elle se leva. Bellegarde eut un geste, mais un geste vague, pour la retenir.

– Adieu… fit-elle en chancelant.

Dans ce mot, il y avait tant de détresse, que Jacques eut l'impression qu'un glas tintait à ses oreilles.

Angoissé, il lui barra la route… Elle s'effondra dans ses bras.

En sentant son étreinte l'enserrer avec désespoir, son cœur battre contre le sien si précipitamment qu'on eût dit qu'il allait se briser, Jacques, envahi par une de ces pitiés d'autant plus fortes qu'elles sont la dernière flambée d'un amour qui s'éteint… ne put que murmurer :

– Calme-toi… nous allons déjeuner ensemble !

– C'est vrai ? s'exclama Simone avec un sursaut de joie presque enfantine.

– Oui.

– Où cela ?

– Aux Glycines .

Une expression de joie subite illumina le visage douloureux de la jeune femme. Jacques déposa un baiser rapide sur son front fiévreux ; puis il sonna Marie-Jeanne.

– Ma canne…, mon chapeau, fit-il.

Simone sortit de son sac une petite boîte à poudre… et se campant devant une glace, elle s'efforça de faire disparaître les traces de son chagrin, qui rougissait ses beaux yeux si tendres.

La femme de ménage revenait avec les objets demandés. Le reporter lui glissa à l'oreille.

– Surtout n'oubliez pas de demander à votre mari…

Marie-Jeanne eut un geste d'acquiescement ; puis Jacques et Simone gagnèrent le dehors.

Alors, tout en les regardant s'éloigner, Mme Gautrais grommela :

– Faut-il qu'il en ait du courage, M. Jacques, pour passer la journée avec cette raseuse et la nuit dans la salle des Dieux barbares !


1-3 Simone Desroches 1-3 Simone Desroches

Simone Desroches

Le même soir, vers onze heures, une file d’autos de maîtres, auxquelles se mélangeaient quelques rares et modestes taxis, stationnaient rue Boileau, à Auteuil, près d’un hôtel particulier, à l’architecture très moderne… De nouvelles voitures ne cessaient d’arriver, amenant de nombreux invités… Ceux-ci, après être entrés dans la maison et avoir remis leurs manteaux et leurs chapeaux au vestiaire, au lieu de pénétrer dans les salons, d’ailleurs plongés dans l’ombre, longeaient, sous la conduite de valets de chambre en impeccable livrée, la longue galerie qui desservait tout le rez-de-chaussée, traversaient un petit jardin très ombragé, et pénétraient dans un vaste atelier dont la décoration n’était pas sans évoquer le souvenir des manifestations les plus outrancières de feu l’exposition des Arts décoratifs. Esa misma noche, alrededor de las once, una línea de coches maestros, mezclados con algunos taxis raros y modestos, estaban estacionados en la rue Boileau, en Auteuil, cerca de una mansión privada, con una arquitectura muy moderna. dejaron de llegar, trayendo muchos invitados ... Estos, después de entrar a la casa y volver a poner sus abrigos y sombreros en el guardarropa, en lugar de entrar en los salones, que también estaban sumergidos en la sombra, caminaban, bajo la dirección de criados de impecable librea, la larga galería que servía a toda la planta baja, atravesaba un pequeño jardín muy sombreado y entraba en un gran taller cuya decoración recordaba los hechos. lo más escandaloso de la exposición de Artes Decorativas.

À la clarté discrète de lampes voilées, on distinguait dans cette pièce, encombrée de divans profonds et de sièges aux formes cubiques, une foule qui, dès le premier abord, semblait singulièrement mélangée : inévitables snobs, toujours prêts à s’enthousiasmer de ce qui ennuie les uns, et à déclarer « infect » ce qui plaît aux autres ; vieilles dames aux cheveux coupés à la Ninon et même à la « garçonne » ; jeunes bohèmes des deux sexes accourus de la « Rotonde », et du « Dôme » de Montparnasse ; rimailleurs faméliques échappés du « Lapin agile » de Montmartre ; rares gens du monde authentiques, qui semblaient déjà regretter de s’être fourvoyés, par curiosité, dans ce milieu vraiment par trop original. A la luz discreta de las lámparas veladas, se distinguía en esta sala, abarrotada de profundos sofás y asientos de forma cúbica, una multitud que, a primera vista, parecía singularmente mezclada: esnobs inevitables, siempre dispuestos a entusiasmarse con lo que molesta a algunos, y declarar "sucio" lo que agrada a otros; ancianas con el pelo cortado Ninon e incluso "juveniles"; jóvenes bohemios de ambos sexos acudían en masa a la "Rotonde" y la "Cúpula" de Montparnasse; burladores hambrientos escaparon del "Conejo Ágil" de Montmartre; raras personas auténticas del mundo, que ya parecían arrepentirse de haberse extraviado, por curiosidad, en este entorno realmente demasiado original.

Une vive lueur qui provenait d’un plafonnier invisible éclaira tout à coup, dressée debout sur une estrade aux tentures sombres, une jeune femme d’une remarquable beauté. A bright light from an invisible ceiling light suddenly lit up, standing on a dais with dark curtains, a young woman of remarkable beauty. Drapée dans une sorte de péplum blanc qui laissait apparaître ses épaules de marbre et ses bras magnifiques, on eût dit une fée shakespearienne, s’évadant tout à coup de la nuit. Draped in a sort of white peplum which revealed her marble shoulders and her magnificent arms, she looked like a Shakespearean fairy, suddenly escaping from the night.

C’était la maîtresse de la maison, Mlle Simone Desroches, jeune déesse mondaine, qui s’apprêtait à déclamer sa dernière œuvre devant ses amis.

Tout d’abord, elle promena ses grands yeux sur ses invités, tous figés en une attitude dévotieuse. First, she gazed up at her guests, all frozen in a devout attitude. Son regard s’arrêta un moment sur la porte d’entrée, comme si elle n’attendait plus que quelqu’un, qu’elle avait hâte de voir, pour attaquer les premières strophes de son poème… Mais la porte demeurait obstinément close… Simone ne put réprimer un léger soupir. Her gaze stopped for a moment on the front door, as if she was waiting for someone, whom she was eager to see, to attack the first verses of her poem… But the door remained stubbornly closed… Simone couldn't suppress a slight sigh. Mais comprenant, au frémissement qui courait parmi l’assistance, que l’on commençait à trouver un peu trop long ce silence préparatoire, Simone attaqua d’une voix harmonieuse :

LES FLEURS DU MENSONGE THE FLOWERS OF THE LIE

Ode symphonique

Et, sur un ton de mélopée, elle poursuivit, en appuyant chaque mot et en scandant chaque syllabe :

Mon âme est une forteresse

Dont j’ai fait le jardin de mon cœur… I made the garden of my heart ...

Mon cœur est le jardin terrestre

Où s’étiolent d’étranges fleurs…

Laissons la poétesse infliger à ses hôtes un long supplice que nos lecteurs ne nous pardonneraient pas de leur faire partager… et ne nous occupons plus que de la femme, d’ailleurs captivante entre toutes, qu’était Simone Desroches. Let the poetess inflict on her hosts a long ordeal that our readers would not forgive us for sharing with them… and let us only deal with the woman, moreover captivating among all, that was Simone Desroches.

Unique enfant d’un banquier de Paris très connu, elle avait perdu sa mère de bonne heure. The only child of a well-known Paris banker, she had lost her mother early. Son père, entièrement absorbé par ses affaires, avait dû confier l’éducation et l’instruction de sa fille à une institutrice d’origine Scandinave, Mlle Elsa Bergen, qui, tout en meublant l’esprit de son élève des connaissances les plus étendues et en développant ses réelles aptitudes artistiques, n’avait pas su lui inspirer les principes qui eussent fait d’elle une vraie jeune fille.

D’un caractère indépendant et d’un esprit romanesque, à la mort de son père, qui était survenue très peu de temps après sa majorité, Simone avait décidé de vivre sa vie. Of an independent character and a romantic spirit, at the death of her father, which had occurred very shortly after her majority, Simone had decided to live her life. À la tête d’un héritage que l’on disait considérable, elle avait acheté cet hôtel d’Auteuil, où elle s’était installée avec Elsa Bergen, qui, grâce à l’ascendant qu’elle avait pris sur son ancienne pupille, avait réussi à se faire attacher à elle en qualité de dame de compagnie. At the head of a heritage that was said to be considerable, she had bought this hotel in Auteuil, where she had settled with Elsa Bergen, who, thanks to the ascendancy she had acquired over her former ward, had succeeded in getting attached to her as a companion.

Alors, Simone, qui se croyait une grande poétesse, avait réuni autour d’elle une cour d’admirateurs, subjugués par sa beauté, ou simplement attirés par l’appât de sa fortune. So Simone, who believed herself to be a great poet, had gathered around her a court of admirers, captivated by her beauty, or simply attracted by the lure of her fortune.

Parmi eux, on remarquait un certain Maurice de Thouars, fils de famille décavé, qui représentait une marque d’automobiles, toujours à court de capitaux. Très beau, très sportif, véritable don Juan de dancing et de bar, et, par conséquent, très infatué de sa personne, il s’était vite convaincu qu’il n’avait qu’un mot à dire pour que la belle Simone tombât dans ses bras.

À son vif désappointement, celle-ci lui avait déclaré :

– Je ne veux pas plus d’un mari que d’un amant. - I don't want a husband more than a lover. J’entends rester moi-même et ne pas m’embarrasser d’entraves qui me coûteraient ma liberté. I intend to remain myself and not be embarrassed by obstacles that would cost me my freedom.

Mais elle avait compté sans l’amour, qui ne devait pas tarder à s’emparer victorieusement, tyranniquement de son âme.

Simone Desroches, trois mois après, était devenue l’esclave de son cœur. Simone Desroches, three months later, had become the slave of her heart. La forteresse s’était laissé prendre, et c’était Jacques Bellegarde qui en était le vainqueur.

Ils s’étaient rencontrés en Syrie, où Simone excursionnait, et où Bellegarde se trouvait en tournée de reportage. Ils avaient d’abord vécu en camarades. Mais bientôt l’atmosphère, le décor, quelques aventures pittoresques et même corsées, au cours desquelles le jeune journaliste eut l’occasion de donner la mesure de sa vive intelligence, de son adresse et de son courage, avaient eu raison de ses principes de poétesse ; et elle s’était donnée à Jacques avec la même ardeur qu’elle avait mise à se défendre contre les attaques de ses autres soupirants. But soon the atmosphere, the decor, a few picturesque and even full-bodied adventures, during which the young journalist had the opportunity to give the measure of his lively intelligence, his address and his courage, had got the better of his principles of poetess; and she had given herself to Jacques with the same ardor which she had shown in defending herself against the attacks of her other suitors.

Mais, dès leur retour à Paris, Simone s’était montrée une compagne tellement inquiète, jalouse et tyrannique, qu’elle en était arrivée à refroidir et même presque à éteindre le sentiment très vif et très sincère qu’elle avait inspiré au reporter. But, upon their return to Paris, Simone had shown herself to be such an anxious, jealous and tyrannical companion that she had come to cool and even almost extinguish the very lively and very sincere feeling she had inspired in the reporter.

Celui-ci, soucieux avant tout de conserver intacte sa dignité d’homme et de remplir consciencieusement ses obligations professionnelles, ne supportait plus qu’avec peine l’esclavage dans lequel Simone voulait l’asservir. The latter, anxious above all to keep his dignity as a man intact and to conscientiously fulfill his professional obligations, only with difficulty put up with the slavery in which Simone wanted to enslave him. Elle, au contraire, s’était attachée de plus en plus à lui… Elle rêvait même de mariage… Il refusa… Elle était riche… Lui n’avait que son talent pour toute fortune… Alors, ce furent des drames, des scènes, des reproches, des prières, qui excédaient Bellegarde… Il songea à la rupture. Seule une crainte l’arrêta : celle que Simone, dans l’exaspération de son désespoir, ne cherchât à se tuer, ainsi qu’elle l’en avait plusieurs fois menacé.

Et voilà pourquoi bien qu’il éprouvât, surtout après le mystérieux billet signé Belphégor, le besoin de se recueillir au moment où allait s’engager entre le fantôme du Louvre et lui un duel qu’il pressentait implacable, il avait décidé d’aller faire acte de présence chez Simone, quitte à filer à l’anglaise si la séance se prolongeait trop avant dans la nuit. And this is why, although he felt, especially after the mysterious note signed Belphégor, the need to reflect at the moment when a duel was about to take place between the phantom of the Louvre and him that he had foreseen implacable, he had decided to go make an appearance at Simone's, even if it means going English-style if the session goes on too long into the night.

Lorsqu’il pénétra dans l’atelier, Simone achevait son ode symphonique, au milieu des acclamations frénétiques et des cris pâmés de son entourage.

Dès qu’elle aperçut Jacques, son visage se colora d’une expression de joie que tous attribuèrent au plaisir et à la fierté que lui causait son triomphe… En réalité, peu lui importaient ces bravos, ces cris d’admiration, ce concert d’éloges… Maintenant qu’il était là, elle ne voyait plus que lui, et c’est vers lui seul qu’elle voulait aller, à lui seul qu’elle voulait être. As soon as she saw Jacques, her face was colored with an expression of joy that everyone attributed to the pleasure and pride that his triumph had caused her ... In reality, those bravos, these cries of admiration, this concert of admiration did not matter to her. praise… Now that he was there, she saw only him, and it was towards him alone that she wanted to go, to him alone that she wanted to be.

Mais le flot de ses invités la pressait, l’emprisonnait… l’étouffait… Des esthètes voulaient lui baiser les mains. But the flood of her guests pressed her, imprisoned her… suffocated her… Aesthetes wanted to kiss her hands. Le baron Papillon, le riche collectionneur et la baronne, aussi snobs que riches et aussi sots que vains, proféraient, lui d’une voix de basse profonde, elle d’un ton criard et suraigu de soprano léger, des louanges qui tendaient à prouver qu’ils étaient aussi connaisseurs en poésie qu’en bibelots. Le beau Maurice de Thouars, qui avait réussi à s’approcher de l’artiste, s’apprêtait à lui adresser ses plus chaleureux compliments, mais Simone, qui avait réussi à échapper à la cohue bourdonnante, le repoussait en disant : The handsome Maurice de Thouars, who had succeeded in approaching the artist, was about to send him his warmest compliments, but Simone, who had succeeded in escaping the buzzing crowd, repelled him by saying:

– Je vous en prie… Laissez-moi… je n’en puis plus ! - Please… Leave me… I can't take it anymore! Je suis brisée ! I am broken !

Et rejoignant vite Jacques Bellegarde, elle lui tendit la main, tout en disant d’une voix mourante : And quickly joining Jacques Bellegarde, she held out her hand to him, while saying in a dying voice:

– Ah ! vous voilà, vous… Enfin !

Puis, tout en le regardant longuement d’un air de tendre reproche, elle ajouta tout bas : Then, while looking at him for a long time with an air of tender reproach, she added in a low voice:

– Pourquoi viens-tu si tard ? - Why are you coming so late?

– Je n’ai pas pu… - I could not…

– Tu vas rester ?… - Are you going to stay? ...

– C’est impossible… cette affaire du Louvre…

– Un prétexte…

– Je t’assure que c’est très sérieux. - I assure you it's very serious. Laisse-moi te raconter. Let me tell you.

– C’est inutile… - It's useless ...

– Pourquoi ?

– Je préfère t’épargner un mensonge. - I'd rather spare you a lie.

– Tu verras demain dans les journaux… - You'll see tomorrow in the newspapers ...

– Je ne lis jamais les journaux. - I never read the newspapers.

Des domestiques apportaient sur des plateaux des rafraîchissements vers lesquels se ruaient les invités, qui n’étaient pas tous des gens d’une éducation parfaite. Servants brought refreshments on trays, which the guests flocked to, not all of whom were perfectly educated.

La poétesse et le reporter continuaient à s’entretenir à voix basse. The poet and the reporter continued to converse in low voices. Maurice de Thouars, qui les observait avec une expression de jalousie mauvaise, se dirigea vers une femme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux presque blancs, au visage naturellement sévère, et qui, dès le début de la soirée, affectait de se tenir discrètement à l’écart. Maurice de Thouars, who was watching them with an expression of wicked jealousy, walked up to a woman of about fifty, with almost white hair, a naturally severe face, and who, from the start of the evening, affected to look like herself. keep discreetly away.

C’était Elsa Bergen, la demoiselle de compagnie de Simone. It was Elsa Bergen, Simone's companion.

Tout en lui désignant, d’un coup d’œil significatif, les deux amoureux, M. de Thouars lui murmura, non sans une certaine amertume : While pointing to the two lovers with a significant glance, M. de Thouars whispered to him, not without a certain bitterness:

– Toujours aussi toquée de ce journaliste ? - Still so crazy about this journalist?

– Ne m’en parlez pas ! - Don't tell me! répliqua Elsa Bergen d’un air pincé… Elle veut l’épouser.

Le beau Maurice eut un léger sursaut… La Scandinave reprenait : The handsome Maurice gave a slight start ... The Scandinavian resumed:

– Mais… il refuse… Il prétend qu’elle est trop riche pour lui. - But… he refuses… He claims that she is too rich for him.

Puis elle ajouta sur un ton de confidence : Then she added in a tone of confidence:

– Je crois plutôt qu’il en a assez… - I rather think he's had enough ...

– Le fait est qu’ils ont l’air de se disputer ferme. - The point is, they seem to be arguing.

– Elle lui fait encore une scène.

– Elle est terrible.

– Il finira par se lasser, prédisait Mlle Bergen. "He'll get bored eventually," predicted Miss Bergen.

– Tant mieux ! - So much the better! fit Maurice de Thouars avec un inquiétant sourire. said Maurice de Thouars with a disturbing smile.

Un virtuose à l’air grave et ennuyé venait de s’installer devant un grand piano à queue de concert. A serious and bored-looking virtuoso had just sat down in front of a grand concert grand piano. Et projetant d’un air inspiré ses dix doigts sur le clavier, il fit résonner un accord dont la dissonance eut le don d’imposer silence à tous et de figer chacun à sa place. And projecting with an inspired air his ten fingers on the keyboard, he made resound a chord whose dissonance had the gift to impose silence on all and to freeze each one in its place.

Le baron Papillon, assourdi par ce tapage, s’approcha de Simone, et lui demanda : Baron Papillon, deafened by this uproar, approached Simone and asked her:

– Quel est ce virtuose ?

Profitant que l’attention de Mlle Desroches était distraite par le riche collectionneur, Jacques Bellegarde s’esquiva rapidement, et lorsque Simone se retourna, elle le vit franchir le seuil de la porte… Un cri faillit lui échapper. Taking advantage of Mlle Desroches' attention being distracted by the wealthy collector, Jacques Bellegarde quickly slipped away, and when Simone turned around, she saw him cross the threshold of the door ... A cry almost escaped her. Mais elle se contint. But she restrained herself. Deux perles au bord de ses cils révélèrent seulement la grande douleur qui était en elle. Two pearls on the edge of her eyelashes only revealed the great pain that was inside her. Alors, tandis que le pianiste continuait le fracas de son tonnerre inharmonieux, la jeune poétesse s’assit tristement sur un siège et se cacha la figure entre les mains. Then, while the pianist continued the crash of his inharmonious thunder, the young poetess sat down sadly on a chair and hid her face in her hands.

– Quelle artiste ! murmura M. Papillon en désignant Simone à sa femme. murmured M. Papillon, pointing to Simone to his wife.

– On dirait qu’elle pleure, fit la baronne. "She looks like she's crying," said the baroness.

Simone pleurait en effet, mais ce n’était pas l’émotion artistique qui lui arrachait des larmes… c’était son amour en détresse… son rêve brisé. Simone was indeed crying, but it wasn't the artistic emotion that drew tears from her… it was her love in distress… her shattered dream.

Jacques Bellegarde avait regagné aussitôt son petit rez-de-chaussée de l’avenue d’Antin et, après une nuit de repos bien gagné, et même une assez grasse matinée, il s’était levé très en forme et prêt à reprendre son enquête. Jacques Bellegarde immediately returned to his little ground floor on the avenue d'Antin and, after a well-earned night's rest, and even a rather sleepy morning, he got up very fit and ready to resume his investigation. .

Comme il passait de son cabinet de toilette dans sa chambre, il aperçut, assise dans un fauteuil et lisant Le Petit Parisien, sa femme de ménage, qui n’était autre que Marie-Jeanne, l’épouse légitime de Pierre Gautrais, le gardien du Louvre. As he passed from his bathroom to his bedroom, he saw, sitting in an armchair and reading Le Petit Parisien, his cleaning lady, who was none other than Marie-Jeanne, the legitimate wife of Pierre Gautrais, the caretaker of the Louvre.

Plongée dans sa lecture, Marie-Jeanne ne l’avait pas vu venir. Immersed in her reading, Marie-Jeanne had not seen it coming. Pendant un instant, il la regarda d’un air amusé. For a moment he looked at her amusedly. Puis, tout à coup, il frappa dans ses mains. Then suddenly he clapped his hands.

La plantureuse commère eut un cri de surprise et de frayeur. The busty gossip gave a cry of surprise and fear.

– Le fantôme !

Mais reconnaissant le journaliste, elle fit, la main sur son cœur, comme pour en comprimer les battements : But recognizing the journalist, she put her hand on her heart, as if to compress its beating:

– Excusez-moi, monsieur Jacques, j’étais en train de lire votre article… Il est rudement tapé ! - Excuse me, Mr. Jacques, I was reading your article… It is badly typed!

Et, tout en déposant le journal sur la table, elle allait se retirer, mais Jacques la rappela. And, while placing the newspaper on the table, she was about to retire, but Jacques called her back.

– Un mot, madame Gautrais.

– À votre service, monsieur Jacques, fit la brave femme en se rapprochant. "At your service, Monsieur Jacques," said the brave woman, coming closer.

Bellegarde réfléchit quelques secondes, puis reprit : Bellegarde thought for a few seconds, then continued:

– Pouvez-vous me rendre un grand service ? - Can you do me a great favor?

– Avec plaisir, monsieur Jacques, vous êtes si gentil pour moi ! - With pleasure, Monsieur Jacques, you are so kind to me! C’est grâce à vous si je vais parfois au théâtre presque à l’œil, et à la Chambre des députés sans rien payer du tout… Aussi croyez que si c’est en mon pouvoir… It is thanks to you that I sometimes go to the theater almost to the eye, and to the Chamber of Deputies without paying anything at all ... Also believe that if it is in my power ...

D’un geste amical, le reporter arrêta le flot de paroles qui menaçait de le submerger. With a friendly gesture, the reporter stopped the flow of words that threatened to overwhelm him. Puis, l’air grave et pesant bien chaque mot, il fit : Then, looking serious and weighing each word well, he said:

– Il faut que votre mari m’aide à me cacher ce soir dans la salle des Dieux barbares. - Your husband must help me hide tonight in the Hall of the Barbarian Gods.

– Diable ! - Devil ! s’écria Marie-Jeanne… Ça ne va pas être commode. cried Marie-Jeanne… It won't be easy.

Jacques insistait :

– Mais si, voyons… - But yes, of course…

– Je veux bien essayer, seulement… - I want to try, only ...

Une sonnerie électrique vibrait dans l’antichambre. An electric bell vibrated in the anteroom.

– Allez voir, ordonna le journaliste. En tout cas, je n’y suis pour personne ! In any case, I am not there for anyone!

La femme de ménage s’en fut, pour revenir presque aussitôt, annonçant d’un air d’hostilité : The cleaning lady left, to return almost immediately, announcing with an air of hostility:

– C’est encore elle !

Jacques eut un geste d’agacement.

– En voilà un crampon ! souligna Marie-Jeanne.

Et, comme Bellegarde, nerveusement, écrasait dans un cendrier la cigarette allumée qu’il tenait à la main, elle demanda : And, as Bellegarde nervously crushed the lighted cigarette he was holding in his hand in an ashtray, she asked:

– Faut-il lui dire que vous n’êtes pas là ? - Should we tell him you're not here?

– Non ! répliquait Jacques… Elle serait capable de m’attendre dans la rue. Faites-la entrer dans mon bureau.

Lorsque Marie-Jeanne eut disparu, le reporter grommela entre ses dents :

– Cette femme me rend la vie intenable… Cela ne peut pas durer !

Et après avoir arpenté deux ou trois fois sa chambre, cherchant le moyen de rompre avec Simone sans trop de tracas, il ouvrit la porte qui donnait dans son cabinet de travail… Mlle Desroches, qui semblait émue, angoissée, s’en fut vers lui, et, tirant brusquement un billet de son sac, elle le tendit au journaliste, en disant d’une voix tremblante :

– Voilà ce que je viens de recevoir !

Jacques prit le message et lut :

Mademoiselle,

Je sais combien vous vous intéressez à M. Jacques Bellegarde… Aussi, je vous conseille vivement d’user de toute l’influence que vous avez sur lui pour l’empêcher de s’occuper plus longtemps de l’affaire du Louvre… Sinon, il est condamné. I know how much you are interested in Mr. Jacques Bellegarde ... Also, I strongly advise you to use all the influence you have on him to prevent him from taking care of the Louvre business any longer ... Otherwise, he is condemned.

Belphégor. Belphegor.

– Pas possible ! fit le reporter en affectant de sourire. said the reporter, pretending to smile.

– Je t’en supplie, s’écriait Simone… renonce à cette enquête. - I beg you, cried Simone… give up this investigation.

– Tu es folle ! - You're crazy ! ripostait Jacques.

– Tu ne m’aimes plus !… haletait la jeune femme. - You no longer love me! ... panted the young woman.

Et elle se laissa tomber sur un siège, les épaules secouées par de douloureux sanglots. And she sank into a seat, her shoulders shaking with painful sobs.

Bellegarde, gêné, se rapprocha d’elle. Bellegarde, embarrassed, approached her. Puis, avec plus de douceur, il lui dit : Then, more gently, he said to her:

– Voyons, sois raisonnable ! - Come on, be reasonable!

Être raisonnable, n’est-ce pas demander l’impossible à une amoureuse ?… N’est-ce pas surexciter, exaspérer le déchaînement de ses inquiétudes ? To be reasonable, isn't that asking the impossible of a lover? ... Isn't that overexciting, exasperating the outburst of his worries?

Relevant la tête, Simone protestait :

– C’est précisément parce que je suis raisonnable que je te supplie de m’écouter. - It is precisely because I am reasonable that I beg you to listen to me.

Et, d’une voix fébrile, elle accentua : And, in a feverish voice, she emphasized:

– Jacques, j’en ai le pressentiment, tu cours un grand danger. - Jacques, I have a presentiment, you are in great danger.

– Moi !…

– Oui, toi.

– Mais non !

– Ce matin, contrairement à mes habitudes, j’ai lu les journaux… qui rendaient compte de l’assassinat du Louvre. - This morning, contrary to my habits, I read the newspapers… which reported on the assassination of the Louvre.

– Eh bien ?…

– À peine les avais-je terminés, que je recevais ce billet. - Hardly had I finished, that I received this note.

– J’ai reçu le même hier soir… - I received the same one last night ...

– Et tu n’y attaches pas plus d’importance ? - And you do not attach more importance to it?

– Malice cousue de fil blanc ! - Malice sewn with white thread!

– Comment cela ?

– Hier, j’ai très bien compris que je gênais l’inspecteur Ménardier qui est chargé de cette affaire ; et maintenant, j’en suis sûr, c’est lui qui aura employé ce subterfuge pour se débarrasser de moi. - Yesterday, I understood very well that I was bothering Inspector Ménardier who is in charge of this case; and now, I'm sure, he's the one who used this subterfuge to get rid of me.

– Un policier tel que lui, objectait Simone, n’emploierait pas des procédés aussi enfantins… Pour moi, cette missive est réelle… Jacques, je t’en supplie, renonce à une entreprise où, j’en ai la conviction, tu t’exposes aux plus graves dangers. - A policeman like him, objected Simone, would not use such childish procedures… For me, this missive is real… Jacques, I beg you, give up an enterprise where, I am convinced, you are 'exposed to the most serious dangers.

– Oh ! je t’en prie… scandait le journaliste, excédé. please ... chanted the journalist, exasperated.

Bouleversée, la jeune femme s’écriait : Shocked, the young woman cried out:

– S’il t’arrive malheur, je ne te survivrai pas ! - If anything happens to you, I won't survive you!

– Ma pauvre Simone, reprenait Jacques Bellegarde, tu es une grande romanesque.

Elle n’eut qu’un cri : She only had one cry:

– Je t’adore !

Jacques, presque malgré lui, détourna la tête. Jacques, almost in spite of himself, turned his head away. Lentement, il dégagea ses mains que sa maîtresse tenait emprisonnées dans les siennes ; puis il s’en fut vers son bureau, ouvrit un tiroir et y renferma le message que Mlle Desroches venait de lui remettre. Slowly, he freed his hands that his mistress held trapped in hers; then he went to his desk, opened a drawer and locked in the message that Mlle Desroches had just given him.

Celle-ci, qui ne l’avait pas quitté des yeux, murmurait, accablée : The latter, who had not taken her eyes off him, murmured, overwhelmed:

– Je sens bien que tout est fini !

D’un mouvement brusque, comme si elle rassemblait le restant de ses forces prêtes à l’abandonner, elle se leva. Abruptly, as if gathering the rest of her strength ready to abandon him, she stood up. Bellegarde eut un geste, mais un geste vague, pour la retenir. Bellegarde made a gesture, but a vague gesture, to restrain her.

– Adieu… fit-elle en chancelant. - Goodbye… she said, staggering.

Dans ce mot, il y avait tant de détresse, que Jacques eut l’impression qu’un glas tintait à ses oreilles. In this word, there was so much distress that Jacques had the impression that a death knell was ringing in his ears.

Angoissé, il lui barra la route… Elle s’effondra dans ses bras. Anguished, he blocked her way… She collapsed in his arms.

En sentant son étreinte l’enserrer avec désespoir, son cœur battre contre le sien si précipitamment qu’on eût dit qu’il allait se briser, Jacques, envahi par une de ces pitiés d’autant plus fortes qu’elles sont la dernière flambée d’un amour qui s’éteint… ne put que murmurer : Feeling his embrace embrace him with despair, his heart beating against his so precipitately that it was like it was going to break, Jacques, invaded by one of these pities all the stronger because they are the last outbreak of a love that is extinguished ... could only whisper:

– Calme-toi… nous allons déjeuner ensemble ! - Calm down… we're going to have lunch together!

– C’est vrai ? - That is true ? s’exclama Simone avec un sursaut de joie presque enfantine. Simone exclaimed with a jump of almost childish joy.

– Oui.

– Où cela ?

– Aux Glycines . - At Les Glycines.

Une expression de joie subite illumina le visage douloureux de la jeune femme. An expression of sudden joy lit up the painful face of the young woman. Jacques déposa un baiser rapide sur son front fiévreux ; puis il sonna Marie-Jeanne.

– Ma canne…, mon chapeau, fit-il.

Simone sortit de son sac une petite boîte à poudre… et se campant devant une glace, elle s’efforça de faire disparaître les traces de son chagrin, qui rougissait ses beaux yeux si tendres. Simone took out of her bag a small box of powder ... and camping herself in front of a mirror, she tried to make disappear the traces of her sorrow, which reddened her beautiful eyes so tender.

La femme de ménage revenait avec les objets demandés. The cleaning lady returned with the requested items. Le reporter lui glissa à l’oreille. The reporter whispered in his ear.

– Surtout n’oubliez pas de demander à votre mari… - Do not forget to ask your husband…

Marie-Jeanne eut un geste d’acquiescement ; puis Jacques et Simone gagnèrent le dehors. Marie-Jeanne made a gesture of acquiescence; then Jacques and Simone went outside.

Alors, tout en les regardant s’éloigner, Mme Gautrais grommela : Then, while watching them go away, Madame Gautrais muttered:

– Faut-il qu’il en ait du courage, M. Jacques, pour passer la journée avec cette raseuse et la nuit dans la salle des Dieux barbares ! - Must he have the courage, M. Jacques, to spend the day with this razor and the night in the room of the barbarian gods!