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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.1

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.1

– VI – 6.1

Georges Duroy eut le réveil triste, le lendemain.

Il s'habilla lentement, puis s'assit devant sa fenêtre et se mit à réfléchir. Il se sentait, dans tout le corps, une espèce de courbature, comme s'il avait reçu, la veille, une volée de coups de bâton.

Enfin, la nécessité de trouver de l'argent l'aiguillonna et il se rendit chez Forestier.

Son ami le reçut, les pieds au feu, dans son cabinet.

« Qu'est-ce qui t'a fait lever si tôt ?

– Une affaire très grave. J'ai une dette d'honneur.

– De jeu ? Il hésita, puis avoua :

« De jeu.

– Grosse ?

– Cinq cents francs ! Il n'en devait que deux cent quatre-vingt.

Forestier, sceptique, demanda :

« À qui dois-tu ça ? Duroy ne put pas répondre tout de suite.

« … Mais à… à… à un monsieur de Carleville.

– Ah ! Et où demeure-t-il ?

– Rue… rue… »

Forestier se mit à rire : « Rue du Cherche-Midi à quatorze heures, n'est-ce pas ? Je connais ce monsieur-là, mon cher. Si tu veux vingt francs, j'ai encore ça à ta disposition, mais pas davantage. Duroy accepta la pièce d'or.

Puis il alla, de porte en porte, chez toutes les personnes qu'il connaissait, et il finit par réunir, vers cinq heures, quatre-vingts francs.

Comme il lui en fallait trouver encore deux cents, il prit son parti résolument, et, gardant ce qu'il avait recueilli, il murmura : « Zut, je ne vais pas me faire de bile pour cette garce-là. Je la paierai quand je pourrai. Pendant quinze jours il vécut d'une vie économe, réglée et chaste, l'esprit plein de résolutions énergiques. Puis il fut pris d'un grand désir d'amour. Il lui semblait que plusieurs années s'étaient écoulées depuis qu'il n'avait tenu une femme dans ses bras, et, comme le matelot qui s'affole en revoyant la terre, toutes les. jupes rencontrées le faisaient frissonner.

Alors il retourna, un soir, aux Folies-Bergère, avec l'espoir d'y trouver Rachel. Il l'aperçut, en effet, dès l'entrée, car elle ne quittait guère cet établissement.

Il alla vers elle souriant, la main tendue. Mais elle le toisa de la tête aux pieds :

« Qu'est-ce que vous me voulez ? Il essaya de rire :

« Allons, ne fais pas ta poire. Elle lui tourna les talons en déclarant :

« Je ne fréquente pas les dos verts. Elle avait cherché la plus grossière injure. Il sentit le sang lui empourprer la face, et il rentra seul.

Forestier, malade, affaibli, toussant toujours, lui faisait, au journal, une existence pénible, semblait se creuser l'esprit pour lui trouver des corvées ennuyeuses. Un jour même, dans un moment d'irritation nerveuse, et après une longue quinte d'étouffement, comme Duroy ne lui apportait point un renseignement demandé, il grogna : « Cristi, tu es plus bête que je n'aurais cru. L'autre faillit le gifler, mais il se contint et s'en alla en murmurant : « Toi, je te rattraperai. » Une pensée rapide lui traversa l'esprit, et il ajouta : « Je vas te faire cocu, mon vieux. » Et il s'en alla en se frottant les mains, réjoui par ce projet.

Il voulut, dès le jour suivant, en commencer l'exécution. Il fit à Mme Forestier une visite en éclaireur.

Il la trouva qui lisait un livre, étendue tout au long sur un canapé.

Elle lui tendit la main, sans bouger, tournant seulement la tête, et elle dit : « Bonjour, Bel-Ami. » Il eut la sensation d'un soufflet reçu : « Pourquoi m'appelez-vous ainsi ? Elle répondit en souriant :

« J'ai vu Mme de Marelle l'autre semaine, et j'ai su comment on vous avait baptisé chez elle. Il se rassura devant l'air aimable de la jeune femme. Comment aurait-il pu craindre, d'ailleurs ?

Elle reprit :

« Vous la gâtez ! Quant à moi, on me vient voir quand on y pense, les trente-six du mois, ou peu s'en faut ? Il s'était assis près d'elle et il la regardait avec une curiosité nouvelle, une curiosité d'amateur qui bibelote. Elle était charmante, blonde d'un blond tendre et chaud, faite pour les caresses ; et il pensa : « Elle est mieux que l'autre, certainement. » Il ne doutait point du succès, il n'aurait qu'à allonger la main, lui semblait-il, et à la prendre, comme on cueille un fruit.

Il dit résolument :

« Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux. Elle demanda, sans comprendre :

« Comment ? Pourquoi ?

– Pourquoi ? Vous ne devinez pas.

– Non, pas du tout.

– Parce que je suis amoureux de vous… oh ! un peu, rien qu'un peu… et que je ne veux pas le devenir tout à fait… »

Elle ne parut ni étonnée, ni choquée, ni flattée ; elle continuait à sourire du même sourire indifférent, et elle répondit avec tranquillité :

« Oh ! vous pouvez venir tout de même. On n'est jamais amoureux de moi longtemps. Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda :

« Pourquoi ?

– Parce que c'est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m'aviez raconté plus tôt votre crainte, je vous aurais rassuré et engagé au contraire à venir le plus possible. Il s'écria, d'un ton pathétique :

« Avec ça qu'on peut commander aux sentiments ! Elle se tourna vers lui :

« Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayé du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour, ou qui le prétendent, toute relation intime, parce qu'ils m'ennuient d'abord, et puis parce qu'ils me sont suspects comme un chien enragé qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu'à ce que leur maladie soit passée. Ne l'oubliez point. Je sais bien que chez vous l'amour n'est autre chose qu'une espèce d'appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de… de… de communion des âmes qui n'entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l'esprit. Mais… regardez-moi bien en face… »

Elle ne souriait plus. Elle avait un visage calme et froid et elle dit en appuyant sur chaque mot :

« Je ne serai jamais, jamais votre maîtresse, entendez-vous. Il est donc absolument inutile, il serait même mauvais pour vous de persister dans ce désir… Et maintenant que… l'opération est faite… voulez-vous que nous soyons amis, bons amis, mais là, de vrais amis, sans arrière-pensée ? Il avait compris que toute tentative resterait stérile devant cette sentence sans appel. Il en prit son parti tout de suite, franchement, et, ravi de pouvoir se faire cette alliée dans l'existence, il lui tendit les deux mains :

« Je suis à vous, madame, comme il vous plaira. Elle sentit la sincérité de la pensée dans la voix, et elle donna ses mains.

Il les baisa, l'une après l'autre, puis il dit simplement en relevant la tête : « Cristi, si j'avais trouvé une femme comme vous, avec quel bonheur je l'aurais épousée ! Elle fut touchée, cette fois, caressée par cette phrase comme les femmes le sont par les compliments qui trouvent leur cœur, et elle lui jeta un de ces regards rapides et reconnaissants qui nous font leurs esclaves.

Puis, comme il ne trouvait pas de transition pour reprendre la conversation, elle prononça, d'une voix douce, en posant un doigt sur son bras :

« Et je vais commencer tout de suite mon métier d'amie. Vous êtes maladroit, mon cher… »

Elle hésita, et demanda :

« Puis-je parler librement ?

– Oui.

– Tout à fait ?

– Tout à fait.

– Eh bien, allez donc voir Mme Walter, qui vous apprécie beaucoup, et plaisez-lui. Vous trouverez à placer par là vos compliments, bien qu'elle soit honnête, entendez-moi bien, tout à fait honnête. Oh ! pas d'espoir de… de maraudage non plus de ce côté. Vous y pourrez trouver mieux, en vous faisant bien voir. Je sais que vous occupez encore dans le journal une place inférieure. Mais ne craignez rien, ils reçoivent tous les rédacteurs avec la même bienveillance. Allez-y croyez-moi. Il dit, en souriant : « Merci, vous êtes un ange… un ange gardien. » Puis ils parlèrent de choses et d'autres.

Il resta longtemps, voulant prouver qu'il avait plaisir à se trouver près d'elle ; et, en la quittant, il demanda encore :

« C'est entendu, nous sommes des amis ?

– C'est entendu. Comme il avait senti l'effet de son compliment, tout à l'heure, il l'appuya, ajoutant :

« Et si vous devenez jamais veuve, je m'inscris. Puis il se sauva bien vite pour ne point lui laisser le loisir de se fâcher.

Une visite à Mme Walter gênait un peu Duroy, car il n'avait point été autorisé à se présenter chez elle, et il ne voulait pas commettre de maladresse. Le patron lui témoignait de la bienveillance, appréciait ses services, l'employait de préférence aux besognes difficiles ; pourquoi ne profiterait-il pas de cette faveur pour pénétrer dans la maison ?

Un jour donc, s'étant levé de bonne heure, il se rendit aux halles au moment des ventes, et il se procura, moyennant une dizaine de francs, une vingtaine d'admirables poires. Les ayant ficelées avec soin dans une bourriche pour faire croire qu'elles venaient de loin, il les porta chez le concierge de la patronne avec sa carte où il avait écrit :

Georges Duroy

Prie humblement Mme Walter d'accepter ces quelques fruits qu'il a reçus ce matin de Normandie.

Il trouva le lendemain dans sa boîte aux lettres, au journal, une enveloppe contenant, en retour, la carte de Mme Walter « qui remerciait bien vivement M. Georges Duroy, et restait chez elle tous les samedis ».

Le samedi suivant, il se présenta.

M. Walter habitait, boulevard Malesherbes, une maison double lui appartenant, et dont une partie était louée, procédé économique de gens pratiques. Un seul concierge, gîté entre les deux portes cochères, tirait le cordon pour le propriétaire et pour le locataire, et donnait à chacune des entrées un grand air d'hôtel riche et comme il faut par sa belle tenue de suisse d'église, ses gros mollets emmaillotés en des bas blancs, et son vêtement de représentation à boutons d'or et à revers écarlates.

Les salons de réception étaient au premier étage, précédés d'une antichambre tendue de tapisseries et enfermée par des portières. Deux valets sommeillaient sur des sièges. Un d'eux prit le pardessus de Duroy, et l'autre s'empara de sa canne, ouvrit une porte, devança de quelques pas le visiteur, puis, s'effaçant, le laissa passer en criant son nom dans un appartement vide.

Le jeune homme, embarrassé, regardait de tous les côtés, quand il aperçut dans une glace des gens assis et qui semblaient fort loin. Il se trompa d'abord de direction, le miroir ayant égaré son œil, puis il traversa encore deux salons vides pour arriver dans une sorte de petit boudoir tendu de soie bleue à boutons d'or où quatre dames causaient à mi-voix autour d'une table ronde qui portait des tasses de thé.

Malgré l'assurance qu'il avait gagnée dans son existence parisienne et surtout dans son métier de reporter qui le mettait incessamment en contact avec des personnages marquants, Duroy se sentait un peu intimidé par la mise en scène de l'entrée et par la traversée des salons déserts.

Il balbutia : « Madame, je me suis permis… » en cherchant de l'œil la maîtresse de la maison.

Elle lui tendit la main, qu'il prit en s'inclinant, et lui ayant dit : « Vous êtes fort aimable, monsieur, de venir me voir », elle lui montra un siège où, voulant s'asseoir, il se laissa tomber, l'ayant cru beaucoup plus haut.

On s'était tu. Une des femmes se remit à parler. Il s'agissait du froid qui devenait violent, pas assez cependant pour arrêter l'épidémie de fièvre typhoïde ni pour permettre de patiner. Et chacune donna son avis sur cette entrée en scène de la gelée à Paris ; puis elles exprimèrent leurs préférences dans les saisons, avec toutes les raisons banales qui traînent dans les esprits comme la poussière dans les appartements.

Un bruit léger de porte fit retourner la tête de Duroy, et il aperçut, à travers deux glaces sans tain, une grosse dame qui s'en venait. Dès qu'elle apparut dans le boudoir, une des visiteuses se leva, serra les mains, puis partit ; et le jeune homme suivit du regard, par les autres salons, son dos noir où brillaient des perles de jais.

Quand l'agitation de ce changement de personnes se fut calmée, on parla spontanément, sans transition, de la question du Maroc et de la guerre en Orient, et aussi des embarras de l'Angleterre à l'extrémité de l'Afrique.

Ces dames discutaient ces choses de mémoire, comme si elles eussent récité une comédie mondaine et convenable, répétée bien souvent.

Une nouvelle entrée eut lieu, celle d'une petite blonde frisée, qui détermina la sortie d'une grande personne sèche, entre deux âges.

Et on parla des chances qu'avait M. Linet pour entrer à l'Académie. La nouvelle venue pensait fermement qu'il serait battu par M. Cabanon-Lebas, l'auteur de la belle adaptation en vers français de Don Quichotte pour le théâtre.

« Vous savez que ce sera joué à l'Odéon l'hiver prochain !

– Ah ! vraiment. J'irai certainement voir cette tentative très littéraire. Mme Walter répondait gracieusement, avec calme et indifférence, sans hésiter jamais sur ce qu'elle devait dire, son opinion étant toujours prête d'avance.

Mais elle s'aperçut que la nuit venait et elle sonna pour les lampes, tout en écoutant la causerie qui coulait comme un ruisseau de guimauve, et en pensant qu'elle avait oublié de passer chez le graveur pour les cartes d'invitation du prochain dîner.

Elle était un peu trop grasse, belle encore, à l'âge dangereux où la débâcle est proche. Elle se maintenait à force de soins, de précautions, d'hygiène et de pâtes pour la peau. Elle semblait sage en tout, modérée et raisonnable, une de ces femmes dont l'esprit est aligné comme un jardin français. On y circule sans surprise, tout en y trouvant un certain charme. Elle avait de la raison, une raison fine, discrète et sûre, qui lui tenait lieu de fantaisie, de la bonté, du dévouement, et une bienveillance tranquille, large pour tout le monde et pour tout.

Elle remarqua que Duroy n'avait rien dit, qu'on ne lui avait point parlé, et qu'il semblait un peu contraint ; et comme ces dames n'étaient point sorties de l'Académie, ce sujet préféré les retenant toujours longtemps, elle demanda :

« Et vous qui devez être renseigné mieux que personne, monsieur Duroy, pour qui sont vos préférences ? Il répondit sans hésiter :

« Dans cette question, madame, je n'envisagerais jamais le mérite, toujours contestable, des candidats, mais leur âge et leur santé. Je ne demanderais point leurs titres, mais leur mal. Je ne rechercherais point s'ils ont fait une traduction rimée de Lope de Vega, mais j'aurais soin de m'informer de l'état de leur foie, de leur cœur, de leurs reins et de leur moelle épinière. Pour moi, une bonne hypertrophie, une bonne albuminurie, et surtout un bon commencement d'ataxie locomotrice vaudraient cent fois mieux que quarante volumes de digressions sur l'idée de patrie dans la poésie barbaresque. Un silence étonné suivit cette opinion.

Mme Walter, souriant, reprit : « Pourquoi donc ? » Il répondit : « Parce que je ne cherche jamais que le plaisir qu'une chose peut causer aux femmes. Or, madame, l'Académie n'a vraiment d'intérêt pour vous que lorsqu'un académicien meurt. Plus il en meurt, plus vous devez être heureuses. Mais pour qu'ils meurent vite, il faut les nommer vieux et malades. Comme on demeurait un peu surpris, il ajouta : « Je suis comme vous d'ailleurs et j'aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d'un académicien. Je me demande tout de suite : « Qui va le remplacer ? » Et je fais ma liste. C'est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d'immortel : « Le jeu de la mort et des quarante vieillards. Ces dames, un peu déconcertées encore, commençaient cependant à sourire, tant était juste sa remarque.

Il conclut, en se levant : « C'est vous qui les nommez, mesdames, et vous ne les nommez que pour les voir mourir. Choisissez-les donc vieux, très vieux, le plus vieux possible, et ne vous occupez jamais du reste. Puis il s'en alla avec beaucoup de grâce.

Dès qu'il fut parti, une des femmes déclara : « Il est drôle, ce garçon. Qui est-ce ? » Mme Walter répondit : « Un de nos rédacteurs, qui ne fait encore que la menue besogne du journal, mais je ne doute pas qu'il arrive vite. Duroy descendait le boulevard Malesherbes gaiement, à grands pas dansants, content de sa sortie et murmurant : « Bon départ. Il se réconcilia avec Rachel, ce soir-là.

La semaine suivante lui apporta deux événements. Il fut nommé chef des Échos et invité à dîner chez Mme Walter. Il vit tout de suite un lien entre les deux nouvelles.

La Vie Française était avant tout un journal d'argent, le patron étant un homme d'argent à qui la presse et la députation avaient servi de leviers. Se faisant de la bonhomie une arme, il avait toujours manœuvré sous un masque souriant de brave homme, mais il n'employait à ses besognes, quelles qu'elles fussent, que des gens qu'il avait tâtés, éprouvés, flairés, qu'il sentait retors, audacieux et souples. Duroy, nommé chef des Échos, lui semblait un garçon précieux.

Cette fonction avait été remplie jusque-là par le secrétaire de la rédaction, M. Boisrenard, un vieux journaliste correct, ponctuel et méticuleux comme un employé. Depuis trente ans il avait été secrétaire de la rédaction de onze journaux différents, sans modifier en rien sa manière de faire ou de voir. Il passait d'une rédaction dans une autre comme on change de restaurant, s'apercevant à peine que la cuisine n'avait pas tout à fait le même goût. Les opinions politiques et religieuses lui demeuraient étrangères. Il était dévoué au journal quel qu'il fût, entendu dans la besogne, et précieux par son expérience. Il travaillait comme un aveugle qui ne voit rien, comme un sourd qui n'entend rien, et comme un muet qui ne parle jamais de rien. Il avait cependant une grande loyauté professionnelle, et ne se fût point prêté à une chose qu'il n'aurait pas jugée honnête, loyale et correcte au point de vue spécial de son métier.

M. Walter, qui l'appréciait cependant, avait souvent désiré un autre homme pour lui confier les Échos, qui sont, disait-il, la moelle du journal. C'est par eux qu'on lance les nouvelles, qu'on fait courir les bruits, qu'on agit sur le public et sur la rente. Entre deux soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l'air de rien, la chose importante, plutôt insinuée que dite. Il faut, par des sous-entendus, laisser deviner ce qu'on veut, démentir de telle sorte que la rumeur s'affirme, ou affirmer de telle manière que personne ne croie au fait annoncé. Il faut que, dans les échos, chacun trouve chaque jour une ligne au moins qui l'intéresse, afin que tout le monde les lise. Il faut penser à tout et à tous, à tous les mondes, à toutes les professions, à Paris et à la Province, à l'Armée et aux Peintres, au Clergé et à l'Université, aux Magistrats et aux Courtisanes.

L'homme qui les dirige et qui commande au bataillon des reporters doit être toujours en éveil, et toujours en garde, méfiant, prévoyant, rusé, alerte et souple, armé de toutes les astuces et doué d'un flair infaillible pour découvrir la nouvelle fausse du premier coup d'œil, pour juger ce qui est bon à dire et bon à celer, pour deviner ce qui portera sur le public ; et il doit savoir le présenter de telle façon que l'effet en soit multiplié.

M. Boisrenard, qui avait pour lui une longue pratique, manquait de maîtrise et de chic ; il manquait surtout de la rouerie native qu'il fallait pour pressentir chaque jour les idées secrètes du patron.

Duroy devait faire l'affaire en perfection, et il complétait admirablement la rédaction de cette feuille « qui naviguait sur les fonds de l'État et sur les bas-fonds de la politique », selon l'expression de Norbert de Varenne.

Les inspirateurs et véritables rédacteurs de La Vie Française étaient une demi-douzaine de députés intéressés dans toutes les spéculations que lançait ou que soutenait le directeur. On les nommait à la Chambre « la bande à Walter », et on les enviait parce qu'ils devaient gagner de l'argent avec lui et par lui.

Forestier, rédacteur politique, n'était que l'homme de paille de ces hommes d'affaires, l'exécuteur des intentions suggérées par eux. Ils lui soufflaient ses articles de fond, qu'il allait toujours écrire chez lui pour être tranquille, disait-il.

Mais, afin de donner au journal une allure littéraire et parisienne, on y avait attaché deux écrivains célèbres en des genres différents, Jacques Rival, chroniqueur d'actualité, et Norbert de Varenne, poète et chroniqueur fantaisiste, ou plutôt conteur, suivant la nouvelle école.

Puis on s'était procuré, à bas prix, des critiques d'art, de peinture, de musique, de théâtre, un rédacteur criminaliste et un rédacteur hippique, parmi la grande tribu mercenaire des écrivains à tout faire. Deux femmes du monde, « Domino rose « et « Patte blanche », envoyaient des variétés mondaines, traitaient les questions de mode, de vie élégante, d'étiquette, de savoir-vivre, et commettaient des indiscrétions sur les grandes dames.

Et La Vie Française « naviguait sur les fonds et bas-fonds », manœuvrée par toutes ces mains différentes.

Duroy était dans toute la joie de sa nomination aux fonctions de chef des Échos quand il reçut un petit carton gravé, où il lut : « M. et Mme Walter prient Monsieur Georges Duroy de leur faire le plaisir de venir dîner chez eux le jeudi 20 janvier. Cette nouvelle faveur, tombant sur l'autre, l'emplit d'une telle joie qu'il baisa l'invitation comme il eût fait d'une lettre d'amour. Puis il alla trouver le caissier pour traiter la grosse question des fonds.

Un chef des Échos a généralement son budget sur lequel il paie ses reporters et les nouvelles, bonnes ou médiocres, apportées par l'un ou l'autre, comme les jardiniers apportent leurs fruits chez un marchand de primeurs.

Douze cents francs par mois, au début, étaient alloués à Duroy, qui se proposait bien d'en garder une forte partie.

Le caissier, sur ses représentations pressantes, avait fini par lui avancer quatre cents francs. Il eut, au premier moment, l'intention formelle de renvoyer à Mme de Marelle les deux cent quatre-vingts francs qu'il lui devait, mais il réfléchit presque aussitôt qu'il ne lui resterait plus entre les mains que cent vingt francs, somme tout à fait insuffisante pour faire marcher, d'une façon convenable, son nouveau service, et il remit cette restitution à des temps plus éloignés.

Pendant deux jours, il s'occupa de son installation, car il héritait d'une table particulière et de casiers à lettres, dans la vaste pièce commune à toute la rédaction. Il occupait un bout de cette pièce, tandis que Boisrenard, dont les cheveux d'un noir d'ébène, malgré son âge, étaient toujours penchés sur une feuille de papier, tenait l'autre bout.

La longue table du centre appartenait aux rédacteurs volants. Généralement elle servait de banc pour s'asseoir, soit les jambes pendantes le long des bords, soit à la turque sur le milieu. Ils étaient quelquefois cinq ou six accroupis sur cette table, et jouant au bilboquet avec persévérance, dans une pose de magots chinois.

Duroy avait fini par prendre goût à ce divertissement, et il commençait à devenir fort, sous la direction et grâce aux conseils de Saint-Potin.

Forestier, de plus en plus souffrant, lui avait confié son beau bilboquet en bois des Îles, le dernier acheté, qu'il trouvait un peu lourd, et Duroy manœuvrait d'un bras vigoureux la grosse boule noire au bout de sa corde, en comptant tout bas : « Un – deux – trois – quatre – cinq – six »

Il arriva justement, pour la première fois, à faire vingt points de suite, le jour même où il devait dîner chez Mme Walter. » Bonne journée, pensa-t-il, j'ai tous les succès. » Car l'adresse au bilboquet conférait vraiment une sorte de supériorité dans les bureaux de La Vie Française .

Il quitta la rédaction de bonne heure pour avoir le temps de s'habiller, et il remontait la rue de Londres quand il vit trotter devant lui une petite femme qui avait la tournure de Mme de Marelle. Il sentit une chaleur lui monter au visage, et son cœur se mit à battre. Il traversa la rue pour la regarder de profil. Elle s'arrêta pour traverser aussi. Il s'était trompé ; il respira.

Il s'était souvent demandé comment il devrait se comporter en la rencontrant face à face. La saluerait-il, ou bien aurait-il l'air de ne la point voir ?

« Je ne la verrais pas », pensa-t-il.

Il faisait froid, les ruisseaux gelés gardaient des empâtements de glace. Les trottoirs étaient secs et gris sous la lueur du gaz.

Quand le jeune homme entra chez lui, il songea : « Il faut que je change de logement. Cela ne me suffit plus maintenant. » Il se sentait nerveux et gai, capable de courir sur les toits, et il répétait tout haut, en allant de son lit à la fenêtre : « C'est la fortune qui arrive ! c'est la fortune ! Il faudra que j'écrive à papa. De temps en temps, il écrivait à son père ; et la lettre apportait toujours une joie vive dans le petit cabaret normand, au bord de la route, au haut de la grande côte d'où l'on domine Rouen et la large vallée de la Seine.

De temps en temps aussi il recevait une enveloppe bleue dont l'adresse était tracée d'une grosse écriture tremblée, et il lisait infailliblement les mêmes lignes au début de la lettre paternelle :

« Mon cher fils, la présente est pour te dire que nous allons bien, ta mère et moi. Pas grand-chose de nouveau dans le pays. Je t'apprendrai cependant… »

Et il gardait au cœur un intérêt pour les choses du village, pour les nouvelles des voisins et pour l'état des terres et des récoltes.

Il se répétait, en nouant sa cravate blanche devant sa petite glace : « Il faut que j'écrive à papa dès demain. S'il me voyait, ce soir, dans la maison où je vais, serait-il épaté, le vieux ! Sacristi, je ferai tout à l'heure un dîner comme il n'en a jamais fait. » Et il revit brusquement la cuisine noire de là-bas, derrière la salle de café vide, les casseroles jetant des lueurs jaunes le long des murs, le chat dans la cheminée, le nez au feu, avec sa pose de Chimère accroupie, la table de bois graissée par le temps et par les liquides répandus, une soupière fumant au milieu, et une chandelle allumée entre deux assiettes. Et il les aperçut aussi l'homme et la femme, le père et la mère, les deux paysans aux gestes lents, mangeant la soupe à petites gorgées. Il connaissait les moindres plis de leurs vieilles figures, les moindres mouvements de leurs bras et de leur tête. Il savait même ce qu'ils se disaient, chaque soir, en soupant face à face.

Il pensa encore : « Il faudra pourtant que je finisse par aller les voir. » Mais comme sa toilette était terminée, il souffla sa lumière et descendit.

Le long du boulevard extérieur, des filles l'accostèrent. Il leur répondait en dégageant son bras : « Fichez-moi donc la paix ! » avec un dédain violent, comme si elles l'eussent insulté, méconnu… Pour qui le prenaient-elles ? Ces rouleuses-là ne savaient donc point distinguer les hommes ? La sensation de son habit noir endossé pour aller dîner chez des gens très riches, très connus, très importants lui donnait le sentiment d'une personnalité nouvelle, la conscience d'être devenu un autre homme, un homme du monde, du vrai monde.

Il entra avec assurance dans l'antichambre éclairée par les hautes torchères de bronze et il remit, d'un geste naturel, sa canne et son pardessus aux deux valets qui s'étaient approchés de lui.

Tous les salons étaient illuminés. Mme Walter recevait dans le second, le plus grand. Elle l'accueillit avec un sourire charmant, et il serra la main des deux hommes arrivés avant lui, M. Firmin et M. Laroche-Mathieu, députés, rédacteurs anonymes de La Vie Française . M. Laroche-Mathieu avait dans le journal une autorité spéciale provenant d'une grande influence sur la Chambre. Personne ne doutait qu'il ne fût ministre un jour.

Puis arrivèrent les Forestier, la femme en rose, et ravissante. Duroy fut stupéfait de la voir intime avec les deux représentants du pays. Elle causa tout bas, au coin de la cheminée, pendant plus de cinq minutes, avec M. Laroche-Mathieu. Charles paraissait exténué. Il avait beaucoup maigri depuis un mois, et il toussait sans cesse en répétant : « Je devrais me décider à aller finir l'hiver dans le Midi. Norbert de Varenne et Jacques Rival apparurent ensemble. Puis une porte s'étant ouverte au fond de l'appartement, M. Walter entra avec deux grandes jeunes filles de seize à dix-huit ans, une laide et l'autre jolie.

Duroy savait pourtant que le patron était père de famille, mais il fut saisi d'étonnement. Il n'avait jamais songé aux filles de son directeur que comme on songe aux pays lointains qu'on ne verra jamais. Et puis il se les était figuré toutes petites et il voyait des femmes. Il en ressentait le léger trouble moral que produit un changement à vue.

Elles lui tendirent la main, l'une après l'autre, après la présentation, et elles allèrent s'asseoir à une petite table qui leur était sans doute réservée, où elles se mirent à remuer un tas de bobines de soie dans une bannette.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.1 Bel Ami - Part 1 Chapter 6.1 ベルアミ - 第1部 第6.1章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 6.1

– VI – 6.1

Georges Duroy eut le réveil triste, le lendemain. Georges Duroy had a sad awakening the next day.

Il s’habilla lentement, puis s’assit devant sa fenêtre et se mit à réfléchir. Il se sentait, dans tout le corps, une espèce de courbature, comme s’il avait reçu, la veille, une volée de coups de bâton. He felt, all over his body, a sort of stiffness, as if he had received a volley of sticks the day before.

Enfin, la nécessité de trouver de l’argent l’aiguillonna et il se rendit chez Forestier. Finally, the need to find money spurred him on and he went to Forestier.

Son ami le reçut, les pieds au feu, dans son cabinet. His friend received him, feet in the fire, in his closet.

« Qu’est-ce qui t’a fait lever si tôt ? "What made you get up so early?

– Une affaire très grave. J’ai une dette d’honneur. I have a debt of honor.

– De jeu ? - Of play? Il hésita, puis avoua : He hesitated, then confessed:

« De jeu.

– Grosse ? - Big ?

– Cinq cents francs ! - Five hundred francs! Il n’en devait que deux cent quatre-vingt. He owed only two hundred and eighty.

Forestier, sceptique, demanda : Forestier, skeptical, asked:

« À qui dois-tu ça ? "Whom do you owe? Duroy ne put pas répondre tout de suite. Duroy could not answer right away.

« … Mais à… à… à un monsieur de Carleville. "... But ... to ... to a gentleman from Carleville.

– Ah ! Et où demeure-t-il ? And where does he live?

– Rue… rue… »

Forestier se mit à rire : « Rue du Cherche-Midi à quatorze heures, n’est-ce pas ? Forestier laughed: "Rue du Cherche-Midi at four o'clock, is it not? Je connais ce monsieur-là, mon cher. I know that gentleman, my dear fellow. Si tu veux vingt francs, j’ai encore ça à ta disposition, mais pas davantage. If you want twenty francs, I still have that at your disposal, but no more. Duroy accepta la pièce d’or. Duroy accepted the gold coin.

Puis il alla, de porte en porte, chez toutes les personnes qu’il connaissait, et il finit par réunir, vers cinq heures, quatre-vingts francs. Then he went from door to door with all the people he knew, and he finally gathered around five o'clock, eighty francs.

Comme il lui en fallait trouver encore deux cents, il prit son parti résolument, et, gardant ce qu’il avait recueilli, il murmura : « Zut, je ne vais pas me faire de bile pour cette garce-là. As he had to find another two hundred, he made up his mind resolutely, and, guarding what he had collected, he murmured: "Damn, I'm not going to make any bile for that bitch. Je la paierai quand je pourrai. I will pay when I can. Pendant quinze jours il vécut d’une vie économe, réglée et chaste, l’esprit plein de résolutions énergiques. For a fortnight he lived an economical, regulated and chaste life, his mind full of energetic resolutions. Puis il fut pris d’un grand désir d’amour. Then he was seized with a great desire for love. Il lui semblait que plusieurs années s’étaient écoulées depuis qu’il n’avait tenu une femme dans ses bras, et, comme le matelot qui s’affole en revoyant la terre, toutes les. It seemed to him that several years had passed since he had held a woman in his arms, and, like the sailor who panics on seeing the land, all of them. jupes rencontrées le faisaient frissonner. skirts met made him shudder.

Alors il retourna, un soir, aux Folies-Bergère, avec l’espoir d’y trouver Rachel. Then he returned one evening to the Folies-Bergere, with the hope of finding Rachel there. Il l’aperçut, en effet, dès l’entrée, car elle ne quittait guère cet établissement. He saw her, indeed, as soon as she entered, for she hardly left this establishment.

Il alla vers elle souriant, la main tendue. He went to her smiling, his hand outstretched. Mais elle le toisa de la tête aux pieds : But she looked at him from head to foot:

« Qu’est-ce que vous me voulez ? Il essaya de rire :

« Allons, ne fais pas ta poire. "Come on, do not make your pear. Elle lui tourna les talons en déclarant : She turned on her heel and said:

« Je ne fréquente pas les dos verts. "I do not go to green backs. Elle avait cherché la plus grossière injure. She had sought the grossest insult. Il sentit le sang lui empourprer la face, et il rentra seul. He felt the blood flush his face, and he returned alone.

Forestier, malade, affaibli, toussant toujours, lui faisait, au journal, une existence pénible, semblait se creuser l’esprit pour lui trouver des corvées ennuyeuses. Forestier, sick, weakened, still coughing, made him a painful existence in the paper, seemed to dig his mind to find boring chores. Un jour même, dans un moment d’irritation nerveuse, et après une longue quinte d’étouffement, comme Duroy ne lui apportait point un renseignement demandé, il grogna : « Cristi, tu es plus bête que je n’aurais cru. One day, in a moment of nervous irritation, and after a long quit of suffocation, as Duroy did not bring him any information asked, he growled: "Cristi, you are more stupid than I thought. L’autre faillit le gifler, mais il se contint et s’en alla en murmurant : « Toi, je te rattraperai. The other nearly slapped him, but he restrained himself and went away murmuring: "You, I'll catch you. » Une pensée rapide lui traversa l’esprit, et il ajouta : « Je vas te faire cocu, mon vieux. A quick thought flashed through his mind, and he added, "I'll make you cuckold, old man. » Et il s’en alla en se frottant les mains, réjoui par ce projet. And he went away rubbing his hands, rejoiced by this project.

Il voulut, dès le jour suivant, en commencer l’exécution. He wanted the next day to begin the execution. Il fit à Mme Forestier une visite en éclaireur. He made Madame Forestier a scouting visit.

Il la trouva qui lisait un livre, étendue tout au long sur un canapé. He found her reading a book lying on a couch all the way.

Elle lui tendit la main, sans bouger, tournant seulement la tête, et elle dit : « Bonjour, Bel-Ami. She held out her hand without moving, turning her head only, and she said, "Hello, Bel-Ami. » Il eut la sensation d’un soufflet reçu : « Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? He had the sensation of a bellows received: "Why do you call me that? Elle répondit en souriant : She answered with a smile:

« J’ai vu Mme de Marelle l’autre semaine, et j’ai su comment on vous avait baptisé chez elle. "I saw Madame de Marelle the other week, and I knew how you were baptized at her house. Il se rassura devant l’air aimable de la jeune femme. He reassured himself in front of the kindly air of the young woman. Comment aurait-il pu craindre, d’ailleurs ? How could he have feared, anyway?

Elle reprit : She went on:

« Vous la gâtez ! "You spoil her! Quant à moi, on me vient voir quand on y pense, les trente-six du mois, ou peu s’en faut ? As for me, I come to see when you think about it, the thirty-six of the month, or almost? Il s’était assis près d’elle et il la regardait avec une curiosité nouvelle, une curiosité d’amateur qui bibelote. He had sat down next to her and he was looking at her with a new curiosity, an amateurish curiosity that is chirping. Elle était charmante, blonde d’un blond tendre et chaud, faite pour les caresses ; et il pensa : « Elle est mieux que l’autre, certainement. She was charming, a blond blonde, tender and warm, made for caresses; and he thought, "She is better than the other, certainly. » Il ne doutait point du succès, il n’aurait qu’à allonger la main, lui semblait-il, et à la prendre, comme on cueille un fruit. He had no doubt of success, he would only have to stretch out his hand, it seemed to him, and take it, as one picks a fruit.

Il dit résolument :

« Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux. "I did not come to see you because it was better. Elle demanda, sans comprendre : She asked, without understanding:

« Comment ? "How? Pourquoi ? Why ?

– Pourquoi ? Vous ne devinez pas. You do not guess.

– Non, pas du tout. - Not at all.

– Parce que je suis amoureux de vous… oh ! - Because I'm in love with you ... oh! un peu, rien qu’un peu… et que je ne veux pas le devenir tout à fait… » a little, nothing but a little ... and that I do not want to become quite ... "

Elle ne parut ni étonnée, ni choquée, ni flattée ; elle continuait à sourire du même sourire indifférent, et elle répondit avec tranquillité : She appeared neither astonished nor shocked nor flattered; she continued to smile with the same indifferent smile, and she replied calmly:

« Oh ! vous pouvez venir tout de même. you can come anyway. On n’est jamais amoureux de moi longtemps. You are never in love with me for a long time. Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda : He was surprised by the tone even more than words, and he asked:

« Pourquoi ? " Why ?

– Parce que c’est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. - Because it's useless and I make it understand right away. Si vous m’aviez raconté plus tôt votre crainte, je vous aurais rassuré et engagé au contraire à venir le plus possible. If you had told me earlier of your fear, I would have reassured you and engaged on the contrary to come as much as possible. Il s’écria, d’un ton pathétique : He exclaimed in a pathetic tone:

« Avec ça qu’on peut commander aux sentiments ! "With that we can control feelings! Elle se tourna vers lui : She turned to him:

« Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayé du nombre des vivants. "My dear friend, for me a man in love is stricken from the number of the living. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. He becomes silly, not just stupid, but dangerous. Je cesse, avec les gens qui m’aiment d’amour, ou qui le prétendent, toute relation intime, parce qu’ils m’ennuient d’abord, et puis parce qu’ils me sont suspects comme un chien enragé qui peut avoir une crise. I stop, with people who love me with love, or who claim it, any intimate relationship, because they bother me first, and then because they are suspicious to me like a rabid dog who may have a crisis. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu’à ce que leur maladie soit passée. I put them in moral quarantine until their illness is over. Ne l’oubliez point. Do not forget it. Je sais bien que chez vous l’amour n’est autre chose qu’une espèce d’appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de… de… de communion des âmes qui n’entre pas dans la religion des hommes. I know that with you love is nothing more than a species of appetite, whereas at home it would be, on the contrary, a kind of ... of ... communion of souls which does not enter into religion men. Vous en comprenez la lettre, et moi l’esprit. You understand the letter, and I understand the letter. Mais… regardez-moi bien en face… » But ... look at me face to face ... "

Elle ne souriait plus. Elle avait un visage calme et froid et elle dit en appuyant sur chaque mot :

« Je ne serai jamais, jamais votre maîtresse, entendez-vous. Il est donc absolument inutile, il serait même mauvais pour vous de persister dans ce désir… Et maintenant que… l’opération est faite… voulez-vous que nous soyons amis, bons amis, mais là, de vrais amis, sans arrière-pensée ? Il avait compris que toute tentative resterait stérile devant cette sentence sans appel. He understood that any attempt would remain sterile in the face of this final sentence. Il en prit son parti tout de suite, franchement, et, ravi de pouvoir se faire cette alliée dans l’existence, il lui tendit les deux mains : He made up his mind immediately, frankly, and, delighted to be able to make this ally in existence, he held out both hands:

« Je suis à vous, madame, comme il vous plaira. "I am yours, madame, as you please. Elle sentit la sincérité de la pensée dans la voix, et elle donna ses mains. She felt the sincerity of the thought in her voice, and she gave her hands.

Il les baisa, l’une après l’autre, puis il dit simplement en relevant la tête : « Cristi, si j’avais trouvé une femme comme vous, avec quel bonheur je l’aurais épousée ! He kissed them, one after the other, then he said, raising his head: "Cristi, if I had found a woman like you, how happily I would have married her! Elle fut touchée, cette fois, caressée par cette phrase comme les femmes le sont par les compliments qui trouvent leur cœur, et elle lui jeta un de ces regards rapides et reconnaissants qui nous font leurs esclaves. She was touched, this time, caressed by this phrase as women are by the compliments that find their heart, and she threw him one of those quick and grateful looks that make us their slaves.

Puis, comme il ne trouvait pas de transition pour reprendre la conversation, elle prononça, d’une voix douce, en posant un doigt sur son bras : Then, as he did not find a transition to resume the conversation, she said in a soft voice, placing a finger on his arm:

« Et je vais commencer tout de suite mon métier d’amie. "And I'm going to start my job as a friend right now. Vous êtes maladroit, mon cher… » You're awkward, my dear ... "

Elle hésita, et demanda : She hesitated, and asked:

« Puis-je parler librement ? "Can I speak freely?

– Oui. - Yes.

– Tout à fait ? - Absolutely ?

– Tout à fait. - Absolutely.

– Eh bien, allez donc voir Mme Walter, qui vous apprécie beaucoup, et plaisez-lui. "Well, go see Mrs. Walter, who appreciates you very much, and please her. Vous trouverez à placer par là vos compliments, bien qu’elle soit honnête, entendez-moi bien, tout à fait honnête. You will find to place your compliments, although she is honest, hear me well, quite honest. Oh ! pas d’espoir de… de maraudage non plus de ce côté. no hope of ... stalking either on this side. Vous y pourrez trouver mieux, en vous faisant bien voir. You will be able to find better, making you see well. Je sais que vous occupez encore dans le journal une place inférieure. I know that you still occupy a lower place in the newspaper. Mais ne craignez rien, ils reçoivent tous les rédacteurs avec la même bienveillance. But do not worry, they receive all the editors with the same benevolence. Allez-y croyez-moi. Go ahead believe me. Il dit, en souriant : « Merci, vous êtes un ange… un ange gardien. He says, smiling, "Thank you, you are an angel ... a guardian angel. » Puis ils parlèrent de choses et d’autres. Then they talked about things and others.

Il resta longtemps, voulant prouver qu’il avait plaisir à se trouver près d’elle ; et, en la quittant, il demanda encore : He remained a long time, wanting to prove that he was pleased to be near her; and when he left, he asked again:

« C’est entendu, nous sommes des amis ? "Of course, we are friends?

– C’est entendu. - It's heard. Comme il avait senti l’effet de son compliment, tout à l’heure, il l’appuya, ajoutant : As he had felt the effect of his compliment, just now, he supported it, adding:

« Et si vous devenez jamais veuve, je m’inscris. "And if you ever become a widow, I sign up. Puis il se sauva bien vite pour ne point lui laisser le loisir de se fâcher. Then he saved himself very quickly so as not to allow him time to be angry.

Une visite à Mme Walter gênait un peu Duroy, car il n’avait point été autorisé à se présenter chez elle, et il ne voulait pas commettre de maladresse. A visit to Mrs. Walter embarrassed Duroy a little, for he had not been allowed to come to her house, and he did not want to be clumsy. Le patron lui témoignait de la bienveillance, appréciait ses services, l’employait de préférence aux besognes difficiles ; pourquoi ne profiterait-il pas de cette faveur pour pénétrer dans la maison ? The boss showed him kindness, appreciated his services, and employed him in preference to difficult tasks; why should not he profit by this favor to enter the house?

Un jour donc, s’étant levé de bonne heure, il se rendit aux halles au moment des ventes, et il se procura, moyennant une dizaine de francs, une vingtaine d’admirables poires. One day, then, having got up early, he went to the market at the time of the sales, and he procured himself, for a dozen francs, a score of admirable pears. Les ayant ficelées avec soin dans une bourriche pour faire croire qu’elles venaient de loin, il les porta chez le concierge de la patronne avec sa carte où il avait écrit : Having carefully tied them in a basket to make them believe that they came from afar, he took them to the patroness's concierge with his card where he had written:

Georges Duroy

Prie humblement Mme Walter d’accepter ces quelques fruits qu’il a reçus ce matin de Normandie. Pray humbly for Mrs. Walter to accept these few fruits that he received this morning from Normandy.

Il trouva le lendemain dans sa boîte aux lettres, au journal, une enveloppe contenant, en retour, la carte de Mme Walter « qui remerciait bien vivement M. Georges Duroy, et restait chez elle tous les samedis ». He found the next day in his letter box, in the newspaper, an envelope containing, in return, the card of Mrs. Walter, "who thanked M. Georges Duroy warmly, and remained at her house every Saturday."

Le samedi suivant, il se présenta. The following Saturday, he introduced himself.

M. Walter habitait, boulevard Malesherbes, une maison double lui appartenant, et dont une partie était louée, procédé économique de gens pratiques. Mr. Walter lived on the boulevard Malesherbes, a double house belonging to him, a part of which was rented, an economic process of practical people. Un seul concierge, gîté entre les deux portes cochères, tirait le cordon pour le propriétaire et pour le locataire, et donnait à chacune des entrées un grand air d’hôtel riche et comme il faut par sa belle tenue de suisse d’église, ses gros mollets emmaillotés en des bas blancs, et son vêtement de représentation à boutons d’or et à revers écarlates. A single concierge, tucked between the two carriage gates, drew the cord for the proprietor and the tenant, and gave each of the entrances an air of a rich and well-mannered hotel by his handsome Swiss church attire, his fat calves swaddled in white stockings, and his performance garment with gold buttons and scarlet cuffs.

Les salons de réception étaient au premier étage, précédés d’une antichambre tendue de tapisseries et enfermée par des portières. Deux valets sommeillaient sur des sièges. Two valets were sleeping on seats. Un d’eux prit le pardessus de Duroy, et l’autre s’empara de sa canne, ouvrit une porte, devança de quelques pas le visiteur, puis, s’effaçant, le laissa passer en criant son nom dans un appartement vide. One of them took Duroy's overcoat, and the other took hold of his cane, opened a door, took the visitor a few steps, then, fading away, let him pass by shouting his name in an empty apartment.

Le jeune homme, embarrassé, regardait de tous les côtés, quand il aperçut dans une glace des gens assis et qui semblaient fort loin. The young man, embarrassed, looked on all sides, when he saw in the mirror some sitting people who seemed far away. Il se trompa d’abord de direction, le miroir ayant égaré son œil, puis il traversa encore deux salons vides pour arriver dans une sorte de petit boudoir tendu de soie bleue à boutons d’or où quatre dames causaient à mi-voix autour d’une table ronde qui portait des tasses de thé. At first he took the wrong direction, the mirror having misled his eye, then he crossed two more empty rooms to arrive in a kind of small boudoir stretched with blue silk and gold buttons where four ladies were chatting half-heartedly around a round table with cups of tea.

Malgré l’assurance qu’il avait gagnée dans son existence parisienne et surtout dans son métier de reporter qui le mettait incessamment en contact avec des personnages marquants, Duroy se sentait un peu intimidé par la mise en scène de l’entrée et par la traversée des salons déserts. Despite the assurance he had gained in his Parisian life and especially in his job as a reporter who constantly put him in contact with key characters, Duroy felt a little intimidated by the staging of the entrance and the crossing. deserted lounges.

Il balbutia : « Madame, je me suis permis… » en cherchant de l’œil la maîtresse de la maison. He stammered: "Madame, I allowed myself ..." looking for the mistress of the house.

Elle lui tendit la main, qu’il prit en s’inclinant, et lui ayant dit : « Vous êtes fort aimable, monsieur, de venir me voir », elle lui montra un siège où, voulant s’asseoir, il se laissa tomber, l’ayant cru beaucoup plus haut. She held out her hand, which he took with a bow, and having said to her: "You are very kind, monsieur, to come and see me," she showed him a chair where, wanting to sit down, he dropped , having believed it much higher.

On s’était tu. We had killed ourselves. Une des femmes se remit à parler. One of the women started talking again. Il s’agissait du froid qui devenait violent, pas assez cependant pour arrêter l’épidémie de fièvre typhoïde ni pour permettre de patiner. It was the cold that became violent, not enough, however, to stop the epidemic of typhoid fever or to allow skating. Et chacune donna son avis sur cette entrée en scène de la gelée à Paris ; puis elles exprimèrent leurs préférences dans les saisons, avec toutes les raisons banales qui traînent dans les esprits comme la poussière dans les appartements. And each gave his opinion on this entry of the frost in Paris; then they expressed their preferences in the seasons, with all the banal reasons that hang in people's minds like the dust in the apartments.

Un bruit léger de porte fit retourner la tête de Duroy, et il aperçut, à travers deux glaces sans tain, une grosse dame qui s’en venait. A slight sound of the door made Duroy's head turn, and he saw, through two one-way glasses, a fat lady coming up. Dès qu’elle apparut dans le boudoir, une des visiteuses se leva, serra les mains, puis partit ; et le jeune homme suivit du regard, par les autres salons, son dos noir où brillaient des perles de jais. As soon as she appeared in the boudoir, one of the visitors got up, shook hands, then left; and the young man followed, with the other salons, his black back, where jet pearls shone.

Quand l’agitation de ce changement de personnes se fut calmée, on parla spontanément, sans transition, de la question du Maroc et de la guerre en Orient, et aussi des embarras de l’Angleterre à l’extrémité de l’Afrique. When the agitation of this change of persons had abated, there was spontaneous talk, without transition, of the question of Morocco and the war in the East, and also of the embarrassments of England at the extremity of Africa.

Ces dames discutaient ces choses de mémoire, comme si elles eussent récité une comédie mondaine et convenable, répétée bien souvent. These ladies discussed these things of memory, as if they had recited a worldly and suitable comedy, often repeated.

Une nouvelle entrée eut lieu, celle d’une petite blonde frisée, qui détermina la sortie d’une grande personne sèche, entre deux âges. A new entrance took place, that of a small curly blonde, who determined the exit of a tall dry person, between two ages.

Et on parla des chances qu’avait M. Linet pour entrer à l’Académie. And there was talk of Mr. Linet's chances of entering the Academy. La nouvelle venue pensait fermement qu’il serait battu par M. Cabanon-Lebas, l’auteur de la belle adaptation en vers français de Don Quichotte pour le théâtre. The newcomer firmly believed that he would be beaten by Mr. Cabanon-Lebas, the author of the beautiful adaptation in French verse of Don Quichotte for the theater.

« Vous savez que ce sera joué à l’Odéon l’hiver prochain ! "You know it will be played at the Odeon next winter!

– Ah ! vraiment. J’irai certainement voir cette tentative très littéraire. Mme Walter répondait gracieusement, avec calme et indifférence, sans hésiter jamais sur ce qu’elle devait dire, son opinion étant toujours prête d’avance. Mrs. Walter answered graciously, calmly and indifferently, never hesitating about what she should say, her opinion always being ready in advance.

Mais elle s’aperçut que la nuit venait et elle sonna pour les lampes, tout en écoutant la causerie qui coulait comme un ruisseau de guimauve, et en pensant qu’elle avait oublié de passer chez le graveur pour les cartes d’invitation du prochain dîner. But she realized that night was coming, and she rang the lamps, listening to the chatter that ran like a marshmallow brook, and thinking that she had forgotten to go to the engraver for the invitation cards of the next having dinner.

Elle était un peu trop grasse, belle encore, à l’âge dangereux où la débâcle est proche. She was a little too fat, still beautiful, at the dangerous age when the debacle is near. Elle se maintenait à force de soins, de précautions, d’hygiène et de pâtes pour la peau. It was maintained by care, precautions, hygiene and pasta for the skin. Elle semblait sage en tout, modérée et raisonnable, une de ces femmes dont l’esprit est aligné comme un jardin français. She seemed wise in everything, moderate and reasonable, one of those women whose minds are aligned like a French garden. On y circule sans surprise, tout en y trouvant un certain charme. It circulates without surprise, while finding a certain charm. Elle avait de la raison, une raison fine, discrète et sûre, qui lui tenait lieu de fantaisie, de la bonté, du dévouement, et une bienveillance tranquille, large pour tout le monde et pour tout. She had reason, a fine, discreet and sure reason, which held her as a place of fantasy, of kindness, of devotion, and a tranquil benevolence, broad for all and for all.

Elle remarqua que Duroy n’avait rien dit, qu’on ne lui avait point parlé, et qu’il semblait un peu contraint ; et comme ces dames n’étaient point sorties de l’Académie, ce sujet préféré les retenant toujours longtemps, elle demanda : She noticed that Duroy had said nothing, that he had not been spoken to, and that he seemed a little constrained; and as these ladies had not left the Academy, this favorite subject still holding them for a long time, she asked:

« Et vous qui devez être renseigné mieux que personne, monsieur Duroy, pour qui sont vos préférences ? "And you who need to be better informed than anyone, Mr. Duroy, for whom are your preferences? Il répondit sans hésiter : He answered without hesitation:

« Dans cette question, madame, je n’envisagerais jamais le mérite, toujours contestable, des candidats, mais leur âge et leur santé. "In this question, madam, I would never consider the merit, always questionable, of the candidates, but their age and their health. Je ne demanderais point leurs titres, mais leur mal. I would not ask for their titles, but their harm. Je ne rechercherais point s’ils ont fait une traduction rimée de Lope de Vega, mais j’aurais soin de m’informer de l’état de leur foie, de leur cœur, de leurs reins et de leur moelle épinière. I would not look for them if they made a rhymed translation of Lope de Vega, but I would take care to inform myself of the state of their liver, their heart, their kidneys and their spinal cord. Pour moi, une bonne hypertrophie, une bonne albuminurie, et surtout un bon commencement d’ataxie locomotrice vaudraient cent fois mieux que quarante volumes de digressions sur l’idée de patrie dans la poésie barbaresque. For me, a good hypertrophy, a good albuminuria, and especially a good beginning of locomotor ataxia would be worth a hundred times better than forty volumes of digressions on the idea of fatherland in Barbary poetry. Un silence étonné suivit cette opinion. An astonished silence followed this opinion.

Mme Walter, souriant, reprit : « Pourquoi donc ? Mrs. Walter, smiling, went on: "Why? » Il répondit : « Parce que je ne cherche jamais que le plaisir qu’une chose peut causer aux femmes. He replied, "Because I'm never looking for the pleasure that one thing can cause to women. Or, madame, l’Académie n’a vraiment d’intérêt pour vous que lorsqu’un académicien meurt. Now, Madam, the Academy really only has an interest for you when an academician dies. Plus il en meurt, plus vous devez être heureuses. The more he dies, the more you must be happy. Mais pour qu’ils meurent vite, il faut les nommer vieux et malades. But for them to die quickly, they must be called old and sick. Comme on demeurait un peu surpris, il ajouta : « Je suis comme vous d’ailleurs et j’aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d’un académicien. As one remained a little surprised, he added: "I am like you besides and I like very much to read in the echoes of Paris the death of an academician. Je me demande tout de suite : « Qui va le remplacer ? I immediately ask myself, "Who will replace him? » Et je fais ma liste. And I make my list. C’est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d’immortel : « Le jeu de la mort et des quarante vieillards. It's a game, a very nice little game that is played in every Parisian salon with every death of immortal: "The game of death and forty old men. Ces dames, un peu déconcertées encore, commençaient cependant à sourire, tant était juste sa remarque. These ladies, still a little disconcerted, were beginning to smile, so much was her remark.

Il conclut, en se levant : « C’est vous qui les nommez, mesdames, et vous ne les nommez que pour les voir mourir. He concludes, as he gets up: "It is you who name them, ladies, and you name them only to see them die. Choisissez-les donc vieux, très vieux, le plus vieux possible, et ne vous occupez jamais du reste. Choose them old, very old, the oldest possible, and never worry about the rest. Puis il s’en alla avec beaucoup de grâce. Then he went away with much grace.

Dès qu’il fut parti, une des femmes déclara : « Il est drôle, ce garçon. As soon as he was gone, one of the women said, "It's funny, this boy. Qui est-ce ? Who is it ? » Mme Walter répondit : « Un de nos rédacteurs, qui ne fait encore que la menue besogne du journal, mais je ne doute pas qu’il arrive vite. Mrs. Walter replied: "One of our editors, who is still doing the paper's little job, but I do not doubt he will come quickly. Duroy descendait le boulevard Malesherbes gaiement, à grands pas dansants, content de sa sortie et murmurant : « Bon départ. Duroy came down the boulevard Malesherbes cheerfully, with great strides, content with his exit, and murmuring: "Good departure. Il se réconcilia avec Rachel, ce soir-là. He reconciled with Rachel that night.

La semaine suivante lui apporta deux événements. The following week brought him two events. Il fut nommé chef des Échos et invité à dîner chez Mme Walter. He was appointed Chief of Echoes and invited to dinner at Mrs. Walter's. Il vit tout de suite un lien entre les deux nouvelles. He immediately saw a link between the two stories.

La Vie Française était avant tout un journal d’argent, le patron étant un homme d’argent à qui la presse et la députation avaient servi de leviers. The French Life was above all a newspaper of money, the patron being a man of money to whom the press and the deputation had served as levers. Se faisant de la bonhomie une arme, il avait toujours manœuvré sous un masque souriant de brave homme, mais il n’employait à ses besognes, quelles qu’elles fussent, que des gens qu’il avait tâtés, éprouvés, flairés, qu’il sentait retors, audacieux et souples. He was a bona fide weapon, he had always maneuvered under a smiling mask of a good man, but he did not employ to his tasks, whatever they were, that people whom he had touched, tried, smelled, that he felt devious, daring and supple. Duroy, nommé chef des Échos, lui semblait un garçon précieux. Duroy, appointed chief of the Echoes, seemed to him a precious boy.

Cette fonction avait été remplie jusque-là par le secrétaire de la rédaction, M. Boisrenard, un vieux journaliste correct, ponctuel et méticuleux comme un employé. This function had been fulfilled hitherto by the secretary of the editorial staff, Mr. Boisrenard, a good, timely and punctilious journalist like an employee. Depuis trente ans il avait été secrétaire de la rédaction de onze journaux différents, sans modifier en rien sa manière de faire ou de voir. For thirty years he had been editor-in-chief of eleven different newspapers, without changing his way of doing or seeing anything. Il passait d’une rédaction dans une autre comme on change de restaurant, s’apercevant à peine que la cuisine n’avait pas tout à fait le même goût. Les opinions politiques et religieuses lui demeuraient étrangères. Political and religious opinions remained foreign to him. Il était dévoué au journal quel qu’il fût, entendu dans la besogne, et précieux par son expérience. He was devoted to the newspaper, whoever he was, heard in the work, and valuable in his experience. Il travaillait comme un aveugle qui ne voit rien, comme un sourd qui n’entend rien, et comme un muet qui ne parle jamais de rien. He worked like a blind man who sees nothing, like a deaf man who hears nothing, and like a dumb man who never talks about anything. Il avait cependant une grande loyauté professionnelle, et ne se fût point prêté à une chose qu’il n’aurait pas jugée honnête, loyale et correcte au point de vue spécial de son métier. He had, however, great professional loyalty, and would not have lent himself to something which he would not have thought honest, loyal and correct from the special point of view of his profession.

M. Walter, qui l’appréciait cependant, avait souvent désiré un autre homme pour lui confier les Échos, qui sont, disait-il, la moelle du journal. M. Walter, who appreciated him, had often desired another man to entrust to him the Echoes, which are, he said, the marrow of the paper. C’est par eux qu’on lance les nouvelles, qu’on fait courir les bruits, qu’on agit sur le public et sur la rente. It is through them that news is launched, rumors are made to run, and the public and rent are affected. Entre deux soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l’air de rien, la chose importante, plutôt insinuée que dite. Between two mundane parties, one must know how to slip, without appearing to be anything, the important thing, rather insinuated than said. Il faut, par des sous-entendus, laisser deviner ce qu’on veut, démentir de telle sorte que la rumeur s’affirme, ou affirmer de telle manière que personne ne croie au fait annoncé. It is necessary, by innuendo, to let guess what one wants, to deny so that the rumor asserts itself, or to affirm in such a way that nobody believes the announced fact. Il faut que, dans les échos, chacun trouve chaque jour une ligne au moins qui l’intéresse, afin que tout le monde les lise. It is necessary that, in the echoes, each one finds each day a line at least which interests it, so that everybody reads them. Il faut penser à tout et à tous, à tous les mondes, à toutes les professions, à Paris et à la Province, à l’Armée et aux Peintres, au Clergé et à l’Université, aux Magistrats et aux Courtisanes. We must think of everything and everyone, all worlds, all professions, Paris and the Province, the Army and Painters, the Clergy and the University, Magistrates and Courtesans.

L’homme qui les dirige et qui commande au bataillon des reporters doit être toujours en éveil, et toujours en garde, méfiant, prévoyant, rusé, alerte et souple, armé de toutes les astuces et doué d’un flair infaillible pour découvrir la nouvelle fausse du premier coup d’œil, pour juger ce qui est bon à dire et bon à celer, pour deviner ce qui portera sur le public ; et il doit savoir le présenter de telle façon que l’effet en soit multiplié. The man who directs them and who commands the reporters battalion must be always alert, and always on guard, suspicious, predicting, cunning, alert and flexible, armed with all the tricks and endowed with an infallible flair to discover the new wrong at first glance, to judge what is good to say and good at concealing, to guess what will be about the public; and he must know how to present it in such a way that the effect is multiplied.

M. Boisrenard, qui avait pour lui une longue pratique, manquait de maîtrise et de chic ; il manquait surtout de la rouerie native qu’il fallait pour pressentir chaque jour les idées secrètes du patron. M. Boisrenard, who had a long practice for him, lacked mastery and class; Above all, it lacked the native cunning that it took to sense every day the secret ideas of the boss.

Duroy devait faire l’affaire en perfection, et il complétait admirablement la rédaction de cette feuille « qui naviguait sur les fonds de l’État et sur les bas-fonds de la politique », selon l’expression de Norbert de Varenne. Duroy had to do the job in perfection, and he admirably completed the writing of this sheet "which sailed on the funds of the state and on the lowlands of politics," according to the expression of Norbert de Varenne.

Les inspirateurs et véritables rédacteurs de La Vie Française étaient une demi-douzaine de députés intéressés dans toutes les spéculations que lançait ou que soutenait le directeur. The inspirers and real editors of La Vie Francaise were half a dozen deputies interested in all the speculations that the director was launching or supporting. On les nommait à la Chambre « la bande à Walter », et on les enviait parce qu’ils devaient gagner de l’argent avec lui et par lui. They called them "Walter's Band," and they were envied because they had to earn money from him and from him.

Forestier, rédacteur politique, n’était que l’homme de paille de ces hommes d’affaires, l’exécuteur des intentions suggérées par eux. Forestier, political editor, was only the straw man of these businessmen, the executor of the intentions suggested by them. Ils lui soufflaient ses articles de fond, qu’il allait toujours écrire chez lui pour être tranquille, disait-il. They whispered to him his articles, which he would always write at home to be quiet, he said.

Mais, afin de donner au journal une allure littéraire et parisienne, on y avait attaché deux écrivains célèbres en des genres différents, Jacques Rival, chroniqueur d’actualité, et Norbert de Varenne, poète et chroniqueur fantaisiste, ou plutôt conteur, suivant la nouvelle école. But in order to give the newspaper a literary and Parisian look, two famous writers in different genres were attached to it, Jacques Rival, chronicler of current affairs, and Norbert de Varenne, poet and fanciful chronicler, or rather storyteller, according to the new school.

Puis on s’était procuré, à bas prix, des critiques d’art, de peinture, de musique, de théâtre, un rédacteur criminaliste et un rédacteur hippique, parmi la grande tribu mercenaire des écrivains à tout faire. Then, at low prices, critics of art, painting, music, drama, a criminalist editor, and a horse editor had been procured among the great mercenary tribe of writers. Deux femmes du monde, « Domino rose « et « Patte blanche », envoyaient des variétés mondaines, traitaient les questions de mode, de vie élégante, d’étiquette, de savoir-vivre, et commettaient des indiscrétions sur les grandes dames. Two women of the world, "Pink Domino" and "White Paw," sent mundane varieties, treated the questions of fashion, elegant life, etiquette, etiquette, and made indiscretions on the great ladies.

Et La Vie Française « naviguait sur les fonds et bas-fonds », manœuvrée par toutes ces mains différentes. And La Vie Francaise "sailed on the bottoms and shallows, maneuvered by all these different hands.

Duroy était dans toute la joie de sa nomination aux fonctions de chef des Échos quand il reçut un petit carton gravé, où il lut : « M. et Mme Walter prient Monsieur Georges Duroy de leur faire le plaisir de venir dîner chez eux le jeudi 20 janvier. Duroy was in all the joy of his appointment as head of the Echoes when he received a small cardboard engraved, where he read: "Mr. and Mrs. Walter pray Mr. Georges Duroy to make them the pleasure of coming to dinner on Thursday 20 January. Cette nouvelle faveur, tombant sur l’autre, l’emplit d’une telle joie qu’il baisa l’invitation comme il eût fait d’une lettre d’amour. This new favor, falling on the other, filled him with such joy that he kissed the invitation as he would have done with a love letter. Puis il alla trouver le caissier pour traiter la grosse question des fonds. Then he went to the cashier to deal with the big question of funds.

Un chef des Échos a généralement son budget sur lequel il paie ses reporters et les nouvelles, bonnes ou médiocres, apportées par l’un ou l’autre, comme les jardiniers apportent leurs fruits chez un marchand de primeurs. A chief of Echoes usually has his budget on which he pays his reporters and the news, good or mediocre, brought by one or the other, as the gardeners bring their fruits to a grower.

Douze cents francs par mois, au début, étaient alloués à Duroy, qui se proposait bien d’en garder une forte partie. Twelve hundred francs a month, at the beginning, were allocated to Duroy, who intended to keep a large part of it.

Le caissier, sur ses représentations pressantes, avait fini par lui avancer quatre cents francs. The cashier, on his urgent representations, had ended by advancing him four hundred francs. Il eut, au premier moment, l’intention formelle de renvoyer à Mme de Marelle les deux cent quatre-vingts francs qu’il lui devait, mais il réfléchit presque aussitôt qu’il ne lui resterait plus entre les mains que cent vingt francs, somme tout à fait insuffisante pour faire marcher, d’une façon convenable, son nouveau service, et il remit cette restitution à des temps plus éloignés. At the first moment he had the formal intention of returning to Mme. De Marelle the two hundred and eighty francs which he owed him, but he almost immediately thought that he would have only one hundred and twenty francs left in his hands. a sum altogether insufficient to make his new service work in a proper way, and he handed over this restitution at a more distant time.

Pendant deux jours, il s’occupa de son installation, car il héritait d’une table particulière et de casiers à lettres, dans la vaste pièce commune à toute la rédaction. For two days he took care of his installation, because he inherited a special table and letter boxes, in the vast room common to all the editors. Il occupait un bout de cette pièce, tandis que Boisrenard, dont les cheveux d’un noir d’ébène, malgré son âge, étaient toujours penchés sur une feuille de papier, tenait l’autre bout. He occupied one end of this room, while Boisrenard, whose ebony-black hair, despite his age, was still bent over a sheet of paper, held the other end.

La longue table du centre appartenait aux rédacteurs volants. The long table in the center belonged to the flying editors. Généralement elle servait de banc pour s’asseoir, soit les jambes pendantes le long des bords, soit à la turque sur le milieu. Generally she served as a bench to sit, either the legs hanging along the edges, or the Turkish on the middle. Ils étaient quelquefois cinq ou six accroupis sur cette table, et jouant au bilboquet avec persévérance, dans une pose de magots chinois. They were sometimes five or six squatting on this table, and playing at the cup and ball with perseverance, in a pose of Chinese magots.

Duroy avait fini par prendre goût à ce divertissement, et il commençait à devenir fort, sous la direction et grâce aux conseils de Saint-Potin. Duroy had finally taken a liking to this entertainment, and he was beginning to grow strong under the guidance and guidance of Saint-Potin.

Forestier, de plus en plus souffrant, lui avait confié son beau bilboquet en bois des Îles, le dernier acheté, qu’il trouvait un peu lourd, et Duroy manœuvrait d’un bras vigoureux la grosse boule noire au bout de sa corde, en comptant tout bas : « Un – deux – trois – quatre – cinq – six » Forestier, more and more suffering, had entrusted him with his handsome wooden cup of Islands, the last bought, which he found a little heavy, and Duroy maneuvered with a vigorous arm the big black ball at the end of his rope, counting down: "One - two - three - four - five - six"

Il arriva justement, pour la première fois, à faire vingt points de suite, le jour même où il devait dîner chez Mme Walter. For the first time, for the first time, he made twenty points in a row, the very day he was to dine at Madame Walter's. » Bonne journée, pensa-t-il, j’ai tous les succès. Good day, he thought, I have every success. » Car l’adresse au bilboquet conférait vraiment une sorte de supériorité dans les bureaux de La Vie Française . Because the address at the bilboquet really conferred a kind of superiority in the offices of La Vie Francaise.

Il quitta la rédaction de bonne heure pour avoir le temps de s’habiller, et il remontait la rue de Londres quand il vit trotter devant lui une petite femme qui avait la tournure de Mme de Marelle. He left writing early to have time to get dressed, and he was walking up the Rue de Londres when he saw a little woman trotting down in front of him with Madame de Marelle's turn. Il sentit une chaleur lui monter au visage, et son cœur se mit à battre. He felt a warmth rise in his face, and his heart began to beat. Il traversa la rue pour la regarder de profil. He crossed the street to look at her in profile. Elle s’arrêta pour traverser aussi. She stopped to cross too. Il s’était trompé ; il respira. He was mistaken; he breathed.

Il s’était souvent demandé comment il devrait se comporter en la rencontrant face à face. He had often wondered how he should behave by meeting her face to face. La saluerait-il, ou bien aurait-il l’air de ne la point voir ? Would he greet her, or would he not seem to see her?

« Je ne la verrais pas », pensa-t-il. "I will not see her," he thought.

Il faisait froid, les ruisseaux gelés gardaient des empâtements de glace. It was cold, the frozen streams kept ice impasto. Les trottoirs étaient secs et gris sous la lueur du gaz. Sidewalks were dry and gray under the glow of gas.

Quand le jeune homme entra chez lui, il songea : « Il faut que je change de logement. When the young man entered his house, he thought: "I must change my lodging. Cela ne me suffit plus maintenant. That's not enough anymore. » Il se sentait nerveux et gai, capable de courir sur les toits, et il répétait tout haut, en allant de son lit à la fenêtre : « C’est la fortune qui arrive ! He felt nervous and gay, able to run on the rooftops, and he repeated aloud, as he went from his bed to the window, "It is fortune that is coming!" c’est la fortune ! Il faudra que j’écrive à papa. I'll have to write to dad. De temps en temps, il écrivait à son père ; et la lettre apportait toujours une joie vive dans le petit cabaret normand, au bord de la route, au haut de la grande côte d’où l’on domine Rouen et la large vallée de la Seine. From time to time he wrote to his father; and the letter always brought a lively joy in the little Norman cabaret, at the edge of the road, at the top of the great coast, from which Rouen and the broad valley of the Seine are dominated.

De temps en temps aussi il recevait une enveloppe bleue dont l’adresse était tracée d’une grosse écriture tremblée, et il lisait infailliblement les mêmes lignes au début de la lettre paternelle : From time to time he also received a blue envelope, the address of which was traced with a large shaky handwriting, and he was infallibly reading the same lines at the beginning of the paternal letter:

« Mon cher fils, la présente est pour te dire que nous allons bien, ta mère et moi. "My dear son, this is to tell you that we are well, your mother and me. Pas grand-chose de nouveau dans le pays. Not much new in the country. Je t’apprendrai cependant… » I'll teach you though ... "

Et il gardait au cœur un intérêt pour les choses du village, pour les nouvelles des voisins et pour l’état des terres et des récoltes. And he kept in his heart an interest for the things of the village, for the news of the neighbors and for the state of the lands and crops.

Il se répétait, en nouant sa cravate blanche devant sa petite glace : « Il faut que j’écrive à papa dès demain. He repeated himself, knotting his white tie in front of his little mirror: "I have to write to dad tomorrow. S’il me voyait, ce soir, dans la maison où je vais, serait-il épaté, le vieux ! If he saw me, tonight, in the house where I am going, would he be amazed, the old man! Sacristi, je ferai tout à l’heure un dîner comme il n’en a jamais fait. Sacristi, I will make a dinner just as he has never done before. » Et il revit brusquement la cuisine noire de là-bas, derrière la salle de café vide, les casseroles jetant des lueurs jaunes le long des murs, le chat dans la cheminée, le nez au feu, avec sa pose de Chimère accroupie, la table de bois graissée par le temps et par les liquides répandus, une soupière fumant au milieu, et une chandelle allumée entre deux assiettes. And he suddenly saw the black kitchen over there, behind the empty coffee-room, the pans throwing yellow gleams along the walls, the cat in the fireplace, the nose on fire, with his pose of Crouching Chimera, the a wooden table greased with time and spilled liquids, a soup-bowl smoking in the middle, and a lit candle between two plates. Et il les aperçut aussi l’homme et la femme, le père et la mère, les deux paysans aux gestes lents, mangeant la soupe à petites gorgées. And he saw them too, the man and the woman, the father and the mother, the two peasants with slow gestures, eating the soup with sips. Il connaissait les moindres plis de leurs vieilles figures, les moindres mouvements de leurs bras et de leur tête. He knew the slightest folds of their old faces, the slightest movements of their arms and their heads. Il savait même ce qu’ils se disaient, chaque soir, en soupant face à face. He even knew what they were saying to each other each evening, supping face to face.

Il pensa encore : « Il faudra pourtant que je finisse par aller les voir. He thought again: "But I'll have to go see them. » Mais comme sa toilette était terminée, il souffla sa lumière et descendit. But as his toilet was over, he blew out his light and went down.

Le long du boulevard extérieur, des filles l’accostèrent. Along the outer boulevard, some girls accosted her. Il leur répondait en dégageant son bras : « Fichez-moi donc la paix ! He answered by freeing his arm: "Leave me alone! » avec un dédain violent, comme si elles l’eussent insulté, méconnu… Pour qui le prenaient-elles ? With a violent disdain, as if they had insulted him, misunderstood him ... For whom did they take him? Ces rouleuses-là ne savaient donc point distinguer les hommes ? Did not these rollers know how to distinguish men? La sensation de son habit noir endossé pour aller dîner chez des gens très riches, très connus, très importants lui donnait le sentiment d’une personnalité nouvelle, la conscience d’être devenu un autre homme, un homme du monde, du vrai monde. The sensation of his black coat donned to dine with very rich people, very famous, very important gave him the feeling of a new personality, the consciousness of having become another man, a man of the world, the real world.

Il entra avec assurance dans l’antichambre éclairée par les hautes torchères de bronze et il remit, d’un geste naturel, sa canne et son pardessus aux deux valets qui s’étaient approchés de lui. He entered the ante-room lit by the tall bronze flares, and with a natural gesture handed his cane and overcoat to the two valets who had approached him.

Tous les salons étaient illuminés. All the salons were illuminated. Mme Walter recevait dans le second, le plus grand. Mrs. Walter received in the second, the largest. Elle l’accueillit avec un sourire charmant, et il serra la main des deux hommes arrivés avant lui, M. Firmin et M. Laroche-Mathieu, députés, rédacteurs anonymes de La Vie Française . She greeted him with a charming smile, and he shook hands with the two men who had arrived before him, M. Firmin and M. Laroche-Mathieu, deputies, anonymous editors of La Vie Francaise. M. Laroche-Mathieu avait dans le journal une autorité spéciale provenant d’une grande influence sur la Chambre. M. Laroche-Mathieu had a special authority in the newspaper, which had a great influence on the Chamber. Personne ne doutait qu’il ne fût ministre un jour. Nobody doubted that he would be a minister one day.

Puis arrivèrent les Forestier, la femme en rose, et ravissante. Then came the Forestier, the woman in pink, and lovely. Duroy fut stupéfait de la voir intime avec les deux représentants du pays. Duroy was stunned to see her intimately with the two representatives of the country. Elle causa tout bas, au coin de la cheminée, pendant plus de cinq minutes, avec M. Laroche-Mathieu. She whispered in the corner of the fireplace for more than five minutes, with M. Laroche-Mathieu. Charles paraissait exténué. Charles seemed exhausted. Il avait beaucoup maigri depuis un mois, et il toussait sans cesse en répétant : « Je devrais me décider à aller finir l’hiver dans le Midi. He had lost a lot of weight for a month, and he coughed incessantly, repeating: "I should decide to go and finish the winter in the South. Norbert de Varenne et Jacques Rival apparurent ensemble. Norbert de Varenne and Jacques Rival appeared together. Puis une porte s’étant ouverte au fond de l’appartement, M. Walter entra avec deux grandes jeunes filles de seize à dix-huit ans, une laide et l’autre jolie. Then a door having opened at the end of the apartment, M. Walter entered with two tall girls of sixteen to eighteen, an ugly and a pretty one.

Duroy savait pourtant que le patron était père de famille, mais il fut saisi d’étonnement. Duroy knew that the boss was a father, but he was amazed. Il n’avait jamais songé aux filles de son directeur que comme on songe aux pays lointains qu’on ne verra jamais. He had never thought of his director's daughters as one thinks of the distant lands that will never be seen. Et puis il se les était figuré toutes petites et il voyait des femmes. And then he imagined them as tiny and he saw women. Il en ressentait le léger trouble moral que produit un changement à vue. He felt the slight moral disturbance produced by a change in sight.

Elles lui tendirent la main, l’une après l’autre, après la présentation, et elles allèrent s’asseoir à une petite table qui leur était sans doute réservée, où elles se mirent à remuer un tas de bobines de soie dans une bannette. They held out her hand, one after the other, after the presentation, and they went to sit at a small table which was probably reserved for them, where they began to stir a pile of silk spools in a bunk. .