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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.2

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.2

5.2

Elle, tremblante, apeurée et ravie, se mettait à boire le jus rouge des fruits, à petits coups, en regardant autour d'elle d'un œil inquiet et allumé. Chaque cerise avalée lui donnait la sensation d'une faute commise, chaque goutte du liquide brûlant et poivré descendant en sa gorge lui procurait un plaisir âcre, la joie d'une jouissance scélérate et défendue.

Puis elle disait à mi-voix : « Allons-nous-en. » Et ils partaient. Elle filait vivement, la tête basse, d'un pas menu, d'un pas d'actrice qui quitte la scène, entre les buveurs accoudés aux tables qui la regardaient passer d'un air soupçonneux et mécontent ; et quand elle avait franchi la porte, elle poussait un grand soupir, comme si elle venait d'échapper à quelque danger terrible.

Quelquefois elle demandait à Duroy, en frissonnant :

« Si on m'injuriait dans ces endroits-là, qu'est-ce que tu ferais ? Il répondait d'un ton crâne :

« Je te défendrais, parbleu ! Et elle lui serrait le bras avec bonheur, avec le désir confus peut-être d'être injuriée et défendue, de voir des hommes se battre pour elle, même ces hommes-là, avec son bien-aimé.

Mais ces excursions, se renouvelant deux ou trois fois par semaine, commençaient à fatiguer Duroy, qui avait grand mal d'ailleurs, depuis quelque temps, à se procurer le demi-louis qu'il lui fallait pour payer la voiture et les consommations.

Il vivait maintenant avec une peine infinie, avec plus de peine qu'aux jours où il était employé du Nord, car, ayant dépensé largement, sans compter, pendant ses premiers mois de journalisme, avec l'espoir constant de gagner de grosses sommes le lendemain, il avait épuisé toutes ses ressources et tous les moyens de se procurer de l'argent.

Un procédé fort simple, celui d'emprunter à la caisse, s'était trouvé bien vite usé, et il devait déjà au journal quatre mois de son traitement, plus six cents francs sur ses lignes. Il devait, en outre, cent francs à Forestier, trois cents francs à Jacques Rival, qui avait la bourse large, et il était rongé par une multitude de petites dettes inavouables de vingt francs ou de cent sous.

Saint-Potin, consulté sur les méthodes à employer pour trouver encore cent francs, n'avait découvert aucun expédient, bien qu'il fût un homme d'invention ; et Duroy s'exaspérait de cette misère, plus sensible maintenant qu'autrefois, parce qu'il avait plus de besoins. Une colère sourde contre tout le monde couvait en lui, et une irritation incessante, qui se manifestait à tout propos, à tout moment, pour les causes les plus futiles.

Il se demandait parfois comment il avait fait pour dépenser une moyenne de mille livres par mois, sans aucun excès ni aucune fantaisie ; et il constatait qu'en additionnant un déjeuner de huit francs avec un dîner de douze pris dans un grand café quelconque du boulevard, il arrivait tout de suite à un louis, qui, joint à une dizaine de francs d'argent de poche, de cet argent qui coule sans qu'on sache comment, formait un total de trente francs. Or, trente francs par jour donnent neuf cents francs à la fin du mois. Et il ne comptait pas là-dedans tous les frais d'habillement, de chaussure, de linge, de blanchissage, etc.

Donc, le 14 décembre, il se trouva sans un sou dans sa poche et sans un moyen dans l'esprit pour obtenir quelque monnaie.

Il fit, comme il avait fait souvent jadis, il ne déjeuna point et il passa l'après-midi au journal à travailler, rageant et préoccupé.

Vers quatre heures, il reçut un petit bleu de sa maîtresse, qui lui disait : « Veux-tu que nous dînions ensemble ? nous ferons ensuite une escapade. Il répondit aussitôt : « Impossible dîner. » Puis il réfléchit qu'il serait bien bête de se priver des moments agréables qu'elle pourrait lui donner, et il ajouta : « Mais je t'attendrai, à neuf heures, dans notre logis. Et ayant envoyé un des garçons porter ce mot, afin d'économiser le prix du télégramme, il réfléchit à la façon dont il s'y prendrait pour se procurer le repas du soir.

À sept heures, il n'avait encore rien inventé ; et une faim terrible lui creusait le ventre. Alors il eut recours à un stratagème de désespéré. Il laissa partir tous ses confrères, l'un après l'autre, et, quand il fut seul, il sonna vivement. L'huissier du patron, resté pour garder les bureaux, se présenta.

Duroy debout, nerveux, fouillait ses poches, et d'une voix brusque :

« Dites donc, Foucart, j'ai oublié mon portefeuille chez moi, et il faut que j'aille dîner au Luxembourg. Prêtez-moi cinquante sous pour payer ma voiture. L'homme tira trois francs de son gilet, en demandant :

« Monsieur Duroy ne veut pas davantage ?

– Non, non, cela me suffit. Merci bien. Et, ayant saisi les pièces blanches, Duroy descendit en courant l'escalier, puis alla dîner dans une gargote où il échouait aux jours de misère.

À neuf heures, il attendait sa maîtresse, les pieds au feu dans le petit salon.

Elle arriva, très animée, très gaie, fouettée par l'air froid de la rue :

« Si tu veux, dit-elle, nous ferons d'abord un tour, puis nous rentrerons ici à onze heures. Le temps est admirable pour se promener. Il répondit d'un ton grognon :

« Pourquoi sortir ? On est très bien ici. Elle reprit, sans ôter son chapeau :

« Si tu savais, il fait un clair de lune merveilleux. C'est un vrai bonheur de se promener, ce soir.

– C'est possible, mais moi je ne tiens pas à me promener. Il avait dit cela d'un air furieux. Elle en fut saisie, blessée, et demanda :

« Qu'est-ce que tu as ? pourquoi prends-tu ces manières-là ? J'ai le désir de faire un tour, je ne vois pas en quoi cela peut te fâcher. Il se souleva, exaspéré.

« Cela ne me fâche pas. Cela m'embête. Voilà. Elle était de celles que la résistance irrite et que l'impolitesse exaspère.

Elle prononça, avec dédain, avec une colère froide :

« Je n'ai pas l'habitude qu'on me parle ainsi. Je m'en irai seule, alors ; adieu ! Il comprit que c'était grave, et s'élançant vivement vers elle, il lui prit les mains, les baisa, en balbutiant :

« Pardonne-moi, ma chérie, pardonne-moi, je suis très nerveux, ce soir, très irritable. C'est que j'ai des contrariétés, des ennuis, tu sais, des affaires de métier. Elle répondit, un peu adoucie, mais non calmée :

« Cela ne me regarde pas, moi ; et je ne veux point supporter le contrecoup de votre mauvaise humeur. Il la prit dans ses bras, l'attira vers le canapé :

« Écoute, ma mignonne, je ne voulais point te blesser ; je n'ai point songé à ce que je disais. Il l'avait forcée à s'asseoir, et s'agenouillant devant elle :

« M'as-tu pardonné ? Dis-moi que tu m'as pardonné. Elle murmura, d'une voix froide : « Soit, mais ne recommence pas. » Et, s'étant relevée, elle ajouta :

« Maintenant, allons faire un tour. Il était demeuré à genoux, entourant les hanches de ses deux bras ; il balbutia :

« Je t'en prie, restons ici. Je t'en supplie. Accorde-moi cela. J'aimerais tant à te garder ce soir, pour moi tout seul, là, près du feu. Dis « oui », je t'en supplie, dis « oui ». Elle répliqua nettement, durement :

« Non, je tiens à sortir, et je ne céderai pas à tes caprices. Il insista :

« Je t'en supplie, j'ai une raison, une raison très sérieuse… »

Elle dit de nouveau :

« Non. Et si tu ne veux pas sortir avec moi, je m'en vais. Adieu. Elle s'était dégagée d'une secousse, et gagnait la porte. Il courut vers elle, l'enveloppa dans ses bras :

« Écoute, Clo, ma petite Clo, écoute, accorde-moi cela… » Elle faisait non, de la tête, sans répondre, évitant ses baisers et cherchant à sortir de son étreinte pour s'en aller.

Il bégayait :

« Clo, ma petite Clo, j'ai une raison. Elle s'arrêta en le regardant en face :

« Tu mens… laquelle ? Il rougit, ne sachant que dire. Et elle reprit, indignée :

« Tu vois bien que tu mens… sale bête… » Et avec un geste rageur, les larmes aux yeux, elle lui échappa.

Il la prit encore une fois par les épaules, et désolé, prêt à tout avouer pour éviter cette rupture, il déclara avec un accent désespéré :

« Il y a que je n'ai pas le sou… Voilà. Elle s'arrêta net, et le regardant au fond des yeux pour y lire la vérité :

« Tu dis ? Il avait rougi jusqu'aux cheveux : « Je dis que je n'ai pas le sou. Comprends-tu ? Mais pas vingt sous, pas dix sous, pas de quoi payer un verre de cassis dans le café où nous entrerons. Tu me forces à confesser des choses honteuses. Il ne m'était pourtant pas possible de sortir avec toi, et quand nous aurions été attablés devant deux consommations, de te raconter tranquillement que je ne pouvais pas les payer… »

Elle le regarda toujours en face :

« Alors… c'est bien vrai… ça ? En une seconde, il retourna toutes ses poches, celles du pantalon, celles du gilet, celles de la jaquette, et il murmura :

« Tiens… es-tu contente… maintenant ? Brusquement, ouvrant ses deux bras avec un élan passionné, elle lui sauta au cou, en bégayant :

« Oh ! mon pauvre chéri… mon pauvre chéri… si j'avais su ! Comment cela t'est-il arrivé ? Elle le fit asseoir, et s'assit elle-même sur ses genoux, puis le tenant par le cou, le baisant à tout instant, baisant sa moustache, sa bouche, ses yeux, elle le força à raconter d'où lui venait cette infortune.

Il inventa une histoire attendrissante. Il avait été obligé de venir en aide à son père qui se trouvait dans l'embarras. Il lui avait donné non seulement toutes ses économies, mais il s'était endetté gravement.

Il ajouta :

« J'en ai pour six mois au moins à crever de faim, car j'ai épuisé toutes mes ressources. Tant pis, il y a des moments de crise dans la vie. L'argent, après tout, ne vaut pas qu'on s'en préoccupe. Elle lui souffla dans l'oreille :

« Je t'en prêterai, veux-tu ? Il répondit avec dignité :

« Tu es bien gentille, ma mignonne, mais ne parlons plus de ça, je te prie. Tu me blesserais. Elle se tut ; puis, le serrant dans ses bras, elle murmura :

« Tu ne sauras jamais comme je t'aime. Ce fut une de leurs meilleures soirées d'amour.

Comme elle allait partir, elle reprit en souriant :

« Hein ! quand on est dans ta situation, comme c'est amusant de retrouver de l'argent oublié dans une poche, une pièce qui avait glissé dans la doublure. Il répondit avec conviction :

« Ah ! ça oui, par exemple. Elle voulut rentrer à pied sous prétexte que la lune était admirable, et elle s'extasiait en le regardant.

C'était une nuit froide et sereine du commencement de l'hiver. Les passants et les chevaux allaient vite, piqués par une claire gelée. Les talons sonnaient sur les trottoirs.

En le quittant, elle demanda :

« Veux-tu nous revoir après-demain ?

– Mais oui, certainement.

– À la même heure ?

– À la même heure.

– Adieu, mon chéri. Et ils s'embrassèrent tendrement.

Puis il revint à grands pas, se demandant ce qu'il inventerait le lendemain, afin de se tirer d'affaire. Mais comme il ouvrit la porte de sa chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour y trouver des allumettes, et il demeura stupéfait de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait sous son doigt.

Dès qu'il eut de la lumière, il saisit cette pièce pour l'examiner. C'était un louis de vingt francs !

Il se pensa devenu fou.

Il le tourna, le retourna, cherchant par quel miracle cet argent se trouvait là. Il n'avait pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche.

Puis, tout à coup, il devina, et une colère indignée le saisit. Sa maîtresse avait parlé, en effet, de monnaie glissée dans la doublure et qu'on retrouvait aux heures de pauvreté. C'était elle qui lui avait fait cette aumône.

Quelle honte !

Il jura : « Ah bien ! je vais la recevoir après-demain !

Elle en passera un joli quart d'heure ! Et il se mit au lit, le cœur agité de fureur et d'humiliation.

Il s'éveilla tard. Il avait faim. Il essaya de se rendormir pour ne se lever qu'à deux heures ; puis il se dit :

« Cela ne m'avance à rien, il faut toujours que je finisse par découvrir de l'argent. » Puis il sortit, espérant qu'une idée lui viendrait dans la rue.

Il ne lui en vint pas, mais en passant devant chaque restaurant, on désir ardent de manger lui mouillait la bouche de salive. À midi, comme il n'avait rien imaginé, il se décida brusquement : « Bah ! je vais déjeuner sur les vingt francs de Clotilde. Cela ne m'empêchera pas de les lui rendre demain. Il déjeuna donc dans une brasserie pour deux francs cinquante. En entrant au journal il remit encore trois francs à l'huissier. »Tenez, Foucart, voici ce que vous m'avez prêté hier soir pour ma voiture. Et il travailla jusqu'à sept heures. Puis il alla dîner et prit de nouveau trois francs sur le même argent. Les deux bocks de la soirée portèrent à neuf francs trente centimes sa dépense du jour.

Mais comme il ne pouvait se refaire un crédit ni se recréer des ressources en vingt-quatre heures, il emprunta encore six francs cinquante le lendemain sur les vingt francs qu'il devait rendre le soir même, de sorte qu'il vint au rendez-vous convenu avec quatre francs vingt dans sa poche.

Il était d'une humeur de chien enragé et se promettait bien de faire nette tout de suite la situation. Il dirait à sa maîtresse : « Tu sais, j'ai trouvé les vingt francs que tu as mis dans ma poche l'autre jour. Je ne te les rends pas aujourd'hui parce que ma position n'a point changé, et que je n'ai pas eu te temps de m'occuper de la question d'argent. Mais je te les remettrai la première fois que nous nous verrons. Elle arriva, tendre, empressée, pleine de craintes. Comment allait-il la recevoir ? Et elle l'embrassa avec persistance pour éviter une explication dans les premiers moments.

Il se disait, de son côté : « II sera bien temps tout à l'heure d'aborder la question. Je vais chercher un joint. Il ne trouva pas de joint et ne dit rien, reculant devant les premiers mots à prononcer sur ce sujet délicat.

Elle ne parla point de sortir et fut charmante de toute façon.

Ils se séparèrent vers minuit, après avoir pris rendez-vous seulement pour le mercredi de la semaine suivante, car Mme de Marelle avait plusieurs dîners en ville de suite.

Le lendemain, en payant son déjeuner, comme Duroy cherchait les quatre pièces de monnaie qui devaient lui rester, il s'aperçut qu'elles étaient cinq, dont une en or.

Au premier moment il crut qu'on lui avait rendu, la veille, vingt francs par mégarde, puis il comprit, et il sentit une palpitation de cœur sous l'humiliation de cette aumône persévérante.

Comme il regretta de n'avoir rien dit ! S'il avait parlé avec énergie, cela ne serait point arrivé.

Pendant quatre jours il fit des démarches et des efforts aussi nombreux qu'inutiles pour se procurer cinq louis, et il mangea le second de Clotilde.

Elle trouva moyen – bien qu'il lui eût dit, d'un air furieux : « Tu sais, ne recommence pas la plaisanterie des autres soirs, parce que je me fâcherais « – de glisser encore vingt francs dans la poche de son pantalon la première fois qu'ils se rencontrèrent.

Quand il les découvrit, il jura « Nom de Dieu ! » et il les transporta dans son gilet pour les avoir sous la main, car il se trouvait sans un centime.

Il apaisait sa conscience par ce raisonnement : « Je lui rendrai le tout en bloc. Ce n'est en somme que de l'argent prêté. Enfin le caissier du journal, sur ses prières désespérées, consentit à lui donner cent sous par jour. C'était tout juste assez pour manger, mais pas assez pour restituer soixante francs.

Or, comme Clotilde fut reprise de sa rage pour les excursions nocturnes dans tous les lieux suspects de Paris, il finit par ne plus s'irriter outre mesure de trouver un jaunet dans une de ses poches, un jour même dans sa bottine, et un autre jour dans la boîte de sa montre, après leurs promenades aventureuses. Puisqu'elle avait des envies qu'il ne pouvait satisfaire dans le moment, n'était-il pas naturel qu'elle les payât plutôt que de s'en priver ?

Il tenait compte d'ailleurs de tout ce qu'il recevait ainsi, pour le lui restituer un jour.

Un soir elle lui dit : « Croiras-tu que je n'ai jamais été aux Folies-Bergère ? Veux-tu m'y mener ? » Il hésita, dans la crainte de rencontrer Rachel. Puis il pensa : « Bah ! je ne suis pas marié, après tout. Si l'autre me voit, elle comprendra la situation et ne me parlera pas. D'ailleurs, nous prendrons une loge. Une raison aussi le décida. Il était bien aise de cette occasion d'offrir à Mme de Marelle une loge au théâtre sans rien payer. C'était là une sorte de compensation.

Il laissa d'abord Clotilde dans la voiture pour aller chercher le coupon afin qu'elle ne vît pas qu'on le lui offrait, puis il la vint prendre et ils entrèrent, salués par les contrôleurs.

Une foule énorme encombrait le promenoir. Ils eurent grand-peine à passer à travers la cohue des hommes et des rôdeuses. Ils atteignirent enfin leur case et s'installèrent, enfermés entre l'orchestre immobile et le remous de la galerie.

Mais Mme de Marelle ne regardait guère la scène, uniquement préoccupée des filles qui circulaient derrière son dos ; et elle se retournait sans cesse pour les voir, avec une envie de les toucher, de palper leur corsage, leurs joues, leurs cheveux, pour savoir comment c'était fait, ces êtres-là.

Elle dit soudain :

« Il y en a une grosse brune qui nous regarde tout le temps. J'ai cru tout à l'heure qu'elle allait nous parler. L'as-tu vue ? Il répondit : « Non. Tu dois te tromper. » Mais il l'avait aperçue depuis longtemps déjà. C'était Rachel qui rôdait autour d'eux avec une colère dans les yeux et des mots violents sur les lèvres.

Duroy l'avait frôlée tout à l'heure en traversant la foule, et elle lui avait dit : « Bonjour « tout bas avec un clignement d'œil qui signifiait : « Je comprends. » Mais il n'avait point répondu à cette gentillesse dans la crainte d'être vu par sa maîtresse, et il avait passé froidement, le front haut, la lèvre dédaigneuse. La fille, qu'une jalousie inconsciente aiguillonnait déjà, revint sur ses pas, le frôla de nouveau et prononça d'une voix plus forte : « Bonjour, Georges. Il n'avait encore rien répondu. Alors elle s'était obstinée à être reconnue, saluée, et elle revenait sans cesse derrière la loge, attendant un moment favorable.

Dès qu'elle s'aperçut que Mme de Marelle la regardait, elle toucha du bout du doigt l'épaule de Duroy :

« Bonjour. Tu vas bien ? Mais il ne se retourna pas.

Elle reprit :

« Eh bien ? es-tu devenu sourd depuis jeudi ? Il ne répondit point, affectant un air de mépris qui l'empêchait de se compromettre, même par un mot, avec cette drôlesse.

Elle se mit à rire, d'un rire de rage et dit : « Te voilà donc muet ? Madame t'a peut-être mordu la langue ? Il fit un geste furieux, et d'une voix exaspérée :

« Qui est-ce qui vous permet de parler ? Filez ou je vous fais arrêter. Alors, le regard enflammé, la gorge gonflée, elle gueula :

« Ah ! c'est comme ça ! Va donc, mufle ! Quand on couche avec une femme, on la salue au moins. C'est pas une raison parce que t'es avec une autre pour ne pas me reconnaître aujourd'hui. Si tu m'avais seulement, fait un signe quand j'ai passé contre toi, tout à l'heure, je t'aurais laissé tranquille. Mais t'as voulu faire le fier, attends, va ! Je vais te servir, moi ! Ah ! tu ne me dis seulement pas bonjour quand je te rencontre… »

Elle aurait crié longtemps, mais Mme de Marelle avait ouvert la porte de la loge et elle se sauvait, à travers la foule, cherchant éperdument la sortie.

Duroy s'était élancé derrière elle et s'efforçait de la rejoindre.

Alors Rachel les voyant fuir, hurla, triomphante :

« Arrêtez-la ! Arrêtez-la ! Elle m'a volé mon amant. Des rires coururent dans le public. Deux messieurs, pour plaisanter, saisirent par les épaules la fugitive et voulurent l'emmener en cherchant à l'embrasser. Mais Duroy l'ayant rattrapée, la dégagea violemment et l'entraîna dans la rue.

Elle s'élança dans un fiacre vide arrêté devant l'établissement. Il y sauta derrière elle, et comme le cocher demandait : « Où faut-il aller, bourgeois ? » il répondit. » Où vous voudrez. La voiture se mit en route lentement, secouée par les pavés. Clotilde en proie à une sorte de crise nerveuse, les mains sur sa face, étouffait, suffoquait ; et Duroy ne savait que faire ni que dire. À la fin, comme il l'entendait pleurer, il bégaya. : « Écoute, Clo, ma petite Clo, laisse-moi t'expliquer ! Ce n'est pas ma faute… J'ai connu cette femme-là autrefois… dans les premiers temps… »

Elle dégagea brusquement son visage, et saisie par une rage de femme amoureuse et trahie, une rage furieuse qui lui rendit la parole, elle balbutia, par phrases rapides, hachées, en haletant : « Ah !… misérable… misérable… quel gueux tu fais !… Est-ce possible ?… quelle honte !… Oh ! mon Dieu !… quelle honte !… »

Puis, s'emportant de plus en plus, à mesure que les idées s'éclaircissaient en elle et que les arguments lui venaient : « C'est avec mon argent que tu la payais, n'est-ce pas ? Et je lui donnais de l'argent… pour cette fille… Oh ! le misérable !… »

Elle sembla chercher, pendant quelques secondes, un autre mot plus fort qui ne venait point, puis soudain, elle expectora, avec le mouvement qu'on fait pour cracher : « Oh !… cochon… cochon… cochon… Tu la payais avec mon argent… cochon… cochon !… »

Elle ne trouvait plus autre chose et répétait : « Cochon… cochon… »

Tout à coup, elle se pencha dehors, et, saisissant le cocher par sa manche : « Arrêtez ! » puis, ouvrant la portière, elle sauta dans la rue.

Georges voulut la suivre, mais elle cria : « Je te défends de descendre ! » d'une voix si forte que les passants se massèrent autour d'elle ; et Duroy ne bougea point par crainte d'un scandale.

Alors elle tira sa bourse de sa poche et chercha de la monnaie à la lueur de la lanterne, puis ayant pris deux francs cinquante, elle les mit dans les mains du cocher, en lui disant d'un ton vibrant : « Tenez… voilà votre heure… C'est moi qui paie… Et reconduisez-moi ce salop-là rue Boursault, aux Batignolles. Une gaieté s'éleva dans le groupe qui l'entourait. Un monsieur dit : « Bravo, la petite ! » et un jeune voyou arrêté entre les roues du fiacre, enfonçant sa tête dans la portière ouverte, cria avec un accent suraigu : « Bonsoir, Bibi ! Puis la voiture se remit en marche, poursuivie par des rires.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.2 Bel Ami - Part 1 Chapter 5.2 ベルアミ - 第1部 第5.2章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 5.2

5.2

Elle, tremblante, apeurée et ravie, se mettait à boire le jus rouge des fruits, à petits coups, en regardant autour d’elle d’un œil inquiet et allumé. She, trembling, frightened, and delighted, began to drink the red juice of the fruit, with a few little strokes, looking around her with a worried and lit look. Chaque cerise avalée lui donnait la sensation d’une faute commise, chaque goutte du liquide brûlant et poivré descendant en sa gorge lui procurait un plaisir âcre, la joie d’une jouissance scélérate et défendue. Each cherry swallowed gave him the sensation of a fault committed, every drop of burning and peppered liquid descending into his throat gave him a bitter pleasure, the joy of a scoundrel and forbidden enjoyment.

Puis elle disait à mi-voix : « Allons-nous-en. Then she said in a low voice: "Let's go. » Et ils partaient. Elle filait vivement, la tête basse, d’un pas menu, d’un pas d’actrice qui quitte la scène, entre les buveurs accoudés aux tables qui la regardaient passer d’un air soupçonneux et mécontent ; et quand elle avait franchi la porte, elle poussait un grand soupir, comme si elle venait d’échapper à quelque danger terrible. She was running quickly, her head down, with a small step, with an actress's step that leaves the stage, between the drinkers leaning on the tables who watched her pass with a suspicious and discontented air; and when she had gone through the door, she uttered a great sigh, as if she had escaped some terrible danger.

Quelquefois elle demandait à Duroy, en frissonnant : Sometimes she asked Duroy, shuddering:

« Si on m’injuriait dans ces endroits-là, qu’est-ce que tu ferais ? "If someone insults me in those places, what would you do? Il répondait d’un ton crâne : He answered with a skull tone:

« Je te défendrais, parbleu ! "I will defend you, parbleu! Et elle lui serrait le bras avec bonheur, avec le désir confus peut-être d’être injuriée et défendue, de voir des hommes se battre pour elle, même ces hommes-là, avec son bien-aimé. And she was shaking his arm happily, with the confused desire perhaps to be insulted and forbidden, to see men fighting for her, even those men, with her beloved.

Mais ces excursions, se renouvelant deux ou trois fois par semaine, commençaient à fatiguer Duroy, qui avait grand mal d’ailleurs, depuis quelque temps, à se procurer le demi-louis qu’il lui fallait pour payer la voiture et les consommations. But these excursions, renewing themselves two or three times a week, were beginning to tire Duroy, who for some time had had a hard time getting the half-louis he needed to pay for the car and the drinks.

Il vivait maintenant avec une peine infinie, avec plus de peine qu’aux jours où il était employé du Nord, car, ayant dépensé largement, sans compter, pendant ses premiers mois de journalisme, avec l’espoir constant de gagner de grosses sommes le lendemain, il avait épuisé toutes ses ressources et tous les moyens de se procurer de l’argent. He was now living with infinite pain, with more difficulty than in the days when he was employed in the North, because, having spent a great deal, without counting, during his first months of journalism, with the constant hope of winning large sums of money, the next day he had exhausted all his resources and every means of obtaining money.

Un procédé fort simple, celui d’emprunter à la caisse, s’était trouvé bien vite usé, et il devait déjà au journal quatre mois de son traitement, plus six cents francs sur ses lignes. A very simple procedure, that of borrowing from the cash register, had been very quickly used up, and he owed already to the paper four months of his salary, plus six hundred francs on his lines. Il devait, en outre, cent francs à Forestier, trois cents francs à Jacques Rival, qui avait la bourse large, et il était rongé par une multitude de petites dettes inavouables de vingt francs ou de cent sous. He owed, in addition, a hundred francs to Forestier, three hundred francs to Jacques Rival, who had the broad purse, and he was eaten up by a multitude of small, unmentionable debts of twenty francs or a hundred sous.

Saint-Potin, consulté sur les méthodes à employer pour trouver encore cent francs, n’avait découvert aucun expédient, bien qu’il fût un homme d’invention ; et Duroy s’exaspérait de cette misère, plus sensible maintenant qu’autrefois, parce qu’il avait plus de besoins. Saint-Potin, consulted on the methods to be employed to find another hundred francs, had discovered no expedient, although he was a man of invention; and Duroy was exasperated by this misery, more sensible now than before, because he had more needs. Une colère sourde contre tout le monde couvait en lui, et une irritation incessante, qui se manifestait à tout propos, à tout moment, pour les causes les plus futiles. A muffled anger against everyone was brewing in him, and an incessant irritation, which was manifested at all times, at all times, for the most futile causes.

Il se demandait parfois comment il avait fait pour dépenser une moyenne de mille livres par mois, sans aucun excès ni aucune fantaisie ; et il constatait qu’en additionnant un déjeuner de huit francs avec un dîner de douze pris dans un grand café quelconque du boulevard, il arrivait tout de suite à un louis, qui, joint à une dizaine de francs d’argent de poche, de cet argent qui coule sans qu’on sache comment, formait un total de trente francs. He sometimes wondered how he had done to spend an average of a thousand pounds a month, without any excess or fancy; and he found that by adding a breakfast of eight francs with a dinner of twelve taken in a big cafe some of the boulevard, he arrived at once at a louis, which, together with ten francs of pocket money, this money that flows without anyone knowing how, made a total of thirty francs. Or, trente francs par jour donnent neuf cents francs à la fin du mois. Now, thirty francs a day give nine hundred francs at the end of the month. Et il ne comptait pas là-dedans tous les frais d’habillement, de chaussure, de linge, de blanchissage, etc. And he did not count all the expenses of clothing, shoes, linen, laundry, and so on.

Donc, le 14 décembre, il se trouva sans un sou dans sa poche et sans un moyen dans l’esprit pour obtenir quelque monnaie. So on the 14th of December, he found himself without a penny in his pocket and without a means in his mind to get some money.

Il fit, comme il avait fait souvent jadis, il ne déjeuna point et il passa l’après-midi au journal à travailler, rageant et préoccupé. He did, as he had done often before, he did not breakfast, and he spent the afternoon in the newspaper working, raging and preoccupied.

Vers quatre heures, il reçut un petit bleu de sa maîtresse, qui lui disait : « Veux-tu que nous dînions ensemble ? About four o'clock he received a little blue from his mistress, who said to him: "Do you want us to dine together? nous ferons ensuite une escapade. we will then make a getaway. Il répondit aussitôt : « Impossible dîner. He replied at once: "Impossible to dine. » Puis il réfléchit qu’il serait bien bête de se priver des moments agréables qu’elle pourrait lui donner, et il ajouta : « Mais je t’attendrai, à neuf heures, dans notre logis. Then he reflected that it would be very stupid to deprive himself of the pleasant moments that she could give him, and he added: "But I will wait for you at nine o'clock in our house. Et ayant envoyé un des garçons porter ce mot, afin d’économiser le prix du télégramme, il réfléchit à la façon dont il s’y prendrait pour se procurer le repas du soir. And having sent one of the boys to carry this word, in order to save the price of the telegram, he reflected on how he would go about getting the evening meal.

À sept heures, il n’avait encore rien inventé ; et une faim terrible lui creusait le ventre. At seven o'clock he had not invented anything; and a terrible hunger was digging in his stomach. Alors il eut recours à un stratagème de désespéré. Then he resorted to a desperate ploy. Il laissa partir tous ses confrères, l’un après l’autre, et, quand il fut seul, il sonna vivement. He let all his colleagues go, one after the other, and when he was alone, he rang his bell. L’huissier du patron, resté pour garder les bureaux, se présenta. The usher of the master, who had remained to guard the offices, presented himself.

Duroy debout, nerveux, fouillait ses poches, et d’une voix brusque : Duroy stood up, nervous, searching his pockets, and in a sudden voice:

« Dites donc, Foucart, j’ai oublié mon portefeuille chez moi, et il faut que j’aille dîner au Luxembourg. "Say, Foucart, I have forgotten my wallet at home, and I must go to dine in Luxembourg. Prêtez-moi cinquante sous pour payer ma voiture. Lend me fifty cents to pay for my car. L’homme tira trois francs de son gilet, en demandant : The man drew three francs from his waistcoat, asking:

« Monsieur Duroy ne veut pas davantage ? "Mr. Duroy does not want more?

– Non, non, cela me suffit. - No, no, that's enough for me. Merci bien. Thank you. Et, ayant saisi les pièces blanches, Duroy descendit en courant l’escalier, puis alla dîner dans une gargote où il échouait aux jours de misère. And, having seized the white pieces, Duroy ran down the stairs, then went to dine in a grotto where he was stranded in days of misery.

À neuf heures, il attendait sa maîtresse, les pieds au feu dans le petit salon. At nine o'clock he was waiting for his mistress, his feet on fire in the parlor.

Elle arriva, très animée, très gaie, fouettée par l’air froid de la rue : She arrived, very animated, very gay, whipped by the cold air of the street:

« Si tu veux, dit-elle, nous ferons d’abord un tour, puis nous rentrerons ici à onze heures. "If you want," she said, "we'll go first, and then we'll be back here at eleven o'clock. Le temps est admirable pour se promener. The weather is wonderful to walk around. Il répondit d’un ton grognon : He replied grimly:

« Pourquoi sortir ? "Why go out? On est très bien ici. We are very good here. Elle reprit, sans ôter son chapeau : She went on, without taking off her hat:

« Si tu savais, il fait un clair de lune merveilleux. "If you knew, it's a wonderful moonlight. C’est un vrai bonheur de se promener, ce soir. It's a pleasure to walk around tonight.

– C’est possible, mais moi je ne tiens pas à me promener. - It's possible, but I do not want to walk. Il avait dit cela d’un air furieux. He said that furiously. Elle en fut saisie, blessée, et demanda : She was seized, wounded, and asked:

« Qu’est-ce que tu as ? " What do you have ? pourquoi prends-tu ces manières-là ? why do you take these manners? J’ai le désir de faire un tour, je ne vois pas en quoi cela peut te fâcher. I have the desire to take a walk, I do not see how it can annoy you. Il se souleva, exaspéré. He rose, exasperated.

« Cela ne me fâche pas. "It does not make me angry. Cela m’embête. It annoys me. Voilà. Here. Elle était de celles que la résistance irrite et que l’impolitesse exaspère. It was one of those that resistance irritates and that rudeness exasperates.

Elle prononça, avec dédain, avec une colère froide : She uttered, with disdain, with cold anger:

« Je n’ai pas l’habitude qu’on me parle ainsi. "I'm not used to being told that way. Je m’en irai seule, alors ; adieu ! I will go alone, then; farewell ! Il comprit que c’était grave, et s’élançant vivement vers elle, il lui prit les mains, les baisa, en balbutiant : He understood that it was serious, and rushing forward towards her, he took her hands, kissed them, stammering:

« Pardonne-moi, ma chérie, pardonne-moi, je suis très nerveux, ce soir, très irritable. "Forgive me, my darling, forgive me, I am very nervous tonight, very irritable. C’est que j’ai des contrariétés, des ennuis, tu sais, des affaires de métier. It's because I have annoyances, troubles, you know, business affairs. Elle répondit, un peu adoucie, mais non calmée : She answered, a little softened, but not subsided:

« Cela ne me regarde pas, moi ; et je ne veux point supporter le contrecoup de votre mauvaise humeur. "It does not concern me; and I do not want to bear the backlash of your bad temper. Il la prit dans ses bras, l’attira vers le canapé : He took her in his arms, pulled her to the couch:

« Écoute, ma mignonne, je ne voulais point te blesser ; je n’ai point songé à ce que je disais. "Listen, my darling, I did not want to hurt you; I did not think of what I said. Il l’avait forcée à s’asseoir, et s’agenouillant devant elle : He had forced her to sit down and kneeling in front of her:

« M’as-tu pardonné ? "Have you forgiven me? Dis-moi que tu m’as pardonné. Tell me you forgave me. Elle murmura, d’une voix froide : « Soit, mais ne recommence pas. She murmured, in a cold voice: "Either, but do not do it again. » Et, s’étant relevée, elle ajouta : And, having risen, she added:

« Maintenant, allons faire un tour. "Now let's go for a walk. Il était demeuré à genoux, entourant les hanches de ses deux bras ; il balbutia : He had remained on his knees, hugging his hips with both arms; he stammered:

« Je t’en prie, restons ici. "Please, stay here. Je t’en supplie. I beg you. Accorde-moi cela. Give me that. J’aimerais tant à te garder ce soir, pour moi tout seul, là, près du feu. I would love to keep you tonight, for myself, there, by the fire. Dis « oui », je t’en supplie, dis « oui ». Say "yes", I beg you, say "yes". Elle répliqua nettement, durement : She replied clearly, harshly:

« Non, je tiens à sortir, et je ne céderai pas à tes caprices. "No, I want to go out, and I will not give in to your whims. Il insista : He insisted:

« Je t’en supplie, j’ai une raison, une raison très sérieuse… »

Elle dit de nouveau :

« Non. Et si tu ne veux pas sortir avec moi, je m’en vais. Adieu. Elle s’était dégagée d’une secousse, et gagnait la porte. She had freed herself from a jolt, and was reaching the door. Il courut vers elle, l’enveloppa dans ses bras : He ran to her, wrapped her in his arms:

« Écoute, Clo, ma petite Clo, écoute, accorde-moi cela… » Elle faisait non, de la tête, sans répondre, évitant ses baisers et cherchant à sortir de son étreinte pour s’en aller. "Listen, Clo, my little Clo, listen, grant me that ..." She was doing no, of the head, without answering, avoiding her kisses and trying to leave her embrace to leave.

Il bégayait : He stammered:

« Clo, ma petite Clo, j’ai une raison. "Clo, my little Clo, I have a reason. Elle s’arrêta en le regardant en face : She stopped looking at him in the face:

« Tu mens… laquelle ? "You lie ... which one? Il rougit, ne sachant que dire. He blushed, not knowing what to say. Et elle reprit, indignée :

« Tu vois bien que tu mens… sale bête… » Et avec un geste rageur, les larmes aux yeux, elle lui échappa. "You see that you're lying ... stupid beast ..." And with an angry gesture, tears in his eyes, she escaped him.

Il la prit encore une fois par les épaules, et désolé, prêt à tout avouer pour éviter cette rupture, il déclara avec un accent désespéré : He took it once more by the shoulders, and, sorry, ready to confess everything to avoid this rupture, he declared with a desperate accent:

« Il y a que je n’ai pas le sou… Voilà. Elle s’arrêta net, et le regardant au fond des yeux pour y lire la vérité : She stopped short, and looking him in the back of her eyes to read the truth:

« Tu dis ? Il avait rougi jusqu’aux cheveux : « Je dis que je n’ai pas le sou. He had blushed to the hair: "I say I do not have a sou. Comprends-tu ? Mais pas vingt sous, pas dix sous, pas de quoi payer un verre de cassis dans le café où nous entrerons. But not twenty sous, not ten sous, not enough to pay a glass of blackcurrant in the cafe where we will enter. Tu me forces à confesser des choses honteuses. You force me to confess shameful things. Il ne m’était pourtant pas possible de sortir avec toi, et quand nous aurions été attablés devant deux consommations, de te raconter tranquillement que je ne pouvais pas les payer… » It was not possible, however, to go out with you, and when we were seated at two drinks, to tell you quietly that I could not pay them ... "

Elle le regarda toujours en face :

« Alors… c’est bien vrai… ça ? En une seconde, il retourna toutes ses poches, celles du pantalon, celles du gilet, celles de la jaquette, et il murmura :

« Tiens… es-tu contente… maintenant ? Brusquement, ouvrant ses deux bras avec un élan passionné, elle lui sauta au cou, en bégayant : Suddenly, opening her arms with a passionate impulse, she jumped at his neck, stuttering:

« Oh ! mon pauvre chéri… mon pauvre chéri… si j’avais su ! Comment cela t’est-il arrivé ? How did this happen to you? Elle le fit asseoir, et s’assit elle-même sur ses genoux, puis le tenant par le cou, le baisant à tout instant, baisant sa moustache, sa bouche, ses yeux, elle le força à raconter d’où lui venait cette infortune. She made him sit down, and sat down on his knees, then holding him by the neck, kissing him at all times, kissing his mustache, his mouth, his eyes, she forced him to tell where this came from. unfortunate.

Il inventa une histoire attendrissante. He invented a touching story. Il avait été obligé de venir en aide à son père qui se trouvait dans l’embarras. He had been forced to help his father who was in trouble. Il lui avait donné non seulement toutes ses économies, mais il s’était endetté gravement. He had given him not only all his savings, but he had got into debt seriously.

Il ajouta :

« J’en ai pour six mois au moins à crever de faim, car j’ai épuisé toutes mes ressources. "I have at least six months to starve, because I have exhausted all my resources. Tant pis, il y a des moments de crise dans la vie. Too bad, there are moments of crisis in life. L’argent, après tout, ne vaut pas qu’on s’en préoccupe. Money, after all, is not worth the trouble. Elle lui souffla dans l’oreille : She whispered in his ear:

« Je t’en prêterai, veux-tu ? "I'll lend you, will you? Il répondit avec dignité : He answered with dignity:

« Tu es bien gentille, ma mignonne, mais ne parlons plus de ça, je te prie. "You are very nice, my darling, but do not talk about that anymore, I beg you. Tu me blesserais. You would hurt me. Elle se tut ; puis, le serrant dans ses bras, elle murmura : She was silent; then, clasping her in her arms, she murmured:

« Tu ne sauras jamais comme je t’aime. "You will never know how I love you. Ce fut une de leurs meilleures soirées d’amour. It was one of their best love parties.

Comme elle allait partir, elle reprit en souriant : As she was about to leave, she continued, smiling:

« Hein ! "Huh! quand on est dans ta situation, comme c’est amusant de retrouver de l’argent oublié dans une poche, une pièce qui avait glissé dans la doublure. when you are in your situation, as it is fun to find money forgotten in a pocket, a piece that had slipped into the lining. Il répondit avec conviction :

« Ah ! ça oui, par exemple. Elle voulut rentrer à pied sous prétexte que la lune était admirable, et elle s’extasiait en le regardant. She wanted to walk back on the pretext that the moon was admirable, and she was looking at him.

C’était une nuit froide et sereine du commencement de l’hiver. It was a cold and serene night at the beginning of winter. Les passants et les chevaux allaient vite, piqués par une claire gelée. The passers-by and the horses were going fast, stung by a clear frozen. Les talons sonnaient sur les trottoirs. Heels were ringing on the sidewalks.

En le quittant, elle demanda : When he left, she asked:

« Veux-tu nous revoir après-demain ? "Do you want to see us again the day after tomorrow?

– Mais oui, certainement.

– À la même heure ?

– À la même heure.

– Adieu, mon chéri. Et ils s’embrassèrent tendrement.

Puis il revint à grands pas, se demandant ce qu’il inventerait le lendemain, afin de se tirer d’affaire. Then he came back, wondering what he would invent the next day, in order to get by. Mais comme il ouvrit la porte de sa chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour y trouver des allumettes, et il demeura stupéfait de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait sous son doigt. But as he opened the door to his room, he searched his vest pocket for matches, and he was stunned to find a coin rolling under his finger.

Dès qu’il eut de la lumière, il saisit cette pièce pour l’examiner. As soon as he had light, he took this room to examine it. C’était un louis de vingt francs ! It was a louis of twenty francs!

Il se pensa devenu fou. He thought he had gone mad.

Il le tourna, le retourna, cherchant par quel miracle cet argent se trouvait là. He turned it, turned it around, looking for what miracle that money was there. Il n’avait pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche. He could not have fallen from the sky in his pocket.

Puis, tout à coup, il devina, et une colère indignée le saisit. Then, suddenly, he guessed, and an indignant anger seized him. Sa maîtresse avait parlé, en effet, de monnaie glissée dans la doublure et qu’on retrouvait aux heures de pauvreté. His mistress had spoken, indeed, money slipped into the lining and found in hours of poverty. C’était elle qui lui avait fait cette aumône. It was she who had given him this alms.

Quelle honte ! What a shame !

Il jura : « Ah bien ! He swore, "Ah! je vais la recevoir après-demain ! I will receive it the day after tomorrow!

Elle en passera un joli quart d’heure ! She will spend a good fifteen minutes! Et il se mit au lit, le cœur agité de fureur et d’humiliation. And he went to bed, his heart agitated with fury and humiliation.

Il s’éveilla tard. He awoke late. Il avait faim. He was hungry. Il essaya de se rendormir pour ne se lever qu’à deux heures ; puis il se dit : He tried to go back to sleep to get up at two o'clock; then he said to himself:

« Cela ne m’avance à rien, il faut toujours que je finisse par découvrir de l’argent. "It does not help me, I always have to find money. » Puis il sortit, espérant qu’une idée lui viendrait dans la rue. Then he went out hoping that an idea would come to him in the street.

Il ne lui en vint pas, mais en passant devant chaque restaurant, on désir ardent de manger lui mouillait la bouche de salive. It did not come to him, but in passing in front of each restaurant, one yearned to eat wet his mouth with saliva. À midi, comme il n’avait rien imaginé, il se décida brusquement : « Bah ! At noon, as he had not imagined anything, he decided abruptly: "Bah! je vais déjeuner sur les vingt francs de Clotilde. I am going to have lunch on the twenty francs of Clotilde. Cela ne m’empêchera pas de les lui rendre demain. That will not stop me from giving them back tomorrow. Il déjeuna donc dans une brasserie pour deux francs cinquante. He had lunch in a brewery for two francs fifty. En entrant au journal il remit encore trois francs à l’huissier. On entering the paper he gave the usher another three francs. »Tenez, Foucart, voici ce que vous m’avez prêté hier soir pour ma voiture. "Here, Foucart, here is what you lent me last night for my car. Et il travailla jusqu’à sept heures. And he worked until seven o'clock. Puis il alla dîner et prit de nouveau trois francs sur le même argent. Then he went to dinner and took three francs again on the same money. Les deux bocks de la soirée portèrent à neuf francs trente centimes sa dépense du jour. The two bocks of the evening raised to nine francs thirty centimes his expenditure of the day.

Mais comme il ne pouvait se refaire un crédit ni se recréer des ressources en vingt-quatre heures, il emprunta encore six francs cinquante le lendemain sur les vingt francs qu’il devait rendre le soir même, de sorte qu’il vint au rendez-vous convenu avec quatre francs vingt dans sa poche. But as he could not redo his credit or recreate his resources in twenty-four hours, he borrowed six francs fifty the next day from the twenty francs he was to return the same evening, so that he came to the meeting. you agreed with four francs twenty in his pocket.

Il était d’une humeur de chien enragé et se promettait bien de faire nette tout de suite la situation. He was in a raging dog mood and was promising to make the situation clear right away. Il dirait à sa maîtresse : « Tu sais, j’ai trouvé les vingt francs que tu as mis dans ma poche l’autre jour. He would say to his mistress: "You know, I found the twenty francs you put in my pocket the other day. Je ne te les rends pas aujourd’hui parce que ma position n’a point changé, et que je n’ai pas eu te temps de m’occuper de la question d’argent. I do not give them back to you today because my position has not changed, and I have not had time to deal with the money issue. Mais je te les remettrai la première fois que nous nous verrons. But I'll give them to you the first time we see each other. Elle arriva, tendre, empressée, pleine de craintes. She arrived, tender, eager, full of fears. Comment allait-il la recevoir ? How was he going to receive it? Et elle l’embrassa avec persistance pour éviter une explication dans les premiers moments. And she kissed him persistently to avoid an explanation in the first moments.

Il se disait, de son côté : « II sera bien temps tout à l’heure d’aborder la question. He said to himself, "It will be a long time ago to approach the question. Je vais chercher un joint. I'm going to get a seal. Il ne trouva pas de joint et ne dit rien, reculant devant les premiers mots à prononcer sur ce sujet délicat. He found no seal and said nothing, backing away from the first words to pronounce on this delicate subject.

Elle ne parla point de sortir et fut charmante de toute façon. She did not talk about going out and was charming anyway.

Ils se séparèrent vers minuit, après avoir pris rendez-vous seulement pour le mercredi de la semaine suivante, car Mme de Marelle avait plusieurs dîners en ville de suite. They separated at midnight, after having made an appointment only for the Wednesday of the following week, for Madame de Marelle had several dinners in town in succession.

Le lendemain, en payant son déjeuner, comme Duroy cherchait les quatre pièces de monnaie qui devaient lui rester, il s’aperçut qu’elles étaient cinq, dont une en or. The next day, paying for his breakfast, as Duroy was looking for the four coins that were to remain him, he realized that they were five, including one in gold.

Au premier moment il crut qu’on lui avait rendu, la veille, vingt francs par mégarde, puis il comprit, et il sentit une palpitation de cœur sous l’humiliation de cette aumône persévérante. At the first moment he thought that he had been returned the day before, twenty francs by mistake, then he understood, and he felt a pulsation of heart under the humiliation of that persevering alms-worship.

Comme il regretta de n’avoir rien dit ! How he regretted not having said anything! S’il avait parlé avec énergie, cela ne serait point arrivé. If he had spoken energetically, it would not have happened.

Pendant quatre jours il fit des démarches et des efforts aussi nombreux qu’inutiles pour se procurer cinq louis, et il mangea le second de Clotilde. For four days he made numerous and useless efforts and efforts to procure five louis, and he ate Clotilde's second.

Elle trouva moyen – bien qu’il lui eût dit, d’un air furieux : « Tu sais, ne recommence pas la plaisanterie des autres soirs, parce que je me fâcherais « – de glisser encore vingt francs dans la poche de son pantalon la première fois qu’ils se rencontrèrent. She found means - although he had said to her, furiously: "You know, do not repeat the joke of other nights, because I would be angry" - to slip another twenty francs into the pocket of his trousers. first time they met.

Quand il les découvrit, il jura « Nom de Dieu ! When he discovered them, he swore "Name of God! » et il les transporta dans son gilet pour les avoir sous la main, car il se trouvait sans un centime. And he carried them in his vest to have them on hand, for he was without a penny.

Il apaisait sa conscience par ce raisonnement : « Je lui rendrai le tout en bloc. He quieted his conscience with this reasoning: "I will return the whole thing to him. Ce n’est en somme que de l’argent prêté. This is only money lent. Enfin le caissier du journal, sur ses prières désespérées, consentit à lui donner cent sous par jour. At last the cashier of the paper, on his desperate prayers, consented to give him a hundred sous a day. C’était tout juste assez pour manger, mais pas assez pour restituer soixante francs. It was just enough to eat, but not enough to give back sixty francs.

Or, comme Clotilde fut reprise de sa rage pour les excursions nocturnes dans tous les lieux suspects de Paris, il finit par ne plus s’irriter outre mesure de trouver un jaunet dans une de ses poches, un jour même dans sa bottine, et un autre jour dans la boîte de sa montre, après leurs promenades aventureuses. Now, as Clotilde was resumed with his rage for nocturnal excursions in all the suspicious places of Paris, he ended by not being irritated beyond measure to find a jaunet in one of his pockets, one day even in his boot, and a another day in the box of his watch, after their adventurous walks. Puisqu’elle avait des envies qu’il ne pouvait satisfaire dans le moment, n’était-il pas naturel qu’elle les payât plutôt que de s’en priver ? Since she had desires that he could not satisfy at the moment, was not it natural that she should pay them rather than deprive herself of them?

Il tenait compte d’ailleurs de tout ce qu’il recevait ainsi, pour le lui restituer un jour. He also took into account everything he received so that he could be restored one day.

Un soir elle lui dit : « Croiras-tu que je n’ai jamais été aux Folies-Bergère ? One evening she said to him: "Do you think I have never been to the Folies-Bergere? Veux-tu m’y mener ? » Il hésita, dans la crainte de rencontrer Rachel. He hesitated, in fear of meeting Rachel. Puis il pensa : « Bah ! je ne suis pas marié, après tout. Si l’autre me voit, elle comprendra la situation et ne me parlera pas. If the other sees me, she will understand the situation and will not talk to me. D’ailleurs, nous prendrons une loge. Besides, we will take a lodge. Une raison aussi le décida. A reason also decided him. Il était bien aise de cette occasion d’offrir à Mme de Marelle une loge au théâtre sans rien payer. He was glad of this opportunity to offer Madame de Marelle a box at the theater without paying anything. C’était là une sorte de compensation. This was a kind of compensation.

Il laissa d’abord Clotilde dans la voiture pour aller chercher le coupon afin qu’elle ne vît pas qu’on le lui offrait, puis il la vint prendre et ils entrèrent, salués par les contrôleurs. He first left Clotilde in the car to get the coupon so that she did not see that it was offered to him, then he came to take it and they entered, greeted by the controllers.

Une foule énorme encombrait le promenoir. A huge crowd encumbered the walk. Ils eurent grand-peine à passer à travers la cohue des hommes et des rôdeuses. They had great difficulty in passing through the crowd of men and ranger. Ils atteignirent enfin leur case et s’installèrent, enfermés entre l’orchestre immobile et le remous de la galerie. They finally reached their hut and settled down, locked between the motionless orchestra and the swirl of the gallery.

Mais Mme de Marelle ne regardait guère la scène, uniquement préoccupée des filles qui circulaient derrière son dos ; et elle se retournait sans cesse pour les voir, avec une envie de les toucher, de palper leur corsage, leurs joues, leurs cheveux, pour savoir comment c’était fait, ces êtres-là. But Madame de Marelle scarcely looked at the scene, solely preoccupied with the girls running behind her back; and she was constantly turning to see them, with a desire to touch them, to feel their bodice, their cheeks, their hair, to know how it was done, these beings.

Elle dit soudain :

« Il y en a une grosse brune qui nous regarde tout le temps. J’ai cru tout à l’heure qu’elle allait nous parler. I thought earlier that she was going to talk to us. L’as-tu vue ? Have you seen it? Il répondit : « Non. Tu dois te tromper. You must be wrong. » Mais il l’avait aperçue depuis longtemps déjà. But he had seen her for a long time already. C’était Rachel qui rôdait autour d’eux avec une colère dans les yeux et des mots violents sur les lèvres. It was Rachel lurking around them with anger in her eyes and violent words on her lips.

Duroy l’avait frôlée tout à l’heure en traversant la foule, et elle lui avait dit : « Bonjour « tout bas avec un clignement d’œil qui signifiait : « Je comprends. Duroy had brushed her past as she crossed the crowd, and she had said to him, "Hello," whispered with a wink that meant, "I understand. » Mais il n’avait point répondu à cette gentillesse dans la crainte d’être vu par sa maîtresse, et il avait passé froidement, le front haut, la lèvre dédaigneuse. But he had not responded to this kindness for the fear of being seen by his mistress, and he had passed coldly, his forehead high, his lip disdainful. La fille, qu’une jalousie inconsciente aiguillonnait déjà, revint sur ses pas, le frôla de nouveau et prononça d’une voix plus forte : « Bonjour, Georges. The girl, an unconscious jealousy already goading, came back, grazed him again and said in a louder voice: "Hello, George. Il n’avait encore rien répondu. Alors elle s’était obstinée à être reconnue, saluée, et elle revenait sans cesse derrière la loge, attendant un moment favorable. So she had persisted in being recognized, greeted, and she kept coming back behind the box, waiting for a favorable moment.

Dès qu’elle s’aperçut que Mme de Marelle la regardait, elle toucha du bout du doigt l’épaule de Duroy : As soon as she noticed that Madame de Marelle was looking at her, she touched Duroy's shoulder with her fingertip:

« Bonjour. Tu vas bien ? Mais il ne se retourna pas.

Elle reprit :

« Eh bien ? " Well ? es-tu devenu sourd depuis jeudi ? have you become deaf since Thursday? Il ne répondit point, affectant un air de mépris qui l’empêchait de se compromettre, même par un mot, avec cette drôlesse. He did not answer, affecting an air of contempt which prevented him from compromising himself, even by a word, with this drolless.

Elle se mit à rire, d’un rire de rage et dit : « Te voilà donc muet ? She laughed, laughing furiously and said, "Are you so dumb? Madame t’a peut-être mordu la langue ? Madame may have bitten your tongue? Il fit un geste furieux, et d’une voix exaspérée : He made a furious gesture, and in an exasperated voice:

« Qui est-ce qui vous permet de parler ? "Who lets you talk? Filez ou je vous fais arrêter. Go or I'll stop you. Alors, le regard enflammé, la gorge gonflée, elle gueula : Then, her eyes burning, her throat swollen, she shouted:

« Ah ! c’est comme ça ! Va donc, mufle ! Go, mufle! Quand on couche avec une femme, on la salue au moins. When we sleep with a woman, we salute her at least. C’est pas une raison parce que t’es avec une autre pour ne pas me reconnaître aujourd’hui. It's not a reason because you're with another one to not recognize me today. Si tu m’avais seulement, fait un signe quand j’ai passé contre toi, tout à l’heure, je t’aurais laissé tranquille. If only you had made a sign when I passed against you, just now, I would have left you alone. Mais t’as voulu faire le fier, attends, va ! But you wanted to be proud, wait, go! Je vais te servir, moi ! I'll serve you, me! Ah ! Ah! tu ne me dis seulement pas bonjour quand je te rencontre… » you do not just say hello to me when I meet you ... "

Elle aurait crié longtemps, mais Mme de Marelle avait ouvert la porte de la loge et elle se sauvait, à travers la foule, cherchant éperdument la sortie. She would have shouted for a long time, but Madame de Marelle had opened the door of the box and she was escaping, through the crowd, looking madly for the way out.

Duroy s’était élancé derrière elle et s’efforçait de la rejoindre.

Alors Rachel les voyant fuir, hurla, triomphante : Then Rachel seeing them flee, shouted, triumphantly:

« Arrêtez-la ! "Stop it! Arrêtez-la ! Elle m’a volé mon amant. She stole my lover. Des rires coururent dans le public. Laughs ran through the audience. Deux messieurs, pour plaisanter, saisirent par les épaules la fugitive et voulurent l’emmener en cherchant à l’embrasser. Two gentlemen, jokingly, seized the fugitive by the shoulders and tried to take her away, trying to kiss her. Mais Duroy l’ayant rattrapée, la dégagea violemment et l’entraîna dans la rue. But Duroy having caught her, released her violently and dragged her into the street.

Elle s’élança dans un fiacre vide arrêté devant l’établissement. She rushed into an empty cab stopped in front of the establishment. Il y sauta derrière elle, et comme le cocher demandait : « Où faut-il aller, bourgeois ? He jumped behind her, and as the coachman asked: "Where is it going to go, bourgeois? » il répondit. " he answered. » Où vous voudrez. Where you want. La voiture se mit en route lentement, secouée par les pavés. The car started slowly, shaken by the pavement. Clotilde en proie à une sorte de crise nerveuse, les mains sur sa face, étouffait, suffoquait ; et Duroy ne savait que faire ni que dire. Clotilde, prey to a kind of nervous crisis, her hands on her face, suffocated, suffocated; and Duroy did not know what to do or say. À la fin, comme il l’entendait pleurer, il bégaya. : « Écoute, Clo, ma petite Clo, laisse-moi t’expliquer ! Ce n’est pas ma faute… J’ai connu cette femme-là autrefois… dans les premiers temps… » It's not my fault ... I knew this woman once ... in the early days ... "

Elle dégagea brusquement son visage, et saisie par une rage de femme amoureuse et trahie, une rage furieuse qui lui rendit la parole, elle balbutia, par phrases rapides, hachées, en haletant : « Ah !… misérable… misérable… quel gueux tu fais !… Est-ce possible ?… quelle honte !… Oh ! She suddenly cleared her face, and seized by a rage of a woman in love and betrayal, a furious rage that returned the word, she stammered, in quick phrases, chopped, panting: "Ah! ... miserable ... miserable ... what a beggar you do ! ... Is it possible? ... what a shame! ... Oh! mon Dieu !… quelle honte !… »

Puis, s’emportant de plus en plus, à mesure que les idées s’éclaircissaient en elle et que les arguments lui venaient : « C’est avec mon argent que tu la payais, n’est-ce pas ? Et je lui donnais de l’argent… pour cette fille… Oh ! le misérable !… »

Elle sembla chercher, pendant quelques secondes, un autre mot plus fort qui ne venait point, puis soudain, elle expectora, avec le mouvement qu’on fait pour cracher : « Oh !… cochon… cochon… cochon… Tu la payais avec mon argent… cochon… cochon !… »

Elle ne trouvait plus autre chose et répétait : « Cochon… cochon… » She could not find anything else and repeated: "Pig ... pig ..."

Tout à coup, elle se pencha dehors, et, saisissant le cocher par sa manche : « Arrêtez ! All at once she leaned out, and, seizing the coachman by her sleeve, "Stop! » puis, ouvrant la portière, elle sauta dans la rue. Then, opening the door, she jumped into the street.

Georges voulut la suivre, mais elle cria : « Je te défends de descendre ! George wanted to follow her, but she cried: "I forbid you to go down! » d’une voix si forte que les passants se massèrent autour d’elle ; et Duroy ne bougea point par crainte d’un scandale. In a voice so strong that passers-by massed around her; and Duroy did not move for fear of scandal.

Alors elle tira sa bourse de sa poche et chercha de la monnaie à la lueur de la lanterne, puis ayant pris deux francs cinquante, elle les mit dans les mains du cocher, en lui disant d’un ton vibrant : « Tenez… voilà votre heure… C’est moi qui paie… Et reconduisez-moi ce salop-là rue Boursault, aux Batignolles. Then she took her purse out of her pocket and looked for money by the light of the lantern, then taking two francs fifty, she put them in the hands of the coachman, saying to him in a vibrating tone: "Here is your hour ... It's me who pays ... And drive me that bastard street Boursault, Batignolles. Une gaieté s’éleva dans le groupe qui l’entourait. Cheerfulness rose in the group around him. Un monsieur dit : « Bravo, la petite ! » et un jeune voyou arrêté entre les roues du fiacre, enfonçant sa tête dans la portière ouverte, cria avec un accent suraigu : « Bonsoir, Bibi ! And a young thug stopped between the wheels of the cab, thrusting his head into the open door, shouted with a shrill accent, "Good evening, Bibi! Puis la voiture se remit en marche, poursuivie par des rires. Then the car started again, followed by laughter.