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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 4

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 4

– IV –

Georges Duroy dormit mal, tant le désir de voir imprimé son article. Dès que le jour parut, il fut debout, et il rôdait dans la rue bien avant l'heure où les porteurs de journaux vont, en courant, de kiosque en kiosque.

Alors il gagna la gare Saint-Lazare, sachant bien que La Vie Française y arriverait avant de parvenir dans son quartier. Comme il était encore trop tôt, il erra sur le trottoir.

Il vit arriver la marchande, qui ouvrit sa boutique de verre, puis il aperçut un homme portant sur sa tête un tas de grands papiers pliés. Il se précipita : c'étaient Le Figaro , le Gil-Blas , Le Gaulois , L'Événement , et deux ou trois autres feuilles du matin ; mais La Vie Française n'y était pas.

Une peur le saisit. « Si on avait remis au lendemain Les Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, ou si, par hasard, la chose n'avait pas plu, au dernier moment, au père Walter ? En redescendant vers le kiosque, il s'aperçut qu'on vendait le journal, sans qu'il l'eût vu apporter. Il se précipita, le déplia, après avoir jeté les trois sous, et parcourut les titres de la première page. – Rien. – Son cœur se mit à battre ; il ouvrit la feuille, et il eut une forte émotion en lisant, au bas d'une colonne, en grosses lettres : « Georges Duroy. » Ça y était ! quelle joie !

Il se mit à marcher, sans penser, le journal à la main, le chapeau sur le côté, avec une envie d'arrêter les passants pour leur dire : « Achetez ça – achetez ça ! Il y a un article, de moi. » – Il aurait voulu pouvoir crier de tous ses poumons, comme font certains hommes, le soir, sur les boulevards : « Lisez La Vie Française , lisez l'article de Georges Duroy : Les Souvenirs d'un chasseur d'Afrique. » Et, tout à coup, il éprouva le désir de lire lui-même cet article, de le lire dans un endroit public, dans un café, bien en vue. Et il chercha un établissement qui fût déjà fréquenté. Il lui fallut marcher longtemps. Il s'assit enfin devant une espèce de marchand de vin où plusieurs consommateurs étaient déjà installés, et il demanda : « Un rhum », comme il aurait demandé : « Une absinthe », sans songer à l'heure. Puis il appela : « Garçon, donnez-moi La Vie Française . Un homme à tablier blanc accourut :

« Nous ne l'avons pas, monsieur, nous ne recevons que Le Rappel, Le Siècle, La Lanterne, et Le Petit Parisien. Duroy déclara, d'un ton furieux et indigné : « En voilà une boîte ! Alors, allez me l'acheter. » Le garçon y courut, la rapporta. Duroy se mit à lire son article ; et plusieurs fois il dit, tout haut : « Très bien, très bien » ! pour attirer l'attention des voisins et leur inspirer le désir de savoir ce qu'il y avait dans cette feuille. Puis il la laissa sur la table en s'en allant. Le patron s'en aperçut, le rappela :

« Monsieur, monsieur, vous oubliez votre journal ! Et Duroy répondit :

« Je vous le laisse, je l'ai lu. Il y a d'ailleurs aujourd'hui, dedans, une chose très intéressante. Il ne désigna pas la chose, mais il vit, en s'en allant, un de ses voisins prendre La Vie Française sur la table où il l'avait laissée.

Il pensa : « Que vais-je faire, maintenant ? » Et il se décida à aller à son bureau toucher son mois et donner sa démission. Il tressaillait d'avance de plaisir à la pensée de la tête que feraient son chef et ses collègues. L'idée de l'effarement du chef, surtout, le ravissait.

Il marchait lentement pour ne pas arriver avant neuf heures et demie, la caisse n'ouvrant qu'à dix heures.

Son bureau était une grande pièce sombre, où il fallait tenir le gaz allumé presque tout le jour en hiver. Elle donnait sur une cour étroite, en face d'autres bureaux. Ils étaient huit employés là-dedans, plus un sous-chef dans un coin, caché derrière un paravent.

Duroy alla d'abord chercher ses cent dix-huit francs vingt-cinq centimes, enfermés dans une enveloppe jaune et déposés dans le tiroir du commis chargé des paiements, puis il pénétra d'un air vainqueur dans la vaste salle de travail où il avait déjà passé tant de jours.

Dès qu'il fut entré, le sous-chef, M. Potel, l'appela :

« Ah ! c'est vous, monsieur Duroy ? Le chef vous a déjà demandé plusieurs fois. Vous savez qu'il n'admet pas qu'on soit malade deux jours de suite sans attestation du médecin. Duroy, qui se tenait debout au milieu du bureau, préparant son effet, répondit d'une voix forte :

« Je m'en fiche un peu, par exemple ! Il y eut parmi les employés un mouvement de stupéfaction, et la tête de M. Potel apparut, effarée, au-dessus du paravent qui l'enfermait comme une boîte.

Il se barricadait là-dedans, par crainte des courants d'air, car il était rhumatisant. Il avait seulement percé deux trous dans le papier pour surveiller son personnel.

On entendait voler les mouches. Le sous-chef, enfin, demanda avec hésitation :

« Vous avez dit ?

– J'ai dit que je m'en fichais un peu. Je ne viens aujourd'hui que pour donner ma démission. Je suis entré comme rédacteur à La Vie Française avec cinq cents francs par mois, plus les lignes. J'y ai même débuté ce matin. Il s'était pourtant promis de faire durer le plaisir, mais il n'avait pu résister à l'envie de tout lâcher d'un seul coup.

L'effet, du reste, était complet. Personne ne bougeait.

Alors Duroy déclara :

« Je vais prévenir M. Perthuis, puis je viendrai vous faire mes adieux. Et il sortit pour aller trouver le chef, qui s'écria en l'apercevant :

« Ah ! vous voilà. Vous savez que je ne veux pas… »

L'employé lui coupa la parole :

« Ce n'est pas la peine de gueuler comme ça… »

M. Perthuis, un gros homme rouge comme une crête de coq, demeura suffoqué par la surprise.

Duroy reprit :

« J'en ai assez de votre boutique. J'ai débuté ce matin dans le journalisme, où on me fait une très belle position. J'ai bien l'honneur de vous saluer. Et il sortit. Il était vengé.

Il alla en effet serrer la main de ses anciens collègues, qui osaient à peine lui parler, par peur de se compromettre, car on avait entendu sa conversation avec le chef, la porte étant restée ouverte.

Et il se retrouva dans la rue avec son traitement dans sa poche. Il se paya un déjeuner succulent dans un bon restaurant à prix modérés qu'il connaissait ; puis, ayant encore acheté et laissé La Vie Française sur la table où il avait mangé, il pénétra dans plusieurs magasins où il acheta de menus objets, rien que pour les faire livrer chez lui et donner son nom – Georges Duroy. – Il ajoutait : « Je suis le rédacteur de La Vie Française . Puis il indiquait la rue et le numéro, en ayant soin de stipuler : « Vous laisserez chez le concierge. Comme il avait encore du temps, il entra chez un lithographe qui fabriquait des cartes de visite à la minute, sous les yeux des passants ; et il s'en fit faire immédiatement une centaine, qui portaient, imprimée sous son nom, sa nouvelle qualité.

Puis il se rendit au journal.

Forestier le reçut de haut, comme on reçoit un inférieur :

« Ah ! te voilà, très bien. J'ai justement plusieurs affaires pour toi. Attends-moi dix minutes. Je vais d'abord finir ma besogne. Et il continua une lettre commencée.

À l'autre bout de la grande table, un petit homme très pâle, bouffi, très gras, chauve, avec un crâne tout blanc et luisant, écrivait, le nez sur son papier, par suite d'une myopie excessive.

Forestier lui demanda :

« Dis donc, Saint-Potin, à quelle heure vas-tu interviewer nos gens ?

– À quatre heures.

– Tu emmèneras avec toi le jeune Duroy ici présent, et tu lui dévoileras les arcanes du métier.

– C'est entendu. Puis, se tournant vers son ami, Forestier ajouta :

« As-tu apporté la suite sur l'Algérie ? Le début de ce matin a eu beaucoup de succès. Duroy, interdit, balbutia :

« Non, – j'avais cru avoir le temps dans l'après-midi, – j'ai eu un tas de choses à faire, – je n'ai pas pu… »

L'autre leva les épaules d'un air mécontent :

« Si tu n'es pas plus exact que ça, tu rateras ton avenir, toi. Le père Walter comptait sur ta copie. Je vais lui dire que ce sera pour demain. Si tu crois que tu seras payé pour ne rien faire, tu te trompes. Puis, après un silence, il ajouta :

« On doit battre le fer quand il est chaud, que diable ! Saint-Potin se leva :

« Je suis prêt », dit-il.

Alors Forestier se renversant sur sa chaise, prit une pose presque solennelle pour donner ses instructions, et, se tournant vers Duroy :

« Voilà. Nous avons à Paris depuis deux jours le général chinois Li-Theng-Fao, descendu au Continental, et le rajah Taposahib Ramaderao Pali, descendu à l'hôtel Bristol. Vous allez leur prendre une conversation. Puis, se tournant vers Saint-Potin :

« N'oublie point les principaux points que je t'ai indiqués. Demande au général et au rajah leur opinion sur les menées de l'Angleterre dans l'Extrême-Orient, leurs idées sur son système de colonisation et de domination, leurs espérances relatives à l'intervention de l'Europe, et de la France en particulier, dans leurs affaires. Il se tut, puis il ajouta, parlant à la cantonade :

« Il sera on ne peut plus intéressant pour nos lecteurs de savoir en même temps ce qu'on pense en Chine et dans les Indes sur ces questions, qui passionnent si fort l'opinion publique en ce moment. Il ajouta, pour Duroy :

« Observe comment Saint-Potin s'y prendra, c'est un excellent reporter, et tâche d'apprendre les ficelles pour vider un homme en cinq minutes. Puis il recommença à écrire avec gravité, avec l'intention évidente de bien établir les distances, de bien mettre à sa place son ancien camarade et nouveau confrère.

Dès qu'ils eurent franchi la porte, Saint-Potin se mit à rire et dit à Duroy :

« En voilà un faiseur ! Il nous la fait à nous-mêmes. On dirait vraiment qu'il nous prend pour ses lecteurs. » Puis ils descendirent sur le boulevard, et le reporter demanda :

« Buvez-vous quelque chose ?

– Oui, volontiers. Il fait très chaud. Ils entrèrent dans un café et se firent servir des boissons fraîches. Et Saint-Potin se mit à parler. Il parla de tout le monde et du journal avec une profusion de détails surprenants.

« Le patron ? Un vrai juif ! Et vous savez, les juifs on ne les changera jamais. Quelle race ! » Et il cita des traits étonnants d'avarice, de cette avarice particulière aux fils d'Israël, des économies de dix centimes, des marchandages de cuisinière, des rabais honteux demandés et obtenus, toute une manière d'être d'usurier, de prêteur à gages.

« Et avec ça, pourtant, un bon zig qui ne croit à rien et roule tout le monde. Son journal, qui est officieux, catholique, libéral, républicain, orléaniste, tarte à la crème et boutique à treize, n'a été fondé que pour soutenir ses opérations de bourse et ses entreprises de toute sorte. Pour ça, il est très fort, et il gagne des millions au moyen de sociétés qui n'ont pas quatre sous de capital… »

Il allait toujours, appelant Duroy « mon cher ami ».

« Et il a des mots à la Balzac, ce grigou. Figurez-vous que, l'autre jour, je me trouvais dans son cabinet avec cette antique bedole de Norbert, et ce Don Quichotte de Rival, quand Montelin, notre administrateur, arrive, avec sa serviette en maroquin sous le bras, cette serviette que tout Paris connaît. Walter leva le nez et demanda : « Quoi de neuf ? « Montelin répondit avec naïveté : « Je viens de payer les seize mille francs que nous devions au marchand de papier. « Le patron fit un bond, un bond étonnant.

« – Vous dites ?

« – Que je viens de payer M. Privas.

« – Mais vous êtes fou !

« – Pourquoi ?

« – Pourquoi… pourquoi… pourquoi… »

« II ôta ses lunettes, les essuya. Puis il sourit, d'un drôle de sourire qui court autour de ses grosses joues chaque fois qu'il va dire quelque chose de malin ou de fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il prononça : « Pourquoi ? Parce que nous pouvions obtenir là-dessus une réduction de quatre à cinq mille francs. « Montelin, étonné, reprit : « Mais, monsieur le directeur, tous les comptes étaient réguliers, vérifiés par moi et approuvés par vous… »

« Alors le patron, redevenu sérieux, déclara : « On n'est pas naïf comme vous. Sachez, monsieur Montelin, qu'il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger. Et Saint-Potin ajouta avec un hochement de tête de connaisseur :

« Hein ? Est-il à la Balzac, celui-là ? Duroy n'avait pas lu Balzac, mais il répondit avec conviction :

« Bigre oui. Puis le reporter parla de Mme Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux raté, de Rival, une resucée de Fervacques. Puis il en vint à Forestier :

« Quant à celui-là, il a de la chance d'avoir épousé sa femme, voilà tout. Duroy demanda :

« Qu'est-ce au juste que sa femme ? Saint-Potin se frotta les mains :

« Oh ! une rouée, une fine mouche. C'est la maîtresse d'un vieux viveur nommé Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l'a dotée et mariée… »

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d'injurier et de gifler ce bavard. Mais il l'interrompit simplement pour lui demander :

« C'est votre nom, Saint-Potin ? L'autre répondit avec simplicité :

« Non, je m'appelle Thomas. C'est au journal qu'on m'a surnommé Saint-Potin. Et Duroy, payant les consommations, reprit :

« Mais il me semble qu'il est tard et que nous avons deux nobles seigneurs à visiter. Saint-Potin se mit à rire :

« Vous êtes encore naïf, vous ! Alors vous croyez comme ça que je vais aller demander à ce Chinois et à cet Indien ce qu'ils pensent de l'Angleterre ? Comme si je ne le savais pas mieux qu'eux, ce qu'ils doivent penser pour les lecteurs de La Vie Française . J'en ai déjà interviewé cinq cents de ces Chinois, Persans, Hindous, Chiliens, Japonais et autres. Ils répondent tous la même chose, d'après moi. Je n'ai qu'à reprendre mon article sur le dernier venu et à le copier mot pour mot. Ce qui change, par exemple, c'est leur tête, leur nom, leurs titres, leur âge, leur suite. Oh ! là-dessus, il ne faut pas d'erreur, parce que je serais relevé raide par Le Figaro ou Le Gaulois . Mais sur ce sujet le concierge de l'hôtel Bristol et celui du Continental m'auront renseigné en cinq minutes. Nous irons à pied jusque-là en fumant un cigare. Total : cent sous de voiture à réclamer au journal. Voilà, mon cher, comment on s'y prend quand on est pratique. Duroy demanda :

« Ça doit rapporter bon d'être reporter dans ces conditions-là. Le journaliste répondit avec mystère :

« Oui, mais rien ne rapporte autant que les échos, à cause des réclames déguisées. Ils s'étaient levés et suivaient le boulevard, vers la Madeleine. Et Saint-Potin, tout à coup, dit à son compagnon :

« Vous savez, si vous avez à faire quelque chose, je n'ai pas besoin de vous, moi. Duroy lui serra la main, et s'en alla.

L'idée de son article à écrire dans la soirée le tracassait, et il se mit à y songer. Il emmagasina des idées, des réflexions, des jugements, des anecdotes, tout en marchant, et il monta jusqu'au bout de l'avenue des Champs-Élysées, où on ne voyait que de rares promeneurs, Paris étant vide par ces jours de chaleur.

Ayant dîné chez un marchand de vin auprès de l'arc de triomphe de l'Étoile, il revint lentement à pied chez lui par les boulevards extérieurs, et il s'assit devant sa table pour travailler.

Mais dès qu'il eut sous les yeux la grande feuille de papier blanc, tout ce qu'il avait amassé de matériaux s'envola de son esprit, comme si sa cervelle se fût évaporée. Il essayait de ressaisir des bribes de souvenirs et de les fixer : ils lui échappaient à mesure qu'il les reprenait, ou bien ils se précipitaient pêle-mêle, et il ne savait comment les présenter, les habiller, ni par lequel commencer.

Après une heure d'efforts et cinq pages de papier noircies par des phrases de début qui n'avaient point de suite, il se dit : « Je ne suis pas encore assez rompu au métier. Il faut que je prenne une nouvelle leçon. » Et tout de suite la perspective d'une autre matinée avec Mme Forestier, l'espoir de ce long tête-à-tête intime, cordial si doux, le firent tressaillir de désir. Il se coucha bien vite, ayant presque peur à présent de se remettre à la besogne et de réussir tout à coup.

Il ne se leva, le lendemain, qu'un peu tard, éloignant et savourant d'avance le plaisir de cette visite.

Il était dix heures passées quand il sonna chez son ami.

Le domestique répondit :

« C'est que monsieur est en train de travailler. Duroy n'avait point songé que le mari pouvait être là. Il insista cependant : « Dites-lui que c'est moi, pour une affaire pressante. Après cinq minutes d'attente, on le fit entrer dans le cabinet où il avait passé une si bonne matinée.

À la place occupée par lui, Forestier maintenant était assis et écrivait, en robe de chambre, les pieds dans ses pantoufles, la tête couverte d'une petite toque anglaise, tandis que sa femme, enveloppée du même peignoir blanc, et accoudée à la cheminée, dictait, une cigarette à la bouche.

Duroy, s'arrêtant sur le seuil, murmura :

« Je vous demande bien pardon ; je vous dérange ? Et son ami, ayant tourné la tête, une tête furieuse, grogna :

« Qu'est-ce que tu veux encore ? Dépêche-toi, nous sommes pressés. L'autre interdit, balbutiait :

« Non, ce n'est rien, pardon. Mais Forestier, se fâchant :

« Allons, sacrebleu ! ne perds pas de temps ; tu n'as pourtant pas forcé ma porte pour le plaisir de nous dire bonjour. Alors, Duroy, fort troublé, se décida :

« Non… voilà… c'est que… je n'arrive pas encore à faire mon article… et tu as été… vous avez été si… si… gentils la dernière fois que… que j'espérais… que j'ai osé venir… »

Forestier lui coupa la parole :

« Tu te fiches du monde, à la fin ! Alors tu t'imagines que je vais faire ton métier, et que tu n'auras qu'à passer à la caisse au bout du mois, Non ! elle est bonne, celle-là ! La jeune femme continuait à fumer, sans dire un mot, souriant toujours d'un vague sourire qui semblait un masque aimable sur l'ironie de sa pensée.

Et Duroy, rougissant, bégayait : « Excusez-moi… j'avais cru… j'avais pensé… » Puis brusquement, d'une voix claire :

« Je vous demande mille fois pardon, madame, en vous adressant encore mes remerciements les plus vifs pour la chronique si charmante que vous m'avez faite hier. Puis il salua, dit à Charles :

« Je serai à trois heures au journal », et il sortit.

Il retourna chez lui, à grands pas, en grommelant : « Eh bien, je m'en vais la faire celle-là, et tout seul, et ils verront… »

À peine rentré, la colère l'excitant, il se mit à écrire.

Il continua l'aventure commencée par Mme Forestier, accumulant des détails de roman feuilleton, des péripéties surprenantes et des descriptions ampoulées, avec une maladresse de style de collégien et des formules de sous-officier. En une heure, il eut terminé une chronique qui ressemblait à un chaos de folies, et il la porta, avec assurance, à La Vie Française .

La première personne qu'il rencontra fut Saint-Potin qui, lui serrant la main avec une énergie de complice, demanda :

« Vous avez lu ma conversation avec le Chinois et avec l'Hindou. Est-ce assez drôle ? Ça a amusé tout Paris. Et je n'ai pas vu seulement le bout de leur nez. Duroy, qui n'avait rien lu, prit aussitôt le journal, et il parcourut de l'œil un long article intitulé « Inde et Chine », pendant que le reporter lui indiquait et soulignait les passages les plus intéressants.

Forestier survint, soufflant, pressé, l'air effaré :

« Ah ! bon, j'ai besoin de vous deux. Et il leur indiqua une série d'informations politiques qu'il fallait se procurer pour le soir même.

Duroy lui tendit son article.

« Voici la suite sur l'Algérie,

– Très bien, donne : je vais la remettre au patron. Ce fut tout.

Saint-Potin entraîna son nouveau confrère, et, lorsqu'ils furent dans le corridor, il lui dit :

« Avez-vous passé à la caisse ?

– Non. Pourquoi ?

– Pourquoi ?

Pour vous faire payer. Voyez-vous, il faut toujours prendre un mois d'avance. On ne sait pas ce qui peut arriver.

– Mais… je ne demande pas mieux.

– Je vais vous présenter au caissier. Il ne fera point de difficultés. On paie bien ici. Et Duroy alla toucher ses deux cents francs, plus vingt-huit francs pour son article de la veille, qui, joints à ce qui lui restait de son traitement du chemin de fer, lui faisaient trois cent quarante francs en poche.

Jamais il n'avait tenu pareille somme, et il se crut riche pour des temps indéfinis.

Puis Saint-Potin l'emmena bavarder dans les bureaux de quatre ou cinq feuilles rivales, espérant que les nouvelles qu'on l'avait chargé de recueillir avaient été prises déjà par d'autres, et qu'il saurait bien les leur souffler, grâce à l'abondance et à l'astuce de sa conversation.

Le soir venu, Duroy, qui n'avait plus rien à faire, songea à retourner aux Folies-Bergère, et, payant d'audace, il se présenta au contrôle :

« Je m'appelle Georges Duroy, rédacteur à La Vie Française . Je suis venu l'autre jour avec M. Forestier, qui m'avait promis de demander mes entrées. Je ne sais s'il y a songé. On consulta un registre. Son nom ne s'y trouvait pas inscrit. Cependant le contrôleur, homme très affable, lui dit :

« Entrez toujours, monsieur, et adressez vous-même votre demande à M. le directeur, qui y fera droit assurément. Il entra, et presque aussitôt, il rencontra Rachel, la femme emmenée le premier soir.

Elle vint à lui :

« Bonjour, mon chat. Tu vas bien ?

Très bien, et toi ?

– Moi, pas mal. Tu ne sais pas, j'ai rêvé deux fois de toi depuis l'autre jour. Duroy sourit, flatté :

« Ah ! ah ! et qu'est-ce que ça prouve ?

– Ça prouve que tu m'as plu, gros serin, et que nous recommencerons quand ça te dira.

– Aujourd'hui si tu veux.

– Oui, je veux bien.

– Bon, mais écoute… » Il hésitait, un peu confus de ce qu'il allait faire ; « C'est que, cette fois, je n'ai pas le sou : je viens du cercle, où j'ai tout claqué. Elle le regardait au fond des yeux, flairant le mensonge avec son instinct et sa pratique de fille habituée aux roueries et aux marchandages des hommes. Elle dit :

« Blagueur ! Tu sais, ça n'est pas gentil avec moi cette manière-là. Il eut un sourire embarrassé :

« Si tu veux dix francs, c'est tout ce qui me reste. Elle murmura avec un désintéressement de courtisane qui se paie un caprice :

« Ce qui te plaira, mon chéri : je ne veux que toi. Et levant ses yeux séduits vers la moustache du jeune homme, elle prit son bras et s'appuya dessus amoureusement :

« Allons boire une grenadine d'abord. Et puis nous ferons un tour ensemble. Moi, je voudrais aller à l'Opéra, comme ça, avec toi, pour te montrer. Et puis nous rentrerons de bonne heure, n'est-ce pas ? ........

Il dormit tard chez cette fille. Il faisait jour quand il sortit, et la pensée lui vint aussitôt d'acheter La Vie Française . Il ouvrit le journal d'une main fiévreuse ; sa chronique n'y était pas ; et il demeurait debout sur le trottoir, parcourant anxieusement de l'œil les colonnes imprimées avec l'espoir d'y trouver enfin ce qu'il cherchait.

Quelque chose de pesant tout à coup accablait son cœur, car, après la fatigue d'une nuit d'amour, cette contrariété tombant sur sa lassitude avait le poids d'un désastre.

Il remonta chez lui et s'endormit tout habillé sur son lit.

En entrant quelques heures plus tard dans les bureaux de la rédaction, il se présenta devant M. Walter :

« J'ai été tout surpris ce matin, monsieur, de ne pas trouver mon second article sur l'Algérie. Le directeur leva la tête, et d'une voix sèche :

« Je l'ai donné à votre ami Forestier, en le priant de le lire ; il ne l'a pas trouvé suffisant ; il faudra me le refaire. Duroy, furieux, sortit sans répondre un mot, et, pénétrant brusquement dans le cabinet de son camarade :

« Pourquoi n'as-tu pas fait paraître, ce matin, ma chronique ? Le journaliste fumait une cigarette, le dos au fond de son fauteuil et les pieds sur sa table, salissant de ses talons un article commencé. Il articula tranquillement avec un son de voix ennuyé et lointain, comme s'il parlait du fond d'un trou :

« Le patron l'a trouvé mauvais, et m'a chargé de te le remettre pour le recommencer. Tiens, le voilà. Et il indiquait du doigt les feuilles dépliées sous un presse-papiers.

Duroy, confondu, ne trouva rien à dire, et, comme il mettait sa prose dans sa poche, Forestier reprit :

« Aujourd'hui tu vas te rendre d'abord à la préfecture… »

Et il indiqua une série de courses d'affaires, de nouvelles à recueillir. Duroy s'en alla, sans avoir pu découvrir le mot mordant qu'il cherchait.

Il rapporta son article le lendemain. Il lui fut rendu de nouveau. L'ayant refait une troisième fois, et le voyant refusé, il comprit qu'il allait trop vite et que la main de Forestier pouvait seule l'aider dans sa route.

Il ne parla donc plus des Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, en se promettant d'être souple et rusé, puisqu'il le fallait, et de faire, en attendant mieux, son métier de reporter avec zèle.

Il connut les coulisses des théâtres et celles de la politique, les corridors et le vestibule des hommes d'État et de la Chambre des députés, les figures importantes des attachés de cabinet et les mines renfrognées des huissiers endormis.

Il eut des rapports continus avec des ministres, des concierges, des généraux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des évêques, des proxénètes, des rastaquouères, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garçons de café et bien d'autres, étant devenu l'ami intéressé et indifférent de tous ces gens, les confondant dans son estime, les toisant à la même mesure, les jugeant avec le même œil, à force de les voir tous les jours, à toute heure, sans transition d'esprit, et de parler avec eux tous des mêmes affaires concernant son métier. Il se comparait lui-même à un homme qui goûterait coup sur coup les échantillons de tous les vins, et ne distinguerait bientôt plus le Château-Margaux de l'Argenteuil. Il devint en peu de temps un remarquable reporter, sûr de ses informations, rusé, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le père Walter, qui s'y connaissait en rédacteurs.

Cependant, comme il ne touchait que dix centimes la ligne, plus ses deux cents francs de fixe, et comme la vie de boulevard, la vie de café, la vie de restaurant coûte cher, il n'avait jamais le sou et se désolait de sa misère.

C'est un truc à saisir, pensait-il, en voyant certains confrères aller la poche pleine d'or, sans jamais comprendre quels moyens secrets ils pouvaient bien employer pour se procurer cette aisance. Et il soupçonnait avec envie des procédés inconnus et suspects, des services rendus, toute une contrebande acceptée et consentie. Or, il lui fallait pénétrer le mystère, entrer dans l'association tacite, s'imposer aux camarades qui partageaient sans lui.

Et il rêvait souvent le soir, en regardant de sa fenêtre passer les trains, aux procédés qu'il pourrait employer.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 4 Bel Ami - Part 1 Chapter 4 ベルアミ - 第1部 第4章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 4

– IV –

Georges Duroy dormit mal, tant le désir de voir imprimé son article. Georges Duroy slept badly, so much the desire to see his article printed. Dès que le jour parut, il fut debout, et il rôdait dans la rue bien avant l’heure où les porteurs de journaux vont, en courant, de kiosque en kiosque. As soon as it was day, he was up, and he was prowling in the street long before the newspaper carriers ran from newsstands to kiosks.

Alors il gagna la gare Saint-Lazare, sachant bien que La Vie Française y arriverait avant de parvenir dans son quartier. Then he went to the Gare Saint-Lazare, knowing that La Vie Francaise would arrive there before arriving in his neighborhood. Comme il était encore trop tôt, il erra sur le trottoir. As he was still too early, he wandered on the sidewalk.

Il vit arriver la marchande, qui ouvrit sa boutique de verre, puis il aperçut un homme portant sur sa tête un tas de grands papiers pliés. He saw the merchant arrive, who opened her glass shop, then saw a man carrying a pile of large folded papers on his head. Il se précipita : c’étaient Le Figaro , le Gil-Blas , Le Gaulois , L’Événement , et deux ou trois autres feuilles du matin ; mais La Vie Française n’y était pas.

Une peur le saisit. A fear seizes him. « Si on avait remis au lendemain Les Souvenirs d’un chasseur d’Afrique, ou si, par hasard, la chose n’avait pas plu, au dernier moment, au père Walter ? "If the memories of an African hunter had been postponed, or if, by chance, the thing had not pleased Father Walter at the last moment? En redescendant vers le kiosque, il s’aperçut qu’on vendait le journal, sans qu’il l’eût vu apporter. Going down to the kiosk, he noticed that the newspaper was being sold without him having seen it brought. Il se précipita, le déplia, après avoir jeté les trois sous, et parcourut les titres de la première page. He rushed forward, unfolded it, after throwing the three sous, and ran through the headlines on the first page. – Rien. – Son cœur se mit à battre ; il ouvrit la feuille, et il eut une forte émotion en lisant, au bas d’une colonne, en grosses lettres : « Georges Duroy. » Ça y était ! " It was there ! quelle joie !

Il se mit à marcher, sans penser, le journal à la main, le chapeau sur le côté, avec une envie d’arrêter les passants pour leur dire : « Achetez ça – achetez ça ! He began to walk, without thinking, the newspaper in his hand, the hat on his side, with a desire to stop passers-by to tell them: "Buy that - buy that! Il y a un article, de moi. » – Il aurait voulu pouvoir crier de tous ses poumons, comme font certains hommes, le soir, sur les boulevards : « Lisez La Vie Française , lisez l’article de Georges Duroy : Les Souvenirs d’un chasseur d’Afrique. "He would have liked to be able to shout with all his lungs, as do some men, in the evening, on the boulevards:" Read La Vie Francaise, read the article by Georges Duroy: The Memories of a hunter of Africa. » Et, tout à coup, il éprouva le désir de lire lui-même cet article, de le lire dans un endroit public, dans un café, bien en vue. Et il chercha un établissement qui fût déjà fréquenté. And he looked for an establishment that was already frequented. Il lui fallut marcher longtemps. He had to walk a long time. Il s’assit enfin devant une espèce de marchand de vin où plusieurs consommateurs étaient déjà installés, et il demanda : « Un rhum », comme il aurait demandé : « Une absinthe », sans songer à l’heure. He finally sat down in front of a kind of wine-shop where several consumers were already settled, and he asked: "A rum," as he would have asked, "An absinthe," without thinking of the hour. Puis il appela : « Garçon, donnez-moi La Vie Française . Then he called, "Boy, give me La Vie Francaise. Un homme à tablier blanc accourut : A man with a white apron ran up:

« Nous ne l’avons pas, monsieur, nous ne recevons que Le Rappel, Le Siècle, La Lanterne, et Le Petit Parisien. "We do not have it, sir, we only receive The Reminder, The Century, The Lantern, and The Little Parisian. Duroy déclara, d’un ton furieux et indigné : « En voilà une boîte ! Duroy declared, furiously and indignantly, "Here's a box! Alors, allez me l’acheter. » Le garçon y courut, la rapporta. The boy ran, reported it. Duroy se mit à lire son article ; et plusieurs fois il dit, tout haut : « Très bien, très bien » ! pour attirer l’attention des voisins et leur inspirer le désir de savoir ce qu’il y avait dans cette feuille. Puis il la laissa sur la table en s’en allant. Le patron s’en aperçut, le rappela :

« Monsieur, monsieur, vous oubliez votre journal ! Et Duroy répondit :

« Je vous le laisse, je l’ai lu. Il y a d’ailleurs aujourd’hui, dedans, une chose très intéressante. Il ne désigna pas la chose, mais il vit, en s’en allant, un de ses voisins prendre La Vie Française sur la table où il l’avait laissée. He did not point to the thing, but he saw, on leaving, one of his neighbors take La Vie Francaise on the table where he had left her.

Il pensa : « Que vais-je faire, maintenant ? He thought, "What am I going to do now? » Et il se décida à aller à son bureau toucher son mois et donner sa démission. And he decided to go to his office to touch his month and give his resignation. Il tressaillait d’avance de plaisir à la pensée de la tête que feraient son chef et ses collègues. He shook in anticipation of pleasure at the thought of the head that would make his leader and his colleagues. L’idée de l’effarement du chef, surtout, le ravissait. The idea of the Chief's alarm, especially, delighted him.

Il marchait lentement pour ne pas arriver avant neuf heures et demie, la caisse n’ouvrant qu’à dix heures. He walked slowly so as not to arrive before half-past nine, the box opening at ten o'clock.

Son bureau était une grande pièce sombre, où il fallait tenir le gaz allumé presque tout le jour en hiver. His office was a big dark room, where it was necessary to keep the gas lit most of the day in winter. Elle donnait sur une cour étroite, en face d’autres bureaux. It overlooked a narrow courtyard, opposite other offices. Ils étaient huit employés là-dedans, plus un sous-chef dans un coin, caché derrière un paravent. There were eight employees in there, plus a sous-chef in a corner, hidden behind a screen.

Duroy alla d’abord chercher ses cent dix-huit francs vingt-cinq centimes, enfermés dans une enveloppe jaune et déposés dans le tiroir du commis chargé des paiements, puis il pénétra d’un air vainqueur dans la vaste salle de travail où il avait déjà passé tant de jours. Duroy first went to fetch his one hundred and eighteen francs, twenty-five centimes, enclosed in a yellow envelope and placed in the drawer of the clerk in charge of the payments, then he penetrated with a victorious air in the vast room of work where he had already spent so many days.

Dès qu’il fut entré, le sous-chef, M. Potel, l’appela : As soon as he entered, the deputy chief, Mr. Potel, called him:

« Ah ! "Ah! c’est vous, monsieur Duroy ? Le chef vous a déjà demandé plusieurs fois. The chef has already asked you several times. Vous savez qu’il n’admet pas qu’on soit malade deux jours de suite sans attestation du médecin. You know that he does not admit that he is sick two days in a row without a doctor's certificate. Duroy, qui se tenait debout au milieu du bureau, préparant son effet, répondit d’une voix forte : Duroy, who was standing in the middle of the desk, preparing his effect, replied in a loud voice:

« Je m’en fiche un peu, par exemple ! "I do not care a bit, for example! Il y eut parmi les employés un mouvement de stupéfaction, et la tête de M. Potel apparut, effarée, au-dessus du paravent qui l’enfermait comme une boîte. There was a movement of stupefaction among the employees, and M. Potel's head appeared, frightened, above the screen which shut it up like a box.

Il se barricadait là-dedans, par crainte des courants d’air, car il était rhumatisant. He was barricading himself in there for fear of drafts because he was rheumatic. Il avait seulement percé deux trous dans le papier pour surveiller son personnel. He had only punched two holes in the paper to monitor his staff.

On entendait voler les mouches. We could hear flies fly. Le sous-chef, enfin, demanda avec hésitation :

« Vous avez dit ?

– J’ai dit que je m’en fichais un peu. - I said I didn't really care. Je ne viens aujourd’hui que pour donner ma démission. I only come today to give my resignation. Je suis entré comme rédacteur à La Vie Française avec cinq cents francs par mois, plus les lignes. I entered as an editor at La Vie Francaise with five hundred francs a month plus the lines. J’y ai même débuté ce matin. I even started this morning. Il s’était pourtant promis de faire durer le plaisir, mais il n’avait pu résister à l’envie de tout lâcher d’un seul coup. He had promised to prolong the pleasure, but he could not resist the urge to drop everything at once.

L’effet, du reste, était complet. The effect, moreover, was complete. Personne ne bougeait.

Alors Duroy déclara : So Duroy said:

« Je vais prévenir M. Perthuis, puis je viendrai vous faire mes adieux. "I will inform M. Perthuis, and then I will come to bid you farewell. Et il sortit pour aller trouver le chef, qui s’écria en l’apercevant : And he went out to find the chief, who exclaimed on seeing him:

« Ah ! vous voilà. Vous savez que je ne veux pas… » You know I do not want to ... "

L’employé lui coupa la parole : The employee cut him off:

« Ce n’est pas la peine de gueuler comme ça… » "It's not worth yelling like that ..."

M. Perthuis, un gros homme rouge comme une crête de coq, demeura suffoqué par la surprise. Mr. Perthuis, a big red man like a cock's ridge, was suffocated by surprise.

Duroy reprit :

« J’en ai assez de votre boutique. J’ai débuté ce matin dans le journalisme, où on me fait une très belle position. J’ai bien l’honneur de vous saluer. I have the honor to greet you. Et il sortit. Il était vengé. He was avenged.

Il alla en effet serrer la main de ses anciens collègues, qui osaient à peine lui parler, par peur de se compromettre, car on avait entendu sa conversation avec le chef, la porte étant restée ouverte. He went to shake hands with his former colleagues, who scarcely dared to speak to him, for fear of compromising themselves, for his conversation with the chief had been heard, the door having remained open.

Et il se retrouva dans la rue avec son traitement dans sa poche. And he found himself in the street with his treatment in his pocket. Il se paya un déjeuner succulent dans un bon restaurant à prix modérés qu’il connaissait ; puis, ayant encore acheté et laissé La Vie Française sur la table où il avait mangé, il pénétra dans plusieurs magasins où il acheta de menus objets, rien que pour les faire livrer chez lui et donner son nom – Georges Duroy. He paid himself a delicious lunch in a good restaurant at moderate prices that he knew; then, having bought and left La Vie Francaise on the table where he had eaten, he entered several stores where he bought small items, just to have them delivered to his house and give his name - Georges Duroy. – Il ajoutait : « Je suis le rédacteur de La Vie Française . He added: "I am the editor of La Vie Francaise. Puis il indiquait la rue et le numéro, en ayant soin de stipuler : « Vous laisserez chez le concierge. Then he indicated the street and the number, being careful to stipulate: "You will leave at the concierge's. Comme il avait encore du temps, il entra chez un lithographe qui fabriquait des cartes de visite à la minute, sous les yeux des passants ; et il s’en fit faire immédiatement une centaine, qui portaient, imprimée sous son nom, sa nouvelle qualité. As he still had time, he went to a lithographer who was making business cards by the minute, under the eyes of passers-by; and he had immediately made a hundred of them, which bore, under his name, his new quality.

Puis il se rendit au journal. Then he went to the newspaper.

Forestier le reçut de haut, comme on reçoit un inférieur : Forestier received him from above, as one receives a lower one:

« Ah ! te voilà, très bien. J’ai justement plusieurs affaires pour toi. I have several cases for you. Attends-moi dix minutes. Je vais d’abord finir ma besogne. I will finish my job first. Et il continua une lettre commencée. And he continued a letter started.

À l’autre bout de la grande table, un petit homme très pâle, bouffi, très gras, chauve, avec un crâne tout blanc et luisant, écrivait, le nez sur son papier, par suite d’une myopie excessive. At the other end of the large table, a small, very pale, puffy, very fat, bald man, with a whitish, gleaming skull, wrote, his nose on his paper, as a result of excessive myopia.

Forestier lui demanda :

« Dis donc, Saint-Potin, à quelle heure vas-tu interviewer nos gens ? "Tell me, Saint-Potin, what time are you going to interview our people?

– À quatre heures. - At four o'clock.

– Tu emmèneras avec toi le jeune Duroy ici présent, et tu lui dévoileras les arcanes du métier. - You will take with you the young Duroy here, and you will reveal him the mysteries of the trade.

– C’est entendu. Puis, se tournant vers son ami, Forestier ajouta : Then, turning to his friend, Forestier added:

« As-tu apporté la suite sur l’Algérie ? "Have you brought the sequel to Algeria? Le début de ce matin a eu beaucoup de succès. The beginning of this morning was very successful. Duroy, interdit, balbutia : Duroy, forbidden, stammered:

« Non, – j’avais cru avoir le temps dans l’après-midi, – j’ai eu un tas de choses à faire, – je n’ai pas pu… » "No, - I thought I had time in the afternoon, - I had a lot of things to do, - I could not ..."

L’autre leva les épaules d’un air mécontent : The other lifted his shoulders with an air of dissatisfaction:

« Si tu n’es pas plus exact que ça, tu rateras ton avenir, toi. "If you are not more accurate than that, you will miss your future, you. Le père Walter comptait sur ta copie. Father Walter was counting on your copy. Je vais lui dire que ce sera pour demain. I'll tell him it will be tomorrow. Si tu crois que tu seras payé pour ne rien faire, tu te trompes. If you think you'll get paid for doing nothing, you're wrong. Puis, après un silence, il ajouta : Then, after a silence, he added:

« On doit battre le fer quand il est chaud, que diable ! "We must beat the iron when it is hot, what the hell! Saint-Potin se leva : Saint-Potin stood up:

« Je suis prêt », dit-il. "I'm ready," he says.

Alors Forestier se renversant sur sa chaise, prit une pose presque solennelle pour donner ses instructions, et, se tournant vers Duroy : Then Forestier, throwing himself back on his chair, took an almost solemn pose to give his instructions, and, turning to Duroy:

« Voilà. Nous avons à Paris depuis deux jours le général chinois Li-Theng-Fao, descendu au Continental, et le rajah Taposahib Ramaderao Pali, descendu à l’hôtel Bristol. We have been in Paris for two days, the Chinese general Li-Theng-Fao, descended to the Continental, and the Rajah Taposahib Ramaderao Pali, descended to the Hotel Bristol. Vous allez leur prendre une conversation. You will take a conversation with them. Puis, se tournant vers Saint-Potin : Then, turning to Saint-Potin:

« N’oublie point les principaux points que je t’ai indiqués. "Do not forget the principal points I have indicated to you. Demande au général et au rajah leur opinion sur les menées de l’Angleterre dans l’Extrême-Orient, leurs idées sur son système de colonisation et de domination, leurs espérances relatives à l’intervention de l’Europe, et de la France en particulier, dans leurs affaires. Ask the general and the rajah their opinion of the conduct of England in the Far East, their ideas on its system of colonization and domination, their hopes for the intervention of Europe, and France in France. particular, in their affairs. Il se tut, puis il ajouta, parlant à la cantonade : He was silent, then added, speaking to the township:

« Il sera on ne peut plus intéressant pour nos lecteurs de savoir en même temps ce qu’on pense en Chine et dans les Indes sur ces questions, qui passionnent si fort l’opinion publique en ce moment. "It will be no more interesting for our readers to know at the same time what is being thought of in China and India about these questions, which are so passionate about public opinion at this moment. Il ajouta, pour Duroy :

« Observe comment Saint-Potin s’y prendra, c’est un excellent reporter, et tâche d’apprendre les ficelles pour vider un homme en cinq minutes. "Observe how Saint-Potin will do it, he's an excellent reporter, and tries to learn the tricks to empty a man in five minutes. Puis il recommença à écrire avec gravité, avec l’intention évidente de bien établir les distances, de bien mettre à sa place son ancien camarade et nouveau confrère. Then he began again to write with gravity, with the evident intention of clearly establishing the distances, to put well in his place his old comrade and new confrere.

Dès qu’ils eurent franchi la porte, Saint-Potin se mit à rire et dit à Duroy : As soon as they stepped through the door, Saint-Potin laughed and said to Duroy:

« En voilà un faiseur ! "Here is a maker! Il nous la fait à nous-mêmes. He does it to us. On dirait vraiment qu’il nous prend pour ses lecteurs. It really looks like he's taking us for his readers. » Puis ils descendirent sur le boulevard, et le reporter demanda : Then they went down on the boulevard, and the reporter asked:

« Buvez-vous quelque chose ? "Do you drink something?

– Oui, volontiers. - Yes, willingly. Il fait très chaud. It's very hot. Ils entrèrent dans un café et se firent servir des boissons fraîches. They entered a cafe and were served cold drinks. Et Saint-Potin se mit à parler. And Saint-Potin began to speak. Il parla de tout le monde et du journal avec une profusion de détails surprenants. He talked about everyone and the newspaper with a wealth of surprising details.

« Le patron ? " The boss ? Un vrai juif ! A real Jew! Et vous savez, les juifs on ne les changera jamais. And you know, Jews will never be changed. Quelle race ! What race ! » Et il cita des traits étonnants d’avarice, de cette avarice particulière aux fils d’Israël, des économies de dix centimes, des marchandages de cuisinière, des rabais honteux demandés et obtenus, toute une manière d’être d’usurier, de prêteur à gages. And he quoted astonishing features of avarice, of that peculiar greed of the sons of Israel, of savings of ten centimes, of haggling, of shameful rebates demanded and obtained, a whole way of being a usurer, pawnbroker.

« Et avec ça, pourtant, un bon zig qui ne croit à rien et roule tout le monde. "And with that, though, a good zig who does not believe in anything and rolls everyone. Son journal, qui est officieux, catholique, libéral, républicain, orléaniste, tarte à la crème et boutique à treize, n’a été fondé que pour soutenir ses opérations de bourse et ses entreprises de toute sorte. His newspaper, which is unofficial, Catholic, Liberal, Republican, Orleanist, cream pie and shop thirteen, was founded only to support its stock market operations and businesses of all kinds. Pour ça, il est très fort, et il gagne des millions au moyen de sociétés qui n’ont pas quatre sous de capital… » For that, he is very strong, and he earns millions by means of companies that do not have four cents of capital ... "

Il allait toujours, appelant Duroy « mon cher ami ». He was always going, calling Duroy "my dear friend".

« Et il a des mots à la Balzac, ce grigou. "And he has words to Balzac, that grigou. Figurez-vous que, l’autre jour, je me trouvais dans son cabinet avec cette antique bedole de Norbert, et ce Don Quichotte de Rival, quand Montelin, notre administrateur, arrive, avec sa serviette en maroquin sous le bras, cette serviette que tout Paris connaît. Do you think that the other day I was in his study with that old Norbertian bedole, and that Don Quixote of Rival, when Montelin, our administrator, arrives, with his moroccan briefcase under his arm, this briefcase which all Paris knows. Walter leva le nez et demanda : « Quoi de neuf ? Walter looked up and asked, "What's up? « Montelin répondit avec naïveté : « Je viens de payer les seize mille francs que nous devions au marchand de papier. "Montelin replied with naivete," I have just paid the sixteen thousand francs we owed to the paper merchant. « Le patron fit un bond, un bond étonnant. "The boss jumped, an amazing leap.

« – Vous dites ?

« – Que je viens de payer M. Privas.

« – Mais vous êtes fou ! " - But you are crazy !

« – Pourquoi ? " - Why ?

« – Pourquoi… pourquoi… pourquoi… »

« II ôta ses lunettes, les essuya. He took off his spectacles and wiped them off. Puis il sourit, d’un drôle de sourire qui court autour de ses grosses joues chaque fois qu’il va dire quelque chose de malin ou de fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il prononça : « Pourquoi ? Then he smiles, a funny smile that runs around his big cheeks every time he's going to say something clever or strong, and with a cheeky and convinced tone, he said, "Why? Parce que nous pouvions obtenir là-dessus une réduction de quatre à cinq mille francs. Because we could get a reduction of four to five thousand francs on it. « Montelin, étonné, reprit : « Mais, monsieur le directeur, tous les comptes étaient réguliers, vérifiés par moi et approuvés par vous… » "Montelin, astonished, continued:" But, sir, all the accounts were regular, verified by me, and approved by you. "

« Alors le patron, redevenu sérieux, déclara : « On n’est pas naïf comme vous. "Then the boss, again serious, said:" We are not naïve like you. Sachez, monsieur Montelin, qu’il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger. Know, Mr. Montelin, that one must always accumulate debts to compromise. Et Saint-Potin ajouta avec un hochement de tête de connaisseur : And Saint-Potin added with a nod of connoisseur:

« Hein ? Est-il à la Balzac, celui-là ? Is he at Balzac, that one? Duroy n’avait pas lu Balzac, mais il répondit avec conviction : Duroy had not read Balzac, but he replied with conviction:

« Bigre oui. "Bigre yes. Puis le reporter parla de Mme Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux raté, de Rival, une resucée de Fervacques. Then the reporter spoke of Mrs. Walter, a great turkey, of Norbert de Varenne, an old failure, of Rival, a reincarnated Fervacques. Puis il en vint à Forestier : Then he came to Forestier:

« Quant à celui-là, il a de la chance d’avoir épousé sa femme, voilà tout. "As for that one, he's lucky to have married his wife, that's all. Duroy demanda :

« Qu’est-ce au juste que sa femme ? "What exactly is his wife? Saint-Potin se frotta les mains : Saint-Potin rubbed his hands:

« Oh ! " Oh ! une rouée, une fine mouche. a wheel, a thin fly. C’est la maîtresse d’un vieux viveur nommé Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l’a dotée et mariée… » She is the mistress of an old viveur named Vaudrec, the Count of Vaudrec, who has endowed and married her ... "

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d’injurier et de gifler ce bavard. Duroy suddenly felt a sensation of cold, a kind of nervous tension, a need to abuse and slap the talker. Mais il l’interrompit simplement pour lui demander : But he simply interrupted and asked him:

« C’est votre nom, Saint-Potin ? "It's your name, Saint-Potin? L’autre répondit avec simplicité : The other answered with simplicity:

« Non, je m’appelle Thomas. "No, my name is Thomas. C’est au journal qu’on m’a surnommé Saint-Potin. It was in the newspaper that I was nicknamed Saint-Potin. Et Duroy, payant les consommations, reprit : And Duroy, paying the consumptions, resumed:

« Mais il me semble qu’il est tard et que nous avons deux nobles seigneurs à visiter. "But it seems to me that it is late and that we have two noble lords to visit. Saint-Potin se mit à rire : Saint-Potin laughed:

« Vous êtes encore naïf, vous ! Alors vous croyez comme ça que je vais aller demander à ce Chinois et à cet Indien ce qu’ils pensent de l’Angleterre ? Comme si je ne le savais pas mieux qu’eux, ce qu’ils doivent penser pour les lecteurs de La Vie Française . J’en ai déjà interviewé cinq cents de ces Chinois, Persans, Hindous, Chiliens, Japonais et autres. Ils répondent tous la même chose, d’après moi. They all answer the same thing, in my opinion. Je n’ai qu’à reprendre mon article sur le dernier venu et à le copier mot pour mot. I just have to take my article on the last come and copy it word for word. Ce qui change, par exemple, c’est leur tête, leur nom, leurs titres, leur âge, leur suite. What changes, for example, is their head, their name, their titles, their age, their suite. Oh ! là-dessus, il ne faut pas d’erreur, parce que je serais relevé raide par Le Figaro ou Le Gaulois . on that point, it should not be mistaken, because I would be relieved by Le Figaro or Le Gaulois. Mais sur ce sujet le concierge de l’hôtel Bristol et celui du Continental m’auront renseigné en cinq minutes. But on this subject the concierge of the Hotel Bristol and that of the Continental will have informed me in five minutes. Nous irons à pied jusque-là en fumant un cigare. We will walk until then smoking a cigar. Total : cent sous de voiture à réclamer au journal. Total: one hundred sous of car to claim in the newspaper. Voilà, mon cher, comment on s’y prend quand on est pratique. That's it, my dear, how do you do it when you're practical? Duroy demanda : Duroy asked:

« Ça doit rapporter bon d’être reporter dans ces conditions-là. "It must be good to be a reporter in these conditions. Le journaliste répondit avec mystère : The journalist answered with mystery:

« Oui, mais rien ne rapporte autant que les échos, à cause des réclames déguisées. "Yes, but nothing pays as much as the echoes, because of disguised advertisements. Ils s’étaient levés et suivaient le boulevard, vers la Madeleine. They had risen and followed the boulevard towards the Madeleine. Et Saint-Potin, tout à coup, dit à son compagnon :

« Vous savez, si vous avez à faire quelque chose, je n’ai pas besoin de vous, moi. "You know, if you have to do something, I do not need you. Duroy lui serra la main, et s’en alla. Duroy shook his hand, and went away.

L’idée de son article à écrire dans la soirée le tracassait, et il se mit à y songer. The idea of his article to write in the evening was bothering him, and he began to think of it. Il emmagasina des idées, des réflexions, des jugements, des anecdotes, tout en marchant, et il monta jusqu’au bout de l’avenue des Champs-Élysées, où on ne voyait que de rares promeneurs, Paris étant vide par ces jours de chaleur. He stored ideas, reflections, judgments, anecdotes, while walking, and he climbed to the end of the Avenue des Champs-Elysees, where we saw only a few strollers, Paris being empty by these days of heat.

Ayant dîné chez un marchand de vin auprès de l’arc de triomphe de l’Étoile, il revint lentement à pied chez lui par les boulevards extérieurs, et il s’assit devant sa table pour travailler. Having dined at a wine-shop near the Arc de Triomphe of the Etoile, he walked slowly home on the outer boulevards, and sat down at his table to work.

Mais dès qu’il eut sous les yeux la grande feuille de papier blanc, tout ce qu’il avait amassé de matériaux s’envola de son esprit, comme si sa cervelle se fût évaporée. But as soon as he saw the large sheet of white paper under his eyes, all he had amassed of material flew from his mind, as if his brain had evaporated. Il essayait de ressaisir des bribes de souvenirs et de les fixer : ils lui échappaient à mesure qu’il les reprenait, ou bien ils se précipitaient pêle-mêle, et il ne savait comment les présenter, les habiller, ni par lequel commencer. He tried to pick up snatches of memories and fix them: they escaped him as he took them back, or they rushed pell-mell, and he did not know how to present them, to dress them, or to begin with.

Après une heure d’efforts et cinq pages de papier noircies par des phrases de début qui n’avaient point de suite, il se dit : « Je ne suis pas encore assez rompu au métier. After an hour of effort and five pages of paper blackened by beginning sentences that had no follow-up, he said to himself: "I am not yet sufficiently broken to the job. Il faut que je prenne une nouvelle leçon. » Et tout de suite la perspective d’une autre matinée avec Mme Forestier, l’espoir de ce long tête-à-tête intime, cordial si doux, le firent tressaillir de désir. And immediately the prospect of another morning with Madame Forestier, the hope of this long, intimate, cordial, so cordial, made her start with desire. Il se coucha bien vite, ayant presque peur à présent de se remettre à la besogne et de réussir tout à coup. He went to bed very quickly, almost afraid now to get back to work and to succeed suddenly.

Il ne se leva, le lendemain, qu’un peu tard, éloignant et savourant d’avance le plaisir de cette visite.

Il était dix heures passées quand il sonna chez son ami.

Le domestique répondit :

« C’est que monsieur est en train de travailler. Duroy n’avait point songé que le mari pouvait être là. Duroy had not dreamed that the husband might be there. Il insista cependant : « Dites-lui que c’est moi, pour une affaire pressante. But he insisted: "Tell him it's me, on urgent business. Après cinq minutes d’attente, on le fit entrer dans le cabinet où il avait passé une si bonne matinée.

À la place occupée par lui, Forestier maintenant était assis et écrivait, en robe de chambre, les pieds dans ses pantoufles, la tête couverte d’une petite toque anglaise, tandis que sa femme, enveloppée du même peignoir blanc, et accoudée à la cheminée, dictait, une cigarette à la bouche.

Duroy, s’arrêtant sur le seuil, murmura : Duroy, stopping on the threshold, murmured:

« Je vous demande bien pardon ; je vous dérange ? Et son ami, ayant tourné la tête, une tête furieuse, grogna :

« Qu’est-ce que tu veux encore ? Dépêche-toi, nous sommes pressés. L’autre interdit, balbutiait :

« Non, ce n’est rien, pardon. Mais Forestier, se fâchant :

« Allons, sacrebleu ! ne perds pas de temps ; tu n’as pourtant pas forcé ma porte pour le plaisir de nous dire bonjour. Alors, Duroy, fort troublé, se décida :

« Non… voilà… c’est que… je n’arrive pas encore à faire mon article… et tu as été… vous avez été si… si… gentils la dernière fois que… que j’espérais… que j’ai osé venir… » "No ... here ... it's that ... I still can not do my article ... and you've been ... you've been so ... so ... nice last time ... that I was hoping ... that I dared to come ... »

Forestier lui coupa la parole : Forestier interrupted him:

« Tu te fiches du monde, à la fin ! "Do not worry about the world, in the end! Alors tu t’imagines que je vais faire ton métier, et que tu n’auras qu’à passer à la caisse au bout du mois, Non ! So you imagine that I'm going to do your job, and that you'll only have to check out at the end of the month, No! elle est bonne, celle-là ! It's a good one there ! La jeune femme continuait à fumer, sans dire un mot, souriant toujours d’un vague sourire qui semblait un masque aimable sur l’ironie de sa pensée. The young woman continued to smoke, without saying a word, still smiling with a vague smile that seemed a kind mask on the irony of her thought.

Et Duroy, rougissant, bégayait : « Excusez-moi… j’avais cru… j’avais pensé… » Puis brusquement, d’une voix claire :

« Je vous demande mille fois pardon, madame, en vous adressant encore mes remerciements les plus vifs pour la chronique si charmante que vous m’avez faite hier. "I beg your pardon a thousand times, ma'am, thanking you most warmly for the charming chronicle you gave me yesterday. Puis il salua, dit à Charles : Then he saluted, said to Charles:

« Je serai à trois heures au journal », et il sortit.

Il retourna chez lui, à grands pas, en grommelant : « Eh bien, je m’en vais la faire celle-là, et tout seul, et ils verront… » He returned home quickly, grumbling, "Well, I'm going to do this one, and all alone, and they'll see ..."

À peine rentré, la colère l’excitant, il se mit à écrire. As soon as he got home, anger excited him, he began to write.

Il continua l’aventure commencée par Mme Forestier, accumulant des détails de roman feuilleton, des péripéties surprenantes et des descriptions ampoulées, avec une maladresse de style de collégien et des formules de sous-officier. He continued the adventure begun by Madame Forestier, accumulating details of a serial novel, surprising episodes, and bombastic descriptions, with clumsiness of college style and NCO formulas. En une heure, il eut terminé une chronique qui ressemblait à un chaos de folies, et il la porta, avec assurance, à La Vie Française . In an hour he had finished a chronicle which looked like a chaos of madness, and he carried it with assurance to La Vie Francaise.

La première personne qu’il rencontra fut Saint-Potin qui, lui serrant la main avec une énergie de complice, demanda : The first person he met was Saint-Potin who, shaking his hand with an energy of accomplice, asked:

« Vous avez lu ma conversation avec le Chinois et avec l’Hindou. "You have read my conversation with the Chinese and with the Hindu. Est-ce assez drôle ? Is it funny enough? Ça a amusé tout Paris. It amused all Paris. Et je n’ai pas vu seulement le bout de leur nez. Duroy, qui n’avait rien lu, prit aussitôt le journal, et il parcourut de l’œil un long article intitulé « Inde et Chine », pendant que le reporter lui indiquait et soulignait les passages les plus intéressants. Duroy, who had read nothing, immediately took the paper, and he scanned a long article entitled "India and China," while the reporter pointed out and pointed out the most interesting passages.

Forestier survint, soufflant, pressé, l’air effaré : Forestier came out, blowing, hurrying, looking scared:

« Ah ! bon, j’ai besoin de vous deux. Et il leur indiqua une série d’informations politiques qu’il fallait se procurer pour le soir même. And he told them a series of political information that had to be obtained for the same evening.

Duroy lui tendit son article. Duroy handed him his article.

« Voici la suite sur l’Algérie, "Here is the sequel to Algeria,

– Très bien, donne : je vais la remettre au patron. - Very good, give: I'll give it to the boss. Ce fut tout. That was all.

Saint-Potin entraîna son nouveau confrère, et, lorsqu’ils furent dans le corridor, il lui dit : Saint-Potin dragged his new confrere, and when they were in the corridor, he said to him:

« Avez-vous passé à la caisse ? "Did you go to the cashier?

– Non. - No. Pourquoi ? Why ?

– Pourquoi ? - Why ?

Pour vous faire payer. To make you pay. Voyez-vous, il faut toujours prendre un mois d’avance. You see, you always have to take a month in advance. On ne sait pas ce qui peut arriver. We do not know what can happen.

– Mais… je ne demande pas mieux. - But ... I do not ask for better.

– Je vais vous présenter au caissier. - I'll introduce you to the cashier. Il ne fera point de difficultés. He will not make any difficulties. On paie bien ici. We pay well here. Et Duroy alla toucher ses deux cents francs, plus vingt-huit francs pour son article de la veille, qui, joints à ce qui lui restait de son traitement du chemin de fer, lui faisaient trois cent quarante francs en poche. And Duroy went to receive his two hundred francs, plus twenty-eight francs for his article of the day before, which, together with what remained to him of his treatment of the railway, made him three hundred and forty francs in his pocket.

Jamais il n’avait tenu pareille somme, et il se crut riche pour des temps indéfinis. He had never held such a sum, and he thought himself rich for indefinite times.

Puis Saint-Potin l’emmena bavarder dans les bureaux de quatre ou cinq feuilles rivales, espérant que les nouvelles qu’on l’avait chargé de recueillir avaient été prises déjà par d’autres, et qu’il saurait bien les leur souffler, grâce à l’abondance et à l’astuce de sa conversation. Then Saint-Potin took him to chat in the offices of four or five rival leaflets, hoping that the news he had been asked to collect had already been taken by others, and that he would know how to blow them, thanks to the abundance and the hint of his conversation.

Le soir venu, Duroy, qui n’avait plus rien à faire, songea à retourner aux Folies-Bergère, et, payant d’audace, il se présenta au contrôle : In the evening, Duroy, who had nothing to do, thought of returning to the Folies-Bergere, and, paying daring, he presented himself to control:

« Je m’appelle Georges Duroy, rédacteur à La Vie Française . Je suis venu l’autre jour avec M. Forestier, qui m’avait promis de demander mes entrées. I came the other day with Mr. Forestier, who had promised to ask for my tickets. Je ne sais s’il y a songé. I do not know if he thought about it. On consulta un registre. A register was consulted. Son nom ne s’y trouvait pas inscrit. His name was not there. Cependant le contrôleur, homme très affable, lui dit : However, the controller, a very kind man, said to him:

« Entrez toujours, monsieur, et adressez vous-même votre demande à M. le directeur, qui y fera droit assurément. "Always come in, sir, and send your request to the director, who will certainly do it." Il entra, et presque aussitôt, il rencontra Rachel, la femme emmenée le premier soir. He entered, and almost immediately, he met Rachel, the woman taken away the first night.

Elle vint à lui : She came to him:

« Bonjour, mon chat. "Hello, my cat. Tu vas bien ? You're okay ?

Très bien, et toi ? Very well and you ?

– Moi, pas mal. - Me, not bad. Tu ne sais pas, j’ai rêvé deux fois de toi depuis l’autre jour. You do not know, I've dreamed twice of you since the other day. Duroy sourit, flatté : Duroy smiles, flattered:

« Ah ! "Ah! ah ! ah! et qu’est-ce que ça prouve ? and what does that prove?

– Ça prouve que tu m’as plu, gros serin, et que nous recommencerons quand ça te dira. - It proves that you liked me, big cannon, and that we will start again when that tells you.

– Aujourd’hui si tu veux. - Today if you want.

– Oui, je veux bien. - Yes I want.

– Bon, mais écoute… » Il hésitait, un peu confus de ce qu’il allait faire ; « C’est que, cette fois, je n’ai pas le sou : je viens du cercle, où j’ai tout claqué. - Good, but listen ... »He hesitated, a little confused of what he was going to do; "This time, I do not have a penny: I come from the circle, where I slammed everything. Elle le regardait au fond des yeux, flairant le mensonge avec son instinct et sa pratique de fille habituée aux roueries et aux marchandages des hommes. She looked at him in the back of her eyes, sniffing out the lie with her instinct and her practice as a girl accustomed to the tricks and haggling of men. Elle dit :

« Blagueur ! "Joker! Tu sais, ça n’est pas gentil avec moi cette manière-là. You know, that's not nice with me that way. Il eut un sourire embarrassé : He had an embarrassed smile:

« Si tu veux dix francs, c’est tout ce qui me reste. "If you want ten francs, that's all I have left. Elle murmura avec un désintéressement de courtisane qui se paie un caprice : She murmured with a disinterested courtesan who paid herself a whim:

« Ce qui te plaira, mon chéri : je ne veux que toi. "What will please you, darling: I only want you. Et levant ses yeux séduits vers la moustache du jeune homme, elle prit son bras et s’appuya dessus amoureusement : And raising her seduced eyes towards the young man's mustache, she took his arm and leaned on it lovingly:

« Allons boire une grenadine d’abord. "Let's go and drink grenadine first. Et puis nous ferons un tour ensemble. And then we'll do a tour together. Moi, je voudrais aller à l’Opéra, comme ça, avec toi, pour te montrer. I would like to go to the Opera, like that, with you, to show you. Et puis nous rentrerons de bonne heure, n’est-ce pas ? And then we'll be home early, will not we? ........ ........

Il dormit tard chez cette fille. He slept late at this girl's house. Il faisait jour quand il sortit, et la pensée lui vint aussitôt d’acheter La Vie Française . It was daylight when he went out, and the thought came to him immediately to buy La Vie Francaise. Il ouvrit le journal d’une main fiévreuse ; sa chronique n’y était pas ; et il demeurait debout sur le trottoir, parcourant anxieusement de l’œil les colonnes imprimées avec l’espoir d’y trouver enfin ce qu’il cherchait. He opened the newspaper with a feverish hand; his column was not there; and he remained standing on the sidewalk, anxiously browsing the printed columns with the hope of finally finding what he was looking for.

Quelque chose de pesant tout à coup accablait son cœur, car, après la fatigue d’une nuit d’amour, cette contrariété tombant sur sa lassitude avait le poids d’un désastre. Something weighing suddenly overwhelmed his heart, for, after the weariness of a night of love, this annoyance falling on his lassitude had the weight of a disaster.

Il remonta chez lui et s’endormit tout habillé sur son lit. He went back home and fell asleep fully dressed on his bed.

En entrant quelques heures plus tard dans les bureaux de la rédaction, il se présenta devant M. Walter :

« J’ai été tout surpris ce matin, monsieur, de ne pas trouver mon second article sur l’Algérie. Le directeur leva la tête, et d’une voix sèche :

« Je l’ai donné à votre ami Forestier, en le priant de le lire ; il ne l’a pas trouvé suffisant ; il faudra me le refaire. "I gave it to your friend Forestier, begging him to read it; he did not find it sufficient; I'll have to do it again. Duroy, furieux, sortit sans répondre un mot, et, pénétrant brusquement dans le cabinet de son camarade : Duroy, furious, went out without answering a word, and, penetrating abruptly into his comrade's closet:

« Pourquoi n’as-tu pas fait paraître, ce matin, ma chronique ? Le journaliste fumait une cigarette, le dos au fond de son fauteuil et les pieds sur sa table, salissant de ses talons un article commencé. The journalist was smoking a cigarette, his back in the back of his chair and his feet on his table, messing with his heels an article started. Il articula tranquillement avec un son de voix ennuyé et lointain, comme s’il parlait du fond d’un trou : He articulated quietly with a sound of bored and distant voice, as if he spoke from the bottom of a hole:

« Le patron l’a trouvé mauvais, et m’a chargé de te le remettre pour le recommencer. "The boss found it bad, and asked me to give it to you to start again. Tiens, le voilà. Well here he is. Et il indiquait du doigt les feuilles dépliées sous un presse-papiers. And he pointed to the unfolded sheets under a clipboard.

Duroy, confondu, ne trouva rien à dire, et, comme il mettait sa prose dans sa poche, Forestier reprit : Duroy, confounded, found nothing to say, and as he put his prose in his pocket, Forestier continued:

« Aujourd’hui tu vas te rendre d’abord à la préfecture… » "Today you will go first to the prefecture ..."

Et il indiqua une série de courses d’affaires, de nouvelles à recueillir. And he pointed to a series of business races, news to collect. Duroy s’en alla, sans avoir pu découvrir le mot mordant qu’il cherchait. Duroy went away, without being able to discover the biting word he was looking for.

Il rapporta son article le lendemain. He reported his article the next day. Il lui fut rendu de nouveau. It was returned to him. L’ayant refait une troisième fois, et le voyant refusé, il comprit qu’il allait trop vite et que la main de Forestier pouvait seule l’aider dans sa route. Having redone it a third time, and seeing it refused, he understood that he was going too fast, and that Forestier's hand alone could help him on his way.

Il ne parla donc plus des Souvenirs d’un chasseur d’Afrique, en se promettant d’être souple et rusé, puisqu’il le fallait, et de faire, en attendant mieux, son métier de reporter avec zèle. He no longer spoke of the Souvenirs of a hunter in Africa, promising himself to be flexible and cunning, since he had to, and to do, while he waited better, his profession of reporter with zeal.

Il connut les coulisses des théâtres et celles de la politique, les corridors et le vestibule des hommes d’État et de la Chambre des députés, les figures importantes des attachés de cabinet et les mines renfrognées des huissiers endormis. He knew the scenes of the theaters and those of politics, the corridors and the vestibule of statesmen and the Chamber of Deputies, the important figures of the clerks of the cabinet and the scowling faces of the sleeping ushers.

Il eut des rapports continus avec des ministres, des concierges, des généraux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des évêques, des proxénètes, des rastaquouères, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garçons de café et bien d’autres, étant devenu l’ami intéressé et indifférent de tous ces gens, les confondant dans son estime, les toisant à la même mesure, les jugeant avec le même œil, à force de les voir tous les jours, à toute heure, sans transition d’esprit, et de parler avec eux tous des mêmes affaires concernant son métier. He had continuous relations with ministers, concierges, generals, police officers, princes, souteneurs, courtesans, ambassadors, bishops, pimps, rastaquouere, men of the world, Greeks, cab drivers, waiters and many others, having become the interested and indifferent friend of all these people, confusing them in his esteem, looking at them to the same extent, judging them with the same eye, by dint of to see them every day, at any time, without transition of mind, and to speak with them all of the same affairs concerning his profession. Il se comparait lui-même à un homme qui goûterait coup sur coup les échantillons de tous les vins, et ne distinguerait bientôt plus le Château-Margaux de l’Argenteuil. He compared himself to a man who would taste the samples of all the wines one after the other, and would no longer distinguish Château-Margaux from Argenteuil. Il devint en peu de temps un remarquable reporter, sûr de ses informations, rusé, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le père Walter, qui s’y connaissait en rédacteurs. He became in a short time a remarkable reporter, sure of his information, cunning, quick, subtle, a real value for the newspaper, as said father Walter, who knew himself as editors.

Cependant, comme il ne touchait que dix centimes la ligne, plus ses deux cents francs de fixe, et comme la vie de boulevard, la vie de café, la vie de restaurant coûte cher, il n’avait jamais le sou et se désolait de sa misère. However, as he only touched ten centimes the line, plus his two hundred francs fixed, and like the life of the boulevard, the life of coffee, the life of restaurant is expensive, he never had the penny and was sorry for his misery.

C’est un truc à saisir, pensait-il, en voyant certains confrères aller la poche pleine d’or, sans jamais comprendre quels moyens secrets ils pouvaient bien employer pour se procurer cette aisance. It's something to seize, he thought, seeing some confreres go pocket full of gold, never understanding what secret means they could use to get this ease. Et il soupçonnait avec envie des procédés inconnus et suspects, des services rendus, toute une contrebande acceptée et consentie. And he suspected with envy unknown and suspicious methods, services rendered, all smuggling accepted and consented. Or, il lui fallait pénétrer le mystère, entrer dans l’association tacite, s’imposer aux camarades qui partageaient sans lui. Now he had to penetrate the mystery, enter into the tacit association, impose himself on the comrades who shared without him.

Et il rêvait souvent le soir, en regardant de sa fenêtre passer les trains, aux procédés qu’il pourrait employer. And he often dreamed at night, watching from his window the trains, the processes he could use.