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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 2

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 2

– II –

« Monsieur Forestier, s'il vous plaît ? – Au troisième, la porte à gauche.

Le concierge avait répondu cela d'une voix aimable où apparaissait une considération pour son locataire. Et Georges Duroy monta l'escalier. Il était un peu gêné, intimidé, mal à l'aise. Il portait un habit pour la première fois de sa vie, et l'ensemble de sa toilette l'inquiétait : Il la sentait défectueuse en tout, par les bottines non vernies mais assez fines cependant, car il avait la coquetterie du pied, par la chemise de quatre francs cinquante achetée le matin même au Louvre, et dont le plastron trop mince ce cassait déjà. Ses autres chemises, celles de tous les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il n'avait pu utiliser même la moins abîmée. Son pantalon, un peu trop large, dessinait mal la jambe, semblait s'enrouler autour du mollet, avait cette apparence fripée que prennent les vêtements d'occasion sur les membres qu'ils recouvrent par aventure. Seul, l'habit n'allait pas mal, s'étant trouvé à peu près juste pour la taille. Il montait lentement les marches, le cœur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru. N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque. Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'œil. Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant. Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire. Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami. En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer.

Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : « Voilà une excellente invention. » Puis, tendant la main vers le timbre, il sonna.

La porte s'ouvrit presque aussitôt, et il se trouva en présence d'un valet en habit noir, grave, rasé, si parfait de tenue que Duroy se troubla de nouveau sans comprendre d'où lui venait cette vague émotion : d'une inconsciente comparaison, peut-être, entre la coupe de leurs vêtements. Ce laquais, qui avait des souliers vernis, demanda en prenant le pardessus que Duroy tenait sur son bras par peur de montrer les taches :

« Qui dois-je annoncer ?

Et il jeta le nom derrière une porte soulevée, dans un salon où il fallait entrer.

Mais Duroy, tout à coup perdant son aplomb, se sentit perclus de crainte, haletant.

Il allait faire son premier pas dans l'existence attendue, rêvée. Il s'avança, pourtant. Une jeune femme blonde était debout qui l'attendait, toute seule, dans une grande pièce bien éclairée et pleine d'arbustes, comme une serre. Il s'arrêta net, tout à fait déconcerté. Quelle était cette dame qui souriait ? Puis il se souvint que Forestier était marié ; et la pensée que cette jolie blonde élégante devait être la femme de son ami acheva de l'effarer. Il balbutia : « Madame, je suis… » Elle lui tendit la main : « Je le sais, monsieur.

Charles m'a raconté votre rencontre d'hier soir, et je suis très heureuse qu'il ait eu la bonne inspiration de vous prier de dîner avec nous aujourd'hui. Il rougit jusqu'aux oreilles, ne sachant plus que dire ; et il se sentait examiné, inspecté des pieds à la tête, pesé, jugé. Il avait envie de s'excuser, d'inventer une raison pour expliquer les négligences de sa toilette ; mais il ne trouva rien, et n'osa pas toucher à ce sujet difficile. Il s'assit sur un fauteuil qu'elle lui désignait, et quand il sentit plier sous lui le velours élastique et doux du siège, quand il se sentit enfoncé, appuyé, étreint par ce meuble caressant dont le dossier et les bras capitonnés le soutenaient délicatement, il lui sembla qu'il entrait dans une vie nouvelle et charmante, qu'il prenait possession de quelque chose de délicieux, qu'il devenait quelqu'un, qu'il était sauvé ; et il regarda Mme Forestier dont les yeux ne l'avaient point quitté. Elle était vêtue d'une robe de cachemire bleu pâle qui dessinait bien sa taille souple et sa poitrine grasse. La chair des bras et de la gorge sortait d'une mousse de dentelle blanche dont étaient garnis le corsage et les courtes manches ; et les cheveux relevés au sommet de la tête, frisant un peu sur la nuque, faisaient un léger nuage de duvet blond au-dessus du cou. Duroy se rassurait sous son regard, qui lui rappelait sans qu'il sût pourquoi, celui de la fille rencontrée la veille aux Folies-Bergère. Elle avait les yeux gris, d'un gris azuré qui en rendait étrange l'expression, le nez mince, les lèvres fortes, le menton un peu charnu, une figure irrégulière et séduisante, pleine de gentillesse et de malice. C'était un de ces visages de femme dont chaque ligne révèle une grâce particulière, semble avoir une signification, dont chaque mouvement paraît dire ou cacher quelque chose. Après un court silence, elle lui demanda :

« Vous êtes depuis longtemps à Paris ?

Il répondit, en reprenant peu à peu possession de lui :

« Depuis quelques mois seulement, madame.

J'ai un emploi dans les chemins de fer ; mais Forestier m'a laissé espérer que je pourrais, grâce à lui, pénétrer dans le journalisme. Elle eut un sourire plus visible, plus bienveillant ; et elle murmura en baissant la voix : « Je sais.

» Le timbre avait tinté de nouveau. Le valet annonça :

« Mme de Marelle.

C'était une petite brune, de celles qu'on appelle des brunettes. Elle entra d'une allure alerte ; elle semblait dessinée, moulée des pieds à la tête dans une robe sombre toute simple. Seule une rose rouge, piquée dans ses cheveux noirs.

attirait l'œil violemment, semblait marquer sa physionomie, accentuer son caractère spécial, lui donner la note vive et brusque qu'il fallait. Une fillette en robe courte la suivait.

Mme Forestier s'élança : « Bonjour, Clotilde.

– Bonjour, Madeleine.

Elles s'embrassèrent. Puis l'enfant tendit son front avec une assurance de grande personne, en prononçant : « Bonjour, cousine.

Mme Forestier la baisa ; puis fit les présentations :

« M. Georges Duroy, un bon camarade de Charles.

« Mme de Marelle, mon amie, un peu ma parente.

Elle ajouta :

« Vous savez, nous sommes ici sans cérémonie, sans façon et sans pose.

C'est entendu, n'est-ce pas ? Le jeune homme s'inclina. Mais la porte s'ouvrit de nouveau, et un petit gros monsieur, court et rond, parut, donnant le bras à une grande et belle femme, plus haute que lui, beaucoup plus jeune, de manières distinguées et d'allure grave. M. Walter, député, financier, homme d'argent et d'affaires, juif et méridional, directeur de La Vie Française , et sa femme, née Basile-Ravalau, fille du banquier de ce nom. Puis parurent, coup sur coup, Jacques Rival, très élégant, et Norbert de Varenne, dont le col d'habit luisait, un peu ciré par le frottement des longs cheveux qui tombaient jusqu'aux épaules, et semaient dessus quelques grains de poussière blanche. Sa cravate, mal nouée, ne semblait pas à sa première sortie.

Il s'avança avec des grâces de vieux beau et, prenant la main de Mme Forestier, mit un baiser sur son poignet. Dans le mouvement qu'il fit en se baissant, sa longue chevelure se répandit comme de l'eau sur le bras nu de la jeune femme. Et Forestier entra à son tour en s'excusant d'être en retard. Mais il avait été retenu au journal par l'affaire Morel. M. Morel, député radical, venait d'adresser une question au ministère sur une demande de crédit relative à la colonisation de l'Algérie. Le domestique cria :

« Madame est servie !

Et on passa dans la salle à manger.

Duroy se trouvait placé entre Mme de Marelle et sa fille.

Il se sentait de nouveau gêné, ayant peur de commettre quelque erreur dans le maniement conventionnel de la fourchette, de la cuiller ou des verres. Il y en avait quatre, dont un légèrement teinté de bleu. Que pouvait-on boire dans celui-là ?

On ne dit rien pendant qu'on mangeait le potage, puis Norbert de Varenne demanda : « Avez-vous lu ce procès Gauthier ? Quelle drôle de chose ! Et on discuta sur le cas d'adultère compliqué de chantage. On n'en parlait point comme on parle, au sein des familles, des événements racontés dans les feuilles publiques, mais comme on parle d'une maladie entre médecins ou de légumes entre fruitiers. On ne s'indignait pas, on ne s'étonnait pas des faits ; on en cherchait les causes profondes, secrètes, avec une curiosité professionnelle et une indifférence absolue pour le crime lui-même. On tâchait d'expliquer nettement les origines des actions, de déterminer tous les phénomènes cérébraux dont était né le drame, résultat scientifique d'un état d'esprit particulier. Les femmes aussi se passionnaient à cette poursuite, à ce travail. Et d'autres événements récents furent examinés, commentés, tournés sous toutes leurs faces, pesés à leur valeur, avec ce coup d'œil pratique et cette manière de voir spéciale des marchands de nouvelles, des débitants de comédie humaine à la ligne, comme on examine, comme on retourne et comme on pèse, chez les commerçants, les objets qu'on va livrer au public. Puis il fut question d'un duel, et Jacques Rival prit la parole. Cela lui appartenait : personne autre ne pouvait traiter cette affaire.

Duroy n'osait point placer un mot. Il regardait parfois sa voisine, dont la gorge ronde le séduisait. Un diamant tenu par un fil d'or pendait au bas de l'oreille, comme une goutte d'eau qui aurait glissé sur la chair. De temps en temps, elle faisait une remarque qui éveillait toujours un sourire sur les lèvres. Elle avait un esprit drôle, gentil, inattendu, un esprit de gamine expérimentée qui voit les choses avec insouciance et les juge avec un scepticisme léger et bienveillant.

Duroy cherchait en vain quelque compliment à lui faire, et, ne trouvant rien, il s'occupait de sa fille, lui versait à boire, lui tenait ses plats, la servait. L'enfant, plus sévère que sa mère, remerciait avec une voix grave, faisait de courts saluts de la tête : « Vous êtes bien aimable, monsieur », et elle écoutait les grandes personnes d'un petit air réfléchi. Le dîner était fort bon, et chacun s'extasiait. M. Walter mangeait comme un ogre, ne parlait presque pas, et considérait d'un regard oblique, glissé sous ses lunettes, les mets qu'on lui présentait. Norbert de Varenne lui tenait tête et laissait tomber parfois des gouttes de sauce sur son plastron de chemise.

Forestier, souriant et sérieux, surveillait, échangeait avec sa femme des regards d'intelligence, à la façon de compères accomplissant ensemble une besogne difficile et qui marche à souhait. Les visages devenaient rouges, les voix s'enflaient. De moment en moment, le domestique murmurait à l'oreille des convives : « Corton – Château-Laroze ? Duroy avait trouvé le corton de son goût et il laissait chaque fois emplir son verre.

Une gaieté délicieuse entrait en lui ; une gaieté chaude, qui lui montait du ventre à la tête, lui courait dans les membres, le pénétrait tout entier. Il se sentait envahi par un bien-être complet, un bien-être de vie et de pensée, de corps et d'âme. Et une envie de parler lui venait, de se faire remarquer, d'être écouté, apprécié comme ces hommes dont on savourait les moindres expressions. Mais la causerie qui allait sans cesse, accrochant les idées les unes aux autres, sautant d'un sujet à l'autre sur un mot, un rien, après avoir fait le tour des événements du jour et avoir effleuré, en passant, mille questions, revint à la grande interpellation de M. Morel sur la colonisation de l'Algérie. M.

Walter, entre deux services, fit quelques plaisanteries, car il avait l'esprit sceptique et gras. Forestier raconta son article du lendemain. Jacques Rival réclama un gouvernement militaire avec des concessions de terre accordées à tous les officiers après trente années de service colonial.

« De cette façon, disait-il, vous créerez une société énergique, ayant appris depuis longtemps à connaître et à aimer le pays, sachant sa langue et au courant de toutes ces graves questions locales auxquelles se heurtent infailliblement les nouveaux venus.

Norbert de Varenne l'interrompit : « Oui… ils sauront tout, excepté l'agriculture. Ils parleront l'arabe, mais ils ignoreront comment on repique des betteraves et comment on sème du blé. Ils seront même forts en escrime, mais très faibles sur les engrais. Il faudrait au contraire ouvrir largement ce pays neuf à tout le monde. Les hommes intelligents s'y feront une place, les autres succomberont. C'est la loi sociale. Un léger silence suivit.

On souriait.

Georges Duroy ouvrit la bouche et prononça, surpris par le son de sa voix, comme s'il ne s'était jamais entendu parler : « Ce qui manque le plus là-bas, c'est la bonne terre. Les propriétés vraiment fertiles coûtent aussi cher qu'en France, et sont achetées, comme placements de fonds, par des Parisiens très riches. Les vrais colons, les pauvres, ceux qui s'exilent faute de pain, sont rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par manque d'eau. Tout le monde le regardait.

Il se sentit rougir. M. Walter demanda :

« Vous connaissez l'Algérie, monsieur ? Il répondit :

« Oui, monsieur, j'y suis resté vingt-huit mois, et j'ai séjourné dans les trois provinces. Et brusquement, oubliant la question Morel, Norbert de Varenne l'interrogea sur un détail de mœurs qu'il tenait d'un officier. Il s'agissait du Mzab, cette étrange petite république arabe née au milieu du Sahara, dans la partie la plus desséchée de cette région brûlante. Duroy avait visité deux fois le Mzab, et il raconta les mœurs de ce singulier pays, où les gouttes d'eau ont la valeur de l'or, où chaque habitant est tenu à tous les services publics, où la probité commerciale est poussée plus loin que chez les peuples civilisés. Il parla avec une certaine verve hâbleuse, excité par le vin et par le désir de plaire ; il raconta des anecdotes de régiment, des traits de la vie arabe, des aventures de guerre.

Il trouva même quelques mots colorés pour exprimer ces contrées jaunes et nues, interminablement désolées sous la flamme dévorante du soleil.

Toutes les femmes avaient les yeux sur lui.

Mme Walter murmura de sa voix lente : « Vous feriez avec vos souvenirs une charmante série d'articles. » Alors Walter considéra le jeune homme par-dessus le verre de ses lunettes, comme il faisait pour bien voir les visages. Il regardait les plats par-dessous.

Forestier saisit le moment :

« Mon cher patron, je vous ai parlé tantôt de M. Georges Duroy, en vous demandant de me l'adjoindre pour le service des informations politiques. Depuis que Marambot nous a quittés, je n'ai personne pour aller prendre des renseignements urgents et confidentiels, et le journal en souffre. Le père Walter devint sérieux et releva tout à fait ses lunettes pour regarder Duroy bien en face.

Puis il dit :

« Il est certain que M. Duroy a un esprit original.

S'il veut bien venir causer avec moi, demain à trois heures, nous arrangerons ça. Puis, après un silence, et se tournant tout à fait vers le jeune homme :

« Mais faites-nous tout de suite une petite série fantaisiste sur l'Algérie. Vous raconterez vos souvenirs, et vous mêlerez à ça la question de la colonisation, comme tout à l'heure. C'est d'actualité, tout à fait d'actualité, et je suis sûr que ça plaira beaucoup à nos lecteurs. Mais dépêchez-vous ! Il me faut le premier article pour demain ou après-demain, pendant qu'on discute à la Chambre, afin d'amorcer le public. Mme Walter ajouta, avec cette grâce sérieuse qu'elle mettait en tout et qui donnait un air de faveurs à ses paroles : « Et vous avez un titre charmant : Souvenirs d'un chasseur d'Afrique ; n'est-ce pas, monsieur Norbert ? Le vieux poète, arrivé tard à la renommée, détestait et redoutait les nouveaux venus.

Il répondit d'un air sec : « Oui, excellent, à condition que la suite soit dans la note, car c'est là la grande difficulté ; la note juste, ce qu'en musique on appelle le ton. Mme Forestier couvrait Duroy d'un regard protecteur et souriant, d'un regard de connaisseur qui semblait dire : « Toi, tu arriveras. » Mme de Marelle s'était, à plusieurs reprises, tournée vers lui, et le diamant de son oreille tremblait sans cesse, comme si la fine goutte d'eau allait se détacher et tomber. La petite fille demeurait immobile et grave, la tête baissée sur son assiette.

Mais le domestique faisait le tour de la table, versant dans les verres bleus du vin de Johannisberg ; et Forestier portait un toast en saluant M. Walter : « À la longue prospérité de La Vie Française !

Tout le monde s'inclina vers le Patron, qui souriait, et Duroy, gris de triomphe, but d'un trait. Il aurait vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ; il aurait mangé un bœuf, étranglé un lion. Il se sentait dans les membres une vigueur surhumaine, dans l'esprit une résolution invincible et une espérance infinie. Il était chez lui, maintenant, au milieu de ces gens ; il venait d'y prendre position, d'y conquérir sa place. Son regard se posait sur les visages avec une assurance nouvelle, et il osa, pour la première fois, adresser la parole à sa voisine :

« Vous avez, madame, les plus jolies boucles d'oreilles que j'aie jamais vues. Elle se tourna vers lui en souriant :

« C'est une idée à moi de pendre des diamants comme ça, simplement au bout du fil. On dirait vraiment de la rosée, n'est-ce pas ? Il murmura, confus de son audace et tremblant de dire une sottise :

« C'est charmant… mais l'oreille aussi fait valoir la chose. Elle le remercia d'un regard, d'un de ces clairs regards de femme qui pénètrent jusqu'au cœur. Et comme il tournait la tête, il rencontra encore les yeux de Mme Forestier, toujours bienveillants, mais il crut y voir une gaieté plus vive, une malice, un encouragement.

Tous les hommes maintenant parlaient en même temps, avec des gestes et des éclats de voix ; on discutait le grand projet du chemin de fer métropolitain.

Le sujet ne fut épuisé qu'à la fin du dessert, chacun ayant une quantité de choses à dire sur la lenteur des communications dans Paris, les inconvénients des tramways, les ennuis des omnibus et la grossièreté des cochers de fiacre. Puis on quitta la salle à manger pour aller prendre le café.

Duroy, par plaisanterie, offrit son bras à la petite fille. Elle le remercia gravement, et se haussa sur la pointe des pieds pour arriver à poser la main sur le coude de son voisin.

En entrant dans le salon, il eut de nouveau la sensation de pénétrer dans une serre.

De grands palmiers ouvraient leurs feuilles élégantes dans les quatre coins de la pièce, montaient jusqu'au plafond, puis s'élargissaient en jets d'eau. Des deux côtés de la cheminée, des caoutchoucs, ronds comme des colonnes, étageaient l'une sur l'autre leurs longues feuilles d'un vert sombre, et sur le piano deux arbustes inconnus, ronds et couverts de fleurs, l'un tout rose et l'autre tout blanc, avaient l'air de plantes factices, invraisemblables, trop belles pour être vraies. L'air était frais et pénétré d'un parfum vague, doux, qu'on n'aurait pu définir, dont on ne pouvait dire le nom. Et le jeune homme, plus maître de lui, considéra avec attention l'appartement. Il n'était pas grand ; rien n'attirait le regard en dehors des arbustes ; aucune couleur vive ne frappait ; mais on se sentait à son aise dedans, on se sentait tranquille, reposé ; il enveloppait doucement, il plaisait, mettait autour du corps quelque chose comme une caresse. Les murs étaient tendus avec une étoffe ancienne d'un violet passé, criblée de petites fleurs de soie jaune, grosses comme des mouches. Des portières en drap bleu gris, en drap de soldat, ou l'on avait brodé quelques œillets de soie rouge, retombaient sur les portes ; et les sièges, de toutes les formes, de toutes les grandeurs, éparpillés au hasard dans l'appartement, chaises longues, fauteuils énormes ou minuscules, poufs et tabourets, étaient couverts de soie Louis XVI ou du beau velours d'Utrecht, fond crème à dessins grenat. « Prenez-vous du café, monsieur Duroy ?

Et Mme Forestier lui tendait une tasse pleine, avec ce sourire ami qui ne quittait point sa lèvre.

« Oui, madame, je vous remercie.

Il reçut la tasse, et comme il se penchait plein d'angoisse pour cueillir avec la pince d'argent un morceau de sucre dans le sucrier que portait la petite fille, la jeune femme lui dit à mi-voix : « Faites donc votre cour à Mme Walter.

Puis elle s'éloigna avant qu'il eût pu répondre un mot. Il but d'abord son café qu'il craignait de laisser tomber sur le tapis ; puis, l'esprit plus libre, il chercha un moyen de se rapprocher de la femme de son nouveau directeur et d'entamer une conversation. Tout à coup il s'aperçut qu'elle tenait à la main sa tasse vide ; et, comme elle se trouvait loin d'une table, elle ne savait où la poser. Il s'élança. « Permettez, madame.

– Merci, monsieur.

Il emporta la tasse, puis il revint :

« Si vous saviez, madame, quels bons moments m'a fait passer La Vie Française quand j'étais là-bas dans le désert. C'est vraiment le seul journal qu'on puisse lire hors de France, parce qu'il est plus littéraire, plus spirituel et moins monotone que tous les autres. On trouve de tout là-dedans. Elle sourit avec une indifférence aimable, et répondit gravement :

« M. Walter a eu bien du mal pour créer ce type de journal, qui répondait à un besoin nouveau.

Et ils se mirent à causer.

Il avait la parole facile et banale, du charme dans la voix, beaucoup de grâce dans le regard et une séduction irrésistible dans la moustache. Elle s'ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie, d'un blond teinté de roux avec une nuance plus pâle dans les poils hérissés des bouts. Ils parlèrent de Paris, des environs, des bords de la Seine, des villes d'eaux, des plaisirs de l'été, de toutes les choses courantes sur lesquelles on peut discourir indéfiniment sans se fatiguer l'esprit. Puis, comme M. Norbert de Varenne s'approchait, un verre de liqueur à la main, Duroy s'éloigna par discrétion. Mme de Marelle, qui venait de causer avec Forestier, l'appela : « Eh bien, monsieur, dit-elle brusquement, vous voulez donc tâter du journalisme ?

Alors il parla de ses projets, en termes vagues, puis recommença avec elle la conversation qu'il venait d'avoir avec Mme Walter ; mais, comme il possédait mieux son sujet, il s'y montra supérieur, répétant comme de lui des choses qu'il venait d'entendre. Et sans cesse il regardait dans les yeux sa voisine, comme pour donner à ce qu'il disait un sens profond. Elle lui raconta à son tour des anecdotes, avec un entrain facile de femme qui se sait spirituelle et qui veut toujours être drôle ; et, devenant familière, elle posait la main sur son bras, baissait la voix pour dire des riens, qui prenaient ainsi un caractère d'intimité. Il s'exaltait intérieurement à frôler cette jeune femme qui s'occupait de lui. Il aurait voulu tout de suite se dévouer pour elle, la défendre, montrer ce qu'il valait, et les retards qu'il mettait à lui répondre indiquaient la préoccupation de sa pensée. Mais tout à coup, sans raison, Mme de Marelle appelait : « Laurine !

» et la petite fille s'en vint. « Assieds-toi là, mon enfant, tu aurais froid près de la fenêtre.

Et Duroy fut pris d'une envie folle d'embrasser la fillette, comme si quelque chose de ce baiser eût dû retourner à la mère. Il demanda d'un ton galant et paternel : « Voulez-vous me permettre de vous embrasser, mademoiselle ?

L'enfant leva les yeux sur lui d'un air surpris. Mme de Marelle dit en riant :

« Réponds : « Je veux bien, monsieur, pour aujourd'hui ; mais ce ne sera pas toujours comme ça. Duroy, s'asseyant aussitôt, prit sur son genou Laurine, puis effleura des lèvres les cheveux ondés et fins de l'enfant. La mère s'étonna : « Tiens, elle ne s'est pas sauvée ; c'est stupéfiant. Elle ne se laisse d'ordinaire embrasser que par les femmes. Vous êtes irrésistible, monsieur Duroy. II rougit, sans répondre, et d'un mouvement léger il balançait la petite fille sur sa jambe. Mme Forestier s'approcha, et, poussant un cri d'étonnement : « Tiens, voilà Laurine apprivoisée, quel miracle !

Jacques Rival aussi s'en venait, un cigare à la bouche, et Duroy se leva pour partir, ayant peur de gâter par quelque mot maladroit la besogne faite, son œuvre de conquête commencée. Il salua, prit et serra doucement la petite main tendue des femmes, puis secoua avec force la main des hommes.

Il remarqua que celle de Jacques Rival était sèche et chaude et répondait cordialement à sa pression ; celle de Norbert de Varenne, humide et froide et fuyait en glissant entre les doigts ; celle du père Walter, froide et molle, sans énergie, sans expression ; celle de Forestier, grasse et tiède. Son ami lui dit à mi-voix :

« Demain, trois heures, n'oublie pas. – Oh !

non, ne crains rien. Quand il se retrouva sur l'escalier, il eut envie de descendre en courant, tant sa joie était véhémente, et il s'élança, enjambant les marches deux par deux ; mais tout à coup, il aperçut, dans la grande glace du second étage, un monsieur pressé qui venait en gambadant à sa rencontre, et il s'arrêta net, honteux comme s'il venait d'être surpris en faute. Puis il se regarda longuement, émerveillé d'être vraiment aussi joli garçon ; puis il se sourit avec complaisance ; puis, prenant congé de son image, il se salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 2 Bel Ami - Part 1 Chapter 2 ベルアミ - 第1部 第2章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 2

– II –

« Monsieur Forestier, s'il vous plaît ? "Mr. Forestier, please? – Au troisième, la porte à gauche. - Third, the door on the left.

Le concierge avait répondu cela d'une voix aimable où apparaissait une considération pour son locataire. The concierge had answered this in a friendly voice, which showed a consideration for his tenant. Et Georges Duroy monta l'escalier. And Georges Duroy went up the stairs. Il était un peu gêné, intimidé, mal à l'aise. He was a little embarrassed, intimidated, uncomfortable. Il portait un habit pour la première fois de sa vie, et l'ensemble de sa toilette l'inquiétait : Il la sentait défectueuse en tout, par les bottines non vernies mais assez fines cependant, car il avait la coquetterie du pied, par la chemise de quatre francs cinquante achetée le matin même au Louvre, et dont le plastron trop mince ce cassait déjà. He wore a dress for the first time in his life, and the whole of his dress worried him: he felt it defective in everything, by the unglazed boots, but fine enough, however, because he had the coquetry of the foot, by the a shirt of four francs fifty bought the same morning at the Louvre, and whose too thin plastron was already breaking it. Ses autres chemises, celles de tous les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il n'avait pu utiliser même la moins abîmée. His other shirts, those of every day, having more or less serious damage, he could not use even the least damaged. Son pantalon, un peu trop large, dessinait mal la jambe, semblait s'enrouler autour du mollet, avait cette apparence fripée que prennent les vêtements d'occasion sur les membres qu'ils recouvrent par aventure. His trousers, a little too wide, had a poorly drawn leg, seemed to wrap around the calf, and had the crumpled appearance of second-hand clothes on the limbs they cover by chance. Seul, l'habit n'allait pas mal, s'étant trouvé à peu près juste pour la taille. Alleine ging die Kleidung nicht schlecht, da sie für die Größe ungefähr richtig war. Alone, the suit did not go bad, having found itself just about the size. Il montait lentement les marches, le cœur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. He was slowly ascending the steps, his heart beating, his mind anxious, harassed above all by the fear of being ridiculous; and suddenly, in front of him, he saw a gentleman in full dress looking at him. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. They were so close to each other that Duroy made a movement backwards, and then he remained stunned: it was himself, reflected by a high ice in the foot which formed on the landing of the first a long perspective of gallery. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru. A burst of joy made him tremble, so much he judged himself better than he would have thought. N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque. Having only his little bearded mirror at home, he had not been able to contemplate himself entirely, and as he saw only very little of the various parts of his improvised toilet, he exaggerated the imperfections, was panicked at the idea of being grotesque. Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'œil. But suddenly, perceiving himself in the mirror, he did not even recognize himself; he had taken for another, for a man of the world, whom he had found very well, very classy, at first glance. Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant. And now, looking at himself carefully, he recognized that, really, the whole thing was satisfactory. Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. So he studied as the actors do to learn their roles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire. He smiled at himself, held out his hand, made gestures, expressed feelings: astonishment, pleasure, approbation; and he sought the degrees of the smile and the intentions of the eye to show himself gallant with the ladies, to make them understand that they are admired and desired. Une porte s'ouvrit dans l'escalier. A door opened on the stairs. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami. He was afraid of being surprised and he began to climb very fast and with the fear of having been seen, thus cajoling, by some guest of his friend. En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. On arriving at the second floor, he saw another ice cream and he slowed down to watch himself pass.

Sa tournure lui parut vraiment élégante. His appearance seemed really elegant. Il marchait bien. He was walking well. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. And an immoderate trust in himself fills his soul. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Certainly, he would succeed with that figure and his desire to arrive, and the resolution that he knew himself and the independence of his spirit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. He wanted to run, jump up the top floor. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : « Voilà une excellente invention. He stopped in front of the third mirror, curled his mustache with a movement that was familiar to him, took off his hat to adjust his hair, and murmured in a low voice, as he often did: "Here is an excellent invention. » Puis, tendant la main vers le timbre, il sonna. Then, reaching for the stamp, he rang.

La porte s'ouvrit presque aussitôt, et il se trouva en présence d'un valet en habit noir, grave, rasé, si parfait de tenue que Duroy se troubla de nouveau sans comprendre d'où lui venait cette vague émotion : d'une inconsciente comparaison, peut-être, entre la coupe de leurs vêtements. The door opened almost immediately, and he found himself in the presence of a valet dressed in black, grave, shaven, so perfect in his outfit that Duroy was troubled again without understanding where the vague emotion came from. unconscious comparison, perhaps, between the cup of their clothes. Ce laquais, qui avait des souliers vernis, demanda en prenant le pardessus que Duroy tenait sur son bras par peur de montrer les taches : This lackey, who had polished shoes, asked by taking the overcoat that Duroy was holding on his arm for fear of showing the spots:

« Qui dois-je annoncer ? " Who do I advertise ?

Et il jeta le nom derrière une porte soulevée, dans un salon où il fallait entrer. And he threw the name behind a raised door, into a drawing room where he had to enter.

Mais Duroy, tout à coup perdant son aplomb, se sentit perclus de crainte, haletant. But Duroy, suddenly losing his composure, felt perplexed with fear, panting.

Il allait faire son premier pas dans l'existence attendue, rêvée. He was going to take his first step in the expected, dreamed existence. Il s'avança, pourtant. He stepped forward, though. Une jeune femme blonde était debout qui l'attendait, toute seule, dans une grande pièce bien éclairée et pleine d'arbustes, comme une serre. A young blonde woman was standing waiting for her, all alone, in a large room well lit and full of shrubs, like a greenhouse. Il s'arrêta net, tout à fait déconcerté. He stopped short, utterly disconcerted. Quelle était cette dame qui souriait ? Who was this lady smiling? Puis il se souvint que Forestier était marié ; et la pensée que cette jolie blonde élégante devait être la femme de son ami acheva de l'effarer. Then he remembered that Forestier was married; and the thought that this pretty, elegant blonde was to be the wife of his friend, was enough to frighten him. Il balbutia : « Madame, je suis… » Elle lui tendit la main : « Je le sais, monsieur. He stammered: "Madam, I am ..." She held out her hand to him: "I know it, sir.

Charles m'a raconté votre rencontre d'hier soir, et je suis très heureuse qu'il ait eu la bonne inspiration de vous prier de dîner avec nous aujourd'hui. Charles told me about your meeting last night, and I am very happy that he had the good inspiration to ask you to dine with us today. Il rougit jusqu'aux oreilles, ne sachant plus que dire ; et il se sentait examiné, inspecté des pieds à la tête, pesé, jugé. He blushed to the ears, not knowing what to say; and he felt himself examined, inspected from head to foot, weighed, judged. Il avait envie de s'excuser, d'inventer une raison pour expliquer les négligences de sa toilette ; mais il ne trouva rien, et n'osa pas toucher à ce sujet difficile. He wanted to apologize, to invent a reason to explain the negligence of his toilet; but he found nothing, and dared not touch this difficult subject. Il s'assit sur un fauteuil qu'elle lui désignait, et quand il sentit plier sous lui le velours élastique et doux du siège, quand il se sentit enfoncé, appuyé, étreint par ce meuble caressant dont le dossier et les bras capitonnés le soutenaient délicatement, il lui sembla qu'il entrait dans une vie nouvelle et charmante, qu'il prenait possession de quelque chose de délicieux, qu'il devenait quelqu'un, qu'il était sauvé ; et il regarda Mme Forestier dont les yeux ne l'avaient point quitté. He sat down on a chair which she pointed out to him, and when he felt the elastic and soft velvet of the seat fold beneath him, when he felt himself depressed, leaning, embraced by that caressing furniture whose back and padded arms supported him. delicately, it seemed to him that he was entering a new and charming life, that he was taking possession of something delicious, that he was becoming someone, that he was saved; and he looked at Madame Forestier, whose eyes had not left him. Elle était vêtue d'une robe de cachemire bleu pâle qui dessinait bien sa taille souple et sa poitrine grasse. She was dressed in a pale blue cashmere dress that looked good on her soft waist and fat bosom. La chair des bras et de la gorge sortait d'une mousse de dentelle blanche dont étaient garnis le corsage et les courtes manches ; et les cheveux relevés au sommet de la tête, frisant un peu sur la nuque, faisaient un léger nuage de duvet blond au-dessus du cou. The flesh of the arms and the throat came out of a white lace froth which was adorned with the bodice and the short sleeves; and the hair raised at the top of the head, curling a little on the nape of the neck, made a slight cloud of blond down over the neck. Duroy se rassurait sous son regard, qui lui rappelait sans qu'il sût pourquoi, celui de la fille rencontrée la veille aux Folies-Bergère. Duroy reassured himself under his gaze, which reminded him without his knowing why, that of the girl he had met the day before at the Folies-Bergere. Elle avait les yeux gris, d'un gris azuré qui en rendait étrange l'expression, le nez mince, les lèvres fortes, le menton un peu charnu, une figure irrégulière et séduisante, pleine de gentillesse et de malice. She had gray eyes, azure gray that made the expression strange, the nose thin, the lips strong, the chin a little fleshy, an irregular and seductive figure, full of kindness and malice. C'était un de ces visages de femme dont chaque ligne révèle une grâce particulière, semble avoir une signification, dont chaque mouvement paraît dire ou cacher quelque chose. It was one of those faces of a woman whose every line reveals a particular grace, seems to have a meaning, of which every movement seems to say or hide something. Après un court silence, elle lui demanda : After a short silence, she asked him:

« Vous êtes depuis longtemps à Paris ? "Have you been in Paris for a long time?

Il répondit, en reprenant peu à peu possession de lui : He replied, gradually regaining possession of him:

« Depuis quelques mois seulement, madame.

J'ai un emploi dans les chemins de fer ; mais Forestier m'a laissé espérer que je pourrais, grâce à lui, pénétrer dans le journalisme. Elle eut un sourire plus visible, plus bienveillant ; et elle murmura en baissant la voix : « Je sais. She had a more visible, more benevolent smile; and she whispered, lowering her voice, "I know."

» Le timbre avait tinté de nouveau. The stamp had tinkled again. Le valet annonça : The valet announced:

« Mme de Marelle.

C'était une petite brune, de celles qu'on appelle des brunettes. She was a little brunette, one of those called brunettes. Elle entra d'une allure alerte ; elle semblait dessinée, moulée des pieds à la tête dans une robe sombre toute simple. She entered at an alert pace; she seemed drawn, molded from head to toe in a simple dark dress. Seule une rose rouge, piquée dans ses cheveux noirs. Only a red rose, stung in her black hair.

attirait l'œil violemment, semblait marquer sa physionomie, accentuer son caractère spécial, lui donner la note vive et brusque qu'il fallait. It attracted the eye violently, seemed to mark its physiognomy, accentuate its special character, give it the sharp and abrupt note that was necessary. Une fillette en robe courte la suivait. A girl in a short dress was following her.

Mme Forestier s'élança : Madame Forestier sprang forward: « Bonjour, Clotilde.

– Bonjour, Madeleine.

Elles s'embrassèrent. They kissed. Puis l'enfant tendit son front avec une assurance de grande personne, en prononçant : Then the child held out his forehead with great self-assurance, pronouncing: « Bonjour, cousine.

Mme Forestier la baisa ; puis fit les présentations : Mrs. Forestier kissed her; then made the introductions:

« M. Georges Duroy, un bon camarade de Charles.

« Mme de Marelle, mon amie, un peu ma parente.

Elle ajouta :

« Vous savez, nous sommes ici sans cérémonie, sans façon et sans pose. "You know, we are here without ceremony, without manner and without pose.

C'est entendu, n'est-ce pas ? It's understood, is not it? Le jeune homme s'inclina. Mais la porte s'ouvrit de nouveau, et un petit gros monsieur, court et rond, parut, donnant le bras à une grande et belle femme, plus haute que lui, beaucoup plus jeune, de manières distinguées et d'allure grave. M. Walter, député, financier, homme d'argent et d'affaires, juif et méridional, directeur de La Vie Française , et sa femme, née Basile-Ravalau, fille du banquier de ce nom. Mr. Walter, deputy, financier, money and business man, Jewish and Southern, director of La Vie Francaise, and his wife, born Basile-Ravalau, daughter of the banker of that name. Puis parurent, coup sur coup, Jacques Rival, très élégant, et Norbert de Varenne, dont le col d'habit luisait, un peu ciré par le frottement des longs cheveux qui tombaient jusqu'aux épaules, et semaient dessus quelques grains de poussière blanche. Then came, one after another, Jacques Rival, very elegant, and Norbert de Varenne, whose coat collar shone, a little waxed by the friction of the long hair which fell to the shoulders, and sowed on it a few grains of white dust . Sa cravate, mal nouée, ne semblait pas à sa première sortie. His cravat, badly knotted, did not seem to be his first outing.

Il s'avança avec des grâces de vieux beau et, prenant la main de Mme Forestier, mit un baiser sur son poignet. He advanced with graces of old handsome and, taking Madame Forestier's hand, put a kiss on his wrist. Dans le mouvement qu'il fit en se baissant, sa longue chevelure se répandit comme de l'eau sur le bras nu de la jeune femme. In the movement he made, bending down, his long hair spread like water on the young woman's bare arm. Et Forestier entra à son tour en s'excusant d'être en retard. And Forestier entered in his turn, apologizing for being late. Mais il avait été retenu au journal par l'affaire Morel. But he had been detained in the newspaper by the Morel affair. M. Morel, député radical, venait d'adresser une question au ministère sur une demande de crédit relative à la colonisation de l'Algérie. Mr. Morel, radical deputy, had just sent a question to the ministry on a request for credit relative to the colonization of Algeria. Le domestique cria : The servant shouted:

« Madame est servie ! "Madame is served!

Et on passa dans la salle à manger. And we went into the dining room.

Duroy se trouvait placé entre Mme de Marelle et sa fille. Duroy was placed between Madame de Marelle and her daughter.

Il se sentait de nouveau gêné, ayant peur de commettre quelque erreur dans le maniement conventionnel de la fourchette, de la cuiller ou des verres. He felt embarrassed again, afraid to make any mistakes in the conventional handling of the fork, spoon or glasses. Il y en avait quatre, dont un légèrement teinté de bleu. There were four, one of which was slightly blue. Que pouvait-on boire dans celui-là ? What could we drink in that one?

On ne dit rien pendant qu'on mangeait le potage, puis Norbert de Varenne demanda : « Avez-vous lu ce procès Gauthier ? Nothing was said while the soup was being eaten, and then Norbert de Varenne asked: "Have you read this Gauthier trial? Quelle drôle de chose ! What a funny thing! Et on discuta sur le cas d'adultère compliqué de chantage. And we discussed the case of adultery complicated blackmail. On n'en parlait point comme on parle, au sein des familles, des événements racontés dans les feuilles publiques, mais comme on parle d'une maladie entre médecins ou de légumes entre fruitiers. We did not talk about it as we speak, within families, of the events told in the public sheets, but as we speak of a disease between doctors or vegetables between fruit trees. On ne s'indignait pas, on ne s'étonnait pas des faits ; on en cherchait les causes profondes, secrètes, avec une curiosité professionnelle et une indifférence absolue pour le crime lui-même. We were not indignant, we were not surprised at the facts; they sought the deep, secret causes with professional curiosity and absolute indifference to the crime itself. On tâchait d'expliquer nettement les origines des actions, de déterminer tous les phénomènes cérébraux dont était né le drame, résultat scientifique d'un état d'esprit particulier. One tried to explain clearly the origins of the actions, to determine all the cerebral phenomena from which the drama was born, the scientific result of a particular state of mind. Les femmes aussi se passionnaient à cette poursuite, à ce travail. Women were also passionate about this pursuit, this work. Et d'autres événements récents furent examinés, commentés, tournés sous toutes leurs faces, pesés à leur valeur, avec ce coup d'œil pratique et cette manière de voir spéciale des marchands de nouvelles, des débitants de comédie humaine à la ligne, comme on examine, comme on retourne et comme on pèse, chez les commerçants, les objets qu'on va livrer au public. And other recent events were examined, commented, turned in all their faces, weighed to their value, with this practical glance and this special way of seeing news dealers, human comedy line-ups like we examine, as we go back and as we weigh, at the merchants, the objects we will deliver to the public. Puis il fut question d'un duel, et Jacques Rival prit la parole. Then there was talk of a duel, and Jacques Rival spoke. Cela lui appartenait : personne autre ne pouvait traiter cette affaire. It belonged to him: no one else could handle this matter.

Duroy n'osait point placer un mot. Duroy dared not put a word. Il regardait parfois sa voisine, dont la gorge ronde le séduisait. He sometimes looked at his neighbor, whose round throat seduced him. Un diamant tenu par un fil d'or pendait au bas de l'oreille, comme une goutte d'eau qui aurait glissé sur la chair. A diamond held by a gold thread dangled at the bottom of the ear, like a drop of water that would have slipped on the flesh. De temps en temps, elle faisait une remarque qui éveillait toujours un sourire sur les lèvres. From time to time, she made a remark that always aroused a smile on her lips. Elle avait un esprit drôle, gentil, inattendu, un esprit de gamine expérimentée qui voit les choses avec insouciance et les juge avec un scepticisme léger et bienveillant. She had a funny, kind, unexpected mind, an experienced child's mind who sees things carelessly and judges them with mild and benevolent skepticism.

Duroy cherchait en vain quelque compliment à lui faire, et, ne trouvant rien, il s'occupait de sa fille, lui versait à boire, lui tenait ses plats, la servait. Duroy sought in vain some compliment to him, and, finding nothing, he took care of his daughter, poured him a drink, took her dishes, served her. L'enfant, plus sévère que sa mère, remerciait avec une voix grave, faisait de courts saluts de la tête : « Vous êtes bien aimable, monsieur », et elle écoutait les grandes personnes d'un petit air réfléchi. The child, more severe than his mother, thanked in a grave voice, made short nods with his head: "You are very kind, sir," and she listened to the grown-ups with a thoughtful air. Le dîner était fort bon, et chacun s'extasiait. The dinner was very good, and everyone was ecstatic. M. Walter mangeait comme un ogre, ne parlait presque pas, et considérait d'un regard oblique, glissé sous ses lunettes, les mets qu'on lui présentait. Mr. Walter ate like an ogre, barely spoke, and stared obliquely at the food presented to him under his glasses. Norbert de Varenne lui tenait tête et laissait tomber parfois des gouttes de sauce sur son plastron de chemise. Norbert de Varenne stood up to him and occasionally dropped drops of sauce on his shirt plastron.

Forestier, souriant et sérieux, surveillait, échangeait avec sa femme des regards d'intelligence, à la façon de compères accomplissant ensemble une besogne difficile et qui marche à souhait. Forestier, smiling and serious, watched, exchanged glances of intelligence with his wife, in the manner of accomplices accomplishing a difficult task, and who worked at will. Les visages devenaient rouges, les voix s'enflaient. The faces turned red, the voices swelled. De moment en moment, le domestique murmurait à l'oreille des convives : « Corton – Château-Laroze ? From moment to moment, the servant murmured in his ear, "Corton - Chateau Laroze? Duroy avait trouvé le corton de son goût et il laissait chaque fois emplir son verre. Duroy had found the corton of his taste and he let each time fill his glass.

Une gaieté délicieuse entrait en lui ; une gaieté chaude, qui lui montait du ventre à la tête, lui courait dans les membres, le pénétrait tout entier. A delicious gaiety entered him; a warm gaiety, which rose from belly to head, ran through his limbs, penetrated him entirely. Il se sentait envahi par un bien-être complet, un bien-être de vie et de pensée, de corps et d'âme. He felt invaded by a complete well-being, a well-being of life and thought, body and soul. Et une envie de parler lui venait, de se faire remarquer, d'être écouté, apprécié comme ces hommes dont on savourait les moindres expressions. And a desire to speak came to him, to be noticed, to be listened to, appreciated like those men whose least expressions were savored. Mais la causerie qui allait sans cesse, accrochant les idées les unes aux autres, sautant d'un sujet à l'autre sur un mot, un rien, après avoir fait le tour des événements du jour et avoir effleuré, en passant, mille questions, revint à la grande interpellation de M. Morel sur la colonisation de l'Algérie. But the talk that went on unceasingly, hanging the ideas to each other, jumping from one subject to another on a word, a nothing, after having made the tour of the events of the day and have touched, by the way, a thousand questions returned to the great questioning of M. Morel on the colonization of Algeria. M. Mr.

Walter, entre deux services, fit quelques plaisanteries, car il avait l'esprit sceptique et gras. Walter, between two services, made some jokes, for he was skeptical and greasy. Forestier raconta son article du lendemain. Forestier recounted his article the next day. Jacques Rival réclama un gouvernement militaire avec des concessions de terre accordées à tous les officiers après trente années de service colonial. Jacques Rival claimed a military government with land grants granted to all officers after thirty years of colonial service.

« De cette façon, disait-il, vous créerez une société énergique, ayant appris depuis longtemps à connaître et à aimer le pays, sachant sa langue et au courant de toutes ces graves questions locales auxquelles se heurtent infailliblement les nouveaux venus. "In this way," he said, "you will create an energetic society, having learned for a long time to know and love the country, knowing its language, and aware of all these serious local questions which the newcomers inevitably encounter.

Norbert de Varenne l'interrompit : Norbert de Varenne interrupted him: « Oui… ils sauront tout, excepté l'agriculture. "Yes ... they will know everything except agriculture. Ils parleront l'arabe, mais ils ignoreront comment on repique des betteraves et comment on sème du blé. They will speak Arabic, but they will not know how beets are transplanted and how wheat is sown. Ils seront même forts en escrime, mais très faibles sur les engrais. They will be strong in fencing, but very weak on fertilizers. Il faudrait au contraire ouvrir largement ce pays neuf à tout le monde. On the contrary, it would be necessary to widely open this new country to everyone. Les hommes intelligents s'y feront une place, les autres succomberont. Intelligent men will find a place, others will succumb. C'est la loi sociale. It is the social law. Un léger silence suivit. A slight silence followed.

On souriait. We smiled.

Georges Duroy ouvrit la bouche et prononça, surpris par le son de sa voix, comme s'il ne s'était jamais entendu parler : Georges Duroy opened his mouth and pronounced, surprised by the sound of his voice, as if he had never heard himself speak: « Ce qui manque le plus là-bas, c'est la bonne terre. "What's missing out there is the good land. Les propriétés vraiment fertiles coûtent aussi cher qu'en France, et sont achetées, comme placements de fonds, par des Parisiens très riches. Really fertile properties are as expensive as in France, and are bought as investment funds by very wealthy Parisians. Les vrais colons, les pauvres, ceux qui s'exilent faute de pain, sont rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par manque d'eau. The true settlers, the poor, those who go into exile for want of bread, are thrown into the desert, where he grows nothing for lack of water. Tout le monde le regardait. Everyone was watching him.

Il se sentit rougir. He felt himself blush. M. Walter demanda : Mr. Walter asked:

« Vous connaissez l'Algérie, monsieur ? "Do you know Algeria, sir? Il répondit : He answered :

« Oui, monsieur, j'y suis resté vingt-huit mois, et j'ai séjourné dans les trois provinces. "Yes, sir, I stayed there for twenty-eight months, and I stayed in all three provinces. Et brusquement, oubliant la question Morel, Norbert de Varenne l'interrogea sur un détail de mœurs qu'il tenait d'un officier. And abruptly, forgetting the question of Morel, Norbert de Varenne questioned him about a detail of manners which he held of an officer. Il s'agissait du Mzab, cette étrange petite république arabe née au milieu du Sahara, dans la partie la plus desséchée de cette région brûlante. It was the Mzab, this strange little Arab republic born in the middle of the Sahara, in the most desiccated part of this burning region. Duroy avait visité deux fois le Mzab, et il raconta les mœurs de ce singulier pays, où les gouttes d'eau ont la valeur de l'or, où chaque habitant est tenu à tous les services publics, où la probité commerciale est poussée plus loin que chez les peuples civilisés. Duroy had twice visited the Mzab, and he related the customs of this singular country, where drops of water have the value of gold, where every inhabitant is bound to all public services, where the commercial probity is pushed more far than among civilized peoples. Il parla avec une certaine verve hâbleuse, excité par le vin et par le désir de plaire ; il raconta des anecdotes de régiment, des traits de la vie arabe, des aventures de guerre. He spoke with a certain hasty verve, excited by the wine and by the desire to please; he told regimental anecdotes, features of Arab life, war adventures.

Il trouva même quelques mots colorés pour exprimer ces contrées jaunes et nues, interminablement désolées sous la flamme dévorante du soleil. He even found a few colorful words to express these yellow and naked countries, interminably desolate under the devouring flame of the sun.

Toutes les femmes avaient les yeux sur lui. All the women had their eyes on him.

Mme Walter murmura de sa voix lente : « Vous feriez avec vos souvenirs une charmante série d'articles. Mrs. Walter whispered in her slow voice: "You would make with your memories a charming series of articles." » Alors Walter considéra le jeune homme par-dessus le verre de ses lunettes, comme il faisait pour bien voir les visages. Then Walter looked at the young man over the glass of his glasses, as he did to see the faces. Il regardait les plats par-dessous. He looked at the dishes underneath.

Forestier saisit le moment : Forestier captures the moment:

« Mon cher patron, je vous ai parlé tantôt de M. Georges Duroy, en vous demandant de me l'adjoindre pour le service des informations politiques. "My dear boss, I spoke to you earlier of Mr. Georges Duroy, asking you to join me for the service of political information. Depuis que Marambot nous a quittés, je n'ai personne pour aller prendre des renseignements urgents et confidentiels, et le journal en souffre. Since Marambot left us, I have no one to pick up urgent and confidential information, and the newspaper suffers. Le père Walter devint sérieux et releva tout à fait ses lunettes pour regarder Duroy bien en face. Father Walter became serious and raised his glasses to look at Duroy in the face.

Puis il dit : Then he said:

« Il est certain que M. Duroy a un esprit original. "Certainly Mr. Duroy has an original spirit.

S'il veut bien venir causer avec moi, demain à trois heures, nous arrangerons ça. If he wants to come talk with me tomorrow at three o'clock, we'll fix it. Puis, après un silence, et se tournant tout à fait vers le jeune homme : Then, after a silence, and turning quite to the young man:

« Mais faites-nous tout de suite une petite série fantaisiste sur l'Algérie. "But make us immediately a fanciful little series about Algeria. Vous raconterez vos souvenirs, et vous mêlerez à ça la question de la colonisation, comme tout à l'heure. You will tell your recollections, and you will mix with it the question of colonization, as before. C'est d'actualité, tout à fait d'actualité, et je suis sûr que ça plaira beaucoup à nos lecteurs. This is topical, quite topical, and I'm sure it will please our readers. Mais dépêchez-vous ! But hurry up! Il me faut le premier article pour demain ou après-demain, pendant qu'on discute à la Chambre, afin d'amorcer le public. I need the first article for tomorrow or the day after, while we are debating in the House, to get the audience started. Mme Walter ajouta, avec cette grâce sérieuse qu'elle mettait en tout et qui donnait un air de faveurs à ses paroles : Madame Walter added, with that serious grace which she put into everything, and which gave an air of favors to her words: « Et vous avez un titre charmant : Souvenirs d'un chasseur d'Afrique ; n'est-ce pas, monsieur Norbert ? "And you have a charming title: Memories of a hunter from Africa; is it not, Mr. Norbert? Le vieux poète, arrivé tard à la renommée, détestait et redoutait les nouveaux venus. The old poet, who arrived late to fame, hated and dreaded the newcomers.

Il répondit d'un air sec : He replied dryly: « Oui, excellent, à condition que la suite soit dans la note, car c'est là la grande difficulté ; la note juste, ce qu'en musique on appelle le ton. "Yes, excellent, provided that the rest is in the note, for that is the great difficulty; the right note, what in music is called the tone. Mme Forestier couvrait Duroy d'un regard protecteur et souriant, d'un regard de connaisseur qui semblait dire : « Toi, tu arriveras. Madame Forestier covered Duroy with a protective and smiling look, with a knowing glance that seemed to say: "You, you will arrive. » Mme de Marelle s'était, à plusieurs reprises, tournée vers lui, et le diamant de son oreille tremblait sans cesse, comme si la fine goutte d'eau allait se détacher et tomber. Madame de Marelle had turned several times towards him, and the diamond in her ear trembled incessantly, as if the fine drop of water were going to fall and fall. La petite fille demeurait immobile et grave, la tête baissée sur son assiette. The little girl remained motionless and grave, her head resting on her plate.

Mais le domestique faisait le tour de la table, versant dans les verres bleus du vin de Johannisberg ; et Forestier portait un toast en saluant M. Walter : « À la longue prospérité de La Vie Française  ! But the servant went round the table, pouring blue wine from Johannisberg; and Forestier waved a toast, saluting M. Walter: "To the long prosperity of La Vie Francaise!

Tout le monde s'inclina vers le Patron, qui souriait, et Duroy, gris de triomphe, but d'un trait. Everyone bowed to the Boss, who smiled, and Duroy, gray of triumph, drank in one gulp. Il aurait vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ; il aurait mangé un bœuf, étranglé un lion. He would have emptied likewise an entire barrel, it seemed to him; he would have eaten an ox, strangled a lion. Il se sentait dans les membres une vigueur surhumaine, dans l'esprit une résolution invincible et une espérance infinie. He felt in the limbs a superhuman vigor, in mind an invincible resolution and an infinite hope. Il était chez lui, maintenant, au milieu de ces gens ; il venait d'y prendre position, d'y conquérir sa place. He was at home now among these people; he had just taken a position, to conquer his place. Son regard se posait sur les visages avec une assurance nouvelle, et il osa, pour la première fois, adresser la parole à sa voisine : His gaze rested on the faces with new assurance, and he dared, for the first time, to speak to his neighbor:

« Vous avez, madame, les plus jolies boucles d'oreilles que j'aie jamais vues. "You have, Madame, the most beautiful earrings I have ever seen. Elle se tourna vers lui en souriant : She turned to him, smiling:

« C'est une idée à moi de pendre des diamants comme ça, simplement au bout du fil. "It's an idea for me to hang diamonds like that, just on the phone. On dirait vraiment de la rosée, n'est-ce pas ? It really looks like dew, is not it? Il murmura, confus de son audace et tremblant de dire une sottise : He murmured, confused by his audacity and trembling to say foolishness:

« C'est charmant… mais l'oreille aussi fait valoir la chose. "It's charming ... but the ear also makes the point. Elle le remercia d'un regard, d'un de ces clairs regards de femme qui pénètrent jusqu'au cœur. She thanked him with a look, with one of those clear looks of woman that penetrate to the heart. Et comme il tournait la tête, il rencontra encore les yeux de Mme Forestier, toujours bienveillants, mais il crut y voir une gaieté plus vive, une malice, un encouragement. And as he turned his head, he still met Madame Forestier's eyes, always benevolent, but he thought he saw a livelier cheerfulness, a malice, an encouragement.

Tous les hommes maintenant parlaient en même temps, avec des gestes et des éclats de voix ; on discutait le grand projet du chemin de fer métropolitain. All the men now spoke at the same time, with gestures and loud voices; we were discussing the great project of the metropolitan railroad.

Le sujet ne fut épuisé qu'à la fin du dessert, chacun ayant une quantité de choses à dire sur la lenteur des communications dans Paris, les inconvénients des tramways, les ennuis des omnibus et la grossièreté des cochers de fiacre. The subject was not exhausted until the end of the dessert, each having a quantity of things to say about the slowness of the communications in Paris, the inconveniences of the trams, the troubles of the omnibuses and the coarseness of the coachmen of the cab. Puis on quitta la salle à manger pour aller prendre le café.

Duroy, par plaisanterie, offrit son bras à la petite fille. Elle le remercia gravement, et se haussa sur la pointe des pieds pour arriver à poser la main sur le coude de son voisin.

En entrant dans le salon, il eut de nouveau la sensation de pénétrer dans une serre. Entering the living room, he had the sensation of entering a greenhouse again.

De grands palmiers ouvraient leurs feuilles élégantes dans les quatre coins de la pièce, montaient jusqu'au plafond, puis s'élargissaient en jets d'eau. Large palm trees opened their elegant leaves in the four corners of the room, rose to the ceiling, then widened in fountains. Des deux côtés de la cheminée, des caoutchoucs, ronds comme des colonnes, étageaient l'une sur l'autre leurs longues feuilles d'un vert sombre, et sur le piano deux arbustes inconnus, ronds et couverts de fleurs, l'un tout rose et l'autre tout blanc, avaient l'air de plantes factices, invraisemblables, trop belles pour être vraies. On both sides of the chimney, rubbers, round like pillars, shifted their long, dark green leaves one on top of the other, and on the piano two unknown shrubs, round and covered with flowers, a whole pink and the other all white, looked like dummy plants, improbable, too beautiful to be true. L'air était frais et pénétré d'un parfum vague, doux, qu'on n'aurait pu définir, dont on ne pouvait dire le nom. Et le jeune homme, plus maître de lui, considéra avec attention l'appartement. And the young man, more master of himself, looked carefully at the apartment. Il n'était pas grand ; rien n'attirait le regard en dehors des arbustes ; aucune couleur vive ne frappait ; mais on se sentait à son aise dedans, on se sentait tranquille, reposé ; il enveloppait doucement, il plaisait, mettait autour du corps quelque chose comme une caresse. Les murs étaient tendus avec une étoffe ancienne d'un violet passé, criblée de petites fleurs de soie jaune, grosses comme des mouches. The walls were hung with an old fabric of a faded purple, riddled with small flowers of yellow silk, the size of flies. Des portières en drap bleu gris, en drap de soldat, ou l'on avait brodé quelques œillets de soie rouge, retombaient sur les portes ; et les sièges, de toutes les formes, de toutes les grandeurs, éparpillés au hasard dans l'appartement, chaises longues, fauteuils énormes ou minuscules, poufs et tabourets, étaient couverts de soie Louis XVI ou du beau velours d'Utrecht, fond crème à dessins grenat. Doors in gray blue cloth, in soldier's sheet, embroidered with a few carnations of red silk, fell on the doors; and the seats, of all shapes and sizes, scattered at random in the apartment, chairs, huge or tiny chairs, ottomans and stools, were covered with Louis XVI silk or the beautiful Utrecht velvet, cream with garnet designs. « Prenez-vous du café, monsieur Duroy ?

Et Mme Forestier lui tendait une tasse pleine, avec ce sourire ami qui ne quittait point sa lèvre. And Madame Forestier handed her a full cup, with that friendly smile that never left her lip.

« Oui, madame, je vous remercie.

Il reçut la tasse, et comme il se penchait plein d'angoisse pour cueillir avec la pince d'argent un morceau de sucre dans le sucrier que portait la petite fille, la jeune femme lui dit à mi-voix : He received the cup, and as he leaned over in anguish to pluck a piece of sugar from the sugar bowl of the sugar bowl carried by the little girl, the young woman said to him in a low voice: « Faites donc votre cour à Mme Walter. "Give your court to Madame Walter.

Puis elle s'éloigna avant qu'il eût pu répondre un mot. Then she went away before he could answer a word. Il but d'abord son café qu'il craignait de laisser tomber sur le tapis ; puis, l'esprit plus libre, il chercha un moyen de se rapprocher de la femme de son nouveau directeur et d'entamer une conversation. He drank his coffee first, which he feared to drop on the carpet; then, with a freer mind, he sought a way to get closer to his new director's wife and start a conversation. Tout à coup il s'aperçut qu'elle tenait à la main sa tasse vide ; et, comme elle se trouvait loin d'une table, elle ne savait où la poser. Suddenly he noticed that she was holding her empty cup in her hand; and as she was far from a table, she did not know where to put it. Il s'élança. He rushed forward. « Permettez, madame. "Permit, ma'am.

– Merci, monsieur.

Il emporta la tasse, puis il revint : He took the cup with him, then came back:

« Si vous saviez, madame, quels bons moments m'a fait passer La Vie Française quand j'étais là-bas dans le désert. "If you knew, Madame, what good moments made La Vie Francaise pass me when I was there in the desert. C'est vraiment le seul journal qu'on puisse lire hors de France, parce qu'il est plus littéraire, plus spirituel et moins monotone que tous les autres. It is really the only newspaper that one can read outside of France, because it is more literary, more spiritual and less monotonous than all the others. On trouve de tout là-dedans. We find everything in there. Elle sourit avec une indifférence aimable, et répondit gravement :

« M. Walter a eu bien du mal pour créer ce type de journal, qui répondait à un besoin nouveau. "Mr. Walter had a hard time creating this type of newspaper, which responded to a new need.

Et ils se mirent à causer. And they began to talk.

Il avait la parole facile et banale, du charme dans la voix, beaucoup de grâce dans le regard et une séduction irrésistible dans la moustache. He had an easy and banal word, charm in his voice, a lot of grace in his eyes and an irresistible seduction in his mustache. Elle s'ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie, d'un blond teinté de roux avec une nuance plus pâle dans les poils hérissés des bouts. She ruffled on her lip, frizzy, curly, pretty, a blonde tinged with red with a shade paler in hair bristling ends. Ils parlèrent de Paris, des environs, des bords de la Seine, des villes d'eaux, des plaisirs de l'été, de toutes les choses courantes sur lesquelles on peut discourir indéfiniment sans se fatiguer l'esprit. They spoke of Paris, the environs, the banks of the Seine, the cities of water, the pleasures of summer, of all the commonplace things on which one can talk indefinitely without tiring one's mind. Puis, comme M. Norbert de Varenne s'approchait, un verre de liqueur à la main, Duroy s'éloigna par discrétion. Then, as M. Norbert de Varenne approached, a glass of liquor in his hand, Duroy went away by discretion. Mme de Marelle, qui venait de causer avec Forestier, l'appela : Madame de Marelle, who had just talked with Forestier, called her: « Eh bien, monsieur, dit-elle brusquement, vous voulez donc tâter du journalisme ? "Well, sir," she said abruptly, "you want to feel journalism?

Alors il parla de ses projets, en termes vagues, puis recommença avec elle la conversation qu'il venait d'avoir avec Mme Walter ; mais, comme il possédait mieux son sujet, il s'y montra supérieur, répétant comme de lui des choses qu'il venait d'entendre. Then he spoke of his plans, in vague terms, then began again with her the conversation he had just had with Madame Walter; but as he had a better subject, he showed himself superior to it, repeating as he did things he had just heard. Et sans cesse il regardait dans les yeux sa voisine, comme pour donner à ce qu'il disait un sens profond. And constantly he looked in the eyes of his neighbor, as if to give what he said a deep meaning. Elle lui raconta à son tour des anecdotes, avec un entrain facile de femme qui se sait spirituelle et qui veut toujours être drôle ; et, devenant familière, elle posait la main sur son bras, baissait la voix pour dire des riens, qui prenaient ainsi un caractère d'intimité. She told him in turn anecdotes, with an easy going woman who knows spiritual and who always wants to be funny; and, becoming familiar, she put her hand on his arm, lowered her voice to say nonsense, which thus took on a character of intimacy. Il s'exaltait intérieurement à frôler cette jeune femme qui s'occupait de lui. He exulted himself to graze the young woman who took care of him. Il aurait voulu tout de suite se dévouer pour elle, la défendre, montrer ce qu'il valait, et les retards qu'il mettait à lui répondre indiquaient la préoccupation de sa pensée. He wished at once to devote himself to her, to defend her, to show what he was worth, and the delays which he put in responding to him indicated the preoccupation of his thought. Mais tout à coup, sans raison, Mme de Marelle appelait : « Laurine ! But suddenly, for no reason, Madame de Marelle called: "Laurine!

» et la petite fille s'en vint. And the little girl came. « Assieds-toi là, mon enfant, tu aurais froid près de la fenêtre. "Sit there, child, you'd be cold near the window.

Et Duroy fut pris d'une envie folle d'embrasser la fillette, comme si quelque chose de ce baiser eût dû retourner à la mère. And Duroy was seized with a mad desire to kiss the girl, as if something of that kiss should have returned to the mother. Il demanda d'un ton galant et paternel : He asked in a gallant and paternal tone: « Voulez-vous me permettre de vous embrasser, mademoiselle ? "Will you allow me to kiss you, miss?

L'enfant leva les yeux sur lui d'un air surpris. The child looked up at him with a surprised look. Mme de Marelle dit en riant : Madame de Marelle laughingly said:

« Réponds : « Je veux bien, monsieur, pour aujourd'hui ; mais ce ne sera pas toujours comme ça. "Answer:" I will, sir, for today; but it will not always be like that. Duroy, s'asseyant aussitôt, prit sur son genou Laurine, puis effleura des lèvres les cheveux ondés et fins de l'enfant. Duroy, sitting down at once, took Laurine on her knee, then brushed her thin, wavy hair with her lips. La mère s'étonna : The mother wondered: « Tiens, elle ne s'est pas sauvée ; c'est stupéfiant. "Here, she did not escape; it's amazing. Elle ne se laisse d'ordinaire embrasser que par les femmes. She is usually only kissed by women. Vous êtes irrésistible, monsieur Duroy. II rougit, sans répondre, et d'un mouvement léger il balançait la petite fille sur sa jambe. Mme Forestier s'approcha, et, poussant un cri d'étonnement : « Tiens, voilà Laurine apprivoisée, quel miracle ! "Here, here is tamed Laurine, what a miracle!

Jacques Rival aussi s'en venait, un cigare à la bouche, et Duroy se leva pour partir, ayant peur de gâter par quelque mot maladroit la besogne faite, son œuvre de conquête commencée. Jacques Rival also came, a cigar in his mouth, and Duroy got up to leave, being afraid of spoiling by some clumsy word the work done, his work of conquest begun. Il salua, prit et serra doucement la petite main tendue des femmes, puis secoua avec force la main des hommes. He bowed, took and gently squeezed the small, outstretched hand of the women, then shook the men's hand vigorously.

Il remarqua que celle de Jacques Rival était sèche et chaude et répondait cordialement à sa pression ; celle de Norbert de Varenne, humide et froide et fuyait en glissant entre les doigts ; celle du père Walter, froide et molle, sans énergie, sans expression ; celle de Forestier, grasse et tiède. Son ami lui dit à mi-voix : His friend said to him in a low voice:

« Demain, trois heures, n'oublie pas. "Tomorrow, three o'clock, do not forget. – Oh !

non, ne crains rien. no, do not be afraid. Quand il se retrouva sur l'escalier, il eut envie de descendre en courant, tant sa joie était véhémente, et il s'élança, enjambant les marches deux par deux ; mais tout à coup, il aperçut, dans la grande glace du second étage, un monsieur pressé qui venait en gambadant à sa rencontre, et il s'arrêta net, honteux comme s'il venait d'être surpris en faute. When he found himself on the staircase, he felt like running down the stairs, so much was his joy over it, and he sprang forward, spanning the steps two by two; but all at once he saw in the great ice-cream on the second floor a hasty gentleman who was frantically coming to meet him, and he stopped short, ashamed as if he had just been found guilty. Puis il se regarda longuement, émerveillé d'être vraiment aussi joli garçon ; puis il se sourit avec complaisance ; puis, prenant congé de son image, il se salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages.