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ROUSSEAU, Jean-Jacques : Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité, Rousseau, Jean-Jacques : Discours sur l'origine...À la république de Genève.

Rousseau, Jean-Jacques : Discours sur l'origine...À la république de Genève.

À la république de Genève. MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS,ET SOUVERAINS SEIGNEURS,

Convaincu qu'il n'appartient qu'au citoyen vertueux de rendre à sa patrie des honneurs qu'elle puisse avouer, il y a trente ans que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public ; et cette heureuse occasion suppléant en partie à ce que mes efforts n'ont pu faire, j'ai cru qu'il me serait permis de consulter ici le zèle qui m'anime, plus que le droit qui devrait m'autoriser. Ayant eu le bonheur de naître parmi vous, comment pourrais-je méditer sur l'égalité que la nature a mise entre les hommes et sur l'inégalité qu'ils ont instituée, sans penser à la profonde sagesse avec laquelle l'une et l'autre, heureusement combinées dans cet État, concourent de la manière la plus approchante de la loi naturelle et la plus favorable à la société, au maintien de l'ordre public et au bonheur des particuliers ? En recherchant les meilleures maximes que le bon sens puisse dicter sur la constitution d'un gouvernement, j'ai été si frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre que même sans être né dans vos murs, j'aurais cru ne pouvoir me dispenser d'offrir ce tableau de la société humaine à celui de tous les peuples qui me paraît en posséder les plus grands avantages, et en avoir le mieux prévenu les abus.

Si j'avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j'aurais choisi une société d'une grandeur bornée par l'étendue des facultés humaines, c'est-à-dire par la possibilité d'être bien gouvernée, et où chacun suffisant à son emploi, nul n'eût été contraint de commettre à d'autres les fonctions dont il était chargé : un État où tous les particuliers se connaissant entre eux, les manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n'eussent pu se dérober aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connaître, fît de l'amour de la patrie l'amour des citoyens plutôt que celui de la terre.

J'aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu'un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu'au bonheur commun ; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s'ensuit que j'aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré.

J'aurais voulu vivre et mourir libre, c'est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n'en pût secouer l'honorable joug ; ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d'autant plus docilement qu'elles sont faites pour n'en porter aucun autre.

J'aurais donc voulu que personne dans l'État n'eût pu se dire au-dessus de la loi, et que personne au-dehors n'en pût imposer que l'État fût obligé de reconnaître. Car quelle que puisse être la constitution d'un gouvernement, s'il s'y trouve un seul homme qui ne soit pas soumis à la loi, tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-là1 ; et s'il y a un chef national, et un autre chef étranger, quelque partage d'autorité qu'ils puissent faire, il est impossible que l'un et l'autre soient bien obéis et que l'État soit bien gouverné.

Je n'aurais point voulu habiter une République de nouvelle institution, quelques bonnes lois qu'elle pût avoir ; de peur que le gouvernement autrement constitué peut-être qu'il ne faudrait pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux citoyens, ou les citoyens au nouveau gouvernement, l'État ne fût sujet à être ébranlé et détruit presque dès sa naissance. Car il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et fortifier les tempéraments robustes qui en ont l'habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n'y sont point faits. Les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s'en passer. S'ils tentent de secouer le joug, ils s'éloignent d'autant plus de la liberté que prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu'aggraver leurs chaînes. Le peuple romain lui-même, ce modèle de tous les peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l'oppression des Tarquins. Avili par l'esclavage et les travaux ignominieux qu'ils lui avaient imposés, ce n'était d'abord qu'une stupide populace qu'il fallut ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin que s'accoutumant peu à peu à respirer l'air salutaire de la liberté, ces âmes énervées ou plutôt abruties sous la tyrannie, acquissent par degrés cette sévérité de mœurs et cette fierté de courage qui en firent enfin le plus respectable de tous les peuples. J'aurais donc cherché pour ma patrie une heureuse et tranquille république dont l'ancienneté se perdît en quelque sorte dans la nuit des temps ; qui n'eût éprouvé que des atteintes propres à manifester et affermir dans ses habitants le courage et l'amour de la patrie, et où les citoyens, accoutumés de longue main à une sage indépendance, fussent, non seulement libres, mais dignes de l'être.

J'aurais voulu me choisir une patrie, détournée par une heureuse impuissance du féroce amour des conquêtes, et garantie par une position encore plus heureuse de la crainte de devenir elle-même la conquête d'un autre État : une ville libre placée entre plusieurs peuples dont aucun n'eût intérêt à l'envahir, et dont chacun eût intérêt d'empêcher les autres de l'envahir eux-mêmes, une république, en un mot, qui ne tentât point l'ambition de ses voisins et qui pût raisonnablement compter sur leur secours au besoin. Il s'ensuit que dans une position si heureuse, elle n'aurait rien eu à craindre que d'elle-même, et que si ses citoyens s'étaient exercés aux armes, c'eût été plutôt pour entretenir chez eux cette ardeur guerrière et cette fierté de courage qui sied si bien à la liberté et qui en nourrit le goût que par la nécessité de pourvoir à leur propre défense.

J'aurais cherché un pays où le droit de législation fût commun à tous les citoyens ; car qui peut mieux savoir qu'eux sous quelles conditions il leur convient de vivre ensemble dans une même société ? Mais je n'aurais pas approuvé des plébiscites semblables à ceux des Romains où les chefs de l'État et les plus intéressés à sa conservation étaient exclus des délibérations dont souvent dépendait son salut, et où par une absurde inconséquence les magistrats étaient privés des droits dont jouissaient les simples citoyens.

Au contraire, j'aurais désiré que pour arrêter les projets intéressés et mal conçus, et les innovations dangereuses qui perdirent enfin les Athéniens, chacun n'eût pas le pouvoir de proposer de nouvelles lois à sa fantaisie ; que ce droit appartînt aux seuls magistrats ; qu'ils en usassent même avec tant de circonspection, que le peuple de son côté fût si réservé à donner son consentement à ces lois, et que la promulgation ne pût s'en faire qu'avec tant de solennité, qu'avant que la constitution fût ébranlée on eût le temps de se convaincre que c'est surtout la grande antiquité des lois qui les rend saintes et vénérables, que le peuple méprise bientôt celles qu'il voit changer tous les jours, et qu'en s'accoutumant à négliger les anciens usages sous prétexte de faire mieux, on introduit souvent de grands maux pour en corriger de moindres.

J'aurais fui surtout, comme nécessairement mal gouvernée, une république où le peuple, croyant pouvoir se passer de ses magistrats ou ne leur laisser qu'une autorité précaire, aurait imprudemment gardé l'administration des affaires civiles et l'exécution de ses propres lois ; telle dut être la grossière constitution des premiers gouvernements sortant immédiatement de l'état de nature, et tel fut encore un des vices qui perdirent la république d'Athènes.

Mais j'aurais choisi celle où les particuliers se contentant de donner la sanction aux lois, et de décider en corps et sur le rapport des chefs les plus importantes affaires publiques, établiraient des tribunaux respectés, en distingueraient avec soin les divers départements ; éliraient d'année en année les plus capables et les plus intègres de leurs concitoyens pour administrer la justice et gouverner l'État ; et où la vertu des magistrats portant ainsi témoignage de la sagesse du peuple, les uns et les autres s'honoreraient mutuellement. De sorte que si jamais de funestes malentendus venaient à troubler la concorde publique, ces temps mêmes d'aveuglement et d'erreurs fussent marqués par des témoignages de modération, d'estime réciproque, et d'un commun respect pour les lois ; présages et garants d'une réconciliation sincère et perpétuelle.

Tels sont, MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS, ET SOUVERAINS SEIGNEURS, les avantages que j'aurais recherchés dans la patrie que je me serais choisie. Que si la providence y avait ajouté de plus une situation charmante, un climat tempéré, un pays fertile, et l'aspect le plus délicieux qui soit sous le ciel, je n'aurais désiré pour combler mon bonheur que de jouir de tous ces biens dans le sein de cette heureuse patrie, vivant paisiblement dans une douce société avec mes concitoyens, exerçant envers eux, et à leur exemple, l'humanité, l'amitié et toutes les vertus, et laissant après moi l'honorable mémoire d'un homme de bien, et d'un honnête et vertueux patriote.

Si, moins heureux ou trop tard sage, je m'étais vu réduit à finir en d'autres climats une infirme et languissante carrière, regrettant inutilement le repos et la paix dont une jeunesse imprudente m'aurait privé ; j'aurais du moins nourri dans mon âme ces mêmes sentiments dont je n'aurais pu faire usage dans mon pays, et pénétré d'une affection tendre et désintéressée pour mes concitoyens éloignés, je leur aurais adressé du fond de mon cœur à peu près le discours suivant.

Mes chers concitoyens ou plutôt mes frères, puisque les liens du sang ainsi que les lois nous unissent presque tous, il m'est doux de ne pouvoir penser à vous, sans penser en même temps à tous les biens dont vous jouissez et dont nul de vous peut-être ne sent mieux le prix que moi qui les ai perdus. Plus je réfléchis sur votre situation politique et civile, et moins je puis imaginer que la nature des choses humaines puisse en comporter une meilleure. Dans tous les autres gouvernements, quand il est question d'assurer le plus grand bien de l'État, tout se borne toujours à des projets en idées, et tout au plus à de simples possibilités. Pour vous, votre bonheur est tout fait, il ne faut qu'en jouir, et vous n'avez plus besoin pour devenir parfaitement heureux que de savoir vous contenter de l'être. Votre souveraineté acquise ou recouvrée à la pointe de l'épée, et conservée durant deux siècles à force de valeur et de sagesse, est enfin pleinement et universellement reconnue. Des traités honorables fixent vos limites, assurent vos droits, et affermissent votre repos. Votre constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et garantie par des puissances amies et respectables ; votre État est tranquille, vous n'avez ni guerres ni conquérants à craindre ; vous n'avez point d'autres maîtres que de sages lois que vous avez faites, administrées par des magistrats intègres qui sont de votre choix ; vous n'êtes ni assez riches pour vous énerver par la mollesse et perdre dans de vaines délices le goût du vrai bonheur et des solides vertus, ni assez pauvres pour avoir besoin de plus de secours étrangers que ne vous en procure votre industrie ; et cette liberté précieuse qu'on ne maintient chez les grandes nations qu'avec des impôts exorbitants, ne vous coûte presque rien à conserver.

Puisse durer toujours pour le bonheur de ses citoyens et l'exemple des peuples une république si sagement et si heureusement constituée ! Voilà le seul vœu qui vous reste à faire, et le seul soin qui vous reste à prendre. C'est à vous seuls désormais, non à faire votre bonheur, vos ancêtres vous en ont évité la peine, mais à le rendre durable par la sagesse d'en bien user. C'est de votre union perpétuelle, de votre obéissance aux lois ; de votre respect pour leurs ministres que dépend votre conservation. S'il reste parmi vous le moindre germe d'aigreur ou de défiance, hâtez-vous de le détruire comme un levain funeste d'où résulteraient tôt ou tard vos malheurs et la ruine de l'État. Je vous conjure de rentrer tous au fond de votre cœur et de consulter la voix secrète de votre conscience. Quelqu'un parmi vous connaît-il dans l'univers un corps plus intègre, plus éclairé, plus respectable que celui de votre magistrature ? Tous ses membres ne vous donnent-ils pas l'exemple de la modération, de la simplicité de mœurs, du respect pour les lois et de la plus sincère réconciliation : rendez donc sans réserve à de si sages chefs cette salutaire confiance que la raison doit à la vertu ; songez qu'ils sont de votre choix, qu'ils le justifient, et que les honneurs dus à ceux que vous avez constitués en dignité retombent nécessairement sur vous-mêmes. Nul de vous n'est assez peu éclairé pour ignorer qu'où cessent la vigueur des lois et l'autorité de leurs défenseurs, il ne peut y avoir ni sûreté ni liberté pour personne. De quoi s'agit-il donc entre vous que de faire de bon cœur et avec une juste confiance ce que vous seriez toujours obligés de faire par un véritable intérêt, par devoir, et pour la raison ? Qu'une coupable et funeste indifférence pour le maintient de la constitution, ne vous fasse jamais négliger au besoin les sages avis des plus éclairés et des plus zélés d'entre vous. Mais que l'équité, la modération, la plus respectueuse fermeté, continuent de régler toutes vos démarches et de montrer en vous à tout l'univers l'exemple d'un peuple fier et modeste, aussi jaloux de sa gloire que de sa liberté. Gardez-vous, surtout et ce sera mon dernier conseil, d'écouter jamais des interprétations sinistres et des discours envenimés dont les motifs secrets sont souvent plus dangereux que les actions qui en sont l'objet. Toute une maison s'éveille et se tient en alarmes aux premiers cris d'un bon et fidèle gardien qui n'aboie jamais qu'à l'approche des voleurs ; mais on hait l'importunité de ces animaux bruyants qui troublent sans cesse le repos public, et dont les avertissements continuels et déplacés ne se font pas même écouter au moment qu'ils sont nécessaires.

Et vous MAGNIFIQUES ET TRÈS HONORÉS SEIGNEURS ; vous dignes et respectables magistrats d'un peuple libre ; permettez-moi de vous offrir en particulier mes hommages et mes devoirs. S'il y a dans le monde un rang propre à illustrer ceux qui l'occupent, c'est sans doute celui que donnent les talents et la vertu, celui dont vous vous êtes rendus dignes, et auquel vos concitoyens vous ont élevés. Leur propre mérite ajoute encore au vôtre un nouvel éclat, et choisis par des hommes capables d'en gouverner d'autres, pour les gouverner eux-mêmes, je vous trouve autant au-dessus des autres magistrats qu'un peuple libre, et surtout celui que vous avez l'honneur de conduire, est par ses lumières et par sa raison au-dessus de la populace des autres États.

Qu'il me soit permis de citer un exemple dont il devrait rester de meilleures traces, et qui sera toujours présent à mon cœur. Je ne me rappelle point sans la plus douce émotion la mémoire du vertueux citoyen de qui j'ai reçu le jour, et qui souvent entretint mon enfance du respect qui vous était dû. Je le vois encore vivant du travail de ses mains, et nourrissant son âme des vérités les plus sublimes. Je vois Tacite, Plutarque et Grotius, mêlés devant lui avec les instruments de son métier. Je vois à ses côtés un fils chéri recevant avec trop peu de fruit les tendres instructions du meilleur des pères. Mais si les égarements d'une folle jeunesse me firent oublier durant un temps de si sages leçons, j'ai le bonheur d'éprouver enfin que, quelque penchant qu'on ait vers le vice, il est difficile qu'une éducation dont le cœur se mêle reste perdue pour toujours.

Tels sont, MAGNIFIQUES ET TRÈS HONORÉS SEIGNEURS, les citoyens et même les simples habitants nés dans l'État que vous gouvernez ; tels sont ces hommes instruits et sensés dont, sous le nom d'ouvriers et de peuple, on a chez les autres nations des idées si basses et si fausses. Mon père, je l'avoue avec joie, n'était point distingué parmi ses concitoyens ; il n'était que ce qu'ils sont tous, et tel qu'il était, il n'y a point de pays où sa société n'eût été recherchée, cultivée, et même avec fruit, par les plus honnêtes gens. Il ne m'appartient pas, et grâce au ciel, il n'est pas nécessaire de vous parler des égards que peuvent attendre de vous des hommes de cette trempe, vos égaux par l'éducation, ainsi que par les droits de la nature et de la naissance ; vos inférieurs par leur volonté, par la préférence qu'ils devaient à votre mérite, qu'ils lui ont accordée, et pour laquelle vous leur devez à votre tour une sorte de reconnaissance. J'apprends avec une vive satisfaction de combien de douceur et de condescendance vous tempérez avec eux la gravité convenable aux ministres des lois, combien vous leur rendez en estime et en attentions ce qu'ils vous doivent d'obéissance et de respects ; conduite pleine de justice et de sagesse, propre à éloigner de plus en plus la mémoire des événements malheureux qu'il faut oublier pour ne les revoir jamais : conduite d'autant plus judicieuse que ce peuple équitable et généreux se fait un plaisir de son devoir, qu'il aime naturellement à vous honorer, et que les plus ardents à soutenir leurs droits sont les plus portés à respecter les vôtres.

Il ne doit pas être étonnant que les chefs d'une société civile en aiment la gloire et le bonheur, mais il l'est trop pour le repos des hommes que ceux qui se regardent comme les magistrats, ou plutôt comme les maîtres d'une patrie plus sainte et plus sublime, témoignent quelque amour pour la patrie terrestre qui les nourrit. Qu'il m'est doux de pouvoir faire en notre faveur une exception si rare, et placer au rang de nos meilleurs citoyens ces zélés, dépositaires des dogmes sacrés autorisés par les lois, ces vénérables pasteurs des âmes, dont la vive et douce éloquence porte d'autant mieux dans les cœurs les maximes de l'Évangile qu'ils commencent toujours par les pratiquer eux-mêmes ! Tout le monde sait avec quel succès le grand art de la chaire est cultivé à Genève ; mais, trop accoutumés à voir dire d'une manière et faire d'une autre, peu de gens savent jusqu'à quel point l'esprit du christianisme, la sainteté des mœurs, la sévérité pour soi-même et la douceur pour autrui, règnent dans le corps de nos ministres. Peut-être appartient-il à la seule ville de Genève de montrer l'exemple édifiant d'une aussi parfaite union entre une société de théologiens et de gens de lettres. C'est en grande partie sur leur sagesse et leur modération reconnues, c'est sur leur zèle pour la prospérité de l'État que je fonde l'espoir de son éternelle tranquillité ; et je remarque avec un plaisir mêlé d'étonnement et de respect combien ils ont horreur pour les affreuses maximes de ces hommes sacrés et barbares dont l'Histoire fournit plus d'un exemple, et qui, pour soutenir les prétendus droits de Dieu, c'est-à-dire leurs intérêts, étaient d'autant moins avares du sang humain qu'ils se flattaient que le leur serait toujours respecté.

Pourrais-je oublier cette précieuse moitié de la république qui fait le bonheur de l'autre, et dont la douceur et la sagesse y maintiennent la paix et les bonnes mœurs ? Aimables et vertueuses citoyennes, le sort de votre sexe sera toujours de gouverner le nôtre. Heureux ! quand votre chaste pouvoir, exercé seulement dans l'union conjugale, ne se fait sentir que pour la gloire de l'État et le bonheur public. C'est ainsi que les femmes commandaient à Sparte, et c'est ainsi que vous méritez de commander à Genève. Quel homme barbare pourrait résister à la voix de l'honneur et de la raison dans la bouche d'une tendre épouse ; et qui ne mépriserait un vain luxe, en voyant votre simple et modeste parure, qui par l'éclat qu'elle tient de vous semble être la plus favorable à la beauté ? C'est à vous de maintenir toujours par votre aimable et innocent empire et par votre esprit insinuant l'amour des lois dans l'État et la concorde parmi les citoyens ; de réunir par d'heureux mariages les familles divisées ; et surtout de corriger par la persuasive douceur de vos leçons et par les grâces modestes de votre entretien, les travers que nos jeunes gens vont prendre en d'autres pays, d'où, au lieu de tant de choses utiles dont ils pourraient profiter, ils ne rapportent, avec un ton puéril et des airs ridicules pris parmi des femmes perdues, que de l'admiration de je ne sais quelles prétendues grandeurs, frivoles dédommagements de la servitude, qui ne vaudront jamais l'auguste liberté. Soyez donc toujours ce que vous êtes, les chastes gardiennes des mœurs et les doux liens de la paix, et continuez de faire valoir en toute occasion les droits du cœur et de la nature au profit du devoir et de la vertu.

Je me flatte de n'être point démenti par l'événement, en fondant sur de tels garants l'espoir du bonheur commun des citoyens et de la gloire de la république. J'avoue qu'avec tous ces avantages, elle ne brillera pas de cet éclat dont la plupart des yeux sont éblouis et dont le puéril et funeste goût est le plus mortel ennemi du bonheur et de la liberté. Qu'une jeunesse dissolue aille chercher ailleurs des plaisirs faciles et de longs repentirs. Que les prétendus gens de goût admirent en d'autres lieux la grandeur des palais, la beauté des équipages, les superbes ameublements, la pompe des spectacles et tous les raffinements de la mollesse et du luxe. À Genève, on ne trouvera que des hommes, mais pourtant un tel spectacle a bien son prix, et ceux qui le rechercheront vaudront bien les admirateurs du reste.

Daignez MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS et SOUVERAINS SEIGNEURS, recevoir tous avec la même bonté les respectueux témoignages de l'intérêt que je prends à votre prospérité commune. Si j'étais assez malheureux pour être coupable de quelque transport indiscret dans cette vive effusion de mon cœur, je vous supplie de le pardonner à la tendre affection d'un vrai patriote, et au zèle ardent et légitime d'un homme qui n'envisage point de plus grand bonheur pour lui-même que celui de vous voir tous heureux.

Je suis avec le plus profond respect

MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS ET SOUVERAINS SEIGNEURS,

Votre très humble et très obéissant serviteur et concitoyen.

À Chambéry, le 12 juin 1754.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

Notes

1. Hérodote raconte qu'après le meurtre du faux Smerdis, les sept libérateurs de la Perse s'étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu'ils donneraient à l'État, Otanès opina fortement pour la république ; avis d'autant plus extraordinaire dans la bouche d'un satrape qu'outre la prétention qu'il pouvait avoir à l'empire, les Grands craignent plus que la mort une sorte de gouvernement qui les force à respecter les hommes. Otanès, comme on peut bien croire, ne fut pointé écouté et, voyant qu'on allait procéder à l'élection d'un monarque, lui qui ne voulait ni obéir ni commander, céda volontairement aux autres concurrents son droit à la couronne, demandant pour tout dédommagement d'être libre et indépendant, lui et sa postérité, ce qui lui fut accordé. Quand Hérodote ne nous apprendrait pas la restriction qui fut mise à ce privilège, il faudrait nécessairement la supposer ; autrement Otanès, ne reconnaissant aucune sorte de loi et n'ayant de compte à rendre à personne, aurait été tout-puissant dans l'État et plus puissant que le roi même. Mais il n'y avait guère d'apparence qu'un homme capable de se contenter en pareil cas d'un tel privilège fût capable d'en abuser. En effet, on ne voit pas que ce droit ait jamais causé le moindre trouble dans le royaume, ni par le sage Otanès, ni aucun de ses descendants.


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À la république de Genève. To the Republic of Geneva. MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS,ET SOUVERAINS SEIGNEURS, BEAUTIFUL, VERY HONORED, AND SOVEREIGN LORDS,

Convaincu qu’il n’appartient qu’au citoyen vertueux de rendre à sa patrie des honneurs qu’elle puisse avouer, il y a trente ans que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public ; et cette heureuse occasion suppléant en partie à ce que mes efforts n’ont pu faire, j’ai cru qu’il me serait permis de consulter ici le zèle qui m’anime, plus que le droit qui devrait m’autoriser. Convinced that it belongs only to the virtuous citizen to pay to his country honors which it can confess, it is thirty years since I work to deserve to offer you a public homage; and this happy opportunity, partly in return for what my efforts have not been able to do, I thought that I should be permitted here to consult the zeal which animates me, more than the law which should authorize me. Ayant eu le bonheur de naître parmi vous, comment pourrais-je méditer sur l’égalité que la nature a mise entre les hommes et sur l’inégalité qu’ils ont instituée, sans penser à la profonde sagesse avec laquelle l’une et l’autre, heureusement combinées dans cet État, concourent de la manière la plus approchante de la loi naturelle et la plus favorable à la société, au maintien de l’ordre public et au bonheur des particuliers ? Having had the good fortune to be born among you, how could I meditate on the equality which nature has placed between men and on the inequality which they have instituted, without thinking of the profound wisdom with which one and the other, happily combined in this State, contribute in the manner closest to natural law and most favorable to society, to the maintenance of public order and to the happiness of individuals? En recherchant les meilleures maximes que le bon sens puisse dicter sur la constitution d’un gouvernement, j’ai été si frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre que même sans être né dans vos murs, j’aurais cru ne pouvoir me dispenser d’offrir ce tableau de la société humaine à celui de tous les peuples qui me paraît en posséder les plus grands avantages, et en avoir le mieux prévenu les abus. In researching the best maxims that common sense can dictate on the constitution of a government, I was so struck to see them all in execution within yours that even without having been born within your walls, I would have thought I could not dispense with offering this picture of human society to that of all peoples which seems to me to possess the greatest advantages of it, and to have best prevented its abuses.

Si j’avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j’aurais choisi une société d’une grandeur bornée par l’étendue des facultés humaines, c’est-à-dire par la possibilité d’être bien gouvernée, et où chacun suffisant à son emploi, nul n’eût été contraint de commettre à d’autres les fonctions dont il était chargé : un État où tous les particuliers se connaissant entre eux, les manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n’eussent pu se dérober aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connaître, fît de l’amour de la patrie l’amour des citoyens plutôt que celui de la terre. Se eu tivesse que escolher o lugar do meu nascimento, teria escolhido uma sociedade de tamanho limitado pela extensão das faculdades humanas, isto é, pela possibilidade de ser bem governado, e onde cada um fosse suficiente para seu trabalho, não seria obrigado a confiar a outrem as funções que lhe incumbiam: um Estado onde todos os indivíduos se conhecendo, as obscuras manobras do vício nem a modéstia da virtude não poderiam esconder do olhar e do julgamento de o público, e onde esse doce hábito de se ver e se conhecer, fez do amor da pátria o amor dos cidadãos e não o da terra.

J’aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu’un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu’au bonheur commun ; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s’ensuit que j’aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré. I would have liked to be born in a country where the sovereign and the people could only have one and the same interest, so that all the movements of the machine never tended except for the common happiness; which cannot be done unless the people and the sovereign are the same person, it follows that I would have liked to be born under a democratic government, wisely tempered. Quisera ter nascido num país onde o soberano e o povo só pudessem ter um e o mesmo interesse, de modo que todos os movimentos da máquina nunca tendessem a não ser a felicidade comum; o que não pode ser feito sem que o povo e o soberano sejam a mesma pessoa, segue-se que eu gostaria de ter nascido sob um governo democrático, sabiamente temperado.

J’aurais voulu vivre et mourir libre, c’est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n’en pût secouer l’honorable joug ; ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d’autant plus docilement qu’elles sont faites pour n’en porter aucun autre. I would have liked to live and die free, that is to say so subject to the laws that neither I nor anyone else could shake off its honorable yoke; this salutary and gentle yoke, which the proudest heads bear all the more docilely because they are made to bear no other. Quisera viver e morrer livre, isto é, tão sujeito às leis que nem eu nem ninguém pudesse livrar-se de seu jugo honroso; este jugo salutar e suave, que as cabeças mais orgulhosas suportam tanto mais docilmente quanto não são feitas para suportar outro.

J’aurais donc voulu que personne dans l’État n’eût pu se dire au-dessus de la loi, et que personne au-dehors n’en pût imposer que l’État fût obligé de reconnaître. So I would have liked that no one in the state could claim to be above the law, and that no one outside could impose that the state was obliged to recognize it. Então, eu gostaria que ninguém no estado pudesse alegar estar acima da lei, e que ninguém de fora pudesse impor que o estado fosse obrigado a reconhecê-la. Car quelle que puisse être la constitution d’un gouvernement, s’il s’y trouve un seul homme qui ne soit pas soumis à la loi, tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-là1 ; et s’il y a un chef national, et un autre chef étranger, quelque partage d’autorité qu’ils puissent faire, il est impossible que l’un et l’autre soient bien obéis et que l’État soit bien gouverné. For whatever may be the constitution of a government, if there be one man who is not subject to the law, all the others are necessarily at the discretion of that one; and if there is a national chief, and another foreign leader, whatever share of authority they may make, it is impossible for both to be well obeyed and for the state to be well governed.

Je n’aurais point voulu habiter une République de nouvelle institution, quelques bonnes lois qu’elle pût avoir ; de peur que le gouvernement autrement constitué peut-être qu’il ne faudrait pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux citoyens, ou les citoyens au nouveau gouvernement, l’État ne fût sujet à être ébranlé et détruit presque dès sa naissance. I would not have wished to live in a newly-established Republic, however good its laws might be; for fear that the government, perhaps otherwise constituted than it should be for the time being, might not be suited to the new citizens, or the citizens to the new government, and the State might be liable to be shaken and destroyed almost as soon as it was born. Eu não gostaria de viver em uma República com uma nova instituição, quaisquer que sejam as boas leis que ela possa ter; para que o governo não fosse constituído talvez de outra forma do que deveria no momento, não condizente com os novos cidadãos, ou os cidadãos com o novo governo, o estado deveria estar sujeito a ser abalado e destruído quase desde o seu nascimento. Car il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et fortifier les tempéraments robustes qui en ont l’habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n’y sont point faits. For it is with freedom as with those solid and succulent foods, or those generous wines, suitable for nourishing and fortifying the robust temperaments which are accustomed to them, but which overwhelm, ruin and intoxicate the weak and delicate who do not are not made there. Pois é com liberdade como com aquelas comidas sólidas e suculentas, ou aqueles vinhos generosos, adequados para nutrir e fortificar os temperamentos robustos que estão acostumados a eles, mas que oprimem, arruínam e intoxicam os fracos e delicados que não são feitos lá. . Les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s’en passer. Once people have become accustomed to their masters, they can no longer do without them. S’ils tentent de secouer le joug, ils s’éloignent d’autant plus de la liberté que prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu’aggraver leurs chaînes. If they attempt to shake off the yoke, they distance themselves all the more from freedom because, taking for it an unbridled license which is opposed to it, their revolutions almost always deliver them up to seducers who only aggravate their chains. Se tentam livrar-se do jugo, distanciam-se ainda mais da liberdade porque, tomando por ela uma licença desenfreada que lhe é contrária, suas revoluções quase sempre os entregam a sedutores que só agravam suas cadeias. Le peuple romain lui-même, ce modèle de tous les peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l’oppression des Tarquins. The Roman people itself, this model of all free peoples, was not in a condition to govern itself on emerging from the oppression of the Tarquins. O próprio povo romano, esse modelo de todos os povos livres, não estava em condições de se governar ao sair da opressão dos Tarquínios. Avili par l’esclavage et les travaux ignominieux qu’ils lui avaient imposés, ce n’était d’abord qu’une stupide populace qu’il fallut ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin que s’accoutumant peu à peu à respirer l’air salutaire de la liberté, ces âmes énervées ou plutôt abruties sous la tyrannie, acquissent par degrés cette sévérité de mœurs et cette fierté de courage qui en firent enfin le plus respectable de tous les peuples. Degraded by slavery and the ignominious work they had imposed on it, it was at first only a stupid populace that had to be spared and governed with the greatest wisdom, so that, gradually accustoming itself to to breathe the salutary air of liberty, these souls enervated or rather stupefied under tyranny, acquired by degrees that severity of morals and that pride of courage which finally made them the most respectable of all peoples. Degradada pela escravidão e pelo trabalho ignominioso que lhe haviam imposto, foi a princípio apenas um povo estúpido que teve de ser poupado e governado com a maior sabedoria, de modo que, acostumando-se gradualmente a respirar o ar salutar da liberdade, essas almas enervados, ou melhor, estupefatos sob a tirania, adquiriram gradualmente aquela severidade de moral e aquele orgulho de coragem que finalmente os tornaram os mais respeitáveis de todos os povos. J’aurais donc cherché pour ma patrie une heureuse et tranquille république dont l’ancienneté se perdît en quelque sorte dans la nuit des temps ; qui n’eût éprouvé que des atteintes propres à manifester et affermir dans ses habitants le courage et l’amour de la patrie, et où les citoyens, accoutumés de longue main à une sage indépendance, fussent, non seulement libres, mais dignes de l’être. Eu teria, portanto, procurado para meu país uma república feliz e pacífica, cuja antiguidade se perdesse de alguma forma nas brumas do tempo; que só teria sofrido ataques calculados para manifestar e fortalecer em seus habitantes a coragem e o amor à pátria, e onde os cidadãos, acostumados há muito tempo a uma sábia independência, eram não apenas livres, mas dignos do 'ser'.

J’aurais voulu me choisir une patrie, détournée par une heureuse impuissance du féroce amour des conquêtes, et garantie par une position encore plus heureuse de la crainte de devenir elle-même la conquête d’un autre État : une ville libre placée entre plusieurs peuples dont aucun n’eût intérêt à l’envahir, et dont chacun eût intérêt d’empêcher les autres de l’envahir eux-mêmes, une république, en un mot, qui ne tentât point l’ambition de ses voisins et qui pût raisonnablement compter sur leur secours au besoin. I would have liked to have chosen a country, diverted by a happy impotence from the ferocious love of conquests, and guaranteed by an even happier position of the fear of becoming itself the conquest of another State: a free city placed between several peoples, none of whom had any interest in invading it, and each of whom had an interest in preventing others from invading it themselves, a republic, in a word, which did not tempt the ambition of its neighbors, and which could Reasonably rely on their help as needed. Gostaria de escolher uma pátria, desviada por uma feliz impotência do feroz amor da conquista, e garantida por uma posição ainda mais feliz do medo de se tornar ela própria a conquista de outro Estado: uma cidade livre colocada entre vários povos, nenhum que tinha interesse em invadi-la, e cada um dos quais teria interesse em impedir que os outros a invadissem, uma república, em uma palavra, que não tentasse a ambição de seus vizinhos e que pudesse razoavelmente contar com sua ajuda se necessário. Il s’ensuit que dans une position si heureuse, elle n’aurait rien eu à craindre que d’elle-même, et que si ses citoyens s’étaient exercés aux armes, c’eût été plutôt pour entretenir chez eux cette ardeur guerrière et cette fierté de courage qui sied si bien à la liberté et qui en nourrit le goût que par la nécessité de pourvoir à leur propre défense. Segue-se que, em uma situação tão feliz, ela não teria nada a temer a não ser de si mesma, e que, se seus cidadãos se exercitassem em armas, teriam sido antes para manter entre eles esse ardor guerreiro e esse orgulho de coragem que condiz tão bem com a liberdade e que nutre o gosto por ela apenas pela necessidade de prover sua própria defesa.

J’aurais cherché un pays où le droit de législation fût commun à tous les citoyens ; car qui peut mieux savoir qu’eux sous quelles conditions il leur convient de vivre ensemble dans une même société ? Mais je n’aurais pas approuvé des plébiscites semblables à ceux des Romains où les chefs de l’État et les plus intéressés à sa conservation étaient exclus des délibérations dont souvent dépendait son salut, et où par une absurde inconséquence les magistrats étaient privés des droits dont jouissaient les simples citoyens. But I would not have approved of plebiscites similar to those of the Romans where the heads of the state and those most interested in its preservation were excluded from the deliberations on which its salvation often depended, and where by an absurd inconsistency the magistrates were deprived of the rights enjoyed by ordinary citizens.

Au contraire, j’aurais désiré que pour arrêter les projets intéressés et mal conçus, et les innovations dangereuses qui perdirent enfin les Athéniens, chacun n’eût pas le pouvoir de proposer de nouvelles lois à sa fantaisie ; que ce droit appartînt aux seuls magistrats ; qu’ils en usassent même avec tant de circonspection, que le peuple de son côté fût si réservé à donner son consentement à ces lois, et que la promulgation ne pût s’en faire qu’avec tant de solennité, qu’avant que la constitution fût ébranlée on eût le temps de se convaincre que c’est surtout la grande antiquité des lois qui les rend saintes et vénérables, que le peuple méprise bientôt celles qu’il voit changer tous les jours, et qu’en s’accoutumant à négliger les anciens usages sous prétexte de faire mieux, on introduit souvent de grands maux pour en corriger de moindres. On the contrary, I would have wished that, in order to stop the selfish and ill-conceived projects, and the dangerous innovations which finally ruined the Athenians, each one had not had the power to propose new laws at his whim; that this right belonged to the magistrates alone; that they even used them with so much circumspection, that the people on their side were so reserved in giving their consent to these laws, and that their promulgation could only be done with so much solemnity, that before the constitution were shaken, there would have been time to convince oneself that it is above all the great antiquity of the laws which makes them holy and venerable, that the people soon despise those which they see changing every day, and that by becoming accustomed to neglecting old customs under the pretext of doing better, we often introduce great evils to correct lesser ones. Ao contrário, eu desejaria que, para deter os projetos egoístas e mal concebidos, e as perigosas inovações que finalmente arruinaram os atenienses, cada um não tivesse o poder de propor novas leis à sua vontade; que esse direito pertencia apenas aos magistrados; que até as usavam com tanta circunspecção, que as pessoas do seu lado eram tão reservadas em dar seu consentimento a essas leis, e que sua promulgação só poderia ser feita com tanta solenidade, que antes que a constituição fosse abalada, teria havido tempo de se convencer de que é sobretudo a grande antiguidade das leis que as torna santas e veneráveis, que o povo logo despreza aquelas que vêem mudar todos os dias e que, acostumando-se a negligenciar velhos costumes sob o pretexto de fazer melhor, muitas vezes introduzimos grandes males para corrigir os menores.

J’aurais fui surtout, comme nécessairement mal gouvernée, une république où le peuple, croyant pouvoir se passer de ses magistrats ou ne leur laisser qu’une autorité précaire, aurait imprudemment gardé l’administration des affaires civiles et l’exécution de ses propres lois ; telle dut être la grossière constitution des premiers gouvernements sortant immédiatement de l’état de nature, et tel fut encore un des vices qui perdirent la république d’Athènes. Above all, I would have fled, as necessarily badly governed, a republic where the people, believing they could do without their magistrates or leave them only a precarious authority, would have imprudently retained the administration of civil affairs and the execution of their own laws; such must have been the crude constitution of the first governments emerging immediately from the state of nature, and such was still one of the vices which ruined the republic of Athens. Acima de tudo, eu teria fugido, como necessariamente mal governado, de uma república onde o povo, acreditando poder prescindir de seus magistrados ou deixar-lhes apenas uma autoridade precária, teria imprudentemente retido a administração dos negócios civis e a execução de suas próprias leis. ; tal deve ter sido a grosseira constituição dos primeiros governos que saíram imediatamente do estado de natureza, e tal foi ainda um dos vícios que arruinaram a república de Atenas.

Mais j’aurais choisi celle où les particuliers se contentant de donner la sanction aux lois, et de décider en corps et sur le rapport des chefs les plus importantes affaires publiques, établiraient des tribunaux respectés, en distingueraient avec soin les divers départements ; éliraient d’année en année les plus capables et les plus intègres de leurs concitoyens pour administrer la justice et gouverner l’État ; et où la vertu des magistrats portant ainsi témoignage de la sagesse du peuple, les uns et les autres s’honoreraient mutuellement. But I would have chosen that where the individuals, contenting themselves with giving the sanction to the laws, and deciding as a body and on the report of the chiefs the most important public affairs, would establish respected tribunals, carefully distinguishing their various departments; would elect from year to year the most capable and honest of their fellow citizens to administer justice and govern the state; and where the virtue of the magistrates thus bearing witness to the wisdom of the people, both would honor each other mutually. Mas eu teria escolhido que onde os indivíduos, contentando-se em dar a sanção às leis e decidindo em conjunto e com base no relatório dos chefes os assuntos públicos mais importantes, estabelecessem tribunais respeitados, distinguindo cuidadosamente seus vários departamentos; elegeria de ano em ano o mais capaz e honesto de seus concidadãos para administrar a justiça e governar o estado; e onde a virtude dos magistrados testemunhando assim a sabedoria do povo, ambos se honrariam mutuamente. De sorte que si jamais de funestes malentendus venaient à troubler la concorde publique, ces temps mêmes d’aveuglement et d’erreurs fussent marqués par des témoignages de modération, d’estime réciproque, et d’un commun respect pour les lois ; présages et garants d’une réconciliation sincère et perpétuelle. De modo que, se mal-entendidos fatais perturbavam a harmonia pública, esses mesmos tempos de cegueira e erros foram marcados por testemunhos de moderação, estima recíproca e respeito comum pelas leis; presságios e garantes de uma reconciliação sincera e perpétua.

Tels sont, MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS, ET SOUVERAINS SEIGNEURS, les avantages que j’aurais recherchés dans la patrie que je me serais choisie. Such are, MAGNIFICENT, VERY HONORED, AND SOVEREIGN LORDS, the advantages that I would have sought in the country that I would have chosen for myself. Que si la providence y avait ajouté de plus une situation charmante, un climat tempéré, un pays fertile, et l’aspect le plus délicieux qui soit sous le ciel, je n’aurais désiré pour combler mon bonheur que de jouir de tous ces biens dans le sein de cette heureuse patrie, vivant paisiblement dans une douce société avec mes concitoyens, exerçant envers eux, et à leur exemple, l’humanité, l’amitié et toutes les vertus, et laissant après moi l’honorable mémoire d’un homme de bien, et d’un honnête et vertueux patriote. Que se a providência lhe tivesse acrescentado uma situação encantadora, um clima temperado, um país fértil e o aspecto mais delicioso que há sob o céu, eu teria desejado preencher minha felicidade apenas para desfrutar de todos esses bens. feliz pátria, convivendo pacificamente em uma sociedade amável com meus concidadãos, exercendo para com eles e seguindo seu exemplo a humanidade, a amizade e todas as virtudes, e deixando atrás de mim a honrosa memória de um homem bom e um patriota honesto e virtuoso .

Si, moins heureux ou trop tard sage, je m’étais vu réduit à finir en d’autres climats une infirme et languissante carrière, regrettant inutilement le repos et la paix dont une jeunesse imprudente m’aurait privé ; j’aurais du moins nourri dans mon âme ces mêmes sentiments dont je n’aurais pu faire usage dans mon pays, et pénétré d’une affection tendre et désintéressée pour mes concitoyens éloignés, je leur aurais adressé du fond de mon cœur à peu près le discours suivant. If, less happy or wise too late, I had seen myself reduced to finishing an infirm and languishing career in other climes, needlessly regretting the rest and the peace of which an imprudent youth would have deprived me; I would at least have nourished in my soul these same feelings which I could not have used in my country, and imbued with a tender and disinterested affection for my distant fellow-citizens, I would have addressed to them from the bottom of my heart almost the next speech. Se, menos feliz ou sábio tarde demais, eu me visse reduzido a terminar uma carreira enferma e lânguida em outros climas, lamentando desnecessariamente o descanso e a paz de que um jovem imprudente me teria privado; Eu teria ao menos nutrido em minha alma esses mesmos sentimentos que não poderia ter usado em meu país, e imbuído de uma afeição terna e desinteressada por meus concidadãos distantes, eu teria dirigido a eles do fundo do meu coração quase o próximo discurso.

Mes chers concitoyens ou plutôt mes frères, puisque les liens du sang ainsi que les lois nous unissent presque tous, il m’est doux de ne pouvoir penser à vous, sans penser en même temps à tous les biens dont vous jouissez et dont nul de vous peut-être ne sent mieux le prix que moi qui les ai perdus. My dear fellow citizens, or rather my brothers, since blood ties as well as the laws unite us almost all, it is sweet for me not to be able to think of you, without thinking at the same time of all the goods which you enjoy and which no one you perhaps do not feel the prize better than I who lost them. Meus caros concidadãos, ou melhor, meus irmãos, já que os laços de sangue e as leis nos unem quase a todos, é doce para mim não poder pensar em vocês, sem pensar ao mesmo tempo em todos os bens de que gozam. e que ninguém você talvez não sinta o prêmio melhor do que eu que os perdi. Plus je réfléchis sur votre situation politique et civile, et moins je puis imaginer que la nature des choses humaines puisse en comporter une meilleure. Dans tous les autres gouvernements, quand il est question d’assurer le plus grand bien de l’État, tout se borne toujours à des projets en idées, et tout au plus à de simples possibilités. Em todos os outros governos, quando se trata de assegurar o bem maior do Estado, tudo se limita sempre a projetos em idéias e, no máximo, a meras possibilidades. Pour vous, votre bonheur est tout fait, il ne faut qu’en jouir, et vous n’avez plus besoin pour devenir parfaitement heureux que de savoir vous contenter de l’être. For you, your happiness is complete, all you have to do is enjoy it, and all you need to become perfectly happy is to know how to be content with being so. Votre souveraineté acquise ou recouvrée à la pointe de l’épée, et conservée durant deux siècles à force de valeur et de sagesse, est enfin pleinement et universellement reconnue. Sua soberania adquirida ou recuperada na ponta da espada, e preservada por dois séculos através do valor e da sabedoria, é finalmente reconhecida plena e universalmente. Des traités honorables fixent vos limites, assurent vos droits, et affermissent votre repos. Votre constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et garantie par des puissances amies et respectables ; votre État est tranquille, vous n’avez ni guerres ni conquérants à craindre ; vous n’avez point d’autres maîtres que de sages lois que vous avez faites, administrées par des magistrats intègres qui sont de votre choix ; vous n’êtes ni assez riches pour vous énerver par la mollesse et perdre dans de vaines délices le goût du vrai bonheur et des solides vertus, ni assez pauvres pour avoir besoin de plus de secours étrangers que ne vous en procure votre industrie ; et cette liberté précieuse qu’on ne maintient chez les grandes nations qu’avec des impôts exorbitants, ne vous coûte presque rien à conserver.

Puisse durer toujours pour le bonheur de ses citoyens et l’exemple des peuples une république si sagement et si heureusement constituée ! Que dure para sempre uma república tão sabiamente e tão felizmente constituída, para a felicidade de seus cidadãos e o exemplo do povo! Voilà le seul vœu qui vous reste à faire, et le seul soin qui vous reste à prendre. C’est à vous seuls désormais, non à faire votre bonheur, vos ancêtres vous en ont évité la peine, mais à le rendre durable par la sagesse d’en bien user. It is now up to you alone, not to make your happiness, your ancestors spared you the trouble, but to make it lasting by the wisdom of using it well. Agora cabe apenas a você, não fazer sua felicidade, seus ancestrais pouparam-lhe o trabalho, mas torná-la duradoura pela sabedoria de usá-la bem. C’est de votre union perpétuelle, de votre obéissance aux lois ; de votre respect pour leurs ministres que dépend votre conservation. S’il reste parmi vous le moindre germe d’aigreur ou de défiance, hâtez-vous de le détruire comme un levain funeste d’où résulteraient tôt ou tard vos malheurs et la ruine de l’État. If there remains among you the slightest germ of bitterness or mistrust, hasten to destroy it like a disastrous leaven from which sooner or later your misfortunes and the ruin of the State will result. Se houver entre vocês o menor germe de amargura ou desconfiança, apressem-se a destruí-lo como um fermento desastroso do qual mais cedo ou mais tarde resultarão seus infortúnios e a ruína do Estado. Je vous conjure de rentrer tous au fond de votre cœur et de consulter la voix secrète de votre conscience. Exorto todos vocês a irem ao fundo de seus corações e consultarem a voz secreta de sua consciência. Quelqu’un parmi vous connaît-il dans l’univers un corps plus intègre, plus éclairé, plus respectable que celui de votre magistrature ? Alguém entre vocês conhece no universo um corpo mais reto, mais iluminado, mais respeitável que o de sua magistratura? Tous ses membres ne vous donnent-ils pas l’exemple de la modération, de la simplicité de mœurs, du respect pour les lois et de la plus sincère réconciliation : rendez donc sans réserve à de si sages chefs cette salutaire confiance que la raison doit à la vertu ; songez qu’ils sont de votre choix, qu’ils le justifient, et que les honneurs dus à ceux que vous avez constitués en dignité retombent nécessairement sur vous-mêmes. Do not all its members give you the example of moderation, simplicity of morals, respect for the laws and the most sincere reconciliation? to virtue; think that they are of your choice, that they justify it, and that the honors due to those whom you have established in dignity necessarily fall on yourselves. Nul de vous n’est assez peu éclairé pour ignorer qu’où cessent la vigueur des lois et l’autorité de leurs défenseurs, il ne peut y avoir ni sûreté ni liberté pour personne. None of you is sufficiently unenlightened to ignore that where the vigor of the laws and the authority of their defenders cease, there can be neither security nor freedom for anyone. Nenhum de vocês é suficientemente ignorante para ignorar que onde cessa o vigor das leis e a autoridade de seus defensores, não pode haver segurança nem liberdade para ninguém. De quoi s’agit-il donc entre vous que de faire de bon cœur et avec une juste confiance ce que vous seriez toujours obligés de faire par un véritable intérêt, par devoir, et pour la raison ? O que há então entre vocês fazer com bom coração e com justa confiança o que sempre seriam obrigados a fazer por um interesse real, por dever e por razão? Qu’une coupable et funeste indifférence pour le maintient de la constitution, ne vous fasse jamais négliger au besoin les sages avis des plus éclairés et des plus zélés d’entre vous. Mais que l’équité, la modération, la plus respectueuse fermeté, continuent de régler toutes vos démarches et de montrer en vous à tout l’univers l’exemple d’un peuple fier et modeste, aussi jaloux de sa gloire que de sa liberté. Mas que a equidade, a moderação, a mais respeitosa firmeza, continuem a regular todos os teus passos e mostrem em ti a todo o universo o exemplo de um povo orgulhoso e modesto, tão zeloso da sua glória como da sua liberdade. Gardez-vous, surtout et ce sera mon dernier conseil, d’écouter jamais des interprétations sinistres et des discours envenimés dont les motifs secrets sont souvent plus dangereux que les actions qui en sont l’objet. Cuidado, acima de tudo, e este será meu último conselho, de sempre ouvir interpretações sinistras e discursos venenosos, cujos motivos secretos são muitas vezes mais perigosos do que as ações que são objeto deles. Toute une maison s’éveille et se tient en alarmes aux premiers cris d’un bon et fidèle gardien qui n’aboie jamais qu’à l’approche des voleurs ; mais on hait l’importunité de ces animaux bruyants qui troublent sans cesse le repos public, et dont les avertissements continuels et déplacés ne se font pas même écouter au moment qu’ils sont nécessaires. A whole house wakes up and is held in alarm at the first cries of a good and faithful guardian who never barks except at the approach of thieves; but we hate the importunity of these noisy animals which constantly disturb the public tranquility, and whose continual and out of place warnings are not even heard when they are necessary. Uma casa inteira acorda e fica alarmada com os primeiros gritos de um guardião bom e fiel que nunca late, exceto com a aproximação de ladrões; mas odiamos a importunação desses animais barulhentos que constantemente perturbam a tranquilidade pública e cujos avisos contínuos e fora de lugar nem são ouvidos quando são necessários.

Et vous MAGNIFIQUES ET TRÈS HONORÉS SEIGNEURS ; vous dignes et respectables magistrats d’un peuple libre ; permettez-moi de vous offrir en particulier mes hommages et mes devoirs. S’il y a dans le monde un rang propre à illustrer ceux qui l’occupent, c’est sans doute celui que donnent les talents et la vertu, celui dont vous vous êtes rendus dignes, et auquel vos concitoyens vous ont élevés. Leur propre mérite ajoute encore au vôtre un nouvel éclat, et choisis par des hommes capables d’en gouverner d’autres, pour les gouverner eux-mêmes, je vous trouve autant au-dessus des autres magistrats qu’un peuple libre, et surtout celui que vous avez l’honneur de conduire, est par ses lumières et par sa raison au-dessus de la populace des autres États. Seu próprio mérito acrescenta ainda um novo brilho ao seu, e escolhido por homens capazes de governar os outros, para governá-los a si mesmos, eu te acho tão acima dos outros magistrados quanto um povo livre, e acima de tudo aquilo que você tem a honra de dirigir, é por seu conhecimento e sua razão acima da população dos outros Estados.

Qu’il me soit permis de citer un exemple dont il devrait rester de meilleures traces, et qui sera toujours présent à mon cœur. Je ne me rappelle point sans la plus douce émotion la mémoire du vertueux citoyen de qui j’ai reçu le jour, et qui souvent entretint mon enfance du respect qui vous était dû. Não me lembro sem a mais doce emoção da memória do virtuoso cidadão de quem nasci, e que muitas vezes manteve minha infância com o respeito que lhe era devido. Je le vois encore vivant du travail de ses mains, et nourrissant son âme des vérités les plus sublimes. Je vois Tacite, Plutarque et Grotius, mêlés devant lui avec les instruments de son métier. I see Tacitus, Plutarch and Grotius, mingled before him with the instruments of his trade. Je vois à ses côtés un fils chéri recevant avec trop peu de fruit les tendres instructions du meilleur des pères. Mais si les égarements d’une folle jeunesse me firent oublier durant un temps de si sages leçons, j’ai le bonheur d’éprouver enfin que, quelque penchant qu’on ait vers le vice, il est difficile qu’une éducation dont le cœur se mêle reste perdue pour toujours. But if the aberrations of a mad youth made me forget for a time such wise lessons, I have the happiness to finally experience that, whatever inclination one has towards vice, it is difficult for an education whose heart mingles remains lost forever. Mas se as aberrações de um jovem louco me fizeram esquecer por algum tempo lições tão sábias, tenho a felicidade de finalmente experimentar que, qualquer que seja a inclinação para o vício, é difícil que uma educação cujo coração se misture fique perdida para sempre.

Tels sont, MAGNIFIQUES ET TRÈS HONORÉS SEIGNEURS, les citoyens et même les simples habitants nés dans l’État que vous gouvernez ; tels sont ces hommes instruits et sensés dont, sous le nom d’ouvriers et de peuple, on a chez les autres nations des idées si basses et si fausses. Tais são, MAGNÍFICOS E HONRADOS SENHORES, os cidadãos e até os simples habitantes nascidos no Estado que governais; tais são aqueles homens instruídos e sensatos dos quais, sob o nome de trabalhadores e povo, se tem entre outras nações tais idéias baixas e falsas. Mon père, je l’avoue avec joie, n’était point distingué parmi ses concitoyens ; il n’était que ce qu’ils sont tous, et tel qu’il était, il n’y a point de pays où sa société n’eût été recherchée, cultivée, et même avec fruit, par les plus honnêtes gens. My father, I confess with joy, was not distinguished among his fellow citizens; he was only what they all are, and such as he was, there is no country where his society would not have been sought after, cultivated, and even fruitfully, by the most honest people. Meu pai, confesso com alegria, não se distinguia entre seus concidadãos; ele era apenas o que todos eles são, e como ele era, não há país onde sua sociedade não tivesse sido procurada, cultivada e até frutífera pelas pessoas mais honestas. Il ne m’appartient pas, et grâce au ciel, il n’est pas nécessaire de vous parler des égards que peuvent attendre de vous des hommes de cette trempe, vos égaux par l’éducation, ainsi que par les droits de la nature et de la naissance ; vos inférieurs par leur volonté, par la préférence qu’ils devaient à votre mérite, qu’ils lui ont accordée, et pour laquelle vous leur devez à votre tour une sorte de reconnaissance. Não me pertence, e graças a Deus, não é necessário falar-lhe da consideração que se pode esperar de você por homens deste cunho, seus iguais na educação, bem como nos direitos da natureza e desde o nascimento. ; vossos inferiores por sua vontade, pela preferência que deram ao vosso mérito, que lhe concederam, e pela qual, por sua vez, vós lhes deveis uma espécie de gratidão. J’apprends avec une vive satisfaction de combien de douceur et de condescendance vous tempérez avec eux la gravité convenable aux ministres des lois, combien vous leur rendez en estime et en attentions ce qu’ils vous doivent d’obéissance et de respects ; conduite pleine de justice et de sagesse, propre à éloigner de plus en plus la mémoire des événements malheureux qu’il faut oublier pour ne les revoir jamais : conduite d’autant plus judicieuse que ce peuple équitable et généreux se fait un plaisir de son devoir, qu’il aime naturellement à vous honorer, et que les plus ardents à soutenir leurs droits sont les plus portés à respecter les vôtres. Aprendo com grande satisfação quanta gentileza e condescendência você tempera com eles a gravidade própria dos ministros da lei, quanto você lhes presta em estima e atenção o que eles devem a você em termos de obediência e respeito; conduta cheia de justiça e sabedoria, própria para distanciar cada vez mais a memória de acontecimentos infelizes que devem ser esquecidos para nunca mais vê-los: conduta tanto mais judiciosa quanto este povo justo e generoso se compraz em seu dever, que ele naturalmente gosta de honrá-lo, e que os mais ardentes em defender seus direitos são os mais inclinados a respeitar os seus.

Il ne doit pas être étonnant que les chefs d’une société civile en aiment la gloire et le bonheur, mais il l’est trop pour le repos des hommes que ceux qui se regardent comme les magistrats, ou plutôt comme les maîtres d’une patrie plus sainte et plus sublime, témoignent quelque amour pour la patrie terrestre qui les nourrit. Não deve surpreender que os dirigentes de uma sociedade civil amem sua glória e felicidade, mas é demais para a paz dos homens que aqueles que se consideram magistrados, ou antes, senhores de uma pátria mais santa e mais sublime, testemunhem alguns amor pela pátria terrena que os nutre. Qu’il m’est doux de pouvoir faire en notre faveur une exception si rare, et placer au rang de nos meilleurs citoyens ces zélés, dépositaires des dogmes sacrés autorisés par les lois, ces vénérables pasteurs des âmes, dont la vive et douce éloquence porte d’autant mieux dans les cœurs les maximes de l’Évangile qu’ils commencent toujours par les pratiquer eux-mêmes ! Como é doce para mim poder fazer tão rara exceção a nosso favor, e colocar entre nossos melhores cidadãos esses zelosos, depositários dos dogmas sagrados autorizados pelas leis, esses veneráveis pastores de almas, cuja eloquência viva e gentil carrega as máximas do Evangelho tanto melhor em seus corações se começarem sempre por praticá-las! Tout le monde sait avec quel succès le grand art de la chaire est cultivé à Genève ; mais, trop accoutumés à voir dire d’une manière et faire d’une autre, peu de gens savent jusqu’à quel point l’esprit du christianisme, la sainteté des mœurs, la sévérité pour soi-même et la douceur pour autrui, règnent dans le corps de nos ministres. Everyone knows with what success the great art of the pulpit is cultivated in Geneva; but, too accustomed to seeing things said in one way and done in another, few people know to what extent the spirit of Christianity, the sanctity of morals, severity for oneself and gentleness for others, reign in the body of our ministers. Peut-être appartient-il à la seule ville de Genève de montrer l’exemple édifiant d’une aussi parfaite union entre une société de théologiens et de gens de lettres. C’est en grande partie sur leur sagesse et leur modération reconnues, c’est sur leur zèle pour la prospérité de l’État que je fonde l’espoir de son éternelle tranquillité ; et je remarque avec un plaisir mêlé d’étonnement et de respect combien ils ont horreur pour les affreuses maximes de ces hommes sacrés et barbares dont l’Histoire fournit plus d’un exemple, et qui, pour soutenir les prétendus droits de Dieu, c’est-à-dire leurs intérêts, étaient d’autant moins avares du sang humain qu’ils se flattaient que le leur serait toujours respecté. It is largely on their recognized wisdom and moderation, it is on their zeal for the prosperity of the State that I base the hope of its eternal tranquillity; and I notice with a pleasure mingled with astonishment and respect how much they abhor the dreadful maxims of those sacred and barbarous men of whom history furnishes more than one example, and who, in support of the pretended rights of God, That is to say, their interests were all the less miserly of human blood as they flattered themselves that theirs would always be respected. É em grande parte na sua reconhecida sabedoria e moderação, é no seu zelo pela prosperidade do Estado que baseio a esperança da sua eterna tranquilidade; e noto com um prazer misturado com espanto e respeito o quanto eles abominam as terríveis máximas daqueles homens sagrados e bárbaros de quem a história fornece mais de um exemplo, e que, em defesa dos pretensos direitos de Deus, isto é, seus interesses eram tanto menos avarentos do sangue humano quanto se gabavam de que os seus sempre seriam respeitados.

Pourrais-je oublier cette précieuse moitié de la république qui fait le bonheur de l’autre, et dont la douceur et la sagesse y maintiennent la paix et les bonnes mœurs ? Poderia eu esquecer aquela metade preciosa da república que faz a felicidade do outro, e cuja doçura e sabedoria mantêm ali a paz e os bons costumes? Aimables et vertueuses citoyennes, le sort de votre sexe sera toujours de gouverner le nôtre. Heureux ! quand votre chaste pouvoir, exercé seulement dans l’union conjugale, ne se fait sentir que pour la gloire de l’État et le bonheur public. quando seu poder casto, exercido apenas na união conjugal, é sentido apenas para a glória do Estado e a felicidade pública. C’est ainsi que les femmes commandaient à Sparte, et c’est ainsi que vous méritez de commander à Genève. That's how women ruled in Sparta, and that's how you deserve to rule in Geneva. Quel homme barbare pourrait résister à la voix de l’honneur et de la raison dans la bouche d’une tendre épouse ; et qui ne mépriserait un vain luxe, en voyant votre simple et modeste parure, qui par l’éclat qu’elle tient de vous semble être la plus favorable à la beauté ? What barbarous man could resist the voice of honor and reason in the mouth of a tender wife; and who would not despise a vain luxury, seeing your simple and modest adornment, which by the brilliance it derives from you seems to be the most favorable to beauty? Que homem bárbaro poderia resistir à voz da honra e da razão na boca de uma terna esposa; e quem não desprezaria um vão luxo, vendo seu simples e modesto adorno, que pelo brilho que deriva de você parece ser o mais favorável à beleza? C’est à vous de maintenir toujours par votre aimable et innocent empire et par votre esprit insinuant l’amour des lois dans l’État et la concorde parmi les citoyens ; de réunir par d’heureux mariages les familles divisées ; et surtout de corriger par la persuasive douceur de vos leçons et par les grâces modestes de votre entretien, les travers que nos jeunes gens vont prendre en d’autres pays, d’où, au lieu de tant de choses utiles dont ils pourraient profiter, ils ne rapportent, avec un ton puéril et des airs ridicules pris parmi des femmes perdues, que de l’admiration de je ne sais quelles prétendues grandeurs, frivoles dédommagements de la servitude, qui ne vaudront jamais l’auguste liberté. It is up to you always to maintain by your amiable and innocent empire and by your insinuating spirit the love of the laws in the State and harmony among the citizens; to reunite divided families in happy marriages; and above all to correct by the persuasive sweetness of your lessons and by the modest graces of your maintenance, the faults that our young people will take in other countries, from where, instead of so many useful things from which they could profit, they bring back, with a puerile tone and ridiculous airs taken among lost women, only admiration of I know not what pretended greatness, frivolous compensations for servitude, which will never be worth august freedom. Soyez donc toujours ce que vous êtes, les chastes gardiennes des mœurs et les doux liens de la paix, et continuez de faire valoir en toute occasion les droits du cœur et de la nature au profit du devoir et de la vertu.

Je me flatte de n’être point démenti par l’événement, en fondant sur de tels garants l’espoir du bonheur commun des citoyens et de la gloire de la république. I flatter myself that I will not be contradicted by events, basing on such guarantees the hope of the common happiness of the citizens and of the glory of the republic. Eu me gabo de não ser contrariado pelos acontecimentos, baseando em tais garantias a esperança da felicidade comum dos cidadãos e da glória da república. J’avoue qu’avec tous ces avantages, elle ne brillera pas de cet éclat dont la plupart des yeux sont éblouis et dont le puéril et funeste goût est le plus mortel ennemi du bonheur et de la liberté. Confesso que com todas essas vantagens, não brilhará com aquele brilho com que a maioria dos olhos se deslumbra e cujo gosto infantil e fatal é o inimigo mais mortal da felicidade e da liberdade. Qu’une jeunesse dissolue aille chercher ailleurs des plaisirs faciles et de longs repentirs. Que les prétendus gens de goût admirent en d’autres lieux la grandeur des palais, la beauté des équipages, les superbes ameublements, la pompe des spectacles et tous les raffinements de la mollesse et du luxe. À Genève, on ne trouvera que des hommes, mais pourtant un tel spectacle a bien son prix, et ceux qui le rechercheront vaudront bien les admirateurs du reste.

Daignez MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS et SOUVERAINS SEIGNEURS, recevoir tous avec la même bonté les respectueux témoignages de l’intérêt que je prends à votre prospérité commune. Dignai-vos MAGNÍFICOS, MUITO HONRADOS e SOBERANOS SENHORES, para receber a todos com a mesma amabilidade os respeitosos testemunhos do interesse que tenho pela vossa prosperidade comum. Si j’étais assez malheureux pour être coupable de quelque transport indiscret dans cette vive effusion de mon cœur, je vous supplie de le pardonner à la tendre affection d’un vrai patriote, et au zèle ardent et légitime d’un homme qui n’envisage point de plus grand bonheur pour lui-même que celui de vous voir tous heureux. If I was unfortunate enough to be guilty of some indiscreet transport in this lively effusion of my heart, I beg you to pardon it with the tender affection of a true patriot, and with the ardent and legitimate zeal of a man who does not considers no greater happiness for himself than to see you all happy.

Je suis avec le plus profond respect

MAGNIFIQUES, TRÈS HONORÉS ET SOUVERAINS SEIGNEURS,

Votre très humble et très obéissant serviteur et concitoyen.

À Chambéry, le 12 juin 1754.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

Notes

1. Hérodote raconte qu’après le meurtre du faux Smerdis, les sept libérateurs de la Perse s’étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu’ils donneraient à l’État, Otanès opina fortement pour la république ; avis d’autant plus extraordinaire dans la bouche d’un satrape qu’outre la prétention qu’il pouvait avoir à l’empire, les Grands craignent plus que la mort une sorte de gouvernement qui les force à respecter les hommes. Herodotus relates that after the murder of the false Smerdis, the seven liberators of Persia having assembled to deliberate on the form of government which they would give to the State, Otanès strongly opined for the republic; advice all the more extraordinary in the mouth of a satrap that in addition to the claim which it could have with the empire, the Large ones fear more than death a kind of government which forces them to respect the men. Heródoto relata que após o assassinato do falso Esmérdis, os sete libertadores da Pérsia reunidos para deliberar sobre a forma de governo que dariam ao Estado, Otanes opinou fortemente pela república; conselho ainda mais extraordinário na boca de um sátrapa que, além da pretensão que poderia ter com o império, os Grandes temem mais do que a morte uma espécie de governo que os obriga a respeitar os homens. Otanès, comme on peut bien croire, ne fut pointé écouté et, voyant qu’on allait procéder à l’élection d’un monarque, lui qui ne voulait ni obéir ni commander, céda volontairement aux autres concurrents son droit à la couronne, demandant pour tout dédommagement d’être libre et indépendant, lui et sa postérité, ce qui lui fut accordé. Otanès, as we can well believe, was not listened to and, seeing that we were going to proceed to the election of a monarch, he who did not want to obey or command, voluntarily ceded to the other competitors his right to the crown, asking for any compensation to be free and independent, he and his posterity, which was granted to him. Otanès, como bem podemos crer, não foi ouvido e, vendo que íamos proceder à eleição de um monarca, aquele que não quis obedecer nem mandar, cedeu voluntariamente aos demais concorrentes o seu direito à coroa, pedindo qualquer compensação para ser livre e independente, ele e sua posteridade, que lhe foi concedida. Quand Hérodote ne nous apprendrait pas la restriction qui fut mise à ce privilège, il faudrait nécessairement la supposer ; autrement Otanès, ne reconnaissant aucune sorte de loi et n’ayant de compte à rendre à personne, aurait été tout-puissant dans l’État et plus puissant que le roi même. Se Heródoto não nos informasse da restrição que se colocava a esse privilégio, seria necessariamente necessário supor; caso contrário, Otanes, não reconhecendo nenhum tipo de lei e não tendo contas a prestar a ninguém, teria sido todo-poderoso no estado e mais poderoso do que o próprio rei. Mais il n’y avait guère d’apparence qu’un homme capable de se contenter en pareil cas d’un tel privilège fût capable d’en abuser. But it was hardly likely that a man capable of being content in such a case with such a privilege would be capable of abusing it. Mas era pouco provável que um homem capaz de se contentar em tal caso com tal privilégio fosse capaz de abusar dele. En effet, on ne voit pas que ce droit ait jamais causé le moindre trouble dans le royaume, ni par le sage Otanès, ni aucun de ses descendants. De fato, não vemos que esse direito tenha causado o menor problema no reino, nem pelo sábio Otanès, nem por nenhum de seus descendentes.