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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 9

chapitre 9

LA PRIERE DU SOIR

Petit-Pierre s'était soulevé et regardait autour de lui d'un air pensif.

Ah! il n'en fait jamais d'autre quand il entend manger, celui-là! dit Germain: le bruit du canon ne le réveillerait pas; mais quand on remue les mâchoires auprès de lui, il ouvre les yeux tout de suite.

Vous avez dû être comme ça à son âge, dit la petite Marie avec un sourire malin. Allons, mon petit Pierre, tu cherches ton ciel de lit? Il est fait de verdure, ce soir, mon enfant; mais ton père n'en soupe pas moins. Veux-tu souper avec lui? Je n'ai pas mangé ta part; je me doutais bien que tu la réclamerais!

Marie, je veux que tu manges, s'écria le laboureur, je ne mangerai plus. Je suis un vorace, un grossier: toi, tu te prives pour nous, ce n'est pas juste, j'en ai honte. Tiens, ça m'ôte la faim; je ne veux pas que mon fils soupe, si tu ne soupes pas.

Laissez-nous tranquilles, répondit la petite Marie, vous n'avez pas la clef de nos appétits. Le mien est fermé aujourd'hui, mais celui de votre Pierre est ouvert comme celui d'un petit loup. Tenez, voyez comme il s'y prend! Oh! ce sera aussi un rude laboureur!

En effet, Petit-Pierre montra bientôt de qui il était fils, et à peine éveillé, ne comprenant ni où il était, ni comment il y était venu, il se mit à dévorer. Puis, quand il n'eut plus faim, se trouvant excité comme il arrive aux enfants qui rompent leurs habitudes, il eut plus d'esprit, plus de curiosité et plus de raisonnement qu'à l'ordinaire. Il se fit expliquer où il était, et quand il sut que c'était au milieu d'un bois, il eut un peu peur.

Y a-t-il des méchantes bêtes dans ce bois? demanda-t-il à son père.

Non, fit le père, il n'y en a point. Ne crains rien.

Tu as donc menti quand tu m'as dit que si j'allais avec toi dans les grands bois les loups m'emporteraient?

Voyez-vous ce raisonneur? dit Germain embarrassé.

Il a raison, reprit la petite Marie, vous lui avez dit cela: il a bonne mémoire, il s'en souvient. Mais apprends, mon petit Pierre, que ton père ne ment jamais. Nous avons passé les grands bois pendant que tu dormais, et nous sommes à présent dans les petits bois, où il n'y a pas de méchantes bêtes.

Les petits bois sont-ils bien loin des grands?

Assez loin; d'ailleurs les loups ne sortent pas des grands bois. Et puis, s'il en venait ici, ton père les tuerait.

Et toi aussi, petite Marie?

Et nous aussi, car tu nous aiderais bien, mon Pierre? Tu n'as pas peur, toi? Tu taperais bien dessus!

Oui, oui, dit l'enfant enorgueilli, en prenant une pose héroïque, nous les tuerions!

Il n'y a personne comme toi pour parler aux enfants, dit Germain à la petite Marie, et pour leur faire entendre raison. Il est vrai qu'il n'y a pas longtemps que tu étais toi-même un petit enfant, et tu te souviens de ce que te disait ta mère. Je crois bien que plus on est jeune, mieux on s'entend avec ceux qui le sont. J'ai grand'peur qu'une femme de trente ans, qui ne sait pas encore ce que c'est que d'être mère, n'apprenne avec peine à babiller et à raisonner avec des marmots.

Pourquoi donc pas, Germain? Je ne sais pourquoi vous avez une mauvaise idée touchant cette femme; vous en reviendrez!

Au diable la femme! dit Germain. Je voudrais en être revenu pour n'y plus retourner. Qu'ai-je besoin d'une femme que je ne connais pas?

Mon petit père, dit l'enfant, pourquoi donc est-ce que tu parles toujours de ta femme aujourd'hui, puisqu'elle est morte?…

Hélas! tu ne l'as donc pas oubliée, toi, ta pauvre chère mère?

Non, puisque je l'ai vu mettre dans une belle boîte de bois blanc, et que ma grand'mère m'a conduit auprès pour l'embrasser et lui dire adieu!… Elle était toute blanche et toute froide, et tous les soirs ma tante me fait prier le bon Dieu pour qu'elle aille se réchauffer avec lui dans le ciel. Crois-tu qu'elle y soit, à présent?

Je l'espère, mon enfant; mais il faut toujours prier, ça fait voir à ta mère que tu l'aimes.

Je vas dire ma prière, reprit l'enfant; je n'ai pas pensé à la dire ce soir. Mais je ne peux pas la dire tout seul; j'en oublie toujours un peu. Il faut que la petite Marie m'aide.

Oui, mon Pierre, je vas t'aider, dit la jeune fille. Viens là te mettre à genoux sur moi.

L'enfant s'agenouilla sur la jupe de la jeune fille, joignit ses petites mains, et se mit à réciter sa prière, d'abord avec attention et ferveur, car il savait très bien le commencement; puis avec plus de lenteur et d'hésitation, et enfin répétant mot à mot ce que lui dictait la petite Marie, lorsqu'il arriva à cet endroit de son oraison, où le sommeil le gagnant chaque soir, il n'avait jamais pu l'apprendre jusqu'au bout. Cette fois encore, le travail de l'attention et la monotonie de son propre accent produisirent leur effet accoutumé, il ne prononça plus qu'avec effort les dernières syllabes, et encore après se les être fait répéter trois fois; sa tête s'appesantit et se pencha sur la poitrine de Marie: ses mains se détendirent, se séparèrent et retombèrent ouvertes sur ses genoux. A la lueur du feu du bivouac, Germain regarda son petit ange assoupi sur le cur de la jeune fille, qui, le soutenant dans ses bras et réchauffant ses cheveux blonds de sa pure haleine, s'était laissée aller aussi à une rêverie pieuse, et priait mentalement pour l'âme de Catherine.

Germain fut attendri, chercha ce qu'il pourrait dire à la petite Marie pour lui exprimer ce qu'elle lui inspirait d'estime et de reconnaissance, mais ne trouva rien qui pût rendre sa pensée. Il s'approcha d'elle pour embrasser son fils qu'elle tenait toujours pressé contre son sein, et il eut peine à détacher ses lèvres du front du petit Pierre.

Vous l'embrassez trop fort, lui dit Marie en repoussant doucement la tête du laboureur, vous allez le réveiller. Laissez-moi le recoucher puisque le voilà reparti pour les rêves du paradis.

L'enfant se laissa coucher, mais en s'étendant sur la peau de chèvre du bât, il demanda s'il était sur la Grise. Puis, ouvrant ses grands yeux bleus, et les tenant fixés vers les branches pendant une minute, il parut rêver tout éveillé, ou être frappé d'une idée qui avait glissé dans son esprit durant le jour, et qui s'y formulait à l'approche du sommeil. "Mon petit père, dit-il, si tu veux me donner une autre mère, je veux que ce soit la petite Marie." Et, sans attendre de réponse, il ferma les yeux et s'endormit.


chapitre 9 chapter 9 capítulo 9

LA PRIERE DU SOIR THE EVENING PRAYER

Petit-Pierre s’était soulevé et regardait autour de lui d’un air pensif. Petit-Pierre had risen and was looking around thoughtfully.

Ah! Ah! il n’en fait jamais d’autre quand il entend manger, celui-là! he never does another when he hears eating, that one! dit Germain: le bruit du canon ne le réveillerait pas; mais quand on remue les mâchoires auprès de lui, il ouvre les yeux tout de suite. said Germain: the noise of the cannon would not wake him; but when you move your jaws near him, he opens his eyes right away.

Vous avez dû être comme ça à son âge, dit la petite Marie avec un sourire malin. You must have been like that at her age, said little Marie with a sly smile. Allons, mon petit Pierre, tu cherches ton ciel de lit? Come on, my little Pierre, are you looking for your canopy? Il est fait de verdure, ce soir, mon enfant; mais ton père n’en soupe pas moins. It is made of greenery this evening, my child; but your father does not eat less. Veux-tu souper avec lui? Do you want to have supper with him? Je n’ai pas mangé ta part; je me doutais bien que tu la réclamerais! I haven't eaten your share; I suspected that you would claim it!

Marie, je veux que tu manges, s’écria le laboureur, je ne mangerai plus. Marie, I want you to eat, cried the plowman, I will not eat any more. Je suis un vorace, un grossier: toi, tu te prives pour nous, ce n’est pas juste, j’en ai honte. I am a voracious, a rude: you, you deprive yourself for us, it is not fair, I am ashamed of it. Tiens, ça m’ôte la faim; je ne veux pas que mon fils soupe, si tu ne soupes pas. Here, that takes away my hunger; I don't want my son to have soup if you don't.

Laissez-nous tranquilles, répondit la petite Marie, vous n’avez pas la clef de nos appétits. Leave us alone, replied little Marie, you do not have the key to our appetites. Le mien est fermé aujourd’hui, mais celui de votre Pierre est ouvert comme celui d’un petit loup. Mine is closed today, but your Peter's is open like a little wolf's. Tenez, voyez comme il s’y prend! Here, see how he does it! Oh! Oh! ce sera aussi un rude laboureur! he will also be a hard plowman!

En effet, Petit-Pierre montra bientôt de qui il était fils, et à peine éveillé, ne comprenant ni où il était, ni comment il y était venu, il se mit à dévorer. Indeed, Petit-Pierre soon showed whose son he was, and barely awake, not understanding where he was or how he had come there, he began to devour. Puis, quand il n’eut plus faim, se trouvant excité comme il arrive aux enfants qui rompent leurs habitudes, il eut plus d’esprit, plus de curiosité et plus de raisonnement qu’à l’ordinaire. Then, when he was no longer hungry, finding himself excited as happens with children who break their habits, he had more wit, more curiosity and more reasoning than usual. Il se fit expliquer où il était, et quand il sut que c’était au milieu d’un bois, il eut un peu peur. He was told where he was, and when he knew it was in the middle of a wood, he was a little afraid.

Y a-t-il des méchantes bêtes dans ce bois? Are there nasty beasts in this wood? demanda-t-il à son père. he asked his father.

Non, fit le père, il n’y en a point. No, said the father, there is none. Ne crains rien. Do not be afraid.

Tu as donc menti quand tu m’as dit que si j’allais avec toi dans les grands bois les loups m’emporteraient? So you lied when you told me that if I went with you into the great woods the wolves would take me away?

Voyez-vous ce raisonneur? Do you see this reasoner? dit Germain embarrassé. said Germain, embarrassed.

Il a raison, reprit la petite Marie, vous lui avez dit cela: il a bonne mémoire, il s’en souvient. He is right, resumed little Marie, you told him that: he has a good memory, he remembers it. Mais apprends, mon petit Pierre, que ton père ne ment jamais. But learn, my little Pierre, that your father never lies. Nous avons passé les grands bois pendant que tu dormais, et nous sommes à présent dans les petits bois, où il n’y a pas de méchantes bêtes. We passed the great woods while you were sleeping, and we are now in the little woods, where there are no evil beasts.

Les petits bois sont-ils bien loin des grands? Are the small woods very far from the big ones?

Assez loin; d’ailleurs les loups ne sortent pas des grands bois. Far enough; besides, wolves do not come out of the great woods. Et puis, s’il en venait ici, ton père les tuerait. And then, if he came here, your father would kill them.

Et toi aussi, petite Marie? And you too, little Marie?

Et nous aussi, car tu nous aiderais bien, mon Pierre? And us too, because you would help us well, my Pierre? Tu n’as pas peur, toi? Are you not afraid? Tu taperais bien dessus! You would hit it well!

Oui, oui, dit l’enfant enorgueilli, en prenant une pose héroïque, nous les tuerions! Yes, yes, said the proud child, taking a heroic pose, we would kill them!

Il n’y a personne comme toi pour parler aux enfants, dit Germain à la petite Marie, et pour leur faire entendre raison. There is no one like you to talk to children, said Germain to little Marie, and to make them listen to reason. Il est vrai qu’il n’y a pas longtemps que tu étais toi-même un petit enfant, et tu te souviens de ce que te disait ta mère. It is true that it has not been long since you were a little child yourself, and you remember what your mother used to say to you. Je crois bien que plus on est jeune, mieux on s’entend avec ceux qui le sont. I do believe that the younger you are, the better you get along with those who are. J’ai grand’peur qu’une femme de trente ans, qui ne sait pas encore ce que c’est que d’être mère, n’apprenne avec peine à babiller et à raisonner avec des marmots. I am terrified that a woman of thirty, who does not yet know what it is to be a mother, will hardly learn to babble and reason with children.

Pourquoi donc pas, Germain? Why not, Germain? Je ne sais pourquoi vous avez une mauvaise idée touchant cette femme; vous en reviendrez! I don't know why you have a bad idea about this woman; you will come back!

Au diable la femme! To hell with the woman! dit Germain. said Germain. Je voudrais en être revenu pour n’y plus retourner. I would like to have come back and never go back. Qu’ai-je besoin d’une femme que je ne connais pas? What do I need from a woman I don't know?

Mon petit père, dit l’enfant, pourquoi donc est-ce que tu parles toujours de ta femme aujourd’hui, puisqu’elle est morte?… My little father, said the child, why do you still talk about your wife today, since she is dead? ...

Hélas! Alas! tu ne l’as donc pas oubliée, toi, ta pauvre chère mère? have you not forgotten her, you, your poor dear mother?

Non, puisque je l’ai vu mettre dans une belle boîte de bois blanc, et que ma grand’mère m’a conduit auprès pour l’embrasser et lui dire adieu!… Elle était toute blanche et toute froide, et tous les soirs ma tante me fait prier le bon Dieu pour qu’elle aille se réchauffer avec lui dans le ciel. No, since I saw her put in a beautiful white wooden box, and my grandmother took me to kiss her and say goodbye!… She was all white and all cold, and every evening my aunt makes me pray to God to go and warm up with him in heaven. Crois-tu qu’elle y soit, à présent? Do you think she's there now?

Je l’espère, mon enfant; mais il faut toujours prier, ça fait voir à ta mère que tu l’aimes. I hope so, my child; but you must always pray, it shows your mother that you love her.

Je vas dire ma prière, reprit l’enfant; je n’ai pas pensé à la dire ce soir. I am going to say my prayer, resumed the child; I didn't think of saying it tonight. Mais je ne peux pas la dire tout seul; j’en oublie toujours un peu. But I can't say it on my own; I always forget a little. Il faut que la petite Marie m’aide. Little Marie must help me.

Oui, mon Pierre, je vas t’aider, dit la jeune fille. Yes, my Pierre, I will help you, said the young girl. Viens là te mettre à genoux sur moi. Come here and kneel on me.

L’enfant s’agenouilla sur la jupe de la jeune fille, joignit ses petites mains, et se mit à réciter sa prière, d’abord avec attention et ferveur, car il savait très bien le commencement; puis avec plus de lenteur et d’hésitation, et enfin répétant mot à mot ce que lui dictait la petite Marie, lorsqu’il arriva à cet endroit de son oraison, où le sommeil le gagnant chaque soir, il n’avait jamais pu l’apprendre jusqu’au bout. The child knelt on the young girl's skirt, joined his little hands, and began to recite his prayer, at first with attention and fervor, for he knew the beginning very well; then with more slowness and hesitation, and finally repeating word for word what little Marie dictated to him, when he arrived at that place of his prayer, where sleep overwhelming him every evening, he had never been able to find. 'learn to the end. Cette fois encore, le travail de l’attention et la monotonie de son propre accent produisirent leur effet accoutumé, il ne prononça plus qu’avec effort les dernières syllabes, et encore après se les être fait répéter trois fois; sa tête s’appesantit et se pencha sur la poitrine de Marie: ses mains se détendirent, se séparèrent et retombèrent ouvertes sur ses genoux. This time again, the work of attention and the monotony of his own accent produced their accustomed effect, he only pronounced the last syllables with effort, and again after having had them repeated three times; his head grew heavy and leaned down on Marie's chest: his hands relaxed, parted and fell back open on her knees. A la lueur du feu du bivouac, Germain regarda son petit ange assoupi sur le cur de la jeune fille, qui, le soutenant dans ses bras et réchauffant ses cheveux blonds de sa pure haleine, s’était laissée aller aussi à une rêverie pieuse, et priait mentalement pour l’âme de Catherine. By the light of the fire from the bivouac, Germain looked at his little angel asleep on the young girl's heart, who, supporting him in her arms and warming her fair hair with her pure breath, had also indulged in a pious reverie, and mentally prayed for Catherine's soul.

Germain fut attendri, chercha ce qu’il pourrait dire à la petite Marie pour lui exprimer ce qu’elle lui inspirait d’estime et de reconnaissance, mais ne trouva rien qui pût rendre sa pensée. Germain was moved, looked for what he could say to little Marie to express to her what she inspired in his esteem and gratitude, but found nothing that could convey his thoughts. Il s’approcha d’elle pour embrasser son fils qu’elle tenait toujours pressé contre son sein, et il eut peine à détacher ses lèvres du front du petit Pierre. He approached her to kiss her son, whom she still held pressed against her breast, and he could hardly tear his lips away from little Pierre's forehead.

Vous l’embrassez trop fort, lui dit Marie en repoussant doucement la tête du laboureur, vous allez le réveiller. You kiss him too hard, said Marie, gently pushing the plowman's head away, you are going to wake him up. Laissez-moi le recoucher puisque le voilà reparti pour les rêves du paradis. Let me go back to bed since he is off again for the dreams of paradise.

L’enfant se laissa coucher, mais en s’étendant sur la peau de chèvre du bât, il demanda s’il était sur la Grise. The child let himself lie down, but stretching out on the goatskin of the pack, he asked if he was on the Gray. Puis, ouvrant ses grands yeux bleus, et les tenant fixés vers les branches pendant une minute, il parut rêver tout éveillé, ou être frappé d’une idée qui avait glissé dans son esprit durant le jour, et qui s’y formulait à l’approche du sommeil. Then, opening his large blue eyes, and holding them fixed on the branches for a minute, he seemed to be daydreaming, or to be struck by an idea which had slipped into his mind during the day, and which was formulated there in the morning. approach to sleep. "Mon petit père, dit-il, si tu veux me donner une autre mère, je veux que ce soit la petite Marie." "My little father," he said, "if you want to give me another mother, I want it to be little Marie." Et, sans attendre de réponse, il ferma les yeux et s’endormit. And, without waiting for an answer, he closed his eyes and fell asleep.