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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 16

chapitre 16

LA MERE MAURICE

Un jour la mère Maurice, se trouvant seule dans le verger avec Germain, lui dit d'un air d'amitié: "Mon pauvre gendre, je crois que vous n'êtes pas bien. Vous ne mangez pas aussi bien qu'à l'ordinaire, vous ne riez plus, vous causez de moins en moins. Est-ce que quelqu'un de chez nous, ou nous-mêmes, sans le savoir et sans le vouloir, vous avons fait de la peine? Non, ma mère, répondit Germain, vous avez toujours été aussi bonne pour moi que la mère qui m'a mis au monde, et je serais un ingrat si je me plaignais de vous, ou de votre mari, ou de personne de la maison. En ce cas, mon enfant, c'est le chagrin de la mort de votre femme qui vous revient. Au lieu de s'en aller avec le temps, votre ennui empire, et il faut absolument faire ce que votre beau-père vous a dit fort sagement: il faut vous remarier. Oui, ma mère, ce serait aussi mon idée; mais les femmes que vous m'avez conseillé de rechercher ne me conviennent pas. Quand je les vois, au lieu d'oublier ma Catherine, j'y pense davantage. C'est qu'apparemment, Germain, nous n'avons pas su deviner votre goût. Il faut donc que vous nous aidiez, en nous disant la vérité. Sans doute il y a quelque part une femme qui est faite pour vous, car le bon Dieu ne fait personne sans lui réserver son bonheur dans une autre personne. Si donc vous savez où la prendre, cette femme qu'il vous faut, prenez-la; et qu'elle soit belle ou laide, jeune ou vieille, riche ou pauvre, nous sommes décidés, mon vieux et moi, à vous donner consentement; car nous sommes fatigués de vous voir triste, et nous ne pouvons pas vivre tranquilles si vous ne l'êtes point. Ma mère, vous êtes aussi bonne que le bon Dieu, et mon père pareillement, répondit Germain; mais votre compassion ne peut pas porter remède à mes ennuis: la fille que je voudrais ne veut point de moi.

C'est donc qu'elle est trop jeune? S'attacher à une jeunesse est déraison pour vous. Eh bien! oui, bonne mère, j'ai cette folie de m'être attaché à une jeunesse, et je m'en blâme. Je fais mon possible pour n'y plus penser; mais que je travaille ou que je me repose, que je sois à la messe ou dans mon lit, avec mes enfants ou avec vous, j'y pense toujours, je ne peux penser à autre chose. Alors c'est comme un sort qu'on vous a jeté, Germain? Il n'y a à ça qu'un remède, c'est que cette fille change d'idée et vous écoute. Il faudra donc que je m'en mêle, et que je voie si c'est possible. Vous allez me dire où elle est et comment on l'appelle. Hélas! ma chère mère, je n'ose pas, dit Germain, parce que vous allez vous moquer de moi. Je ne me moquerai pas de vous, Germain, parce que vous êtes dans la peine et que je ne veux pas vous y mettre davantage. Serait-ce point la Fanchette?

Non, ma mère, ça ne l'est point. Ou la Rosette?

Non.

Dites donc, car je n'en finirai pas, s'il faut que je nomme toutes les filles du pays. Germain baissa la tête et ne put se décider à répondre.

Allons! dit la mère Maurice, je vous laisse tranquille pour aujourd'hui, Germain; peut-être que demain vous serez plus confiant avec moi, ou bien que votre belle-sur sera plus adroite à vous questionner. Et elle ramassa sa corbeille pour aller étendre son linge sur les buissons.

Germain fit comme les enfants qui se décident quand ils voient qu'on ne s'occupera plus d'eux. Il suivit sa belle-mère, et lui nomma enfin en tremblant la petite Marie à la Guillette .

Grande fut la surprise de la mère Maurice: c'était la dernière à laquelle elle eût songé. Mais elle eut la délicatesse de ne point se récrier et de faire mentalement ses commentaires. Puis, voyant que son silence accablait Germain, elle lui tendit sa corbeille en lui disant: Alors est-ce une raison pour ne point m'aider dans mon travail? Portez donc cette charge, et venez parler avec moi. Avez-vous bien réfléchi, Germain? êtes-vous bien décidé?

Hélas! ma chère mère, ce n'est pas comme cela qu'il faut parler: je serais décidé si je pouvais réussir; mais comme je ne serais pas écouté, je ne suis décidé qu'à m'en guérir si je peux. Et si vous ne pouvez pas?

Toute chose a son terme, mère Maurice: quand le cheval est trop chargé, il tombe; et quand le buf n'a rien à manger, il meurt. C'est donc à dire que vous mourrez, si vous ne réussissez point? A Dieu ne plaise, Germain! Je n'aime pas qu'un homme comme vous dise de ces choses-là, parce que quand il les dit il les pense. Vous êtes d'un grand courage, et la faiblesse est dangereuse chez les gens forts. Allons, prenez de l'espérance. Je ne conçois pas qu'une fille dans la misère, et à laquelle vous faites beaucoup d'honneur en la recherchant, puisse vous refuser. C'est pourtant la vérité, elle me refuse. Et quelles raisons vous en donne-t-elle?

Que vous lui avez toujours fait du bien, que sa famille doit beaucoup à la vôtre, et qu'elle ne veut point vous déplaire en me détournant d'un mariage riche. Si elle dit cela, elle prouve de bons sentiments, et c'est honnête de sa part. Mais en vous disant cela, Germain, elle ne vous guérit point, car elle vous dit sans doute qu'elle vous aime, et qu'elle vous épouserait si nous le voulions? Voilà le pire! elle dit que son cur n'est point porté vers moi. Si elle dit ce qu'elle ne pense pas, pour mieux vous éloigner d'elle, c'est une enfant qui mérite que nous l'aimions et que nous passions par-dessus sa jeunesse à cause de sa grande raison. Oui, dit Germain, frappé d'une espérance qu'il n'avait pas encore conçue: ça serait bien sage et bien comme il faut de sa part! mais si elle est si raisonnable, je crains bien que c'est à cause que je lui déplais. Germain, dit la mère Maurice, vous allez me promettre de vous tenir tranquille pendant toute la semaine, de ne point vous tourmenter, de manger, de dormir, et d'être gai comme autrefois. Moi, je parlerai à mon vieux, et si je le fais consentir, vous saurez alors le vrai sentiment de la fille à votre endroit.

Germain promit, et la semaine se passa sans que le père Maurice lui dît un mot en particulier et parût se douter de rien. Le laboureur s'efforça de paraître tranquille, mais il était toujours plus pâle et plus tourmenté.


chapitre 16 chapter 16

LA MERE MAURICE

Un jour la mère Maurice, se trouvant seule dans le verger avec Germain, lui dit d'un air d'amitié: "Mon pauvre gendre, je crois que vous n'êtes pas bien. One day Mother Maurice, finding herself alone in the orchard with Germain, said to her with an air of friendship: "My poor son-in-law, I think you are not well. Vous ne mangez pas aussi bien qu'à l'ordinaire, vous ne riez plus, vous causez de moins en moins. You don't eat as well as usual, you don't laugh anymore, you talk less and less. Est-ce que quelqu'un de chez nous, ou nous-mêmes, sans le savoir et sans le vouloir, vous avons fait de la peine? Has anyone from our region, or ourselves, unwittingly and unwittingly, hurt you? Non, ma mère, répondit Germain, vous avez toujours été aussi bonne pour moi que la mère qui m'a mis au monde, et je serais un ingrat si je me plaignais de vous, ou de votre mari, ou de personne de la maison. No, my mother, replied Germain, you have always been as good to me as the mother who gave birth to me, and I would be ungrateful if I complained about you, or your husband, or anyone in the house. . En ce cas, mon enfant, c'est le chagrin de la mort de votre femme qui vous revient. In that case, my child, it is the sorrow over the death of your wife that returns to you. Au lieu de s'en aller avec le temps, votre ennui empire, et il faut absolument faire ce que votre beau-père vous a dit fort sagement: il faut vous remarier. Instead of going away with time, your boredom gets worse, and you absolutely must do what your father-in-law has told you very wisely: you must remarry. Oui, ma mère, ce serait aussi mon idée; mais les femmes que vous m'avez conseillé de rechercher ne me conviennent pas. Yes, my mother, that would also be my idea; but the women you advised me to seek out do not suit me. Quand je les vois, au lieu d'oublier ma Catherine, j'y pense davantage. When I see them, instead of forgetting my Catherine, I think about them more. C'est qu'apparemment, Germain, nous n'avons pas su deviner votre goût. Apparently, Germain, we couldn't guess your taste. Il faut donc que vous nous aidiez, en nous disant la vérité. So you have to help us by telling us the truth. Sans doute il y a quelque part une femme qui est faite pour vous, car le bon Dieu ne fait personne sans lui réserver son bonheur dans une autre personne. No doubt there is somewhere a woman who is made for you, for the good Lord makes no one without reserving his happiness for her in another person. Si donc vous savez où la prendre, cette femme qu'il vous faut, prenez-la; et qu'elle soit belle ou laide, jeune ou vieille, riche ou pauvre, nous sommes décidés, mon vieux et moi, à vous donner consentement; car nous sommes fatigués de vous voir triste, et nous ne pouvons pas vivre tranquilles si vous ne l'êtes point. So if you know where to get her, that woman you need, take her; and whether she is beautiful or ugly, young or old, rich or poor, we are determined, my old man and I, to give you consent; for we are tired of seeing you sad, and we cannot live in peace if you are not. Ma mère, vous êtes aussi bonne que le bon Dieu, et mon père pareillement, répondit Germain; mais votre compassion ne peut pas porter remède à mes ennuis: la fille que je voudrais ne veut point de moi. My mother, you are as good as God, and my father the same, replied Germain; but your compassion cannot remedy my troubles: the girl I would like does not want me.

C'est donc qu'elle est trop jeune? So she's too young? S'attacher à une jeunesse est déraison pour vous. To become attached to a youth is foolishness for you. Eh bien! Well! oui, bonne mère, j'ai cette folie de m'être attaché à une jeunesse, et je m'en blâme. yes, good mother, I have this madness for having attached myself to a youth, and I blame myself. Je fais mon possible pour n'y plus penser; mais que je travaille ou que je me repose, que je sois à la messe ou dans mon lit, avec mes enfants ou avec vous, j'y pense toujours, je ne peux penser à autre chose. I do my best not to think about it anymore; but whether I'm working or resting, whether I'm at mass or in bed, with my children or with you, I always think about it, I can't think of anything else. Alors c'est comme un sort qu'on vous a jeté, Germain? So it's like a spell that was cast on you, Germain? Il n'y a à ça qu'un remède, c'est que cette fille change d'idée et vous écoute. There is only one cure for that, and that is for this girl to change her mind and listen to you. Il faudra donc que je m'en mêle, et que je voie si c'est possible. So I will have to get involved, and see if it is possible. Vous allez me dire où elle est et comment on l'appelle. You will tell me where she is and what she is called. Hélas! Alas! ma chère mère, je n'ose pas, dit Germain, parce que vous allez vous moquer de moi. my dear mother, I dare not, said Germain, because you are going to make fun of me. Je ne me moquerai pas de vous, Germain, parce que vous êtes dans la peine et que je ne veux pas vous y mettre davantage. I will not laugh at you, Germain, because you are in pain and I do not want to put you there any more. Serait-ce point la Fanchette? Could this not be La Fanchette?

Non, ma mère, ça ne l'est point. No, my mother, it is not. Ou la Rosette?

Non.

Dites donc, car je n'en finirai pas, s'il faut que je nomme toutes les filles du pays. Say, for I will not end, if I must name all the girls in the country. Germain baissa la tête et ne put se décider à répondre. Germain lowered his head and could not make up his mind to answer.

Allons! dit la mère Maurice, je vous laisse tranquille pour aujourd'hui, Germain; peut-être que demain vous serez plus confiant avec moi, ou bien que votre belle-sur sera plus adroite à vous questionner. said Mother Maurice, I will leave you alone for today, Germain; perhaps tomorrow you will be more confident with me, or your sister-in-law will be more adept at questioning you. Et elle ramassa sa corbeille pour aller étendre son linge sur les buissons. And she picked up her basket to go and hang out her laundry on the bushes.

Germain fit comme les enfants qui se décident quand ils voient qu'on ne s'occupera plus d'eux. Germain did like children who make up their minds when they see that they will no longer be taken care of. Il suivit sa belle-mère, et lui nomma enfin en tremblant  la petite Marie à la Guillette . He followed his mother-in-law, and at last, trembling, named her little Marie à la Guillette.

Grande fut la surprise de la mère Maurice: c'était la dernière à laquelle elle eût songé. Great was Mother Maurice's surprise: it was the last one she would have thought of. Mais elle eut la délicatesse de ne point se récrier et de faire mentalement ses commentaires. But she had the delicacy not to cry out and to make her comments mentally. Puis, voyant que son silence accablait Germain, elle lui tendit sa corbeille en lui disant: Alors est-ce une raison pour ne point m'aider dans mon travail? Then, seeing that her silence overwhelmed Germain, she handed him her basket, saying: So is that a reason not to help me in my work? Portez donc cette charge, et venez parler avec moi. So carry this load, and come talk to me. Avez-vous bien réfléchi, Germain? Have you thought about it, Germain? êtes-vous bien décidé? have you made up your mind?

Hélas! Alas! ma chère mère, ce n'est pas comme cela qu'il faut parler: je serais décidé si je pouvais réussir; mais comme je ne serais pas écouté, je ne suis décidé qu'à m'en guérir si je peux. my dear mother, this is not the way to speak: I would be decided if I could succeed; but as I would not be listened to, I am only determined to be cured of it if I can. Et si vous ne pouvez pas? What if you can't?

Toute chose a son terme, mère Maurice: quand le cheval est trop chargé, il tombe; et quand le buf n'a rien à manger, il meurt. Everything has its end, Mother Maurice: when the horse is too loaded, it falls; and when the beef has nothing to eat, he dies. C'est donc à dire que vous mourrez, si vous ne réussissez point? So that means that you will die, if you do not succeed? A Dieu ne plaise, Germain! God forbid, Germain! Je n'aime pas qu'un homme comme vous dise de ces choses-là, parce que quand il les dit il les pense. I don't like a man like you to say these things, because when he says them he means them. Vous êtes d'un grand courage, et la faiblesse est dangereuse chez les gens forts. You are very courageous, and weakness is dangerous in strong people. Allons, prenez de l'espérance. Come on, take some hope. Je ne conçois pas qu'une fille dans la misère, et à laquelle vous faites beaucoup d'honneur en la recherchant, puisse vous refuser. I cannot imagine that a girl in poverty, to whom you do a great deal of honor in seeking her, could refuse you. C'est pourtant la vérité, elle me refuse. Yet it is the truth, she refuses me. Et quelles raisons vous en donne-t-elle? And what reasons does she give you?

Que vous lui avez toujours fait du bien, que sa famille doit beaucoup à la vôtre, et qu'elle ne veut point vous déplaire en me détournant d'un mariage riche. That you have always done her good, that her family owes a lot to yours, and that she does not want to displease you by diverting me from a rich marriage. Si elle dit cela, elle prouve de bons sentiments, et c'est honnête de sa part. If she says that, she's showing good feelings, and that's honest of her. Mais en vous disant cela, Germain, elle ne vous guérit point, car elle vous dit sans doute qu'elle vous aime, et qu'elle vous épouserait si nous le voulions? But in saying this to you, Germain, she is not curing you, for she is no doubt telling you that she loves you, and that she would marry you if we wanted to? Voilà le pire! This is the worst! elle dit que son cur n'est point porté vers moi. she says that her heart is not drawn to me. Si elle dit ce qu'elle ne pense pas, pour mieux vous éloigner d'elle, c'est une enfant qui mérite que nous l'aimions et que nous passions par-dessus sa jeunesse à cause de sa grande raison. If she says what she doesn't think, the better to keep you away from her, she is a child who deserves that we love her and that we pass over her youth because of her great reason. Oui, dit Germain, frappé d'une espérance qu'il n'avait pas encore conçue: ça serait bien sage et bien  comme il faut de sa part! Yes, said Germain, struck by a hope that he had not yet conceived: that would be very wise and very well on his part! mais si elle est si raisonnable, je crains bien que c'est à cause que je lui déplais. but if she is so reasonable, I am afraid it is because of her displeasure. Germain, dit la mère Maurice, vous allez me promettre de vous tenir tranquille pendant toute la semaine, de ne point vous tourmenter, de manger, de dormir, et d'être gai comme autrefois. Germain, said Mother Maurice, you are going to promise me to keep yourself quiet the whole week, not to torment yourself, to eat, to sleep, and to be gay as in the past. Moi, je parlerai à mon vieux, et si je le fais consentir, vous saurez alors le vrai sentiment de la fille à votre endroit. I will talk to my old man, and if I make it okay, then you will know the girl's true feeling about you.

Germain promit, et la semaine se passa sans que le père Maurice lui dît un mot en particulier et parût se douter de rien. Germain promised, and the week passed without Father Maurice saying a word to him in particular and appearing to suspect nothing. Le laboureur s'efforça de paraître tranquille, mais il était toujours plus pâle et plus tourmenté. The plowman tried to appear calm, but he was still paler and more tormented.