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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 14

chapitre 14

LA VIEILLE

Germain se retrouva bientôt à l'endroit où il avait passé la nuit au bord de la mare. Le feu fumait encore; une vieille femme ramassait le reste de la provision de bois mort que la petite Marie y avait entassée. Germain s'arrêta pour la questionner. Elle était sourde, et, se méprenant sur ses interrogations:

Oui, mon garçon, dit-elle, c'est ici la Mare au Diable. C'est un mauvais endroit, et il ne faut pas en approcher sans jeter trois pierres dedans de la main gauche, en faisant le signe de la croix de la main droite: ça éloigne les esprits. Autrement il arrive des malheurs à ceux qui en font le tour.

Je ne vous parle pas de ça, dit Germain en s'approchant d'elle et en criant à tue-tête: N'avez-vous pas vu passer dans le bois une fille et un enfant? Oui, dit la vieille, il s'est noyé un petit enfant! Germain frémit de la tête aux pieds; mais heureusement la vieille ajouta:

Il y a bien longtemps de ça; en mémoire de l'accident on y avait planté une belle croix; mais, par une belle nuit de grand orage, les mauvais esprits l'ont jetée dans l'eau. On peut en voir encore un bout. Si quelqu'un avait le malheur de s'arrêter ici la nuit, il serait bien sûr de ne pouvoir jamais en sortir avant le jour Il aurait beau marcher, marcher, il pourrait faire deux cents lieues dans le bois et se retrouver toujours à la même place. L'imagination du laboureur se frappa malgré lui de ce qu'il entendait, et l'idée du malheur qui devait arriver pour achever de justifier les assertions de la vieille femme s'empara si bien de sa tête, qu'il se sentit froid par tout le corps. Désespérant d'obtenir d'autres renseignements, il remonta à cheval et recommença de parcourir le bois en appelant Pierre de toutes ses forces, et en sifflant, faisant claquer son fouet, cassant les branches pour remplir la forêt du bruit de sa marche, écoutant ensuite si quelque voix lui répondait; mais il n'entendait que la cloche des vaches éparses dans les taillis, et le cri sauvage des porcs qui se disputaient la glandée. Enfin Germain entendit derrière lui le bruit d'un cheval qui courait sur ses traces, et un homme entre deux âges, brun, robuste, habillé comme un demi-bourgeois, lui cria de s'arrêter. Germain n'avait jamais vu le fermier des Ormeaux; mais un instinct de rage lui fit juger de suite que c'était lui. Il se retourna, et, le toisant de la tête aux pieds, il attendit ce qu'il avait à lui dire. N'avez-vous pas vu passer par ici une jeune fille de quinze ou seize ans, avec un petit garçon? dit le fermier en affectant un air d'indifférence, quoiqu'il fût visiblement ému. Et que lui voulez-vous? répondit Germain sans chercher à déguiser sa colère.

Je pourrais vous dire que ça ne vous regarde pas, mon camarade! mais comme je n'ai pas de raisons pour le cacher, je vous dirai que c'est une bergère que j'avais louée pour l'année sans la connaître… Quand je l'ai vue arriver, elle m'a semblé trop jeune et trop faible pour l'ouvrage de la ferme. Je l'ai remerciée, mais je voulais lui payer les frais de son petit voyage, et elle est partie fâchée pendant que j'avais le dos tourné… Elle s'est tant pressée, qu'elle a même oublié une partie de ses effets et sa bourse, qui ne contient pas grand'chose, à coup sûr; quelques sous probablement!… mais enfin, comme j'avais à passer par ici, je pensais la rencontrer et lui remettre ce qu'elle a oublié et ce que je lui dois. Germain avait l'âme trop honnête pour ne pas hésiter en entendant cette histoire, sinon très vraisemblable, du moins possible. Il attachait un regard perçant sur le fermier, qui soutenait son investigation avec beaucoup d'impudence ou de candeur. Je veux en avoir le cur net, se dit Germain, et, contenant son indignation:

C'est une fille de chez nous, dit-il; je la connais: elle doit être par ici… Avançons ensemble… nous la retrouverons sans doute. Vous avez raison, dit le fermier. Avançons… et pourtant, si nous ne la trouvons pas au bout de l'avenue, j'y renonce… car il faut que je prenne le chemin d'Ardentes. Oh! pensa le laboureur, je ne te quitte pas! quand même je devrais tourner pendant vingt-quatre heures avec toi autour de la Mare au Diable!

Attendez! dit tout à coup Germain en fixant des yeux une touffe de genêts qui s'agitait singulièrement: holà! holà! Petit-Pierre, est-ce toi, mon enfant?

L'enfant, reconnaissant la voix de son père, sortit des genêts en sautant comme un chevreuil, mais quand il le vit dans la compagnie du fermier, il s'arrêta comme effrayé et resta incertain. Viens, mon Pierre! viens, c'est moi! s'écria le laboureur en courant après lui, et en sautant à bas de son cheval pour le prendre dans ses bras: et où est la petite Marie? Elle est là, qui se cache, parce qu'elle a peur de ce vilain homme noir, et moi aussi. Eh! sois tranquille; je suis là… Marie! Marie! c'est moi! Marie approcha en rampant, et dès qu'elle vit Germain, que le fermier suivait de près, elle courut se jeter dans ses bras; et, s'attachant à lui comme une fille à son père: Ah! mon brave Germain, lui dit-elle, vous me défendrez; je n'ai pas peur avec vous. Germain eut le frisson. Il regarda Marie: elle était pâle, ses vêtements étaient déchirés par les épines où elle avait couru, cherchant le fourré, comme une biche traquée par les chasseurs. Mais il n'y avait ni honte ni désespoir sur sa figure. Ton maître veut te parler, lui dit-il, en observant toujours ses traits.

Mon maître? dit-elle fièrement; cet homme-là n'est pas mon maître et ne le sera jamais!… C'est vous, Germain, qui êtes mon maître. Je veux que vous me rameniez avec vous… Je vous servirai pour rien!

Le fermier s'était avancé, feignant un peu d'impatience. Hé! la petite, dit-il, vous avez oublié chez nous quelque chose que je vous rapporte.

Nenni, monsieur, répondit la petite Marie, je n'ai rien oublié, et je n'ai rien à vous demander… Ecoutez un peu ici, reprit le fermier, j'ai quelque chose à vous dire, moi!… Allons!… n'ayez pas peur… deux mots seulement… Vous pouvez les dire tout haut… je n'ai pas de secrets avec vous. Venez prendre votre argent, au moins.

Mon argent? Vous ne me devez rien, Dieu merci!

Je m'en doutais bien, dit Germain à demi-voix; mais c'est égal, Marie… écoute ce qu'il a à te dire… car, moi, je suis curieux de le savoir. Tu me le diras après: j'ai mes raisons pour ça. Va auprès de son cheval… je ne te perds pas de vue.

Marie fit trois pas vers le fermier, qui lui dit, en se penchant sur le pommeau de sa selle et en baissant la voix:

Petite, voilà un beau louis d'or pour toi! tu ne diras rien, entends-tu? Je dirai que je t'ai trouvée trop faible pour l'ouvrage de ma ferme… Et qu'il ne soit plus question de ça… Je repasserai par chez vous un de ces jours; et si tu n'as rien dit, je te donnerai encore quelque chose… Et puis, si tu es plus raisonnable, tu n'as qu'à parler: je te ramènerai chez moi, ou bien, j'irai causer avec toi à la brune dans les prés. Quel cadeau veux-tu que je te porte?

Voilà, monsieur, le cadeau que je vous fais, moi! répondit à haute voix la petite Marie, en lui jetant son louis d'or au visage, et même assez rudement. Je vous remercie beaucoup, et vous prie, quand vous repasserez par chez nous, de me faire avertir: tous les garçons de mon endroit iront vous recevoir, parce que chez nous, on aime fort les bourgeois qui veulent en conter aux pauvres filles! Vous verrez ça, on vous attendra.

Vous êtes une menteuse et une sotte langue! dit le fermier courroucé, en levant son bâton d'un air de menace. Vous voudriez faire croire ce qui n'est point, mais vous ne me tirerez pas d'argent: on connaît vos pareilles! Marie s'était reculée effrayée; mais Germain s'était élancé à la bride du cheval du fermier, et la secouant avec force: C'est entendu, maintenant! dit-il, et nous voyons assez de quoi il retourne… A terre! mon homme! à terre! et causons tous les deux!

Le fermier ne se souciait pas d'engager la partie: il éperonna son cheval pour se dégager, et voulut frapper de son bâton les mains du laboureur pour lui faire lâcher prise; mais Germain esquiva le coup, et, lui prenant la jambe, il le désarçonna et le fit tomber sur la fougère, où il le terrassa, quoique le fermier se fût remis sur ses pieds et se défendît vigoureusement. Quand il le tint sous lui:

Homme de peu de cur! lui dit Germain, je pourrais te rouer de coups si je voulais! Mais je n'aime pas à faire du mal, et d'ailleurs aucune correction n'amenderait ta conscience… Cependant, tu ne bougeras pas d'ici que tu n'aies demandé pardon, à genoux, à cette jeune fille. Le fermier, qui connaissait ces sortes d'affaires, voulut prendre la chose en plaisanterie. Il prétendit que son péché n'était pas si grave, puisqu'il ne consistait qu'en paroles, et qu'il voulait bien demander pardon, à condition qu'il embrasserait la fille, que l'on irait boire une pinte de vin au prochain cabaret, et qu'on se quitterait bons amis. Tu me fais peine! répondit Germain en lui poussant la face contre terre, et j'ai hâte de ne plus voir ta méchante mine. Tiens, rougis si tu peux, et tâche de prendre le chemin des _affronteux_1 [1. C'est le chemin qui détourne de la rue principale à l'entrée des villages et les côtoie à l'extérieur. On suppose que les gens qui craignent de recevoir quelque affront mérité le prennent pour éviter d'être vus.] quand tu passeras par chez nous.

Il ramassa le bâton de houx du fermier, le brisa sur son genou pour lui montrer la force de ses poignets, et en jeta les morceaux au loin avec mépris.

Puis, prenant d'une main son fils, et de l'autre la petite Marie, il s'éloigna tout tremblant d'indignation.


chapitre 14 chapter 14

LA VIEILLE OLD

Germain se retrouva bientôt à l'endroit où il avait passé la nuit au bord de la mare. Germain soon found himself at the place where he had spent the night by the pond. Le feu fumait encore; une vieille femme ramassait le reste de la provision de bois mort que la petite Marie y avait entassée. The fire was still smoking; an old woman was picking up the rest of the supply of dead wood that little Marie had piled up there. Germain s'arrêta pour la questionner. Germain stopped to question her. Elle était sourde, et, se méprenant sur ses interrogations: She was deaf, and, mistaking her questions:

Oui, mon garçon, dit-elle, c'est ici la Mare au Diable. Yes, my boy, she said, this is Devil's Pond. C'est un mauvais endroit, et il ne faut pas en approcher sans jeter trois pierres dedans de la main gauche, en faisant le signe de la croix de la main droite: ça éloigne les esprits. It is a bad place, and you must not approach it without throwing three stones in it with your left hand, making the sign of the cross with your right hand: it keeps spirits away. Autrement il arrive des malheurs à ceux qui en font le tour. Otherwise, misfortunes happen to those who go around it.

Je ne vous parle pas de ça, dit Germain en s'approchant d'elle et en criant à tue-tête: N'avez-vous pas vu passer dans le bois une fille et un enfant? I'm not talking to you about that, said Germain, approaching her and shouting at the top of his lungs: Didn't you see a girl and a child go by in the woods? Oui, dit la vieille, il s'est noyé un petit enfant! Yes, said the old woman, a little child has drowned! Germain frémit de la tête aux pieds; mais heureusement la vieille ajouta: Germain shuddered from head to toe; but fortunately the old woman added:

Il y a bien longtemps de ça; en mémoire de l'accident on y avait planté une belle croix; mais, par une belle nuit de grand orage, les mauvais esprits l'ont jetée dans l'eau. It was a long time ago; in memory of the accident a beautiful cross had been planted there; but one fine stormy night the evil spirits threw her into the water. On peut en voir encore un bout. We can still see a bit of it. Si quelqu'un avait le malheur de s'arrêter ici la nuit, il serait bien sûr de ne pouvoir jamais en sortir avant le jour Il aurait beau marcher, marcher, il pourrait faire deux cents lieues dans le bois et se retrouver toujours à la même place. If someone had the misfortune of stopping here at night, he would of course never be able to get out of it before daylight.He could walk, walk, he could go two hundred leagues in the wood and still find himself at the end of the day. same place. L'imagination du laboureur se frappa malgré lui de ce qu'il entendait, et l'idée du malheur qui devait arriver pour achever de justifier les assertions de la vieille femme s'empara si bien de sa tête, qu'il se sentit froid par tout le corps. The imagination of the plowman was struck in spite of himself by what he heard, and the idea of the misfortune which was to come to complete the justifying the assertions of the old woman took possession of his head so well that he felt cold. all over the body. Désespérant d'obtenir d'autres renseignements, il remonta à cheval et recommença de parcourir le bois en appelant Pierre de toutes ses forces, et en sifflant, faisant claquer son fouet, cassant les branches pour remplir la forêt du bruit de sa marche, écoutant ensuite si quelque voix lui répondait; mais il n'entendait que la cloche des vaches éparses dans les taillis, et le cri sauvage des porcs qui se disputaient la glandée. Desperate to get more information, he mounted his horse and resumed walking through the woods, calling for Peter with all his might, and whistling, cracking his whip, breaking the branches to fill the forest with the sound of his walking, listening then if some voice answered him; but he heard only the bells of the cows scattered in the thickets, and the savage cry of the pigs fighting over the acorn. Enfin Germain entendit derrière lui le bruit d'un cheval qui courait sur ses traces, et un homme entre deux âges, brun, robuste, habillé comme un demi-bourgeois, lui cria de s'arrêter. Finally Germain heard behind him the sound of a horse running in his tracks, and a middle-aged man, dark, robust, dressed like a demi-bourgeois, called out to him to stop. Germain n'avait jamais vu le fermier des Ormeaux; mais un instinct de rage lui fit juger de suite que c'était lui. Germain had never seen the farmer of Ormeaux; but an instinct of rage made her immediately judge that it was he. Il se retourna, et, le toisant de la tête aux pieds, il attendit ce qu'il avait à lui dire. He turned, and, eyeing him from head to toe, waited for what he had to say. N'avez-vous pas vu passer par ici une jeune fille de quinze ou seize ans, avec un petit garçon? Haven't you seen a fifteen or sixteen-year-old girl go through here with a little boy? dit le fermier en affectant un air d'indifférence, quoiqu'il fût visiblement ému. said the farmer, affecting an air of indifference, although he was visibly moved. Et que lui voulez-vous? And what do you want with him? répondit Germain sans chercher à déguiser sa colère. Germain replied, without trying to disguise his anger.

Je pourrais vous dire que ça ne vous regarde pas, mon camarade! I could tell you that is none of your business, my comrade! mais comme je n'ai pas de raisons pour le cacher, je vous dirai que c'est une bergère que j'avais louée pour l'année sans la connaître… Quand je l'ai vue arriver, elle m'a semblé trop jeune et trop faible pour l'ouvrage de la ferme. but as I have no reason to hide it, I will tell you that it is a shepherdess that I had hired for the year without knowing her… When I saw her arrive, she seemed too young to me and too weak for the work of the farm. Je l'ai remerciée, mais je voulais lui payer les frais de son petit voyage, et elle est partie fâchée pendant que j'avais le dos tourné… Elle s'est tant pressée, qu'elle a même oublié une partie de ses effets et sa bourse, qui ne contient pas grand'chose, à coup sûr; quelques sous probablement!… mais enfin, comme j'avais à passer par ici, je pensais la rencontrer et lui remettre ce qu'elle a oublié et ce que je lui dois. I thanked her, but I wanted to pay her the expenses of her little trip, and she left angry while I had my back turned… She was in such a hurry, that she even forgot some of her belongings. and his purse, which certainly does not contain much; a few cents probably!… but anyway, as I had to go through here, I thought I would meet her and give her what she forgot and what I owe her. Germain avait l'âme trop honnête pour ne pas hésiter en entendant cette histoire, sinon très vraisemblable, du moins possible. Germain had too honest a soul not to hesitate on hearing this story, if not very probable, at least possible. Il attachait un regard perçant sur le fermier, qui soutenait son investigation avec beaucoup d'impudence ou de candeur. He fixed a piercing gaze on the farmer, who supported his investigation with much impudence or candor. Je veux en avoir le cur net, se dit Germain, et, contenant son indignation: I want to be clear about it, said Germain to himself, and, containing his indignation:

C'est une fille de chez nous, dit-il; je la connais: elle doit être par ici… Avançons ensemble… nous la retrouverons sans doute. She's a local girl, he said; I know her: she must be around here… Let's move forward together… we will undoubtedly find her. Vous avez raison, dit le fermier. You are right, said the farmer. Avançons… et pourtant, si nous ne la trouvons pas au bout de l'avenue, j'y renonce… car il faut que je prenne le chemin d'Ardentes. Let’s move on… and yet, if we don’t find it at the end of the avenue, I’ll give it up… because I have to take the road to Ardentes. Oh! Oh! pensa le laboureur, je ne te quitte pas! thought the plowman, I am not leaving you! quand même je devrais tourner pendant vingt-quatre heures avec toi autour de la Mare au Diable! all the same, I should go around the Devil's Pond for twenty-four hours!

Attendez! Wait! dit tout à coup Germain en fixant des yeux une touffe de genêts qui s'agitait singulièrement: holà! said Germain suddenly, fixing his eyes on a tuft of broom which was singularly agitated: hola! holà! Hello! Petit-Pierre, est-ce toi, mon enfant? Petit-Pierre, is it you, my child?

L'enfant, reconnaissant la voix de son père, sortit des genêts en sautant comme un chevreuil, mais quand il le vit dans la compagnie du fermier, il s'arrêta comme effrayé et resta incertain. The child, recognizing his father's voice, jumped out of the broom jumping like a deer, but when he saw him in the farmer's company, he stopped as if frightened and remained uncertain. Viens, mon Pierre! Come, my Pierre! viens, c'est moi! come on, it's me! s'écria le laboureur en courant après lui, et en sautant à bas de son cheval pour le prendre dans ses bras: et où est la petite Marie? cried the plowman, running after him, and leaping from his horse to take him in his arms: and where is little Marie? Elle est là, qui se cache, parce qu'elle a peur de ce vilain homme noir, et moi aussi. She's there, hiding, because she's afraid of this nasty black man, and me too. Eh! sois tranquille; je suis là… Marie! be quiet; I am here… Marie! Marie! Married! c'est moi! it's me! Marie approcha en rampant, et dès qu'elle vit Germain, que le fermier suivait de près, elle courut se jeter dans ses bras; et, s'attachant à lui comme une fille à son père: Marie approached crawling, and as soon as she saw Germain, whom the farmer was following closely, she ran to throw herself in his arms; and, clinging to him like a daughter to her father: Ah! mon brave Germain, lui dit-elle, vous me défendrez; je n'ai pas peur avec vous. my brave Germain, she said, you will defend me; I am not afraid with you. Germain eut le frisson. Germain shivered. Il regarda Marie: elle était pâle, ses vêtements étaient déchirés par les épines où elle avait couru, cherchant le fourré, comme une biche traquée par les chasseurs. He looked at Marie: she was pale, her clothes were torn by the thorns where she had run, seeking the thicket, like a doe hunted down by hunters. Mais il n'y avait ni honte ni désespoir sur sa figure. But there was no shame or despair in his face. Ton maître veut te parler, lui dit-il, en observant toujours ses traits. Your master wants to talk to you, he told her, still watching her features.

Mon maître? My teacher? dit-elle fièrement; cet homme-là n'est pas mon maître et ne le sera jamais!… C'est vous, Germain, qui êtes mon maître. she said proudly; that man is not my master and never will be! ... It is you, Germain, who are my master. Je veux que vous me rameniez avec vous… Je vous servirai pour rien! I want you to bring me back with you… I will serve you for nothing!

Le fermier s'était avancé, feignant un peu d'impatience. The farmer had stepped forward, feigning impatience. Hé! Hey! la petite, dit-il, vous avez oublié chez nous quelque chose que je vous rapporte. little one, 'he said,' you forgot something with us that I'm bringing you back.

Nenni, monsieur, répondit la petite Marie, je n'ai rien oublié, et je n'ai rien à vous demander… Nay, sir, replied little Marie, I have not forgotten anything, and I have nothing to ask of you ... Ecoutez un peu ici, reprit le fermier, j'ai quelque chose à vous dire, moi!… Allons!… n'ayez pas peur… deux mots seulement… Listen a little here, resumed the farmer, I have something to tell you!… Come on!… Do not be afraid… just two words… Vous pouvez les dire tout haut… je n'ai pas de secrets avec vous. You can say them out loud… I have no secrets with you. Venez prendre votre argent, au moins. Come and take your money, at least.

Mon argent? My money? Vous ne me devez rien, Dieu merci! You don't owe me anything, thank God!

Je m'en doutais bien, dit Germain à demi-voix; mais c'est égal, Marie… écoute ce qu'il a à te dire… car, moi, je suis curieux de le savoir. I suspected it, said Germain in a low voice; but it doesn't matter, Marie… listen to what he has to say to you… because, me, I am curious to know it. Tu me le diras après: j'ai mes raisons pour ça. You will tell me afterwards: I have my reasons for that. Va auprès de son cheval… je ne te perds pas de vue. Go to his horse ... I don't lose sight of you.

Marie fit trois pas vers le fermier, qui lui dit, en se penchant sur le pommeau de sa selle et en baissant la voix: Marie took three steps towards the farmer, who said to her, leaning on the pommel of his saddle and lowering his voice:

Petite, voilà un beau louis d'or pour toi! Little one, here is a beautiful louis d'or for you! tu ne diras rien, entends-tu? you won't say anything, do you hear? Je dirai que je t'ai trouvée trop faible pour l'ouvrage de ma ferme… Et qu'il ne soit plus question de ça… Je repasserai par chez vous un de ces jours; et si tu n'as rien dit, je te donnerai encore quelque chose… Et puis, si tu es plus raisonnable, tu n'as qu'à parler: je te ramènerai chez moi, ou bien, j'irai causer avec toi à la brune dans les prés. I will say that I found you too weak for the work of my farm ... And let it be no more ... I will come back to your place one of these days; and if you haven't said anything, I'll give you something more ... And then, if you're more reasonable, all you have to do is talk: I'll take you home, or else I'll go talk to you at the brunette in the meadows. Quel cadeau veux-tu que je te porte? What gift do you want me to carry for you?

Voilà, monsieur, le cadeau que je vous fais, moi! Here, sir, is the gift I am giving you! répondit à haute voix la petite Marie, en lui jetant son louis d'or au visage, et même assez rudement. replied little Marie aloud, throwing her louis d'or in her face, and even rather harshly. Je vous remercie beaucoup, et vous prie, quand vous repasserez par chez nous, de me faire avertir: tous les garçons de mon endroit iront vous recevoir, parce que chez nous, on aime fort les bourgeois qui veulent en conter aux pauvres filles! I thank you very much, and beg you, when you come back to our place, to let me know: all the boys in my area will come and receive you, because with us, we love the bourgeois who want to tell the poor girls! Vous verrez ça, on vous attendra. You will see that, we will wait for you.

Vous êtes une menteuse et une sotte langue! You are a liar and a foolish tongue! dit le fermier courroucé, en levant son bâton d'un air de menace. said the angry farmer, raising his stick threateningly. Vous voudriez faire croire ce qui n'est point, mais vous ne me tirerez pas d'argent: on connaît vos pareilles! You would like to make people believe what is not, but you will not get me money: we know your like! Marie s'était reculée effrayée; mais Germain s'était élancé à la bride du cheval du fermier, et la secouant avec force: Marie had stepped back in fear; but Germain had rushed to the bridle of the farmer's horse, and shaking it with force: C'est entendu, maintenant! It is understood, now! dit-il, et nous voyons assez de quoi il retourne… A terre! he said, and we see enough of what he is talking about ... Down! mon homme! my man! à terre! down! et causons tous les deux! and let's both chat!

Le fermier ne se souciait pas d'engager la partie: il éperonna son cheval pour se dégager, et voulut frapper de son bâton les mains du laboureur pour lui faire lâcher prise; mais Germain esquiva le coup, et, lui prenant la jambe, il le désarçonna et le fit tomber sur la fougère, où il le terrassa, quoique le fermier se fût remis sur ses pieds et se défendît vigoureusement. The farmer did not care to start the game: he spurred his horse to free himself, and wanted to strike the plowman's hands with his stick to make him let go; but Germain dodged the blow, and, taking his leg, he unseated him and made him fall on the fern, where he knocked him down, although the farmer had risen to his feet and defended himself vigorously. Quand il le tint sous lui: When he held it under him:

Homme de peu de cur! Man of little heart! lui dit Germain, je pourrais te rouer de coups si je voulais! Germain said to him, I could beat you up if I wanted! Mais je n'aime pas à faire du mal, et d'ailleurs aucune correction n'amenderait ta conscience… Cependant, tu ne bougeras pas d'ici que tu n'aies demandé pardon, à genoux, à cette jeune fille. But I don't like to hurt, and besides, no correction would change your conscience… However, you will not move until you have asked for forgiveness, on your knees, from this young girl. Le fermier, qui connaissait ces sortes d'affaires, voulut prendre la chose en plaisanterie. The farmer, who knew this sort of thing, wanted to take it as a joke. Il prétendit que son péché n'était pas si grave, puisqu'il ne consistait qu'en paroles, et qu'il voulait bien demander pardon, à condition qu'il embrasserait la fille, que l'on irait boire une pinte de vin au prochain cabaret, et qu'on se quitterait bons amis. He claimed that his sin was not so serious, since it consisted only of words, and that he was willing to ask forgiveness, on condition that he kissed the girl, that we would go and drink a pint of wine. at the next cabaret, and that we would leave each other as good friends. Tu me fais peine! You hurt me! répondit Germain en lui poussant la face contre terre, et j'ai hâte de ne plus voir ta méchante mine. Germain replied, pushing her face to the ground, and I can't wait to see your wicked countenance no longer. Tiens, rougis si tu peux, et tâche de prendre le chemin des _affronteux_1 [1. Here, blush if you can, and try to take the path of the _affronteux_1 [1. C'est le chemin qui détourne de la rue principale à l'entrée des villages et les côtoie à l'extérieur. It is the path which diverts from the main street at the entrance to the villages and runs alongside them on the outside. On suppose que les gens qui craignent de recevoir quelque affront mérité le prennent pour éviter d'être vus.] It is assumed that people who fear receiving some deserved affront take it to avoid being seen.] quand tu passeras par chez nous. when you pass by with us.

Il ramassa le bâton de houx du fermier, le brisa sur son genou pour lui montrer la force de ses poignets, et en jeta les morceaux au loin avec mépris. He picked up the farmer's holly stick, snapped it on his knee to show him the strength of his wrists, and threw the pieces away contemptuously.

Puis, prenant d'une main son fils, et de l'autre la petite Marie, il s'éloigna tout tremblant d'indignation. Then, taking his son in one hand and little Marie in the other, he went away trembling with indignation.