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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 13

chapitre 13

LE MAITRE

Lorsqu'ils atteignirent le village, la veuve s'arrêta pour les attendre. Elle voulait absolument faire son entrée avec tout son monde; mais Germain, lui refusant cette satisfaction, quitta le père Léonard, accosta plusieurs personnes de sa connaissance, et entra dans l'église par une autre porte. La veuve en eut du dépit.

Après la messe, elle se montra partout triomphante sur la pelouse où l'on dansait, et ouvrit la danse avec ses trois amoureux successivement. Germain la regarda faire, et trouva qu'elle dansait bien, mais avec affectation. Eh bien! lui dit Léonard en lui frappant sur l'épaule, vous ne faites donc pas danser ma fille? Vous êtes aussi par trop timide!

Je ne danse plus depuis que j'ai perdu ma femme, répondit le laboureur Eh bien! puisque vous en recherchez une autre, le deuil est fini dans le cur comme sur l'habit. Ce n'est pas une raison, père Léonard; d'ailleurs je me trouve trop vieux, je n'aime plus la danse. Ecoutez, reprit Léonard en l'attirant dans un endroit isolé, vous avez pris du dépit, en entrant chez moi, de voir la place déjà entourée d'assiégeants, et je vois que vous êtes très fier; mais ceci n'est pas raisonnable, mon garçon. Ma fille est habituée à être courtisée, surtout depuis deux ans qu'elle a fini son deuil, et ce n'est pas à elle à aller au-devant de vous. Il y a déjà deux ans que votre fille est à marier, et elle n'a pas encore pris son parti? dit Germain.

Elle ne veut pas se presser, et elle a raison. Quoiqu'elle ait la mine éveillée et qu'elle vous paraisse peut-être ne pas beaucoup réfléchir, c'est une femme d'un grand sens, et qui sait fort bien ce qu'elle fait. Il ne me semble pas, dit Germain ingénument, car elle a trois galants à sa suite, et si elle savait ce qu'elle veut, il y en aurait au moins deux qu'elle trouverait de trop et qu'elle prierait de rester chez eux. Pourquoi donc? vous n'y entendez rien, Germain. Elle ne veut ni du vieux, ni du borgne, ni du jeune, j'en suis quasi certain; mais si elle les renvoyait, on penserait qu'elle veut rester veuve, et il n'en viendrait pas d'autre. Ah! oui! ceux-là servent d'enseigne! Comme vous dites. Où est le mal, si cela leur convient?

Chacun son goût! dit Germain.

Je vois que ce ne serait pas le vôtre. Mais voyons, on peut s'entendre, à supposer que vous soyez préféré: on pourrait vous laisser la place. Oui, à supposer! Et en attendant qu'on puisse le savoir, combien de temps faudrait-il rester le nez au vent? Ça dépend de vous, je crois, si vous savez parler et persuader. Jusqu'ici ma fille a très bien compris que le meilleur temps de sa vie serait celui qu'elle passerait à se laisser courtiser, et elle ne se sent pas pressée de devenir la servante d'un homme, quand elle peut commander à plusieurs. Ainsi, tant que le jeu lui plaira, elle peut se divertir; mais si vous plaisez plus que le jeu, le jeu pourra cesser. Vous n'avez qu'à ne pas vous rebuter. Revenez tous les dimanches, faites-la danser, donnez à connaître que vous vous mettez sur les rangs, et si on vous trouve plus aimable et mieux appris que les autres, un beau jour on vous le dira sans doute.

Pardon, père Léonard, votre fille a le droit d'agir comme elle l'entend, et je n'ai pas celui de la blâmer. A sa place, moi, j'agirais autrement; j'y mettrais plus de franchise et je ne ferais pas perdre du temps à des hommes qui ont sans doute quelque chose de mieux à faire qu'à tourner autour d'une femme qui se moque d'eux. Mais, enfin, si elle trouve son amusement et son bonheur à cela, cela ne me regarde point. Seulement, il faut que je vous dise une chose qui m'embarrasse un peu à vous avouer depuis ce matin, vu que vous avez commencé par vous tromper sur mes intentions, et que vous ne m'avez pas donné le temps de vous répondre: si bien que vous croyez ce qui n'est point. Sachez donc que je ne suis pas venu ici dans la vue de demander votre fille en mariage, mais dans celle de vous acheter une paire de bufs que vous voulez conduire en foire la semaine prochaine, et que mon beau-père suppose lui convenir.

J'entends, Germain, répondit Léonard fort tranquillement; vous avez changé d'idée en voyant ma fille avec ses amoureux. C'est comme il vous plaira. Il paraît que ce qui attire les uns rebute les autres, et vous avez le droit de vous retirer puisque aussi bien vous n'avez pas encore parlé. Si vous voulez sérieusement acheter mes bufs, venez les voir au pâturage; nous en causerons, et, que nous fassions ou non ce marché, vous viendrez dîner avec nous avant de vous en retourner.

Je ne veux pas que vous vous dérangiez, reprit Germain, vous avez peut-être affaire ici; moi je m'ennuie un peu de voir danser et de ne rien faire. Je vais voir vos bêtes, et je vous trouverai tantôt chez vous.

Là-dessus Germain s'esquiva et se dirigea vers les prés, où Léonard lui avait, en effet, montré de loin une partie de son bétail. Il était vrai que le père Maurice en avait à acheter, et Germain pensa que s'il lui ramenait une belle paire de bufs d'un prix modéré, il se ferait mieux pardonner d'avoir manqué volontairement le but de son voyage. Il marcha vite et se trouva bientôt à peu de distance des Ormeaux. Il éprouva alors le besoin d'aller embrasser son fils, et même de revoir la petite Marie, quoiqu'il eût perdu l'espoir et chassé la pensée de lui devoir son bonheur. Tout ce qu'il venait de voir et d'entendre, cette femme coquette et vaine, ce père à la fois rusé et borné, qui encourageait sa fille dans des habitudes d'orgueil et de déloyauté, ce luxe des villes, qui lui paraissait une infraction à la dignité des murs de la campagne, ce temps perdu à des paroles oiseuses et niaises, cet intérieur si différent du sien, et surtout ce malaise profond que l'homme des champs éprouve lorsqu'il sort de ses habitudes laborieuses, tout ce qu'il avait subi d'ennui et de confusion depuis quelques heures donnait à Germain l'envie de se retrouver avec son enfant et sa petite voisine. N'eût-il pas été amoureux de cette dernière, il l'aurait encore cherchée pour se distraire et remettre ses esprits dans leur assiette accoutumée. Mais il regarda en vain dans les prairies environnantes, il n'y trouva ni la petite Marie ni le petit Pierre: il était pourtant l'heure où les pasteurs sont aux champs. Il y avait un grand troupeau dans une chôme; il demanda à un jeune garçon, qui le gardait, si c'étaient les moutons de la métairie des Ormeaux. Oui, dit l'enfant. En êtes-vous le berger? est-ce que les garçons gardent les bêtes à laine des métairies, dans votre endroit?

Non. Je les garde aujourd'hui parce que la bergère est partie: elle était malade. Mais n'avez-vous pas une nouvelle bergère, arrivée de ce matin? Oh! bien oui? elle est déjà partie aussi.

Comment, partie? n'avait-elle pas un enfant avec elle? Oui: un petit garçon qui a pleuré. Ils se sont en allés tous les deux au bout de deux heures.

En allés, où?

D'où ils venaient, apparemment. Je ne leur ai pas demandé.

Mais pourquoi donc s'en allaient-ils? dit Germain de plus en plus inquiet.

Dame! est-ce que je sais?

On ne s'est pas entendu sur le prix? ce devait être pourtant une chose convenue d'avance. Je ne peux rien vous en dire. Je les ai vus entrer et sortir, voilà tout.

Germain se dirigea vers la ferme et questionna les métayers. Personne ne put lui expliquer le fait; mais il était constant qu'après avoir causé avec le fermier, la jeune fille était partie sans rien dire, emmenant l'enfant qui pleurait. Est-ce qu'on a maltraité mon fils? s'écria Germain dont les yeux s'enflammèrent. C'était donc votre fils? Comment se trouvait-il avec cette petite? D'où êtes-vous donc, et comment vous appelle-t-on? Germain, voyant que, selon l'habitude du pays, on allait répondre à ses questions par d'autres questions, frappa du pied avec impatience et demanda à parler au maître. Le maître n'y était pas: il n'avait pas coutume de rester toute la journée entière quand il venait à la ferme. Il était monté à cheval, et il était parti on ne savait pour quelle autre de ses fermes.

Mais enfin, dit Germain en proie à une vive anxiété, ne pouvez-vous savoir la raison du départ de cette jeune fille?

Le métayer échangea un sourire étrange avec sa femme, puis il répondit qu'il n'en savait rien, que cela ne le regardait pas. Tout ce que Germain put apprendre, c'est que la jeune fille et l'enfant étaient allés du côté de Fourche. Il courut à Fourche: la veuve et ses amoureux n'étaient pas de retour, non plus que le père Léonard. La servante lui dit qu'une jeune fille et un enfant étaient venus le demander, mais que, ne les connaissant pas, elle n'avait pas voulu les recevoir, et leur avait conseillé d'aller à Mers. Et pourquoi avez-vous refusé de les recevoir? dit Germain avec humeur. On est donc bien méfiant dans ce pays-ci, qu'on n'ouvre pas la porte à son prochain? Ah dame! répondit la servante, dans une maison riche comme celle-ci on a raison de faire bonne garde. Je réponds de tout quand les maîtres sont absents, et je ne peux pas ouvrir aux premiers venus.

C'est une laide coutume, dit Germain, et j'aimerais mieux être pauvre que de vivre comme cela dans la crainte. Adieu, la fille! adieu à votre vilain pays!

Il s'enquit dans les maisons environnantes. On avait vu la bergère et l'enfant. Comme le petit était parti de Belair à l'improviste, sans toilette, avec sa blouse un peu déchirée et sa petite peau d'agneau sur le corps; comme aussi la petite Marie était, pour cause, fort pauvrement vêtue en tout temps, on les avait pris pour des mendiants. On leur avait offert du pain; la jeune fille en avait accepté un morceau pour l'enfant qui avait faim, puis elle était partie très vite avec lui, et avait gagné les bois. Germain réfléchit un instant, puis il demanda si le fermier des Ormeaux n'était pas venu à Fourche. Oui, lui répondit-on; il a passé à cheval peu d'instants après cette petite. Est-ce qu'il a couru après elle? Ah! vous le connaissez donc? dit en riant le cabaretier de l'endroit, auquel il s'adressait. Oui, certes; c'est un gaillard endiablé pour courir après les filles. Mais je ne crois pas qu'il ait attrapé celle-là; quoique après tout, s'il l'eût vue… C'est assez, merci! Et il vola plutôt qu'il ne courut à l'écurie de Léonard. Il jeta la bâtine sur la Grise, sauta dessus, et partit au grand galop dans la direction des bois de Chanteloube.

Le cur lui bondissait d'inquiétude et de colère, la sueur lui coulait du front. Il mettait en sang les flancs de la Grise, qui, en se voyant sur le chemin de son écurie, ne se faisait pourtant pas prier pour courir.


chapitre 13 chapter 13 capítulo 13 capítulo 13

LE MAITRE THE MASTER

Lorsqu'ils atteignirent le village, la veuve s'arrêta pour les attendre. When they reached the village, the widow stopped to wait for them. Elle voulait absolument faire son entrée avec tout son monde; mais Germain, lui refusant cette satisfaction, quitta le père Léonard, accosta plusieurs personnes de sa connaissance, et entra dans l'église par une autre porte. She absolutely wanted to make her entrance with everyone; but Germain, refusing him this satisfaction, left Father Leonard, accosted several persons of his acquaintance, and entered the church by another door. La veuve en eut du dépit. The widow was annoyed.

Après la messe, elle se montra partout triomphante sur la pelouse où l'on dansait, et ouvrit la danse avec ses trois amoureux successivement. After mass, she showed herself triumphant everywhere on the lawn where people were dancing, and opened the dance with her three lovers successively. Germain la regarda faire, et trouva qu'elle dansait bien, mais avec affectation. Germain watched her do it, and found that she danced well, but with affectation. Eh bien! Well! lui dit Léonard en lui frappant sur l'épaule, vous ne faites donc pas danser ma fille? said Leonard to her, slapping her on the shoulder, "aren't you making my daughter dance?" Vous êtes aussi par trop timide! You are also too shy!

Je ne danse plus depuis que j'ai perdu ma femme, répondit le laboureur I haven't dance since I lost my wife, replied the plowman Eh bien! Well! puisque vous en recherchez une autre, le deuil est fini dans le cur comme sur l'habit. since you are looking for another, mourning is over in the heart as in the habit. Ce n'est pas une raison, père Léonard; d'ailleurs je me trouve trop vieux, je n'aime plus la danse. This is not a reason, Father Léonard; besides, I find myself too old, I no longer like dancing. Ecoutez, reprit Léonard en l'attirant dans un endroit isolé, vous avez pris du dépit, en entrant chez moi, de voir la place déjà entourée d'assiégeants, et je vois que vous êtes très fier; mais ceci n'est pas raisonnable, mon garçon. Listen, "resumed Leonardo, drawing him to an isolated place," you were annoyed when you entered my room to see the place already surrounded by besiegers, and I see that you are very proud; but this is not reasonable, my boy. Ma fille est habituée à être courtisée, surtout depuis deux ans qu'elle a fini son deuil, et ce n'est pas à elle à aller au-devant de vous. My daughter is used to being courted, especially since she has finished mourning two years, and it is not for her to go out and meet you. Il y a déjà deux ans que votre fille est à marier, et elle n'a pas encore pris son parti? Has your daughter been married for two years already, and she has not yet made up her mind? dit Germain. said Germain.

Elle ne veut pas se presser, et elle a raison. She doesn't want to hurry, and she's right. Quoiqu'elle ait la mine éveillée et qu'elle vous paraisse peut-être ne pas beaucoup réfléchir, c'est une femme d'un grand sens, et qui sait fort bien ce qu'elle fait. Although she looks awake and perhaps seems to you not to think much, she is a woman of great sense, and who knows very well what she is doing. Il ne me semble pas, dit Germain ingénument, car elle a trois galants à sa suite, et si elle savait ce qu'elle veut, il y en aurait au moins deux qu'elle trouverait de trop et qu'elle prierait de rester chez eux. It does not seem to me, said Germain ingenuously, for she has three lovers in her suite, and if she knew what she wants, there would be at least two that she would find too many and would beg to stay with. them. Pourquoi donc? Why is that? vous n'y entendez rien, Germain. you don't understand a thing, Germain. Elle ne veut ni du vieux, ni du borgne, ni du jeune, j'en suis quasi certain; mais si elle les renvoyait, on penserait qu'elle veut rester veuve, et il n'en viendrait pas d'autre. She doesn't want the old, the one-eyed, or the young, I'm almost certain; but if she fired them, one would think that she wanted to remain a widow, and no other would come. Ah! oui! ceux-là servent d'enseigne! these serve as a sign! Comme vous dites. As you say. Où est le mal, si cela leur convient? Where is the harm, if it suits them?

Chacun son goût! Everyone has their own taste! dit Germain. said Germain.

Je vois que ce ne serait pas le vôtre. I see it wouldn't be yours. Mais voyons, on peut s'entendre, à supposer que vous soyez préféré: on pourrait vous laisser la place. But let's see, we can agree, assuming you are preferred: we could give you the place. Oui, à supposer! Yes, presumably! Et en attendant qu'on puisse le savoir, combien de temps faudrait-il rester le nez au vent? And until we can find out, how long should we stay with our noses in the wind? Ça dépend de vous, je crois, si vous savez parler et persuader. It depends on you, I believe, if you can talk and persuade. Jusqu'ici ma fille a très bien compris que le meilleur temps de sa vie serait celui qu'elle passerait à se laisser courtiser, et elle ne se sent pas pressée de devenir la servante d'un homme, quand elle peut commander à plusieurs. So far my daughter has understood very well that the best time of her life would be the one she would spend letting herself be wooed, and she does not feel in a hurry to become a man's servant, when she can command several people. Ainsi, tant que le jeu lui plaira, elle peut se divertir; mais si vous plaisez plus que le jeu, le jeu pourra cesser. Thus, as long as the game pleases her, she can be entertained; but if you enjoy the game more than the game, the game may stop. Vous n'avez qu'à ne pas vous rebuter. You just have to not be put off. Revenez tous les dimanches, faites-la danser, donnez à connaître que vous vous mettez sur les rangs, et si on vous trouve plus aimable et mieux appris que les autres, un beau jour on vous le dira sans doute. Come back every Sunday, make her dance, let people know that you are standing in line, and if you are found to be more friendly and better learned than the others, one fine day you will no doubt be told.

Pardon, père Léonard, votre fille a le droit d'agir comme elle l'entend, et je n'ai pas celui de la blâmer. Sorry, Father Leonard, your daughter has the right to act as she sees fit, and I don't have the right to blame her. A sa place, moi, j'agirais autrement; j'y mettrais plus de franchise et je ne ferais pas perdre du temps à des hommes qui ont sans doute quelque chose de mieux à faire qu'à tourner autour d'une femme qui se moque d'eux. In his place, I would act differently; I would put more frankness into it and I would not waste time on men who undoubtedly have something better to do than to turn around a woman who makes fun of them. Mais, enfin, si elle trouve son amusement et son bonheur à cela, cela ne me regarde point. But, after all, if she finds her amusement and happiness in that, that is none of my business. Seulement, il faut que je vous dise une chose qui m'embarrasse un peu à vous avouer depuis ce matin, vu que vous avez commencé par vous tromper sur mes intentions, et que vous ne m'avez pas donné le temps de vous répondre: si bien que vous croyez ce qui n'est point. Only, I must tell you something that embarrasses me a little to confess to you since this morning, since you started by being wrong about my intentions, and that you did not give me time to answer you: so that you believe what is not. Sachez donc que je ne suis pas venu ici dans la vue de demander votre fille en mariage, mais dans celle de vous acheter une paire de bufs que vous voulez conduire en foire la semaine prochaine, et que mon beau-père suppose lui convenir. Know then that I have not come here for the purpose of asking your daughter to marry him, but to buy you a pair of oxen which you want to take to the fair next week, and which my father-in-law supposes to be suitable for her.

J'entends, Germain, répondit Léonard fort tranquillement; vous avez changé d'idée en voyant ma fille avec ses amoureux. I hear, Germain, replied Leonardo very quietly; you changed your mind seeing my daughter with her lovers. C'est comme il vous plaira. It's as you please. Il paraît que ce qui attire les uns rebute les autres, et vous avez le droit de vous retirer puisque aussi bien vous n'avez pas encore parlé. It seems that what attracts some repels others, and you have the right to withdraw since you have not yet spoken. Si vous voulez sérieusement acheter mes bufs, venez les voir au pâturage; nous en causerons, et, que nous fassions ou non ce marché, vous viendrez dîner avec nous avant de vous en retourner. If you are serious about buying my oxen, come see them in the pasture; we will talk about it, and whether we make this deal or not, you will come and dine with us before you return.

Je ne veux pas que vous vous dérangiez, reprit Germain, vous avez peut-être affaire ici; moi je m'ennuie un peu de voir danser et de ne rien faire. I don't want you to disturb yourself, resumed Germain, perhaps you have business here; I am a little bored to see dancing and to do nothing. Je vais voir vos bêtes, et je vous trouverai tantôt chez vous. I am going to see your animals, and I will find you soon at your place.

Là-dessus Germain s'esquiva et se dirigea vers les prés, où Léonard lui avait, en effet, montré de loin une partie de son bétail. Thereupon Germain slipped away and walked towards the meadows, where Leonardo had, in fact, shown him from a distance some of his cattle. Il était vrai que le père Maurice en avait à acheter, et Germain pensa que s'il lui ramenait une belle paire de bufs d'un prix modéré, il se ferait mieux pardonner d'avoir manqué volontairement le but de son voyage. It was true that Father Maurice had some to buy, and Germain thought that if he brought him back a nice pair of oxen at a moderate price, he would be better off forgiving himself for having intentionally missed the purpose of his trip. Il marcha vite et se trouva bientôt à peu de distance des Ormeaux. He walked quickly and soon found himself a short distance from Les Ormeaux. Il éprouva alors le besoin d'aller embrasser son fils, et même de revoir la petite Marie, quoiqu'il eût perdu l'espoir et chassé la pensée de lui devoir son bonheur. He then felt the need to go and kiss his son, and even to see little Marie again, although he had lost hope and dismissed the thought of owing him his happiness. Tout ce qu'il venait de voir et d'entendre, cette femme coquette et vaine, ce père à la fois rusé et borné, qui encourageait sa fille dans des habitudes d'orgueil et de déloyauté, ce luxe des villes, qui lui paraissait une infraction à la dignité des murs de la campagne, ce temps perdu à des paroles oiseuses et niaises, cet intérieur si différent du sien, et surtout ce malaise profond que l'homme des champs éprouve lorsqu'il sort de ses habitudes laborieuses, tout ce qu'il avait subi d'ennui et de confusion depuis quelques heures donnait à Germain l'envie de se retrouver avec son enfant et sa petite voisine. All he had just seen and heard, this coquettish and vain woman, this father both cunning and narrow-minded, who encouraged his daughter in habits of pride and disloyalty, that luxury of the cities, which seemed to him a violation of the dignity of the country walls, this time lost in idle and silly words, this interior so different from his own, and above all this deep uneasiness that the man of the fields feels when he leaves his laborious habits, all what he had been through with boredom and confusion for a few hours made Germain want to meet up with his child and his little neighbor. N'eût-il pas été amoureux de cette dernière, il l'aurait encore cherchée pour se distraire et remettre ses esprits dans leur assiette accoutumée. Had he not been in love with the latter, he would still have sought her to amuse himself and put his spirits back on their usual plate. Mais il regarda en vain dans les prairies environnantes, il n'y trouva ni la petite Marie ni le petit Pierre: il était pourtant l'heure où les pasteurs sont aux champs. But he looked in vain in the surrounding meadows, he found neither little Marie nor little Pierre: yet it was the hour when the pastors were in the fields. Il y avait un grand troupeau dans une  chôme; il demanda à un jeune garçon, qui le gardait, si c'étaient les moutons de la métairie des Ormeaux. There was a large herd in an idle; he asked a young boy who was looking after him if they were the sheep from the Ormeaux farm. Oui, dit l'enfant. Yes, said the child. En êtes-vous le berger? Are you its shepherd? est-ce que les garçons gardent les bêtes à laine des métairies, dans votre endroit? do the boys keep the woolly animals of the farms in your place?

Non. No. Je les garde aujourd'hui parce que la bergère est partie: elle était malade. I keep them today because the shepherdess left: she was ill. Mais n'avez-vous pas une nouvelle bergère, arrivée de ce matin? But don't you have a new shepherdess, arrived this morning? Oh! Oh! bien oui? good yes? elle est déjà partie aussi. she's already gone too.

Comment, partie? How, gone? n'avait-elle pas un enfant avec elle? didn't she have a child with her? Oui: un petit garçon qui a pleuré. Yes: a little boy who cried. Ils se sont en allés tous les deux au bout de deux heures. They both left after two hours.

En allés, où? In gone, where?

D'où ils venaient, apparemment. Where they came from, apparently. Je ne leur ai pas demandé. I didn't ask them.

Mais pourquoi donc s'en allaient-ils? But why were they going away? dit Germain de plus en plus inquiet. said Germain, more and more worried.

Dame! Lady! est-ce que je sais? do i know?

On ne s'est pas entendu sur le prix? Didn't we agree on the price? ce devait être pourtant une chose convenue d'avance. it had to be, however, something agreed upon in advance. Je ne peux rien vous en dire. I can't tell you anything about it. Je les ai vus entrer et sortir, voilà tout. I saw them come in and go out, that's all.

Germain se dirigea vers la ferme et questionna les métayers. Germain went to the farm and questioned the sharecroppers. Personne ne put lui expliquer le fait; mais il était constant qu'après avoir causé avec le fermier, la jeune fille était partie sans rien dire, emmenant l'enfant qui pleurait. No one could explain the fact to him; but it was common ground that after chatting with the farmer, the young girl had left without saying anything, taking the crying child with her. Est-ce qu'on a maltraité mon fils? Has my son been abused? s'écria Germain dont les yeux s'enflammèrent. cried Germain, his eyes flaming. C'était donc votre fils? Was that your son? Comment se trouvait-il avec cette petite? How was he with this little one? D'où êtes-vous donc, et comment vous appelle-t-on? Where are you from, and what is your name? Germain, voyant que, selon l'habitude du pays, on allait répondre à ses questions par d'autres questions, frappa du pied avec impatience et demanda à parler au maître. Germain, seeing that, according to the custom of the country, his questions were going to be answered with other questions, impatiently stamped his foot and asked to speak to the master. Le maître n'y était pas: il n'avait pas coutume de rester toute la journée entière quand il venait à la ferme. The master was not there: he was not in the habit of staying the whole day when he came to the farm. Il était monté à cheval, et il était parti on ne savait pour quelle autre de ses fermes. He had ridden on horseback, and he had left for some unknown other of his farms.

Mais enfin, dit Germain en proie à une vive anxiété, ne pouvez-vous savoir la raison du départ de cette jeune fille? But after all, said Germain, in the grip of great anxiety, can you not know the reason for this young girl's departure?

Le métayer échangea un sourire étrange avec sa femme, puis il répondit qu'il n'en savait rien, que cela ne le regardait pas. The sharecropper exchanged a strange smile with his wife, then replied that he did not know, that it was none of his business. Tout ce que Germain put apprendre, c'est que la jeune fille et l'enfant étaient allés du côté de Fourche. All that Germain could learn was that the young girl and the child had gone to the Fourche side. Il courut à Fourche: la veuve et ses amoureux n'étaient pas de retour, non plus que le père Léonard. He ran to Fourche: the widow and her lovers were not back, nor Father Leonard. La servante lui dit qu'une jeune fille et un enfant étaient venus le demander, mais que, ne les connaissant pas, elle n'avait pas voulu les recevoir, et leur avait conseillé d'aller à Mers. The servant told her that a young girl and a child had come to ask for it, but that, not knowing them, she had not wanted to receive them, and had advised them to go to Seas. Et pourquoi avez-vous refusé de les recevoir? And why did you refuse to receive them? dit Germain avec humeur. Germain said angrily. On est donc bien méfiant dans ce pays-ci, qu'on n'ouvre pas la porte à son prochain? So we are very suspicious in this country that we do not open the door to our neighbor? Ah dame! Ah lady! répondit la servante, dans une maison riche comme celle-ci on a raison de faire bonne garde. replied the servant, in a rich house like this one is right to keep watch. Je réponds de tout quand les maîtres sont absents, et je ne peux pas ouvrir aux premiers venus. I answer for everything when the teachers are away, and I cannot open up to the first comers.

C'est une laide coutume, dit Germain, et j'aimerais mieux être pauvre que de vivre comme cela dans la crainte. It's an ugly custom, said Germain, and I'd rather be poor than live like that in fear. Adieu, la fille! Farewell, girl! adieu à votre vilain pays! farewell to your ugly country!

Il s'enquit dans les maisons environnantes. He inquired about the surrounding houses. On avait vu la bergère et l'enfant. We had seen the shepherdess and the child. Comme le petit était parti de Belair à l'improviste, sans toilette, avec sa blouse un peu déchirée et sa petite peau d'agneau sur le corps; comme aussi la petite Marie était, pour cause, fort pauvrement vêtue en tout temps, on les avait pris pour des mendiants. How the little one had left Belair unexpectedly, without dressing, with his blouse a little torn and his little lambskin on his body; as little Marie was also, for good reason, very poorly dressed at all times, they had been taken for beggars. On leur avait offert du pain; la jeune fille en avait accepté un morceau pour l'enfant qui avait faim, puis elle était partie très vite avec lui, et avait gagné les bois. They had been offered bread; the young girl had accepted a piece of it for the child who was hungry, then she had left very quickly with him, and had reached the woods. Germain réfléchit un instant, puis il demanda si le fermier des Ormeaux n'était pas venu à Fourche. Germain thought for a moment, then asked if the farmer from Les Ormeaux had not come to Fourche. Oui, lui répondit-on; il a passé à cheval peu d'instants après cette petite. Yes, they replied; he passed on horseback a few moments after this little one. Est-ce qu'il a couru après elle? Did he run after her? Ah! Ah! vous le connaissez donc? do you know him then? dit en riant le cabaretier de l'endroit, auquel il s'adressait. laughed the local innkeeper, to whom he was addressing. Oui, certes; c'est un gaillard endiablé pour courir après les filles. Yes, of course; he's a frenzied fellow to chase after girls. Mais je ne crois pas qu'il ait attrapé celle-là; quoique après tout, s'il l'eût vue… But I don't think he caught that one; although after all, if he had seen her ... C'est assez, merci! That's enough, thanks! Et il vola plutôt qu'il ne courut à l'écurie de Léonard. And he flew rather than ran to Leonardo's stable. Il jeta la bâtine sur la Grise, sauta dessus, et partit au grand galop dans la direction des bois de Chanteloube. He threw the batine on the Grise, jumped on it, and set off at a full gallop in the direction of the woods of Chanteloube.

Le cur lui bondissait d'inquiétude et de colère, la sueur lui coulait du front. His heart was leaping with worry and anger, sweat was flowing from his forehead. Il mettait en sang les flancs de la Grise, qui, en se voyant sur le chemin de son écurie, ne se faisait pourtant pas prier pour courir. He bloodied the flanks of La Grise, who, seeing herself on the way to her stable, did not, however, make herself be asked to run.