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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 1

chapitre 1

L'AUTEUR AU LECTEUR

A la sueur de ton visaige

Tu gagnerois ta pauvre vie,

Après long travail et usaige,

Voicy la mort qui te convie.

Le quatrain en vieux français, placé au-dessous d'une composition d'Holbein, est d'une tristesse profonde dans sa naïveté. La gravure représente un laboureur conduisant sa charrue au milieu d'un champ. Une vaste campagne s'étend au loin, on y voit de pauvres cabanes; le soleil se couche derrière la colline. C'est la fin d'une rude journée de travail. Le paysan est vieux, trapu, couvert de haillons. L'attelage de quatre chevaux qu'il pousse en avant est maigre, exténué; le soc s'enfonce dans un fonds raboteux et rebelle. Un seul être est allègre et ingambe dans cette scène de sueur et usaige . C'est un personnage fantastique, un squelette armé d'un fouet, qui court dans le sillon à côté des chevaux effrayés et les frappe, servant de valet de charrue au vieux laboureur. C'est la mort, ce spectre qu'Holbein a introduit allégoriquement dans la succession de sujets philosophiques et religieux, à la fois lugubres et bouffons, intitulée les Simulachres de la mort .

Dans cette collection, ou plutôt dans cette vaste composition où la mort, jouant son rôle à toutes les pages, est le lien et la pensée dominante, Holbein a fait comparaître les souverains, les pontifes, les amants, les joueurs, les ivrognes, les nonnes, les courtisanes, les brigands, les pauvres, les guerriers, les moines, les juifs, les voyageurs, tout le monde de son temps et du nôtre; et partout le spectre de la mort raille, menace et triomphe. D'un seul tableau elle est absente. C'est celui où le pauvre Lazare, couché sur un fumier à la porte du riche, déclare qu'il ne la craint pas, sans doute parce qu'il n'a rien à perdre et que sa vie est une mort anticipée.

Cette pensée stoïcienne du christianisme demi-païen de la Renaissance est-elle bien consolante, et les âmes religieuses y trouvent-elles leur compte? L'ambitieux, le fourbe, le tyran, le débauché, tous ces pécheurs superbes qui abusent de la vie, et que la mort tient par les cheveux, vont être punis, sans doute; mais l'aveugle, le mendiant, le fou, le pauvre paysan, sont-ils dédommagés de leur longue misère par la seule réflexion que la mort n'est pas un mal pour eux? Non! Une tristesse implacable, une effroyable fatalité pèse sur l'uvre de l'artiste. Cela ressemble à une malédiction amère lancée sur le sort de l'humanité.

C'est bien là la satire douloureuse, la peinture vraie de la société qu'Holbein avait sous les yeux. Crime et malheur, voilà ce qui le frappait; mais nous, artistes d'un autre siècle, que peindrons-nous? Chercherons-nous dans la pensée de la mort la rémunération de l'humanité présente? l'invoquerons- nous comme le châtiment de l'injustice et le dédommagement de la souffrance?

Non, nous n'avons plus affaire à la mort, mais à la vie. Nous ne croyons plus ni au néant de la tombe, ni au salut acheté par un renoncement forcé; nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu'elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de quelques-uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu. Il faut que le laboureur, en semant son blé, sache qu'il travaille à l'uvre de vie, et non qu'il se réjouisse de ce que la mort marche à ses côtés. Il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité, ni la consolation de la détresse. Dieu ne l'a destinée ni à punir, ni à dédommager de la vie; car il a béni la vie, et la tombe ne doit pas être un refuge où il soit permis d'envoyer ceux qu'on ne veut pas rendre heureux.

Certains artistes de notre temps, jetant un regard sérieux sur ce qui les entoure, s'attachent à peindre la douleur, l'abjection de la misère, le fumier de Lazare. Ceci peut être du domaine de l'art et de la philosophie; mais en peignant la misère si laide, si avilie, parfois si vicieuse et si criminelle, leur but est-il atteint, et l'effet en est-il salutaire, comme ils le voudraient? Nous n'osons pas nous prononcer là-dessus. On peut nous dire qu'en montrant ce gouffre creusé sous le sol fragile de l'opulence, ils effraient le mauvais riche, comme, au temps de la danse macabre, on lui montrait sa fosse béante et la mort prête à l'enlacer dans ses bras immondes. Aujourd'hui on lui montre le bandit crochetant sa porte et l'assassin guettant son sommeil. Nous confessons que nous ne comprenons pas trop comment on le réconciliera avec l'humanité qu'il méprise, comment on le rendra sensible aux douleurs du pauvre qu'il redoute, en lui montrant ce pauvre sous la fourre du forçat évadé et du rôdeur de nuit. L'affreuse mort, grinçant des dents et jouant du violon dans les images d'Holbein et de ses devanciers, n'a pas trouvé moyen, sous cet aspect, de convertir les pervers et de consoler les victimes. Est-ce que notre littérature ne procéderait pas un peu en ceci comme les artistes du moyen âge et de la Renaissance?

Les buveurs d'Holbein remplissent leurs coupes avec une sorte de fureur pour écarter l'idée de la mort, qui, invisible pour eux, leur sert d'échanson. Les mauvais riches d'aujourd'hui demandent des fortifications et des canons pour écarter l'idée d'une jacquerie, que l'art leur montre travaillant dans l'ombre, en détail, en attendant le moment de fondre sur l'état social. L'Eglise du moyen âge répondait aux terreurs des puissants de la terre par la vente des indulgences. Le gouvernement d'aujourd'hui calme l'inquiétude des riches en leur faisant payer beaucoup de gendarmes et de geôliers, de baïonnettes et de prisons.

Albert Dürer, Michel-Ange, Holbein, Callot, Goya, ont fait de puissantes satires des maux de leur siècle et de leur pays. Ce sont des uvres immortelles, des pages historiques d'une valeur incontestable; nous ne voulons donc pas dénier aux artistes le droit de sonder les plaies de la société et de les mettre à nu sous nos yeux; mais n'y a-t-il pas autre chose à faire maintenant que la peinture d'épouvante et de menace? Dans cette littérature de mystères d'iniquité, que le talent et l'imagination ont mise à la mode, nous aimons mieux les figures douces et suaves que les scélérats à effet dramatique. Celles-là peuvent entreprendre et amener des conversions; les autres font peur, et la peur ne guérit pas l'égoïsme, elle l'augmente.

Nous croyons que la mission de l'art est une mission de sentiment et d'amour, que le roman d'aujourd'hui devrait remplacer la parabole et l'apologue des temps naïfs, et que l'artiste a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et de conciliation pour atténuer l'effroi qu'inspirent ses peintures. Son but devrait être de faire aimer les objets de sa sollicitude, et, au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir un peu. L'art n'est pas une étude de la réalité positive; c'est une recherche de la vérité idéale, et le Vicaire de Wakefield fut un livre plus utile et plus sain à l'âme que le Paysan perverti et les Liaisons dangereuses .

Lecteurs, pardonnez-moi ces réflexions, et veuillez les accepter en manière de préface. Il n'y en aura point dans l'historiette que je vais vous raconter, et elle sera si courte et si simple que j'avais besoin de m'en excuser d'avance, en vous disant ce que je pense des histoires terribles.

C'est à propos d'un laboureur que je me suis laissé entraîner à cette digression. C'est l'histoire d'un laboureur précisément que j'avais l'intention de vous dire et que je vous dirai tout à l'heure.


chapitre 1 chapter 1 capítulo 1 kapitel 1

L’AUTEUR AU LECTEUR AUTHOR TO READER

A la sueur de ton visaige In the sweat of your visaige

Tu gagnerois ta pauvre vie, You would win your poor life,

Après long travail et usaige, After long work and wear,

Voicy la  mort qui te convie. Here is death that invites you.

Le quatrain en vieux français, placé au-dessous d’une composition d’Holbein, est d’une tristesse profonde dans sa naïveté. The quatrain in Old French, placed beneath a composition of Holbein, is of a deep sadness in its naivety. La gravure représente un laboureur conduisant sa charrue au milieu d’un champ. The engraving depicts a plowman driving his plow in the middle of a field. Une vaste campagne s’étend au loin, on y voit de pauvres cabanes; le soleil se couche derrière la colline. A vast countryside stretches in the distance, one sees there poor huts; the sun is setting behind the hill. C’est la fin d’une rude journée de travail. It's the end of a hard day's work. Le paysan est vieux, trapu, couvert de haillons. The peasant is old, stocky, ragged. L’attelage de quatre chevaux qu’il pousse en avant est maigre, exténué; le soc s’enfonce dans un fonds raboteux et rebelle. The team of four horses he pushes forward is thin, exhausted; the plow sinks into a rugged and rebellious bottom. Un seul être est allègre et ingambe dans cette scène de  sueur et usaige . One being is light and ingambe in this scene of sweat and usaige. C’est un personnage fantastique, un squelette armé d’un fouet, qui court dans le sillon à côté des chevaux effrayés et les frappe, servant de valet de charrue au vieux laboureur. He is a fantastic character, a skeleton armed with a whip, running in the furrow beside the frightened horses and hitting them, serving as a plowman to the old plowman. C’est la mort, ce spectre qu’Holbein a introduit allégoriquement dans la succession de sujets philosophiques et religieux, à la fois lugubres et bouffons, intitulée les  Simulachres de la mort . It is death, the specter that Holbein has allegorically introduced into the succession of philosophical and religious subjects, at once lugubrious and foolish, entitled Simulachres of Death.

Dans cette collection, ou plutôt dans cette vaste composition où la mort, jouant son rôle à toutes les pages, est le lien et la pensée dominante, Holbein a fait comparaître les souverains, les pontifes, les amants, les joueurs, les ivrognes, les nonnes, les courtisanes, les brigands, les pauvres, les guerriers, les moines, les juifs, les voyageurs, tout le monde de son temps et du nôtre; et partout le spectre de la mort raille, menace et triomphe. In this collection, or rather in this vast composition in which death, playing its role on every page, is the link and the dominant thought, Holbein summoned the sovereigns, the pontiffs, the lovers, the players, the drunkards, the nuns, courtesans, brigands, the poor, warriors, monks, Jews, travelers, all the people of his time and of ours; and everywhere the specter of death mocks, threatens, and triumphs. D’un seul tableau elle est absente. From a single table it is absent. C’est celui où le pauvre Lazare, couché sur un fumier à la porte du riche, déclare qu’il ne la craint pas, sans doute parce qu’il n’a rien à perdre et que sa vie est une mort anticipée. It is the one where poor Lazarus, lying on a manure at the door of the rich, declares that he does not fear it, probably because he has nothing to lose and his life is an anticipated death.

Cette pensée stoïcienne du christianisme demi-païen de la Renaissance est-elle bien consolante, et les âmes religieuses y trouvent-elles leur compte? Is this Stoic thought of the half-pagan Christianity of the Renaissance so consoling, and do religious souls find it? ¿Es muy consolador este pensamiento estoico del cristianismo semipagano del Renacimiento, y las almas religiosas encuentran en él su explicación? L’ambitieux, le fourbe, le tyran, le débauché, tous ces pécheurs superbes qui abusent de la vie, et que la mort tient par les cheveux, vont être punis, sans doute; mais l’aveugle, le mendiant, le fou, le pauvre paysan, sont-ils dédommagés de leur longue misère par la seule réflexion que la mort n’est pas un mal pour eux? The ambitious, the deceitful, the tyrant, the debauchee, all those superb sinners who abuse life, and whom death holds by the hair, will be punished, no doubt; but are the blind, the beggar, the madman, the poor peasant, compensated for their long misery by the mere reflection that death is not an evil for them? Non! No! Une tristesse implacable, une effroyable fatalité pèse sur l’uvre de l’artiste. An implacable sadness, an appalling fatality weighs on the work of the artist. Cela ressemble à une malédiction amère lancée sur le sort de l’humanité. It sounds like a bitter curse cast on the fate of mankind.

C’est bien là la satire douloureuse, la peinture vraie de la société qu’Holbein avait sous les yeux. This is indeed the painful satire, the true picture of society that Holbein had before his eyes. Crime et malheur, voilà ce qui le frappait; mais nous, artistes d’un autre siècle, que peindrons-nous? Crime and misfortune, that is what struck him; but we, artists of another century, what shall we paint? Chercherons-nous dans la pensée de la mort la rémunération de l’humanité présente? Shall we seek in the thought of death the remuneration of present humanity? l’invoquerons- nous comme le châtiment de l’injustice et le dédommagement de la souffrance? Will we invoke it as the punishment for injustice and the compensation for suffering?

Non, nous n’avons plus affaire à la mort, mais à la vie. No, we are no longer dealing with death, but with life. Nous ne croyons plus ni au néant de la tombe, ni au salut acheté par un renoncement forcé; nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. We no longer believe in the nothingness of the grave, nor in the salvation purchased by forced renunciation; we want life to be good, because we want it to be fruitful. Ya no creemos ni en la nada de la tumba, ni en la salvación comprada por la renuncia forzada; queremos que la vida sea buena, porque queremos que sea fructífera. Il faut que Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Lazarus must leave his dunghill, so that the poor will no longer rejoice over the death of the rich. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de quelques-uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu. Everyone must be happy, so that the happiness of some is not criminal and cursed by God. Il faut que le laboureur, en semant son blé, sache qu’il travaille à l’uvre de vie, et non qu’il se réjouisse de ce que la mort marche à ses côtés. The plowman, in sowing his wheat, must know that he is working at the work of life, and not that he should rejoice in the fact that death walks by his side. El labrador, al sembrar su trigo, debe saber que está trabajando en la obra de la vida, y no alegrarse de que la muerte ande a su lado. Il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité, ni la consolation de la détresse. Lastly, death must no longer be either the punishment for prosperity or the consolation of distress. Dieu ne l’a destinée ni à punir, ni à dédommager de la vie; car il a béni la vie, et la tombe ne doit pas être un refuge où il soit permis d’envoyer ceux qu’on ne veut pas rendre heureux. God intended it neither to punish nor to compensate for life; for he has blessed life, and the tomb should not be a refuge where it is permitted to send those whom one does not want to make happy.

Certains artistes de notre temps, jetant un regard sérieux sur ce qui les entoure, s’attachent à peindre la douleur, l’abjection de la misère, le fumier de Lazare. Certain artists of our time, casting a serious glance on what surrounds them, attach themselves to painting the pain, the abjection of misery, the dung of Lazarus. Ceci peut être du domaine de l’art et de la philosophie; mais en peignant la misère si laide, si avilie, parfois si vicieuse et si criminelle, leur but est-il atteint, et l’effet en est-il salutaire, comme ils le voudraient? This can be in the domain of art and philosophy; but in painting misery so ugly, so degraded, sometimes so vicious and so criminal, is their goal achieved, and is the effect salutary, as they would like? Nous n’osons pas nous prononcer là-dessus. We do not dare to comment on it. No nos atrevemos a comentar sobre esto. On peut nous dire qu’en montrant ce gouffre creusé sous le sol fragile de l’opulence, ils effraient le mauvais riche, comme, au temps de la danse macabre, on lui montrait sa fosse béante et la mort prête à l’enlacer dans ses bras immondes. We can be told that by showing this abyss dug under the fragile soil of opulence, they frighten the bad rich man, as, in the days of the dance of death, he was shown his gaping grave and death ready to embrace him in his filthy arms. Aujourd’hui on lui montre le bandit crochetant sa porte et l’assassin guettant son sommeil. Today we show him the bandit locking his door and the murderer watching his sleep. Nous confessons que nous ne comprenons pas trop comment on le réconciliera avec l’humanité qu’il méprise, comment on le rendra sensible aux douleurs du pauvre qu’il redoute, en lui montrant ce pauvre sous la fourre du forçat évadé et du rôdeur de nuit. We confess that we do not really understand how we will reconcile him with the humanity he despises, how we will make him sensitive to the pains of the poor man he dreads, by showing him this poor man under the cover of the escaped convict and the prowler of night. L’affreuse mort, grinçant des dents et jouant du violon dans les images d’Holbein et de ses devanciers, n’a pas trouvé moyen, sous cet aspect, de convertir les pervers et de consoler les victimes. The dreadful death, grinding its teeth and playing the violin in the images of Holbein and his predecessors, did not find a way, in this aspect, to convert the perverts and to console the victims. Est-ce que notre littérature ne procéderait pas un peu en ceci comme les artistes du moyen âge et de la Renaissance? Does not our literature proceed a little in this like the artists of the Middle Ages and the Renaissance?

Les buveurs d’Holbein remplissent leurs coupes avec une sorte de fureur pour écarter l’idée de la mort, qui, invisible pour eux, leur sert d’échanson. Holbein drinkers fill their cups with a sort of fury to dismiss the idea of death, which, invisible to them, serves as their cupbearer. Les mauvais riches d’aujourd’hui demandent des fortifications et des canons pour écarter l’idée d’une jacquerie, que l’art leur montre travaillant dans l’ombre, en détail, en attendant le moment de fondre sur l’état social. The poor rich of today are asking for fortifications and cannons to rule out the idea of a jacquerie, which art shows them working in the shadows, in detail, while waiting for the moment to fall on the social state. . L’Eglise du moyen âge répondait aux terreurs des puissants de la terre par la vente des indulgences. The Church of the Middle Ages responded to the terrors of the powerful of the earth by selling indulgences. Le gouvernement d’aujourd’hui calme l’inquiétude des riches en leur faisant payer beaucoup de gendarmes et de geôliers, de baïonnettes et de prisons. The government of today calms the worries of the rich by making them pay a lot of gendarmes and jailers, bayonets and prisons.

Albert Dürer, Michel-Ange, Holbein, Callot, Goya, ont fait de puissantes satires des maux de leur siècle et de leur pays. Albert Dürer, Michelangelo, Holbein, Callot, Goya, have made powerful satires of the evils of their century and of their country. Ce sont des uvres immortelles, des pages historiques d’une valeur incontestable; nous ne voulons donc pas dénier aux artistes le droit de sonder les plaies de la société et de les mettre à nu sous nos yeux; mais n’y a-t-il pas autre chose à faire maintenant que la peinture d’épouvante et de menace? They are immortal works, historical pages of indisputable value; we therefore do not want to deny artists the right to probe the wounds of society and lay them bare before our eyes; but is there not something else to do now than the painting of fear and menace? Dans cette littérature de mystères d’iniquité, que le talent et l’imagination ont mise à la mode, nous aimons mieux les figures douces et suaves que les scélérats à effet dramatique. In this literature of mysteries of iniquity, which talent and imagination have made fashionable, we prefer soft and suave figures than scoundrels with dramatic effect. Celles-là peuvent entreprendre et amener des conversions; les autres font peur, et la peur ne guérit pas l’égoïsme, elle l’augmente. These can undertake and bring about conversions; others are frightening, and fear does not cure selfishness, it increases it.

Nous croyons que la mission de l’art est une mission de sentiment et d’amour, que le roman d’aujourd’hui devrait remplacer la parabole et l’apologue des temps naïfs, et que l’artiste a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et de conciliation pour atténuer l’effroi qu’inspirent ses peintures. We believe that the mission of art is a mission of feeling and love, that today's novel should replace the parable and the apologue of naive times, and that the artist has a larger task and more poetic than that of proposing a few measures of prudence and conciliation to alleviate the fear inspired by his paintings. Son but devrait être de faire aimer les objets de sa sollicitude, et, au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir un peu. His aim should be to make people like the objects of his solicitude, and, if need be, I would not reproach him for embellishing them a little. L’art n’est pas une étude de la réalité positive; c’est une recherche de la vérité idéale, et le  Vicaire de Wakefield fut un livre plus utile et plus sain à l’âme que le  Paysan perverti et les  Liaisons dangereuses . Art is not a study of positive reality; it is an ideal search for truth, and the Vicar of Wakefield was a more useful and healthier book than The Perverted Peasant and Dangerous Liaisons.

Lecteurs, pardonnez-moi ces réflexions, et veuillez les accepter en manière de préface. Readers, forgive me for these thoughts, and please accept them as a preface. Il n’y en aura point dans l’historiette que je vais vous raconter, et elle sera si courte et si simple que j’avais besoin de m’en excuser d’avance, en vous disant ce que je pense des histoires terribles. There will not be any in the story that I am going to tell you, and it will be so short and so simple that I needed to apologize in advance, by telling you what I think of the terrible stories.

C’est à propos d’un laboureur que je me suis laissé entraîner à cette digression. It is in connection with a plowman that I let myself be drawn into this digression. C’est l’histoire d’un laboureur précisément que j’avais l’intention de vous dire et que je vous dirai tout à l’heure. It is the story of a plowman precisely that I intended to tell you and that I will tell you shortly.