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Cinq semaines en ballon de Jules Verne, CHAPITRE XV

CHAPITRE XV

Kazeh.—Le marché bruyant.—Apparition du Victoria.—Les Wanganga.—Les fils de la Lune.—Promenade du docteur.—Population.—Le tembé royal.—Les femmes du sultan.—Une ivresse royale.—Joe adoré.—Comment on danse dans la Lune.—Revirement.

Deux lunes au firmament.—Instabilité des grandeurs divine.

Kazeh, point important de l'Afrique centrale, n'est point une ville ; à vrai dire, il n'y a pas de ville à l'intérieur.

Kazeh n'est qu'un ensemble de six vastes excavations. Là sont renfermées des cases, des huttes à esclaves, avec de petites cours et de petits jardins, soigneusement cultivés ; oignons, patates, aubergines, citrouilles et champignons d'une saveur parfaite y poussent à ravir.

L'Unyamwezy est la terre de la Lune par excellence, le parc fertile et splendide de l'Afrique ; au centre se trouve le district de l'Unyanembé, une contrée délicieuse, où vivent paresseusement quelques familles d'Omani, qui sont des Arabes d'origine très pure.

Ils ont longtemps fait le commerce à l'intérieur de l'Afrique et dans l'Arabie ; ils ont trafiqué de gommes, d'ivoire, d'indienne, d'esclaves ; leurs caravanes sillonnaient ces régions équatoriales ; elles vont encore chercher à la côté les objets de luxe et de plaisir pour ces marchands enrichis, et ceux-ci, au milieu de femmes et de serviteurs, mènent dans cette contrée charmante l'existence la moins agitée et la plus horizontale, toujours étendus, riant, fumant ou dormant.

Autour de ces excavations, de nombreuses cases d'indigènes, de vastes emplacements pour les marchés, des champs de cannabis et de datura, de beaux arbres et de frais ombrages, voilà Kazeh.

Là est le rendez-vous général des caravanes : celles du Sud avec leurs esclaves et leurs chargements d'ivoire ; celles de l'Ouest, qui exportent le coton et les verroteries aux tribus des Grands Lacs.

Aussi, dans les marchés, règne-t-il une agitation perpétuelle, un brouhaha sans nom, composé du cri des porteurs métis, du son des tambours et des cornets, des hennissements des mules, du braiement des ânes, du chant des femmes, piaillement des enfants, et des coups de rotin du Jemadar [Chef de la caravane] , qui bat là mesure dans cette symphonie pastorale.

Là s'étalent sans ordre, et même avec un désordre charmant, les étoffes voyantes, les rassades, les ivoires, les dents de rhinocéros, les dents de requins, le miel, le tabac, le coton ; là se pratiquent les marchés les plus étranges, où chaque objet n'a de valeur que par les désirs qu'il excite.

Tout d'un coup, cette agitation, ce mouvement, ce bruit tomba subitement.

Le Victoria venait d'apparaître dans les airs ; il planait majestueusement et descendait peu à peu, sans s'écarter de la verticale. Hommes, femmes, enfants, esclaves, marchands, Arabes et nègres, tout disparut et se glissa dans les « tembés » et sous les huttes.

« Mon cher Samuel, dit Kennedy, si nous continuons à produire de pareils effets, nous aurons de la peine à établir des relations commerciales avec ces gens-là.

—Il y aurait cependant, dit Joe, une opération commerciale d'une grande simplicité à faire.

Ce serait de descendre tranquillement et d'emporter les marchandises les plus précieuses, sans nous préoccuper des marchands. On s'enrichirait.

—Bon !

répliqua le docteur, ces indigènes ont eu peur au premier moment. Mais ils ne tarderont pas à revenir par superstition ou par curiosité.

—Vous croyez, mon maître ?

—Nous verrons bien ; mais il sera prudent de ne point trop les approcher, le Victoria n'est pas un ballon blindé ni cuirassé ; il n'est donc à l'abri ni d'une balle, ni d'une flèche.

—Comptes-tu donc, mon cher Samuel, entrer en pourparlers avec ces Africains ?

—Si cela se peut, pourquoi pas ?

répondit le docteur ; il doit se trouver à Kazeh des marchands arabes plus instruits, moins sauvages. Je me rappelle que MM. Burton et Speke n'eurent qu'à se louer de l'hospitalité des habitants de la ville. Ainsi, nous pouvons tenter l'aventure.

Le Victoria , s'étant insensiblement rapproché de terre, accrocha l'une de ses ancres au sommet d'un arbre près de la place du marché.

Toute la population reparaissait en ce moment hors de ses trous ; les têtes sortaient avec circonspection. Plusieurs « Waganga, » reconnaissables à leurs insignes de coquillages coniques, s'avancèrent hardiment ; c'étaient les sorciers de l'endroit. Ils portaient à leur ceinture de petites gourdes noires enduites de graisse, et divers objets de magie, d'une malpropreté d'ailleurs toute doctorale.

Peu à peu, la foule se fit à leurs côtés, les femmes et les enfants les entourèrent, les tambours rivalisèrent de fracas, les mains se choquèrent et furent tendues vers le ciel.

C'est leur manière de supplier, dit le docteur Fergusson si je ne me trompe, nous allons être appelés à jouer un grand rôle.

—Eh bien !

Monsieur, jouez-le.

—Toi-même, mon brave Joe, tu vas peut-être devenir un dieu.

—Eh !

Monsieur, cela ne m'inquiète guère, et l'encens ne me déplait pas. » En ce moment, un des sorciers, un « Myanga » fit un geste, et toute cette clameur s'éteignit dans un profond silence. Il adressa quelques paroles aux voyageurs, mais dans une langue inconnue.

Le docteur Fergusson, n'ayant pas compris, lança à tout hasard quelques mots d'arabe, et il lui fut immédiatement répondu dans cette langue.

L'orateur se livra à une abondante harangue, très fleurie, très écoutée ; le docteur ne tarda pas à reconnaître que le Victoria était tout bonnement pris pour la Lune en personne, et que cette aimable déesse avait daigné s'approcher de la ville avec ses trois Fils, honneur qui ne serait jamais oublié dans cette terre aimée du Soleil.Le docteur répondit avec une grande dignité que la Lune faisait tous les mille ans sa tournée départementale, éprouvant le besoin de se montrer de plus près à ses adorateurs ; il les priait donc de ne pas se gêner et d'abuser de sa divine présence pour faire connaître leurs besoins et leurs v ux.

Le sorcier répondit à son tour que le sultan, le « Mwani, » malade depuis de 1ongues années, réclamait les secours du ciel, et il invitait les fils de la Lune à se rendre auprès de lui.

Le docteur fit part de l'invitation à ses compagnons.

« Et tu vas te rendre auprès de ce roi nègre dit le chasseur.

—Sans doute.

Ces gens-là me paraissent bien disposés ; l'atmosphère est calme ; il n'y a pas un souffle de vent ! Nous n'avons rien à craindre pour le Victoria .

—Mais que feras-tu ?

Sois tranquille, mon cher Dick ; avec un peu de médecine je m en tirerai.

» Puis, s'adressant à la foule : « La Lune, prenant en pitié le souverain cher aux enfants de l'Unyamwezy, nous a confié le soin de sa guérison.

Qu'il se prépare à nous recevoir ! » Les clameurs, les chants, les démonstrations redoublèrent, et toute cette vaste fourmilière de têtes noires se remit en mouvement. Maintenant, mes amis, dit le docteur Fergusson, il faut tout prévoir nous pouvons, à un moment donné, être forcés de repartir rapidement.

Dick restera donc dans la nacelle, et, au moyen du chalumeau, il main-tiendra une force ascensionnelle suffisante. L'ancre est solidement assujettie ; il n'y a rien à craindre. Je vais descendre à terre. Joe m'accompagnera ; seulement il restera au pied de l'échelle.

—Comment !

tu iras seul chez ce moricaud ? dit Kennedy.

—Comment ! monsieur Samuel, s'écria Joe, vous ne voulez pas que je vous suive jusqu'au bout ! —Non ; j'irai seul ; ces braves gens se figurent que leur grande déesse la Lune est venue leur rendre visite, je suis protégé par la superstition ; ainsi, n'ayez aucune crainte, et restez chacun au poste que je vous assigne.

—Puisque tu le veux, répondit le chasseur.

—Veille à la dilatation du gaz.

—C'est convenu.

» Les cris des indigènes redoublaient ; ils réclamaient énergiquement l'intervention céleste. « Voilà !

voilà ! fit Joe. Je les trouve un peu impérieux envers leur bonne Lune et ses divins Fils. » Le docteur, muni de sa pharmacie de voyage, descendit à terre, précédé de Joe. Celui-ci grave et digne comme il convenait, s'assit au pied de l'échelle, les jambes croisées sous lui à la façon arabe, et une partie de la foule l'entoura d'un cercle respectueux.

Pendant ce temps, le docteur Fergusson, conduit au son des instruments, escorté par des pyrrhiques religieuses, s'avança lentement vers le « tembé royal, » situé assez loin hors de la ville ; il était environ trois heures, et le soleil resplendissait ; il ne pouvait faire moins pour la circonstance

Le docteur marchait avec dignité ; les « Waganga » l'entouraient et contenaient la foule.

Fergusson fut bientôt rejoint par le fils naturel du sultan, jeune garçon assez bien tourné, qui, suivant la coutume du pays, était le seul héritier des biens paternels, à l'exclusion des enfants légitimes ; il se prosterna devant le Fils de la Lune ; celui-ci le releva d'un geste gracieux.

Trois quarts d'heure après, par des sentiers ombreux, au milieu de tout le luxe d'une végétation tropicale, cette procession enthousiasmée arriva au palais du sultan, sorte d'édifice carré, appelé Ititénya, et situé au versant d'une colline.

Une espèce de verandah, formée par le toit de chaume, régnait à l'extérieur, appuyée sur des poteaux de bois qui avaient la prétention d'être sculptés. De longues lignes d'argile rougeâtre ornaient les murs, cherchant à reproduire des figures d'hommes et de serpents, ceux-ci naturellement mieux réussis que ceux-là. La toiture de cette habitation ne reposait pas immédiatement sur les murailles, et l'air pouvait y circuler librement ; d'ailleurs, pas de fenêtres, et à peine une porte.

Le docteur Fergusson fut reçu avec de grands honneurs par les gardes et les favoris, des hommes de belle race, des Wanyamwezi, type pur des populations de l'Afrique centrale, forts et robustes, bien faits et bien portants.

Leurs cheveux divisés en un grand nombre de petites tresses retombaient sur leurs épaules ; au moyen d'incisions noire. ou bleues, ils zébraient leurs joues depuis les tempes jusqu'à la bouche. Leurs oreilles, affreusement distendues, supportaient des disques en bois et des plaques de gomme copal ; ils étaient vêtus de toiles brillamment peintes ; les soldats, armés de la sagaie, de l'arc, de la flèche barbelée et empoisonnée du suc de l'euphorbe, du coutelas, du « sime », long sabre à dents de scie, et de petites haches d'armes.

Le docteur pénétra dans le palais.

Là, en dépit de la maladie du sultan, le vacarme déjà terrible redoubla à son arrivée. Il remarqua au linteau de la porte des queues de lièvre, des crinières de zèbre, suspendues en manière de talisman. Il fut reçu par la troupe des femmes de Sa Majesté, aux accords harmonieux de « l'upatu », de cymbale faite avec le fond d'un pot de cuivre, et ; au fracas du « kilindo », tambour de cinq pieds de haut creusé dans un tronc d'arbre, et contre lequel deux virtuoses s'escrimaient à coups de poing.

La plupart de ces femmes paraissaient fort jolies, et fumaient en riant le tabac et le thang dans de grandes pipes noires ; elles semblaient bien faites sous leur longue robe drapée avec grâce, et portaient le « kilt » en fibres de calebasse, fixé autour de leur ceinture.

Six d'entre elles n'étaient pas les moins gaies de la bande, quoique placées à l'écart et réservées à un cruel supplice.

A la mort du sultan, elles devaient être enterrées vivantes auprès de lui, pour le distraire pendant l'éternelle solitude.

Le docteur Fergusson, après avoir embrassé tout cet ensemble d'un coup d' il, s'avança jusqu'au lit de bois du souverain.

Il vit là un homme d'une quarantaine d'années, parfaitement abruti par les orgies de toutes sortes et dont il n'y avait rien à faire. Cette maladie, qui se prolongeait depuis des années, n'était qu'une ivresse perpétuelle. Ce royal ivrogne avait à peu près perdu connaissance, et tout l'ammoniaque du monde ne l'aurait pas remis sur pied

Les favoris et les femmes, fléchissant le genou, se courbaient pendant cette visite solennelle.

Au moyen de quelques gouttes d'un violent cordial, le docteur ranima un instant ce corps abruti ; le sultan fit un mouvement, et, pour un cadavre qui ne donnait plus signe d'existence depuis quelques heures, ce symptôme fut accueilli par un redoublement de cris en l'honneur du médecin.

Celui-ci, qui en avait assez, écarta par un mouvement rapide ses adorateurs trop démonstratifs et sortit du palais.

Il se dirigea vers le Victoria . Il était six heures du soir.

Joe, pendant son absence, attendait tranquillement au bas de l'échelle ; la foule lui rendait les plus grands devoirs.

En véritable Fils de la Lune, il se laissait faire. Pour une divinité, il avait l'air d'un assez brave homme, pas fier, familier même avec les jeunes Africaines, qui ne se lassaient pas de le contempler. Il leur tenait d'ailleurs d'aimables discours.

« Adorez, Mesdemoiselles, adorez, leur disait-il ; je suis un bon diable, quoique fils de déesse !

» On lui présenta les dons propitiatoires, ordinairement déposés dans les « mzimu » ou huttes-fétiches. Cela consistait en épis d'orge et en « pombé. » Joe se crut obligé de goûter à cette espèce de bière forte ; mais son palais, quoique fait au gin et au wiskey, ne put en supporter la violence. Il fit une affreuse grimace, que l'assistance prit pour un sourire aimable.

Et puis les jeunes filles, confondant leurs voix dans une mélopée traînante, exécutèrent une danse grave autour de lui.

« Ah !

vous dansez, dit-il, eh bien ! je ne serai pas en reste avec vous, et je vais vous montrer une danse de mon pays »

Et il entama une gigue étourdissante, se contournant, se détirant, se déjetant, dansant des pieds, dansant des genoux, dansant des mains, se développant en contorsions extravagantes, en poses incroyables, en grimaces impossibles, donnant ainsi à ces populations une étrange idée de la manière dont les dieux dansent dans la Lune.

Or, tous ces Africains, imitateurs comme des singes, eurent bientôt fait de reproduire ses manières, ses gambades, ses trémoussements ; ils ne perdaient pas un geste, ils n'oubliaient pas une attitude ; ce fut alors un tohubohu, un remuement, une agitation dont il est difficile de donner une idée, même faible.

Au plus beau de la fête, Joe aperçut le docteur.

Celui-ci revenait en toute hâte, au milieu d'une foule hurlante et désordonnée.

Les sorciers et les chefs semblaient fort animés On entourait le docteur ; on le pressait, on le menaçait.

Étrange revirement !

Que s'était-il passé ? Le sultan avait-il maladroitement succombé entre les mains de son médecin céleste ?

Kennedy, de son poste, vit le danger sans en comprendre la cause.

Le ballon, fortement sollicité par la dilatation du gaz, tendait sa corde de retenue, impatient de s'élever dans les airs.

Le docteur parvint au pied de l'échelle.

Une crainte superstitieuse retenait encore la foule et l'empêchait de se porter à des violences contre sa personne ; il gravit rapidement les échelons, et Joe le suivit avec agilité.

« Pas un instant à perdre, lui dit son maître.

Ne cherche pas à décrocher l'ancre ! Nous couperons la corde ! Suis-moi !

—Mais qu'y a-t-il donc ?

demanda Joe en escaladant la nacelle.

—Qu'est-il arrivé ?

fit Kennedy, sa carabine à la main.

—Regardez, répondit le docteur en montrant l'horizon.

—Eh bien ! demanda le chasseur. —Eh bien ! la lune ! » La lune, en effet, se levait rouge et splendide, un globe de feu sur un fond d'azur. C'était bien elle ! Elle et le Victoria !

Ou il y avait deux lunes, ou les étrangers n'étaient que des imposteurs, des intrigants, des faux dieux !

Telles avaient été les réflexions naturelles de la foule.

De là le revirement.

Joe ne put retenir un immense éclat de rire.

La population de Kazeh, comprenant que sa proie lui échappait, poussa des hurlements prolongés ; des arcs, des mousquets furent dirigés vers le ballon.

Mais un des sorciers fit un signe.

Les armes s'abaissèrent ; il grimpa dans l'arbre, avec l'intention de saisir la corde de l'ancre, et d'amener la machine à terre.

Joe s'élança une hachette à la main.

« Faut-il couper ?

dit-il.

—Attends, répondit le docteur.

—Mais ce nègre !...

—Nous pourrons peut-être sauver notre ancre, et j'y tiens Il sera toujours temps de couper.

» Le sorcier, arrivé dans l'arbre, fit si bien qu'en rompant les branches il parvint à décrocher l'ancre ; celle-ci, violemment attirée par l'aérostat, attrapa le sorcier entre les jambes, et celui-ci, à cheval sur cet hippogriffe inattendu, partit pour les régions de l'air. La stupeur de la foule fut immense de voir l'un de ses Waganga s'élancer dans l'espace.

« Hurrah !

s'écria Joe pendant que le Victoria , grâce à sa puissance ascensionnelle, montait avec une grande rapidité.

—Il se tient bien, dit Kennedy ; un petit voyage ne lui fera pas de mal.

—Est-ce que nous allons lâcher ce nègre tout d'un coup ?

demanda Joe.

—Fi donc !

répliqua le docteur ! nous le replacerons tranquillement à terre, et je crois qu'après une telle aventure, son pouvoir de magicien s'accroîtra singulièrement dans l'esprit de ses contemporains.

—Ils sont capables d'en faire un dieu, » s'écria Joe.

Le Victoria était parvenu à une hauteur de mille pieds environ.

Le nègre se cramponnait à la corde avec une énergie terrible. Il se taisait, ses yeux demeuraient fixes. Sa terreur se mêlait d'étonnement. Un léger vent d'ouest poussait le ballon au-delà de la ville.

Une demi-heure plus tard, le docteur, voyant le pays désert, modéra la flamme du chalumeau, et se rapprocha de terre.

A vingt pieds du sol, le nègre prit rapidement son parti ; il s'élança, tomba sur les jambes, et se mit à fuir vers Kazeh, tandis que, subitement délesté, le Victoria remontait dans les airs


CHAPITRE XV CHAPTER XV CAPÍTULO XV

Kazeh.—Le marché bruyant.—Apparition du Victoria.—Les Wanganga.—Les fils de la Lune.—Promenade du docteur.—Population.—Le tembé royal.—Les femmes du sultan.—Une ivresse royale.—Joe adoré.—Comment on danse dans la Lune.—Revirement. Kazeh. — The noisy market. — Victoria's appearance. — The Wanganga. — The sons of the Moon. — Doctor's walk. — Population. — The royal tembe. — The wives of the sultan. — A royal intoxication. — Joe adored . — How we dance in the Moon. — Turning around.

Deux lunes au firmament.—Instabilité des grandeurs divine. Two moons in the firmament. — Instability of divine grandeur.

Kazeh, point important de l'Afrique centrale, n'est point une ville ; à vrai dire, il n'y a pas de ville à l'intérieur. Kazeh, an important point in Central Africa, is not a city; in fact, there is no city in the interior.

Kazeh n'est qu'un ensemble de six vastes excavations. Là sont renfermées des cases, des huttes à esclaves, avec de petites cours et de petits jardins, soigneusement cultivés ; oignons, patates, aubergines, citrouilles et champignons d'une saveur parfaite y poussent à ravir. There are enclosed huts, huts for slaves, with little courtyards and little gardens, carefully cultivated; perfectly flavored onions, potatoes, eggplant, pumpkins and mushrooms grow there.

L'Unyamwezy est la terre de la Lune par excellence, le parc fertile et splendide de l'Afrique ; au centre se trouve le district de l'Unyanembé, une contrée délicieuse, où vivent paresseusement quelques familles d'Omani, qui sont des Arabes d'origine très pure.

Ils ont longtemps fait le commerce à l'intérieur de l'Afrique et dans l'Arabie ; ils ont trafiqué de gommes, d'ivoire, d'indienne, d'esclaves ; leurs caravanes sillonnaient ces régions équatoriales ; elles vont encore chercher à la côté les objets de luxe et de plaisir pour ces marchands enrichis, et ceux-ci, au milieu de femmes et de serviteurs, mènent dans cette contrée charmante l'existence la moins agitée et la plus horizontale, toujours étendus, riant, fumant ou dormant. They traded for a long time inside Africa and in Arabia; they trafficked in gums, ivory, Indian, slaves; their caravans crossed these equatorial regions; they will still look for luxury and pleasure items for these enriched merchants, and these, in the midst of women and servants, lead in this charming country the least agitated and most horizontal existence, always extended , laughing, smoking or sleeping.

Autour de ces excavations, de nombreuses cases d'indigènes, de vastes emplacements pour les marchés, des champs de cannabis et de datura, de beaux arbres et de frais ombrages, voilà Kazeh. Around these excavations, many native huts, vast places for markets, fields of cannabis and datura, beautiful trees and cool shade, this is Kazeh.

Là est le rendez-vous général des caravanes : celles du Sud avec leurs esclaves et leurs chargements d'ivoire ; celles de l'Ouest, qui exportent le coton et les verroteries aux tribus des Grands Lacs. There is the general meeting of caravans: those of the South with their slaves and their loads of ivory; those of the West, which export cotton and glassworks to the tribes of the Great Lakes.

Aussi, dans les marchés, règne-t-il une agitation perpétuelle, un brouhaha sans nom, composé du cri des porteurs métis, du son des tambours et des cornets, des hennissements des mules, du braiement des ânes, du chant des femmes, piaillement des enfants, et des coups de rotin du Jemadar [Chef de la caravane] , qui bat là mesure dans cette symphonie pastorale. Also, in the markets, there reigns a perpetual agitation, a nameless hubbub, composed of the cry of the Métis carriers, the sound of the drums and the cornets, the whinnings of the mules, the braying of the donkeys, the song of the women, peeping of the children, and rattan blows from the Jemadar [Head of the caravan], which beats there in this pastoral symphony.

Là s'étalent sans ordre, et même avec un désordre charmant, les étoffes voyantes, les rassades, les ivoires, les dents de rhinocéros, les dents de requins, le miel, le tabac, le coton ; là se pratiquent les marchés les plus étranges, où chaque objet n'a de valeur que par les désirs qu'il excite. There are spread out without order, and even with a charming disorder, the showy fabrics, the rosades, the ivories, the teeth of rhinoceros, the teeth of sharks, honey, tobacco, cotton; there are practiced the strangest markets, where each object has value only by the desires which it excites.

Tout d'un coup, cette agitation, ce mouvement, ce bruit tomba subitement. Suddenly, this agitation, this movement, this noise suddenly fell.

Le  Victoria venait d'apparaître dans les airs ; il planait majestueusement et descendait peu à peu, sans s'écarter de la verticale. The Victoria had just appeared in the air; it hovered majestically and descended little by little, without deviating from the vertical. Hommes, femmes, enfants, esclaves, marchands, Arabes et nègres, tout disparut et se glissa dans les « tembés » et sous les huttes. Men, women, children, slaves, merchants, Arabs and negroes, everything disappeared and slipped into the "tembés" and under the huts.

« Mon cher Samuel, dit Kennedy, si nous continuons à produire de pareils effets, nous aurons de la peine à établir des relations commerciales avec ces gens-là. "My dear Samuel," said Kennedy, "if we continue to produce such effects, we will find it difficult to establish commercial relations with these people."

—Il y aurait cependant, dit Joe, une opération commerciale d'une grande simplicité à faire. "There would be, however," said Joe, "a very simple commercial transaction to do."

Ce serait de descendre tranquillement et d'emporter les marchandises les plus précieuses, sans nous préoccuper des marchands. It would be to go down quietly and take away the most precious goods, without worrying about the merchants. On s'enrichirait. We would get richer.

—Bon !

répliqua le docteur, ces indigènes ont eu peur au premier moment. replied the doctor, 'these natives were afraid at the first moment. Mais ils ne tarderont pas à revenir par superstition ou par curiosité. But they will not be long in coming back out of superstition or out of curiosity.

—Vous croyez, mon maître ? "Do you think so, my master?"

—Nous verrons bien ; mais il sera prudent de ne point trop les approcher, le  Victoria n'est pas un ballon blindé ni cuirassé ; il n'est donc à l'abri ni d'une balle, ni d'une flèche. -We will see ; but it will be prudent not to approach them too much, the Victoria is not an armored or armored balloon; it is therefore immune to neither a bullet nor an arrow.

—Comptes-tu donc, mon cher Samuel, entrer en pourparlers avec ces Africains ? "Do you intend, then, my dear Samuel, to enter into negotiations with these Africans?"

—Si cela se peut, pourquoi pas ? “If it is possible, why not?

répondit le docteur ; il doit se trouver à Kazeh des marchands arabes plus instruits, moins sauvages. replied the doctor; there must be more educated, less savage Arab merchants in Kazeh. Je me rappelle que MM. I remember that MM. Burton et Speke n'eurent qu'à se louer de l'hospitalité des habitants de la ville. Burton and Speke only had to praise themselves for the hospitality of the city's inhabitants. Ainsi, nous pouvons tenter l'aventure. So we can try the adventure.

Le  Victoria , s'étant insensiblement rapproché de terre, accrocha l'une de ses ancres au sommet d'un arbre près de la place du marché. The Victoria, having imperceptibly approached the ground, hung one of its anchors on the top of a tree near the market place.

Toute la population reparaissait en ce moment hors de ses trous ; les têtes sortaient avec circonspection. The whole population was reappearing at this moment out of its holes; heads came out cautiously. Plusieurs « Waganga, » reconnaissables à leurs insignes de coquillages coniques, s'avancèrent hardiment ; c'étaient les sorciers de l'endroit. Several "Waganga," recognizable by their conical shell insignia, boldly advanced; they were the local wizards. Ils portaient à leur ceinture de petites gourdes noires enduites de graisse, et divers objets de magie, d'une malpropreté d'ailleurs toute doctorale. They carried on their belts small black gourds coated with grease, and various magic objects, of a very doctoral uncleanness besides.

Peu à peu, la foule se fit à leurs côtés, les femmes et les enfants les entourèrent, les tambours rivalisèrent de fracas, les mains se choquèrent et furent tendues vers le ciel. Little by little, the crowd came to their side, the women and children surrounded them, the drums competed with a crash, the hands clashed and were stretched towards the sky.

C'est leur manière de supplier, dit le docteur Fergusson si je ne me trompe, nous allons être appelés à jouer un grand rôle. It's their way of begging, says Doctor Fergusson if I'm not mistaken, we're going to be called to play a big role.

—Eh bien !

Monsieur, jouez-le.

—Toi-même, mon brave Joe, tu vas peut-être devenir un dieu. “You yourself, my good Joe, you may become a god.

—Eh !

Monsieur, cela ne m'inquiète guère, et l'encens ne me déplait pas. Sir, that does not worry me much, and the incense does not displease me. » En ce moment, un des sorciers, un « Myanga » fit un geste, et toute cette clameur s'éteignit dans un profond silence. Il adressa quelques paroles aux voyageurs, mais dans une langue inconnue. He addressed a few words to the travellers, but in an unknown language.

Le docteur Fergusson, n'ayant pas compris, lança à tout hasard quelques mots d'arabe, et il lui fut immédiatement répondu dans cette langue. Doctor Fergusson, not having understood, threw out a few words of Arabic at random, and he was immediately answered in that language.

L'orateur se livra à une abondante harangue, très fleurie, très écoutée ; le docteur ne tarda pas à reconnaître que le  Victoria était tout bonnement pris pour la Lune en personne, et que cette aimable déesse avait daigné s'approcher de la ville avec ses trois Fils, honneur qui ne serait jamais oublié dans cette terre aimée du Soleil.Le docteur répondit avec une grande dignité que la Lune faisait tous les mille ans sa tournée départementale, éprouvant le besoin de se montrer de plus près à ses adorateurs ; il les priait donc de ne pas se gêner et d'abuser de sa divine présence pour faire connaître leurs besoins et leurs v ux. The speaker gave an abundant harangue, very flowery, very listened to; the doctor was quick to recognize that the Victoria was quite simply taken for the Moon in person, and that this amiable goddess had deigned to approach the city with her three Sons, an honor that would never be forgotten in this land loved by the Sun The doctor replied with great dignity that the Moon made its departmental tour every thousand years, feeling the need to show itself more closely to its worshipers; he therefore begged them not to be shy and to abuse his divine presence to make their needs and wishes known.

Le sorcier répondit à son tour que le sultan, le « Mwani, » malade depuis de 1ongues années, réclamait les secours du ciel, et il invitait les fils de la Lune à se rendre auprès de lui. The sorcerer in turn replied that the sultan, the "Mwani," sick for many years, was asking for help from heaven, and he invited the sons of the Moon to go to him.

Le docteur fit part de l'invitation à ses compagnons. The doctor communicated the invitation to his companions.

« Et tu vas te rendre auprès de ce roi nègre dit le chasseur. "And you're going to go to this Negro king," said the hunter.

—Sans doute.

Ces gens-là me paraissent bien disposés ; l'atmosphère est calme ; il n'y a pas un souffle de vent ! Nous n'avons rien à craindre pour le  Victoria .

—Mais que feras-tu ? "But what will you do?"

Sois tranquille, mon cher Dick ; avec un peu de médecine je m en tirerai. Rest easy, my dear Dick; with a little medicine i will get by.

» Puis, s'adressant à la foule : « La Lune, prenant en pitié le souverain cher aux enfants de l'Unyamwezy, nous a confié le soin de sa guérison. “The Moon, taking pity on the sovereign dear to the children of Unyamwezy, entrusted us with the care of his healing.

Qu'il se prépare à nous recevoir ! May he prepare to receive us! » Les clameurs, les chants, les démonstrations redoublèrent, et toute cette vaste fourmilière de têtes noires se remit en mouvement. The clamors, the songs, the demonstrations redoubled, and all this vast anthill of black heads started again in movement. Maintenant, mes amis, dit le docteur Fergusson, il faut tout prévoir nous pouvons, à un moment donné, être forcés de repartir rapidement. Now, my friends, says Doctor Fergusson, you have to plan everything, at some point we may be forced to leave quickly.

Dick restera donc dans la nacelle, et, au moyen du chalumeau, il main-tiendra une force ascensionnelle suffisante. Dick will therefore remain in the nacelle, and, by means of the torch, he will maintain a sufficient ascending force. L'ancre est solidement assujettie ; il n'y a rien à craindre. The anchor is securely secured; There's nothing to be scared of. Je vais descendre à terre. Joe m'accompagnera ; seulement il restera au pied de l'échelle. Joe will accompany me; only it will remain at the bottom of the ladder.

—Comment ! -How? 'Or' What !

tu iras seul chez ce moricaud ? will you go alone to this moricaud? dit Kennedy.

—Comment ! monsieur Samuel, s'écria Joe, vous ne voulez pas que je vous suive jusqu'au bout ! -How ! Mr. Samuel, cried Joe, you don't want me to follow you to the end! —Non ; j'irai seul ; ces braves gens se figurent que leur grande déesse la Lune est venue leur rendre visite, je suis protégé par la superstition ; ainsi, n'ayez aucune crainte, et restez chacun au poste que je vous assigne. Mister Samuel, exclaimed Joe, you don't want me to follow you to the end!

—Puisque tu le veux, répondit le chasseur.

—Veille à la dilatation du gaz. "As you wish," replied the hunter.

—C'est convenu. - Watch for gas expansion.

» Les cris des indigènes redoublaient ; ils réclamaient énergiquement l'intervention céleste. “It's agreed. « Voilà ! The cries of the natives redoubled; they strongly demanded celestial intervention.

voilà ! fit Joe. Je les trouve un peu impérieux envers leur bonne Lune et ses divins Fils. » Le docteur, muni de sa pharmacie de voyage, descendit à terre, précédé de Joe. I find them a little imperious towards their good Moon and its divine Sons. Celui-ci grave et digne comme il convenait, s'assit au pied de l'échelle, les jambes croisées sous lui à la façon arabe, et une partie de la foule l'entoura d'un cercle respectueux. The doctor, armed with his travel pharmacy, went down to the ground, preceded by Joe.

Pendant ce temps, le docteur Fergusson, conduit au son des instruments, escorté par des pyrrhiques religieuses, s'avança lentement vers le « tembé royal, » situé assez loin hors de la ville ; il était environ trois heures, et le soleil resplendissait ; il ne pouvait faire moins pour la circonstance This one serious and dignified as it should be, sat down at the foot of the ladder, his legs crossed under him in the Arabic way, and a part of the crowd surrounded him in a respectful circle.

Le docteur marchait avec dignité ; les « Waganga » l'entouraient et contenaient la foule. During this time, Doctor Fergusson, led to the sound of instruments, escorted by religious pyrrhics, advanced slowly towards the "royal tembe," situated quite far outside the city; it was about three o'clock, and the sun was shining; he couldn't do less for the occasion

Fergusson fut bientôt rejoint par le fils naturel du sultan, jeune garçon assez bien tourné, qui, suivant la coutume du pays, était le seul héritier des biens paternels, à l'exclusion des enfants légitimes ; il se prosterna devant le Fils de la Lune ; celui-ci le releva d'un geste gracieux. Fergusson was soon joined by the sultan's natural son, a rather well-turned-out young man who, according to local custom, was the sole heir to his father's estate, to the exclusion of his legitimate children; he bowed to the Son of the Moon, who lifted him up with a graceful gesture.

Trois quarts d'heure après, par des sentiers ombreux, au milieu de tout le luxe d'une végétation tropicale, cette procession enthousiasmée arriva au palais du sultan, sorte d'édifice carré, appelé Ititénya, et situé au versant d'une colline. Fergusson was soon joined by the sultan's natural son, a fairly well-turned young boy, who, according to local custom, was the sole heir to the paternal property, excluding legitimate children; he bowed down before the Son of the Moon; he raised it with a gracious gesture.

Une espèce de verandah, formée par le toit de chaume, régnait à l'extérieur, appuyée sur des poteaux de bois qui avaient la prétention d'être sculptés. Three quarters of an hour later, by shady paths, in the midst of all the luxury of tropical vegetation, this enthusiastic procession arrived at the sultan's palace, a sort of square building, called Ititénya, located on the slope of a hill . De longues lignes d'argile rougeâtre ornaient les murs, cherchant à reproduire des figures d'hommes et de serpents, ceux-ci naturellement mieux réussis que ceux-là. A sort of verandah, formed by the thatched roof, reigned outside, leaning on wooden poles that claimed to be carved. La toiture de cette habitation ne reposait pas immédiatement sur les murailles, et l'air pouvait y circuler librement ; d'ailleurs, pas de fenêtres, et à peine une porte. Long lines of reddish clay adorned the walls, seeking to reproduce figures of men and snakes, the latter naturally more successful than these.

Le docteur Fergusson fut reçu avec de grands honneurs par les gardes et les favoris, des hommes de belle race, des Wanyamwezi, type pur des populations de l'Afrique centrale, forts et robustes, bien faits et bien portants.

Leurs cheveux divisés en un grand nombre de petites tresses retombaient sur leurs épaules ; au moyen d'incisions noire. Doctor Fergusson was received with great honors by the guards and the favorites, men of good race, Wanyamwezi, pure type of the populations of Central Africa, strong and robust, well made and healthy. ou bleues, ils zébraient leurs joues depuis les tempes jusqu'à la bouche. Their hair, divided into a large number of small braids, fell on their shoulders; through black incisions. Leurs oreilles, affreusement distendues, supportaient des disques en bois et des plaques de gomme copal ; ils étaient vêtus de toiles brillamment peintes ; les soldats, armés de la sagaie, de l'arc, de la flèche barbelée et empoisonnée du suc de l'euphorbe, du coutelas, du « sime », long sabre à dents de scie, et de petites haches d'armes. or blue, they striped their cheeks from the temples to the mouth.

Le docteur pénétra dans le palais. Their ears, terribly distended, supported wooden discs and plates of copal gum; they were dressed in brilliantly painted canvases; the soldiers, armed with the spear, the bow, the barbed arrow and poisoned with the juice of the spurge, the cutlass, the "sime", long saber with teeth of saw, and small axes of weapons.

Là, en dépit de la maladie du sultan, le vacarme déjà terrible redoubla à son arrivée. Il remarqua au linteau de la porte des queues de lièvre, des crinières de zèbre, suspendues en manière de talisman. There, in spite of the Sultan's illness, the already terrible uproar redoubled on his arrival. Il fut reçu par la troupe des femmes de Sa Majesté, aux accords harmonieux de « l'upatu », de cymbale faite avec le fond d'un pot de cuivre, et ; au fracas du « kilindo », tambour de cinq pieds de haut creusé dans un tronc d'arbre, et contre lequel deux virtuoses s'escrimaient à coups de poing. He noticed hare tails and zebra manes hanging from the lintel of the door, suspended like a talisman.

La plupart de ces femmes paraissaient fort jolies, et fumaient en riant le tabac et le thang dans de grandes pipes noires ; elles semblaient bien faites sous leur longue robe drapée avec grâce, et portaient le « kilt » en fibres de calebasse, fixé autour de leur ceinture. He was received by the troop of women of His Majesty, with harmonious agreements of "upatu", a cymbal made with the bottom of a copper pot, and; the roar of the "kilindo", a five-foot-high drum dug into a tree trunk, and against which two virtuosos fisted with fists.

Six d'entre elles n'étaient pas les moins gaies de la bande, quoique placées à l'écart et réservées à un cruel supplice. Most of these women looked very pretty, and smoked laughing tobacco and thang in large black pipes; they seemed well made under their long dress draped gracefully, and wore the "kilt" in calabash fibers, fastened around their belt.

A la mort du sultan, elles devaient être enterrées vivantes auprès de lui, pour le distraire pendant l'éternelle solitude. Six of them were not the least gay of the gang, although placed aside and reserved for a cruel torture.

Le docteur Fergusson, après avoir embrassé tout cet ensemble d'un coup d' il, s'avança jusqu'au lit de bois du souverain. When the Sultan died, they were to be buried alive with him, to distract him during eternal solitude.

Il vit là un homme d'une quarantaine d'années, parfaitement abruti par les orgies de toutes sortes et dont il n'y avait rien à faire. Doctor Fergusson, after having embraced the whole of this at a glance, advanced to the wooden bed of the sovereign. Cette maladie, qui se prolongeait depuis des années, n'était qu'une ivresse perpétuelle. There he saw a man in his forties, perfectly stupefied by orgies of all kinds and of which there was nothing to do. Ce royal ivrogne avait à peu près perdu connaissance, et tout l'ammoniaque du monde ne l'aurait pas remis sur pied This disease, which had been going on for years, was nothing but perpetual drunkenness.

Les favoris et les femmes, fléchissant le genou, se courbaient pendant cette visite solennelle. This drunk royal had almost passed out, and all the ammonia in the world would not have put him back on his feet

Au moyen de quelques gouttes d'un violent cordial, le docteur ranima un instant ce corps abruti ; le sultan fit un mouvement, et, pour un cadavre qui ne donnait plus signe d'existence depuis quelques heures, ce symptôme fut accueilli par un redoublement de cris en l'honneur du médecin. The favorites and the women, bending the knee, bent during this solemn visit.

Celui-ci, qui en avait assez, écarta par un mouvement rapide ses adorateurs trop démonstratifs et sortit du palais. By means of a few drops of violent cordial, the doctor revived for a moment this stupid body; the sultan made a movement, and, for a corpse which had not given any sign of existence for a few hours, this symptom was greeted by a redoubled of cries in honor of the doctor.

Il se dirigea vers le  Victoria . The latter, who had had enough, quickly moved his overly demonstrative worshipers aside and left the palace. Il était six heures du soir. He headed for Victoria.

Joe, pendant son absence, attendait tranquillement au bas de l'échelle ; la foule lui rendait les plus grands devoirs. It was six o'clock in the evening.

En véritable Fils de la Lune, il se laissait faire. Joe, while he was away, waited quietly at the bottom of the ladder; the crowd gave him back the greatest duties. Pour une divinité, il avait l'air d'un assez brave homme, pas fier, familier même avec les jeunes Africaines, qui ne se lassaient pas de le contempler. Like a true Son of the Moon, he allowed himself to be done. Il leur tenait d'ailleurs d'aimables discours. For a divinity, he looked like a pretty good man, not proud, familiar even with young African women, who never tired of looking at him.

« Adorez, Mesdemoiselles, adorez, leur disait-il ; je suis un bon diable, quoique fils de déesse ! He also gave them kind speeches.

» On lui présenta les dons propitiatoires, ordinairement déposés dans les « mzimu » ou huttes-fétiches. "Adore, ladies, adore," he said to them; I am a good devil, although the son of a goddess! Cela consistait en épis d'orge et en « pombé. He was presented with the propitiatory gifts, ordinarily deposited in the "mzimu" or fetish huts. » Joe se crut obligé de goûter à cette espèce de bière forte ; mais son palais, quoique fait au gin et au wiskey, ne put en supporter la violence. It consisted of barley ears and a "pombe". Il fit une affreuse grimace, que l'assistance prit pour un sourire aimable. Joe thought he had to taste this kind of strong beer; but his palace, although made with gin and wiskey, could not bear the violence.

Et puis les jeunes filles, confondant leurs voix dans une mélopée traînante, exécutèrent une danse grave autour de lui. He made a frightful grin, which the audience took for a kind smile.

« Ah ! And then the young girls, confusing their voices in a trailing chant, performed a serious dance around him.

vous dansez, dit-il, eh bien ! je ne serai pas en reste avec vous, et je vais vous montrer une danse de mon pays » you dance, he said, well!

Et il entama une gigue étourdissante, se contournant, se détirant, se déjetant, dansant des pieds, dansant des genoux, dansant des mains, se développant en contorsions extravagantes, en poses incroyables, en grimaces impossibles, donnant ainsi à ces populations une étrange idée de la manière dont les dieux dansent dans la Lune. I will not be outdone with you, and I will show you a dance from my country ”

Or, tous ces Africains, imitateurs comme des singes, eurent bientôt fait de reproduire ses manières, ses gambades, ses trémoussements ; ils ne perdaient pas un geste, ils n'oubliaient pas une attitude ; ce fut alors un tohubohu, un remuement, une agitation dont il est difficile de donner une idée, même faible. And he started a dizzying jig, going around, stretching, throwing himself away, dancing feet, dancing knees, dancing hands, developing in extravagant contortions, incredible poses, impossible grimaces, thus giving these populations a strange idea the way the gods dance in the moon.

Au plus beau de la fête, Joe aperçut le docteur. Now, all these Africans, imitators like monkeys, had soon reproduced his manners, his gambols, his tremors; they did not lose a gesture, they did not forget an attitude; it was then a tohubohu, a stir, an agitation of which it is difficult to give an idea, even a weak one.

Celui-ci revenait en toute hâte, au milieu d'une foule hurlante et désordonnée. At the height of the party, Joe caught sight of the doctor.

Les sorciers et les chefs semblaient fort animés On entourait le docteur ; on le pressait, on le menaçait. The latter returned hastily, in the midst of a screaming and disorderly crowd.

Étrange revirement ! The sorcerers and the chiefs seemed very animated. They surrounded the doctor; they pressed him, they threatened him.

Que s'était-il passé ? Strange turnaround! Le sultan avait-il maladroitement succombé entre les mains de son médecin céleste ? What had happened?

Kennedy, de son poste, vit le danger sans en comprendre la cause. Had the Sultan awkwardly succumbed to the hands of his heavenly doctor?

Le ballon, fortement sollicité par la dilatation du gaz, tendait sa corde de retenue, impatient de s'élever dans les airs. Kennedy, from his post, saw the danger without understanding the cause.

Le docteur parvint au pied de l'échelle. The balloon, strongly stressed by the expansion of the gas, stretched its retaining rope, impatient to rise in the air.

Une crainte superstitieuse retenait encore la foule et l'empêchait de se porter à des violences contre sa personne ; il gravit rapidement les échelons, et Joe le suivit avec agilité. The doctor reached the bottom of the ladder.

« Pas un instant à perdre, lui dit son maître. “Not a moment to lose,” his master told him.

Ne cherche pas à décrocher l'ancre ! Don't try to unhook the anchor! Nous couperons la corde ! Don't try to drop anchor! Suis-moi ! We will cut the rope!

—Mais qu'y a-t-il donc ? Follow me !

demanda Joe en escaladant la nacelle. "But what is it then?"

—Qu'est-il arrivé ? asked Joe, climbing up the basket.

fit Kennedy, sa carabine à la main.

—Regardez, répondit le docteur en montrant l'horizon.

—Eh bien ! demanda le chasseur. —Eh bien ! la lune ! -Well, the moon! » La lune, en effet, se levait rouge et splendide, un globe de feu sur un fond d'azur. C'était bien elle ! Elle et le  Victoria !

Ou il y avait deux lunes, ou les étrangers n'étaient que des imposteurs, des intrigants, des faux dieux ! The moon, in fact, rose red and splendid, a globe of fire on a background of azure.

Telles avaient été les réflexions naturelles de la foule. It was her!

De là le revirement. She and the Victoria!

Joe ne put retenir un immense éclat de rire.

La population de Kazeh, comprenant que sa proie lui échappait, poussa des hurlements prolongés ; des arcs, des mousquets furent dirigés vers le ballon.

Mais un des sorciers fit un signe. Hence the turnaround.

Les armes s'abaissèrent ; il grimpa dans l'arbre, avec l'intention de saisir la corde de l'ancre, et d'amener la machine à terre. The arms lowered; he climbed the tree, intending to grab the anchor rope, and bring the machine down.

Joe s'élança une hachette à la main. Joe rushed forward, hatchet in hand.

« Faut-il couper ? “Should we cut?

dit-il.

—Attends, répondit le docteur.

—Mais ce nègre !... "Should we cut?

—Nous pourrons peut-être sauver notre ancre, et j'y tiens Il sera toujours temps de couper. —We may be able to save our anchor, and I'm keen on it. There will always be time to cut.

» Le sorcier, arrivé dans l'arbre, fit si bien qu'en rompant les branches il parvint à décrocher l'ancre ; celle-ci, violemment attirée par l'aérostat, attrapa le sorcier entre les jambes, et celui-ci, à cheval sur cet hippogriffe inattendu, partit pour les régions de l'air. The sorcerer, having arrived in the tree, did so well that by breaking the branches he succeeded in unhooking the anchor; the latter, violently attracted by the aerostat, caught the sorcerer between the legs, and the latter, astride this unexpected hippogriff, left for the regions of the air. La stupeur de la foule fut immense de voir l'un de ses Waganga s'élancer dans l'espace.

« Hurrah ! “Maybe we can save our anchor, and I want to. There will always be time to cut.

s'écria Joe pendant que le  Victoria , grâce à sa puissance ascensionnelle, montait avec une grande rapidité. The sorcerer, arrived in the tree, did so well that by breaking the branches he managed to unhook the anchor; this one, violently attracted by the aerostat, grabbed the sorcerer between the legs, and this one, straddling this unexpected hippogriff, left for the regions of the air.

—Il se tient bien, dit Kennedy ; un petit voyage ne lui fera pas de mal. The crowd was amazed to see one of his Waganga jump into space.

—Est-ce que nous allons lâcher ce nègre tout d'un coup ? "Are we going to drop that nigger all of a sudden?"

demanda Joe. cried Joe, as the Victoria, thanks to its ascending power, ascended with great rapidity.

—Fi donc ! "He's doing well," said Kennedy; a little trip won't hurt him.

répliqua le docteur ! "Are we going to let go of this Negro suddenly?" nous le replacerons tranquillement à terre, et je crois qu'après une telle aventure, son pouvoir de magicien s'accroîtra singulièrement dans l'esprit de ses contemporains. we will calmly put him back on the ground, and I believe that after such an adventure, his power as a magician will increase singularly in the minds of his contemporaries.

—Ils sont capables d'en faire un dieu, » s'écria Joe. “Fi!

Le  Victoria était parvenu à une hauteur de mille pieds environ. replied the doctor!

Le nègre se cramponnait à la corde avec une énergie terrible. we will quietly put him back on the ground, and I believe that after such an adventure, his power as a magician will increase singularly in the minds of his contemporaries. Il se taisait, ses yeux demeuraient fixes. He was silent, his eyes remained fixed. Sa terreur se mêlait d'étonnement. His terror was mingled with astonishment. Un léger vent d'ouest poussait le ballon au-delà de la ville. The negro clung to the rope with terrible energy.

Une demi-heure plus tard, le docteur, voyant le pays désert, modéra la flamme du chalumeau, et se rapprocha de terre. He was silent, his eyes remained fixed.

A vingt pieds du sol, le nègre prit rapidement son parti ; il s'élança, tomba sur les jambes, et se mit à fuir vers Kazeh, tandis que, subitement délesté, le  Victoria remontait dans les airs His terror was mixed with astonishment.