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Cinq semaines en ballon de Jules Verne, CHAPITRE XIII

CHAPITRE XIII

Changement de temps,—Fièvre de Kennedy. — La médecine du docteur—Voyage par terre.—Le bassin d'Imengé. — Le mont Rubeho.—A six mille pieds.—Joe. Une halte de jour.

La nuit fut paisible ; cependant le samedi matin, en se réveillant, Kennedy se plaignit de lassitude et de frissons de fièvre. Le temps changeait ; le ciel couvert de nuages épais semblait s'approvisionner pour un nouveau déluge. Un triste pays que ce Zungomero, où il pleut continuellement, sauf peut-être pendant une quinzaine de jours du mois de janvier.

Une pluie violente ne tarda pas à assaillir les voyageurs ; au-dessous d'eux, les chemins coupés par des « nullabs », sortes de torrents momentanés, devenaient impraticables, embarrassés d'ailleurs de buissons épineux et de lianes gigantesques. On saisissait distinctement ces émanations d'hydrogène sulfuré dont parle le capitaine Burton. « D'après lui, dit le docteur, et il a raison, c'est à croire qu'un cadavre est caché derrière chaque hallier. —Un vilain pays dit Joe, et il me semble que monsieur Kennedy ne se porte pas bien pour y avoir passé la nuit.

—En effet, j'ai une fièvre assez forte, fit le chasseur. —Cela n'a rien d'étonnant, mon cher Dick, nous nous trouvons dans l'une des régions les plus insalubres de l'Afrique. Mais nous n y resterons pas longtemps. En route. Grâce à une man uvre adroite de Joe, l'ancre fut décrochée, et, au moyen de l'échelle, Joe regagna la nacelle. Le docteur dilata vivement le gaz, et le Victoria reprit son vol, poussé par un vent assez fort.

Quelques huttes apparaissaient à peine au milieu de ce brouillard pestilentiel. Le pays changeait d'aspect. Il arrive fréquemment en Afrique qu'une région malsaine et de peu d'étendue confine à des contrées parfaitement salubres. Kennedy soufrait visiblement, et la fièvre accablait sa nature vigoureuse.

« Ce n'est pourtant pas le cas d'être malade, fit-il en s'enveloppant de sa couverture et se couchant sous la tente. —Un peu de patience, mon cher Dick, répondit le docteur Fergusson, et tu seras guéri rapidement.

—Guéri ! ma foi ! Samuel, si tu as dans ta pharmacie de voyage quelque drogue qui me remette sur pied, administre-la-moi sans retard Je l'avalerai les yeux fermés. —J'ai mieux que cela, ami Dick, et je vais naturellement te donner un fébrifuge qui ne coûtera rien. —Et comment feras-tu ?

—C'est fort simple. Je vais tout bonnement monter au-dessus de ces nuages qui nous inondent, et m'éloigner de cette atmosphère pestilentielle. Je te demande dix minutes pour dilater l'hydrogène. « Les dix minutes n'étaient pas écoulés que les voyageurs avaient dépassé la zone humide. « Attends un peu, Dick, et tu vas sentir l'influence de l'air pur et du soleil. —En voilà un remède ! dit Joe. Mais c'est merveilleux —Non ! c'est tout naturel. —Oh ! pour naturel, je n'en doute pas. —J'envoie Dick en bon air, comme cela se fait tous les jours en Europe, et comme à la Martinique je l'enverrais aux Pitons [Montagne élevée de la Martinique] pour fuir la fièvre jaune. —Ah ça ! mais c'est un paradis que ce ballon, dit Kennedy déjà plus à l'aise —En tout cas, il y mène, répondit sérieusement Joe. C'était un curieux spectacle que celui des masses de nuages agglomérées en ce moment au-dessous de la nacelle ; elles roulaient les unes sur les autres, et se confondaient dans un éclat magnifique en réfléchissant les rayons du soleil. Le Victoria atteignit une hauteur de quatre mille pieds. Le thermomètre indiquait un certain abaissement dans la température ; On ne voyait plus la terre. A une cinquantaine de milles dans l'ouest, le mont Rubeho dressait sa tête étincelante ; il formait la limite du pays d'Ugogo par 36° 20' de longitude. Le vent soufflait avec une vitesse de vingt milles à l'heure, mais les voyageurs ne sentaient rien de cette rapidité ; ils n'éprouvaient aucune secousse, n'ayant pas même le sentiment de la locomotion. —Trois heures plus tard, la prédiction du docteur se réalisait. Kennedy ne sentait plus aucun frisson de fièvre, et déjeuna avec appétit.

« Voilà qui enfonce le sulfate de quinine, dit-il avec satisfaction.

—Précisément, fit Joe, c'est ici que je me retirerai pendant mes vieux jours. Vers dix heures l'atmosphère s'éclaircit. Il se fit une trouée dans les nuages, la terre reparut ; le Victoria s'en approchait insensiblement. Le docteur Fergusson cherchait un courant qui le portât plus au nord est, et il le rencontra à six cents pieds du sol. Le pays devenait accidenté, montueux même. Le district du Zungomero s'effaçait dans l'est avec les derniers cocotiers de cette latitude. Bientôt les crêtes d'une montagne prirent une taille plus arrêtée. Quelques pics s'élevaient ça et là. Il fallut veiller à chaque instant aux cônes aigus qui semb1aient surgir inopinément.

« Nous sommes au milieu des brisants, dit Kennedy.

—Sois tranquille, Dick, nous ne toucherons pas.

—Jolie manière de voyager, tout de même ! » répliqua Joe.

En effet, le docteur man uvrait son ballon avec une merveilleuse dextérité.

« S'il nous fallait marcher sur ce terrain détrempé, dit-il nous nous traînerions dans une boue malsaine. Depuis notre départ de Zanzibar, la moitié de nos bêtes de somme seraient déjà mortes de fatigue. Nous aurions l'air de spectres, et le désespoir nous prendrait au coeur. Nous serions en lutte incessante avec nos guides, nos porteurs, exposés à leur brutalité sans frein. Le jour, une chaleur humide, insupportable, acca-blante ! La nuit, un froid souvent intolérable, et les piqûres de certaines mouches, dont les mandibules percent la toile la plus épaisse, et qui rendent fou ! Et tout cela sans parler des bêtes et des peuplades féroces !

—Je demande à ne pas en essayer, répliqua simplement Joe.

—Je n'exagère rien, reprit le docteur Fergusson, car, au récit des voyageurs qui ont eu l'audace de s'aventurer dans ces contrées, les larmes vous viendraient aux yeux. Vers onze heures, on dépassait le bassin d'Imengé ; les tribus éparses sur ces collines menaçaient vainement le Victoria de leurs armes ; il arrivait enfin aux dernières ondulations de terrain qui précèdent le Rubeho ; elles forment la troisième chaîne et la plus élevée des montagnes de l'Usagara. Les voyageurs se rendaient parfaitement compte de la conformation orographique du pays. Ces trois ramifications, dont le Duthumi forme le premier échelon, sont séparées par de vastes plaines longitudinales ; ces croupes élevées se composent de cônes arrondis, entre lesquels le sol est parsemé de blocs erratiques et de galets. La déclivité la plus roide de ces montagnes fait face à la côte de Zanzibar ; les pentes occidentales ne sont guère que des plateaux inclinés. Les dépressions de terrain sont couvertes d'une terre noire et fertile, où la végétation est vigoureuse. Divers cours d'eau s'infiltrent vers l'est, et vont affluer dans le Kingani, au milieu de bouquets gigantesques de sycomores, de tamarins, de calebassiers et de palmyras « Attention! dit le docteur Fergusson. Nous approchons du Rubeho, dont le nom signifie dans la langue du pays : « Passage des vents. » Nous ferons bien d'en doubler les arêtes aiguës à une certaine hauteur. Si ma carte est exacte, nous allons nous porter à une élévation de plus de cinq mille pieds.

—Est-ce que nous aurons souvent l'occasion d'atteindre ces zones supérieures ? —Rarement ; l'altitude des montagnes de l'Afrique parait être médiocre relativement aux sommets de l'Europe et de l'Asie. Mais, en tout cas, notre Victoria ne serait pas embarrassé de les franchir. En peu de temps, le gaz se dilata sous l'action de la chaleur, et le ballon prit une marche ascensionnelle très marquée. La dilatation de l'hydrogène n'offrait rien de dangereux d'ailleurs, et la vaste capacité de l'aérostat n'était remplie qu'aux trois quarts ; le baromètre, par une dépression de près de huit pouces, indiqua une élévation de six mille pieds. « Irions-nous longtemps ainsi ? demanda Joe

—L'atmosphère terrestre a une hauteur de six mille toises, répondit le docteur. Avec un vaste ballon, on irait loin. C'est ce qu'ont fait MM. Brioschi et Gay-Lussac ; mais alors le sang leur sortait par la bouche et par les oreilles. L'air respirable manquait. Il y a quelques années, deux hardis Français, MM. Barral et Bixio, s'aventurèrent aussi dans les hautes régions ; mais leur ballon se déchira... —Et ils tombèrent ! demanda vivement Kennedy.

—Sans doute ! mais comme doivent tomber des savants, sans se faire aucun mal.

—Eh bien ! Messieurs, dit Joe, libre à vous de recommencer leur chute ; mais pour moi, qui ne suis qu'un ignorant, je préfère rester dans un milieu honnête, ni trop haut, ni trop bas. Il ne faut point être ambitieux.

A six mille pieds, la densité de l'air a déjà diminué sensiblement ; le son s'y transporte avec difficulté, et la voix se fait moins bien entendre. La vue des objets devient confuse. Le regard ne perçoit plus que de grandes masses assez indéterminées ; les hommes, les animaux, deviennent absolument invisibles : les routes sont des lacets, et les lacs, des étangs.

Le docteur et ses compagnons se sentaient dans un état anormal ; un courant atmosphérique d'une extrême vélocité les entraînait au-delà des montagnes arides, sur le sommet desquelles de vastes plaques de neige étonnaient le regard ; leur aspect convulsionné démontrait quelque travail neptunien des premiers jours du monde. Le soleil brillait au zénith, et ses rayons tombaient d'aplomb sur ces cimes désertes. Le docteur prit un dessin exact de ces montagnes, qui sont faites de quatre croupes distinctes, presque en ligne droite, et dont la plus septentrionale est la plus allongée.

Bientôt le Victoria descendit le versant opposé du Rubeho, en longeant une côte boisée et parsemée d'arbres d'un vert très sombre ; puis vinrent des crêtes et des ravins, dans une sorte de désert qui précédait le pays d'Ugogo ; plus bas s'étalaient des plaines jaunes, torréfiées, craquelées, jonchées ça et là de plantes salines et de buissons épineux. Quelques taillis, plus loin devenus forêts, embellirent l'horizon. Le docteur s'approcha du sol, les ancres furent lancées, et l'une d'elles s'accrocha bientôt dans les branches d'un vaste sycomore. Joe, se glissant rapidement dans l'arbre ; assujettit l'ancre avec précaution ; le docteur laissa son chalumeau en activité pour conserver à l'aérostat une certaine force ascensionnelle qui le maintint en l'air. Le vent s'était presque subitement calmé. Maintenant, dit Fergusson, prends deux fusils, ami Dick, l'un pour toi, l'autre pour Joe, et tâchez, à vous deux, de rapporter quelques belles tranches d'antilope. Ce sera pour notre dîner.

—En chasse ! » s'écria Kennedy. Il escalada la nacelle et descendit. Joe s'était laissé dégringoler de branche en branche et l'attendait en se détirant les membres. Le docteur, allégé du poids de ses deux compagnons, put éteindre entièrement son chalumeau.

N'allez pas vous envoler, mon maître, s'écria Joe —Sois tranquille, mon garçon, je suis solidement retenu. Je vais mettre mes notes en ordre. Bonne chasse et soyez prudents. D'ailleurs, de mon poste, j'observerai le pays, et, à la moindre chose suspecte, je tire un coup de carabine. Ce sera le signal de ralliement.

—Convenu, » répondit le chasseur.


CHAPITRE XIII CHAPTER XIII CAPÍTULO XIII

Changement de temps,—Fièvre de Kennedy. Time change, —Kennedy fever. — La médecine du docteur—Voyage par terre.—Le bassin d'Imengé. - Doctor's medicine — Travel by land. — The Imengé basin. — Le mont Rubeho.—A six mille pieds.—Joe. Une halte de jour. A day stopover.

La nuit fut paisible ; cependant le samedi matin, en se réveillant, Kennedy se plaignit de lassitude et de frissons de fièvre. The night was peaceful; however on Saturday morning, waking up, Kennedy complained of weariness and chills of fever. Le temps changeait ; le ciel couvert de nuages épais semblait s'approvisionner pour un nouveau déluge. The weather was changing; the sky covered with thick clouds seemed to be gathering for a new deluge. Un triste pays que ce Zungomero, où il pleut continuellement, sauf peut-être pendant une quinzaine de jours du mois de janvier.

Une pluie violente ne tarda pas à assaillir les voyageurs ; au-dessous d'eux, les chemins coupés par des « nullabs », sortes de torrents momentanés, devenaient impraticables, embarrassés d'ailleurs de buissons épineux et de lianes gigantesques. Heavy rain soon assaulted the travelers; below them, the paths cut by "nullabs", sort of momentary torrents, became impassable, besides embarrassed with thorn bushes and gigantic vines. On saisissait distinctement ces émanations d'hydrogène sulfuré dont parle le capitaine Burton. These fumes of hydrogen sulphide, of which Captain Burton speaks, were distinctly grasped. « D'après lui, dit le docteur, et il a raison, c'est à croire qu'un cadavre est caché derrière chaque hallier. "According to him," said the doctor, "and he's right, it's as if a corpse is hidden behind each hallier." —Un vilain pays dit Joe, et il me semble que monsieur Kennedy ne se porte pas bien pour y avoir passé la nuit. "An ugly country," said Joe, "and it seems to me that Mr. Kennedy is not well for having spent the night there."

—En effet, j'ai une fièvre assez forte, fit le chasseur. "Indeed, I have a fairly high fever," said the hunter. —Cela n'a rien d'étonnant, mon cher Dick, nous nous trouvons dans l'une des régions les plus insalubres de l'Afrique. “No wonder, my dear Dick, we are in one of the most unhealthy regions of Africa. Mais nous n y resterons pas longtemps. But we will not stay there long. En route. On the way. Grâce à une man uvre adroite de Joe, l'ancre fut décrochée, et, au moyen de l'échelle, Joe regagna la nacelle. Thanks to a skilful maneuver from Joe, the anchor was unhooked, and, by means of the ladder, Joe regained the nacelle. Le docteur dilata vivement le gaz, et le  Victoria reprit son vol, poussé par un vent assez fort. The doctor quickly expanded the gas, and the Victoria resumed its flight, pushed by a fairly strong wind.

Quelques huttes apparaissaient à peine au milieu de ce brouillard pestilentiel. A few huts barely appeared in the midst of this pestilential fog. Le pays changeait d'aspect. Il arrive fréquemment en Afrique qu'une région malsaine et de peu d'étendue confine à des contrées parfaitement salubres. It frequently happens in Africa that an unhealthy and small region borders on perfectly healthy countries. Kennedy soufrait visiblement, et la fièvre accablait sa nature vigoureuse.

« Ce n'est pourtant pas le cas d'être malade, fit-il en s'enveloppant de sa couverture et se couchant sous la tente. "However, this is not the case with being sick," he said, wrapping himself in his blanket and lying in the tent. —Un peu de patience, mon cher Dick, répondit le docteur Fergusson, et tu seras guéri rapidement.

—Guéri ! ma foi ! my goodness! Samuel, si tu as dans ta pharmacie de voyage quelque drogue qui me remette sur pied, administre-la-moi sans retard Je l'avalerai les yeux fermés. Samuel, if you have any drug in your travel pharmacy that gets me back on track, administer it to me without delay. I will swallow it with my eyes closed. —J'ai mieux que cela, ami Dick, et je vais naturellement te donner un fébrifuge qui ne coûtera rien. "I have better than that, friend Dick, and I will naturally give you a febrifuge that will cost nothing. —Et comment feras-tu ? "And how will you do it?"

—C'est fort simple. Je vais tout bonnement monter au-dessus de ces nuages qui nous inondent, et m'éloigner de cette atmosphère pestilentielle. I will simply rise above these clouds which flood us, and move away from this pestilential atmosphere. Je te demande dix minutes pour dilater l'hydrogène. « Les dix minutes n'étaient pas écoulés que les voyageurs avaient dépassé la zone humide. “The ten minutes had not passed since the travelers had passed the wetland. « Attends un peu, Dick, et tu vas sentir l'influence de l'air pur et du soleil. —En voilà un remède ! "Here's a remedy!" dit Joe. Mais c'est merveilleux —Non ! c'est tout naturel. —Oh ! pour naturel, je n'en doute pas. —J'envoie Dick en bon air, comme cela se fait tous les jours en Europe, et comme à la Martinique je l'enverrais aux Pitons [Montagne élevée de la Martinique] pour fuir la fièvre jaune. - I send Dick in good air, as it is done every day in Europe, and as in Martinique I would send him to the Pitons [High Mountain of Martinique] to flee the yellow fever. —Ah ça ! mais c'est un paradis que ce ballon, dit Kennedy déjà plus à l'aise but it's a paradise that this balloon says Kennedy already more comfortable —En tout cas, il y mène, répondit sérieusement Joe. "In any case, he leads there," replied Joe seriously. C'était un curieux spectacle que celui des masses de nuages agglomérées en ce moment au-dessous de la nacelle ; elles roulaient les unes sur les autres, et se confondaient dans un éclat magnifique en réfléchissant les rayons du soleil. Le  Victoria atteignit une hauteur de quatre mille pieds. Le thermomètre indiquait un certain abaissement dans la température ; On ne voyait plus la terre. A une cinquantaine de milles dans l'ouest, le mont Rubeho dressait sa tête étincelante ; il formait la limite du pays d'Ugogo par 36° 20' de longitude. Le vent soufflait avec une vitesse de vingt milles à l'heure, mais les voyageurs ne sentaient rien de cette rapidité ; ils n'éprouvaient aucune secousse, n'ayant pas même le sentiment de la locomotion. —Trois heures plus tard, la prédiction du docteur se réalisait. Kennedy ne sentait plus aucun frisson de fièvre, et déjeuna avec appétit.

« Voilà qui enfonce le sulfate de quinine, dit-il avec satisfaction. "This sinks the quinine sulfate," he said with satisfaction.

—Précisément, fit Joe, c'est ici que je me retirerai pendant mes vieux jours. “Precisely,” said Joe, “this is where I will retire during my old age. Vers dix heures l'atmosphère s'éclaircit. Il se fit une trouée dans les nuages, la terre reparut ; le  Victoria s'en approchait insensiblement. A hole was made in the clouds, the earth reappeared; the Victoria approached imperceptibly. Le docteur Fergusson cherchait un courant qui le portât plus au nord est, et il le rencontra à six cents pieds du sol. Doctor Fergusson was looking for a current which carried it further north-east, and he encountered it six hundred feet from the ground. Le pays devenait accidenté, montueux même. The country was becoming rugged, even mountainous. Le district du Zungomero s'effaçait dans l'est avec les derniers cocotiers de cette latitude. The Zungomero district faded in the east with the last coconut palms of this latitude. Bientôt les crêtes d'une montagne prirent une taille plus arrêtée. Soon the crests of a mountain took on a more fixed size. Quelques pics s'élevaient ça et là. A few peaks rose here and there. Il fallut veiller à chaque instant aux cônes aigus qui semb1aient surgir inopinément. It was necessary to watch at all times for the acute cones which seemed to arise unexpectedly.

« Nous sommes au milieu des brisants, dit Kennedy. "We are in the midst of the breakers," said Kennedy.

—Sois tranquille, Dick, nous ne toucherons pas. “Don't worry, Dick, we won't touch.

—Jolie manière de voyager, tout de même ! » répliqua Joe.

En effet, le docteur man uvrait son ballon avec une merveilleuse dextérité.

« S'il nous fallait marcher sur ce terrain détrempé, dit-il nous nous traînerions dans une boue malsaine. "If we had to walk on this soggy ground," he said, "we would drag ourselves through unhealthy mud." Depuis notre départ de Zanzibar, la moitié de nos bêtes de somme seraient déjà mortes de fatigue. Since our departure from Zanzibar, half of our pack animals have already died of fatigue. Nous aurions l'air de spectres, et le désespoir nous prendrait au coeur. We would look like specters, and despair would take us to the heart. Nous serions en lutte incessante avec nos guides, nos porteurs, exposés à leur brutalité sans frein. We would be in constant struggle with our guides, our porters, exposed to their brutality without brake. Le jour, une chaleur humide, insupportable, acca-blante ! During the day, humid, unbearable, overwhelming heat! La nuit, un froid souvent intolérable, et les piqûres de certaines mouches, dont les mandibules percent la toile la plus épaisse, et qui rendent fou ! Et tout cela sans parler des bêtes et des peuplades féroces !

—Je demande à ne pas en essayer, répliqua simplement Joe. "I ask not to try it," Joe replied simply.

—Je n'exagère rien, reprit le docteur Fergusson, car, au récit des voyageurs qui ont eu l'audace de s'aventurer dans ces contrées, les larmes vous viendraient aux yeux. "I am not exaggerating anything," said Doctor Fergusson, "because, on the account of travelers who have had the audacity to venture into these regions, tears will come to your eyes." Vers onze heures, on dépassait le bassin d'Imengé ; les tribus éparses sur ces collines menaçaient vainement le  Victoria de leurs armes ; il arrivait enfin aux dernières ondulations de terrain qui précèdent le Rubeho ; elles forment la troisième chaîne et la plus élevée des montagnes de l'Usagara. Les voyageurs se rendaient parfaitement compte de la conformation orographique du pays. Ces trois ramifications, dont le Duthumi forme le premier échelon, sont séparées par de vastes plaines longitudinales ; ces croupes élevées se composent de cônes arrondis, entre lesquels le sol est parsemé de blocs erratiques et de galets. These three ramifications, of which the Duthumi forms the first rung, are separated by vast longitudinal plains; these raised ridges consist of rounded cones, between which the ground is dotted with erratic blocks and pebbles. La déclivité la plus roide de ces montagnes fait face à la côte de Zanzibar ; les pentes occidentales ne sont guère que des plateaux inclinés. The steepest slope of these mountains faces the coast of Zanzibar; the western slopes are little more than inclined plateaus. Les dépressions de terrain sont couvertes d'une terre noire et fertile, où la végétation est vigoureuse. Divers cours d'eau s'infiltrent vers l'est, et vont affluer dans le Kingani, au milieu de bouquets gigantesques de sycomores, de tamarins, de calebassiers et de palmyras « Attention! dit le docteur Fergusson. Nous approchons du Rubeho, dont le nom signifie dans la langue du pays : « Passage des vents. » Nous ferons bien d'en doubler les arêtes aiguës à une certaine hauteur. We will do well to double the sharp edges at a certain height. Si ma carte est exacte, nous allons nous porter à une élévation de plus de cinq mille pieds.

—Est-ce que nous aurons souvent l'occasion d'atteindre ces zones supérieures ? —Will we often have the opportunity to reach these upper areas? —Rarement ; l'altitude des montagnes de l'Afrique parait être médiocre relativement aux sommets de l'Europe et de l'Asie. - Rarely; the altitude of the mountains of Africa seems to be mediocre compared to the summits of Europe and Asia. Mais, en tout cas, notre  Victoria ne serait pas embarrassé de les franchir. But, in any case, our Victoria would not be embarrassed to cross them. En peu de temps, le gaz se dilata sous l'action de la chaleur, et le ballon prit une marche ascensionnelle très marquée. In a short time, the gas expanded under the action of heat, and the balloon took a very marked upward march. La dilatation de l'hydrogène n'offrait rien de dangereux d'ailleurs, et la vaste capacité de l'aérostat n'était remplie qu'aux trois quarts ; le baromètre, par une dépression de près de huit pouces, indiqua une élévation de six mille pieds. The expansion of the hydrogen did not present anything dangerous besides, and the vast capacity of the aerostat was only filled to three-quarters; the barometer, by a depression of nearly eight inches, indicated an elevation of six thousand feet. « Irions-nous longtemps ainsi ? "Shall we go on like this for a long time?" demanda Joe

—L'atmosphère terrestre a une hauteur de six mille toises, répondit le docteur. "The earth's atmosphere is six thousand toises high," replied the doctor. Avec un vaste ballon, on irait loin. C'est ce qu'ont fait MM. Brioschi et Gay-Lussac ; mais alors le sang leur sortait par la bouche et par les oreilles. Brioschi and Gay-Lussac; but then the blood came out through their mouths and through their ears. L'air respirable manquait. Breathing air was lacking. Il y a quelques années, deux hardis Français, MM. A few years ago, two bold Frenchmen, MM. Barral et Bixio, s'aventurèrent aussi dans les hautes régions ; mais leur ballon se déchira... Barral and Bixio also ventured into the high regions; but their balloon tore ... —Et ils tombèrent ! "And they fell!" demanda vivement Kennedy.

—Sans doute ! mais comme doivent tomber des savants, sans se faire aucun mal. but as scientists must fall, without doing themselves any harm.

—Eh bien ! Messieurs, dit Joe, libre à vous de recommencer leur chute ; mais pour moi, qui ne suis qu'un ignorant, je préfère rester dans un milieu honnête, ni trop haut, ni trop bas. Gentlemen, said Joe, you are free to start their fall again; but for me, who is only an ignorant, I prefer to stay in an honest environment, neither too high nor too low. Il ne faut point être ambitieux.

A six mille pieds, la densité de l'air a déjà diminué sensiblement ; le son s'y transporte avec difficulté, et la voix se fait moins bien entendre. La vue des objets devient confuse. Le regard ne perçoit plus que de grandes masses assez indéterminées ; les hommes, les animaux, deviennent absolument invisibles : les routes sont des lacets, et les lacs, des étangs. The gaze no longer perceives anything but large, rather indeterminate masses; men, animals, become absolutely invisible: the roads are laces, and the lakes, ponds.

Le docteur et ses compagnons se sentaient dans un état anormal ; un courant atmosphérique d'une extrême vélocité les entraînait au-delà des montagnes arides, sur le sommet desquelles de vastes plaques de neige étonnaient le regard ; leur aspect convulsionné démontrait quelque travail neptunien des premiers jours du monde. The doctor and his companions felt in an abnormal state; an atmospheric current of extreme velocity carried them beyond the arid mountains, on the summit of which vast patches of snow astonished the gaze; their convulsed aspect demonstrated some Neptunian work from the first days of the world. Le soleil brillait au zénith, et ses rayons tombaient d'aplomb sur ces cimes désertes. The sun was shining at its zenith, and its rays fell vertically on these deserted summits. Le docteur prit un dessin exact de ces montagnes, qui sont faites de quatre croupes distinctes, presque en ligne droite, et dont la plus septentrionale est la plus allongée. The doctor took an exact drawing of these mountains, which are made of four distinct ridges, almost in a straight line, and the most northerly of which is the most elongated.

Bientôt le  Victoria descendit le versant opposé du Rubeho, en longeant une côte boisée et parsemée d'arbres d'un vert très sombre ; puis vinrent des crêtes et des ravins, dans une sorte de désert qui précédait le pays d'Ugogo ; plus bas s'étalaient des plaines jaunes, torréfiées, craquelées, jonchées ça et là de plantes salines et de buissons épineux. Quelques taillis, plus loin devenus forêts, embellirent l'horizon. Le docteur s'approcha du sol, les ancres furent lancées, et l'une d'elles s'accrocha bientôt dans les branches d'un vaste sycomore. The doctor approached the ground, the anchors were launched, and one of them soon hung on the branches of a vast sycamore tree. Joe, se glissant rapidement dans l'arbre ; assujettit l'ancre avec précaution ; le docteur laissa son chalumeau en activité pour conserver à l'aérostat une certaine force ascensionnelle qui le maintint en l'air. Joe, quickly sliding into the tree; carefully anchor the anchor; the doctor left his torch in activity to keep the aerostat a certain ascending force which kept it in the air. Le vent s'était presque subitement calmé. The wind had almost suddenly subsided. Maintenant, dit Fergusson, prends deux fusils, ami Dick, l'un pour toi, l'autre pour Joe, et tâchez, à vous deux, de rapporter quelques belles tranches d'antilope. Now, said Fergusson, take two guns, friend Dick, one for you, the other for Joe, and you two try to bring back some nice slices of antelope. Ce sera pour notre dîner.

—En chasse ! » s'écria Kennedy. Il escalada la nacelle et descendit. He climbed the basket and descended. Joe s'était laissé dégringoler de branche en branche et l'attendait en se détirant les membres. Joe had let himself tumble from branch to branch and was waiting for him by stretching his limbs. Le docteur, allégé du poids de ses deux compagnons, put éteindre entièrement son chalumeau. The doctor, relieved of the weight of his two companions, was able to extinguish his torch entirely.

N'allez pas vous envoler, mon maître, s'écria Joe Don't fly away, my master, cried Joe —Sois tranquille, mon garçon, je suis solidement retenu. “Don't worry, boy, I am firmly restrained. Je vais mettre mes notes en ordre. Bonne chasse et soyez prudents. D'ailleurs, de mon poste, j'observerai le pays, et, à la moindre chose suspecte, je tire un coup de carabine. Ce sera le signal de ralliement. This will be the rallying signal.

—Convenu, » répondit le chasseur. "Agreed," replied the hunter.