×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Cinq semaines en ballon de Jules Verne, CHAPITRE III

CHAPITRE III

L'ami du docteur. —D'où datait leur amitié. —Dick Kennedy à Londres.— Proposition inattendue, mais point rassurante.—Proverbe peu consolant.—Quelques mots du martyrologe africain —Avantages d'un aérostat. —Le secret du docteur Fergusson

Le docteur Fergusson avait un ami. Non pas un autre lui-même, un alter ego ; l'amitié ne saurait exister entre deux êtres parfaitement identiques.

Mais s'ils possédaient des qualités, des aptitudes, un tempérament distincts, Dick Kennedy et Samuel Fergusson vivaient d'un seul et même coeur, et cela ne 1es gênait pas trop. Au contraire.

Ce Dick Kennedy était un Écossais dans toute l'acception du mot, ouvert, résolu, entêté. Il habitait la petite ville de Leith, près d'Édimbourg, une véritable banlieue de la « Vieille Enfumée » [Sobriquet d'Édimbourg, Auld Reekie,]. C'était quelquefois un pêcheur, mais partout et toujours un chasseur déterminé : rien de moins étonnant de la part d'un enfant de la Calédonie, quelque peu coureur des montagnes des Highlands On le citait comme un merveilleux tireur à la carabine ; non seulement il tranchait des balles sur une lame de couteau, mais il les coupait en deux moitiés si égales, qu'en les pesant ensuite on ne pouvait y trouver de différence appréciable.

La physionomie de Kennedy rappelait beaucoup celle de Halbert Glendinning, telle que l'a peinte Walter Scott dans « le Monastére » ; sa taille dépassait six pieds anglais [Environ cinq pieds huit pouces.] ; plein de grâce et d'aisance, il paraissait doué d'une force herculéenne ; une figure fortement hâlée par le soleil, des yeux vifs et noirs, une hardiesse naturelle très décidée, enfin quelque chose de bon et de solide dans toute sa personne prévenait en faveur de l'Écossais.

La connaissance des deux amis se fit dans l'Inde, à l'époque où tous deux appartenaient au même régiment ; pendant que Dick chassait au tigre et à l'éléphant, Samuel chassait à la plante et à l'insecte ; chacun pouvait se dire adroit dans sa partie, et plus d'une plante rare devint la proie du docteur, qui valut à conquérir autant qu'une paire de défenses en ivoire.

Ces deux jeunes gens n'eurent jamais l'occasion de se sauver la vie, ni de se rendre un service quelconque. De là une amitié inaltérable. La destinée les éloigna parfois, mais la sympathie les réunit toujours.

Depuis leur rentrée en Angleterre, ils furent souvent séparés par les lointaines expéditions du docteur ; mais, de retour, celui-ci ne manqua, jamais d'aller, non pas demander, mais donner quelques semaines de lui-même à son ami l'Écossais.

Dick causait du passé, Samuel préparait l'avenir : l'un regardait en avant, l'autre en arrière. De là un esprit inquiet, celui de Fergusson, une placidité parfaite, celle de Kennedy.

Après son voyage au Tibet, le docteur resta près de deux ans sans parler d'explorations nouvelles ; Dick supposa que ses instincts de voyage, ses appétits d'aventures se calmaient Il en fut ravi Cela, pensait-il, devait finir mal un jour ou l'autre ; quelque habitude que l'on ait des hommes, on ne voyage pas impunément au milieu des anthropophages et des bêtes féroces ; Kennedy engageait donc Samuel à enrayer, ayant assez fait d'ailleurs pour la science, et trop pour la gratitude humaine.

A cela, le docteur se contentait de ne rien répondre ; il demeurait pensif, puis il se livrait à de secrets calculs, passant ses nuits dans des travaux de chiffres, expérimentant même des engins singuliers dont personne ne pouvait se rendre compte. On sentait qu'une grande pensée fermentait dans son cerveau.

« Qu'a-t-il pu ruminer ainsi ?» se demanda Kennedy, quand son ami l'eut quitté pour retourner à Londres, au mois de janvier.

Il l'apprit un matin par l'article du Daily Telegraph .

« Miséricorde ! s'écria-t-il. Le fou ! l'insensé traverser l'Afrique en ballon ! Il ne manquait plus que cela ! Voilà donc ce qu'il méditait depuis deux ans ! » A la place de tous ces points d'exclamation, mettez des coups de poing solidement appliqués sur la tête, et vous aurez une idée de l'exercice auquel se livrait le brave Dick en parlant ainsi . Lorsque sa femme de confiance, la vieille Elspeth, voulut insinuer que ce pourrait bien être une mystification :

« Allons donc ! répondit-il, est-ce que je ne reconnais pas mon homme ?

Est-ce que ce n'est pas de lui ? Voyager à travers les airs ! Le voilà jaloux des aigles maintenant ! Non, certes, cela ne sera pas ! je saurai bien l'empêcher ! Eh ! si on le laissait faire, il partirait un beau jour pour la lune ! » Le soir même, Kennedy, moitié inquiet, moitié exaspéré, prenait le chemin de fer à General Railway station, et le lendemain il arrivait à Londres. Trois quarts d'heure après un cab le déposait à la petite maison du docteur, Soho square, Greek street ; il en franchit le perron, et s'annonça en frappant à la porte cinq coups solidement appuyés.

Fergusson lui ouvrit en personne.

« Dick ? fit-il sans trop d`étonnement.

—Dick lui-même, riposta Kennedy.

—Comment, mon cher Dick, toi à Londres, pendant les chasses d'hiver ?

—Moi, à Londres.

—Et qu'y viens-tu faire ?

—Empêcher une folie sans nom !

—Une folie ? dit le docteur.

—Est-ce vrai ce que raconte ce journal, répondit Kennedy en tendant le numéro du Daily Telegraph .

—Ah ! c'est de cela que tu parles ! Ces journaux sont bien indiscrets ! Mais asseois-toi donc, mon cher Dick.

—Je ne m'asseoirai pas. Tu as parfaitement l'intention d'entreprendre ce voyage ?

—Parfaitement ; mes préparatifs vont bon train, et je

—Où sont-ils que je les mette en pièces, tes préparatifs ? Où sont-ils que j'en fasse des morceaux »

Le digne Écossais se mettait très sérieusement en colère.

« Du calme, mon cher Dick reprit le docteur. Je conçois ton irritation.

Tu m'en veux de ce que je ne t'ai pas encore appris mes nouveaux projets.

—Il appelle cela de nouveaux projets !

—J'ai été fort occupé, reprit Samuel sans admettre l'interruption, j'ai eu fort à faire ! Mais sois tranquille, je ne serais pas parti sans t'écrire

—Eh ! je me moque bien.

—Parce que j'ai l'intention de t'emmener avec moi. » L'Écossais fit un bond qu'un chamois n'eût pas désavoué. « Ah ca ! dit-il, tu veux donc que l'on nous renferme tous les deux à l'hôpital de Betlehem ! [Hôpital de fous à Londres.]

—J'ai positivement compté sur toi, mon cher Dick, et je t'ai choisi à l'exclusion de bien d'autres. » Kennedy demeurait en pleine stupéfaction. « Quand tu m'auras écouté pendant dix minutes, répondit tranquillement le docteur, tu me remercieras

—Tu parles sérieusement ?

—Très sérieusement.

—Et si je refuse de t'accompagner ?

—Tu ne refuseras pas.

—Mais enfin, si je refuse ?

—Je partirai seul.

—Asseyons-nous, dit le chasseur, et parlons sans passion. Du moment que tu ne plaisantes pas, cela vaut la peine que l'on discute.

—Discutons en déjeunant, si tu n'y vois pas d'obstacle, mon cher Dick. » Les deux amis se placèrent l'un en face de l'autre devant une petite table, entre une pile de sandwichs et une théière énorme « Mon cher Samuel, dit le chasseur, ton projet est insensé ! il est impossible ! il ne ressemble à rien de sérieux ni de praticable !

—C'est ce que nous verrons bien après avoir essayé.

—Mais ce que précisément il ne faut pas faire, c'est d'essayer.

—Pourquoi cela, s'il te plaît ?

—Et les dangers, et les obstacles de toute nature !

—Les obstacles, répondit sérieusement Fergusson, sont inventés pour être vaincus ; quant aux dangers, qui peut se flatter de les fuir ? Tout est danger dans la vie ; il peut être très dangereux de s'asseoir devant sa table ou de mettre son chapeau sur sa tête ; il faut d'ailleurs considérer ce qui doit arriver comme arrivé déjà, et ne voir que le présent dans l'avenir, car l'avenir n'est qu'un présent un peu plus éloigné.

—Que cela ! fit Kennedy en levant les épaules. Tu es toujours fataliste !

—Toujours, mais dans le bon sens du mot. Ne nous préoccupons donc pas de ce que le sort nous réserve et n'oublions jamais notre bon proverbe d'Angleterre :

« L'homme né pour être pendu ne sera jamais noyé ! » Il n'y avait rien à répondre, ce qui n'empêcha pas Kennedy de reprendre une série d'arguments faciles à imaginer, mais trop longs à rapporter ici « Mais enfin, dit-il après une heure de discussion, si tu veux absolument traverser l'Afrique, si cela est nécessaire à ton bonheur, pourquoi ne pas prendre les routes ordinaires ?

—Pourquoi ? répondit le docteur en s'animant ; parce que jusqu'ici toutes les tentatives ont échoué ! Parce que depuis Mungo-Park assassiné sur le Niger jusqu'à Yogel disparu dans le Wadaï, depuis Oudney mort à Murmur, Clapperton mort à Sackatou, jusqu'au Français Maizan coupé en morceaux, depuis le major Laing tué par les Touaregs jusqu'à Roscher de Hambourg massacré au commencement de l860, de nombreuses victimes ont été inscrites au martyrologe africain ! Parce que lutter contre les éléments, contre la faim, la soif, la fièvre, contre les animaux féroces et contre des peuplades plus féroces encore, est impossible ! Parce que ce qui ne peut être fait d'une façon doit être entrepris d'une autre ! Enfin parce que, là où l'on ne peut passer au milieu, il faut passer à côté ou passer dessus !

—S'il ne s'agissait que de passer dessus ! répliqua Kennedy ; mais passer par-dessus !

—Eh bien, reprit le docteur avec le plus grand sang-froid du monde, qu'ai-je à redouter ! Tu admettras bien que j'ai pris mes précautions de manière à ne pas craindre une chute de mon ballon ; si donc il vient à me faire défaut, je me retrouverai sur terre dans les conditions normales des explorateurs ; mais mon ballon ne me manquera pas, il n'y faut pas compter.

—-Il faut y compter, au contraire.

—Non pas, mon cher Dick. J'entends bien ne pas m'en séparer avant mon arrivée à la côte occidentale d'Afrique. Avec lui, tout est possible ; sans lui, je retombe dans les dangers et les obstacles naturels d'une pareille expédition ; avec lui, ni la chaleur, ni les torrents, ni les tempêtes, ni le simoun, ni les climats insalubres, ni les animaux sauvages, ni les hommes ne sont à craindre ! Si j'ai trop chaud, je monte, si j'ai froid, je descends ; une montagne, je la dépasse ; un précipice, je le franchis ; un fleuve, je le traverse ; un orage, je le domine ; un torrent, je le rase comme un oiseau ! Je marche sans fatigue, je m'arrête sans avoir besoin de repos ! Je plane sur les cités nouvelles ! Je vole avec la rapidité de l'ouragan tantôt au plus haut des airs, tantôt à cent pieds du sol, et la carte africaine se déroule sous mes yeux dans le grand atlas du monde ! » Le brave Kennedy commençait à se sentir ému, et cependant le spectacle évoqué devant ses yeux lui donnait le vertige. Il contemplait Samuel avec admiration, mais avec crainte aussi ; il se sentait déjà balancé dans l'espace.

« Voyons, fit-il, voyons un peu, mon cher Samuel, tu as donc trouvé le moyen de diriger les ballons ?

—Pas le moins du monde. C'est une utopie.

—Mais alors tu iras

—Où voudra la Providence ; mais cependant de l'est à l'ouest.

—Pourquoi cela ?

—Parce que je compte me servir des vents alizés, dont la direction est constante.

—Oh ! vraiment ! fit Kennedy en réfléchissant : les vents alizés.... certainement... on peut à la rigueur... il y a quelque chose...

—S'il y a quelque chose ! non, mon brave ami, il y a tout. Le gouvernement anglais a mis un transport à ma disposition ; il a été convenu également que trois ou quatre navires iraient croiser sur la côte occidentale vers l'époque présumée de mon arrivée. Dans trois mois au plus, je serai à Zanzibar, où j'opérerai le gonflement de mon ballon, et de là nous nous élancerons

—Nous ! fit Dick.

—Aurais-tu encore l'apparence d'une objection à me faire ? Parle, ami Kennedy.

—Une objection ! j'en aurais mille ; mais, entre autres, dis-moi : si tu comptes voir le pays, si tu comptes monter et descendre à ta volonté, tu ne le pourras faire sans perdre ton gaz ; il n'y a pas eu jusqu'ici d'autres moyens de procéder, et c'est ce qui a toujours empêché les longues pérégrinations dans l'atmosphère.

—Mon cher Dick, je ne te dirai qu'une seule chose : je ne perdrai pas un atome de gaz, pas une molécule.

—Et tu descendras à volonté

—Je descendrai à volonté.

—Et comment feras-tu ?

—Ceci est mon secret, ami Dick. Aie confiance, et que ma devise soit la tienne : « Excelcior ! » —Va pour « Excelsior ! » répondit le chasseur, qui ne savait pas un mot de latin.

Mais il était bien décidé à s'opposer, par tous les moyens possibles, au départ de son ami Il fit donc mine d'être de son avis et se contenta d'observer. Quant à Samuel, il alla surveiller ses apprêts.

CHAPITRE III KAPITEL III CHAPTER III CAPÍTULO III ROZDZIAŁ III CAPÍTULO III

L'ami du docteur. The doctor's friend. —D'où datait leur amitié. “Where did their friendship date from? —Dick Kennedy à Londres.— Proposition inattendue, mais point rassurante.—Proverbe peu consolant.—Quelques mots du martyrologe africain —Avantages d'un aérostat. —Dick Kennedy in London.— Unexpected proposition, but not reassuring. — A little consoling proverb. — A few words from the African martyrologist — Advantages of an aerostat. —Le secret du docteur Fergusson

Le docteur Fergusson avait un ami. Non pas un autre lui-même, un alter ego ; l'amitié ne saurait exister entre deux êtres parfaitement identiques. Not another himself, an alter ego; friendship cannot exist between two perfectly identical beings.

Mais s'ils possédaient des qualités, des aptitudes, un tempérament distincts, Dick Kennedy et Samuel Fergusson vivaient d'un seul et même coeur, et cela ne 1es gênait pas trop. But if they had qualities, aptitudes, a distinct temperament, Dick Kennedy and Samuel Fergusson lived with one and the same heart, and that did not bother them too much. Au contraire. On the contrary.

Ce Dick Kennedy était un Écossais dans toute l'acception du mot, ouvert, résolu, entêté. This Dick Kennedy was a Scot in all the meaning of the word, open, resolute, stubborn. Il habitait la petite ville de Leith, près d'Édimbourg, une véritable banlieue de la « Vieille Enfumée » [Sobriquet d'Édimbourg, Auld Reekie,]. He lived in the small town of Leith, near Edinburgh, a veritable suburb of the "Old Smoky" [Edinburgh Nickname, Auld Reekie,]. C'était quelquefois un pêcheur, mais partout et toujours un chasseur déterminé : rien de moins étonnant de la part d'un enfant de la Calédonie, quelque peu coureur des montagnes des Highlands On le citait comme un merveilleux tireur à la carabine ; non seulement il tranchait des balles sur une lame de couteau, mais il les coupait en deux moitiés si égales, qu'en les pesant ensuite on ne pouvait y trouver de différence appréciable. He was sometimes a fisherman, but everywhere and always a determined hunter: nothing less surprising on the part of a child from Caledonia, somewhat a runner in the Highland mountains. He was cited as a marvelous rifle shooter; not only did he slice bullets on a knife blade, but he cut them into two halves so equal that by weighing them afterwards there was no appreciable difference.

La physionomie de Kennedy rappelait beaucoup celle de Halbert Glendinning, telle que l'a peinte Walter Scott dans « le Monastére » ; sa taille dépassait six pieds anglais [Environ cinq pieds huit pouces.] The physiognomy of Kennedy was very reminiscent of that of Halbert Glendinning, as painted by Walter Scott in "the Monastery"; her height exceeded six English feet [About five feet eight inches.] ; plein de grâce et d'aisance, il paraissait doué d'une force herculéenne ; une figure fortement hâlée par le soleil, des yeux vifs et noirs, une hardiesse naturelle très décidée, enfin quelque chose de bon et de solide dans toute sa personne prévenait en faveur de l'Écossais. ; full of grace and ease, he seemed gifted with a Herculean strength; a face strongly tanned by the sun, lively and black eyes, a very determined natural boldness, finally something good and solid in his whole person warned in favor of the Scotsman.

La connaissance des deux amis se fit dans l'Inde, à l'époque où tous deux appartenaient au même régiment ; pendant que Dick chassait au tigre et à l'éléphant, Samuel chassait à la plante et à l'insecte ; chacun pouvait se dire adroit dans sa partie, et plus d'une plante rare devint la proie du docteur, qui valut à conquérir autant qu'une paire de défenses en ivoire. The acquaintance of the two friends was made in India, at the time when both belonged to the same regiment; while Dick hunted tiger and elephant, Samuel hunted plant and insect; everyone could say they were skillful in their part, and more than one rare plant fell prey to the doctor, who was worth conquering as much as a pair of ivory tusks.

Ces deux jeunes gens n'eurent jamais l'occasion de se sauver la vie, ni de se rendre un service quelconque. These two young people never had the occasion to save their lives, or to render any service whatsoever. De là une amitié inaltérable. Hence an unalterable friendship. La destinée les éloigna parfois, mais la sympathie les réunit toujours. Destiny sometimes alienated them, but sympathy always united them.

Depuis leur rentrée en Angleterre, ils furent souvent séparés par les lointaines expéditions du docteur ; mais, de retour, celui-ci ne manqua, jamais d'aller, non pas demander, mais donner quelques semaines de lui-même à son ami l'Écossais. Since their return to England, they were often separated by the distant expeditions of the doctor; but, on his return, he never failed, never to go, not to ask, but to give a few weeks of himself to his friend the Scotsman.

Dick causait du passé, Samuel préparait l'avenir : l'un regardait en avant, l'autre en arrière. Dick chatted about the past, Samuel prepared for the future: one looked forward, the other backward. De là un esprit inquiet, celui de Fergusson, une placidité parfaite, celle de Kennedy.

Après son voyage au Tibet, le docteur resta près de deux ans sans parler d'explorations nouvelles ; Dick supposa que ses instincts de voyage, ses appétits d'aventures se calmaient Il en fut ravi Cela, pensait-il, devait finir mal un jour ou l'autre ; quelque habitude que l'on ait des hommes, on ne voyage pas impunément au milieu des anthropophages et des bêtes féroces ; Kennedy engageait donc Samuel à enrayer, ayant assez fait d'ailleurs pour la science, et trop pour la gratitude humaine. After his trip to Tibet, the doctor remained almost two years without speaking of new explorations; Dick supposed that his travel instincts, his appetites for adventure had subsided. He was delighted. He thought that it would end badly sooner or later; whatever habit one has of men, one does not travel with impunity in the midst of cannibals and ferocious beasts; Kennedy therefore hired Samuel to stop, having done enough for science, and too much for human gratitude.

A cela, le docteur se contentait de ne rien répondre ; il demeurait pensif, puis il se livrait à de secrets calculs, passant ses nuits dans des travaux de chiffres, expérimentant même des engins singuliers dont personne ne pouvait se rendre compte. To this the doctor contented himself with answering nothing; he remained thoughtful, then he engaged in secret calculations, spending his nights in numerical work, even experimenting with singular devices of which no one could be aware. On sentait qu'une grande pensée fermentait dans son cerveau. We felt that a big thought was fermenting in his brain.

« Qu'a-t-il pu ruminer ainsi ?» se demanda Kennedy, quand son ami l'eut quitté pour retourner à Londres, au mois de janvier. “What could he have been brooding on?” Wondered Kennedy, when his friend had left him to return to London in January.

Il l'apprit un matin par l'article du  Daily Telegraph . He learned about it one morning from the Daily Telegraph article.

« Miséricorde ! "Mercy! s'écria-t-il. if he cried. Le fou ! The fool ! l'insensé traverser l'Afrique en ballon ! the foolish balloon across Africa! Il ne manquait plus que cela ! It missed only this ! Voilà donc ce qu'il méditait depuis deux ans ! So that's what he meditated for two years! » A la place de tous ces points d'exclamation, mettez des coups de poing solidement appliqués sur la tête, et vous aurez une idée de l'exercice auquel se livrait le brave Dick en parlant ainsi . In place of all these exclamation marks, put punches firmly applied to the head, and you will have an idea of the exercise in which the brave Dick engaged in speaking thus. Lorsque sa femme de confiance, la vieille Elspeth, voulut insinuer que ce pourrait bien être une mystification : When his trusted wife, old Elspeth, wanted to imply that it might well be a hoax:

« Allons donc ! "Come on! répondit-il, est-ce que je ne reconnais pas mon homme ? he replied, do I not recognize my man?

Est-ce que ce n'est pas de lui ? Is it not from him? Voyager à travers les airs ! Travel through the air! Le voilà jaloux des aigles maintenant ! Now he's jealous of the eagles now! Non, certes, cela ne sera pas ! No, certainly it will not be! je saurai bien l'empêcher ! I will know how to prevent it! Eh ! Hey! si on le laissait faire, il partirait un beau jour pour la lune ! if we let him do it, he would leave one day for the moon! » Le soir même, Kennedy, moitié inquiet, moitié exaspéré, prenait le chemin de fer à General Railway station, et le lendemain il arrivait à Londres. The same evening Kennedy, half worried, half exasperated, took the train to General Railway station, and the next day he arrived in London. Trois quarts d'heure après un cab le déposait à la petite maison du docteur, Soho square, Greek street ; il en franchit le perron, et s'annonça en frappant à la porte cinq coups solidement appuyés. Three quarters of an hour after a cab dropped him off at the doctor's little house, Soho square, Greek street; he crossed the steps, and announced himself by knocking on the door five knocks firmly pressed.

Fergusson lui ouvrit en personne. Fergusson opened it in person.

« Dick ? fit-il sans trop d`étonnement. he said without too much astonishment.

—Dick lui-même, riposta Kennedy. "Dick himself," replied Kennedy.

—Comment, mon cher Dick, toi à Londres, pendant les chasses d'hiver ? "How, my dear Dick, you in London during the winter hunts?"

—Moi, à Londres.

—Et qu'y viens-tu faire ?

—Empêcher une folie sans nom ! "Prevent nameless madness!"

—Une folie ? dit le docteur.

—Est-ce vrai ce que raconte ce journal, répondit Kennedy en tendant le numéro du  Daily Telegraph . “Is that what the newspaper is saying,” said Kennedy, handing over the Daily Telegraph.

—Ah ! c'est de cela que tu parles ! Ces journaux sont bien indiscrets ! These newspapers are very intrusive! Mais asseois-toi donc, mon cher Dick.

—Je ne m'asseoirai pas. “I won't sit down. Tu as parfaitement l'intention d'entreprendre ce voyage ? Do you fully intend to take this trip?

—Parfaitement ; mes préparatifs vont bon train, et je

—Où sont-ils que je les mette en pièces, tes préparatifs ? -Where are they so I can tear them apart? Où sont-ils que j'en fasse des morceaux » Where are they that I'm making pieces of them?"

Le digne Écossais se mettait très sérieusement en colère.

« Du calme, mon cher Dick reprit le docteur. Je conçois ton irritation. I can understand your irritation.

Tu m'en veux de ce que je ne t'ai pas encore appris mes nouveaux projets. You are angry with me that I have not yet taught you about my new projects.

—Il appelle cela de nouveaux projets ! “He calls them new projects!

—J'ai été fort occupé, reprit Samuel sans admettre l'interruption, j'ai eu fort à faire ! “I have been very busy,” resumed Samuel without admitting the interruption, “I had a lot to do! Mais sois tranquille, je ne serais pas parti sans t'écrire But don't worry, I wouldn't have left without writing to you

—Eh ! je me moque bien. I don't care.

—Parce que j'ai l'intention de t'emmener avec moi. » L'Écossais fit un bond qu'un chamois n'eût pas désavoué. The Scotsman made a leap that a chamois would not have disowned. « Ah ca ! dit-il, tu veux donc que l'on nous renferme tous les deux à l'hôpital de Betlehem ! he said, so you want us both locked up in Betlehem hospital! [Hôpital de fous à Londres.]

—J'ai positivement compté sur toi, mon cher Dick, et je t'ai choisi à l'exclusion de bien d'autres. “I counted on you positively, my dear Dick, and I chose you to the exclusion of many others. » Kennedy demeurait en pleine stupéfaction. Kennedy remained in amazement. « Quand tu m'auras écouté pendant dix minutes, répondit tranquillement le docteur, tu me remercieras

—Tu parles sérieusement ?

—Très sérieusement.

—Et si je refuse de t'accompagner ?

—Tu ne refuseras pas.

—Mais enfin, si je refuse ? "But what if I refuse?"

—Je partirai seul. “I'll go alone.

—Asseyons-nous, dit le chasseur, et parlons sans passion. “Let’s sit down,” said the hunter, “and talk without passion. Du moment que tu ne plaisantes pas, cela vaut la peine que l'on discute. As long as you're not joking, it's worth discussing.

—Discutons en déjeunant, si tu n'y vois pas d'obstacle, mon cher Dick. “Let's talk over lunch, if you don't see an obstacle, my dear Dick. » Les deux amis se placèrent l'un en face de l'autre devant une petite table, entre une pile de sandwichs et une théière énorme The two friends placed themselves opposite each other in front of a small table, between a stack of sandwiches and a huge teapot. « Mon cher Samuel, dit le chasseur, ton projet est insensé ! “My dear Samuel,” said the hunter, “your plan is crazy! il est impossible ! il ne ressemble à rien de sérieux ni de praticable !

—C'est ce que nous verrons bien après avoir essayé.

—Mais ce que précisément il ne faut pas faire, c'est d'essayer. “But what exactly should not be done is to try.

—Pourquoi cela, s'il te plaît ? “Why is that, please?

—Et les dangers, et les obstacles de toute nature !

—Les obstacles, répondit sérieusement Fergusson, sont inventés pour être vaincus ; quant aux dangers, qui peut se flatter de les fuir ? “Obstacles,” Fergusson replied seriously, “are invented to be overcome; as to the dangers, who can flatter himself to flee from them? Tout est danger dans la vie ; il peut être très dangereux de s'asseoir devant sa table ou de mettre son chapeau sur sa tête ; il faut d'ailleurs considérer ce qui doit arriver comme arrivé déjà, et ne voir que le présent dans l'avenir, car l'avenir n'est qu'un présent un peu plus éloigné. Everything is danger in life; it can be very dangerous to sit down at your table or put your hat on your head; we must also consider what must happen as already happened, and see only the present in the future, because the future is only a present a little more distant.

—Que cela ! fit Kennedy en levant les épaules. Kennedy said, shrugging his shoulders. Tu es toujours fataliste ! You are always fatalistic!

—Toujours, mais dans le bon sens du mot. “Always, but in a good way. Ne nous préoccupons donc pas de ce que le sort nous réserve et n'oublions jamais notre bon proverbe d'Angleterre : So let's not worry about what fate has in store for us and never forget our good English proverb:

« L'homme né pour être pendu ne sera jamais noyé ! "The man born to be hanged will never be drowned!" » Il n'y avait rien à répondre, ce qui n'empêcha pas Kennedy de reprendre une série d'arguments faciles à imaginer, mais trop longs à rapporter ici There was nothing to answer, which did not prevent Kennedy from repeating a series of arguments easy to imagine, but too long to report here « Mais enfin, dit-il après une heure de discussion, si tu veux absolument traverser l'Afrique, si cela est nécessaire à ton bonheur, pourquoi ne pas prendre les routes ordinaires ? “But anyway,” he said after an hour of discussion, “if you absolutely want to cross Africa, if it is necessary for your happiness, why not take the ordinary roads?

—Pourquoi ? répondit le docteur en s'animant ; parce que jusqu'ici toutes les tentatives ont échoué ! replied the doctor, animating himself; because so far all attempts have failed! Parce que depuis Mungo-Park assassiné sur le Niger jusqu'à Yogel disparu dans le Wadaï, depuis Oudney mort à Murmur, Clapperton mort à Sackatou, jusqu'au Français Maizan coupé en morceaux, depuis le major Laing tué par les Touaregs jusqu'à Roscher de Hambourg massacré au commencement de l860, de nombreuses victimes ont été inscrites au martyrologe africain ! Because from Mungo-Park assassinated on Niger to Yogel disappeared in Wadaï, from Oudney dead in Murmur, Clapperton dead in Sackatou, to the French Maizan cut into pieces, from Major Laing killed by the Tuaregs to Hamburg Roscher massacred at the beginning of l860, many victims have been registered in the African martyrology! Parce que lutter contre les éléments, contre la faim, la soif, la fièvre, contre les animaux féroces et contre des peuplades plus féroces encore, est impossible ! Because fighting against the elements, against hunger, thirst, fever, against ferocious animals and against even more ferocious peoples, is impossible! Parce que ce qui ne peut être fait d'une façon doit être entrepris d'une autre ! Because what cannot be done in one way must be undertaken in another! Enfin parce que, là où l'on ne peut passer au milieu, il faut passer à côté ou passer dessus ! Finally because, where you can't go in the middle, you have to pass by or pass over!

—S'il ne s'agissait que de passer dessus ! "If it was only a question of passing over it!" répliqua Kennedy ; mais passer par-dessus ! replied Kennedy; but get over it!

—Eh bien, reprit le docteur avec le plus grand sang-froid du monde, qu'ai-je à redouter ! "Well," replied the doctor, with the greatest composure in the world, "what have I to fear!" Tu admettras bien que j'ai pris mes précautions de manière à ne pas craindre une chute de mon ballon ; si donc il vient à me faire défaut, je me retrouverai sur terre dans les conditions normales des explorateurs ; mais mon ballon ne me manquera pas, il n'y faut pas compter. You will admit that I took my precautions so as not to fear a fall from my balloon; if therefore it fails me, I will find myself on earth in the normal conditions of explorers; but I won't miss my balloon, you can't count on it.

—-Il faut y compter, au contraire. - You have to count on it, on the contrary.

—Non pas, mon cher Dick. J'entends bien ne pas m'en séparer avant mon arrivée à la côte occidentale d'Afrique. I do not intend to part with it before I arrive on the west coast of Africa. Avec lui, tout est possible ; sans lui, je retombe dans les dangers et les obstacles naturels d'une pareille expédition ; avec lui, ni la chaleur, ni les torrents, ni les tempêtes, ni le simoun, ni les climats insalubres, ni les animaux sauvages, ni les hommes ne sont à craindre ! With him everything is possible; without him, I fall back into the dangers and natural obstacles of such an expedition; with it, neither the heat, nor the torrents, nor the storms, nor the simoun, nor the unhealthy climates, neither the wild animals, nor the men are to be feared! Si j'ai trop chaud, je monte, si j'ai froid, je descends ; une montagne, je la dépasse ; un précipice, je le franchis ; un fleuve, je le traverse ; un orage, je le domine ; un torrent, je le rase comme un oiseau ! If I am too hot, I go up, if I am cold, I go down; a mountain, I go beyond it; a precipice, I cross it; a river, I cross it; a storm, I dominate it; a torrent, I shave it like a bird! Je marche sans fatigue, je m'arrête sans avoir besoin de repos ! I walk without fatigue, I stop without needing rest! Je plane sur les cités nouvelles ! I hover over the new cities! Je vole avec la rapidité de l'ouragan tantôt au plus haut des airs, tantôt à cent pieds du sol, et la carte africaine se déroule sous mes yeux dans le grand atlas du monde ! I fly with the speed of the hurricane sometimes high above the ground, sometimes a hundred feet from the ground, and the African map unfolds before my eyes in the great atlas of the world! » Le brave Kennedy commençait à se sentir ému, et cependant le spectacle évoqué devant ses yeux lui donnait le vertige. The brave Kennedy was beginning to feel moved, and yet the sight evoked before his eyes made him dizzy. Il contemplait Samuel avec admiration, mais avec crainte aussi ; il se sentait déjà balancé dans l'espace. He looked at Samuel with admiration, but also with fear; he already felt swayed in space.

« Voyons, fit-il, voyons un peu, mon cher Samuel, tu as donc trouvé le moyen de diriger les ballons ? "Come on," he said, "let's take a look, my dear Samuel, so you found a way to direct the balloons?

—Pas le moins du monde. -Not at all. C'est une utopie. It is a utopia.

—Mais alors tu iras - But then you will go

—Où voudra la Providence ; mais cependant de l'est à l'ouest. —Where Providence wants; but however from east to west.

—Pourquoi cela ? -Why that ?

—Parce que je compte me servir des vents alizés, dont la direction est constante. "Because I intend to use the trade winds, whose direction is constant.

—Oh ! vraiment ! fit Kennedy en réfléchissant : les vents alizés.... certainement... on peut à la rigueur... il y a quelque chose... said Kennedy, reflecting: the trade winds .... certainly ... we can in a pinch ... there is something ...

—S'il y a quelque chose ! -If there is anything ! non, mon brave ami, il y a tout. no, my good friend, there is everything. Le gouvernement anglais a mis un transport à ma disposition ; il a été convenu également que trois ou quatre navires iraient croiser sur la côte occidentale vers l'époque présumée de mon arrivée. The English government has made transportation available to me; it was also agreed that three or four ships would cruise on the west coast around the time of my arrival. Dans trois mois au plus, je serai à Zanzibar, où j'opérerai le gonflement de mon ballon, et de là nous nous élancerons In three months at most, I will be in Zanzibar, where I will inflate my balloon, and from there we will start

—Nous ! fit Dick. said Dick.

—Aurais-tu encore l'apparence d'une objection à me faire ? "Do you still have the appearance of an objection to make to me?" Parle, ami Kennedy. Speak, friend Kennedy.

—Une objection ! j'en aurais mille ; mais, entre autres, dis-moi : si tu comptes voir le pays, si tu comptes monter et descendre à ta volonté, tu ne le pourras faire sans perdre ton gaz ; il n'y a pas eu jusqu'ici d'autres moyens de procéder, et c'est ce qui a toujours empêché les longues pérégrinations dans l'atmosphère. I would have a thousand; but, among other things, tell me: if you intend to see the country, if you intend to go up and down at your will, you cannot do it without losing your gas; so far, there have been no other means of proceeding, and this has always prevented long wanderings in the atmosphere.

—Mon cher Dick, je ne te dirai qu'une seule chose : je ne perdrai pas un atome de gaz, pas une molécule. “My dear Dick, I will tell you only one thing: I will not lose an atom of gas, not a molecule.

—Et tu descendras à volonté -And you will descend at will

—Je descendrai à volonté.

—Et comment feras-tu ? "And how will you do it?"

—Ceci est mon secret, ami Dick. Aie confiance, et que ma devise soit la tienne : « Excelcior ! Have confidence, and may my motto be yours: “Excelcior! » —Va pour « Excelsior ! —Va for “Excelsior! » répondit le chasseur, qui ne savait pas un mot de latin. Replied the hunter, who did not know a word of Latin.

Mais il était bien décidé à s'opposer, par tous les moyens possibles, au départ de son ami Il fit donc mine d'être de son avis et se contenta d'observer. But he was determined to oppose, by all possible means, the departure of his friend. He therefore pretended to be of his opinion and was content to observe. Quant à Samuel, il alla surveiller ses apprêts. As for Samuel, he went to watch his preparations.