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Jules Verne - Vingt mille lieues sous les mers, Partie II; Chapitre 22: LES DERNIERES PAROLES DU CAPITAINE NEMO

Partie II; Chapitre 22: LES DERNIERES PAROLES DU CAPITAINE NEMO

Les panneaux s'étaient refermés sur cette vision effrayante, mais la lumière n'avait pas été rendue au salon. A l'intérieur du Nautilus, ce n'étaient que ténèbres et silence. Il quittait ce lieu de désolation, à cent pieds sous les eaux, avec une rapidité prodigieuse. Où allait-il? Au nord ou au sud? Où fuyait cet homme après cette horrible représaille?

J'étais rentré dans ma chambre où Ned et Conseil se tenaient silencieusement. J'éprouvais une insurmontable horreur pour le capitaine Nemo. Quoi qu'il eût souffert de la part des hommes, il n'avait pas le droit de punir ainsi. Il m'avait fait, sinon le complice, du moins le témoin de ses vengeances! C'était déjà trop. A onze heures, la clarté électrique réapparut. Je passai dans le salon. Il était désert. Je consultai les divers instruments. Le Nautilus fuyait dans le nord avec une rapidité de vingt-cinq milles à l'heure, tantôt à la surface de la mer, tantôt à trente pieds au-dessous. Relèvement fait sur la carte, je vis que nous passions à l'ouvert de la Manche, et que notre direction nous portait vers les mers boréales avec une incomparable vitesse. A peine pouvais-je saisir à leur rapide passage des squales au long nez, des squales-marteaux, des roussettes qui fréquentent ces eaux, de grands aigles de mer, des nuées d'hippocampes, semblables aux cavaliers du jeu d'échecs, des anguilles s'agitant comme les serpenteaux d'un feu d'artifice, des armées de crabes qui fuyaient obliquement en croisant leurs pinces sur leur carapace, enfin des troupes de marsouins qui luttaient de rapidité avec le Nautilus. Mais d'observer, d'étudier, de classer, il n'était plus question alors. Le soir, nous avions franchi deux cents lieues de l'Atlantique. L'ombre se fit, et la mer fut envahie par les ténèbres jusqu'au lever de la lune. Je regagnai ma chambre. Je ne pus dormir. J'étais assailli de cauchemars. L'horrible scène de destruction se répétait dans mon esprit. Depuis ce jour, qui pourra dire jusqu'où nous entraîna le Nautilus dans ce bassin de l'Atlantique nord? Toujours avec une vitesse inappréciable ! Toujours au milieu des brumes hyperboréennes! Toucha-t-il aux pointes du Spitzberg, aux accores de la Nouvelle-Zemble? Parcourut-il ces mers ignorées, la mer Blanche, la mer de Kara, le golfe de l'Obi, l'archipel de Liarrov, et ces rivages inconnus de la côte asiatique? Je ne saurais le dire. Le temps qui s'écoulait je ne pouvais plus l'évaluer. L'heure avait été suspendue aux horloges du bord. Il semblait que la nuit et le jour, comme dans les contrées polaires, ne suivaient plus leur cours régulier. Je me sentais entraîné dans ce domaine de l'étrange où se mouvait à l'aise l'imagination surmenée d'Edgard Poë. A chaque instant, je m'attendais à voir, comme le fabuleux Gordon Pym, " cette figure humaine voilée, de proportion beaucoup plus vaste que celle d'aucun habitant de la terre, jetée en travers de cette cataracte qui défend les abords du pôle " ! J'estime - mais je me trompe peut-être , j'estime que cette course aventureuse du Nautilus se prolongea pendant quinze ou vingt jours, et je ne sais ce qu'elle aurait duré, sans la catastrophe qui termina ce voyage. Du capitaine Nemo, il n'était plus question. De son second, pas davantage. Pas un homme de l'équipage ne fut visible un seul instant. Presque incessamment, le Nautilus flottait sous les eaux. Quand il remontait à leur surface afin de renouveler son air, les panneaux s'ouvraient ou se refermaient automatiquement. Plus de point reporté sur le planisphère. Je ne savais où nous étions. Je dirai aussi que le Canadien, à bout de forces et de patience, ne paraissait plus. Conseil ne pouvait en tirer un seul mot, et craignait que, dans un accès de délire et sous l'empire d'une nostalgie effrayante, il ne se tuât. Il le surveillait donc avec un dévouement de tous les instants. On comprend que, dans ces conditions, la situation n'était plus tenable. Un matin - à quelle date, je ne saurais le dire - je m'étais assoupi vers les premières heures du jour, assoupissement pénible et maladif. Quand je m'éveillai, je vis Ned Land se pencher sur moi, et je l'entendis me dire à voix basse: " Nous allons fuir! " Je me redressai.

" Quand fuyons-nous? demandai-je.

- La nuit prochaine. Toute surveillance semble avoir disparu du Nautilus. On dirait que la stupeur règne à bord. Vous serez prêt, monsieur?

- Oui. Où sommes-nous?

- En vue de terres que je viens de relever ce matin au milieu des brumes, à vingt milles dans l'est. - Quelles sont ces terres?

- Je l'ignore, mais quelles qu'elles soient, nous nous y réfugierons. - Oui! Ned. Oui, nous fuirons cette nuit, dût la mer nous engloutir!

- La mer est mauvaise, le vent violent, mais vingt milles à faire dans cette légère embarcation du Nautilus ne m'effraient pas. J'ai pu y transporter quelques vivres et quelques bouteilles d'eau à l'insu de l'équipage. - Je vous suivrai.

- D'ailleurs, ajouta le Canadien, si je suis surpris, je me défends, je me fais tuer. - Nous mourrons ensemble, ami Ned. " J'étais décidé à tout. Le Canadien me quitta. Je gagnai la plate-forme, sur laquelle je pouvais à peine me maintenir contre le choc des lames. Le ciel était menaçant, mais puisque la terre était là dans ces brumes épaisses, il fallait fuir. Nous ne devions perdre ni un jour ni une heure.

Je revins au salon, craignant et désirant tout à la fois de rencontrer le capitaine Nemo, voulant et ne voulant plus le voir. Que lui aurais-je dit? Pouvais-je lui cacher l'involontaire horreur qu'il m'inspirait! Non! Mieux valait ne pas me trouver face à face avec lui! Mieux valait l'oublier! Et pourtant!

Combien fut longue cette journée, la dernière que je dusse passer à bord du Nautilus! Je restais seul. Ned Land et Conseil évitaient de me parler par crainte de se trahir.

A six heures, je dînai, mais je n'avais pas faim. Je me forçai à manger, malgré mes répugnances, ne voulant pas m'affaiblir. A six heures et demi, Ned Land entra dans ma chambre. Il me dit:

" Nous ne nous reverrons pas avant notre départ. A dix heures, la lune ne sera pas encore levée. Nous profiterons de l'obscurité. Venez au canot. Conseil et moi, nous vous y attendrons. " Puis le Canadien sortit, sans m'avoir donné le temps de lui répondre. Je voulus vérifier la direction du Nautilus. Je me rendis au salon. Nous courions nord-nord-est avec une vitesse effrayante, par cinquante mètres de profondeur.

Je jetai un dernier regard sur ces merveilles de la nature, sur ces richesses de l'art entassées dans ce musée, sur cette collection sans rivale destinée à périr un jour au fond des mers avec celui qui l'avait formée. Je voulus fixer dans mon esprit une impression suprême. Je restai une heure ainsi, baigné dans les effluves du plafond lumineux, et passant en revue ces trésors resplendissant sous leurs vitrines. Puis, je revins à ma chambre.

Là, je revêtis de solides vêtements de mer. Je rassemblai mes notes et les serrai précieusement sur moi. Mon cœur battait avec force. Je ne pouvais en comprimer les pulsations. Certainement, mon trouble, mon agitation m'eussent trahi aux yeux du capitaine Nemo. Que faisait-il en ce moment? J'écoutai à la porte de sa chambre. J'entendis un bruit de pas. Le capitaine Nemo était là. Il ne s'était pas couché. A chaque mouvement, il me semblait qu'il allait m'apparaître et me demander pourquoi je voulais fuir! J'éprouvais des alertes incessantes. Mon imagination les grossissait. Cette impression devint si poignante que je me demandai s'il ne valait pas mieux entrer dans la chambre du capitaine, le voir face à face, le braver du geste et du regard! C'était une inspiration de fou. Je me retins heureusement, et je m'étendis sur mon lit pour apaiser en moi les agitations du corps. Mes nerfs se calmèrent un peu, mais, le cerveau surexcité, je revis dans un rapide souvenir toute mon existence à bord du Nautilus, tous les incidents heureux ou malheureux qui l'avaient traversée depuis ma disparition de l'Abraham-Lincoln, les chasses sous-marines, le détroit de Torrès, les sauvages de la Papouasie, l'échouement, le cimetière de corail, le passage de Suez, l'île de Santorin, le plongeur crétois, la baie de Vigo, l'Atlantide, la banquise, le pôle sud, l'emprisonnement dans les glaces, le combat des poulpes, la tempête du Gulf-Stream, le Vengeur, et cette horrible scène du vaisseau coulé avec son équipage!... Tous ces événements passèrent devant mes yeux, comme ces toiles de fond qui se déroulent à l'arrière-plan d'un théâtre. Alors le capitaine Nemo grandissait démesurément dans ce milieu étrange. Son type s'accentuait et prenait des proportions surhumaines. Ce n'était plus mon semblable, c'était l'homme des eaux, le génie des mers. Il était alors neuf heures et demie. Je tenais ma tête à deux mains pour l'empêcher d'éclater. Je fermais les yeux. Je ne voulais plus penser. Une demi-heure d'attente encore! Une demi-heure d'un cauchemar qui pouvait me rendre fou! En ce moment, j'entendis les vagues accords de l'orgue, une harmonie triste sous un chant indéfinissable, véritables plaintes d'une âme qui veut briser ses liens terrestres. J'écoutai par tous mes sens à la fois, respirant à peine, plongé comme le capitaine Nemo dans ces extases musicales qui l'entraînaient hors des limites de ce monde. Puis, une pensée soudaine me terrifia. Le capitaine Nemo avait quitté sa chambre. Il était dans ce salon que je devais traverser pour fuir. Là, je le rencontrerais une dernière fois. Il me verrait, il me parlerait peut-être! Un geste de lui pouvait m'anéantir, un seul mot, m'enchaîner à son bord! Cependant, dix heures allaient sonner. Le moment était venu de quitter ma chambre et de rejoindre mes compagnons.

Il n'y avait pas à hésiter, dût le capitaine Nemo se dresser devant moi. J'ouvris ma porte avec précaution, et cependant, il me sembla qu'en tournant sur ses gonds, elle faisait un bruit effrayant. Peut-être ce bruit n'existait-il que dans mon imagination! Je m'avançai en rampant à travers les coursives obscures du Nautilus, m'arrêtant à chaque pas pour comprimer les battements de mon cœur. J'arrivai à la porte angulaire du salon. Je l'ouvris doucement. Le salon était plongé dans une obscurité profonde. Les accords de l'orgue raisonnaient faiblement. Le capitaine Nemo était là. Il ne me voyait pas. Je crois même qu'en pleine lumière, il ne m'eût pas aperçu, tant son extase l'absorbait tout entier. Je me traînai sur le tapis, évitant le moindre heurt dont le bruit eût pu trahir ma présence. Il me fallut cinq minutes pour gagner la porte du fond qui donnait sur la bibliothèque.

J'allais l'ouvrir, quand un soupir du capitaine Nemo me cloua sur place. Je compris qu'il se levait. Je l'entrevis même, car quelques rayons de la bibliothèque éclairée filtraient jusqu'au salon. Il vint vers moi, les bras croisés, silencieux, glissant plutôt que marchant, comme un spectre. Sa poitrine oppressée se gonflait de sanglots. Et je l'entendis murmurer ces paroles - les dernières qui aient frappé mon oreille: " Dieu tout puissant! assez! assez! " Était-ce l'aveu du remords qui s'échappait ainsi de la conscience de cet homme?... Éperdu, je me précipitai dans la bibliothèque. Je montai l'escalier central, et, suivant la coursive supérieure, j'arrivai au canot. J'y pénétrai par l'ouverture qui avait déjà livré passage à mes deux compagnons. " Partons! Partons! m'écriai-je. - A l'instant! " répondit le Canadien.

L'orifice évidé dans la tôle du Nautilus fut préalablement fermé et boulonné au moyen d'une clef anglaise dont Ned Land s'était muni. L'ouverture du canot se ferma également, et le Canadien commença à dévisser les écrous qui nous retenaient encore au bateau sous-marin. Soudain un bruit intérieur se fit entendre. Des voix se répondaient avec vivacité. Qu'y avait-il? S'était-on aperçu de notre fuite? Je sentis que Ned Land me glissait un poignard dans la main.

" Oui! murmurai-je, nous saurons mourir! " Le Canadien s'était arrêté dans son travail. Mais un mot, vingt fois répété, un mot terrible, me révéla la cause de cette agitation qui se propageait à bord du Nautilus. Ce n'était pas à nous que son équipage en voulait! " Maelstrom! Maelstrom! " s'écriait-il. Le Maelstrom! Un nom plus effrayant dans une situation plus effrayante pouvait-il retentir à notre oreille? Nous trouvions-nous donc sur ces dangereux parages de la côte norvégienne? Le Nautilus était-il entraîné dans ce gouffre, au moment où notre canot allait se détacher de ses flancs?

On sait qu'au moment du flux, les eaux resserrées entre les îles Feroë et Loffoden sont précipitées avec une irrésistible violence. Elles forment un tourbillon dont aucun navire n'a jamais pu sortir. De tous les points de l'horizon accourent des lames monstrueuses. Elles forment ce gouffre justement appelé le " Nombril de l'Océan ", dont la puissance d'attraction s'étend jusqu'à une distance de quinze kilomètres. Là sont aspirés non seulement les navires, mais les baleines, mais aussi les ours blancs des régions boréales.

C'est là que le Nautilus involontairement ou volontairement peut-être - avait été engagé par son capitaine. Il décrivait une spirale dont le rayon diminuait de plus en plus. Ainsi que lui, le canot, encore accroché à son flanc, était emporté avec une vitesse vertigineuse. Je le sentais. J'éprouvais ce tournoiement maladif qui succède à un mouvement de giration trop prolongé. Nous étions dans l'épouvante, dans l'horreur portée à son comble, la circulation suspendue, l'influence nerveuse annihilée, traversés de sueurs froides comme les sueurs de l'agonie! Et quel bruit autour de notre frêle canot! Quels mugissements que l'écho répétait à une distance de plusieurs milles! Quel fracas que celui de ces eaux brisées sur les roches aiguës du fond, là où les corps les plus durs se brisent, là où les troncs d'arbres s'usent et se font " une fourrure de poils ", selon l'expression norvégienne! Quelle situation! Nous étions ballottés affreusement. Le Nautilus se défendait comme un être humain. Ses muscles d'acier craquaient. Parfois il se dressait, et nous avec lui!

" Il faut tenir bon, dit Ned, et revisser les écrous! En restant attachés au Nautilus, nous pouvons nous sauver encore...! " Il n'avait pas achevé de parler, qu'un craquement se produisait. Les écrous manquaient, et le canot, arraché de son alvéole, était lancé comme la pierre d'une fronde au milieu du tourbillon. Ma tête porta sur une membrure de fer, et, sous ce choc violent, je perdis connaissance.

Partie II; Chapitre 22: LES DERNIERES PAROLES DU CAPITAINE NEMO Teil II; Kapitel 22: DIE LETZTEN WORTE VON KAPITÄN NEMO Part II; Chapter 22: CAPTAIN NEMO'S LAST WORDS Deel II; Hoofdstuk 22: DE LAATSTE WOORDEN VAN CAPTAIN NEMO Parte II; Capítulo 22: AS ÚLTIMAS PALAVRAS DO CAPITÃO NEMO

Les panneaux s'étaient refermés sur cette vision effrayante, mais la lumière n'avait pas été rendue au salon. A l'intérieur du Nautilus, ce n'étaient que ténèbres et silence. Inside the Nautilus it was darkness and silence. Il quittait ce lieu de désolation, à cent pieds sous les eaux, avec une rapidité prodigieuse. He left this desolate place, a hundred feet under the water, with prodigious rapidity. Où allait-il? Where was he going? Au nord ou au sud? Où fuyait cet homme après cette horrible représaille? Where was this man fleeing after this horrible retaliation?

J'étais rentré dans ma chambre où Ned et Conseil se tenaient silencieusement. I had returned to my room where Ned and Conseil were standing silently. J'éprouvais une insurmontable horreur pour le capitaine Nemo. I felt an insurmountable horror for Captain Nemo. Quoi qu'il eût souffert de la part des hommes, il n'avait pas le droit de punir ainsi. Whatever he had suffered at the hands of men, he had no right to punish like this. Il m'avait fait, sinon le complice, du moins le témoin de ses vengeances! He had made me, if not the accomplice, at least the witness of his vengeance! C'était déjà trop. It was already too much. A onze heures, la clarté électrique réapparut. At eleven o'clock the electric light reappeared. Je passai dans le salon. I went into the living room. Il était désert. It was deserted. Je consultai les divers instruments. I consulted the various instruments. Le Nautilus fuyait dans le nord avec une rapidité de vingt-cinq milles à l'heure, tantôt à la surface de la mer, tantôt à trente pieds au-dessous. The Nautilus fled in the north at a rapidity of twenty-five miles an hour, sometimes on the surface of the sea, sometimes thirty feet below. Relèvement fait sur la carte, je vis que nous passions à l'ouvert de la Manche, et que notre direction nous portait vers les mers boréales avec une incomparable vitesse. Reading on the chart, I saw that we were crossing the open of the Channel, and that our direction carried us towards the northern seas with incomparable speed. A peine pouvais-je saisir à leur rapide passage des squales au long nez, des squales-marteaux, des roussettes qui fréquentent ces eaux, de grands aigles de mer, des nuées d'hippocampes, semblables aux cavaliers du jeu d'échecs, des anguilles s'agitant comme les serpenteaux d'un feu d'artifice, des armées de crabes qui fuyaient obliquement en croisant leurs pinces sur leur carapace, enfin des troupes de marsouins qui luttaient de rapidité avec le Nautilus. Mais d'observer, d'étudier, de classer, il n'était plus question alors. But to observe, to study, to classify, it was no longer a question then. Le soir, nous avions franchi deux cents lieues de l'Atlantique. In the evening, we had crossed two hundred leagues of the Atlantic. L'ombre se fit, et la mer fut envahie par les ténèbres jusqu'au lever de la lune. Shadows fell, and the sea was invaded by darkness until the moon rose. Je regagnai ma chambre. I returned to my room. Je ne pus dormir. I couldn't sleep. J'étais assailli de cauchemars. I was assailed with nightmares. L'horrible scène de destruction se répétait dans mon esprit. The horrible scene of destruction repeated itself in my mind. Depuis ce jour, qui pourra dire jusqu'où nous entraîna le Nautilus dans ce bassin de l'Atlantique nord? From that day on, who can say how far the Nautilus took us in this basin of the North Atlantic? Toujours avec une vitesse inappréciable ! Always with invaluable speed! Toujours au milieu des brumes hyperboréennes! Toucha-t-il aux pointes du Spitzberg, aux accores de la Nouvelle-Zemble? Parcourut-il ces mers ignorées, la mer Blanche, la mer de Kara, le golfe de l'Obi, l'archipel de Liarrov, et ces rivages inconnus de la côte asiatique? Did he travel these unknown seas, the White Sea, the Kara Sea, the Gulf of Obi, the Liarrov Archipelago, and these unknown shores of the Asian coast? Je ne saurais le dire. Le temps qui s'écoulait je ne pouvais plus l'évaluer. L'heure avait été suspendue aux horloges du bord. Die Zeit war von den Uhren an Bord abgehängt worden. The time had been suspended from the clocks on board. Il semblait que la nuit et le jour, comme dans les contrées polaires, ne suivaient plus leur cours régulier. It seemed that night and day, as in the polar countries, no longer followed their regular course. Je me sentais entraîné dans ce domaine de l'étrange où se mouvait à l'aise l'imagination surmenée d'Edgard Poë. I felt myself drawn into that strange realm where Edgard Poë's overworked imagination moved easily. A chaque instant, je m'attendais à voir, comme le fabuleux Gordon Pym, " cette figure humaine voilée, de proportion beaucoup plus vaste que celle d'aucun habitant de la terre, jetée en travers de cette cataracte qui défend les abords du pôle " ! At every moment, I expected to see, like the fabulous Gordon Pym, "this veiled human figure, of much greater proportion than that of any inhabitant of the earth, thrown across this cataract that defends the edge of the pole. "! J'estime - mais je me trompe peut-être , j'estime que cette course aventureuse du Nautilus se prolongea pendant quinze ou vingt jours, et je ne sais ce qu'elle aurait duré, sans la catastrophe qui termina ce voyage. I estimate - but I am perhaps mistaken, I estimate that this adventurous course of the Nautilus lasted for fifteen or twenty days, and I do not know what it would have lasted, without the catastrophe which ended this voyage. Du capitaine Nemo, il n'était plus question. Captain Nemo was out of the question. De son second, pas davantage. Of his second, no more. Pas un homme de l'équipage ne fut visible un seul instant. Not a man of the crew was visible for a single moment. Presque incessamment, le Nautilus flottait sous les eaux. Almost immediately, the Nautilus was floating under the water. Quand il remontait à leur surface afin de renouveler son air, les panneaux s'ouvraient ou se refermaient automatiquement. When it rose to their surface to renew its air, the panels opened or closed automatically. Plus de point reporté sur le planisphère. No more point reported on the planisphere. Je ne savais où nous étions. I didn't know where we were. Je dirai aussi que le Canadien, à bout de forces et de patience, ne paraissait plus. I would also say that the Canadian, at the end of his strength and patience, no longer appeared. Conseil ne pouvait en tirer un seul mot, et craignait que, dans un accès de délire et sous l'empire d'une nostalgie effrayante, il ne se tuât. Conseil could not get a single word out of it, and feared that, in a fit of delirium and under the influence of frightful nostalgia, he would kill himself. Il le surveillait donc avec un dévouement de tous les instants. So he watched him with constant devotion. On comprend que, dans ces conditions, la situation n'était plus tenable. We understand that, under these conditions, the situation was no longer tenable. Un matin - à quelle date, je ne saurais le dire - je m'étais assoupi vers les premières heures du jour, assoupissement pénible et maladif. One morning - on what date, I can not say - I had fallen asleep towards the first hours of the day, slumber painful and sickly. Quand je m'éveillai, je vis Ned Land se pencher sur moi, et je l'entendis me dire à voix basse: When I awoke, I saw Ned Land lean over me, and I heard him say to me in a low voice: " Nous allons fuir! " "We are going to flee!" Je me redressai. I straightened up.

" Quand fuyons-nous? "When are we running away? demandai-je.

- La nuit prochaine. - The next night. Toute surveillance semble avoir disparu du Nautilus. All surveillance seems to have disappeared from the Nautilus. On dirait que la stupeur règne à bord. Looks like stupor reigns on board. Vous serez prêt, monsieur? Will you be ready, sir?

- Oui. Où sommes-nous?

- En vue de terres que je viens de relever ce matin au milieu des brumes, à vingt milles dans l'est. - In sight of lands which I have just surveyed this morning in the middle of the mists, twenty miles to the east. - Quelles sont ces terres? - What are these lands?

- Je l'ignore, mais quelles qu'elles soient, nous nous y réfugierons. - I don't know, but whatever they are, we'll take refuge there. - Oui! Ned. Oui, nous fuirons cette nuit, dût la mer nous engloutir! Yes, we will flee tonight, should the sea swallow us up!

- La mer est mauvaise, le vent violent, mais vingt milles à faire dans cette légère embarcation du Nautilus ne m'effraient pas. - The sea is rough, the wind violent, but twenty miles to go in this light boat of the Nautilus does not frighten me. J'ai pu y transporter quelques vivres et quelques bouteilles d'eau à l'insu de l'équipage. I was able to transport some food and a few bottles of water without the knowledge of the crew. - Je vous suivrai. - I'll follow you.

- D'ailleurs, ajouta le Canadien, si je suis surpris, je me défends, je me fais tuer. - Besides, added the Canadian, if I am surprised, I defend myself, I get killed. - Nous mourrons ensemble, ami Ned. " - We will die together, friend Ned. " J'étais décidé à tout. I was determined to do everything. Le Canadien me quitta. Je gagnai la plate-forme, sur laquelle je pouvais à peine me maintenir contre le choc des lames. I reached the platform, where I could barely hold myself against the shock of the blades. Le ciel était menaçant, mais puisque la terre était là dans ces brumes épaisses, il fallait fuir. The sky was threatening, but since the earth was there in these thick mists, we had to flee. Nous ne devions perdre ni un jour ni une heure. We were not to waste a day or an hour.

Je revins au salon, craignant et désirant tout à la fois de rencontrer le capitaine Nemo, voulant et ne voulant plus le voir. I returned to the living room, both fearing and wanting to meet Captain Nemo, wanting and not wanting to see him again. Que lui aurais-je dit? What would I have said to him? Pouvais-je lui cacher l'involontaire horreur qu'il m'inspirait! Could I hide from him the involuntary horror he inspired in me! Non! Mieux valait ne pas me trouver face à face avec lui! Better not find me face to face with him! Mieux valait l'oublier! Better to forget it! Et pourtant!

Combien fut longue cette journée, la dernière que je dusse passer à bord du Nautilus! How long was this day, the last I had to spend on board the Nautilus! Je restais seul. I was left alone. Ned Land et Conseil évitaient de me parler par crainte de se trahir.

A six heures, je dînai, mais je n'avais pas faim. Je me forçai à manger, malgré mes répugnances, ne voulant pas m'affaiblir. I forced myself to eat, despite my loathing, not wanting to weaken myself. A six heures et demi, Ned Land entra dans ma chambre. At half past six, Ned Land entered my room. Il me dit: He tells me :

" Nous ne nous reverrons pas avant notre départ. "We will not see each other again until we leave. A dix heures, la lune ne sera pas encore levée. Nous profiterons de l'obscurité. Venez au canot. Come to the canoe. Conseil et moi, nous vous y attendrons. " Puis le Canadien sortit, sans m'avoir donné le temps de lui répondre. Je voulus vérifier la direction du Nautilus. Je me rendis au salon. Nous courions nord-nord-est avec une vitesse effrayante, par cinquante mètres de profondeur. We were running north-northeast with frightening speed, fifty meters deep.

Je jetai un dernier regard sur ces merveilles de la nature, sur ces richesses de l'art entassées dans ce musée, sur cette collection sans rivale destinée à périr un jour au fond des mers avec celui qui l'avait formée. I took one last look at these wonders of nature, at these treasures of art piled up in this museum, at this unrivaled collection destined to perish one day at the bottom of the sea with the one who had formed it. Je voulus fixer dans mon esprit une impression suprême. I wanted to fix in my mind a supreme impression. Je restai une heure ainsi, baigné dans les effluves du plafond lumineux, et passant en revue ces trésors resplendissant sous leurs vitrines. I stayed an hour like this, bathed in the scents of the luminous ceiling, and reviewing these resplendent treasures under their windows. Puis, je revins à ma chambre.

Là, je revêtis de solides vêtements de mer. There I put on solid sea clothes. Je rassemblai mes notes et les serrai précieusement sur moi. I gathered my notes and held them securely on me. Mon cœur battait avec force. Je ne pouvais en comprimer les pulsations. I could not suppress the pulsations. Certainement, mon trouble, mon agitation m'eussent trahi aux yeux du capitaine Nemo. Certainly, my agitation, my agitation would have betrayed me in the eyes of Captain Nemo. Que faisait-il en ce moment? J'écoutai à la porte de sa chambre. I listened at her bedroom door. J'entendis un bruit de pas. I heard footsteps. Le capitaine Nemo était là. Il ne s'était pas couché. He hadn't gone to bed. A chaque mouvement, il me semblait qu'il allait m'apparaître et me demander pourquoi je voulais fuir! With each movement, it seemed to me that he was going to appear to me and ask me why I wanted to flee! J'éprouvais des alertes incessantes. I experienced incessant alarms. Mon imagination les grossissait. Cette impression devint si poignante que je me demandai s'il ne valait pas mieux entrer dans la chambre du capitaine, le voir face à face, le braver du geste et du regard! This feeling became so poignant that I wondered if it was not better to enter the captain's room, to see him face to face, to defy him with gestures and eyes! C'était une inspiration de fou. It was a crazy inspiration. Je me retins heureusement, et je m'étendis sur mon lit pour apaiser en moi les agitations du corps. I held back happily, and I stretched out on my bed to calm the restlessness of the body within me. Mes nerfs se calmèrent un peu, mais, le cerveau surexcité, je revis dans un rapide souvenir toute mon existence à bord du Nautilus, tous les incidents heureux ou malheureux qui l'avaient traversée depuis ma disparition de l'Abraham-Lincoln, les chasses sous-marines, le détroit de Torrès, les sauvages de la Papouasie, l'échouement, le cimetière de corail, le passage de Suez, l'île de Santorin, le plongeur crétois, la baie de Vigo, l'Atlantide, la banquise, le pôle sud, l'emprisonnement dans les glaces, le combat des poulpes, la tempête du Gulf-Stream, le Vengeur, et cette horrible scène du vaisseau coulé avec son équipage!... Tous ces événements passèrent devant mes yeux, comme ces toiles de fond qui se déroulent à l'arrière-plan d'un théâtre. All these events passed before my eyes, like those backdrops that unfold in the background of a theatre. Alors le capitaine Nemo grandissait démesurément dans ce milieu étrange. Son type s'accentuait et prenait des proportions surhumaines. His type was accentuated and assumed superhuman proportions. Ce n'était plus mon semblable, c'était l'homme des eaux, le génie des mers. He was no longer like me, he was the man of the waters, the genius of the seas. Il était alors neuf heures et demie. Je tenais ma tête à deux mains pour l'empêcher d'éclater. Je fermais les yeux. Je ne voulais plus penser. Une demi-heure d'attente encore! Une demi-heure d'un cauchemar qui pouvait me rendre fou! En ce moment, j'entendis les vagues accords de l'orgue, une harmonie triste sous un chant indéfinissable, véritables plaintes d'une âme qui veut briser ses liens terrestres. At this moment, I heard the vague chords of the organ, a sad harmony under an indefinable song, true complaints of a soul which wants to break its earthly bonds. J'écoutai par tous mes sens à la fois, respirant à peine, plongé comme le capitaine Nemo dans ces extases musicales qui l'entraînaient hors des limites de ce monde. I listened through all my senses at the same time, barely breathing, immersed like Captain Nemo in these musical ecstasies which dragged him beyond the limits of this world. Puis, une pensée soudaine me terrifia. Then, a sudden thought terrified me. Le capitaine Nemo avait quitté sa chambre. Captain Nemo had left his room. Il était dans ce salon que je devais traverser pour fuir. He was in this living room that I had to cross to escape. Là, je le rencontrerais une dernière fois. There, I would meet him one last time. Il me verrait, il me parlerait peut-être! He would see me, maybe he would talk to me! Un geste de lui pouvait m'anéantir, un seul mot, m'enchaîner à son bord! A gesture of him could destroy me, a single word, chain me on board! Cependant, dix heures allaient sonner. However, ten o'clock would strike. Le moment était venu de quitter ma chambre et de rejoindre mes compagnons. The time had come to leave my room and join my companions.

Il n'y avait pas à hésiter, dût le capitaine Nemo se dresser devant moi. Es gab kein Zögern, musste Kapitän Nemo vor mir stehen. There was no hesitation, had Captain Nemo stand in front of me. J'ouvris ma porte avec précaution, et cependant, il me sembla qu'en tournant sur ses gonds, elle faisait un bruit effrayant. I opened my door cautiously, and yet it seemed to me that as it turned on its hinges, it made a frightful noise. Peut-être ce bruit n'existait-il que dans mon imagination! Je m'avançai en rampant à travers les coursives obscures du Nautilus, m'arrêtant à chaque pas pour comprimer les battements de mon cœur. J'arrivai à la porte angulaire du salon. Je l'ouvris doucement. Le salon était plongé dans une obscurité profonde. The living room was plunged into deep darkness. Les accords de l'orgue raisonnaient faiblement. The organ chords reasoned weakly. Le capitaine Nemo était là. Il ne me voyait pas. He couldn't see me. Je crois même qu'en pleine lumière, il ne m'eût pas aperçu, tant son extase l'absorbait tout entier. I even believe that in broad daylight he would not have seen me, so much his ecstasy absorbed him completely. Je me traînai sur le tapis, évitant le moindre heurt dont le bruit eût pu trahir ma présence. I dragged myself on the carpet, avoiding the slightest knock, the noise of which might have betrayed my presence. Il me fallut cinq minutes pour gagner la porte du fond qui donnait sur la bibliothèque. It took me five minutes to reach the back door that opened onto the library.

J'allais l'ouvrir, quand un soupir du capitaine Nemo me cloua sur place. I was about to open it, when a sigh from Captain Nemo nailed me to the spot. Je compris qu'il se levait. I understood he was getting up. Je l'entrevis même, car quelques rayons de la bibliothèque éclairée filtraient jusqu'au salon. I even saw it, for a few shelves from the lighted library filtered into the living room. Il vint vers moi, les bras croisés, silencieux, glissant plutôt que marchant, comme un spectre. He came towards me, arms crossed, silent, sliding rather than walking, like a specter. Sa poitrine oppressée se gonflait de sanglots. Her oppressed chest swelled with sobs. Et je l'entendis murmurer ces paroles - les dernières qui aient frappé mon oreille: And I heard him whisper these words - the last that hit my ear: " Dieu tout puissant! " Almighty God ! assez! enough ! assez! " Était-ce l'aveu du remords qui s'échappait ainsi de la conscience de cet homme?... Was it the admission of remorse which thus escaped from the conscience of this man? ... Éperdu, je me précipitai dans la bibliothèque. Distraught, I rushed into the library. Je montai l'escalier central, et, suivant la coursive supérieure, j'arrivai au canot. I went up the central staircase, and following the upper passageway, I reached the boat. J'y pénétrai par l'ouverture qui avait déjà livré passage à mes deux compagnons. I entered through the opening which had already given way to my two companions. " Partons! "Let's go! Partons! m'écriai-je. - A l'instant! " - Just now ! " répondit le Canadien.

L'orifice évidé dans la tôle du Nautilus fut préalablement fermé et boulonné au moyen d'une clef anglaise dont Ned Land s'était muni. Die Öffnung im Blech der Nautilus wurde zuvor mit einem Schraubenschlüssel, den Ned Land dabei hatte, verschlossen und verschraubt. The hole hollowed out in the sheet metal of the Nautilus was previously closed and bolted using an adjustable wrench which Ned Land had provided himself with. L'ouverture du canot se ferma également, et le Canadien commença à dévisser les écrous qui nous retenaient encore au bateau sous-marin. The opening of the canoe also closed, and the Canadian began to unscrew the nuts that still held us to the submarine boat. Soudain un bruit intérieur se fit entendre. Suddenly an internal noise was heard. Des voix se répondaient avec vivacité. Voices answered each other vivaciously. Qu'y avait-il? What was there? S'était-on aperçu de notre fuite? Did we notice our flight? Je sentis que Ned Land me glissait un poignard dans la main. I felt Ned Land slipping a dagger into my hand.

" Oui! " Yes ! murmurai-je, nous saurons mourir! " Wir werden zu sterben wissen! " I whispered, we will know how to die! " Le Canadien s'était arrêté dans son travail. The Canadian had stopped in his work. Mais un mot, vingt fois répété, un mot terrible, me révéla la cause de cette agitation qui se propageait à bord du Nautilus. But a word, repeated twenty times, a terrible word, revealed to me the cause of this agitation which was spreading on board the Nautilus. Ce n'était pas à nous que son équipage en voulait! Die Crew hatte es nicht auf uns abgesehen. It wasn't us that his crew wanted! " Maelstrom! "Maelstrom! Maelstrom! " s'écriait-il. he cried. Le Maelstrom! The Maelstrom! Un nom plus effrayant dans une situation plus effrayante pouvait-il retentir à notre oreille? Could a scarier name in a scarier situation ring in our ears? Nous trouvions-nous donc sur ces dangereux parages de la côte norvégienne? So were we in these dangerous parts of the Norwegian coast? Le Nautilus était-il entraîné dans ce gouffre, au moment où notre canot allait se détacher de ses flancs? Was the Nautilus dragged into this abyss just as our boat was about to break loose from its sides?

On sait qu'au moment du flux, les eaux resserrées entre les îles Feroë et Loffoden sont précipitées avec une irrésistible violence. We know that at the moment of the tide, the waters constricted between the islands of Feroë and Loffoden are precipitated with irresistible violence. Elles forment un tourbillon dont aucun navire n'a jamais pu sortir. They form a whirlpool from which no ship has ever been able to emerge. De tous les points de l'horizon accourent des lames monstrueuses. From all points of the horizon run monstrous waves. Elles forment ce gouffre justement appelé le " Nombril de l'Océan ", dont la puissance d'attraction s'étend jusqu'à une distance de quinze kilomètres. They form this chasm aptly called the "Navel of the Ocean", whose power of attraction extends to a distance of fifteen kilometers. Là sont aspirés non seulement les navires, mais les baleines, mais aussi les ours blancs des régions boréales. There are sucked not only ships, but whales, but also polar bears from the boreal regions.

C'est là que le Nautilus involontairement ou volontairement peut-être - avait été engagé par son capitaine. It was there that the Nautilus unwittingly or willingly perhaps - had been hired by its captain. Il décrivait une spirale dont le rayon diminuait de plus en plus. He described a spiral whose radius was decreasing more and more. Ainsi que lui, le canot, encore accroché à son flanc, était emporté avec une vitesse vertigineuse. Like him, the canoe, still hanging on its side, was carried away with dizzying speed. Je le sentais. I felt it. J'éprouvais ce tournoiement maladif qui succède à un mouvement de giration trop prolongé. I experienced this sickly spinning which follows a too prolonged gyration movement. Nous étions dans l'épouvante, dans l'horreur portée à son comble, la circulation suspendue, l'influence nerveuse annihilée, traversés de sueurs froides comme les sueurs de l'agonie! We were in terror, in horror carried to its height, the traffic suspended, the nervous influence annihilated, crossed with cold sweats like the sweats of agony! Et quel bruit autour de notre frêle canot! And what a noise around our frail canoe! Quels mugissements que l'écho répétait à une distance de plusieurs milles! What bellowings the echo repeated at a distance of several miles! Quel fracas que celui de ces eaux brisées sur les roches aiguës du fond, là où les corps les plus durs se brisent, là où les troncs d'arbres s'usent et se font " une fourrure de poils ", selon l'expression norvégienne! What a crash that of these broken waters on the sharp rocks of the bottom, where the hardest bodies break, where the trunks of trees wear out and become "a fur of hair", to use the Norwegian expression ! Quelle situation! Nous étions ballottés affreusement. We were tossed around terribly. Le Nautilus se défendait comme un être humain. The Nautilus defended itself like a human being. Ses muscles d'acier craquaient. His steel muscles crunched. Parfois il se dressait, et nous avec lui!

" Il faut tenir bon, dit Ned, et revisser les écrous! “We must hold on, said Ned, and screw the nuts back on! En restant attachés au Nautilus, nous pouvons nous sauver encore...! " By remaining attached to the Nautilus, we can save ourselves again ...! " Il n'avait pas achevé de parler, qu'un craquement se produisait. He had not finished speaking, a cracking sound occurred. Les écrous manquaient, et le canot, arraché de son alvéole, était lancé comme la pierre d'une fronde au milieu du tourbillon. The nuts were missing, and the canoe, torn from its socket, was thrown like a stone from a slingshot into the midst of the whirlwind. Ma tête porta sur une membrure de fer, et, sous ce choc violent, je perdis connaissance. My head fell on an iron frame, and, under this violent shock, I lost consciousness.