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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret

Je suis passé une fois encore sous la fenêtre. La vitre est toujours poussiéreuse et blanchie par le double rideau qui est derrière. Yvonne de Galais l'ouvrirait-elle que je n'aurais rien à lui dire puisqu'elle est mariée... Que faire, maintenant? Comment vivre?... Samedi 13 février. J'ai rencontré, sur le quai, cette jeune fille qui m'avait renseigné au mois de juin, qui attendait comme moi devant la maison fermée... Je lui ai parlé. Tandis qu'elle marchait, je regardais de côté les légers défauts de son visage: une petite ride au coin des lèvres, un peu d'affaissement aux joues, et de la poudre accumulée aux ailes du nez. Elle s'est retournée tout d'un coup et me regardant bien en face, peut-être parce qu'elle est plus belle de face que de profil, elle m'a dit d'une voix brève: "Vous m'amusez beaucoup. Vous me rappelez un jeune homme qui me faisait la cour, autrefois, à Bourges. Il était même mon fiancé..." Cependant à la nuit pleine, sur le trottoir désert et mouillé qui reflète la lueur d'un bec de gaz, elle s'est approchée de moi tout d'un coup, pour me demander de l'emmener ce soir au théâtre avec sa soeur. Je remarque pour la première fois qu'elle est habillée de deuil, avec un chapeau de dame trop vieux pour sa jeune figure, un haut parapluie fin, pareil à une canne. Et comme je suis tout près d'elle, quand je fais un geste mes ongles griffent le crêpe de son corsage... Je fais des difficultés pour accorder ce qu'elle demande. Fâchée, elle veut partir tout de suite. Et c'est moi, maintenant qui la retiens et la prie. Alors un ouvrier qui passe dans l'obscurité plaisante à mi-voix: "N'y va pas, ma petite, il te ferait mal!" Et nous sommes restés, tous les deux, interdits. Au théâtre. Les deux jeunes filles, mon amie qui s'appelle Valentine Blondeau et sa soeur, sont arrivées avec de pauvres écharpes. Valentine est placée devant moi. A chaque instant elle se retourne, inquiète, comme se demandant ce que je lui veux. Et moi, je me sens près d'elle, presque heureux; je lui réponds chaque fois par un sourire. Tout autour de nous, il y avait des femmes trop décolletées. Et nous plaisantions. Elle souriait d'abord, puis elle dit: "Il ne faut pas que je rie. Moi aussi je suis trop décolletée". Et elle s'est enveloppée dans son écharpe. En effet sous le carré de dentelle noire, on voyait que, dans sa hâte à changer de toilette, elle avait refoulé le haut de sa simple chemise montante. Il y a en elle je ne sais quoi de pauvre et de puéril; il y a dans son regard je ne sais quel air souffrant et hasardeux qui m'attire. Près d'elle, le seul être au monde qui ait pu me renseigner sur les gens du Domaine, je ne cesse de penser à mon étrange aventure de jadis... J'ai voulu l'interroger de nouveau sur le petit hôtel du boulevard. Mais à son tour, elle m'a posé des questions si gênantes que je n'ai su rien répondre. Je sens que désormais nous serons, tous les deux, muets sur ce sujet. Et pourtant je sais aussi que je la reverrai. A quoi bon? Et pourquoi?... Suis-je condamné maintenant à suivre à la trace tout être qui portera en soi le plus vague, le plus lointain relent de mon aventure manquée?... A minuit, seul, dans la rue déserte, je me demande ce que me veut cette nouvelle et bizarre histoire? Je marche le long des maisons pareilles à des boîtes en carton alignées, dans lesquelles tout un peuple dort. Et je me souviens tout à coup d'une décision que j'avais prise l'autre mois: j'avais résolu d'aller là-bas en pleine nuit, vers une heure du matin, de contourner l'hôtel, d'ouvrir la porte du jardin, d'entrer comme un voleur et de chercher un indice quelconque qui me permit de retrouver le Domaine perdu, pour la revoir, seulement la revoir... Mais je suis fatigué. J'ai faim. Moi aussi je me suis hâté de changer de costume, avant le théâtre, et je n'ai pas dîné... Agité, inquiet pourtant, je reste longtemps assis sur le bord de mon lit, avant de me coucher, en proie à un vague remords. Pourquoi? Je note encore ceci: elles n'ont pas voulu ni que je les reconduise, ni me dire où elles demeuraient. Mais je les ai suivies aussi longtemps que j'ai pu. Je sais qu'elles habitent une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame. Mais à quel numéro?... J'ai deviné qu'elles étaient couturières ou modistes. En se cachant de sa soeur, Valentine m'a donné rendez-vous pour jeudi, à quatre heures, devant le même théâtre où nous sommes allés. "Si je n'étais pas là jeudi, a-t-elle dit, revenez vendredi à la même heure, puis samedi, et ainsi de suite, tous les jours". Jeudi 18 février. Je suis parti pour l'attendre dans le grand vent qui charrie de la pluie. On se disait à chaque instant: il va finir par pleuvoir... Je marche dans la demi-obscurité des rues, un poids sur le coeur. Il tombe une goutte d'eau. Je crains qu'il ne pleuve: une averse peut l'empêcher de venir. Mais le vent se reprend à souffler et la pluie ne tombe pas cette fois encore. Là-haut, dans le gris après-midi du ciel tantôt gris et tantôt éclatant un grand nuage a dû céder au vent. Et je suis ici terré dans une attente misérable... Devant le théâtre. Au bout d'un quart d'heure je suis certain qu'elle ne viendra pas. Du quai où je suis, je surveille au loin, sur le pont par lequel elle aurait dû venir, le défilé des gens qui passent. J'accompagne du regard toutes les jeunes femmes en deuil que je vois venir et je me sens presque de la reconnaissance pour celles qui, le plus longtemps, le plus près de moi, lui ont ressemblé et m'ont fait espérer... Une heure d'attente. Je suis las. A la tombée de la nuit, un gardien de la paix traîne au poste voisin un voyou qui lui jette d'une voix étouffée toutes les injures, toutes les ordures qu'il sait. L'agent est furieux, pâle, muet... Dès le couloir il commence à cogner, puis il referme sur eux la porte pour battre le misérable tout à l'aise... Il me vient cette pensée affreuse que j'ai renoncé au paradis et que je suis en train de piétiner aux portes de l'enfer. De guerre lasse, je quitte l'endroit et je gagne cette rue étroite et basse, entre la Seine et Notre-Dame, où je connais à peu près la place de leur maison. Tout seul, je vais et viens. De temps à autre une bonne ou une ménagère sort sous la petite pluie pour faire avant la nuit ses emplettes... Il n'y a rien, ici, pour moi, et je m'en vais... Je repasse, dans la pluie claire qui retarde la nuit, sur la place où nous devions nous attendre. Il y a plus de monde que tout à l'heure une foule noire... Suppositions. Désespoir. Fatigue. Je me raccroche à cette pensée: demain. Demain, à la même heure, en ce même endroit, je reviendrai l'attendre. Et j'ai grand hâte que demain soit arrivé. Avec ennui j'imagine la soirée d'aujourd'hui, puis la matinée du lendemain, que je vais passer dans le désoeuvrement... Mais déjà cette journée n'est-elle pas presque finie?... Rentré chez moi, près du feu, j'entends crier les journaux du soir. Sans doute, de sa maison perdue quelque part dans la ville, auprès de Notre-Dame, elle les entend aussi. Elle... Je veux dire: Valentine. Cette soirée que j'avais voulu escamoter me pèse étrangement. Tandis que l'heure avance, que ce jour-là va bientôt finir et que déjà je le voudrai fini, il y a des hommes qui lui ont confié tout leur espoir, tout leur amour et leurs dernières forces. Il y a des hommes mourants, d'autres qui attendent une échéance, et qui voudraient que ce ne soit jamais demain. Il y en a d'autres pour qui demain pointera comme un remords. D'autres qui sont fatigués, et cette nuit ne sera jamais assez longue pour leur donner tout le repos qu'il faudrait. Et moi, moi qui a perdu ma journée, de quel droit est-ce que j'ose appeler demain? Vendredi soir. J'avais pensé écrire à la suite: "Je ne l'ai pas revue". Et tout aurait été fini. Mais en arrivant ce soir, à quatre heures, au coin du théâtre: la voici. Fine et grave, vêtue de noir, mais avec de la poudre au visage et une collerette qui lui donne l'air d'un pierrot coupable. Un air à la fois douloureux et malicieux. C'est pour me dire qu'elle veut me quitter tout de suite, qu'elle ne viendra plus. .. . Et pourtant, à la tombée de la nuit, nous voici encore tous les deux, marchant lentement l'un près de l'autre, sur le gravier des Tuileries. Elle me raconte son histoire mais d'une façon si enveloppée que je comprends mal. Elle dit: "mon amant" en parlant de ce fiancé qu'elle n'a pas épousé. Elle le fait exprès, je pense, pour me choquer et pour que je ne m'attache point à elle. Il y a des phrases d'elle que je transcris de mauvaise grâce: "N'ayez aucune confiance en moi, dit-elle, je n'ai jamais fait que des folies. "J'ai couru des chemins, toute seule. "J'ai désespéré mon fiancé. Je l'ai abandonné parce qu'il m'admirait trop; il ne me voyait qu'en imagination et non point telle que j'étais. Or, je suis pleine de défauts. Nous aurions été très malheureux". A chaque instant, je la surprends en train de se faire plus mauvaise qu'elle n'est. Je pense qu'elle veut se prouver à elle-même qu'elle a eu raison jadis de faire la sottise dont elle parle, qu'elle n'a rien à regretter et n'était pas digne du bonheur qui s'offrait à elle. Une autre fois: "Ce qui me plaît en vous, m'a-t-elle dit en me regardant longuement, ce qui me plaît en vous, je ne puis savoir pourquoi, ce sont mes souvenirs..." Une autre fois: "Je l'aime encore, disait-elle, plus que vous ne pensez". Et puis soudain, brusquement, brutalement, tristement: "Enfin, qu'est-ce que vous voulez? Est-ce que vous m'aimez, vous aussi? Vous aussi, vous allez me demander ma main?..." J'ai balbutié. Je ne sais pas ce que j'ai répondu. Peut-être ai-je dit: "Oui". Cette espèce de journal s'interrompait là. Commençaient alors des brouillons de lettres illisibles, informes, raturés. Précaire fiançailles!... La jeune fille, sur la prière de Meaulnes, avait abandonné son métier. Lui s'était occupé des préparatifs du mariage.Mais sans cesse repris par le désir de chercher encore, de partir encore sur la trace de son amour perdu, il avait dû, sans doute, plusieurs fois disparaître; et, dans ces lettres, avec un embarras tragique, il cherchait à se justifier devant Valentine.


Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret Le Grand meaulnes - dritter Teil - Kapitel 13 - Das Geheimnis Le Grand meaulnes - part three - chapter 13 - The secret

Je suis passé une fois encore sous la fenêtre. I went under the window once again. La vitre est toujours poussiéreuse et blanchie par le double rideau qui est derrière. The window is still dusty and white with the double curtain behind it. Yvonne de Galais l'ouvrirait-elle que je n'aurais rien à lui dire puisqu'elle est mariée... Que faire, maintenant? Yvonne de Galais would open it that I have nothing to say to him since she is married ... What to do now? Comment vivre?... How to live... Samedi 13 février. Saturday, February 13. J'ai rencontré, sur le quai, cette jeune fille qui m'avait renseigné au mois de juin, qui attendait comme moi devant la maison fermée... Je lui ai parlé. I met on the platform, this girl who had informed me in June, who was waiting like me in front of the house closed ... I spoke to him. Tandis qu'elle marchait, je regardais de côté les légers défauts de son visage: une petite ride au coin des lèvres, un peu d'affaissement aux joues, et de la poudre accumulée aux ailes du nez. As she walked, I looked sideways at the slight defects of her face: a little wrinkle at the corner of her lips, a little sagging cheeks, and powder accumulated at the wings of her nose. Elle s'est retournée tout d'un coup et me regardant bien en face, peut-être parce qu'elle est plus belle de face que de profil, elle m'a dit d'une voix brève: "Vous m'amusez beaucoup. She suddenly turned and looked me straight in the face, perhaps because she is more beautiful in the face than in profile, she said to me in a short voice: "You amuse me a lot . Vous me rappelez un jeune homme qui me faisait la cour, autrefois, à Bourges. You remind me of a young man who once courted me in Bourges. Il était même mon fiancé..." Cependant à la nuit pleine, sur le trottoir désert et mouillé qui reflète la lueur d'un bec de gaz, elle s'est approchée de moi tout d'un coup, pour me demander de l'emmener ce soir au théâtre avec sa soeur. He was even my fiancé ... "However, at full night, on the desolate and wet sidewalk that reflects the light of a gas beak, she approached me all of a sudden, asking me to take tonight to the theater with her sister. Je remarque pour la première fois qu'elle est habillée de deuil, avec un chapeau de dame trop vieux pour sa jeune figure, un haut parapluie fin, pareil à une canne. I notice for the first time that she is dressed in mourning, with a lady's hat too old for her young figure, a tall umbrella, like a cane. Et comme je suis tout près d'elle, quand je fais un geste mes ongles griffent le crêpe de son corsage... Je fais des difficultés pour accorder ce qu'elle demande. And as I'm close to her, when I make a gesture my nails scratch the crepe of her bodice ... I'm having trouble granting what she asks. Fâchée, elle veut partir tout de suite. Angry, she wants to leave right away. Et c'est moi, maintenant qui la retiens et la prie. And it's me now holding her and praying her. Alors un ouvrier qui passe dans l'obscurité plaisante à mi-voix: "N'y va pas, ma petite, il te ferait mal!" Then a worker who passes in the dark pleasant joking: "Do not go, my little one, it will hurt you!" Et nous sommes restés, tous les deux, interdits. And we both remained banned. Au théâtre. At the theatre. Les deux jeunes filles, mon amie qui s'appelle Valentine Blondeau et sa soeur, sont arrivées avec de pauvres écharpes. The two girls, my friend named Valentine Blondeau and her sister, arrived with poor scarves. Valentine est placée devant moi. Valentine is placed in front of me. A chaque instant elle se retourne, inquiète, comme se demandant ce que je lui veux. Every moment she turns around, worried, as if wondering what I want from her. Et moi, je me sens près d'elle, presque heureux; je lui réponds chaque fois par un sourire. And I feel myself near her, almost happy; I answer him each time with a smile. Tout autour de nous, il y avait des femmes trop décolletées. All around us, there were women too low-cut. Et nous plaisantions. And we joked. Elle souriait d'abord, puis elle dit: "Il ne faut pas que je rie. She smiled first, then she said, "I must not laugh. Moi aussi je suis trop décolletée". Me too I am too low-cut ". Et elle s'est enveloppée dans son écharpe. And she wrapped herself in her scarf. En effet sous le carré de dentelle noire, on voyait que, dans sa hâte à changer de toilette, elle avait refoulé le haut de sa simple chemise montante. Indeed, under the black lace square, one could see that, in her haste to change her dress, she had pushed back the top of her simple shirt. Il y a en elle je ne sais quoi de pauvre et de puéril; il y a dans son regard je ne sais quel air souffrant et hasardeux qui m'attire. There is something in her that is poor and puerile; there is in his look I do not know what painful and dangerous air that attracts me. Près d'elle, le seul être au monde qui ait pu me renseigner sur les gens du Domaine, je ne cesse de penser à mon étrange aventure de jadis... J'ai voulu l'interroger de nouveau sur le petit hôtel du boulevard. Near her, the only person in the world who could tell me about the people of the Domaine, I never stop thinking about my strange adventure ... I wanted to ask him again about the small hotel on the boulevard . Mais à son tour, elle m'a posé des questions si gênantes que je n'ai su rien répondre. But in her turn, she asked me questions so embarrassing that I could not answer anything. Je sens que désormais nous serons, tous les deux, muets sur ce sujet. I feel that from now on we will be both dumb on this subject. Et pourtant je sais aussi que je la reverrai. And yet I know that I will see her again. A quoi bon? What's the point? Et pourquoi?... And why?... Suis-je condamné maintenant à suivre à la trace tout être qui portera en soi le plus vague, le plus lointain relent de mon aventure manquée?... Am I now condemned to follow the trail of every being who will carry in itself the vaguest, most distant hint of my failed adventure? ... A minuit, seul, dans la rue déserte, je me demande ce que me veut cette nouvelle et bizarre histoire? At midnight, alone, in the deserted street, I wonder what this new and bizarre story wants me? Je marche le long des maisons pareilles à des boîtes en carton alignées, dans lesquelles tout un peuple dort. I walk along houses like cardboard boxes lined up, in which a whole people sleeps. Et je me souviens tout à coup d'une décision que j'avais prise l'autre mois: j'avais résolu d'aller là-bas en pleine nuit, vers une heure du matin, de contourner l'hôtel, d'ouvrir la porte du jardin, d'entrer comme un voleur et de chercher un indice quelconque qui me permit de retrouver le Domaine perdu, pour la revoir, seulement la revoir... Mais je suis fatigué. And I suddenly remember a decision I made the other month: I had resolved to go there in the middle of the night, around one o'clock in the morning, to get around the hotel, to open the gate of the garden, to enter like a thief and to look for some clue that allowed me to find the Lost Domain, to see it again, only to see it again ... But I am tired. J'ai faim. I'm hungry. Moi aussi je me suis hâté de changer de costume, avant le théâtre, et je n'ai pas dîné... Agité, inquiet pourtant, je reste longtemps assis sur le bord de mon lit, avant de me coucher, en proie à un vague remords. I also hastened to change my costume, before the theater, and I did not have dinner ... Agitated, worried, however, I sit a long time on the edge of my bed, before going to bed, prey to a vague remorse. Pourquoi? Why? Je note encore ceci: elles n'ont pas voulu ni que je les reconduise, ni me dire où elles demeuraient. I note again: they did not want me to go back and tell me where they were staying. Mais je les ai suivies aussi longtemps que j'ai pu. But I followed them as long as I could. Je sais qu'elles habitent une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame. I know they live on a small street that runs around Notre-Dame. Mais à quel numéro?... But which number? J'ai deviné qu'elles étaient couturières ou modistes. I guessed they were seamstresses or milliners. En se cachant de sa soeur, Valentine m'a donné rendez-vous pour jeudi, à quatre heures, devant le même théâtre où nous sommes allés. While hiding from her sister, Valentine gave me an appointment for Thursday, at four o'clock, in front of the same theater where we went. "Si je n'étais pas là jeudi, a-t-elle dit, revenez vendredi à la même heure, puis samedi, et ainsi de suite, tous les jours". "If I was not here Thursday, she said, come back Friday at the same time, then Saturday, and so on, every day." Jeudi 18 février. Thursday, February 18th. Je suis parti pour l'attendre dans le grand vent qui charrie de la pluie. I left to wait for him in the big wind that carries rain. On se disait à chaque instant: il va finir par pleuvoir... Je marche dans la demi-obscurité des rues, un poids sur le coeur. We said to each other every moment: it will end up raining ... I walk in the semi-darkness of the streets, a weight on the heart. Il tombe une goutte d'eau. He drops a drop of water. Je crains qu'il ne pleuve: une averse peut l'empêcher de venir. I'm afraid it's raining: a shower can keep him from coming. Mais le vent se reprend à souffler et la pluie ne tombe pas cette fois encore. But the wind resumes to blow and the rain does not fall this time again. Là-haut, dans le gris après-midi du ciel tantôt gris et tantôt éclatant un grand nuage a dû céder au vent. Up there, in the gray afternoon of the sky, sometimes gray and sometimes blazing, a great cloud must have yielded to the wind. Et je suis ici terré dans une attente misérable... Devant le théâtre. And here I am buried in a miserable wait ... In front of the theater. Au bout d'un quart d'heure je suis certain qu'elle ne viendra pas. After a quarter of an hour I am sure she will not come. Du quai où je suis, je surveille au loin, sur le pont par lequel elle aurait dû venir, le défilé des gens qui passent. From the wharf where I am, I watch in the distance, on the bridge by which she should have come, the parade of people passing by. J'accompagne du regard toutes les jeunes femmes en deuil que je vois venir et je me sens presque de la reconnaissance pour celles qui, le plus longtemps, le plus près de moi, lui ont ressemblé et m'ont fait espérer... Une heure d'attente. I look closely at all the young women in mourning that I see coming and I feel almost gratitude for those who, the longest, closest to me, have looked like him and made me hope ... waiting time. Je suis las. I am tired. A la tombée de la nuit, un gardien de la paix traîne au poste voisin un voyou qui lui jette d'une voix étouffée toutes les injures, toutes les ordures qu'il sait. At nightfall, a guard of the peace drags a thug to the next station, who throws in a stifled voice all the insults, all the garbage he knows. L'agent est furieux, pâle, muet... Dès le couloir il commence à cogner, puis il referme sur eux la porte pour battre le misérable tout à l'aise... Il me vient cette pensée affreuse que j'ai renoncé au paradis et que je suis en train de piétiner aux portes de l'enfer. The agent is furious, pale, dumb ... From the corridor he begins to bang, then he closes the door on them to beat the wretch at ease ... It comes to me this terrible thought that I gave up in paradise and I'm trampling at the gates of hell. De guerre lasse, je quitte l'endroit et je gagne cette rue étroite et basse, entre la Seine et Notre-Dame, où je connais à peu près la place de leur maison. Weary of war, I leave the place and I gain this narrow and low street, between the Seine and Notre-Dame, where I know about the place of their house. Tout seul, je vais et viens. Alone, I come and go. De temps à autre une bonne ou une ménagère sort sous la petite pluie pour faire avant la nuit ses emplettes... Il n'y a rien, ici, pour moi, et je m'en vais... Je repasse, dans la pluie claire qui retarde la nuit, sur la place où nous devions nous attendre. From time to time a maid or housewife comes out in the rain to do before the night shopping ... There is nothing here for me, and I'm leaving ... I go back, in the clear rain that delays the night, on the place where we had to expect. Il y a plus de monde que tout à l'heure une foule noire... Suppositions. There are more people than before a black crowd ... Suppositions. Désespoir. Despair. Fatigue. Tired. Je me raccroche à cette pensée: demain. I cling to this thought: tomorrow. Demain, à la même heure, en ce même endroit, je reviendrai l'attendre. Tomorrow, at the same time, in this same place, I will come back and wait for him. Et j'ai grand hâte que demain soit arrivé. And I can not wait for tomorrow to arrive. Avec ennui j'imagine la soirée d'aujourd'hui, puis la matinée du lendemain, que je vais passer dans le désoeuvrement... Mais déjà cette journée n'est-elle pas presque finie?... With boredom I imagine the evening of today, then the morning of the next day, that I will spend in idleness ... But already this day is not it almost finished? Rentré chez moi, près du feu, j'entends crier les journaux du soir. Back home, near the fire, I hear screaming evening newspapers. Sans doute, de sa maison perdue quelque part dans la ville, auprès de Notre-Dame, elle les entend aussi. No doubt, from her house lost somewhere in the city, near Notre Dame, she hears them too. Elle... Je veux dire: Valentine. She ... I mean, Valentine. Cette soirée que j'avais voulu escamoter me pèse étrangement. This evening that I wanted to retreat weighs me strangely. Tandis que l'heure avance, que ce jour-là va bientôt finir et que déjà je le voudrai fini, il y a des hommes qui lui ont confié tout leur espoir, tout leur amour et leurs dernières forces. As the hour progresses, that day will soon be over, and already I will want it over, there are men who have entrusted to it all their hope, all their love and their last strength. Il y a des hommes mourants, d'autres qui attendent une échéance, et qui voudraient que ce ne soit jamais demain. There are dying men, others who are waiting for a deadline, and who would like it never to be tomorrow. Il y en a d'autres pour qui demain pointera comme un remords. There are others for whom tomorrow will be a reminder. D'autres qui sont fatigués, et cette nuit ne sera jamais assez longue pour leur donner tout le repos qu'il faudrait. Others who are tired, and this night will never be long enough to give them all the rest it would take. Et moi, moi qui a perdu ma journée, de quel droit est-ce que j'ose appeler demain? And me, who lost my day, what right do I dare to call tomorrow? Vendredi soir. Friday night. J'avais pensé écrire à la suite: "Je ne l'ai pas revue". I had thought of writing afterwards: "I have not seen it again". Et tout aurait été fini. And all would have been finished. Mais en arrivant ce soir, à quatre heures, au coin du théâtre: la voici. But arriving tonight at four o'clock in the corner of the theater, here it is. Fine et grave, vêtue de noir, mais avec de la poudre au visage et une collerette qui lui donne l'air d'un pierrot coupable. Fine and grave, dressed in black, but with powder in the face and a collar that gives it the appearance of a guilty pierrot. Un air à la fois douloureux et malicieux. An air at once painful and malicious. C'est pour me dire qu'elle veut me quitter tout de suite, qu'elle ne viendra plus. It's to tell me that she wants to leave me right away, that she will not come anymore. .. . .. Et pourtant, à la tombée de la nuit, nous voici encore tous les deux, marchant lentement l'un près de l'autre, sur le gravier des Tuileries. And yet, at nightfall, here we are again, walking slowly near each other, on the gravel of the Tuileries. Elle me raconte son histoire mais d'une façon si enveloppée que je comprends mal. She tells me her story but in a way so wrapped that I do not understand. Elle dit: "mon amant" en parlant de ce fiancé qu'elle n'a pas épousé. She says "my lover" when talking about that fiance she did not marry. Elle le fait exprès, je pense, pour me choquer et pour que je ne m'attache point à elle. She does it purposely, I think, to shock me and not to be attached to her. Il y a des phrases d'elle que je transcris de mauvaise grâce: "N'ayez aucune confiance en moi, dit-elle, je n'ai jamais fait que des folies. There are sentences of her that I transcribe with bad grace: "Do not have any confidence in me, she said, I have never done that crazy. "J'ai couru des chemins, toute seule. "I ran paths, all alone. "J'ai désespéré mon fiancé. "I despaired my fiance. Je l'ai abandonné parce qu'il m'admirait trop; il ne me voyait qu'en imagination et non point telle que j'étais. I abandoned him because he admired me too much; he saw me only in imagination, and not as I was. Or, je suis pleine de défauts. But I am full of defects. Nous aurions été très malheureux". We would have been very unhappy. A chaque instant, je la surprends en train de se faire plus mauvaise qu'elle n'est. At every moment, I surprise her getting worse than she is. Je pense qu'elle veut se prouver à elle-même qu'elle a eu raison jadis de faire la sottise dont elle parle, qu'elle n'a rien à regretter et n'était pas digne du bonheur qui s'offrait à elle. I think she wants to prove to herself that she was right once to do the stupidity of which she speaks, that she has nothing to regret and was not worthy of the happiness that was offered to her. . Une autre fois: "Ce qui me plaît en vous, m'a-t-elle dit en me regardant longuement, ce qui me plaît en vous, je ne puis savoir pourquoi, ce sont mes souvenirs..." Une autre fois: "Je l'aime encore, disait-elle, plus que vous ne pensez". Another time: "What I like about you, she said to me looking at me for a long time, what I like about you, I can not know why, these are my memories ..." Another time: "I still love her, she said, more than you think." Et puis soudain, brusquement, brutalement, tristement: "Enfin, qu'est-ce que vous voulez? And then suddenly, suddenly, brutally, sadly: "Finally, what do you want? Est-ce que vous m'aimez, vous aussi? Do you love me, too? Vous aussi, vous allez me demander ma main?..." You too, are you going to ask me for my hand? J'ai balbutié. I stammered. Je ne sais pas ce que j'ai répondu. I do not know what I said. Peut-être ai-je dit: "Oui". Maybe I said, "Yes". Cette espèce de journal s'interrompait là. This kind of newspaper was interrupted there. Commençaient alors des brouillons de lettres illisibles, informes, raturés. Then began drafts of illegible, unformed, ribbed letters. Précaire fiançailles!... Precious engagement! ... La jeune fille, sur la prière de Meaulnes, avait abandonné son métier. The girl, on Meaulnes' prayer, had abandoned her profession. Lui s'était occupé des préparatifs du mariage.Mais sans cesse repris par le désir de chercher encore, de partir encore sur la trace de son amour perdu, il avait dû, sans doute, plusieurs fois disparaître; et, dans ces lettres, avec un embarras tragique, il cherchait à se justifier devant Valentine. He had taken care of the preparations for the wedding.But constantly renewed by the desire to seek again, to leave again on the trace of his lost love, he must have, no doubt, several times disappeared; and in these letters, with tragic embarrassment, he sought to justify himself to Valentine.