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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 4 - La grande nouvelle

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 4 - La grande nouvelle

Il faisait, le lendemain matin, quand j'arrivai dans la grand rue, un si beau temps de vacances, un si grand calme, et sur tout le bourg passaient des bruits si paisibles, si familiers, que j'avais retrouvé toute la joyeuse assurance d'un porteur de bonne nouvelle... Augustin et sa mère habitaient l'ancienne maison d'école. A la mort de son père, retraité depuis longtemps, et qu'un héritage avait enrichi, Meaulnes avait voulu qu'on achetât l'école où le vieil instituteur avait enseigné pendant vingt années, où lui-même avait appris à lire. Non pas qu'elle fût d'aspect fort aimable: c'était une grosse maison carrée comme une mairie qu'elle avait été; les fenêtres du rez-de-chaussée qui donnaient sur la rue étaient si hautes que personne n'y regardait jamais; et la cour de derrière, où il n'y avait pas un arbre et dont un haut préau barrait la vue sur la campagne, était bien la plus sèche et la plus désolée cour d'école abandonnée que j'aie jamais vue... Dans le couloir compliqué où se trouvaient quatre portes, je trouvai la mère de Meaulnes rapportant du jardin un gros paquet de linge, qu'elle avait dû mettre sécher dès la première heure de cette longue matinée de vacances. Ses cheveux gris étaient à demi défaits; des mèches lui battaient la figure; son visage régulier sous sa coiffure ancienne était bouffi et fatigué, comme par une nuit de veille; et elle baissait tristement la tête d'un air songeur. Mais, m'apercevant soudain, elle me reconnut et sourit: "Vous arrivez à temps, dit-elle. Voyez, je rentre le linge que j'ai fait sécher pour le départ d'Augustin. J'ai passé la nuit à régler ses comptes et à préparer ses affaires. Le train part à cinq heures, mais nous arriverons à tout apprêter..." On eût dit, tant elle montrait d'assurance, qu'elle-même avait pris cette décision. Or, sans doute ignorait-elle même où Meaulnes devait aller. "Montez, dit-elle, vous le trouverez dans la mairie en train d'écrire". En hâte je grimpai l'escalier, ouvris la porte de droite où l'on avait laissé l'écriteau Mairie, et me trouvait dans une grande salle à quatre fenêtres, deux sur le bourg, deux sur la campagne, ornée aux murs des portraits jaunis des présidents Grévy et Carnot. Sur une longue estrade qui tenait tout le fond de la salle, il y avait encore, devant une table à tapis vert, les chaises des conseillers municipaux. Au centre, assis sur un vieux fauteuil qui était celui du maire, Meaulnes écrivait, trempant sa plume au fond d'un encrier de faïence démodé, en forme de coeur. Dans ce lieu qui semblait fait pour quelque rentier de village, Meaulnes se retirait, quand il ne battait pas la contrée, durant les longues vacances... Il se leva, dès qu'il m'eut reconnu, mais non pas avec la précipitation que j'avais imaginée: "Seurel!" dit-il seulement, d'un air de profond étonnement. C'était le même grand gars au visage osseux, à la tête rasée. Une moustache inculte commençait à lui traîner sur les lèvres. Toujours ce même regard loyal... Mais sur l'ardeur des années passées on croyait voir comme une voile de brume, que par instants sa grande passion de jadis dissipait... Il paraissait très troublé de me voir. D'un bond j'étais monté sur l'estrade. Mais, chose étrange à dire, il ne songea pas même à me tendre la main. Il s'était tourné vers moi, les mains derrière le dos, appuyé contre la table, renversé en arrière, et l'air profondément gêné. Déjà, me regardant sans me voir, il était absorbé par ce qu'il allait me dire. Comme autrefois et comme toujours, homme lent à commencer de parler, ainsi que sont les solitaires, les chasseurs et les hommes d'aventures, il avait pris une décision sans se soucier des mots qu'il faudrait pour l'expliquer. Et maintenant que j'étais devant lui, il commençait seulement à ruminer péniblement les paroles nécessaires. Cependant, je lui racontais avec gaieté comment j'étais venu, où j'avais passé la nuit et que j'avais été bien surpris de voir Mme Meaulnes préparer le départ de son fils... "Ah! Elle t'a dit?... demanda-t-il. Oui. Ce n'est pas, je pense, pour un long voyage? Si, un très long voyage". Un instant décontenancé, sentant que j'allais tout à l'heure, d'un mot, réduire à néant cette décision que je ne comprenais pas, je n'osais plus rien dire et ne savais pas par où commencer ma mission. Mais lui-même parla enfin, comme quelqu'un qui veut se justifier. "Seurel! dit-il, tu sais ce qu'était pour moi mon étrange aventure de Sainte-Agathe. C'était ma raison de vivre et d'avoir de l'espoir. Cet espoir-là perdu, que pouvais-je devenir?... Comment vivre à la façon de tout le monde! "Eh bien j'ai essayé de vivre là-bas, à Paris, quand j'ai vu que tout était fini et qu'il ne valait plus même la peine de chercher le Domaine perdu... Mais un homme qui a fait une fois un bond dans le paradis, comment pourrait-il s'accommoder ensuite de la vie de tout le monde? Ce qui est le bonheur des autres m'a paru dérision. Et lorsque, sincèrement, délibérément, j'ai décidé un jour de faire comme les autres, ce jour-là j'ai amassé du remords pour longtemps..." Assis sur une chaise de l'estrade, la tête basse, l'écoutant sans le regarder je ne savais que penser de ces explications obscures: "Enfin, dis-je, Meaulnes, explique-toi mieux! Pourquoi ce long voyage? As-tu fait quelque faute à réparer? Une promesse à tenir? Eh bien, oui, répondit-il. Tu te souviens de cette promesse que j'avais faite à Frantz?... Ah! Fis-je soulagé, il ne s'agit que de cela?... De cela. Et peut-être aussi d'une faute à réparer. Les deux en même temps..." Suivit un moment de silence pendant lequel je décidai de commencer à parler et préparai mes mots. "Il n'y a qu'une explication à laquelle je crois, dit-il encore. Certes, j'aurais voulu revoir une fois mademoiselle de Galais, seulement la revoir... Mais, j'en suis persuadé maintenant, lorsque j'avais découvert le Domaine sans nom, j'étais à une hauteur, à un degré de perfection et de pureté que je n'atteindrai jamais plus. Dans la mort seulement, comme je te l'écrivais un jour, je retrouverai peut-être la beauté de ce temps-là..." Il changea de ton pour reprendre avec une animation étrange, en se rapprochant de moi: "Mais, écoute, Seurel! Cette intrigue nouvelle et ce grand voyage, cette faute que j'ai commise et qu'il faut réparer, c'est, en un sens, mon ancienne aventure qui se poursuit..." Un temps, pendant lequel péniblement il essaya de ressaisir ses souvenirs. J'avais manqué l'occasion précédente. Je ne voulais pour rien au monde laisser passer celle-ci; et, cette fois, je parlai--trop vite, car je regrettai amèrement plus tard, de n'avoir pas attendu ses aveux. Je prononçai donc ma phrase, qui était préparée pour l'instant d'avant, mais qui n'allait plus maintenant. Je dis, sans un geste, à peine en soulevant un peu la tête: "Et si je venais t'annoncer que tout espoir n'est pas perdu?..." Il me regarda, puis, détournant brusquement les yeux, rougit comme je n'ai jamais vu quelqu'un rougir: une montée de sang qui devait lui cogner à grands coups dans les tempes... "Que veux-tu dire?" demanda-t-il enfin, à peine distinctement. Alors, tout d'un trait, je racontai ce que je savais, ce que j'avais fait, et comment, la face des choses ayant tourné, il semblait presque que ce fût Yvonne de Galais qui m'envoyait vers lui. Il était maintenant affreusement pâle. Durant tout ce récit, qu'il écoutait en silence, la tête un peu rentrée, dans l'attitude de quelqu'un qu'on a surpris et qui ne sait comment se défendre, se cacher ou s'enfuir, il ne m'interrompit, je me rappelle, qu'une seule fois. Je lui racontais, en passant, que toutes les Sablonnières avaient été démolies et que le Domaine d'autrefois n'existait plus: "Ah! dit-il, tu vois... (Comme s'il eût guetté une occasion de justifier sa conduite et le désespoir où il avait sombré) tu vois: il n'y a plus rien..." Pour terminer, persuadé qu'enfin l'assurance de tant de facilité emporterait le reste de sa peine, je lui racontai qu'une partie de campagne était organisée par mon oncle Florentin, que Mlle de Galais devait y venir à cheval et que lui-même était invité... Mais il paraissait complètement désemparé et continuait à ne rien répondre. "Il faut tout de suite décommander ton voyage, dis-je avec impatience. Allons avertir ta mère..." "Cette partie de campagne?... me demanda-t-il avec hésitation. Alors, vraiment, il faut que j'y aille?... Mais voyons, répliquai-je, cela ne se demande pas". Il avait l'air de quelqu'un qu'on pousse par les épaules. En bas, Augustin avertit Mme Meaulnes que je déjeunerais avec eux, dînerais, coucherais là et que, le lendemain, lui-même louerait une bicyclette et me suivrait au Vieux-Nançay. "Ah! Très bien", fit-elle, en hochant la tête, comme si ces nouvelles eussent confirmé toutes ses prévisions. Je m'assis dans la petite salle à manger, sous les calendriers illustrés, les poignards ornementés et les outres soudanaises qu'un frère de M. Meaulnes, ancien soldat d'infanterie de marine, avait rapportés de ses lointains voyages. Augustin me laissa là un instant, avant le repas, et, dans la chambre voisine, où sa mère avait préparé ses bagages, je l'entendis qui lui disait, en baissant un peu la voix, de ne pas défaire sa malle, car son voyage pouvait être seulement retardé...


Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 4 - La grande nouvelle Le Grand meaulnes - part three - chapter 4 - The big news

Il faisait, le lendemain matin, quand j'arrivai dans la grand rue, un si beau temps de vacances, un si grand calme, et sur tout le bourg passaient des bruits si paisibles, si familiers, que j'avais retrouvé toute la joyeuse assurance d'un porteur de bonne nouvelle...  Augustin et sa mère habitaient l'ancienne maison d'école. The next morning, when I arrived on the main street, I was having such a fine vacation time, so great a calm, and all over the village passed so peaceful and familiar noises that I had found all the joyous assurance of a good news carrier ... Augustin and his mother lived in the old school house. A la mort de son père, retraité depuis longtemps, et qu'un héritage avait enrichi, Meaulnes avait voulu qu'on achetât l'école où le vieil instituteur avait enseigné pendant vingt années, où lui-même avait appris à lire. At the death of his father, retired a long time ago, and an inheritance had enriched, Meaulnes had wanted to buy the school where the old teacher had taught for twenty years, where he himself had learned to read. Non pas qu'elle fût d'aspect fort aimable: c'était une grosse maison carrée comme une mairie qu'elle avait été; les fenêtres du rez-de-chaussée qui donnaient sur la rue étaient si hautes que personne n'y regardait jamais; et la cour de derrière, où il n'y avait pas un arbre et dont un haut préau barrait la vue sur la campagne, était bien la plus sèche et la plus désolée cour d'école abandonnée que j'aie jamais vue... Dans le couloir compliqué où se trouvaient quatre portes, je trouvai la mère de Meaulnes rapportant du jardin un gros paquet de linge, qu'elle avait dû mettre sécher dès la première heure de cette longue matinée de vacances. Not that she was very amiable in appearance; it was a big square house like a town hall she had been; the windows on the ground floor overlooking the street were so high that no one ever looked at them; and the back yard, where there was not a tree and whose high meadow barred the view of the countryside, was the driest and most desolate abandoned schoolyard I have ever seen. In the complicated hall, where four doors were, I found Meaulnes's mother bringing back from the garden a large bundle of linen, which she had had to put dry in the first hour of this long morning of vacation. Ses cheveux gris étaient à demi défaits; des mèches lui battaient la figure; son visage régulier sous sa coiffure ancienne était bouffi et fatigué, comme par une nuit de veille; et elle baissait tristement la tête d'un air songeur. His gray hair was half-defeated; wicks beat his face; his regular face under his old hairstyle was puffy and tired, as if on a waking night; and she bowed her head sadly. Mais, m'apercevant soudain, elle me reconnut et sourit: "Vous arrivez à temps, dit-elle. But, suddenly seeing me, she recognized me and smiled: "You arrive in time," she said. Voyez, je rentre le linge que j'ai fait sécher pour le départ d'Augustin. See, I'm bringing in the laundry I had dried for Augustine's departure. J'ai passé la nuit à régler ses comptes et à préparer ses affaires. I spent the night settling accounts and preparing for business. Le train part à cinq heures, mais nous arriverons à tout apprêter..." On eût dit, tant elle montrait d'assurance, qu'elle-même avait pris cette décision. The train leaves at five o'clock, but we'll get to ready everything ... "It seemed as if she was confident that she had made that decision herself. Or, sans doute ignorait-elle même où Meaulnes devait aller. Now, no doubt she did not even know where Meaulnes was to go. "Montez, dit-elle, vous le trouverez dans la mairie en train d'écrire". "Come on," she said, "you'll find him in the town hall writing." En hâte je grimpai l'escalier, ouvris la porte de droite où l'on avait laissé l'écriteau Mairie, et me trouvait dans une grande salle à quatre fenêtres, deux sur le bourg, deux sur la campagne, ornée aux murs des portraits jaunis des présidents Grévy et Carnot. In haste I climbed the stairs, opened the door on the right where the Town Hall sign had been left, and found myself in a large room with four windows, two in the village, two in the country, adorned with portraits on the walls. Jaunis of Presidents Grevy and Carnot. Sur une longue estrade qui tenait tout le fond de la salle, il y avait encore, devant une table à tapis vert, les chaises des conseillers municipaux. On a long platform which held the whole back of the hall, there was still, in front of a green carpet table, the chairs of the municipal councilors. Au centre, assis sur un vieux fauteuil qui était celui du maire, Meaulnes écrivait, trempant sa plume au fond d'un encrier de faïence démodé, en forme de coeur. In the center, seated on an old armchair, which was that of the mayor, Meaulnes wrote, dipping his pen in the bottom of an old earthenware inkwell, in the shape of a heart. Dans ce lieu qui semblait fait pour quelque rentier de village, Meaulnes se retirait, quand il ne battait pas la contrée, durant les longues vacances... Il se leva, dès qu'il m'eut reconnu, mais non pas avec la précipitation que j'avais imaginée: "Seurel!" In this place that seemed made for some village rentier, Meaulnes retired, when he did not beat the country, during the long holidays ... He got up, as soon as he recognized me, but not with the haste that I had imagined: "Seurel!" dit-il seulement, d'un air de profond étonnement. he said only, with an air of profound astonishment. C'était le même grand gars au visage osseux, à la tête rasée. He was the same big guy with a bony face and a shaved head. Une moustache inculte commençait à lui traîner sur les lèvres. An uneducated mustache was starting to drag him on the lips. Toujours ce même regard loyal... Mais sur l'ardeur des années passées on croyait voir comme une voile de brume, que par instants sa grande passion de jadis dissipait... Il paraissait très troublé de me voir. Always the same loyal look ... But the ardor of past years we thought to see as a veil of fog, that at times his great passion of old dissipated ... He seemed very troubled to see me. D'un bond j'étais monté sur l'estrade. I jumped on the platform with one bound. Mais, chose étrange à dire, il ne songea pas même à me tendre la main. But, strange to say, he did not even think of reaching out to me. Il s'était tourné vers moi, les mains derrière le dos, appuyé contre la table, renversé en arrière, et l'air profondément gêné. He had turned to me, his hands behind his back, leaning against the table, thrown back, and looking deeply embarrassed. Déjà, me regardant sans me voir, il était absorbé par ce qu'il allait me dire. Already, looking at me without seeing me, he was absorbed in what he was going to tell me. Comme autrefois et comme toujours, homme lent à commencer de parler, ainsi que sont les solitaires, les chasseurs et les hommes d'aventures, il avait pris une décision sans se soucier des mots qu'il faudrait pour l'expliquer. As before and as always, a man slow to begin to speak, as are the solitary, the hunters and the men of adventures, he had made a decision without worrying about the words that would be necessary to explain it. Et maintenant que j'étais devant lui, il commençait seulement à ruminer péniblement les paroles nécessaires. And now that I was in front of him, he was only beginning to ruminate painfully the necessary words. Cependant, je lui racontais avec gaieté comment j'étais venu, où j'avais passé la nuit et que j'avais été bien surpris de voir Mme Meaulnes préparer le départ de son fils... "Ah! However, I told him cheerfully how I had come, where I had spent the night and that I had been very surprised to see Mrs. Meaulnes prepare the departure of her son ... "Ah! Elle t'a dit?... She told you? ... demanda-t-il. he asked. Oui. Ce n'est pas, je pense, pour un long voyage? Isn't it, I think, for a long trip? Si, un très long voyage". Yes, a very long journey ". Un instant décontenancé, sentant que j'allais tout à l'heure, d'un mot, réduire à néant cette décision que je ne comprenais pas, je n'osais plus rien dire et ne savais pas par où commencer ma mission. A moment discontented, feeling that I was going a moment ago, a word, reduce to nothing this decision that I did not understand, I dared not say anything and did not know where to begin my mission. Mais lui-même parla enfin, comme quelqu'un qui veut se justifier. But he himself spoke at last, like someone who wants to justify himself. "Seurel! dit-il, tu sais ce qu'était pour moi mon étrange aventure de Sainte-Agathe. he said, you know what my strange adventure in Sainte-Agathe was for me. C'était ma raison de vivre et d'avoir de l'espoir. It was my reason for living and having hope. Cet espoir-là perdu, que pouvais-je devenir?... This lost hope, what could I become? ... Comment vivre à la façon de tout le monde! How to live like everyone else! "Eh bien j'ai essayé de vivre là-bas, à Paris, quand j'ai vu que tout était fini et qu'il ne valait plus même la peine de chercher le Domaine perdu... Mais un homme qui a fait une fois un bond dans le paradis, comment pourrait-il s'accommoder ensuite de la vie de tout le monde? "Well I tried to live there, in Paris, when I saw that it was all over and that it was no longer even worth looking for the Lost Domain ... But a man who made a times a leap into paradise, how could he then cope with everyone's life? Ce qui est le bonheur des autres m'a paru dérision. What is the happiness of others struck me as derision. Et lorsque, sincèrement, délibérément, j'ai décidé un jour de faire comme les autres, ce jour-là j'ai amassé du remords pour longtemps..." Assis sur une chaise de l'estrade, la tête basse, l'écoutant sans le regarder je ne savais que penser de ces explications obscures: "Enfin, dis-je, Meaulnes, explique-toi mieux! And when, sincerely, deliberately, I decided one day to do like the others, that day I amassed remorse for a long time ... "Sitting on a chair on the platform, my head bowed, the listening without looking at him I did not know what to think of these obscure explanations: "Finally," I said, "Meaulnes, explain yourself better! Pourquoi ce long voyage? Why this long trip? As-tu fait quelque faute à réparer? Did you do some fault to fix? Une promesse à tenir? A promise to keep? Eh bien, oui, répondit-il. Well, yes, he replied. Tu te souviens de cette promesse que j'avais faite à Frantz?... Do you remember that promise I made to Frantz? ... Ah! Ah! Fis-je soulagé, il ne s'agit que de cela?... I said relieved, is it just that? ... De cela. From that. Et peut-être aussi d'une faute à réparer. And maybe also a fault to be repaired. Les deux en même temps..." Suivit un moment de silence pendant lequel je décidai de commencer à parler et préparai mes mots. Both at the same time ... "There followed a moment of silence during which I decided to start speaking and prepared my words. "Il n'y a qu'une explication à laquelle je crois, dit-il encore. "There's only one explanation I believe in," he said again. Certes, j'aurais voulu revoir une fois mademoiselle de Galais, seulement la revoir... Mais, j'en suis persuadé maintenant, lorsque j'avais découvert le Domaine sans nom, j'étais à une hauteur, à un degré de perfection et de pureté que je n'atteindrai jamais plus. Of course, I would have liked to see Mademoiselle de Galais once again, only to see her again ... But, I am convinced of it now, when I had discovered the Nameless Estate, I was at a height, at a degree of perfection. and purity that I will never reach again. Dans la mort seulement, comme je te l'écrivais un jour, je retrouverai peut-être la beauté de ce temps-là..." Il changea de ton pour reprendre avec une animation étrange, en se rapprochant de moi: In death only, as I wrote to you one day, I will perhaps find the beauty of that time again ... "He changed his tone to resume with a strange animation, coming closer to me: "Mais, écoute, Seurel! "But, listen, Seurel! Cette intrigue nouvelle et ce grand voyage, cette faute que j'ai commise et qu'il faut réparer, c'est, en un sens, mon ancienne aventure qui se poursuit..."  Un temps, pendant lequel péniblement il essaya de ressaisir ses souvenirs. This new intrigue and this great journey, this mistake which I committed and which must be repaired, it is, in a sense, my old adventure which continues ... "A time, during which painfully he tried to recapture his memories. J'avais manqué l'occasion précédente. I had missed the previous opportunity. Je ne voulais pour rien au monde laisser passer celle-ci; et, cette fois, je parlai--trop vite, car je regrettai amèrement plus tard, de n'avoir pas attendu ses aveux. I didn't want to let this one go for anything in the world; and this time I spoke - too quickly, for I later regretted bitterly not having waited for his confession. Je prononçai donc ma phrase, qui était préparée pour l'instant d'avant, mais qui n'allait plus maintenant. So I pronounced my sentence, which was prepared for the moment before, but which was wrong now. Je dis, sans un geste, à peine en soulevant un peu la tête: "Et si je venais t'annoncer que tout espoir n'est pas perdu?..." I said, without a gesture, hardly raising my head a little: "And if I came to tell you that all hope is not lost? ..." Il me regarda, puis, détournant brusquement les yeux, rougit comme je n'ai jamais vu quelqu'un rougir: une montée de sang qui devait lui cogner à grands coups dans les tempes... "Que veux-tu dire?" He looked at me, then, suddenly looking away, blushed like I have never seen anyone blush: a rush of blood that must have hit him hard in the temples ... "What do you mean?" demanda-t-il enfin, à peine distinctement. he asked finally, barely clearly. Alors, tout d'un trait, je racontai ce que je savais, ce que j'avais fait, et comment, la face des choses ayant tourné, il semblait presque que ce fût Yvonne de Galais qui m'envoyait vers lui. So, all at once, I told what I knew, what I had done, and how, the face of things having turned, it almost seemed that it was Yvonne de Galais who sent me to him. Il était maintenant affreusement pâle. He was now frightfully pale. Durant tout ce récit, qu'il écoutait en silence, la tête un peu rentrée, dans l'attitude de quelqu'un qu'on a surpris et qui ne sait comment se défendre, se cacher ou s'enfuir, il ne m'interrompit, je me rappelle, qu'une seule fois. Throughout this story, which he listened to in silence, his head a little tucked in, in the attitude of someone who has been surprised and who does not know how to defend himself, to hide or to flee, he does not tell me. interrupted, I remember, only once. Je lui racontais, en passant, que toutes les Sablonnières avaient été démolies et que le Domaine d'autrefois n'existait plus: "Ah! I told him, in passing, that all the Sablonnieres had been demolished and that the former Estate no longer existed: "Ah! dit-il, tu vois... (Comme s'il eût guetté une occasion de justifier sa conduite et le désespoir où il avait sombré) tu vois: il n'y a plus rien..." Pour terminer, persuadé qu'enfin l'assurance de tant de facilité emporterait le reste de sa peine, je lui racontai qu'une partie de campagne était organisée par mon oncle Florentin, que Mlle de Galais devait y venir à cheval et que lui-même était invité... Mais il paraissait complètement désemparé et continuait à ne rien répondre. he said, you see ... (As if he had watched for an opportunity to justify his behavior and the despair into which he had sunk) you see: there is nothing left ... "To finish, convinced that Finally, the assurance of such ease would take away the rest of his trouble, I told him that a country party was organized by my uncle Florentin, that Mlle de Galais was to come on horseback and that he himself was invited ... But he seemed completely distraught and continued to say nothing. "Il faut tout de suite décommander ton voyage, dis-je avec impatience. "You must cancel your trip immediately," I said impatiently. Allons avertir ta mère..." "Cette partie de campagne?... Let's go and tell your mother ... "" This part of the country? ... me demanda-t-il avec hésitation. he asked me hesitantly. Alors, vraiment, il faut que j'y aille?... So really, do I have to go? ... Mais voyons, répliquai-je, cela ne se demande pas". But let's see, I replied, that is not to be asked. Il avait l'air de quelqu'un qu'on pousse par les épaules. He looked like someone who was pushed by the shoulders. En bas, Augustin avertit Mme Meaulnes que je déjeunerais avec eux, dînerais, coucherais là et que, le lendemain, lui-même louerait une bicyclette et me suivrait au Vieux-Nançay. Downstairs, Augustin informed Mme Meaulnes that I would have lunch with them, dine, sleep there and that, the next day, he himself would hire a bicycle and follow me to Vieux-Nançay. "Ah! Très bien", fit-elle, en hochant la tête, comme si ces nouvelles eussent confirmé toutes ses prévisions. Very well, ”she said, nodding, as if this news had confirmed all her predictions. Je m'assis dans la petite salle à manger, sous les calendriers illustrés, les poignards ornementés et les outres soudanaises qu'un frère de M. Meaulnes, ancien soldat d'infanterie de marine, avait rapportés de ses lointains voyages. I sat down in the small dining room, under the illustrated calendars, the ornate daggers and the Sudanese wineskins that a brother of M. Meaulnes, a former marine infantry soldier, had brought back from his distant travels. Augustin me laissa là un instant, avant le repas, et, dans la chambre voisine, où sa mère avait préparé ses bagages, je l'entendis qui lui disait, en baissant un peu la voix, de ne pas défaire sa malle, car son voyage pouvait être seulement retardé... Augustine left me there for a moment, before the meal, and, in the next room, where his mother had packed her luggage, I heard him telling him, lowering his voice a little, not to unpack his trunk, for his trip could only be delayed ...