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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 3 - Une apparition

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 3 - Une apparition

Je n'avais jamais fait de longue course à bicyclette. Celle-ci était la première. Mais, depuis longtemps, malgré mon mauvais genou, en cachette, Jasmin m'avait appris à monter. Si déjà pour un jeune homme ordinaire la bicyclette est un instrument bien amusant, que ne devait-elle pas sembler à un pauvre garçon comme moi, qui naguère encore traînais misérablement la jambe, trempé de sueur, dès le quatrième kilomètre!...Du haut des côtes, descendre et s'enfoncer dans le creux des paysages; découvrir comme à coups d'ailes les lointains de la route qui s'écartent et fleurissent à votre approche, traverser un village dans l'espace d'un instant et l'emporter tout entier d'un coup d'oeil... En rêve seulement j'avais connu jusque-là course aussi charmante, aussi légère. Les côtes mêmes me trouvaient plein d'entrain. Car c'était, il faut le dire, le chemin du pays de Meaulnes que je buvais ainsi... "Un peu avant l'entrée du bourg, me disait Meaulnes, lorsque jadis il décrivait son village, on voit une grande roue à palettes que le vent fait tourner..." Il ne savait pas à quoi elle servait, ou peut-être feignait-il de n'en rien savoir pour piquer ma curiosité davantage. C'est seulement au déclin de cette journée de fin d'août que j'aperçus, tournant au vent dans une immense prairie, la grande roue qui devait monter l'eau pour une métairie voisine. Derrière les peupliers du pré se découvraient déjà les premiers faubourgs. A mesure que je suivais le grand détour que faisait la route pour contourner le ruisseau, le paysage s'épanouissait et s'ouvrait... Arrivé sur le pont, je découvris enfin la grand rue du village. Des vaches paissaient, cachées dans les roseaux de la prairie et j'entendais leurs cloches, tandis que, descendu de bicyclette, les deux mains sur mon guidon, je regardais le pays où j'allais porter une si grave nouvelle. Les maisons, où l'on entrait en passant sur un petit pont de bois, étaient toutes alignées au bord d'un fossé qui descendait la rue, comme autant de barques, voiles carguées, amarrées dans le calme du soir. C'était l'heure où dans chaque cuisine on allume un feu. Alors la crainte et je ne sais quel obscur regret de venir troubler tant de paix commencèrent à m'enlever tout courage. A point pour aggraver ma soudaine faiblesse, je me rappelai que la tante Moinel habitait là, sur une petite place de La Ferté-d'Angillon. C'était une de mes grand tantes. Tous ses enfants étaient morts et j'avais bien connu Ernest, le dernier de tous, un grand garçon qui allait être instituteur. Mon grand-oncle Moinel, le vieux greffier, l'avait suivi de près. Et ma tante était restée toute seule dans sa bizarre petite maison où les tapis étaient faits d'échantillons cousus, les tables couvertes de coqs, de poules et de chats en papier--mais où les murs étaient tapissés de vieux diplômes, de portraits de défunts, de médaillons en boucles de cheveux morts. Avec tant de regrets et de deuil, elle était la bizarrerie et la bonne humeur mêmes. Lorsque j'eus découvert la petite place où se tenait sa maison, je l'appelai bien fort par la porte entr'ouverte, et je l'entendis tout au bout des trois pièces en enfilade pousser un petit cri suraigu: "Eh là! Mon Dieu!" Elle renversa son café dans le feu--à cette heure-là comment pouvait-elle faire du café? Et elle apparut... Très cambrée en arrière, elle portait une sorte de chapeau-capote-capeline sur le faîte de la tête, tout en haut de son front immense et cabossé où il y avait de la femme mongole et de la Hottentote; et elle riait à petits coups, montrant le reste de ses dents très fines. Mais tandis que je l'embrassais, elle me prit maladroitement, hâtivement, une main que j'avais derrière le dos. Avec un mystère parfaitement inutile puisque nous étions tous les deux seuls, elle me glissa une petite pièce que je n'osai pas regarder et qui devait être de un franc... Puis comme je faisais mine de demander des explications ou de la remercier, elle me donna une petite bourrade en criant: "Va donc! Ah! je sais bien ce que c'est!" Elle avait toujours été pauvre, toujours empruntant, toujours dépensant. "J'ai toujours été bête et toujours malheureuse", disait-elle sans amertume mais de sa voix de fausset. Persuadée que les sous me préoccupaient comme elle, la brave femme n'attendait pas que j'eusse soufflé pour me cacher dans la main ses très minces économies de la journée. Et par la suite c'est toujours ainsi qu'elle m'accueillit. Le dîner fut aussi étrange à la fois triste et bizarre que l'avait été la réception. Toujours une bougie à portée de la main, tantôt elle l'enlevait, me laissant dans l'ombre, et tantôt la posait sur la petite table couverte de plats et de vases ébréchés ou fendus. "Celui-là, disait-elle, les Prussiens lui ont cassé les anses, en soixante-dix, parce qu'ils ne pouvaient pas l'emporter". Je me rappelai seulement alors, en revoyant ce grand vase à la tragique histoire, que nous avions dîné et couché là jadis. Mon père m'emmenait dans l'Yonne, chez un spécialiste qui devait guérir mon genou. Il fallait prendre un grand express qui passait avant le jour... Je me souvins du triste dîner de jadis, de toutes les histoires du vieux greffier accoudé devant sa bouteille de boisson rose. Et je me souvenais aussi de mes terreurs... Après le dîner, assise devant le feu, ma grand tante avait pris mon père à part pour lui raconter une histoire de revenants: "Je me retourne... Ah! Mon pauvre Louis, qu'est-ce que je vois, une petite femme grise..." Elle passait pour avoir la tête farcie de ces sornettes terrifiantes. Et voilà que ce soir-là, le dîner fini, lorsque, fatigué par la bicyclette, je fus couché dans la grande chambre avec une chemise de nuit à carreaux de l'oncle Moinel, elle vint s'asseoir à mon chevet et commença de sa voix la plus mystérieuse et la plus pointue: "Mon pauvre François, il faut que je te raconte à toi ce que je n'ai jamais dit à personne..." Je pensai: "Mon affaire est bonne, me voilà terrorisé pour toute la nuit, comme il y a dix ans!..." Et j'écoutai. Elle hochait la tête, regardant droit devant soi comme si elle se fût raconté l'histoire à elle-même: "Je revenais d'une fête avec Moinel. C'était le premier mariage où nous allions tous les deux, depuis la mort de notre pauvre Ernest; et j'y avais rencontré ma soeur Adèle que je n'avais pas vue depuis quatre ans! »Un vieil ami de Moinel, très riche, l'avait invité à la noce de son fils, au domaine des Sablonnières. « Nous avions loué une voiture. Cela nous avait coûté bien cher. Nous revenions sur la route vers sept heures du matin, en plein hiver. Le soleil se levait. Il n'y avait absolument personne. Qu'est-ce que je vois tout d'un coup devant nous, sur la route? Un petit homme, un petit jeune homme arrêté, beau comme le jour, qui ne bougeait pas, qui nous regardait venir. A mesure que nous approchions, nous distinguions sa jolie figure, si blanche, si jolie que cela faisait peur!... » "Je prends le bras de Moinel; je tremblais comme la feuille; je voyais que c'était le Bon Dieu!... Je lui dis: "Regarde! C'est une apparition! "Il me répond tout bas, furieux: "Je l'ai bien vu! Tais-toi donc, vieille bavarde..." "Il ne savait que faire; lorsque le cheval s'est arrêté... De près, cela avait une figure pâle, le front en sueur, un béret sale et un pantalon long. Nous entendîmes sa voix, qui disait: "Je ne suis pas un homme, je suis une jeune fille. Je me suis sauvée et je n'en puis plus. Voulez-vous bien me prendre dans votre voiture, monsieur et madame?" "Aussitôt nous l'avons fait monter. A peine assise, elle a perdu connaissance. Et devines-tu à qui nous avions affaire? C'était la fiancée du jeune homme des Sablonnières, Frantz de Galais, chez qui nous étions invités aux noces! Mais il n'y a pas eu de noces, dis-je, puisque la fiancée s'est sauvée! Eh bien, non, fit-elle toute penaude en me regardant. Il n'y a pas eu de noces. Puisque cette pauvre folle s'était mis dans la tête mille folies qu'elle nous a expliquées. C'était une des filles d'un pauvre tisserand. Elle était persuadée que tant de bonheur était impossible, que le jeune homme était trop jeune pour elle; que toutes les merveilles qu'il lui décrivait étaient imaginaires, et lorsqu'enfin Frantz est venu la chercher, Valentine a pris peur. Il se promenait avec elle et sa soeur dans le jardin de l'Archevêché à Bourges, malgré le froid et le grand vent. Le jeune homme, par délicatesse certainement ou parce qu'il aimait la cadette, était plein d'attentions pour l'aînée. Alors ma folle s'est imaginé je ne sais quoi; elle a dit qu'elle allait chercher un fichu à la maison; et là, pour être sûre de n'être pas suivie, elle a revêtu des habits d'homme et s'est enfuie à pied sur la route de Paris. "Son fiancé a reçu d'elle une lettre où elle lui déclarait qu'elle allait rejoindre un jeune homme qu'elle aimait. Et ce n'était pas vrai... "Je suis plus heureuse de mon sacrifice, me disait-elle, que si j'étais sa femme". Oui, mon imbécile, mais en attendant, il n'avait pas du tout l'idée d'épouser sa soeur: il s'est tiré une balle de pistolet; on a vu le sang dans le bois; mais on n'a jamais retrouvé son corps. Et qu'avez-vous fait de cette malheureuse fille? Nous lui avons fait boire une goutte, d'abord. Puis nous lui avons donné à manger et elle a dormi auprès du feu quand nous avons été de retour. Elle est restée chez nous une bonne partie de l'hiver. Tout le jour, tant qu'il faisait clair, elle taillait, cousait des robes, arrangeait des chapeaux et nettoyait la maison avec rage. C'est elle qui a recollé toute la tapisserie que tu vois là. Et depuis son passage les hirondelles nichent dehors. Mais, le soir, à la tombée de la nuit, son ouvrage fini, elle trouvait toujours un prétexte pour aller dans la cour, dans le jardin, ou sur le devant de la porte, même quand il gelait à pierre fendre. Et on la découvrait là, debout, pleurant de tout son coeur. "Eh bien, qu'avez-vous encore? Voyons? "-Rien, madame Moinel!" "Et elle rentrait. "Les voisins disaient: "Vous avez trouvé une bien petit jolie petite bonne, madame Moinel. "Malgré nos supplications, elle a voulu continuer son chemin sur Paris, au mois de mars; je lui ai donné des robes qu'elle a retaillées, Moinel lui a pris son billet à la gare et donné un peu d'argent. "Elle ne nous a pas oubliés; elle est couturière à Paris auprès de Notre-Dame; elle nous écrit encore pour nous demander si nous ne savons rien des Sablonnières. Une bonne fois, pour la délivrer de cette idée, je lui ai répondu que le domaine était vendu, abattu, le jeune homme disparu pour toujours et la jeune fille mariée. Tout cela doit être vrai, je pense. Depuis ce temps ma Valentine écrit bien moins souvent..." Ce n'était pas une histoire de revenants que racontait la tante Moinel de sa petite voix stridente si bien faite pour les raconter. J'étais cependant au comble du malaise. C'est que nous avions juré à Frantz le bohémien de le servir comme des frères et voilà que l'occasion m'en était donnée... Or, était-ce le moment de gâter la joie que j'allais porter à Meaulnes le lendemain matin, et de lui dire ce que je venais d'apprendre? A quoi bon le lancer dans une entreprise mille fois impossible? Nous avions en effet l'adresse de la jeune fille; mais où chercher le bohémien qui courait le monde?... Laissons les fous avec les fous, pensai-je.Delouche et Boujardon n'avaient pas tort. Que de mal nous a fait ce Frantz romanesque! Et je résolus de ne rien dire tant que je n'aurais pas vu mariés Augustin Meaulnes et Mlle de Galais. Cette résolution prise, il me restait encore l'impression pénible d'un mauvais présage--impression absurde que je chassai bien vite. La chandelle était presque au bout; un moustique vibrait; mais la tante Moinel, la tête penchée sous sa capote de velours qu'elle ne quittait que pour dormir, les coudes appuyés sur ses genoux, recommençait son histoire... Par moments elle relevait brusquement la tête et me regardait pour connaître mes impressions, ou peut-être pour voir si je ne m'endormais pas. A la fin, sournoisement, la tête sur l'oreiller, je fermai les yeux, faisant semblant de m'assoupir. "Allons! Tu dors...", fit-elle d'un ton plus sourd et un peu déçu. J'eus pitié d'elle et je protestai: "Mais non, ma tante, je vous assure... Mais si! dit-elle. Je comprends bien d'ailleurs que tout cela ne t'intéresse guère. Je te parle là de gens que tu n'as pas connus..." Et lâchement, cette fois, je ne répondis pas.


Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 3 - Une apparition Le Grand meaulnes - dritter Teil - Kapitel 3 - Eine Erscheinung Le Grand meaulnes - part 3 - chapter 3 - An apparition Le Grand meaulnes - tercera parte - capítulo 3 - Una aparición Le Grand Meaulnes - قسمت سوم - فصل 3 - یک ظاهر

Je n'avais jamais fait de longue course à bicyclette. I had never done a long bicycle race. Celle-ci était la première. This was the first. Mais, depuis longtemps, malgré mon mauvais genou, en cachette, Jasmin m'avait appris à monter. But for a long time, despite my bad knee, secretly, Jasmin had taught me to ride. Si déjà pour un jeune homme ordinaire la bicyclette est un instrument bien amusant, que ne devait-elle pas sembler à un pauvre garçon comme moi, qui naguère encore traînais misérablement la jambe, trempé de sueur, dès le quatrième kilomètre!...Du haut des côtes, descendre et s'enfoncer dans le creux des paysages; découvrir comme à coups d'ailes les lointains de la route qui s'écartent et fleurissent à votre approche, traverser un village dans l'espace d'un instant et l'emporter tout entier d'un coup d'oeil... En rêve seulement j'avais connu jusque-là course aussi charmante, aussi légère. If already for an ordinary young man the bicycle is a very amusing instrument, what should it not look like to a poor fellow like myself, who had lately miserably dragged his leg, soaked with sweat, from the fourth kilometer! high ribs, go down and sink into the hollow of landscapes; discover as with wings the distances of the road that deviate and bloom at your approach, cross a village in the space of a moment and win the whole at a glance ... only dream I had known so far so charming, so light. Les côtes mêmes me trouvaient plein d'entrain. The ribs themselves were bouncy. Car c'était, il faut le dire, le chemin du pays de Meaulnes que je buvais ainsi... Because it was, it must be said, the path of the country of Meaulnes that I drank well ... "Un peu avant l'entrée du bourg, me disait Meaulnes, lorsque jadis il décrivait son village, on voit une grande roue à palettes que le vent fait tourner..." Il ne savait pas à quoi elle servait, ou peut-être feignait-il de n'en rien savoir pour piquer ma curiosité davantage. "A little before the entrance to the village," said Meaulnes, "when he used to describe his village, we see a big paddle wheel that the wind is spinning ..." He did not know what it was for, or maybe he pretended not to know anything to pique my curiosity more. C'est seulement au déclin de cette journée de fin d'août que j'aperçus, tournant au vent dans une immense prairie, la grande roue qui devait monter l'eau pour une métairie voisine. It was only at the end of that day at the end of August that I saw, turning in the wind in an immense meadow, the big wheel which was to raise the water for a neighboring farm. Derrière les peupliers du pré se découvraient déjà les premiers faubourgs. Behind the poplars of the meadow were already discovered the first suburbs. A mesure que je suivais le grand détour que faisait la route pour contourner le ruisseau, le paysage s'épanouissait et s'ouvrait... Arrivé sur le pont, je découvris enfin la grand rue du village. As I followed the detour along the road to get round the creek, the landscape bloomed and opened ... Arrived on the bridge, I finally discovered the main street of the village. Des vaches paissaient, cachées dans les roseaux de la prairie et j'entendais leurs cloches, tandis que, descendu de bicyclette, les deux mains sur mon guidon, je regardais le pays où j'allais porter une si grave nouvelle. Cows grazed, hidden in the reeds of the meadow, and I heard their bells, while, riding down on my bicycle, both hands on my handlebars, I looked at the country where I was going to carry such grave news. Les maisons, où l'on entrait en passant sur un petit pont de bois, étaient toutes alignées au bord d'un fossé qui descendait la rue, comme autant de barques, voiles carguées, amarrées dans le calme du soir. The houses, where one entered passing on a little wooden bridge, were all lined up at the edge of a ditch which descended the street, like so many boats, sails cargues, moored in the calm of the evening. C'était l'heure où dans chaque cuisine on allume un feu. It was the time when every kitchen lit a fire. Alors la crainte et je ne sais quel obscur regret de venir troubler tant de paix commencèrent à m'enlever tout courage. Then the fear and some obscure regret at coming to disturb so much peace began to rob me of all courage. A point pour aggraver ma soudaine faiblesse, je me rappelai que la tante Moinel habitait là, sur une petite place de La Ferté-d'Angillon. In order to aggravate my sudden weakness, I remembered that Aunt Moinel was living there, in a small square in La Ferte-d'Angillon. C'était une de mes grand tantes. She was one of my great aunts. Tous ses enfants étaient morts et j'avais bien connu Ernest, le dernier de tous, un grand garçon qui allait être instituteur. All his children were dead and I had known Ernest well, the last of them all, a big boy who was going to be a teacher. Mon grand-oncle Moinel, le vieux greffier, l'avait suivi de près. My great-uncle Moinel, the old clerk, had followed him closely. Et ma tante était restée toute seule dans sa bizarre petite maison où les tapis étaient faits d'échantillons cousus, les tables couvertes de coqs, de poules et de chats en papier--mais où les murs étaient tapissés de vieux diplômes, de portraits de défunts, de médaillons en boucles de cheveux morts. And my aunt had remained all alone in her weird little house where the carpets were made of stitched samples, the tables covered with roosters, chickens and paper cats - but where the walls were lined with old diplomas, portraits of dead, from lockets to dead hair curls. Avec tant de regrets et de deuil, elle était la bizarrerie et la bonne humeur mêmes. With so much regret and mourning, she was the same quirk and good mood. Lorsque j'eus découvert la petite place où se tenait sa maison, je l'appelai bien fort par la porte entr'ouverte, et je l'entendis tout au bout des trois pièces en enfilade pousser un petit cri suraigu: "Eh là! When I had discovered the little place where his house was situated, I called him very loudly through the half-open door, and I heard him at the end of the three rooms in a row, uttering a little shriek: "There! Mon Dieu!" My God!" Elle renversa son café dans le feu--à cette heure-là comment pouvait-elle faire du café? She spilled her coffee in the fire - at that hour how could she make coffee? Et elle apparut... Très cambrée en arrière, elle portait une sorte de chapeau-capote-capeline sur le faîte de la tête, tout en haut de son front immense et cabossé où il y avait de la femme mongole et de la Hottentote; et elle riait à petits coups, montrant le reste de ses dents très fines. And she appeared. She was arched backwards, and she wore a sort of cape-capeline on the top of her head, at the top of her huge, dented forehead, where there was a Mongol woman and a Hottentot; and she laughed softly, showing the rest of her fine teeth. Mais tandis que je l'embrassais, elle me prit maladroitement, hâtivement, une main que j'avais derrière le dos. But as I kissed her, she grabbed me clumsily, hastily, a hand I had behind my back. Avec un mystère parfaitement inutile puisque nous étions tous les deux seuls, elle me glissa une petite pièce que je n'osai pas regarder et qui devait être de un franc... Puis comme je faisais mine de demander des explications ou de la remercier, elle me donna une petite bourrade en criant: "Va donc! With a mystery perfectly useless since we were both alone, she slipped me a small room that I dared not look at and that had to be a franc ... Then as I pretended to ask explanations or to thank, she gave me a little shout, shouting: "Go! Ah! Ah! je sais bien ce que c'est!" I know what it is! " Elle avait toujours été pauvre, toujours empruntant, toujours dépensant. She had always been poor, always borrowing, always spending. "J'ai toujours été bête et toujours malheureuse", disait-elle sans amertume mais de sa voix de fausset. "I've always been stupid and always unhappy," she said without bitterness but in her falsetto voice. Persuadée que les sous me préoccupaient comme elle, la brave femme n'attendait pas que j'eusse soufflé pour me cacher dans la main ses très minces économies de la journée. Convinced that the pennies worried me as much as she did, the good woman did not wait until I had breathed to hide in my hand her very small savings of the day. Et par la suite c'est toujours ainsi qu'elle m'accueillit. And thereafter it is always how she greeted me. Le dîner fut aussi étrange à la fois triste et bizarre que l'avait été la réception. Dinner was as strange, sad and bizarre at the same time, as the reception had been. Toujours une bougie à portée de la main, tantôt elle l'enlevait, me laissant dans l'ombre, et tantôt la posait sur la petite table couverte de plats et de vases ébréchés ou fendus. Always a candle within reach, sometimes she took it out, leaving me in the shade, and sometimes placed it on the little table covered with chipped or cracked dishes and vases. "Celui-là, disait-elle, les Prussiens lui ont cassé les anses, en soixante-dix, parce qu'ils ne pouvaient pas l'emporter". "That one," she said, "the Prussians broke his handles in the seventies because they couldn't take him away." Je me rappelai seulement alors, en revoyant ce grand vase à la tragique histoire, que nous avions dîné et couché là jadis. It was only then that I remembered, seeing this large vase with the tragic story, that we had once dined and slept there. Mon père m'emmenait dans l'Yonne, chez un spécialiste qui devait guérir mon genou. My father took me to the Yonne, to a specialist who was supposed to cure my knee. Il fallait prendre un grand express qui passait avant le jour... Je me souvins du triste dîner de jadis, de toutes les histoires du vieux greffier accoudé devant sa bouteille de boisson rose. It was necessary to take a big express which passed before daylight ... I remembered the sad dinner of long ago, all the stories of the old clerk leaning in front of his bottle of pink drink. Et je me souvenais aussi de mes terreurs... Après le dîner, assise devant le feu, ma grand tante avait pris mon père à part pour lui raconter une histoire de revenants: "Je me retourne... Ah! And I also remembered my terrors ... After dinner, sitting in front of the fire, my great aunt had taken my father aside to tell him a ghost story: "I turn around ... Ah! Mon pauvre Louis, qu'est-ce que je vois, une petite femme grise..." Elle passait pour avoir la tête farcie de ces sornettes terrifiantes. My poor Louis, what do I see, a little gray woman ... "She passed to have her head stuffed with these terrifying nonsense. Et voilà que ce soir-là, le dîner fini, lorsque, fatigué par la bicyclette, je fus couché dans la grande chambre avec une chemise de nuit à carreaux de l'oncle Moinel, elle vint s'asseoir à mon chevet et commença de sa voix la plus mystérieuse et la plus pointue: "Mon pauvre François, il faut que je te raconte à toi ce que je n'ai jamais dit à personne..." Je pensai: "Mon affaire est bonne, me voilà terrorisé pour toute la nuit, comme il y a dix ans!..." And lo and behold that evening, dinner was over, when, tired from the bicycle, I was lying in the large bedroom with Uncle Moinel's checkered nightgown, she came and sat down at my bedside and began to his most mysterious and sharp voice: "My poor Francois, I must tell you what I have never said to anyone ..." I thought: "My business is good, here I am terrified for all night long, like ten years ago! ... " Et j'écoutai. Elle hochait la tête, regardant droit devant soi comme si elle se fût raconté l'histoire à elle-même: "Je revenais d'une fête avec Moinel. She nodded, looking straight ahead as if telling the story to herself: "I was coming back from a party with Moinel. C'était le premier mariage où nous allions tous les deux, depuis la mort de notre pauvre Ernest; et j'y avais rencontré ma soeur Adèle que je n'avais pas vue depuis quatre ans! It was the first wedding we had both attended since the death of our poor Ernest; and I had met my sister Adèle there, whom I had not seen for four years! »Un vieil ami de Moinel, très riche, l'avait invité à la noce de son fils, au domaine des Sablonnières. An old friend of Moinel, very rich, had invited him to his son's wedding at the Domaine des Sablonnières. « Nous avions loué une voiture. “We had rented a car. Cela nous avait coûté bien cher. It had cost us dearly. Nous revenions sur la route vers sept heures du matin, en plein hiver. We returned to the road around seven in the morning, in the middle of winter. Le soleil se levait. The sun was rising. Il n'y avait absolument personne. There was absolutely no one. Qu'est-ce que je vois tout d'un coup devant nous, sur la route? What do I suddenly see in front of us, on the road? Un petit homme, un petit jeune homme arrêté, beau comme le jour, qui ne bougeait pas, qui nous regardait venir. A little man, a little young man stopped, handsome as day, who didn't move, who watched us coming. A mesure que nous approchions, nous distinguions sa jolie figure, si blanche, si jolie que cela faisait peur!... As we approached, we could make out her pretty face, so white, so pretty that it frightened! ... » "Je prends le bras de Moinel; je tremblais comme la feuille; je voyais que c'était le Bon Dieu!... "" I take Moinel's arm; I was trembling like a leaf; I saw that it was the Good Lord! ... Je lui dis: "Regarde! C'est une apparition! "Il me répond tout bas, furieux: "Je l'ai bien vu! "He answers me very low, furious:" I saw it! Tais-toi donc, vieille bavarde..." "Il ne savait que faire; lorsque le cheval s'est arrêté... De près, cela avait une figure pâle, le front en sueur, un béret sale et un pantalon long. Shut up, old chatterer ... »« He did not know what to do; when the horse stopped ... Up close it had a pale face, sweaty forehead, a dirty beret and long pants. Nous entendîmes sa voix, qui disait: "Je ne suis pas un homme, je suis une jeune fille. We heard his voice, which said, "I am not a man, I am a young girl. Je me suis sauvée et je n'en puis plus. I ran away and I can't take it anymore. Voulez-vous bien me prendre dans votre voiture, monsieur et madame?" Will you take me in your car, sir and madam? " "Aussitôt nous l'avons fait monter. "Immediately we brought him up. A peine assise, elle a perdu connaissance. Barely seated, she lost consciousness. Et devines-tu à qui nous avions affaire? And do you guess who we were dealing with? C'était la fiancée du jeune homme des Sablonnières, Frantz de Galais, chez qui nous étions invités aux noces! She was the fiancée of the young man from Les Sablonnières, Frantz de Galais, to whom we were invited to the wedding! Mais il n'y a pas eu de noces, dis-je, puisque la fiancée s'est sauvée! But there was no wedding, I say, since the bride has fled! Eh bien, non, fit-elle toute penaude en me regardant. Well, no, she said sheepishly, looking at me. Il n'y a pas eu de noces. There was no wedding. Puisque cette pauvre folle s'était mis dans la tête mille folies qu'elle nous a expliquées. Since this poor madwoman had got into her head a thousand follies that she explained to us. C'était une des filles d'un pauvre tisserand. She was one of the daughters of a poor weaver. Elle était persuadée que tant de bonheur était impossible, que le jeune homme était trop jeune pour elle; que toutes les merveilles qu'il lui décrivait étaient imaginaires, et lorsqu'enfin Frantz est venu la chercher, Valentine a pris peur. She was convinced that so much happiness was impossible, that the young man was too young for her; that all the marvels he described to her were imaginary, and when Frantz finally came to look for her, Valentine was frightened. Il se promenait avec elle et sa soeur dans le jardin de l'Archevêché à Bourges, malgré le froid et le grand vent. He was walking with her and her sister in the garden of the Archdiocese in Bourges, despite the cold and the strong wind. Le jeune homme, par délicatesse certainement ou parce qu'il aimait la cadette, était plein d'attentions pour l'aînée. The young man, certainly out of delicacy or because he loved the younger one, was attentive to the older one. Alors ma folle s'est imaginé je ne sais quoi; elle a dit qu'elle allait chercher un fichu à la maison; et là, pour être sûre de n'être pas suivie, elle a revêtu des habits d'homme et s'est enfuie à pied sur la route de Paris. So my madwoman imagined I don't know what; she said she was going to get a scarf from the house; and there, to be sure not to be followed, she put on men's clothes and fled on foot on the road to Paris. "Son fiancé a reçu d'elle une lettre où elle lui déclarait qu'elle allait rejoindre un jeune homme qu'elle aimait. “Her fiancé received a letter from her telling him that she was going to join a young man she loved. Et ce n'était pas vrai... "Je suis plus heureuse de mon sacrifice, me disait-elle, que si j'étais sa femme". And it was not true ... "I am happier with my sacrifice, she said to me, than if I were his wife". Oui, mon imbécile, mais en attendant, il n'avait pas du tout l'idée d'épouser sa soeur: il s'est tiré une balle de pistolet; on a vu le sang dans le bois; mais on n'a jamais retrouvé son corps. Yes, my fool, but in the meantime, he had no idea of marrying his sister at all: he shot himself from a pistol; we saw the blood in the wood; but we never found his body. Et qu'avez-vous fait de cette malheureuse fille? And what did you do with that unhappy girl? Nous lui avons fait boire une goutte, d'abord. We gave him a drop, first. Puis nous lui avons donné à manger et elle a dormi auprès du feu quand nous avons été de retour. Then we gave her something to eat and she slept by the fire when we got back. Elle est restée chez nous une bonne partie de l'hiver. She stayed with us a good part of the winter. Tout le jour, tant qu'il faisait clair, elle taillait, cousait des robes, arrangeait des chapeaux et nettoyait la maison avec rage. All day long, as long as it was bright, she cut, sewed dresses, arranged hats, and raged the house clean. C'est elle qui a recollé toute la tapisserie que tu vois là. She's the one who glued together all the tapestry you see there. Et depuis son passage les hirondelles nichent dehors. And since his passage the swallows have been nesting outside. Mais, le soir, à la tombée de la nuit, son ouvrage fini, elle trouvait toujours un prétexte pour aller dans la cour, dans le jardin, ou sur le devant de la porte, même quand il gelait à pierre fendre. But in the evening, at nightfall, her work finished, she always found a pretext to go into the courtyard, the garden, or the front of the door, even when it was freezing to the ground. Et on la découvrait là, debout, pleurant de tout son coeur. And we found her there, standing, crying with all her heart. "Eh bien, qu'avez-vous encore? "Well, what have you got? Voyons? Let's see? "-Rien, madame Moinel!" "-Nothing, Madame Moinel!" "Et elle rentrait. "And she was coming home. "Les voisins disaient: "Vous avez trouvé une bien petit jolie petite bonne, madame Moinel. "The neighbors said:" You have found a very little pretty little maid, Madame Moinel. "Malgré nos supplications, elle a voulu continuer son chemin sur Paris, au mois de mars; je lui ai donné des robes qu'elle a retaillées, Moinel lui a pris son billet à la gare et donné un peu d'argent. "Despite our pleas, she wanted to continue on her way to Paris, in March; I gave her dresses which she recut, Moinel took her ticket at the station and gave her a little money. "Elle ne nous a pas oubliés; elle est couturière à Paris auprès de Notre-Dame; elle nous écrit encore pour nous demander si nous ne savons rien des Sablonnières. "She has not forgotten us; she is a seamstress in Paris with Notre-Dame; she still writes to us to ask us if we know anything about the Sablonnières. Une bonne fois, pour la délivrer de cette idée, je lui ai répondu que le domaine était vendu, abattu, le jeune homme disparu pour toujours et la jeune fille mariée. Once, to free her from this idea, I replied that the estate was sold, shot, the young man gone forever and the young girl married. Tout cela doit être vrai, je pense. All of this must be true, I think. Depuis ce temps ma Valentine écrit bien moins souvent..." Ce n'était pas une histoire de revenants que racontait la tante Moinel de sa petite voix stridente si bien faite pour les raconter. Since that time my Valentine has written much less often ... "It was not a ghost story that Aunt Moinel was telling in her shrill little voice so well suited to tell them. J'étais cependant au comble du malaise. However, I was at the height of unease. C'est que nous avions juré à Frantz le bohémien de le servir comme des frères et voilà que l'occasion m'en était donnée... Or, était-ce le moment de gâter la joie que j'allais porter à Meaulnes le lendemain matin, et de lui dire ce que je venais d'apprendre? It is because we had sworn to Frantz the Bohemian to serve him like brothers and now the opportunity was given to me ... Now, was this the moment to spoil the joy I was going to bring to Meaulnes on next morning, and tell him what I had just learned? A quoi bon le lancer dans une entreprise mille fois impossible? What is the use of launching him into a business a thousand times impossible? Nous avions en effet l'adresse de la jeune fille; mais où chercher le bohémien qui courait le monde?... We did indeed have the young girl's address; but where to look for the gypsy who roamed the world? ... Laissons les fous avec les fous, pensai-je.Delouche et Boujardon n'avaient pas tort. Let's leave the fools with the fools, I thought; Delouche and Boujardon were not wrong. Que de mal nous a fait ce Frantz romanesque! What harm has this romantic Frantz done to us! Et je résolus de ne rien dire tant que je n'aurais pas vu mariés Augustin Meaulnes et Mlle de Galais. And I resolved not to say anything until I saw Augustin Meaulnes and Mlle de Galais married. Cette résolution prise, il me restait encore l'impression pénible d'un mauvais présage--impression absurde que je chassai bien vite. This resolution taken, I still had the painful impression of a bad omen - an absurd impression that I quickly dismissed. La chandelle était presque au bout; un moustique vibrait; mais la tante Moinel, la tête penchée sous sa capote de velours qu'elle ne quittait que pour dormir, les coudes appuyés sur ses genoux, recommençait son histoire... Par moments elle relevait brusquement la tête et me regardait pour connaître mes impressions, ou peut-être pour voir si je ne m'endormais pas. A la fin, sournoisement, la tête sur l'oreiller, je fermai les yeux, faisant semblant de m'assoupir. At the end, slyly, my head on the pillow, I closed my eyes, pretending to doze off. "Allons! Tu dors...", fit-elle d'un ton plus sourd et un peu déçu. J'eus pitié d'elle et je protestai: "Mais non, ma tante, je vous assure... Mais si! I took pity on her and I protested: "No, auntie, I assure you ... But yes! dit-elle. Je comprends bien d'ailleurs que tout cela ne t'intéresse guère. I understand quite well that all this does not interest you. Je te parle là de gens que tu n'as pas connus..." Et lâchement, cette fois, je ne répondis pas. I'm talking to you about people you didn't know ... "And cowardly, this time, I didn't answer.