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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 1 - la baignade

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 1 - la baignade

Fumer la cigarette, se mettre de l'eau sucrée sur les cheveux pour qu'ils frisent, embrasser les filles du Cours Complémentaire dans les chemins et crier "A la cornette!" derrière la haie pour narguer la religieuse qui passe, c'était la joie de tous les mauvais drôles du pays. A vingt ans, d'ailleurs, les mauvais drôles de cette espèce peuvent très bien s'amender et deviennent parfois des jeunes gens fort sensibles. Le cas est plus grave lorsque le drôle en question a la figure déjà vieillotte et fanée, lorsqu'il s'occupe des histoires louches des femmes du pays, lorsqu'il dit de Gilberte Poquelin mille bêtises pour faire rire les autres. Mais enfin le cas n'est pas encore désespéré... C'était le cas de Jasmin Delouche. Il continuait, je ne sais pourquoi, mais certainement sans aucun désir de passer les examens, à suivre le Cour Supérieur que tout le monde aurait voulu lui voir abandonner. Entre temps, il apprenait avec son oncle Dumas le métier de plâtrier. Et bientôt ce Jasmin Delouche, avec Boujardon et un autre garçon très doux, le fils de l'adjoint qui s'appelait Denis, furent les seuls grands élèves que j'aimasse à fréquenter, parce qu'ils étaient "du temps de Meaulnes". Il y avait d'ailleurs, chez Delouche, un désir très sincère d'être mon ami. Pour tout dire, lui qui avait été l'ennemi du grand Meaulnes, il eût voulu devenir le grand Meaulnes de l'école: tout au moins regrettait-il peut-être de n'avoir pas été son lieutenant. Moins lourd que Boujardon, il avait senti, je pense, tout ce que Meaulnes avait apporté, dans notre vie, d'extraordinaire. Et souvent je l'entendais répéter: "Il le disait bien, le grand Meaulnes..." ou encore: "Ah! disait le grand Meaulnes..." Outre que Jasmin était plus homme que nous, le vieux petit gars disposait de trésors d'amusements qui consacraient sur nous sa supériorité: un chien de race mêlée, aux longs poils blancs, qui répondait au nom agaçant de Bécali et rapportait les pierres qu'on lançait au loin, sans avoir d'aptitude bien nette pour aucun autre sport; une vieille bicyclette achetée d'occasion et sur quoi Jasmin nous faisait quelquefois monter, le soir après le cours, mais avec laquelle il préférait exercer les filles du pays; enfin et surtout un âne blanc et aveugle qui pouvait s'atteler à tous les véhicules. C'était l'âne de Dumas, mais il le prêtait à Jasmin quand nous allions nous baigner au Cher, en été. Sa mère, à cette occasion, donnait une bouteille de limonade que nous mettions sous le siège, parmi les caleçons de bains desséchés. Et nous partions, huit ou dix grands élèves du Cours, accompagnés de M. Seurel, les uns à pied, les autres grimpés dans la voiture à âne, qu'on laissait à la ferme de Grand'Fons, au moment où le chemin du Cher devenait trop raviné. J'ai lieu de me rappeler jusqu'en ses moindres détails une promenade de ce genre, où l'âne de Jasmin conduisit au Cher nos caleçons, nos bagages, la limonade et M. Seurel, tandis que nous suivions à pied par derrière. On était au mois d'août. Nous venions de passer les examens.Délivrés de ce souci, il nous semblait que tout l'été, tout le bonheur nous appartenait, et nous marchions sur la route en chantant, sans savoir quoi ni pourquoi, au début d'un bel après-midi de jeudi. Il n'y eut, à l'aller, qu'une ombre à ce tableau innocent. Nous aperçûmes, marchant devant nous, Gilberte Poquelin. Elle avait la taille bien prise, une jupe demi-longue, des souliers hauts, l'air doux et effronté d'une gamine qui devient jeune fille. Elle quitta la route et prit un chemin détourné, pour aller chercher du lait sans doute. Le petit Coffin proposa aussitôt à Jasmin de la suivre. "Ce ne serait pas la première fois que j'irais l'embrasser...", dit l'autre. Et il se mit à raconter sur elle et ses amies plusieurs histoires grivoises, tandis que toute la troupe, par fanfaronnade, s'engageait dans le chemin, laissant M. Seurel continuer en avant, sur la route, dans la voiture à âne. Une fois là, pourtant, la bande commença à s'égrener. Delouche lui-même paraissait peu soucieux de s'attaquer devant nous à la gamine qui filait, et il ne l'approcha pas à plus de cinquante mètres. Il y eut quelques cris de coqs et de poules, des petits coups de sifflet galants, puis nous rebroussâmes chemin, un peu mal à l'aise, abandonnant la partie. Sur la route, en plein soleil, il fallut courir. Nous ne chantions plus. Nous nous déshabillâmes et rhabillâmes dans les saulaies arides qui bordent le Cher. Les saules nous abritaient des regards, mais non pas du soleil. Les pieds dans le sable et la vase desséchée, nous ne pensions qu'à la bouteille de limonade de la veuve Delouche, qui fraîchissait dans la fontaine de Grand'Fons, une fontaine creusée dans la rive même du Cher. Il y avait toujours, dans le fond, des herbes glauques et deux ou trois bêtes pareilles à des cloportes; mais l'eau était si claire, si transparente, que les pêcheurs n'hésitaient pas à s'agenouiller, les deux mains sur chaque bord, pour y boire. Hélas! Ce fut ce jour-là comme les autres fois... Lorsque, tous habillés, nous nous mettions en rond, les jambes croisées en tailleur, pour nous partager, dans deux gros verres sans pied, la limonade rafraîchie, il ne revenait guère à chacun, lorsqu'on avait prié M. Seurel de prendre sa part, qu'un peu de mousse qui piquait le gosier et ne faisait qu'irriter la soif. Alors, à tour de rôle, nous allions à la fontaine que nous avions d'abord méprisée, et nous approchions lentement le visage de la surface de l'eau pure. Mais tous n'étaient pas habitués à ces moeurs d'hommes des champs. Beaucoup, comme moi, n'arrivaient pas à se désaltérer: les uns, parce qu'ils n'aimaient pas l'eau, d'autres, parce qu'ils avaient le gosier serré par la peur d'avaler un cloporte, d'autres, trompés par la grande transparence de l'eau immobile et n'en sachant pas calculer exactement la surface, s'y baignaient la moitié du visage en même temps que la bouche et aspiraient âcrement par le nez une eau qui leur semblait brûlante, d'autres enfin pour toutes ces raisons à la fois... N'importe! Il nous semblait, sur ces bords arides du Cher, que toute la fraîcheur terrestre était enclose en ce lieu. Et maintenant encore, au seul mot de fontaine, prononcé n'importe où, c'est à celle-là, pendant longtemps, que je pense. Le retour se fit à la brune, avec insouciance d'abord, comme l'aller. Le chemin de Grand'Fons, qui remontait vers la route, était un ruisseau l'hiver et, l'été, un ravin impraticable, coupé de trous et de grosses racines, qui montait dans l'ombre entre de grandes haies d'arbres. Une partie des baigneurs s'y engagea par jeu. Mais nous suivîmes, avec M. Seurel, Jasmin et plusieurs camarades, un sentier doux et sablonneux, parallèle à celui-là, qui longeait la terre voisine. Nous entendions causer et rire les autres, près de nous, au-dessous de nous, invisibles dans l'ombre, tandis que Delouche racontait ses histoires d'homme... Au faîte des arbres de la grande haie grésillaient les insectes du soir qu'on voyait, sur le clair du ciel, remuer tout autour de la dentelle des feuillages. Parfois il en dégringolait un, brusquement, dont le bourdonnement grinçait tout à coup. Beau soir d'été calme!... Retour, sans espoir mais sans désir, d'une pauvre partie de campagne... Ce fut encore Jasmin, sans le vouloir, qui vint troubler cette quiétude... Au moment où nous arrivions au sommet de la côte, à l'endroit où il reste deux grosse vieilles pierres qu'on dit être les vestiges d'un château fort, il en vint à parler des domaines qu'il avait visités et spécialement d'un domaine à demi abandonné aux environs du Vieux-Nançay: le domaine des Sablonnières. Avec cet accent de l'Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec précocité les autres, il racontait avoir vu quelques années auparavant, dans la chapelle en ruine de cette vieille propriété, une pierre tombale sur laquelle étaient gravés ces mots: Ci-gît le chevalier Galois Fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle "Ah! Bah! Tiens!" disait M. Seurel, avec un léger haussement d'épaules, un peu gêné du ton que prenait la conversation, mais désireux cependant de nous laisser parler comme des hommes. Alors Jasmin continua de décrire ce château, comme s'il y avait passé sa vie. Plusieurs fois, en revenant du Vieux-Nançay, Dumas et lui avaient été intrigués par la vieille tourelle grise qu'on apercevait au-dessus des sapins. Il y avait là, au milieu des bois, tout un dédale de bâtiments ruinés que l'on pouvait visiter en l'absence des maîtres. Un jour, un garde de l'endroit, qu'ils avaient fait monter dans leur voiture, les avait conduits dans le domaine étrange. Mais depuis lors on avait fait tout abattre; il ne restait plus guère, disait-on, que la ferme et une petite maison de plaisance. Les habitants étaient toujours les mêmes: un vieil officier retraité, demi-ruiné, et sa fille. Il parlait... Il parlait... J'écoutai attentivement, sentant sans m'en rendre compte qu'il s'agissait là d'une chose bien connue de moi, lorsque soudain, tout simplement, comme se font les choses extraordinaires, Jasmin se tourna vers moi et, me touchant le bras, frappé d'une idée qui ne lui était jamais venue: Tiens, mais, j'y pense, dit-il, c'est là que Meaulnes tu sais, le grand Meaulnes? Avait dû aller. "Mais oui, ajouta-t-il, car je ne répondais pas, et je me rappelle que le garde parlait du fils de la maison, un excentrique, qui avait des idées extraordinaires..." Je ne l'écoutais plus, persuadé dès le début qu'il avait deviné juste et que devant moi, loin de Meaulnes, loin de tout espoir, venait de s'ouvrir, net et facile comme une route familière, le chemin du Domaine sans nom.


Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 1 - la baignade Le Grand meaulnes - part three - chapter 1 - bathing

Fumer la cigarette, se mettre de l'eau sucrée sur les cheveux pour qu'ils frisent, embrasser les filles du Cours Complémentaire dans les chemins et crier "A la cornette!" To smoke the cigarette, to put some sweet water on the hair so that they curl, to kiss the girls of the Complementary Course in the ways and to shout "To the cornet!" derrière la haie pour narguer la religieuse qui passe, c'était la joie de tous les mauvais drôles du pays. behind the hedge to taunt the passing nun, it was the joy of all the bad ones of the country. A vingt ans, d'ailleurs, les mauvais drôles de cette espèce peuvent très bien s'amender et deviennent parfois des jeunes gens fort sensibles. At twenty, moreover, the bad funny of this species can very well be amended and sometimes become very sensitive young people. Le cas est plus grave lorsque le drôle en question a la figure déjà vieillotte et fanée, lorsqu'il s'occupe des histoires louches des femmes du pays, lorsqu'il dit de Gilberte Poquelin mille bêtises pour faire rire les autres. The case is more serious when the funny man in question has the old and faded figure, when he deals with the shady stories of women of the country, when he says Gilberte Poquelin a thousand stupid things to make others laugh. Mais enfin le cas n'est pas encore désespéré...  C'était le cas de Jasmin Delouche. But the case is not yet hopeless ... This was the case with Jasmin Delouche. Il continuait, je ne sais pourquoi, mais certainement sans aucun désir de passer les examens, à suivre le Cour Supérieur que tout le monde aurait voulu lui voir abandonner. He continued, I do not know why, but certainly without any desire to pass the exams, to follow the Superior Court that everyone would have liked to see him abandon. Entre temps, il apprenait avec son oncle Dumas le métier de plâtrier. Meanwhile, he was learning with his uncle Dumas the job of plasterer. Et bientôt ce Jasmin Delouche, avec Boujardon et un autre garçon très doux, le fils de l'adjoint qui s'appelait Denis, furent les seuls grands élèves que j'aimasse à fréquenter, parce qu'ils étaient "du temps de Meaulnes". And soon this Jasmin Delouche, with Boujardon and another very sweet boy, the son of the deputy who was named Denis, were the only high school students I liked to attend, because they were "in the time of Meaulnes" . Il y avait d'ailleurs, chez Delouche, un désir très sincère d'être mon ami. There was also, at Delouche's, a very sincere desire to be my friend. Pour tout dire, lui qui avait été l'ennemi du grand Meaulnes, il eût voulu devenir le grand Meaulnes de l'école: tout au moins regrettait-il peut-être de n'avoir pas été son lieutenant. To tell the truth, he, who had been the enemy of the great Meaulnes, would have liked to become the great Meaulnes of the school: at least he regretted perhaps not having been his lieutenant. Moins lourd que Boujardon, il avait senti, je pense, tout ce que Meaulnes avait apporté, dans notre vie, d'extraordinaire. Less heavy than Boujardon, he had felt, I think, all that Meaulnes had brought in our life, extraordinary. Et souvent je l'entendais répéter: "Il le disait bien, le grand Meaulnes..." ou encore: "Ah! And often I heard him repeat: "He said it well, the great Meaulnes ..." or again: "Ah! disait le grand Meaulnes..." Outre que Jasmin était plus homme que nous, le vieux petit gars disposait de trésors d'amusements qui consacraient sur nous sa supériorité: un chien de race mêlée, aux longs poils blancs, qui répondait au nom agaçant de Bécali et rapportait les pierres qu'on lançait au loin, sans avoir d'aptitude bien nette pour aucun autre sport; une vieille bicyclette achetée d'occasion et sur quoi Jasmin nous faisait quelquefois monter, le soir après le cours, mais avec laquelle il préférait exercer les filles du pays; enfin et surtout un âne blanc et aveugle qui pouvait s'atteler à tous les véhicules. said the great Meaulnes ... "Besides that Jasmin was more man than us, the old little guy had treasures of amusements that consecrated us his superiority: a mixed breed dog, with long white hairs, who answered the name annoying from Bécali and brought back the stones that were thrown away, without having any clear aptitude for any other sport, an old bicycle bought secondhand and on which Jasmin sometimes made us go up the evening after the course, but with which he preferred to exercise the girls of the country, and last but not least a white and blind donkey who could tackle all the vehicles. C'était l'âne de Dumas, mais il le prêtait à Jasmin quand nous allions nous baigner au Cher, en été. It was Dumas' donkey, but he lent it to Jasmin when we went swimming in the Cher in the summer. Sa mère, à cette occasion, donnait une bouteille de limonade que nous mettions sous le siège, parmi les caleçons de bains desséchés. His mother, on this occasion, was giving a bottle of lemonade that we put under the seat, among the desiccated bathing trunks. Et nous partions, huit ou dix grands élèves du Cours, accompagnés de M. Seurel, les uns à pied, les autres grimpés dans la voiture à âne, qu'on laissait à la ferme de Grand'Fons, au moment où le chemin du Cher devenait trop raviné. And we were leaving, eight or ten students of the Course, accompanied by Mr. Seurel, some on foot, others climbed in the donkey car, which was left at the farm of Grand'Fons, at the time when the path of Cher was becoming too ravineous. J'ai lieu de me rappeler jusqu'en ses moindres détails une promenade de ce genre, où l'âne de Jasmin conduisit au Cher nos caleçons, nos bagages, la limonade et M. Seurel, tandis que nous suivions à pied par derrière. I am reminded to the slightest detail of a walk of this kind, where Jasmin's donkey led our shorts, our luggage, lemonade, and Monsieur Seurel to the Cher, while we followed on foot from behind. On était au mois d'août. It was August. Nous venions de passer les examens.Délivrés de ce souci, il nous semblait que tout l'été, tout le bonheur nous appartenait, et nous marchions sur la route en chantant, sans savoir quoi ni pourquoi, au début d'un bel après-midi de jeudi. We had just passed the examinations. Delivered from this concern, it seemed to us that all summer, all the happiness belonged to us, and we walked on the road singing, without knowing what or why, at the beginning of a beautiful after- Thursday lunchtime. Il n'y eut, à l'aller, qu'une ombre à ce tableau innocent. There was, on the way, only a shadow to this innocent picture. Nous aperçûmes, marchant devant nous, Gilberte Poquelin. We saw Gilberte Poquelin walking in front of us. Elle avait la taille bien prise, une jupe demi-longue, des souliers hauts, l'air doux et effronté d'une gamine qui devient jeune fille. She was well dressed, a half-length skirt, high shoes, the sweet, cheeky look of a girl who became a girl. Elle quitta la route et prit un chemin détourné, pour aller chercher du lait sans doute. She left the road and took a roundabout way to get milk, no doubt. Le petit Coffin proposa aussitôt à Jasmin de la suivre. Little Coffin immediately suggested that Jasmin follow her. "Ce ne serait pas la première fois que j'irais l'embrasser...", dit l'autre. "It would not be the first time I would go and kiss her ...", said the other. Et il se mit à raconter sur elle et ses amies plusieurs histoires grivoises, tandis que toute la troupe, par fanfaronnade, s'engageait dans le chemin, laissant M. Seurel continuer en avant, sur la route, dans la voiture à âne. And he began to tell about her and her friends several naughty stories, while the whole troupe, by swagger, went in the way, leaving Mr. Seurel continue ahead, on the road, in the donkey car. Une fois là, pourtant, la bande commença à s'égrener. Once there, however, the band began to scream. Delouche lui-même paraissait peu soucieux de s'attaquer devant nous à la gamine qui filait, et il ne l'approcha pas à plus de cinquante mètres. Delouche himself seemed unwilling to attack the girl who was spinning in front of us, and he did not approach him more than fifty yards away. Il y eut quelques cris de coqs et de poules, des petits coups de sifflet galants, puis nous rebroussâmes chemin, un peu mal à l'aise, abandonnant la partie. There were cries of cocks and chickens, little whistles, then we turned back, a little uncomfortable, giving up the game. Sur la route, en plein soleil, il fallut courir. On the road, in full sun, it was necessary to run. Nous ne chantions plus. We did not sing anymore. Nous nous déshabillâmes et rhabillâmes dans les saulaies arides qui bordent le Cher. We undressed and rehabbed in the arid willows bordering the Cher. Les saules nous abritaient des regards, mais non pas du soleil. The willows protected us, but not the sun. Les pieds dans le sable et la vase desséchée, nous ne pensions qu'à la bouteille de limonade de la veuve Delouche, qui fraîchissait dans la fontaine de Grand'Fons, une fontaine creusée dans la rive même du Cher. The feet in the sand and the dried mud, we thought only of the bottle of lemonade Delouche widow, who chilled in the fountain of Grand'Fons, a fountain dug in the bank of the Cher. Il y avait toujours, dans le fond, des herbes glauques et deux ou trois bêtes pareilles à des cloportes; mais l'eau était si claire, si transparente, que les pêcheurs n'hésitaient pas à s'agenouiller, les deux mains sur chaque bord, pour y boire. There were always, in the background, glaucous grass and two or three animals like woodlice; but the water was so clear, so transparent, that the fishermen did not hesitate to kneel, with both hands on each side, to drink. Hélas! Alas! Ce fut ce jour-là comme les autres fois... Lorsque, tous habillés, nous nous mettions en rond, les jambes croisées en tailleur, pour nous partager, dans deux gros verres sans pied, la limonade rafraîchie, il ne revenait guère à chacun, lorsqu'on avait prié M. Seurel de prendre sa part, qu'un peu de mousse qui piquait le gosier et ne faisait qu'irriter la soif. It was that day like the other times ... When, all dressed up, we went around in circles, legs crossed cross-legged, to share with us, in two big glasses without foot, the lemonade refreshed, it did not come back to each one, when M. Seurel had been asked to take his part, a little foam that stung his throat and only made him thirsty. Alors, à tour de rôle, nous allions à la fontaine que nous avions d'abord méprisée, et nous approchions lentement le visage de la surface de l'eau pure. Then, in turn, we went to the fountain that we had first despised, and we slowly approached the face of the surface of the pure water. Mais tous n'étaient pas habitués à ces moeurs d'hommes des champs. But not all of them were used to the mores of men of the fields. Beaucoup, comme moi, n'arrivaient pas à se désaltérer: les uns, parce qu'ils n'aimaient pas l'eau, d'autres, parce qu'ils avaient le gosier serré par la peur d'avaler un cloporte, d'autres, trompés par la grande transparence de l'eau immobile et n'en sachant pas calculer exactement la surface, s'y baignaient la moitié du visage en même temps que la bouche et aspiraient âcrement par le nez une eau qui leur semblait brûlante, d'autres enfin pour toutes ces raisons à la fois... N'importe! Many, like me, could not quench their thirst: some, because they did not like water, others, because they had the throat clenched by the fear of swallowing a woodlouse, d others, deceived by the great transparency of the motionless water and not knowing how to calculate exactly the surface, bathed half of the face at the same time as the mouth and sucked eagerly through the nose a water which seemed to them burning others, for all these reasons at the same time - no matter! Il nous semblait, sur ces bords arides du Cher, que toute la fraîcheur terrestre était enclose en ce lieu. It seemed to us, on these arid banks of the Cher, that all the terrestrial freshness was enclosed in this place. Et maintenant encore, au seul mot de fontaine, prononcé n'importe où, c'est à celle-là, pendant longtemps, que je pense. And now again, with the only word of fountain, pronounced anywhere, it is to that one, for a long time, that I think. Le retour se fit à la brune, avec insouciance d'abord, comme l'aller. The return was to the brunette, with carelessness at first, as the go. Le chemin de Grand'Fons, qui remontait vers la route, était un ruisseau l'hiver et, l'été, un ravin impraticable, coupé de trous et de grosses racines, qui montait dans l'ombre entre de grandes haies d'arbres. The Grand'Fons road, which ran up the road, was a stream in the winter and, in the summer, an impassable ravine, cut with holes and big roots, which rose in the shade between great hedges of trees . Une partie des baigneurs s'y engagea par jeu. Some of the swimmers went there by game. Mais nous suivîmes, avec M. Seurel, Jasmin et plusieurs camarades, un sentier doux et sablonneux, parallèle à celui-là, qui longeait la terre voisine. But we followed, with M. Seurel, Jasmin, and several comrades, a soft and sandy path, parallel to this one, which ran along the neighboring ground. Nous entendions causer et rire les autres, près de nous, au-dessous de nous, invisibles dans l'ombre, tandis que Delouche racontait ses histoires d'homme... Au faîte des arbres de la grande haie grésillaient les insectes du soir qu'on voyait, sur le clair du ciel, remuer tout autour de la dentelle des feuillages. We heard and laughed at the others, near us, below us, invisible in the shadows, while Delouche told his stories of man ... At the top of the trees of the great hedge sizzled evening bugs that On the clear sky, we could see the foliage lace all around. Parfois il en dégringolait un, brusquement, dont le bourdonnement grinçait tout à coup. Sometimes he tumbled one, abruptly, whose buzzing sound suddenly creaked. Beau soir d'été calme!... Beautiful calm summer evening! ... Retour, sans espoir mais sans désir, d'une pauvre partie de campagne... Ce fut encore Jasmin, sans le vouloir, qui vint troubler cette quiétude... Au moment où nous arrivions au sommet de la côte, à l'endroit où il reste deux grosse vieilles pierres qu'on dit être les vestiges d'un château fort, il en vint à parler des domaines qu'il avait visités et spécialement d'un domaine à demi abandonné aux environs du Vieux-Nançay: le domaine des Sablonnières. Return, without hope but without desire, from a poor part of the countryside ... It was again Jasmin, unwittingly, who came to disturb this tranquility ... When we reached the top of the hill, at the place where there are two large old stones that are said to be the remains of a fortified castle, he came to speak of the estates he had visited and especially of a half-abandoned estate around Vieux-Nançay: the estate Sablonnières. Avec cet accent de l'Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec précocité les autres, il racontait avoir vu quelques années auparavant, dans la chapelle en ruine de cette vieille propriété, une pierre tombale sur laquelle étaient gravés ces mots: Ci-gît le chevalier Galois Fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle "Ah! With this Allier accent which rounds off some words with vanity and precociously shortens others, he recounted seeing a few years earlier, in the ruined chapel of this old property, a tombstone on which were engraved these words: Here lies the Chevalier Galois Faithful to his God, to his King, to his Beauty "Ah! Bah! Bah! Tiens!" Here!" disait M. Seurel, avec un léger haussement d'épaules, un peu gêné du ton que prenait la conversation, mais désireux cependant de nous laisser parler comme des hommes. said M. Seurel, with a slight shrug of the shoulders, a little embarrassed at the tone of the conversation, but anxious nevertheless to let us speak like men. Alors Jasmin continua de décrire ce château, comme s'il y avait passé sa vie. So Jasmin continued to describe this castle, as if he had spent his life there. Plusieurs fois, en revenant du Vieux-Nançay, Dumas et lui avaient été intrigués par la vieille tourelle grise qu'on apercevait au-dessus des sapins. Several times, on returning from Vieux-Nançay, Dumas and he had been intrigued by the old gray turret that could be seen above the pines. Il y avait là, au milieu des bois, tout un dédale de bâtiments ruinés que l'on pouvait visiter en l'absence des maîtres. There was there, in the middle of the woods, a whole maze of ruined buildings that could be visited in the absence of the masters. Un jour, un garde de l'endroit, qu'ils avaient fait monter dans leur voiture, les avait conduits dans le domaine étrange. One day, a local guard, whom they had put in their car, led them into the strange domain. Mais depuis lors on avait fait tout abattre; il ne restait plus guère, disait-on, que la ferme et une petite maison de plaisance. But since then everything had been destroyed; there was little left, it was said, but the farm and a small pleasure house. Les habitants étaient toujours les mêmes: un vieil officier retraité, demi-ruiné, et sa fille. The inhabitants were always the same: a retired, half-ruined old officer and his daughter. Il parlait... Il parlait... J'écoutai attentivement, sentant sans m'en rendre compte qu'il s'agissait là d'une chose bien connue de moi, lorsque soudain, tout simplement, comme se font les choses extraordinaires, Jasmin se tourna vers moi et, me touchant le bras, frappé d'une idée qui ne lui était jamais venue: Tiens, mais, j'y pense, dit-il, c'est là que Meaulnes tu sais, le grand Meaulnes? He was talking ... He was talking ... I listened attentively, feeling without realizing that this was something well known to me, when suddenly, quite simply, how extraordinary things are done , Jasmin turned to me and, touching my arm, struck by an idea that had never occurred to him: Here, but, I think about it, he said, this is where Meaulnes you know, the great Meaulnes ? Avait dû aller. Should have gone. "Mais oui, ajouta-t-il, car je ne répondais pas, et je me rappelle que le garde parlait du fils de la maison, un excentrique, qui avait des idées extraordinaires..." Je ne l'écoutais plus, persuadé dès le début qu'il avait deviné juste et que devant moi, loin de Meaulnes, loin de tout espoir, venait de s'ouvrir, net et facile comme une route familière, le chemin du Domaine sans nom. "Of course," he added, "because I did not answer, and I remember the guard talking about the son of the house, an eccentric, who had extraordinary ideas ..." I no longer listened to him, convinced from the start that he had guessed correctly and that in front of me, far from Meaulnes, far from all hope, had opened, clean and easy like a familiar road, the path to the Nameless Domain.