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Le Grand Meaulnes, Le grand Meaulnes - chapitre 16 : Frantz de Galais.

Le grand Meaulnes - chapitre 16 : Frantz de Galais.

La course avait fini trop tôt.

Il était quatre heures et demie et il faisait jour encore, lorsque Meaulnes se retrouva dans sa chambre, la tête pleine des événements de son extraordinaire journée. Il s'assit devant la table, désoeuvré, attendant le dîner et la fête qui devait suivre. De nouveau soufflait le grand vent du premier soir. On l'entendait gronder comme un torrent ou passer avec le sifflement appuyé d'une chute d'eau. Le tablier de la cheminée battait de temps à autre. Pour la première fois, Meaulnes sentit en lui cette légère angoisse qui vous saisit à la fin des trop belles journées. Un instant il pensa à allumer du feu; mais il essaya vainement de lever le tablier rouillé de la cheminée. Alors il se prit à ranger dans la chambre; il accrocha ses beaux habits aux portemanteaux, disposa le long du mur les chaises bouleversées, comme s'il eût tout voulu préparer là pour un long séjour. Cependant songeant qu'il devait se tenir toujours prêt à partir, il plia soigneusement sur le dossier d'une chaise, comme un costume de voyage, sa blouse et ses autres vêtements de collégien; sous la chaise, il mit ses souliers ferrés pleins de terre encore. Puis il revint s'asseoir et regarda autour de lui, plus tranquille, sa demeure qu'il avait mise en ordre. De temps à autre une goutte de pluie venait rayer la vitre qui donnait sur la cour aux voitures et sur le bois de sapins. Apaisé, depuis qu'il avait rangé son appartement, le grand garçon se sentit parfaitement heureux. Il était là, mystérieux, étranger, au milieu de ce monde inconnu, dans la chambre qu'il avait choisie. Ce qu'il avait obtenu dépassait toutes ses espérances. Et il suffisait maintenant à sa joie de se rappeler ce visage de jeune fille, dans le grand vent, qui se tournait vers lui... Durant cette rêverie, la nuit était tombée sans qu'il songeât même à allumer les flambeaux. Un coup de vent fit battre la porte de l'arrière chambre qui communiquait avec la sienne et dont la fenêtre donnait aussi sur la cour aux voitures. Meaulnes allait la refermer, lorsqu'il aperçu dans cette pièce une lueur, comme celle d'une bougie allumée sur la table. Il avança la tête dans l'entrebâillement de la porte. Quelqu'un était entré là, par la fenêtre sans doute, et se promenait de long en large, à pas silencieux. Autant qu'on pouvait voir, c'était un très jeune homme. Nu-tête, une pèlerine de voyage sur les épaules, il marchait sans arrêt, comme affolé par une douleur insupportable. Le vent de la fenêtre qu'il avait laissée grande ouverte faisait flotter sa pèlerine et, chaque fois qu'il passait près de la lumière, on voyait luire des boutons dorés sur sa fine redingote. Il sifflait quelque chose entre ses dents, une espèce d'air marin, comme en chantent, pour s'égayer le coeur, les matelots et les filles dans les cabarets des ports... Un instant, au milieu de sa promenade agitée, il s'arrêta et se pencha sur la table, chercha dans une boîte, en sortit plusieurs feuilles de papier... Meaulnes vit, de profil, dans la lueur de la bougie, un très fin, très aquilin visage sans moustache sous une abondante chevelure que partageait une raie de côté. Il avait cessé de siffler. Très pâle, les lèvres entr'ouvertes, il paraissait à bout de souffle, comme s'il avait reçu au coeur un coup violent. Meaulnes hésitait s'il allait, par discrétion, se retirer, ou s'avancer, lui mettre doucement, en camarade, la main sur l'épaule, et lui parler. Mais l'autre leva la tête et l'aperçut. Il le considéra une seconde, puis, sans s'étonner, s'approcha et dit, affermissant sa voix: "Monsieur, je ne vous connais pas. Mais je suis content de vous voir. Puisque vous voici, c'est à vous que je vais expliquer... Voilà!... " Il paraissait complètement désemparé. Lorsqu'il eut dit: "Voilà", il prit Meaulnes par le revers de sa jaquette, comme pour fixer son attention. Puis il tourna la tête vers la fenêtre, comme pour réfléchir à ce qu'il allait dire, cligna des yeux--et Meaulnes comprit qu'il avait une forte envie de pleurer. Il ravala d'un coup toute cette peine d'enfant, puis, regardant toujours fixement la fenêtre, il reprit d'une voix altérée: "Eh bien, voilà: c'est fini; la fête est finie. Vous pouvez descendre le leur dire. Je suis rentré tout seul. Ma fiancée ne viendra pas. Par scrupule, par crainte, par manque de foi... d'ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer..." Mais il ne put continuer; tout son visage se plissa. Il n'expliqua rien. Se détournant soudain, il s'en alla dans l'ombre ouvrir et refermer des tiroirs pleins de vêtements et de livres. "Je vais m'apprêter pour repartir, dit-il. Qu'on ne me dérange pas". Il plaça sur la table divers objets, un nécessaire de toilette, un pistolet... Et Meaulnes, plein de désarroi, sortit sans oser lui dire un mot ni lui serrer la main. En bas, déjà, tout le monde semblait avoir pressenti quelque chose. Presque toutes les jeunes filles avaient changé de robe. Dans le bâtiment principal le dîner avait commencé, mais hâtivement, dans le désordre, comme à l'instant d'un départ. Il se faisait un continuel va-et-vient de cette grande cuisine-salle à manger aux chambres du haut et aux écuries. Ceux qui avaient fini formaient des groupes où l'on se disait au revoir. "Que se passe-t-il? demanda Meaulnes à un garçon de campagne, qui se hâtait de terminer son repas, son chapeau de feutre sur la tête et sa serviette fixée à son gilet. --Nous partons, répondit-il. Cela s'est décidé tout d'un coup. A cinq heures, nous nous sommes trouvés seuls, tous les invités ensemble. Nous avions attendu jusqu'à la dernière limite. Les fiancés ne pouvaient plus venir? Quelqu'un a dit: "Si nous partions..." Et tout le monde s'est apprêté pour le départ". Meaulnes ne répondit pas. Il lui était égal de s'en aller maintenant. N'avait-il pas été jusqu'au bout de son aventure?... N'avait-il pas obtenu cette fois tout ce qu'il désirait? C'est à peine s'il avait eu le temps de repasser à l'aise dans sa mémoire toute la belle conversation du matin. Pour l'instant, il ne s'agissait que de partir. Et bientôt, il reviendrait--sans tricherie, cette fois... "Si vous voulez venir avec nous, continua l'autre, qui était un garçon de son âge, hâtez-vous d'aller vous mettre en tenue. Nous attelons dans un instant". Il partit au galop, laissant là son repas commencé et négligeant de dire aux invités ce qu'il savait. Le parc, le jardin et la cour étaient plongés dans une obscurité profonde. Il n'y avait pas, ce soir-là, de lanternes aux fenêtres. Mais comme, après tout, ce dîner ressemblait au dernier repas des fins de noces, les moins bons des invités, qui peut-être avaient bu, s'étaient mis à chanter. A mesure qu'il s'éloignait, Meaulnes entendait monter leurs airs de cabaret, dans ce parc qui depuis deux jours avait tenu tant de grâce et de merveilles. Et c'était le commencement du désarroi et de la dévastation. Il passa près du vivier où le matin même il s'était miré. Comme tout paraissait changé déjà... avec cette chanson, reprise en choeur, qui arrivait par bribes: D'où donc que tu reviens, petite libertine? Ton bonnet est déchiré Tu es bien mal coiffée... et cet autre encore: Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour! Comme il arrivait au pied de l'escalier de sa demeure isolée, quelqu'un en descendait qui le heurta dans l'ombre et lui dit: "Adieu, monsieur! " Et, s'enveloppant dans sa pèlerine comme s'il avait très froid, disparut. C'était Franz Galais. La bougie que Frantz avait laissée dans sa chambre brûlait encore. Rien n'avait été dérangé. Il y avait seulement, écrits sur une feuille de papier à lettres placée en évidence, ces mots: Ma fiancée a disparu, me faisant dire qu'elle ne pouvait pas être ma femme; qu'elle était une couturière et non pas une princesse. Je ne sais que devenir. Je m'en vais. Je n'ai plus envie de vivre. Qu'Yvonne me pardonne si je ne lui dis pas adieu, mais elle ne pourrait rien pour moi... C'était la fin de la bougie, dont la flamme vacilla, rampa une seconde et s'éteignit. Meaulnes rentra dans sa propre chambre et ferma la porte. Malgré l'obscurité, il reconnut chacune des choses qu'il avait rangées en plein jour, en plein bonheur, quelques heures auparavant. Pièce par pièce, fidèle, il retrouva tout son vieux vêtement misérable, depuis ses godillots jusqu'à sa grossière ceinture à boucle de cuivre. Il se déshabilla et se rhabilla vivement, mais, distraitement, déposa sur une chaise ses habits d'emprunt, se trompant de gilet. Sous les fenêtres, dans la cour aux voitures, un remue-ménage avait commencé. On tirait, on appelait, on poussait, chacun voulant défaire sa voiture de l'inextricable fouillis où elle était prise. De temps en temps un homme grimpait sur le siège d'une charrette, sur la bâche d'une grande carriole et faisait tourner sa lanterne. La lueur du falot venait frapper la fenêtre: un instant, autour de Meaulnes, la chambre maintenant familière, où toutes choses avaient été pour lui si amicales, palpitait, revivait... Et c'est ainsi qu'il quitta, refermant soigneusement la porte, ce mystérieux endroit qu'il ne devait sans doute jamais revoir.


Le grand Meaulnes - chapitre 16 : Frantz de Galais. Le grand Meaulnes - chapter 16: Frantz de Galais. Le grand Meaulnes - 第16章: Frantz de Galais. Le grand Meaulnes - hoofdstuk 16: Frantz de Galais. Le grand Meaulnes - chapter 16: Frantz de Galais.

La course avait fini trop tôt. The race had ended too early.

Il était quatre heures et demie et il faisait jour encore, lorsque Meaulnes se retrouva dans sa chambre, la tête pleine des événements de son extraordinaire journée. It was half-past four, and it was daylight again when Meaulnes found herself in her room, her head full of the events of her extraordinary day. Il s’assit devant la table, désoeuvré, attendant le dîner et la fête qui devait suivre. He sat down at the table, idle, waiting for dinner and the party to follow. De nouveau soufflait le grand vent du premier soir. The big wind was blowing again the first night. On l’entendait gronder comme un torrent ou passer avec le sifflement appuyé d’une chute d’eau. It could be heard roaring like a torrent or passing with the hissing sound of a waterfall. Le tablier de la cheminée battait de temps à autre. The mantelpiece of the chimney flapped from time to time. Pour la première fois, Meaulnes sentit en lui cette légère angoisse qui vous saisit à la fin des trop belles journées. For the first time, Meaulnes felt in him that slight anguish that seizes you at the end of the beautiful days. Un instant il pensa à allumer du feu; mais il essaya vainement de lever le tablier rouillé de la cheminée. For a moment he thought of lighting a fire; but he vainly tried to lift the rusty deck from the chimney. Alors il se prit à ranger dans la chambre; il accrocha ses beaux habits aux portemanteaux, disposa le long du mur les chaises bouleversées, comme s’il eût tout voulu préparer là pour un long séjour. Then he began to tidy up in the room; he hung his beautiful clothes on the coat-racks, and arranged the upholstered chairs along the wall, as if he wanted to prepare everything for a long stay. Cependant songeant qu’il devait se tenir toujours prêt à partir, il plia soigneusement sur le dossier d’une chaise, comme un costume de voyage, sa blouse et ses autres vêtements de collégien; sous la chaise, il mit ses souliers ferrés pleins de terre encore. However, thinking that he must always be ready to leave, he carefully folded on the back of a chair, like a traveling suit, his blouse, and his other schoolboy clothes; under the chair he put on his iron shoes full of earth again. Puis il revint s’asseoir et regarda autour de lui, plus tranquille, sa demeure qu’il avait mise en ordre. Then he returned to his seat and looked around him, more tranquil, his house which he had put in order. De temps à autre une goutte de pluie venait rayer la vitre qui donnait sur la cour aux voitures et sur le bois de sapins. From time to time a drop of rain would scratch the window, which overlooked the courtyard with the carriages and the fir wood. Apaisé, depuis qu’il avait rangé son appartement, le grand garçon se sentit parfaitement heureux. Calmed, since he had put away his apartment, the tall boy felt perfectly happy. Il était là, mystérieux, étranger, au milieu de ce monde inconnu, dans la chambre qu’il avait choisie. He was there, mysterious, stranger, in the middle of this unknown world, in the room he had chosen. Ce qu’il avait obtenu dépassait toutes ses espérances. What he had obtained exceeded all his hopes. Et il suffisait maintenant à sa joie de se rappeler ce visage de jeune fille, dans le grand vent, qui se tournait vers lui...  Durant cette rêverie, la nuit était tombée sans qu’il songeât même à allumer les flambeaux. And now it was enough for her joy to remember that face of a young girl, in the high wind, who was turning towards him ... During this reverie, the night had fallen without him even thinking of lighting the torches. Un coup de vent fit battre la porte de l’arrière chambre qui communiquait avec la sienne et dont la fenêtre donnait aussi sur la cour aux voitures. A gust of wind blew the door of the rear room which communicated with his and whose window also overlooked the yard to the cars. Meaulnes allait la refermer, lorsqu’il aperçu dans cette pièce une lueur, comme celle d’une bougie allumée sur la table. Meaulnes was going to close it, when he saw in this room a glow, like that of a burning candle on the table. Il avança la tête dans l’entrebâillement de la porte. He put his head in the crack of the door. Quelqu’un était entré là, par la fenêtre sans doute, et se promenait de long en large, à pas silencieux. Someone had come in there, by the window, no doubt, and was walking up and down, quietly. Autant qu’on pouvait voir, c’était un très jeune homme. As far as we could see, he was a very young man. Nu-tête, une pèlerine de voyage sur les épaules, il marchait sans arrêt, comme affolé par une douleur insupportable. Naked-headed, a pilgrim traveling on his shoulders, he walked without stopping, as if panicked by an unbearable pain. Le vent de la fenêtre qu’il avait laissée grande ouverte faisait flotter sa pèlerine et, chaque fois qu’il passait près de la lumière, on voyait luire des boutons dorés sur sa fine redingote. The wind from the window, which he had left wide open, made his pilgrim float, and every time he passed near the light, golden buttons were gleaming on his fine frock coat. Il sifflait quelque chose entre ses dents, une espèce d’air marin, comme en chantent, pour s’égayer le coeur, les matelots et les filles dans les cabarets des ports...  Un instant, au milieu de sa promenade agitée, il s’arrêta et se pencha sur la table, chercha dans une boîte, en sortit plusieurs feuilles de papier... Meaulnes vit, de profil, dans la lueur de la bougie, un très fin, très aquilin visage sans moustache sous une abondante chevelure que partageait une raie de côté. He whistled something between his teeth, a sort of sea air, as if to sing, to cheer up the heart, the sailors and the girls in the cabarets of the ports ... One moment, in the middle of his restless walk, he stopped and leaned over the table, looked in a box, took out several sheets of paper ... Meaulnes lives, in profile, in the candlelight, a very fine, very aquiline face without a mustache under an abundant hair that shared a parting line. Il avait cessé de siffler. He had stopped hissing. Très pâle, les lèvres entr’ouvertes, il paraissait à bout de souffle, comme s’il avait reçu au coeur un coup violent. Very pale, his lips parted, he seemed out of breath, as if he had received a violent blow in the heart. Meaulnes hésitait s’il allait, par discrétion, se retirer, ou s’avancer, lui mettre doucement, en camarade, la main sur l’épaule, et lui parler. Meaulnes hesitated whether he would, out of discretion, withdraw, or step forward, gently put him in his comrade, his hand on his shoulder, and speak to him. Mais l’autre leva la tête et l’aperçut. But the other raised his head and saw it. Il le considéra une seconde, puis, sans s’étonner, s’approcha et dit, affermissant sa voix:  "Monsieur, je ne vous connais pas. He looked at him for a second, then, without being surprised, approached and said, strengthening his voice: "Sir, I do not know you. Mais je suis content de vous voir. But I'm happy to see you. Puisque vous voici, c’est à vous que je vais expliquer... Since you're here, I'll explain to you ... Voilà!... Here!... "  Il paraissait complètement désemparé. "He looked completely helpless. Lorsqu’il eut dit: "Voilà", il prit Meaulnes par le revers de sa jaquette, comme pour fixer son attention. When he had said, "There," he took Meaulnes by the back of his jacket, as if to fix his attention. Puis il tourna la tête vers la fenêtre, comme pour réfléchir à ce qu’il allait dire, cligna des yeux--et Meaulnes comprit qu’il avait une forte envie de pleurer. Then he turned his head to the window, as if to think about what he was going to say, blinked - and Meaulnes realized he had a strong urge to cry. Il ravala d’un coup toute cette peine d’enfant, puis, regardant toujours fixement la fenêtre, il reprit d’une voix altérée:  "Eh bien, voilà: c’est fini; la fête est finie. He swallowed all the trouble of a child at once, then, still staring at the window, he resumed in an altered voice: "Well, here it is: it's over, the party is over. Vous pouvez descendre le leur dire. You can go down and tell them. Je suis rentré tout seul. I went home alone. Ma fiancée ne viendra pas. My fiancee will not come. Par scrupule, par crainte, par manque de foi... d’ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer..."  Mais il ne put continuer; tout son visage se plissa. By scruple, fear, lack of faith ... besides, sir, I'm going to explain to you ... "But he could not continue, his whole face narrowed. Il n’expliqua rien. He did not explain anything. Se détournant soudain, il s’en alla dans l’ombre ouvrir et refermer des tiroirs pleins de vêtements et de livres. Turning away suddenly, he went into the shadows to open and close drawers full of clothes and books. "Je vais m’apprêter pour repartir, dit-il. "I'm going to get ready to leave," he said. Qu’on ne me dérange pas". Do not bother me. Il plaça sur la table divers objets, un nécessaire de toilette, un pistolet...  Et Meaulnes, plein de désarroi, sortit sans oser lui dire un mot ni lui serrer la main. He placed on the table various articles, a toiletry bag, a pistol. And Meaulnes, full of dismay, went out without daring to say a word to him or to shake his hand. En bas, déjà, tout le monde semblait avoir pressenti quelque chose. Downstairs, already, everyone seemed to have sensed something. Presque toutes les jeunes filles avaient changé de robe. Almost all the girls had changed their dress. Dans le bâtiment principal le dîner avait commencé, mais hâtivement, dans le désordre, comme à l’instant d’un départ. In the main building dinner had begun, but hastily, in disorder, as at the moment of a departure. Il se faisait un continuel va-et-vient de cette grande cuisine-salle à manger aux chambres du haut et aux écuries. There was a constant back and forth from this large kitchen-dining room to the upper rooms and stables. Ceux qui avaient fini formaient des groupes où l’on se disait au revoir. Those who had finished formed groups where we said goodbye. "Que se passe-t-il? "What is going on? demanda Meaulnes à un garçon de campagne, qui se hâtait de terminer son repas, son chapeau de feutre sur la tête et sa serviette fixée à son gilet. Meaulnes asked a country boy, who hastened to finish his meal, his felt hat on his head and his briefcase fastened to his waistcoat. --Nous partons, répondit-il. "We are leaving," he replied. Cela s’est décidé tout d’un coup. It was decided all of a sudden. A cinq heures, nous nous sommes trouvés seuls, tous les invités ensemble. At five o'clock we were alone, all the guests together. Nous avions attendu jusqu’à la dernière limite. We had waited until the last limit. Les fiancés ne pouvaient plus venir? The fiance could not come anymore? Quelqu’un a dit: "Si nous partions..." Et tout le monde s’est apprêté pour le départ". Someone said, "If we leave ..." And everyone is ready for departure. Meaulnes ne répondit pas. Il lui était égal de s’en aller maintenant. He did not care to leave now. N’avait-il pas été jusqu’au bout de son aventure?... Had not he been to the end of his adventure? ... N’avait-il pas obtenu cette fois tout ce qu’il désirait? Had not he got this time all he wanted? C’est à peine s’il avait eu le temps de repasser à l’aise dans sa mémoire toute la belle conversation du matin. He had scarcely had time to get back to his memory of all the beautiful conversation of the morning. Pour l’instant, il ne s’agissait que de partir. For the moment, it was only a question of leaving. Et bientôt, il reviendrait--sans tricherie, cette fois...  "Si vous voulez venir avec nous, continua l’autre, qui était un garçon de son âge, hâtez-vous d’aller vous mettre en tenue. And soon, he would come back - without cheating, this time ... "If you want to come with us," continued the other, who was a boy of his age, "hurry to go out and put on your clothes. Nous attelons dans un instant". We are hitching up in a moment. " Il partit au galop, laissant là son repas commencé et négligeant de dire aux invités ce qu’il savait. He left at a gallop, leaving his meal started and neglecting to tell the guests what he knew. Le parc, le jardin et la cour étaient plongés dans une obscurité profonde. The park, the garden and the courtyard were deep in darkness. Il n’y avait pas, ce soir-là, de lanternes aux fenêtres. There were no lanterns on the windows that evening. Mais comme, après tout, ce dîner ressemblait au dernier repas des fins de noces, les moins bons des invités, qui peut-être avaient bu, s’étaient mis à chanter. But as, after all, this dinner was like the last meal of the wedding, the less good of the guests, who perhaps had drunk, began to sing. A mesure qu’il s’éloignait, Meaulnes entendait monter leurs airs de cabaret, dans ce parc qui depuis deux jours avait tenu tant de grâce et de merveilles. As he walked away, Meaulnes heard their cabaret tunes rise in this park which for two days had held so much grace and wonders. Et c’était le commencement du désarroi et de la dévastation. And it was the beginning of confusion and devastation. Il passa près du vivier où le matin même il s’était miré. He passed near the well where he had sunk himself that very morning. Comme tout paraissait changé déjà... avec cette chanson, reprise en choeur, qui arrivait par bribes:  D’où donc que tu reviens, petite libertine? As everything seemed already changed ... with this song, rehearsed in chorus, which came in bits: So where do you come back, little libertine? Ton bonnet est déchiré Tu es bien mal coiffée... et cet autre encore:  Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour! Your hat is torn You are badly combed ... and this other again: My shoes are red ... Adieu, my loves ... My shoes are red ... Goodbye, no return! Comme il arrivait au pied de l’escalier de sa demeure isolée, quelqu’un en descendait qui le heurta dans l’ombre et lui dit:  "Adieu, monsieur! As he arrived at the foot of the staircase of his isolated dwelling, someone came down who struck him in the shadows and said: "Goodbye, sir! "  Et, s’enveloppant dans sa pèlerine comme s’il avait très froid, disparut. And, wrapping himself in his pilgrim as if he were very cold, disappeared. C’était Franz Galais. It was Franz Galais. La bougie que Frantz avait laissée dans sa chambre brûlait encore. The candle that Frantz had left in his room was still burning. Rien n’avait été dérangé. Nothing had been disturbed. Il y avait seulement, écrits sur une feuille de papier à lettres placée en évidence, ces mots:  Ma fiancée a disparu, me faisant dire qu’elle ne pouvait pas être ma femme; qu’elle était une couturière et non pas une princesse. There was only, written on a sheet of stationery placed prominently, these words: My fiancee has disappeared, making me say that she could not be my wife; that she was a seamstress and not a princess. Je ne sais que devenir. I do not know what to become. Je m’en vais. I am leaving. Je n’ai plus envie de vivre. I do not want to live anymore. Qu’Yvonne me pardonne si je ne lui dis pas adieu, mais elle ne pourrait rien pour moi...  C’était la fin de la bougie, dont la flamme vacilla, rampa une seconde et s’éteignit. Yonne forgive me if I do not say goodbye to her, but she could do nothing for me ... It was the end of the candle, whose flame flickered, crawled for a second and went out. Meaulnes rentra dans sa propre chambre et ferma la porte. Meaulnes returned to her own room and closed the door. Malgré l’obscurité, il reconnut chacune des choses qu’il avait rangées en plein jour, en plein bonheur, quelques heures auparavant. Despite the darkness, he recognized each of the things he had arranged in broad daylight, in full bloom a few hours earlier. Pièce par pièce, fidèle, il retrouva tout son vieux vêtement misérable, depuis ses godillots jusqu’à sa grossière ceinture à boucle de cuivre. Piece by piece, faithful, he found all his miserable old clothes, from his shoes to his coarse belt buckle copper. Il se déshabilla et se rhabilla vivement, mais, distraitement, déposa sur une chaise ses habits d’emprunt, se trompant de gilet. He undressed and dressed quickly, but distractedly placed his borrowed clothes on a chair, mistaking his waistcoat. Sous les fenêtres, dans la cour aux voitures, un remue-ménage avait commencé. Under the windows, in the courtyard with the cars, a commotion had begun. On tirait, on appelait, on poussait, chacun voulant défaire sa voiture de l’inextricable fouillis où elle était prise. They fired, they called, they pushed, each one wanting to undo his car from the inextricable jumble where it was taken. De temps en temps un homme grimpait sur le siège d’une charrette, sur la bâche d’une grande carriole et faisait tourner sa lanterne. From time to time a man climbed on the seat of a cart, on the tarp of a large cart, and turned his lantern. La lueur du falot venait frapper la fenêtre: un instant, autour de Meaulnes, la chambre maintenant familière, où toutes choses avaient été pour lui si amicales, palpitait, revivait... Et c’est ainsi qu’il quitta, refermant soigneusement la porte, ce mystérieux endroit qu’il ne devait sans doute jamais revoir. The glow of the lantern struck the window: for a moment, around Meaulnes, the now familiar room, where all things had been so friendly for him, throbbed, revived ... And so he left, carefully closing the door, this mysterious place he must never have seen again.