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"LE NEZ D'UN NOTAIRE" - Edmond About, Chapter 2 (pt B)

Chapter 2 (pt B)

II. LA CHASSE AU CHAT (-Part B-)

Le cocher du Turc était un de ces maraudeurs parisiens qui circulent passé minuit, sous un numéro de contrebande. Ayvaz l'avait pris à la porte de mademoiselle Tompain, et il l'avait gardé jusqu'à Parthenay. Le vieux routier sourit finement lorsqu'il vit qu'on l'arrêtait en rase campagne et qu'il y avait des sabres sous les manteaux.

— Bonne chance, monsieur! dit-il au brave Ayvaz. Oh! vous ne risquez rien; je porte bonheur à mes bourgeois. Encore "an dernier, j'en ai ramené un qui avait couché son homme. Il m'a donné vingt-cinq francs de pourboire; vra comme je vous le dis.

— Tu en auras cinquante, dit Ayvaz, si Dieu permet que je me venge à mon idée.

M. L'Ambert était d'une jolie force, mais trop connu dans les salles pour avoir jamais eu occasion de se battre. Au point de vue du terrain, il était aussi neuf qu'Ayvaz-Bey : aussi, quoiqu'il eût vaincu dans des assauts les maîtres elles prévôts de plusieurs régiments de cavalerie, il éprouvait une sourde trépidation qui n'était point de la peur, mais qui produisait des effets analogues. Sa conversation dans la voiture avait été brillante; il avait montré à ses témoins une gaieté sincère et pourtant un peu fébrile. Il avait brûlé trois ou quatre cigares en route, sous prétexte de les fumer. Lorsque tout le monde mit pied à terre, il marcha d'un pas ferme, trop ferme peut-être. Au fond de l'âme, il était en proie à une certaine appréhension, toute virile et toute française: il se défiait de Sol système nerveux et craignait de ne point paraître assez brave.

Il semble que les facultés de l'âme se doublent dans les moments critiques de la vie. Ainsi, M. L'Ambert était sans doute fort occupé du petit drame où il allait jouer un rôle, et cependant les objets les plus insignifiants du monde extérieur, ceux qui l'auraient le moins frappé en temps ordinaire, attiraient et retenaient son attention par une puissance irrésistible. A ses yeux, la nature était éclairée' d'une lumière nouvelle, plus nette, plus tranchante, plus crue que la lumière banale du soleil. Sa préoccupation soulignait pour ainsi dire tout ce qui tombait sous ses regards. Au détour du sentier, il aperçut un chat qui cheminait à petits pas entre deux rangs de groseilliers. C'était un chat comme on en voit beaucoup dans les villages : un long chat maigre, au poil blanc tacheté de roux, un de ces animaux demisauvages que le maître nourrit généreusement de toutes les souris qu'ils savent prendre. Celuilà jugeait sans doute que la maison n'était pas assez giboyeuse et cherchait en plein champ un supplément de pitance. Les yeux de maître L'Ambert, après avoir erré quelque temps à l'aventure, se sentirent attirés et comme fascinés par ia grimace de ce chat. Il l'observa attentivement, admira la souplesse de ses muscles, le dessin vigoureux de ses mâchoires, et crut faire une découverte de naturaliste en remarquant que le chat est un tigre en miniature.

— Que diable regardez-vous là? demanda le marquis en lui frappant sur l'épaule.

Il revint aussitôt à lui, et répondit du ton le plus dégagé:

— Cette sale bête m'a donné une distraction. Vous ne sauriez croire, monsieur le marquis, le dégât que ces coquins nous font dans une chasse. Ils mangent plus de couvées que nous ne tirons de perdreaux. Si j'avais un fusil!...

Et, joignant le geste à la parole, il coucha l'animal en joue en le désignant du doigt. Le chat saisit l'intention, fit une chute en arrière et disparut.

On le revit deux cents pas plus loin. 11 se faisait la barbe au milieu d'une pièce de colza et semblait attendre les Parisiens.

— Est-ce que tu nous suis? demanda le notaire en répétant sa menace.

La bête prudentissime s'enfuit de nouveau; mais elle reparut à l'entrée de la clairière où l'on devait se battre. M. L'Ambert, superstitieux comme un joueur qui va entamer une grosse partie, voulut chasser ce fétiche malfaisant. Il lui lança un caillou sans l'atteindre. Le cha* grimpa sur un arbre et s'y tint coi.

Déjà les témoins avaient choisi le terrain et tiré les places au sort. La meilleure échut à M. L'Ambert. Le sort voulut aussi qu'on se servît de ses armes et non des yatagans japonais, qui l'auraient peut-être embarrassé.

Ayvaz ne s'embarrassait de rien. Tout sabre lui était bon. Il regardait le nez de son ennemi comme un pêcheur regarde une belle truite suspendue au bout de sa ligne. Il se dépouilla prestement de tous les habits qui n'étaient pas indispensables, jeta sur l'herbe sa calotte rouge et sa redingote verte et retroussa les manches de sa chemise jusqu'au coude. Il faut croire que les Turcs les plus endormis se réveillent au cliquetis des armes. Ce gros garçon, dont la physionomie n'avait rien que de paterne, apparut comme transfiguré. Sa figure s'éclaira, ses yeux lancèrent la flamme. Il prit'un sabre des mains du marquis, recula de deux pas et entonna en langue turque une improvisation poétique que son ami Osman-Bey a bien voulu nous conserver et nous traduire:

— Je me suis armé pour le combat; malheur au giaour qui m'offense! Le sang se paye avec du sang. Tu m'as frappé de la main; moi, Ayvaz, fils de Ruchdi, je te frapperai du sabre. Ton visage mutilé fera rire les belles femmes: Schlosser et Mercier, Thibert et Savile se détourneront avec mépris. Le parfum des roses d'Izmir sera perdu pour toi. Que Mahomet me donne la force, je ne demande le courage à personne. Hourra! Je me suis armé pour le combat.

Il dit, et se précipita sur son adversaire. L'attaqua-t-il en tierce ou en quarte, je n'en sais rien, ni lui non plus, ni les témoins, ni M. L'Ambert. Mais un flot de sang jaillit au bout du sabre, une paire de lunettes glissa sur le sol, et le notaire sentit sa tête allégée par devant de tout le poids de son nez. Il en restait bien quelque chose, mais si peu, qu'en vérité je n'en parle que pour mémoire.

M. L'Àmbert se jeta à la renverse et se releva presque aussitôt pour courir tête baissée, comme un aveugle ou comme un fou. Au même instant, un corps opaque tomba du haut d'un chêne. Une minute plus tard, on vit apparaître un petit homme fluet, le chapeau à la main, suivi d'un grand domestique en livrée. C'était M. Triquet, officier de santé de la commune de Parthenay.

Soyez le bienvenu, digne monsieur Triquet! Un brillant notaire de Paris a grand besoin de vos services. Remettez votre vieux chapeau sur votre crâne dépouillé, essuyez les gouttes de sueur qui brillent sur vos pommettes rouges comme la rosée sur deux pivoines en fleur, et relevez au plus tôt les manches luisantes de votre respectable habit noir!

Mais le bonhomme était trop ému pour se mettre d'abord à l'ouvrage. Il parlait, parlait, parlait, d'une petite voix haletante et chevrotante.

— Bonté divine!... disait-il. Honneur à vous, messieurs; votre serviteur très-humble. Est-il Jésus permis de se mettre dans des états pareils ? C'est une mutilation; je vois ce que c'est! Décidément, il est trop tard pour apporter ici des paroles conciliantes; le mal est accompli. Ah ! messieurs, messieurs, la jeunesse sera toujours jeune. Moi aussi, j'ai failli me laisser emporter à détruire ou à mutiler mon semblable. C'était en 1820. Qu'ai-je fait, messieurs? J'ai fait des excuses. Oui, des excuses, et je m'en honore; d'autant plus que le bon droit était de mon côté. Vous n'avez donc jamais lu les belles pages de Rousseau contre le duel? C'est irréfutable en vérité ; un morceau de chrestomathie littéraire et morale. Et notez bien que Rousseau n'a pas encore tout dit. S'il avait étudié le corps humain, ce chef-d'œuvre de la création, cette admirable image de Dieu sur la terre, il vous aurait montré qu'on est bien coupable de détruire un ensemble si parfait. Je ne dis pas cela pour la personne qui a porté le coup. A Dieu ne plaise! Elle avait sans doute ses raisons, que je res pecte. Mais si l'on savait quel mal nous nous donnons, pauvres médecins que nous sommes, pour guérir la moindre blessure! Il est vrai que nous en vivons,ainsi nue des maladies; mais n'importe! j'aimerais mieux me priver de bien des choses et vivre d'un morceau de lard sur du pain bis que d'assister aux souffrances de mon semblable.

Le marquis interrompit cette doléance.

— Ah ça! docteur, s'écria-t-il, nous ne sommes pas ici pour philosopher. Voilà un homme qui saigne comme un bœuf. Il s'agit d'arrêter l'hémorrhagie.

—Oui, monsieur,reprit-il vivement, l'hémorrhagie! c'est le mot propre. Heureusement, j'ai tout prévu. Voici un flacon d'eau hémostatique. C'est la préparation de Brocchieri; je la préfère à la recette de Léchelle.

Il se dirigea,le flacon à la main, vers M. L'Am-' bert, qui s'était assis au pied d'un arbre et saignait mélancoliquement. — Monsieur, lui dit-il avec une grande révérence, croyez que je regrette sincèrement de n'avoir pas eu l'honneur de vous connaître à l'occasion d'un événement moins regrettable.

Maître L'Ambert releva la tête et lui dit d'une voix dolente:

— Docteur, est-ce que je perdrai le nez?

— Non, monsieur, vous ne le perdrez pas. Hélas! vous n'avez plus à le perdre, très-honoré monsieur: vous l'avez perdu.

Tout en parlant, il versait l'eau de Brocchieri sur une compresse.

— Ciel! cria-t-il, monsieur, il me vient une idée. Je puis vous rendre l'organe si utile et si agréable que vous avez perdu.

— Parlez, que diable ! ma fortune est à vous I

Ah! docteur! plutôt que de vivre défiguré, j'ai« merais mieux mourir.

— On dit cela... Mais, voyons! où est le morceau qu'on vous a coupé? Je ne suis pas ut champion de la force de M. Velpeau ou de M. Huguier; mais j'essayerai de raccommoder les choses par première intention.

Maître L'Amhert se leva précipitamment et courut au champ de bataille. Le marquis et M. Steimbourg le suivirent; les Turcs, qui se promenaient ensemble assez tristement (car le feu d'Ayvaz-Bey s'était éteint en une seconde), se rapprochèrent de leurs anciens ennemis. Or retrouva sans peine la place où les combattants avaient foulé l'herbe nouvelle; on retrouva les lunettes d'or; mais le nez du notaire n'y étai plus. En revanche, on vit yn chat, l'horrible chat blanc et jaune, qui léchait avec sensualité ses lèvres sanglantes.

— Jour de Dieu! s'écria le marquis en désignant la bête.

Tout le monde comprit le geste et l'exclamation.

— Serait-il encore temps? demanda le notaire.

— Peut-être, dit le médecin.

Et de courir. Mais le chat n'était pas d'humeur à se laisser prendre. Il courut aussi.

Jamais le petit bois de Parthenay n'avait vu, jamais sans doute il ne reverra chasse pareille. Un marquis, un agent de change, trois diplo= mâles, un médecin de village, un valet de pied en grande livrée et un notaire saignant dans son mouchoir se lancèrent éperdument à la pour suite d'un maigre chat. Courant, criant, lançant des pierres, des branches mortes et tout ce qui 'eur tombait sous la main, ils traversaient les îhemins et les clairières et s'enfonçaient tête baissée dans les fourrés les plus épais. Tantôt groupés ensemble et tantôt dispersés, quelquefois échelonnés sur une ligne droite, quelquefois rangés en rond autour de l'ennemi; battant les buissons, secouant les arbustes, grimpant aux arbres, déchirant leurs brodequins à toutes les souches et leurs habits à tous les buissons, ils allaient comme une tempête; mais le chat infernal était plus rapide que lèvent. Deux fois on sut l'enfermer dans un cercle; deux fois il força l'enceinte et prit du champ. Un instant il parut dompté par la fatigue ou la douleur. Il était tombé sur le flanc, en voulant sauter d'un arbre k l'autre et suivre le chemin des écureuils. Le valet de M. L'Arabert courut sur lui à fond de train, l'atteignit en quelques bonds et le saisit parla queue. Mais le tigre en miniature conquit sa liberté d'un coup de griffe et s'élança hors du bois.

On le poursuivit en plaine. Longue, longue était déjà la route parcourue; immense était la plaine, qui se découpait en échiquier devant les chasseurs et leur proie.

La chaleur du jour était pesante ; de gros nuages noirs s'amoncelaient à l'occident; la sueur ruisselait sur tous les visages; mais rien n arrêta l'emportement de ces huit hommes.

M. L'Ambert, tout sanglant, animait ses compagnons de la voix et du geste. Ceux qui n'ont jamais vu un notaire à la poursuite de son nez ne pourront se faire une juste idée de son ardeur. Adieu fraises et framboises! adieu groseilles et cassis ! Partout où l'avalanche avait passé, l'espoir de la récolte était foulé, détruit, mis à néant; ce n'était plus que fleurs écrasées, bourgeons arrachés, branches cassées, tiges foulées aux pieds. Les villageois, surpris par l'invasion de ce fléau inconnu, jetaient les arrosoirs, appelaient leurs voisins, criaient au garde champêtre, réclamaient le prix du dégât et donnaient la chasse aux chasseurs.

Victoire! le chat est prisonnier. Il s'est jeté dans un puits. Des seaux! des cordes! des échelles! On est sûr que le nez de maître Lambert se retrouvera intact, ou à peu près. Mais, hélas! ce puits n'est pas un puits comme les autres. C'est l'ouverture d'une carrière abandonnée, dont les galeries forment en tout sens un réseau de plus de dix lieues et se relient aux catacombes de Paris!

On paye les soins de M. Triquet; on paye aux villageois toutes les indemnités qu'ils réclament, et l'on reprend, sous une grosse pluie d'orage, le chemin de Parthenay.

Avant de monter en voiture, Ayvaz-Bey, mouillé comme un canard et tout à fait calmé, vint tendre la main à M. L'Ambert.

— Monsieur, lui dit-il, je regrette sincèrement que mon obstination ait poussé les choses si loin. La petite Tompain ne vaut pas une seule goutte du sang qui a coulé pour elle, et je lui enverrai son congé dès aujourd'hui; car je ne saurais plus la voir sans penser au malheur qu'elle a causé. Vous êtes témoin que j'ai fait tous mes efforts, avec ces messieurs, pour vous rendre ce que vous aviez perdu. Maintenant, permettezmoi d'espérer encore que cet accident ne sera pas irréparable. Le médecin du village nous a rappelé qu'il y avait à Paris des praticiens plus habiles que lui; je crois avoir entendu dire que la chirurgie moderne avait des secrets infaillilibles pour restaurer les parties mutilées ou détruites.

M. L'Ambert accepta d'assez mauvaise grâce a main loyale qu'on lui tendait, et se fit ramener au faubourg Saint-Germain avec ses deux amis.


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II. LA CHASSE AU CHAT  (-Part B-)

Le cocher du Turc était un de ces maraudeurs parisiens qui circulent passé minuit, sous un numéro de contrebande. The Turk's coachman was one of those Parisian marauders who circulate after midnight under a contraband number. Ayvaz l’avait pris à la porte de mademoiselle Tompain, et il l’avait gardé jusqu’à Parthenay. Ayvaz had taken him at Mademoiselle Tompain's door, and he had kept him as far as Parthenay. Le vieux routier sourit finement lorsqu’il vit qu’on l’arrêtait en rase campagne et qu’il y avait des sabres sous les manteaux. The old trucker smiled shrewdly when he saw that he was being stopped in the open country and that there were swords under his coats.

— Bonne chance, monsieur! dit-il au brave Ayvaz. he said to the brave Ayvaz. Oh! vous ne risquez rien; je porte bonheur à mes bourgeois. you risk nothing; I bring happiness to my bourgeois. Encore "an dernier, j’en ai ramené un qui avait couché son homme. Again "last year, I brought back one who had put his man to bed. Il m’a donné vingt-cinq francs de pourboire; vra comme je vous le dis. He gave me a twenty-five franc tip; true to form.

— Tu en auras cinquante, dit Ayvaz, si Dieu permet que je me venge à mon idée. — You will have fifty, said Ayvaz, if God allows me to avenge myself on my idea.

M. L’Ambert était d’une jolie force, mais trop connu dans les salles pour avoir jamais eu occasion de se battre. M. L'Ambert was handsomely strong, but too well known in the halls to have ever had occasion to fight. Au point de vue du terrain, il était aussi neuf qu’Ayvaz-Bey : aussi, quoiqu’il eût vaincu dans des assauts les maîtres elles prévôts de plusieurs régiments de cavalerie, il éprouvait une sourde trépidation qui n’était point de la peur, mais qui produisait des effets analogues. From the point of view of the terrain, he was as new as Ayvaz-Bey: also, although he had conquered in assaults the masters and provosts of several regiments of cavalry, he felt a dull trepidation which was not fear. , but produced similar effects. Sa conversation dans la voiture avait été brillante; il avait montré à ses témoins une gaieté sincère et pourtant un peu fébrile. His conversation in the car had been brilliant; he had shown his witnesses a sincere and yet somewhat feverish gaiety. Il avait brûlé trois ou quatre cigares en route, sous prétexte de les fumer. He had burned three or four cigars on the way, under the pretext of smoking them. Lorsque tout le monde mit pied à terre, il marcha d’un pas ferme, trop ferme peut-être. When everyone dismounted, he walked with a firm step, too firm perhaps. Au fond de l’âme, il était en proie à une certaine appréhension, toute virile et toute française: il se défiait de Sol système nerveux et craignait de ne point paraître assez brave. In the depths of his soul, he was the prey of a certain apprehension, all virile and all French: he distrusted his nervous system and feared that he did not appear brave enough.

Il semble que les facultés de l’âme se doublent dans les moments critiques de la vie. It seems that the faculties of the soul are doubled in the critical moments of life. Ainsi, M. L’Ambert était sans doute fort occupé du petit drame où il allait jouer un rôle, et cependant les objets les plus insignifiants du monde extérieur, ceux qui l’auraient le moins frappé en temps ordinaire, attiraient et retenaient son attention par une puissance irrésistible. Thus, M. L'Ambert was no doubt very busy with the little drama in which he was about to play a part, and yet the most insignificant objects of the external world, those which would have struck him the least in ordinary times, attracted and held his attention. by an irresistible power. A ses yeux, la nature était éclairée' d’une lumière nouvelle, plus nette, plus tranchante, plus crue que la lumière banale du soleil. In his eyes, nature was illuminated' by a new light, sharper, sharper, sharper than ordinary sunlight. Sa préoccupation soulignait pour ainsi dire tout ce qui tombait sous ses regards. His preoccupation underlined, so to speak, everything that came into view. Au détour du sentier, il aperçut un chat qui cheminait à petits pas entre deux rangs de groseilliers. At a bend in the path, he spotted a cat striding between two rows of currant bushes. C’était un chat comme on en voit beaucoup dans les villages : un long chat maigre, au poil blanc tacheté de roux, un de ces animaux demisauvages que le maître nourrit généreusement de toutes les souris qu’ils savent prendre. It was a cat of the sort you see a lot of in the villages: a long, lean cat, with white fur spotted with ginger, one of those semi-wild animals whose master generously feeds them whatever mice they can catch. Celuilà jugeait sans doute que la maison n’était pas assez giboyeuse et cherchait en plein champ un supplément de pitance. Les yeux de maître L’Ambert, après avoir erré quelque temps à l’aventure, se sentirent attirés et comme fascinés par ia grimace de ce chat. Il l’observa attentivement, admira la souplesse de ses muscles, le dessin vigoureux de ses mâchoires, et crut faire une découverte de naturaliste en remarquant que le chat est un tigre en miniature. He observed it attentively, admired the suppleness of its muscles, the vigorous design of its jaws, and thought he had made a naturalist's discovery when he noticed that the cat was a miniature tiger.

— Que diable regardez-vous là? "What the hell are you looking at there?" demanda le marquis en lui frappant sur l’épaule. asked the marquis, tapping him on the shoulder.

Il revint aussitôt à lui, et répondit du ton le plus dégagé: He came to himself at once, and answered in the most relaxed tone:

— Cette sale bête m’a donné une distraction. Vous ne sauriez croire, monsieur le marquis, le dégât que ces coquins nous font dans une chasse. You cannot believe, Monsieur le Marquis, the damage that these rascals do to us in a hunt. Ils mangent plus de couvées que nous ne tirons de perdreaux. They eat more broods than we take from partridges. Si j’avais un fusil!...

Et, joignant le geste à la parole, il coucha l’animal en joue en le désignant du doigt. And, suiting the action to the word, he took aim at the animal, pointing to it with his finger. Le chat saisit l’intention, fit une chute en arrière et disparut. The cat caught the intention, tumbled backwards, and disappeared.

On le revit deux cents pas plus loin. 11 se faisait la barbe au milieu d’une pièce de colza et semblait attendre les Parisiens. He was shaving in the middle of a piece of colza and seemed to be waiting for the Parisians.

— Est-ce que tu nous suis? "Are you following us?" demanda le notaire en répétant sa menace.

La bête prudentissime s’enfuit de nouveau; mais elle reparut à l’entrée de la clairière où l’on devait se battre. The prudent beast flees again; but she reappeared at the entrance to the clearing where they were to fight. M. L’Ambert, superstitieux comme un joueur qui va entamer une grosse partie, voulut chasser ce fétiche malfaisant. Il lui lança un caillou sans l’atteindre. He threw a pebble at her without hitting her. Le cha* grimpa sur un arbre et s’y tint coi.

Déjà les témoins avaient choisi le terrain et tiré les places au sort. The witnesses had already chosen the site and drawn the places by lot. La meilleure échut à M. L’Ambert. The best went to M. L'Ambert. Le sort voulut aussi qu’on se servît de ses armes et non des yatagans japonais, qui l’auraient peut-être embarrassé. Fate also wanted us to use his weapons and not the Japanese yatagans, who might have embarrassed him.

Ayvaz ne s’embarrassait de rien. Ayvaz didn't bother with anything. Tout sabre lui était bon. Any saber was good for him. Il regardait le nez de son ennemi comme un pêcheur regarde une belle truite suspendue au bout de sa ligne. He gazed at his enemy's nose the way a fisherman gazes at a fine trout hanging from the end of his line. Il se dépouilla prestement de tous les habits qui n’étaient pas indispensables, jeta sur l’herbe sa calotte rouge et sa redingote verte et retroussa les manches de sa chemise jusqu’au coude. He quickly stripped himself of all the clothes that were not essential, threw his red cap and his green frock coat on the grass and rolled up the sleeves of his shirt to the elbow. Il faut croire que les Turcs les plus endormis se réveillent au cliquetis des armes. You have to believe that the sleepiest Turks wake up to the clash of arms. Ce gros garçon, dont la physionomie n’avait rien que de paterne, apparut comme transfiguré. This fat boy, whose countenance had nothing but paternity, appeared as if transfigured. Sa figure s’éclaira, ses yeux lancèrent la flamme. His face lit up, his eyes blazed. Il prit’un sabre des mains du marquis, recula de deux pas et entonna en langue turque une improvisation poétique que son ami Osman-Bey a bien voulu nous conserver et nous traduire: He took 'a sabre from the marquis, stepped back two paces and intoned a poetic improvisation in Turkish, which his friend Osman-Bey has kindly preserved and translated for us:

— Je me suis armé pour le combat; malheur au giaour qui m’offense! Le sang se paye avec du sang. Blood is paid with blood. Tu m’as frappé de la main; moi, Ayvaz, fils de Ruchdi, je te frapperai du sabre. Ton visage mutilé fera rire les belles femmes: Schlosser et Mercier, Thibert et Savile se détourneront avec mépris. Your mutilated face will make beautiful women laugh: Schlosser and Mercier, Thibert and Savile will turn away with contempt. Le parfum des roses d’Izmir sera perdu pour toi. The scent of Izmir roses will be lost to you. Que Mahomet me donne la force, je ne demande le courage à personne. May Mohammed give me strength, I don't ask anyone for courage. Hourra! Je me suis armé pour le combat.

Il dit, et se précipita sur son adversaire. He said, and rushed at his opponent. L’attaqua-t-il en tierce ou en quarte, je n’en sais rien, ni lui non plus, ni les témoins, ni M. L’Ambert. Whether he attacked him in tierce or quarte, I don't know, nor do the witnesses, nor Mr. L'Ambert. Mais un flot de sang jaillit au bout du sabre, une paire de lunettes glissa sur le sol, et le notaire sentit sa tête allégée par devant de tout le poids de son nez. Il en restait bien quelque chose, mais si peu, qu’en vérité je n’en parle que pour mémoire.

M. L’Àmbert se jeta à la renverse et se releva presque aussitôt pour courir tête baissée, comme un aveugle ou comme un fou. Au même instant, un corps opaque tomba du haut d’un chêne. Une minute plus tard, on vit apparaître un petit homme fluet, le chapeau à la main, suivi d’un grand domestique en livrée. C’était M. Triquet, officier de santé de la commune de Parthenay.

Soyez le bienvenu, digne monsieur Triquet! Un brillant notaire de Paris a grand besoin de vos services. Remettez votre vieux chapeau sur votre crâne dépouillé, essuyez les gouttes de sueur qui brillent sur vos pommettes rouges comme la rosée sur deux pivoines en fleur, et relevez au plus tôt les manches luisantes de votre respectable habit noir!

Mais le bonhomme était trop ému pour se mettre d’abord à l’ouvrage. But the good man was too moved to get down to work first. Il parlait, parlait, parlait, d’une petite voix haletante et chevrotante. He spoke, spoke, spoke, in a small, breathy, quavering voice.

— Bonté divine!... disait-il. Honneur à vous, messieurs; votre serviteur très-humble. Est-il Jésus permis de se mettre dans des états pareils ? Is Jesus allowed to get himself into such a state? C’est une mutilation; je vois ce que c’est! Décidément, il est trop tard pour apporter ici des paroles conciliantes; le mal est accompli. Decidedly, it's too late to bring conciliatory words here; the damage has been done. Ah ! messieurs, messieurs, la jeunesse sera toujours jeune. Moi aussi, j’ai failli me laisser emporter à détruire ou à mutiler mon semblable. I, too, almost got carried away destroying or mutilating my fellow man. C’était en 1820. Qu’ai-je fait, messieurs? J’ai fait des excuses. Oui, des excuses, et je m’en honore; d’autant plus que le bon droit était de mon côté. Yes, an apology, and I'm proud of it; all the more so because I was in the right. Vous n’avez donc jamais lu les belles pages de Rousseau contre le duel? So you've never read Rousseau's beautiful pages against the duel? C’est irréfutable en vérité ; un morceau de chrestomathie littéraire et morale. It's irrefutable in truth; a piece of literary and moral chrestomathy. Et notez bien que Rousseau n’a pas encore tout dit. And note that Rousseau has not yet said it all. S’il avait étudié le corps humain, ce chef-d’œuvre de la création, cette admirable image de Dieu sur la terre, il vous aurait montré qu’on est bien coupable de détruire un ensemble si parfait. If he had studied the human body, this masterpiece of creation, this admirable image of God on earth, he would have shown you that we are very guilty of destroying such a perfect whole. Je ne dis pas cela pour la personne qui a porté le coup. I'm not saying this for the person who struck the blow. A Dieu ne plaise! God forbid! Elle avait sans doute ses raisons, que je res pecte. No doubt she had her reasons, which I respect. Mais si l’on savait quel mal nous nous donnons, pauvres médecins que nous sommes, pour guérir la moindre blessure! But if only we knew what trouble we go to, poor doctors that we are, to heal the slightest wound! Il est vrai que nous en vivons,ainsi nue des maladies; mais n’importe! It's true that we live through them, as well as illnesses; but never mind! j’aimerais mieux me priver de bien des choses et vivre d’un morceau de lard sur du pain bis que d’assister aux souffrances de mon semblable.

Le marquis interrompit cette doléance.

— Ah ça! docteur, s’écria-t-il, nous ne sommes pas ici pour philosopher. Voilà un homme qui saigne comme un bœuf. Il s’agit d’arrêter l’hémorrhagie.

—Oui, monsieur,reprit-il vivement, l’hémorrhagie! c’est le mot propre. Heureusement, j’ai tout prévu. Voici un flacon d’eau hémostatique. C’est la préparation de Brocchieri; je la préfère à la recette de Léchelle.

Il se dirigea,le flacon à la main, vers M. L’Am-' bert, qui s’était assis au pied d’un arbre et saignait mélancoliquement. — Monsieur, lui dit-il avec une grande révérence, croyez que je regrette sincèrement de n’avoir pas eu l’honneur de vous connaître à l’occasion d’un événement moins regrettable.

Maître L’Ambert releva la tête et lui dit d’une voix dolente:

— Docteur, est-ce que je perdrai le nez?

— Non, monsieur, vous ne le perdrez pas. Hélas! vous n’avez plus à le perdre, très-honoré monsieur: vous l’avez perdu.

Tout en parlant, il versait l’eau de Brocchieri sur une compresse.

— Ciel! cria-t-il, monsieur, il me vient une idée. Je puis vous rendre l’organe si utile et si agréable que vous avez perdu.

— Parlez, que diable ! ma fortune est à vous I

Ah! docteur! plutôt que de vivre défiguré, j’ai« merais mieux mourir.

— On dit cela... Mais, voyons! où est le morceau qu’on vous a coupé? Je ne suis pas ut champion de la force de M. Velpeau ou de M. Huguier; mais j’essayerai de raccommoder les choses par première intention. I'm not a champion of Mr. Velpeau's or Mr. Huguier's strength, but I'll try to patch things up by first intention.

Maître L’Amhert se leva précipitamment et courut au champ de bataille. Le marquis et M. Steimbourg le suivirent; les Turcs, qui se promenaient ensemble assez tristement (car le feu d’Ayvaz-Bey s’était éteint en une seconde), se rapprochèrent de leurs anciens ennemis. Or retrouva sans peine la place où les combattants avaient foulé l’herbe nouvelle; on retrouva les lunettes d’or; mais le nez du notaire n’y étai plus. En revanche, on vit yn chat, l’horrible chat blanc et jaune, qui léchait avec sensualité ses lèvres sanglantes.

— Jour de Dieu! s’écria le marquis en désignant la bête.

Tout le monde comprit le geste et l’exclamation.

— Serait-il encore temps? demanda le notaire.

— Peut-être, dit le médecin.

Et de courir. Mais le chat n’était pas d’humeur à se laisser prendre. Il courut aussi.

Jamais le petit bois de Parthenay n’avait vu, jamais sans doute il ne reverra chasse pareille. Un marquis, un agent de change, trois diplo= mâles, un médecin de village, un valet de pied en grande livrée et un notaire saignant dans son mouchoir se lancèrent éperdument à la pour suite d’un maigre chat. Courant, criant, lançant des pierres, des branches mortes et tout ce qui 'eur tombait sous la main, ils traversaient les îhemins et les clairières et s’enfonçaient tête baissée dans les fourrés les plus épais. Tantôt groupés ensemble et tantôt dispersés, quelquefois échelonnés sur une ligne droite, quelquefois rangés en rond autour de l’ennemi; battant les buissons, secouant les arbustes, grimpant aux arbres, déchirant leurs brodequins à toutes les souches et leurs habits à tous les buissons, ils allaient comme une tempête; mais le chat infernal était plus rapide que lèvent. Deux fois on sut l’enfermer dans un cercle; deux fois il força l’enceinte et prit du champ. Un instant il parut dompté par la fatigue ou la douleur. For a moment he seemed tamed by fatigue or pain. Il était tombé sur le flanc, en voulant sauter d’un arbre k l’autre et suivre le chemin des écureuils. Le valet de M. L’Arabert courut sur lui à fond de train, l’atteignit en quelques bonds et le saisit parla queue. Mais le tigre en miniature conquit sa liberté d’un coup de griffe et s’élança hors du bois.

On le poursuivit en plaine. Longue, longue était déjà la route parcourue; immense était la plaine, qui se découpait en échiquier devant les chasseurs et leur proie.

La chaleur du jour était pesante ; de gros nuages noirs s’amoncelaient à l’occident; la sueur ruisselait sur tous les visages; mais rien n arrêta l’emportement de ces huit hommes.

M. L’Ambert, tout sanglant, animait ses compagnons de la voix et du geste. Ceux qui n’ont jamais vu un notaire à la poursuite de son nez ne pourront se faire une juste idée de son ardeur. Adieu fraises et framboises! adieu groseilles et cassis ! Partout où l’avalanche avait passé, l’espoir de la récolte était foulé, détruit, mis à néant; ce n’était plus que fleurs écrasées, bourgeons arrachés, branches cassées, tiges foulées aux pieds. Les villageois, surpris par l’invasion de ce fléau inconnu, jetaient les arrosoirs, appelaient leurs voisins, criaient au garde champêtre, réclamaient le prix du dégât et donnaient la chasse aux chasseurs.

Victoire! le chat est prisonnier. Il s’est jeté dans un puits. Des seaux! des cordes! des échelles! On est sûr que le nez de maître Lambert se retrouvera intact, ou à peu près. Mais, hélas! ce puits n’est pas un puits comme les autres. C’est l’ouverture d’une carrière abandonnée, dont les galeries forment en tout sens un réseau de plus de dix lieues et se relient aux catacombes de Paris! It's the opening of an abandoned quarry, whose galleries form a network of more than ten leagues in every direction and link up with the catacombs of Paris!

On paye les soins de M. Triquet; on paye aux villageois toutes les indemnités qu’ils réclament, et l’on reprend, sous une grosse pluie d’orage, le chemin de Parthenay. Mr. Triquet's care was paid for, the villagers were paid all the compensation they claimed, and the road to Parthenay was resumed in a heavy rainstorm.

Avant de monter en voiture, Ayvaz-Bey, mouillé comme un canard et tout à fait calmé, vint tendre la main à M. L’Ambert. Before getting into the car, Ayvaz-Bey, wet as a duck and completely calmed down, came to offer his hand to Mr. L'Ambert.

— Monsieur, lui dit-il, je regrette sincèrement que mon obstination ait poussé les choses si loin. - Sir," he said, "I sincerely regret that my obstinacy has pushed things so far. La petite Tompain ne vaut pas une seule goutte du sang qui a coulé pour elle, et je lui enverrai son congé dès aujourd’hui; car je ne saurais plus la voir sans penser au malheur qu’elle a causé. Little Tompain isn't worth a single drop of the blood that's spilled for her, and I'll send her her leave today; for I can't see her again without thinking of the misfortune she's caused. Vous êtes témoin que j’ai fait tous mes efforts, avec ces messieurs, pour vous rendre ce que vous aviez perdu. As you can see, I've made every effort, along with these gentlemen, to give you back what you'd lost. Maintenant, permettezmoi d’espérer encore que cet accident ne sera pas irréparable. Now, allow me to hope that this accident will not be irreparable. Le médecin du village nous a rappelé qu’il y avait à Paris des praticiens plus habiles que lui; je crois avoir entendu dire que la chirurgie moderne avait des secrets infaillilibles pour restaurer les parties mutilées ou détruites. The village doctor reminded us that there were more skilled practitioners in Paris than he; I think I heard that modern surgery had unfailing secrets for restoring mutilated or destroyed parts.

M. L’Ambert accepta d’assez mauvaise grâce a main loyale qu’on lui tendait, et se fit ramener au faubourg Saint-Germain avec ses deux amis. Mr. L'Ambert reluctantly accepted the loyal hand offered to him, and took himself and his two friends back to the Faubourg Saint-Germain.