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Anna Karénine de Léon Tolstoï, Anna Karénine - Partie I - Chapitre 5 (1)

Anna Karénine - Partie I - Chapitre 5 (1)

CHAPITRE V

Stépane Arcadiévitch avait fait de bonnes études grâce à d'heureux dons naturels ; mais il était paresseux et léger et, par suite de ces défauts, était sorti un des derniers de l'école. Quoiqu'il eût toujours mené une vie dissipée, qu'il n'eût qu'un tchin médiocre et un âge peu avancé, il n'en occupait pas moins une place honorable qui rapportait de bons appointements, celle de président d'un des tribunaux de Moscou. — Il avait obtenu cet emploi par la protection du mari de sa sœur Anna, Alexis Alexandrovitch Karénine, un des membres les plus influents du ministère. Mais, à défaut de Karénine, des centaines d'autres personnes, frères, sœurs, cousins, oncles, tantes, lui auraient procuré cette place, ou toute autre du même genre, ainsi que les six mille roubles qu'il lui fallait pour vivre, ses affaires étant peu brillantes malgré la fortune assez considérable de sa femme. Stépane Arcadiévitch comptait la moitié de Moscou et de Pétersbourg dans sa parenté et dans ses relations d'amitié ; il était né au milieu des puissants de ce monde. Un tiers des personnages attachés à la cour et au gouvernement avaient été amis de son père et l'avaient connu, lui, en brassières ; le second tiers le tutoyait ; le troisième était composé « de ses bons amis » ; par conséquent il avait pour alliés tous les dispensateurs des biens de la terre sous forme d'emplois, de fermes, de concessions, etc. ; et ils ne pouvaient négliger un des leurs. Oblonsky n'eut donc aucune peine à se donner pour obtenir une place avantageuse ; il ne s'agissait que d'éviter des refus, des jalousies, des querelles, des susceptibilités, ce qui lui était facile à cause de sa bonté naturelle. Il aurait trouvé plaisant qu'on lui refusât la place et le traitement dont il avait besoin. Qu'exigeait-il d'extraordinaire ? il ne demandait que ce que ses contemporains obtenaient, et se sentait aussi capable qu'un autre de remplir ces fonctions.

On n'aimait pas seulement Stépane Arcadiévitch à cause de son bon et aimable caractère et de sa loyauté indiscutable. Il y avait encore dans son extérieur brillant et attrayant, dans ses yeux vifs, ses sourcils noirs, ses cheveux, son teint animé, dans l'ensemble de sa personne, une influence physique qui agissait sur ceux qui le rencontraient. « Ah ! Stiva ! Oblonsky ! le voilà ! » s'écriait-on presque toujours avec un sourire de plaisir quand on l'apercevait ; et quoiqu'il ne résultât rien de particulièrement joyeux de cette rencontre, on ne se réjouissait pas moins de le revoir encore le lendemain et le surlendemain.

Après avoir rempli pendant trois ans la place de président, Stépane Arcadiévitch s'était acquis non seulement l'amitié, mais encore la considération de ses collègues, inférieurs et supérieurs, aussi bien que celle des personnes que les affaires mettaient en rapport avec lui. Les qualités qui lui valaient cette estime générale étaient : premièrement, une extrême indulgence pour chacun, fondée sur le sentiment de ce qui lui manquait à lui-même ; secondement, un libéralisme absolu, non pas le libéralisme prôné par son journal, mais celui qui coulait naturellement dans ses veines et le rendait également affable pour tout le monde, à quelque condition qu'on appartînt ; et, troisièmement surtout, une complète indifférence pour les affaires dont il s'occupait, ce qui lui permettait de ne jamais se passionner et par conséquent de ne pas se tromper.

En arrivant au tribunal, il se rendit à son cabinet particulier, gravement accompagné du suisse qui portait son portefeuille, pour y revêtir son uniforme avant de passer dans la salle du conseil. Les employés de service se levèrent tous sur son passage, et le saluèrent avec un sourire respectueux. Stépane Arcadiévitch se hâta, comme toujours, de se rendre à sa place et s'assit, après avoir serré la main aux autres membres du conseil. Il plaisanta et causa dans la juste mesure des convenances et ouvrit la séance. Personne ne savait comme lui rester dans le ton officiel avec une nuance de simplicité et de bonhomie fort utile à l'expédition agréable des affaires. Le secrétaire s'approcha d'un air dégagé, mais respectueux, commun à tous ceux qui entouraient Stépane Arcadiévitch, lui apporta des papiers et lui adressa la parole sur le ton familier et libéral introduit par lui.

« Nous sommes enfin parvenus à obtenir les renseignements de l'administration du gouvernement de Penza ; si vous permettez, les voici.

— Enfin vous les avez ! dit Stépane Arcadiévitch en feuilletant les papiers du doigt.

— Alors, messieurs… » Et la séance commença.

« S'ils pouvaient se douter, pensait-il tout en penchant la tête d'un air important pendant la lecture du rapport, combien leur président avait, il y a une demi-heure, la mine d'un gamin coupable ! » et ses yeux riaient.

Le conseil devait durer sans interruption jusqu'à deux heures, puis venait le déjeuner. Il n'était pas encore deux heures lorsque les grandes portes vitrées de la salle s'ouvrirent, et quelqu'un entra. Tous les membres du conseil, contents d'une petite diversion, se retournèrent ; mais l'huissier de garde fit aussitôt sortir l'intrus et referma les portes derrière lui.

Quand le rapport fut terminé, Stépane Arcadiévitch se leva et, sacrifiant au libéralisme de l'époque, tira ses cigarettes en pleine salle de conseil avant de passer dans son cabinet. Deux de ses collègues, Nikitine, un vétéran au service, et Grinewitch, gentilhomme de la chambre, le suivirent.

« Nous aurons le temps de terminer après le déjeuner, dit Oblonsky.

— Je crois bien, répondit Nikitine.

— Ce doit être un fameux coquin que ce Famine », dit Grinewitch en faisant allusion à l'un des personnages de l'affaire qu'ils avaient étudiée.

Stépane Arcadiévitch fit une légère grimace comme pour faire entendre à Grinewitch qu'il n'était pas convenable d'établir un jugement anticipé, et ne répondit pas.

« Qui donc est entré dans la salle ? demanda-t-il à l'huissier.

— Quelqu'un est entré sans permission, Votre Excellence, pendant que j'avais le dos tourné ; il vous demandait. Quand les membres du Conseil sortiront, lui ai-je dit.

— Où est-il ?

— Probablement dans le vestibule, car il était là tout à l'heure. Le voici », ajouta l'huissier en désignant un homme fortement constitué, à barbe frisée, qui montait légèrement et rapidement les marches usées de l'escalier de pierre, sans prendre la peine d'ôter son bonnet de fourrure. Un employé, qui descendait, le portefeuille sous le bras, s'arrêta pour regarder d'un air peu bienveillant les pieds du jeune homme, et se tourna pour interroger Oblonsky du regard. Celui-ci, debout au haut de l'escalier, le visage animé encadré par son collet brodé d'uniforme, s'épanouit encore plus en reconnaissant l'arrivant.

« C'est bien lui ! Levine, enfin ! s'écria-t-il avec un sourire affectueux, quoique légèrement moqueur, en regardant Levine qui s'approchait. — Comment, tu ne fais pas le dégoûté, et tu viens me chercher dans ce mauvais lieu ? dit-il, ne se contentant pas de serrer la main de son ami, mais l'embrassant avec effusion. — Depuis quand es-tu ici ?

— J'arrive et j'avais grande envie de te voir, répondit Levine timidement, en regardant autour de lui avec méfiance et inquiétude.

— Eh bien, allons dans mon cabinet », dit Stépane Arcadiévitch qui connaissait la sauvagerie mêlée d'amour-propre et de susceptibilité de son ami ; et, comme s'il se fût agi d'éviter un danger, il le prit par la main pour l'emmener.

Stépane Arcadiévitch tutoyait presque toutes ses connaissances, des vieillards de soixante ans, des jeunes gens de vingt, des acteurs, des ministres, des marchands, des généraux, tous ceux avec lesquels il prenait du champagne, et avec qui n'en prenait-il pas ? Dans le nombre des personnes ainsi tutoyées aux deux extrêmes de l'échelle sociale, il y en aurait eu de bien étonnées d'apprendre qu'elles avaient, grâce à Oblonsky, quelque chose de commun entre elles. Mais lorsque celui-ci rencontrait en présence de ses inférieurs un de ses tutoyés honteux, comme il appelait en riant plusieurs de ses amis, il avait le tact de les soustraire à une impression désagréable. Levine n'était pas un tutoyé honteux, c'était un camarade d'enfance, cependant Oblonsky sentait qu'il lui serait pénible de montrer leur intimité à tout le monde ; c'est pourquoi il s'empressa de l'emmener. Levine avait presque le même âge qu'Oblonsky et ne le tutoyait pas seulement par raison de champagne, ils s'aimaient malgré la différence de leurs caractères et de leurs goûts, comme s'aiment des amis qui se sont liés dans leur première jeunesse. Mais, ainsi qu'il arrive souvent à des hommes dont la sphère d'action est très différente, chacun d'eux, tout en approuvant par le raisonnement la carrière de son ami, la méprisait au fond de l'âme, et croyait la vie qu'il menait lui-même la seule rationnelle. À l'aspect de Levine, Oblonsky ne pouvait dissimuler un sourire ironique. Combien de fois ne l'avait-il pas vu arriver de la campagne où il faisait « quelque chose » (Stépane Arcadiévitch ne savait pas au juste quoi, et ne s'y intéressait guère), agité, pressé, un peu gêné, irrité de cette gêne, et apportant généralement des points de vue tout à fait nouveaux et inattendus sur la vie et les choses. Stépane Arcadiévitch en riait et s'en amusait. Levine, de son côté, méprisait le genre d'existence que son ami menait à Moscou, traitait son service de plaisanterie et s'en moquait. Mais Oblonsky prenait gaiement la plaisanterie, en homme sûr de son fait, tandis que Levine riait sans conviction et se fâchait.

« Nous t'attendions depuis longtemps, dit Stépane Arcadiévitch en entrant dans son cabinet et en lâchant la main de Levine comme pour prouver qu'ici tout danger cessait. Je suis bien heureux de te voir, continua-t-il. Eh bien, comment vas-tu ? que fais-tu ? quand es-tu arrivé ? Levine se taisait et regardait les figures inconnues pour lui des deux collègues d'Oblonsky ; la main de l'élégant Grinewitch aux doigts blancs et effilés, aux ongles longs, jaunes et recourbés du bout, avec d'énormes boutons brillant sur ses manchettes, absorbait visiblement toute son attention. Oblonsky s'en aperçut et sourit.

« Permettez-moi, messieurs, de vous faire faire connaissance : mes collègues Philippe-Ivanitch Nikitine, Michel-Stanislavowitch Grinewitch, — puis (se tournant vers Levine), un propriétaire, un homme nouveau, qui s'occupe des affaires du semstvo, un gymnaste qui enlève cinq pouds d'une main, un éleveur de bestiaux, un chasseur célèbre, mon ami Constantin-Dmitrievitch Levine, le frère de Serge Ivanitch Kosnichef.

— Charmé, répondit le plus âgé.

— J'ai l'honneur de connaître votre frère Serge Ivanitch », dit Grinewitch en tendant sa main aux doigts effilés.

Le visage de Levine se rembrunit ; il serra froidement la main qu'on lui tendait, et se tourna vers Oblonsky. Quoiqu'il eût beaucoup de respect pour son demi-frère, l'écrivain connu de toute la Russie, il ne lui en était pas moins désagréable qu'on s'adressât à lui, non comme à Constantin Levine, mais comme au frère du célèbre Kosnichef.

« Non, je ne m'occupe plus d'affaires. Je me suis brouillé avec tout le monde et ne vais plus aux assemblées, dit-il en s'adressant à Oblonsky.

— Cela s'est fait bien vite, s'écria celui-ci en souriant. Mais comment ? pourquoi ?

— C'est une longue histoire que je te raconterai quelque jour, répondit Levine, ce qui ne l'empêcha pas de continuer. — Pour être bref, je me suis convaincu qu'il n'existe et ne peut exister aucune action sérieuse à exercer dans nos questions provinciales. D'une part, on joue au parlement, et je ne suis ni assez jeune, ni assez vieux pour m'amuser de joujoux, et d'autre part c'est — il hésita — un moyen pour la coterie du district de gagner quelques sous. Autrefois il y avait les tutelles, les jugements ; maintenant il y a le semstvo, non pas pour y prendre des pots de vin, mais pour en tirer des appointements sans les gagner. » Il dit ces paroles avec chaleur et de l'air d'un homme qui croit que son opinion trouvera des contradicteurs.

Anna Karénine - Partie I - Chapitre 5 (1) Anna Karenina - Teil I - Kapitel 5 (1) Anna Karenina - Part I - Chapter 5 (1)

CHAPITRE V

Stépane Arcadiévitch avait fait de bonnes études grâce à d’heureux dons naturels ; mais il était paresseux et léger et, par suite de ces défauts, était sorti un des derniers de l’école. Stépane Arcadiévitch had made good studies thanks to happy natural gifts; but he was lazy and light and, as a result of these faults, had left one of the last of the school. Quoiqu’il eût toujours mené une vie dissipée, qu’il n’eût qu’un tchin médiocre et un âge peu avancé, il n’en occupait pas moins une place honorable qui rapportait de bons appointements, celle de président d’un des tribunaux de Moscou. Although he had always led a dissipated life, that he had only a mediocre and an early age, he occupied none the less an honorable place which brought back good salaries, that of president of one of the Moscow courts. — Il avait obtenu cet emploi par la protection du mari de sa sœur Anna, Alexis Alexandrovitch Karénine, un des membres les plus influents du ministère. - He had obtained this job by protecting the husband of his sister Anna, Alexis Alexandrovitch Karénine, one of the most influential members of the ministry. Mais, à défaut de Karénine, des centaines d’autres personnes, frères, sœurs, cousins, oncles, tantes, lui auraient procuré cette place, ou toute autre du même genre, ainsi que les six mille roubles qu’il lui fallait pour vivre, ses affaires étant peu brillantes malgré la fortune assez considérable de sa femme. But, in the absence of Karenine, hundreds of other people, brothers, sisters, cousins, uncles, aunts, would have given her this place, or any other of the same kind, as well as the six thousand rubles she needed to live , his business being not very bright despite the fairly considerable fortune of his wife. Stépane Arcadiévitch comptait la moitié de Moscou et de Pétersbourg dans sa parenté et dans ses relations d’amitié ; il était né au milieu des puissants de ce monde. Stépane Arcadiévitch counted half of Moscow and of Petersburg in his kinship and in his relations of friendship; he was born in the midst of the powerful in this world. Un tiers des personnages attachés à la cour et au gouvernement avaient été amis de son père et l’avaient connu, lui, en brassières ; le second tiers le tutoyait ; le troisième était composé « de ses bons amis » ; par conséquent il avait pour alliés tous les dispensateurs des biens de la terre sous forme d’emplois, de fermes, de concessions, etc. A third of the figures attached to the court and to the government had been friends of his father and had known him, in brassieres; the second third was close to him; the third was made up of "his good friends"; consequently he had as allies all the dispensers of the goods of the earth in the form of jobs, farms, concessions, etc. ; et ils ne pouvaient négliger un des leurs. ; and they could not neglect one of their own. Oblonsky n’eut donc aucune peine à se donner pour obtenir une place avantageuse ; il ne s’agissait que d’éviter des refus, des jalousies, des querelles, des susceptibilités, ce qui lui était facile à cause de sa bonté naturelle. Oblonsky therefore had no trouble giving himself to obtain an advantageous place; it was only a question of avoiding refusals, jealousies, quarrels, susceptibilities, which was easy for him because of his natural kindness. Il aurait trouvé plaisant qu’on lui refusât la place et le traitement dont il avait besoin. He would have found it pleasant to be denied the place and the treatment he needed. Qu’exigeait-il d’extraordinaire ? il ne demandait que ce que ses contemporains obtenaient, et se sentait aussi capable qu’un autre de remplir ces fonctions. he asked only for what his contemporaries obtained, and felt as capable as any other of fulfilling these functions.

On n’aimait pas seulement Stépane Arcadiévitch à cause de son bon et aimable caractère et de sa loyauté indiscutable. We did not only love Stépane Arcadiévitch because of his good and amiable character and his indisputable loyalty. Il y avait encore dans son extérieur brillant et attrayant, dans ses yeux vifs, ses sourcils noirs, ses cheveux, son teint animé, dans l’ensemble de sa personne, une influence physique qui agissait sur ceux qui le rencontraient. There was still in his bright and attractive exterior, in his lively eyes, his black eyebrows, his hair, his lively complexion, in the whole of his person, a physical influence which acted on those who met him. « Ah ! Stiva ! Oblonsky ! le voilà ! » s’écriait-on presque toujours avec un sourire de plaisir quand on l’apercevait ; et quoiqu’il ne résultât rien de particulièrement joyeux de cette rencontre, on ne se réjouissait pas moins de le revoir encore le lendemain et le surlendemain. We almost always exclaimed with a smile of pleasure when we saw him; and although nothing particularly joyful resulted from this meeting, we were no less delighted to see him again the next day and the day after.

Après avoir rempli pendant trois ans la place de président, Stépane Arcadiévitch s’était acquis non seulement l’amitié, mais encore la considération de ses collègues, inférieurs et supérieurs, aussi bien que celle des personnes que les affaires mettaient en rapport avec lui. After having filled the place of president for three years, Stépane Arcadiévitch had acquired not only friendship, but also the consideration of his colleagues, inferior and superior, as well as that of the people whom business put in contact with him. Les qualités qui lui valaient cette estime générale étaient : premièrement, une extrême indulgence pour chacun, fondée sur le sentiment de ce qui lui manquait à lui-même ; secondement, un libéralisme absolu, non pas le libéralisme prôné par son journal, mais celui qui coulait naturellement dans ses veines et le rendait également affable pour tout le monde, à quelque condition qu’on appartînt ; et, troisièmement surtout, une complète indifférence pour les affaires dont il s’occupait, ce qui lui permettait de ne jamais se passionner et par conséquent de ne pas se tromper.

En arrivant au tribunal, il se rendit à son cabinet particulier, gravement accompagné du suisse qui portait son portefeuille, pour y revêtir son uniforme avant de passer dans la salle du conseil. Les employés de service se levèrent tous sur son passage, et le saluèrent avec un sourire respectueux. The service workers all stood up in his path, and greeted him with a respectful smile. Stépane Arcadiévitch se hâta, comme toujours, de se rendre à sa place et s’assit, après avoir serré la main aux autres membres du conseil. Stépane Arcadiévitch hastened, as always, to go to his place and sat down, after shaking hands with the other members of the council. Il plaisanta et causa dans la juste mesure des convenances et ouvrit la séance. He joked and chatted appropriately and opened the meeting. Personne ne savait comme lui rester dans le ton officiel avec une nuance de simplicité et de bonhomie fort utile à l’expédition agréable des affaires. Le secrétaire s’approcha d’un air dégagé, mais respectueux, commun à tous ceux qui entouraient Stépane Arcadiévitch, lui apporta des papiers et lui adressa la parole sur le ton familier et libéral introduit par lui.

« Nous sommes enfin parvenus à obtenir les renseignements de l’administration du gouvernement de Penza ; si vous permettez, les voici. “We finally managed to obtain information from the administration of the Penza government; if you allow, here they are.

— Enfin vous les avez ! - Finally you have them! dit Stépane Arcadiévitch en feuilletant les papiers du doigt. said Stépane Arcadiévitch, leafing through the papers.

— Alors, messieurs… » Et la séance commença. "So, gentlemen ..." And the session began.

« S’ils pouvaient se douter, pensait-il tout en penchant la tête d’un air important pendant la lecture du rapport, combien leur président avait, il y a une demi-heure, la mine d’un gamin coupable ! "If they could have suspected, he thought while tilting his head with an important air while reading the report, how much their president had, half an hour ago, the mine of a guilty kid!" » et ses yeux riaient. And her eyes laughed.

Le conseil devait durer sans interruption jusqu’à deux heures, puis venait le déjeuner. The council was to last up to two hours without interruption, then came for lunch. Il n’était pas encore deux heures lorsque les grandes portes vitrées de la salle s’ouvrirent, et quelqu’un entra. It was not yet two o'clock when the large glass doors of the room opened, and someone entered. Tous les membres du conseil, contents d’une petite diversion, se retournèrent ; mais l’huissier de garde fit aussitôt sortir l’intrus et referma les portes derrière lui. All the members of the council, content with a little diversion, turned round; but the bailiff immediately brought out the intruder and closed the doors behind him.

Quand le rapport fut terminé, Stépane Arcadiévitch se leva et, sacrifiant au libéralisme de l’époque, tira ses cigarettes en pleine salle de conseil avant de passer dans son cabinet. When the report was finished, Stépane Arcadiévitch stood up and, sacrificing to the liberalism of the time, drew his cigarettes in the middle of the council room before going into his cabinet. Deux de ses collègues, Nikitine, un vétéran au service, et Grinewitch, gentilhomme de la chambre, le suivirent. Two of his colleagues, Nikitine, a serving veteran, and Grinewitch, a gentleman of the room, followed him.

« Nous aurons le temps de terminer après le déjeuner, dit Oblonsky. "We will have time to finish after lunch," says Oblonsky.

— Je crois bien, répondit Nikitine.

— Ce doit être un fameux coquin que ce Famine », dit Grinewitch en faisant allusion à l’un des personnages de l’affaire qu’ils avaient étudiée. "This Famine must be a famous rascal," said Grinewitch, alluding to one of the characters in the affair they had studied.

Stépane Arcadiévitch fit une légère grimace comme pour faire entendre à Grinewitch qu’il n’était pas convenable d’établir un jugement anticipé, et ne répondit pas. Stépane Arcadiévitch made a slight grimace as if to make Grinewitch understand that it was not appropriate to establish an advance judgment, and did not answer.

« Qui donc est entré dans la salle ? "Who then entered the room? demanda-t-il à l’huissier. he asked the usher.

— Quelqu’un est entré sans permission, Votre Excellence, pendant que j’avais le dos tourné ; il vous demandait. - Someone entered without permission, Your Excellency, while my back was turned; he asked you. Quand les membres du Conseil sortiront, lui ai-je dit. When the members of the Council go out, I told him.

— Où est-il ?

— Probablement dans le vestibule, car il était là tout à l’heure. - Probably in the hall, because he was there earlier. Le voici », ajouta l’huissier en désignant un homme fortement constitué, à barbe frisée, qui montait légèrement et rapidement les marches usées de l’escalier de pierre, sans prendre la peine d’ôter son bonnet de fourrure. Here it is, ”added the usher, pointing to a strongly formed man with a curly beard, who climbed the worn steps of the stone staircase lightly and quickly, without bothering to take off his fur cap. Un employé, qui descendait, le portefeuille sous le bras, s’arrêta pour regarder d’un air peu bienveillant les pieds du jeune homme, et se tourna pour interroger Oblonsky du regard. An employee, who was coming down, the wallet under his arm, stopped to look unkindly at the young man's feet, and turned to question Oblonsky. Celui-ci, debout au haut de l’escalier, le visage animé encadré par son collet brodé d’uniforme, s’épanouit encore plus en reconnaissant l’arrivant. The latter, standing at the top of the stairs, his lively face framed by his collar embroidered with uniform, blossoms even more by recognizing the newcomer.

« C’est bien lui ! " It's him ! Levine, enfin ! s’écria-t-il avec un sourire affectueux, quoique légèrement moqueur, en regardant Levine qui s’approchait. he cried with an affectionate, if slightly mocking, smile, looking at Levine who was approaching. — Comment, tu ne fais pas le dégoûté, et tu viens me chercher dans ce mauvais lieu ? - How, you are not disgusted, and you come to look for me in this bad place? dit-il, ne se contentant pas de serrer la main de son ami, mais l’embrassant avec effusion. — Depuis quand es-tu ici ? - How long have you been here?

— J’arrive et j’avais grande envie de te voir, répondit Levine timidement, en regardant autour de lui avec méfiance et inquiétude.

— Eh bien, allons dans mon cabinet », dit Stépane Arcadiévitch qui connaissait la sauvagerie mêlée d’amour-propre et de susceptibilité de son ami ; et, comme s’il se fût agi d’éviter un danger, il le prit par la main pour l’emmener. "Well, let's go to my office," said Stépane Arcadiévitch, who knew the savagery mingled with self-love and susceptibility of his friend; and, as if he had tried to avoid a danger, he took him by the hand to take him away.

Stépane Arcadiévitch tutoyait presque toutes ses connaissances, des vieillards de soixante ans, des jeunes gens de vingt, des acteurs, des ministres, des marchands, des généraux, tous ceux avec lesquels il prenait du champagne, et avec qui n’en prenait-il pas ? Dans le nombre des personnes ainsi tutoyées aux deux extrêmes de l’échelle sociale, il y en aurait eu de bien étonnées d’apprendre qu’elles avaient, grâce à Oblonsky, quelque chose de commun entre elles. In the number of persons thus treated at the two extremes of the social ladder, it would have been much astonished to learn that they had, thanks to Oblonsky, something in common between them. Mais lorsque celui-ci rencontrait en présence de ses inférieurs un de ses tutoyés honteux, comme il appelait en riant plusieurs de ses amis, il avait le tact de les soustraire à une impression désagréable. But when he met, in the presence of his inferiors, one of his shameful servants, as he laughingly called many of his friends, he had the tact to remove them from an unpleasant impression. Levine n’était pas un tutoyé honteux, c’était un camarade d’enfance, cependant Oblonsky sentait qu’il lui serait pénible de montrer leur intimité à tout le monde ; c’est pourquoi il s’empressa de l’emmener. Levine was not a shameful tu, he was a comrade from childhood, however Oblonsky felt that it would be painful for him to show their intimacy to everyone; that's why he hastened to take her away. Levine avait presque le même âge qu’Oblonsky et ne le tutoyait pas seulement par raison de champagne, ils s’aimaient malgré la différence de leurs caractères et de leurs goûts, comme s’aiment des amis qui se sont liés dans leur première jeunesse. Levine was almost the same age as Oblonsky and did not only get to know him because of champagne, they loved each other despite the difference in their characters and tastes, like friends who bonded when they were young. Mais, ainsi qu’il arrive souvent à des hommes dont la sphère d’action est très différente, chacun d’eux, tout en approuvant par le raisonnement la carrière de son ami, la méprisait au fond de l’âme, et croyait la vie qu’il menait lui-même la seule rationnelle. À l’aspect de Levine, Oblonsky ne pouvait dissimuler un sourire ironique. Combien de fois ne l’avait-il pas vu arriver de la campagne où il faisait « quelque chose » (Stépane Arcadiévitch ne savait pas au juste quoi, et ne s’y intéressait guère), agité, pressé, un peu gêné, irrité de cette gêne, et apportant généralement des points de vue tout à fait nouveaux et inattendus sur la vie et les choses. Stépane Arcadiévitch en riait et s’en amusait. Levine, de son côté, méprisait le genre d’existence que son ami menait à Moscou, traitait son service de plaisanterie et s’en moquait. Mais Oblonsky prenait gaiement la plaisanterie, en homme sûr de son fait, tandis que Levine riait sans conviction et se fâchait.

« Nous t’attendions depuis longtemps, dit Stépane Arcadiévitch en entrant dans son cabinet et en lâchant la main de Levine comme pour prouver qu’ici tout danger cessait. "We have been waiting for you for a long time," said Stépane Arcadiévitch, entering his office and letting go of Levine's hand as if to prove that here all danger ceased. Je suis bien heureux de te voir, continua-t-il. Eh bien, comment vas-tu ? que fais-tu ? quand es-tu arrivé ? Levine se taisait et regardait les figures inconnues pour lui des deux collègues d’Oblonsky ; la main de l’élégant Grinewitch aux doigts blancs et effilés, aux ongles longs, jaunes et recourbés du bout, avec d’énormes boutons brillant sur ses manchettes, absorbait visiblement toute son attention. Levine was silent and looked at the figures unknown to him of the two Oblonsky colleagues; the elegant Grinewitch's hand with white, slender fingers, long, yellow, curved fingernails, with huge shiny buttons on his cuffs, visibly absorbed all his attention. Oblonsky s’en aperçut et sourit.

« Permettez-moi, messieurs, de vous faire faire connaissance : mes collègues Philippe-Ivanitch Nikitine, Michel-Stanislavowitch Grinewitch, — puis (se tournant vers Levine), un propriétaire, un homme nouveau, qui s’occupe des affaires du semstvo, un gymnaste qui enlève cinq pouds d’une main, un éleveur de bestiaux, un chasseur célèbre, mon ami Constantin-Dmitrievitch Levine, le frère de Serge Ivanitch Kosnichef.

— Charmé, répondit le plus âgé. "Charmed," replied the older man.

— J’ai l’honneur de connaître votre frère Serge Ivanitch », dit Grinewitch en tendant sa main aux doigts effilés. "I have the honor of knowing your brother Serge Ivanitch," said Grinewitch, holding out his hand with slender fingers.

Le visage de Levine se rembrunit ; il serra froidement la main qu’on lui tendait, et se tourna vers Oblonsky. Levine's face darkens; he shook his hand coldly, and turned to Oblonsky. Quoiqu’il eût beaucoup de respect pour son demi-frère, l’écrivain connu de toute la Russie, il ne lui en était pas moins désagréable qu’on s’adressât à lui, non comme à Constantin Levine, mais comme au frère du célèbre Kosnichef. Although he had a great deal of respect for his half-brother, the writer known throughout Russia, it was no less unpleasant for him to be addressed, not as to Constantine Levine, but as to the brother of the famous Kosnichef.

« Non, je ne m’occupe plus d’affaires. "No, I'm not in business anymore. Je me suis brouillé avec tout le monde et ne vais plus aux assemblées, dit-il en s’adressant à Oblonsky. I fell out with everyone and no longer go to assemblies, he said, addressing Oblonsky.

— Cela s’est fait bien vite, s’écria celui-ci en souriant. "It was done very quickly," cried the latter, smiling. Mais comment ? But how ? pourquoi ?

— C’est une longue histoire que je te raconterai quelque jour, répondit Levine, ce qui ne l’empêcha pas de continuer. "It's a long story that I'll tell you some day," Levine replied, which didn't stop him from continuing. — Pour être bref, je me suis convaincu qu’il n’existe et ne peut exister aucune action sérieuse à exercer dans nos questions provinciales. - To be brief, I have convinced myself that there is not and cannot be any serious action to be taken in our provincial questions. D’une part, on joue au parlement, et je ne suis ni assez jeune, ni assez vieux pour m’amuser de joujoux, et d’autre part c’est — il hésita — un moyen pour la coterie du district de gagner quelques sous. On the one hand, we play in parliament, and I'm neither young enough nor old enough to have fun with toys, and on the other hand it is - he hesitated - a way for the district coterie to earn a few under. Autrefois il y avait les tutelles, les jugements ; maintenant il y a le semstvo, non pas pour y prendre des pots de vin, mais pour en tirer des appointements sans les gagner. Formerly there were guardianships, judgments; now there is the semstvo, not to take bribes there, but to draw from it without earning them. » Il dit ces paroles avec chaleur et de l’air d’un homme qui croit que son opinion trouvera des contradicteurs. He said these words warmly and with the air of a man who believes that his opinion will find contradictors.