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Alexandre Dumas. Divers Contes., 08b. La Reine des Neiges. Chapitre 1.

08b. La Reine des Neiges. Chapitre 1.

Chapitre 1.

Le miroir du diable. Je n'ai pas besoin de vous dire, mes chers petits enfants, qu'il existe un mauvais ange nommé Satan, qui, depuis qu'il a fait perdre à nos premiers parents le Paradis terrestre, ne sait qu'inventer pour damner les hommes et perdre le genre humain.

Quand vous aurez dix-huit ou vingt ans, vous lirez dans un grand poète, aveugle comme Homère, nommé Milton, qu'un jour il se révolta contre Dieu, qui le foudroya et l'exila dans les profondeurs de la terre ; c'est de là qu'il essaye encore, de temps en temps, de lutter contre son vainqueur, sinon par la force, du moins par la ruse. Or un des mille moyens qu'il employa dans cet incessant antagonisme fut de confectionner un miroir dans lequel ce qui était beau apparaissait hideux et ce qui était bon mauvais, tandis qu'au contraire la laideur s'y faisait beauté et le vice prenait le masque de la vertu. Ce miroir avait pour but, comme vous le voyez, de changer la face de toutes les choses de ce monde.

– Voilà qui va être on ne peut plus récréatif, dit le diable en l'achevant.

Tous les démons qui fréquentaient son école, car il tenait une école de démons, racontaient à la ronde les propriétés du miroir diabolique, qu'ils appelaient le miroir de la vérité, tandis qu'il n'était au contraire que le miroir du mensonge.

C'est seulement d'aujourd'hui, disaient-ils, que l'on va voir telle qu'elle est cette merveille de la création que l'on appelle l'homme.

Ils se mirent donc à parcourir le monde avec le miroir du diable, et il est impossible de dire le mal qu'ils firent dans tous les lieux où ils passèrent.

Quand ils en eurent visité les quatre parties – à cette époque, mes chers petits enfants, l'Océanie n'était point encore découverte – quand ils en eurent visité les quatre parties, ils résolurent de monter au ciel pour essayer de susciter parmi les anges le même désordre qu'ils avaient commis parmi les hommes.

Quatre démons prirent donc le miroir par les quatre coins, et volèrent bien par-delà la lune qui est à quatre-vingt-dix mille lieues de nous, bien par-delà le soleil qui en est à trente-six millions de lieues, enfin, bien au-delà de Saturne qui en est à trois cents millions de lieues, et ils frappèrent à la porte du ciel.

Mais, à peine cette porte de diamant eut-elle tourné sur ses gonds, qu'un regard de notre divin créateur, pénétrant jusqu'au miroir diabolique, le brisa en autant d'atomes aussi impalpables que la poussière soulevée par l'ouragan au bord de la mer.

Alors un grand malheur arriva, c'est que tous les atomes de la glace maudite se répandirent dans l'atmosphère et flottèrent avec le vent.

Or, comme chaque parcelle de miroir avait conservé la propriété du tout, il arriva que ceux qui en reçurent quelque atome dans les yeux commencèrent de voir le monde sous l'aspect où Satan désirait qu'il fût vu, c'est-à-dire tout en laid. Quelques-uns reçurent un de ces fragments non seulement dans l'œil, mais encore dans le cœur et, pour ceux-là surtout, ce fut une chose fatale, car leur cœur se pétrifia et devint semblable à un glaçon.

Et le diable riait de si grand cœur, que le ventre lui en sautait des genoux jusqu'au menton.

C'était un de ces fragments que le petit Peters avait reçu non seulement dans l'œil mais dans le cœur.

Aussi, au lieu de remercier sa bonne amie Gerda, qui venait de lui souffler dans l'œil et qui prenait tant de part à sa souffrance, que les larmes lui tombaient des yeux :

– Pourquoi (donc) pleures-tu ?

lui demanda-t-il. Oh ! si tu savais comme tu es laide quand tu pleures ! Tiens, et cette rose là-bas qui est piquée par un ver, elle n'est pas belle non plus, sans compter qu'elle sent aussi mauvais qu'un œillet d'Inde. Et il arracha la rose et la jeta dans la rue.

– Que fais-tu, Peters ?

cria la petite Gerda. Oh ! mon Dieu, ma pauvre rose qui était si fraîche et qui sentait si bon ! – Et moi, je te dis qu'elle était fanée et qu'elle puait, insista Peters.

Et arrachant la seconde rose, il la jeta par la fenêtre comme la première.

La petite Gerda fondit en larmes.

– Je t'ai déjà dit que tu étais affreuse quand tu pleurais, répéta Peters.

Et malgré l'ordre des parents, qui avaient défendu aux enfants de jamais passer sur le pont aérien, Peters sauta d'une fenêtre à l'autre, laissant Gerda tout éplorée du changement qui venait de se faire chez son petit compagnon.

Le lendemain, il revint, et Gerda voulut lui montrer son livre d'images, mais il le lui fit sauter des mains en disant qu'il était bon pour des enfants au maillot, et que lui était un grand garçon, qui ne s'amusait plus à de pareilles niaiseries.

Ce n'était pas tout.

Lorsque la grand-mère racontait des histoires qui autrefois amusaient tant Gerda et l'amusaient tant lui-même, il avait toujours à dire quelque MAIS qui enlevait tout le charme de la pauvre histoire. Il y avait plus, c'est que non seulement les histoires de la grand-mère ne l'amusaient plus, mais encore, en toute occasion, il se moquait de la bonne femme, faisant des grimaces derrière elle mettant ses lunettes et imitant sa voix.

Bientôt ce qu'il faisait pour sa grand-mère, Peters le fit pour tout le monde : il imita l'accent et la démarche de tous les habitants de la rue ; tout ce qu'ils avaient de ridicule, il le reproduisait avec une incroyable fidélité, si bien que tout le monde disait : – En vérité, cet enfant a un esprit extraordinaire, il faudra en faire un acteur.

Et tout cela venait de ce malheureux fragment de miroir qu'il avait reçu dans l'œil et dans le cœur.

L'hiver arriva, et les abeilles blanches reparurent.

Un jour d'hiver qu'il neigeait, Peters vint avec un grand traîneau et dit à Gerda.

– Tu ne sais pas, Gerda, j'ai obtenu la permission d'aller jouer sur la grande place avec les autres enfants.

Et il se sauva sans même lui dire au revoir.

Vous me demanderez, mes chers enfants, si Peters avait un cheval pour mettre son traîneau en mouvement et s'il n'avait pas de cheval, à quoi pouvait lui servir son traîneau.

Ce à quoi je vous répondrai :

Peters n'avait point de cheval, mais il comptait faire ce que faisaient en pareille circonstance les petits garçons qui n'avaient pas plus de chevaux que lui.

Ils attachaient à l'aide d'une corde leurs traîneaux aux voitures qui passaient, se laissaient tirer un bout de chemin et cela allait à merveille.

Quand ils avaient été assez loin d'un côté, ils détachaient la corde et l'attachaient à une voiture qui allait dans le sens opposé, revenant ainsi d'où ils étaient partis.

À peine Peters et son traîneau furent-ils arrivés sur la place que l'on vit arriver un grand et magnifique traîneau conduit par deux chevaux blancs tout harnachés de blanc.

Dans le traîneau était une belle dame avec une pelisse et un bonnet de duvet de cygne ; le traîneau lui-même était peint en blanc, et l'intérieur du traîneau capitonné de satin blanc. – Bon, dit Peters, voilà mon affaire.

Et attachant son petit traîneau au grand traîneau blanc, il partit avec lui.


08b. La Reine des Neiges. Chapitre 1. 08b. The Snow Queen. Chapter 1. 08b. De sneeuwkoningin. Hoofdstuk 1.

Chapitre 1.

Le miroir du diable. Je n’ai pas besoin de vous dire, mes chers petits enfants, qu’il existe un mauvais ange nommé Satan, qui, depuis qu’il a fait perdre à nos premiers parents le Paradis terrestre, ne sait qu’inventer pour damner les hommes et perdre le genre humain. I do not need to tell you, my dear little children, that there is an evil angel named Satan, who, since he caused our first parents to lose the earthly Paradise, knows only how to invent to damn the men and lose the human race.

Quand vous aurez dix-huit ou vingt ans, vous lirez dans un grand poète, aveugle comme Homère, nommé Milton, qu’un jour il se révolta contre Dieu, qui le foudroya et l’exila dans les profondeurs de la terre ; c’est de là qu’il essaye encore, de temps en temps, de lutter contre son vainqueur, sinon par la force, du moins par la ruse. When you're eighteen or twenty, you'll read in a great poet, blind as Homer, named Milton, that one day he rebelled against God, who struck him down and exiled him to the depths of the earth; from there he still tries, from time to time, to fight against his conqueror, if not by force, at least by cunning. Or un des mille moyens qu’il employa dans cet incessant antagonisme fut de confectionner un miroir dans lequel ce qui était beau apparaissait hideux et ce qui était bon mauvais, tandis qu’au contraire la laideur s’y faisait beauté et le vice prenait le masque de la vertu. Now, one of the thousand means that he employed in this incessant antagonism was to make a mirror in which what was beautiful appeared hideous and what was good bad, while on the contrary ugliness was made beauty there and vice took precedence. mask of virtue. Ce miroir avait pour but, comme vous le voyez, de changer la face de toutes les choses de ce monde.

– Voilà qui va être on ne peut plus récréatif, dit le diable en l’achevant. “That's going to be really fun,” the devil said, finishing him off.

Tous les démons qui fréquentaient son école, car il tenait une école de démons, racontaient à la ronde les propriétés du miroir diabolique, qu’ils appelaient le miroir de la vérité, tandis qu’il n’était au contraire que le miroir du mensonge.

C’est seulement d’aujourd’hui, disaient-ils, que l’on va voir telle qu’elle est cette merveille de la création que l’on appelle l’homme.

Ils se mirent donc à parcourir le monde avec le miroir du diable, et il est impossible de dire le mal qu’ils firent dans tous les lieux où ils passèrent.

Quand ils en eurent visité les quatre parties – à cette époque, mes chers petits enfants, l’Océanie n’était point encore découverte – quand ils en eurent visité les quatre parties, ils résolurent de monter au ciel pour essayer de susciter parmi les anges le même désordre qu’ils avaient commis parmi les hommes.

Quatre démons prirent donc le miroir par les quatre coins, et volèrent bien par-delà la lune qui est à quatre-vingt-dix mille lieues de nous, bien par-delà le soleil qui en est à trente-six millions de lieues, enfin, bien au-delà de Saturne qui en est à trois cents millions de lieues, et ils frappèrent à la porte du ciel.

Mais, à peine cette porte de diamant eut-elle tourné sur ses gonds, qu’un regard de notre divin créateur, pénétrant jusqu’au miroir diabolique, le brisa en autant d’atomes aussi impalpables que la poussière soulevée par l’ouragan au bord de la mer.

Alors un grand malheur arriva, c’est que tous les atomes de la glace maudite se répandirent dans l’atmosphère et flottèrent avec le vent.

Or, comme chaque parcelle de miroir avait conservé la propriété du tout, il arriva que ceux qui en reçurent quelque atome dans les yeux commencèrent de voir le monde sous l’aspect où Satan désirait qu’il fût vu, c’est-à-dire tout en laid. Now, as each fragment of mirror had preserved the property of the whole, it happened that those who received some atom of it in their eyes began to see the world under the aspect in which Satan wished it to be seen, that is to say, say everything in ugly. Quelques-uns reçurent un de ces fragments non seulement dans l’œil, mais encore dans le cœur et, pour ceux-là surtout, ce fut une chose fatale, car leur cœur se pétrifia et devint semblable à un glaçon.

Et le diable riait de si grand cœur, que le ventre lui en sautait des genoux jusqu’au menton. And the devil laughed so heartily that his belly jumped from his knees to his chin.

C’était un de ces fragments que le petit Peters avait reçu non seulement dans l’œil mais dans le cœur.

Aussi, au lieu de remercier sa bonne amie Gerda, qui venait de lui souffler dans l’œil et qui prenait tant de part à sa souffrance, que les larmes lui tombaient des yeux :

– Pourquoi (donc) pleures-tu ?

lui demanda-t-il. Oh ! si tu savais comme tu es laide quand tu pleures ! Tiens, et cette rose là-bas qui est piquée par un ver, elle n’est pas belle non plus, sans compter qu’elle sent aussi mauvais qu’un œillet d’Inde. Here, and that rose over there that's been bitten by a worm, it's not pretty either, not to mention that it smells as bad as a marigold. Et il arracha la rose et la jeta dans la rue.

– Que fais-tu, Peters ?

cria la petite Gerda. Oh ! mon Dieu, ma pauvre rose qui était si fraîche et qui sentait si bon ! My God, my poor rose that was so fresh and smelled so good! – Et moi, je te dis qu’elle était fanée et qu’elle puait, insista Peters.

Et arrachant la seconde rose, il la jeta par la fenêtre comme la première.

La petite Gerda fondit en larmes.

– Je t’ai déjà dit que tu étais affreuse quand tu pleurais, répéta Peters.

Et malgré l’ordre des parents, qui avaient défendu aux enfants de jamais passer sur le pont aérien, Peters sauta d’une fenêtre à l’autre, laissant Gerda tout éplorée du changement qui venait de se faire chez son petit compagnon.

Le lendemain, il revint, et Gerda voulut lui montrer son livre d’images, mais il le lui fit sauter des mains en disant qu’il était bon pour des enfants au maillot, et que lui était un grand garçon, qui ne s’amusait plus à de pareilles niaiseries. The next day he came back, and Gerda wanted to show him his picture book, but he knocked it out of his hands, saying that he was good for children in swimsuits, and that he was a big boy, who didn't care. was more amused at such nonsense.

Ce n’était pas tout.

Lorsque la grand-mère racontait des histoires qui autrefois amusaient tant Gerda et l’amusaient tant lui-même, il avait toujours à dire quelque MAIS qui enlevait tout le charme de la pauvre histoire. When the grandmother told stories that once amused Gerda so much and amused him so much, he always had to say some BUT that took all the charm out of the poor story. Il y avait plus, c’est que non seulement les histoires de la grand-mère ne l’amusaient plus, mais encore, en toute occasion, il se moquait de la bonne femme, faisant des grimaces derrière elle mettant ses lunettes et imitant sa voix. Not only was he no longer amused by his grandmother's stories, but he also made fun of her at every opportunity, making faces behind her, putting on his glasses and imitating her voice.

Bientôt ce qu’il faisait pour sa grand-mère, Peters le fit pour tout le monde : il imita l’accent et la démarche de tous les habitants de la rue ; tout ce qu’ils avaient de ridicule, il le reproduisait avec une incroyable fidélité, si bien que tout le monde disait : Soon what he was doing for his grandmother, Peters was doing for everyone: he imitated the accent and gait of everyone on the street; everything ridiculous they had, he reproduced with incredible fidelity, so that everyone said: – En vérité, cet enfant a un esprit extraordinaire, il faudra en faire un acteur.

Et tout cela venait de ce malheureux fragment de miroir qu’il avait reçu dans l’œil et dans le cœur.

L’hiver arriva, et les abeilles blanches reparurent. Winter arrived, and the white bees reappeared.

Un jour d’hiver qu’il neigeait, Peters vint avec un grand traîneau et dit à Gerda.

– Tu ne sais pas, Gerda, j’ai obtenu la permission d’aller jouer sur la grande place avec les autres enfants. - Don't you know, Gerda, I've got permission to go and play in the main square with the other children.

Et il se sauva sans même lui dire au revoir. And he ran away without even saying goodbye.

Vous me demanderez, mes chers enfants, si Peters avait un cheval pour mettre son traîneau en mouvement et s’il n’avait pas de cheval, à quoi pouvait lui servir son traîneau. You will ask me, my dear children, if Peters had a horse to put his sleigh in motion and if he had no horse, what use was his sleigh to him.

Ce à quoi je vous répondrai : To which I reply:

Peters n’avait point de cheval, mais il comptait faire ce que faisaient en pareille circonstance les petits garçons qui n’avaient pas plus de chevaux que lui. Peters had no horse, but he counted on doing what the little boys did in such circumstances, who had no more horses than he.

Ils attachaient à l’aide d’une corde leurs traîneaux aux voitures qui passaient, se laissaient tirer un bout de chemin et cela allait à merveille. They tethered their sleds to passing cars with a rope, let themselves be pulled a bit of the way and it went perfectly.

Quand ils avaient été assez loin d’un côté, ils détachaient la corde et l’attachaient à une voiture qui allait dans le sens opposé, revenant ainsi d’où ils étaient partis. When they had been far enough to one side, they would untie the rope and tie it to a car going in the opposite direction, thus returning from where they had started.

À peine Peters et son traîneau furent-ils arrivés sur la place que l’on vit arriver un grand et magnifique traîneau conduit par deux chevaux blancs tout harnachés de blanc. No sooner had Peters and his sleigh arrived in the square than a large and magnificent sleigh was seen to arrive, driven by two white horses all harnessed in white.

Dans le traîneau était une belle dame avec une pelisse et un bonnet de duvet de cygne ; le traîneau lui-même était peint en blanc, et l’intérieur du traîneau capitonné de satin blanc. – Bon, dit Peters, voilà mon affaire. 'Well,' said Peters, 'that's my business.

Et attachant son petit traîneau au grand traîneau blanc, il partit avec lui. And attaching his little sled to the big white sled, he went with it.