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Le Tour de Jean (Graded Reader), Chapitre 5. "La plus belle chose"

Chapitre 5. "La plus belle chose"

L'étape Toulouse-Bordeaux sera la plus courte du parcours, avec « seulement » 268 kilomètres à parcourir. Avec mon « arme secrète » donnée par René et un parcours favorable, je suis bien décidé à regagner du temps au classement général.

Le départ est donné. Aussitôt, je me mets dans les roues de Charles, décidé à ne pas le lâcher. Voyant que je suis très motivé, il me dit :

– Économise-toi, mon Jeannot ! Nous n'aurons qu'un seul jour de repos à Bordeaux.

– Tu as peur que je te double encore ?

– Pff... J'ai bien compris ta stratégie, tu veux profiter d'une étape plus courte pour gagner des places au classement général, mais tu te trompes : si tu veux aller au bout, ce n'est pas le moment de gaspiller tes forces.

– Occupe-toi de tes affaires ! – Comme tu voudras.

Montauban : les favoris sont déjà loin devant mais je suis toujours dans le « Gruppetto », le petit groupe de poursuivants qui donne la chasse aux premiers.

Moissac : il a fallu se battre, mais je reste accroché au groupe. Ils ne m'auront pas !

Agen : tenir, tenir... C'est de plus en plus dur. Chaque coup de pédale me fait mal dans tout le corps et le groupe ne ralentit pas. Je commence à réaliser tout ce qui me sépare encore des vrais champions. Charles vient se placer à mes côtés :

– Arrête-toi un moment petit, tu vas exploser en vol !

– Non, je ne lâcherai pas !

– Tu as prouvé à tout le monde à quel point tu es courageux. Mais là, tu es en train de gâcher toutes tes chances d'arriver à Paris. Écoute ce que je te dis !

Je n'ai même plus la force de répondre. Mes jambes sont dures comme du béton. Ma tête bourdonne. J'ai l'impression d'avoir de la fièvre. Je me répète sans cesse : « Ne t'arrête pas, ne descends pas de ton vélo sinon tu n'auras jamais le courage de repartir. »

Je ne sais pas comment j'ai réussi à atteindre Bordeaux. Il paraît qu'on a dû me porter jusqu'à l'hôtel et que je me suis endormi aussitôt. À mon réveil, René et Géo sont venus me voir :

– Comment tu te sens ?

– Ça va... J'ai mal partout, mais ça va...

– Tu as fini à 3 heures 41 minutes et 29 secondes

de Laeser, le coureur suisse qui a gagné l'étape. Bravo, belle performance !

– Oui, c'est pas mal. En tout cas, j'ai donné tout ce que j'avais.

– En effet, jeune homme. D'ailleurs, il est de mon devoir de te déconseiller de prendre le départ demain. Avec une seule journée de repos, ton corps ne supportera pas une nouvelle étape de 425 kilomètres.

– Hors de question ! Je n'ai aucune envie d'abandonner !

– Et moi je n'ai aucune envie d'avoir un mort sur la conscience !

– Du calme, du calme, tout le monde ! Jean, tu vas rester au lit toute la journée et toute la nuit s'il le faut. Monsieur Lefèvre, laissons-le se refaire une santé. Nous verrons bien comment il se sent demain matin.

– D'accord, d'accord. Nous verrons bien. Mais à mon avis, ce n'est pas prudent.

13 juillet 1903 au matin, départ de l'étape Bordeaux-Nantes, 425 kilomètres à parcourir. En descendant de ma chambre, j'ai cru tomber dans les escaliers. J'ai encore cette sensation de fièvre et tous mes muscles sont durs et tendus. Les 1532 kilomètres que nous avons déjà parcourus ont laissé des traces terribles. Quand je pense qu'il en reste 896 jusqu'à Paris, je... Non, je préfère ne pas y penser. En arrivant dans le hall de l'hôtel, je m'efforce de cacher ma fatigue. Il est hors de question que l'on m'empêche de prendre le départ. J'essaie de sourire le plus possible et je raconte à tout le monde à quel point le repos m'a fait du bien. Je vois bien que mes amis ne sont pas dupes, mais ils font semblant de me croire et Géo est bien trop occupé pour faire attention à moi. Je promets de rouler tranquillement. De toute façon, je ne pourrai pas faire autrement.

Sur la route, je me remémore tous les événements de cet incroyable voyage : j'ai pris le train, l'auto, j'ai rencontré le comte de Dion, Adèle...

J'ai découvert la photographie, vu un avion, écouté un téléphone. J'ai parcouru en quelques semaines plus de kilomètres à vélo que mon père dans une carrière de facteur. Je me dis que j'ai une chance incroyable d'être né à une époque aussi formidable. Je fais de nombreux arrêts pour augmenter mes chances d'arriver jusqu'à Nantes. À Cognac, un fermier me fait goûter la spécialité locale, un alcool très fort mais absolument délicieux ! La chaleur du breuvage se répand dans mon corps et atténue un peu mes douleurs. Aussi, c'est sans m'en rendre compte que je parviens à Rochefort. Maintenant, direction La Rochelle.

C'est sur cette route que, tout à m'apparaît la plus belle chose que je n'ai jamais vu : l'océan ! Je descends de mon vélo pour admirer le spectacle.

Le vent est fort, puissant. D'énormes vagues s'écrasent sur le sable dans un bruit de tonnerre. C'est tellement beau que j'ai presque envie de pleurer. Je réalise qu'en face de moi, c'est l'Amérique ! L'Amérique... J'irai, un jour. Après tout, cette aventure m'a permis de comprendre que si l'on travaille dur, aucun rêve n'est impossible.

Je dois repartir. Paris est encore loin mais je sais que je vais y arriver. Au départ de la course, je n'ai pas eu le temps de voir la Tour Eiffel et désormais je sais que quand je veux quelque chose, je l'obtiens. Je remonte sur mon vélo. Je donne quelques coups de pédales et puis... Plus rien, le noir complet.

Chapitre 5. "La plus belle chose" Kapitel 5 "Die schönste Sache der Welt" Chapter 5. "The most beautiful thing" Capítulo 5: "Lo más hermoso Capitolo 5: "La cosa più bella 第5章「最も美しいもの Hoofdstuk 5: "Het mooiste wat er is Capítulo 5: "A coisa mais bonita Глава 5: "Самое прекрасное Bölüm 5: "En güzel şey 第5章“最美的东西” 第 5 章“最美麗的事物”

L'étape Toulouse-Bordeaux sera la plus courte du parcours, avec « seulement » 268 kilomètres à parcourir. The Toulouse-Bordeaux stage will be the shortest on the route, with "only" 268 kilometers to cover. Avec mon « arme secrète » donnée par René et un parcours favorable, je suis bien décidé à regagner du temps au classement général. With my "secret weapon" provided by René and a favourable course, I'm determined to make up time in the overall rankings.

Le départ est donné. The start is given. Aussitôt, je me mets dans les roues de Charles, décidé à ne pas le lâcher. Immediately, I got into Charles' stride, determined not to let him go. Voyant que je suis très motivé, il me dit : Seeing that I was highly motivated, he said:

– Économise-toi, mon Jeannot ! - Save your money, Jeannot! Nous n'aurons qu'un seul jour de repos à Bordeaux. We'll have just one day off in Bordeaux.

– Tu as peur que je te double encore ? - Are you afraid I'll double-cross you again?

– Pff... J'ai bien compris ta stratégie, tu veux profiter d'une étape plus courte pour gagner des places au classement général, mais tu te trompes : si tu veux aller au bout, ce n'est pas le moment de gaspiller tes forces. - Pff... I understand your strategy, you want to take advantage of a shorter stage to gain places in the overall classification, but you're wrong: if you want to go all the way, this is not the time to waste your strength.

– Occupe-toi de tes affaires ! - Mind your own business! – Comme tu voudras. - As you wish.

Montauban : les favoris sont déjà loin devant mais je suis toujours dans le « Gruppetto », le petit groupe de poursuivants qui donne la chasse aux premiers. Montauban: the favourites are already far ahead, but I'm still in the "Gruppetto", the small group of chasers who give chase to the frontrunners.

Moissac : il a fallu se battre, mais je reste accroché au groupe. Moissac: we had to fight hard, but I'm sticking with the group. Ils ne m'auront pas ! They won't get me!

Agen : tenir, tenir... C'est de plus en plus dur. Agen: hold on, hold on... It's getting harder and harder. Chaque coup de pédale me fait mal dans tout le corps et le groupe ne ralentit pas. Every pedal stroke hurts my whole body and the group doesn't slow down. Je commence à réaliser tout ce qui me sépare encore des vrais champions. I'm beginning to realize just how much still separates me from the real champions. Charles vient se placer à mes côtés : Charles comes and stands beside me:

– Arrête-toi un moment petit, tu vas exploser en vol ! - Stop for a moment, kid, you'll explode in mid-air!

– Non, je ne lâcherai pas ! - No, I won't give up!

– Tu as prouvé à tout le monde à quel point tu es courageux. - You've proved to everyone just how brave you are. Mais là, tu es en train de gâcher toutes tes chances d'arriver à Paris. But right now, you're ruining your chances of getting to Paris. Écoute ce que je te dis ! Listen to what I'm telling you!

Je n'ai même plus la force de répondre. I don't even have the strength to answer. Mes jambes sont dures comme du béton. My legs are as hard as concrete. Ma tête bourdonne. My head is buzzing. J'ai l'impression d'avoir de la fièvre. I feel like I have a fever. Je me répète sans cesse : « Ne t'arrête pas, ne descends pas de ton vélo sinon tu n'auras jamais le courage de repartir. I keep telling myself: "Don't stop, don't get off your bike, otherwise you'll never have the courage to set off again. »

Je ne sais pas comment j'ai réussi à atteindre Bordeaux. I don't know how I managed to get to Bordeaux. Il paraît qu'on a dû me porter jusqu'à l'hôtel et que je me suis endormi aussitôt. I heard they had to carry me back to the hotel and I fell asleep right away. À mon réveil, René et Géo sont venus me voir : When I woke up, René and Géo came to see me:

– Comment tu te sens ? - How do you feel?

– Ça va... J'ai mal partout, mais ça va... - It's ok... It hurts everywhere, but I'm fine...

– Tu as fini à 3 heures 41 minutes et 29 secondes - You finished at 3 hours 41 minutes and 29 seconds.

de Laeser, le coureur suisse qui a gagné l'étape. of Laeser, the Swiss rider who won the stage. Bravo, belle performance !

– Oui, c'est pas mal. - Yes, it's not bad. En tout cas, j'ai donné tout ce que j'avais. In any case, I gave it everything I had.

– En effet, jeune homme. - Indeed, young man. D'ailleurs, il est de mon devoir de te déconseiller de prendre le départ demain. In fact, it's my duty to advise you against setting off tomorrow. Avec une seule journée de repos, ton corps ne supportera pas une nouvelle étape de 425 kilomètres. With just one day's rest, your body won't be able to cope with another 425-kilometre stage.

– Hors de question ! - Out of the question! Je n'ai aucune envie d'abandonner ! I don't want to give up!

– Et moi je n'ai aucune envie d'avoir un mort sur la conscience ! - And I have no desire to have a dead body on my conscience!

– Du calme, du calme, tout le monde ! - Calm down, calm down, everybody! Jean, tu vas rester au lit toute la journée et toute la nuit s'il le faut. Jean, you're going to stay in bed all day and all night if you have to. Monsieur Lefèvre, laissons-le se refaire une santé. Mr Lefèvre, let's give him a break. Nous verrons bien comment il se sent demain matin. We'll see how he feels in the morning.

– D'accord, d'accord. Nous verrons bien. We'll see. Mais à mon avis, ce n'est pas prudent. But I don't think that's wise.

13 juillet 1903 au matin, départ de l'étape Bordeaux-Nantes, 425 kilomètres à parcourir. Morning of July 13, 1903, start of the Bordeaux-Nantes stage, 425 kilometers to go. En descendant de ma chambre, j'ai cru tomber dans les escaliers. When I got out of my room, I thought I was going to fall down the stairs. J'ai encore cette sensation de fièvre et tous mes muscles sont durs et tendus. I still have that feverish feeling and all my muscles are hard and tense. Les 1532 kilomètres que nous avons déjà parcourus ont laissé des traces terribles. The 1,532 kilometers we've already covered have left terrible marks. Quand je pense qu'il en reste 896 jusqu'à Paris, je... Non, je préfère ne pas y penser. When I think that there are still 896 to Paris, I... No, I'd rather not think about it. En arrivant dans le hall de l'hôtel, je m'efforce de cacher ma fatigue. Arriving in the hotel lobby, I try to hide my tiredness. Il est hors de question que l'on m'empêche de prendre le départ. It's out of the question for me to be prevented from taking the start. J'essaie de sourire le plus possible et je raconte à tout le monde à quel point le repos m'a fait du bien. I try to smile as much as possible and tell everyone how good the rest has done me. Je vois bien que mes amis ne sont pas dupes, mais ils font semblant de me croire et Géo est bien trop occupé pour faire attention à moi. I can see that my friends are not fooled, but they pretend to believe me and Géo is far too busy to pay any attention to me. Je promets de rouler tranquillement. I promise to take it easy. De toute façon, je ne pourrai pas faire autrement. In any case, I won't be able to do otherwise.

Sur la route, je me remémore tous les événements de cet incroyable voyage : j'ai pris le train, l'auto, j'ai rencontré le comte de Dion, Adèle... On the road, I recall all the events of this incredible journey: I took the train, the car, I met the Comte de Dion, Adèle...

J'ai découvert la photographie, vu un avion, écouté un téléphone. J'ai parcouru en quelques semaines plus de kilomètres à vélo que mon père dans une carrière de facteur. In just a few weeks, I cycled more kilometers than my father did in his career as a letter carrier. Je me dis que j'ai une chance incroyable d'être né à une époque aussi formidable. I think I'm incredibly lucky to have been born at such a wonderful time. Je fais de nombreux arrêts pour augmenter mes chances d'arriver jusqu'à Nantes. I make numerous stops to increase my chances of reaching Nantes. À Cognac, un fermier me fait goûter la spécialité locale, un alcool très fort mais absolument délicieux ! In Cognac, a farmer lets me taste the local specialty, a very strong but absolutely delicious alcohol! La chaleur du breuvage se répand dans mon corps et atténue un peu mes douleurs. The warmth of the beverage spreads through my body and eases my pain a little. Aussi, c'est sans m'en rendre compte que je parviens à Rochefort. So it was without realizing it that I reached Rochefort. Maintenant, direction La Rochelle.

C'est sur cette route que, tout à m'apparaît la plus belle chose que je n'ai jamais vu : l'océan ! It's on this road that the most beautiful thing I've ever seen appears: the ocean! Je descends de mon vélo pour admirer le spectacle. I get off my bike to admire the spectacle.

Le vent est fort, puissant. D'énormes vagues s'écrasent sur le sable dans un bruit de tonnerre. Huge waves crash on the sand with a thunderous sound. C'est tellement beau que j'ai presque envie de pleurer. It's so beautiful I almost want to cry. Je réalise qu'en face de moi, c'est l'Amérique ! I realize that right in front of me is America! L'Amérique... J'irai, un jour. Après tout, cette aventure m'a permis de comprendre que si l'on travaille dur, aucun rêve n'est impossible. After all, this adventure has taught me that if you work hard, no dream is impossible.

Je dois repartir. I've got to get back. Paris est encore loin mais je sais que je vais y arriver. Paris is still a long way off, but I know I'll get there. Au départ de la course, je n'ai pas eu le temps de voir la Tour Eiffel et désormais je sais que quand je veux quelque chose, je l'obtiens. At the start of the race, I didn't have time to see the Eiffel Tower, and now I know that when I want something, I get it. Je remonte sur mon vélo. I get back on my bike. Je donne quelques coups de pédales et puis... Plus rien, le noir complet. I give a few pedal strokes and then... Nothing, just complete darkness.