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Little women ''Les quatre filles du docteur Marsch'', Une depêche et ses suites XV

Une depêche et ses suites XV

Tout était arrangé, lorsque Laurie, qui avait voulu épargner à Jo d'aller chez sa tante, arriva avec un billet de tante Marsch contenant la somme désirée, ainsi que quelques lignes répétant qu'elle avait toujours dit qu'il était absurde à son beau-frère d'aller à l'armée, qu'elle lui avait prédit qu'il n'en adviendrait rien de bon, et qu'elle espérait qu'une autre fois il suivrait ses avis. Mme Marsch, très émue quoique silencieuse, continua ses préparatifs de départ ; ses lèvres étroitement serrées auraient appris à Jo, – si elle eût été là, – ce qu'il lui en avait coûté de demander un service à leur tante.

La courte après-midi s'était écoulée ; tous les préparatifs étaient faits. Meg et sa mère achevaient quelques travaux de couture indispensables, et Beth et Amy s'occupaient du thé, pendant que Hannah finissait de repasser. Jo ne revenait pas. Elles commencèrent à s'inquiéter, et Laurie sortit pour aller à sa recherche, car personne ne savait ce que Jo, inquiète d'un refus possible de sa tante, pouvait avoir imaginé. Cependant il ne la rencontra pas, et bientôt elle revint seule. Elle avait, en entrant, un air très bizarre qui semblait un mélange de plaisir et de crainte, de satisfaction et de regret, et qui fut une aussi grande énigme pour sa famille que le petit rouleau d'or qu'elle mit devant sa mère en disant d'une voix étranglée :

« Voici ma contribution pour faire du bien à père et le ramener bientôt au milieu de nous.

– Où avez-vous eu cette grosse somme, ma chère ? Vingt-cinq dollars ! Jo, j'espère que vous n'avez rien fait d'irréfléchi.

– Non, c'est honnêtement à moi ; je ne l'ai ni mendié, ni emprunté, ni volé. Je l'ai gagné et je ne pense pas que vous me blâmiez, puisque ce que j'ai vendu était ma propriété. »

Tout en parlant, Jo ôta son chapeau, et un cri général se fit entendre, car ses longs cheveux épais étaient coupés courts.

« Vos cheveux, vos beaux cheveux ! Oh ! Jo, comment avez-vous pu faire cela ? C'était votre beauté ! Ma chère enfant, il n'y en avait, nulle nécessité. »

Mme Marsch la prit dans ses bras ; les deux têtes se confondirent dans une étreinte muette.

« Elle ne ressemble plus à notre Jo, dit-elle en se tournant vers ses autres enfants ; mais nous l'aimerons encore plus tendrement maintenant. »

Comme chacune se récriait, et que Beth embrassait avec une sorte de piété la tête tondue de Jo, celle-ci prit un air indifférent qui ne trompa personne, et, passant la main sur ses cheveux coupés courts, comme si cela lui plaisait, elle dit :

« Ne gémissez pas, Beth ; cela n'affecte pas le sort de la nation, et ce sera bon pour ma vanité. Je devenais trop fière de ma perruque ; cela me fera du bien de ne plus avoir cette vanité sur la tête. Je me sens délicieusement fraîche et légère, et le perruquier m'a assuré que j'aurais bientôt des boucles qui me donneront l'air d'un garçon, m'iront très bien, par conséquent, et seront faciles à peigner. Je suis satisfaite ; ainsi, prenez l'argent, je vous en prie, et soupons.

– Racontez-moi tout, Jo. Je ne suis pas tout à fait satisfaite ; mais je ne peux pas vous blâmer et je sais que vous avez sacrifié de tout votre coeur votre vanité, comme vous l'appelez, à votre tendresse pour votre père et pour nous tous. Je crains pourtant que vous n'ayez pas consulté vos forces, et que vous ne le regrettiez un jour, dit Mme Marsch.

– Non certes, répondit vivement Jo, trop heureuse de ce que son action n'eût pas été entièrement condamnée.

– Qu'est-ce qui vous en a donné l'idée ? demanda Amy, qui aurait aussi bien pensé à couper sa tête qu'à couper ses jolis cheveux.

– Eh bien ! je désirais ardemment faire quelque chose pour père, répondit Jo pendant qu'elles se mettaient à table ; je déteste autant que mère emprunter quelque chose aux gens, et je n'étais pas sûre que tante Marsch prêtât toute la somme nécessaire. Meg avait dernièrement donné son salaire de trois mois pour payer le loyer, tandis que moi, je m'étais acheté des habits avec le mien. J'ai trouvé que c'était très mal et j'ai senti qu'il fallait que je fisse à mon tour quelque

chose pour le bien commun. Une fois cette idée admise, je me serais coupé le nez, s'il l'avait fallu, pour le vendre, plutôt que de ne rien vendre du tout.

– Vous n'avez pas de reproches à vous faire pour vos vêtements, mon enfant. Vous n'aviez pas de vêtements d'hiver, et vous avez acheté les plus simples avec l'argent que vous aviez gagné en travaillant d'une manière peu agréable, dit M me Marsch avec un regard, qui réchauffa le coeur de Jo.

– Je n'avais pas eu d'abord la moindre idée de vendre mes cheveux ; mais, en marchant, je me demandais ce que je pourrais faire. Dans une devanture de coiffeur je vis des queues de cheveux avec les prix marqués ; j'en remarquai une, noire, plus longue que la mienne, mais pas si épaisse, elle était marquée quarante dollars. Tout à coup la pensée me vint que je possédais quelque chose dont je pouvais avoir de l'argent, et, sans m'arrêter à réfléchir, j'entrai dans la boutique, et je demandai au coiffeur s'il achetait des cheveux et combien il me donnerait des miens.

– Je ne comprends pas comment vous avez osé le demander ! s'écria Beth avec terreur.

– Le coiffeur était un gros homme chauve qui n'avait pas l'air imposant. Il n'avait à s'occuper de cheveux que pour le compte des autres. Il parut d'abord étonné, comme s'il n'était pas habitué à voir des jeunes filles se précipiter dans sa boutique et lui demander d'acheter leurs cheveux, puis il dit que les miens ne lui conviendraient guère, qu'ils n'étaient pas d'une couleur à la mode, qu'il ne payait jamais bien cher ces couleurs-là et que, d'ailleurs, ce qui donnait valeur à ceux qu'il vendait, c'était la préparation, etc., etc. Bref, il se faisait tard, et j'avais peur de ne pas réussir du tout, si je ne le décidais pas tout de suite. Vous savez, lorsque je commence quelque chose, je déteste l'abandonner ; je lui demandai de les prendre tels qu'ils étaient et je lui dis pourquoi j'étais si pressée. C'était bête, mais cela le fit changer de ton ; j'étais excitée en lui racontant mon histoire ; et sa femme, une dame très maigre, qui m'avait écoutée jusque-là sans se mêler à l'affaire, lui dit avec bonté : « Prenez-les, Thomas, et obligez la demoiselle. J'en ferais autant pour notre Jimmy, si j'avais des cheveux de quelque valeur. »

– Quel était ce Jimmy ? demanda Amy qui aimait à ce que les choses lui fussent expliquées jusqu'au bout.

– C'était leur fils qui est soldat. Ces choses font tout de suite des amis de gens inconnus. La femme du coiffeur me parla donc de son Jimmy pendant tout le temps que son mari me tondait et parvint à me distraire complètement.

– N'avez-vous pas eu un sentiment terrible quand le premier coup de ciseaux fut donné ? demanda Meg en frissonnant.

– J'ai regardé une dernière fois ma crinière, et ça a été tout. Je ne pleurniche jamais pour des bagatelles comme cela ! Je dois cependant confesser que je me suis sentie toute bizarre quand j'ai vu mes chers vieux cheveux sur la table, et que je n'ai plus senti sur ma tête que des petits bouts courts et raides. Il me semblait presque que j'avais un bras ou une jambe de moins. La femme me vit les regarder et m'en donna une grande mèche. Je vais vous la donner comme souvenir des gloires passées, maman, car c'est si agréable d'avoir des cheveux courts, que je ne pense pas que je me laisse jamais repousser une queue comme celle que j'avais. »

Mme Marsch plia la grande mèche de cheveux châtains, et, quand elle se retourna pour la placer dans son portefeuille, à côté d'une mèche de cheveux gris et courts, on aurait pu voir la pauvre mère déposer un baiser sur ces deux reliques. Elle aurait voulu parler à Jo ; mais elle ne put que lui dire : « Ma chérie », et quelque chose dans sa figure fit penser à ses enfants qu'il fallait changer de sujet de conversation. Elles parlèrent alors aussi gaiement que possible de la bonté de M. Laurentz, puis de l'offre et du départ de M. Brooke :

« Qu'en pensez-vous, Jo ? lui dit Beth.

– Je pense, dit Jo, je pense que c'est très bien, absolument bien. Je ne puis penser autrement. »

On causa enfin de la perspective d'un beau temps pour le lendemain et du bonheur qu'elles auraient quand leur mère serait revenue, leur rapportant de vraies bonnes nouvelles.

Personne ne désirait aller se coucher ; mais, quand dix heures sonnèrent, Mme Marsch mit de côté l'ouvrage qu'elle venait de terminer et dit : « Venez, enfants. » Beth alla au piano et joua l'hymne favorite de son père. Elles commencèrent toutes bravement à chanter, mais bientôt les sons se refusèrent à sortir de leurs lèvres ; l'une après l'autre, elles durent se taire. Beth seule acheva la prière, car la musique était la manière d'exprimer ses sentiments qui l'intimidait le moins.

« Allez vous coucher, maintenant, mes filles bien-aimées, leur dit Mme Marsch après les avoir tendrement embrassées l'une après l'autre ; mais ne causez pas ce soir, car il faudra nous lever de bonne heure et nous avons besoin de tout le sommeil possible. Bonsoir, mes chéries ! Que Dieu vous garde et nous conserve votre père ! »

Les quatre enfants se couchèrent aussi silencieusement que si le cher malade eût été dans la chambre à côté. Beth et Amy s'endormirent vite malgré leur douleur ; mais Meg, absorbée dans les pensées les plus sérieuses qu'elle eût jamais eues, resta éveillée. Jo, immobile, semblait endormie, quand un sanglot à demi étouffé apprit à Meg qu'elle ne dormait pas non plus. Elle passa sa main sur le visage de sa soeur et sentit qu'elle avait les joues mouillées de larmes.

« Jo chérie, qu'avez-vous ? Pleurez-vous à cause de papa ?

– Tout à l'heure, oui, mais pas en ce moment. Oh ! c'est indigne !

– Pourquoi, alors ?

– Je suis assez sotte, Meg, le croiriez-vous, pour pleurer mes cheveux ! s'écria la pauvre Jo qui essayait en vain d'étouffer son chagrin dans son oreiller. J'ai honte de moi, et c'est aussi, je crois, de honte que je pleure. C'est plus mêlé que mes cheveux ne l'avaient jamais été. »

Ces paroles ne semblèrent pas comiques du tout à Meg. Elle caressa et embrassa tendrement la pauvre héroïne.

« Je ne suis pas fâchée de l'avoir fait, protesta Jo d'une voix altérée ; je recommencerais demain si je pouvais ; c'est seulement la partie vaine et égoïste de moi-même qui pleure de cette stupide manière. Ne le dites à personne, c'est fini maintenant ! Je pensais que vous étiez endormie, et j'avais cru pouvoir gémir en secret sur ma seule beauté. Comment cela se fait-il que vous ayez été éveillée ?

– Je ne peux pas dormir, je suis si inquiète !

– Pensez à quelque chose d'agréable, et vous vous endormirez bientôt.

– J'ai essayé, mais j'ai été encore plus éveillée qu'avant.

– À quoi pensiez-vous ?

– Je pensais, dit Meg en baissant la voix, que M. Laurentz était bien bon d'envoyer un homme aussi parfait que M. Brooke en Amérique avec maman en ce moment. »

Jo se mit à rire, et Meg lui ordonna d'un ton bref de se taire ; puis elle lui promit de faire boucler ses cheveux, et s'endormit bientôt en rêvant à son château en Espagne.

Minuit venait de sonner et les chambres étaient silencieuses, quand Mme Marsch se glissa doucement d'un lit à l'autre, relevant une couverture ici, arrangeant un oreiller là, s'arrêtant pour regarder longuement et tendrement la figure de chacune de ses enfants, les bénissant l'une et l'autre du fond de son coeur et adressant à Dieu une de ces prières dont les mères seules ont le secret. Comme elle levait le rideau pour sonder du regard la nuit terrible, la lune sortit subitement de derrière les nuages et brilla sur elle comme pour lui dire : « Ne te désespère pas ; il y a toujours du soleil derrière les nuages. »

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