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Little women ''Les quatre filles du docteur Marsch'', Des jours sombres XVIII

Des jours sombres XVIII

Elle ne pleurait plus, mais riait nerveusement et tremblait, et s'attachait à son ami, comme si cette nouvelle subite lui eût fait perdre la raison. Laurie, qui ne s'attendait pas à cette explosion, se conduisit avec une grande présence d'esprit ; il lui donna de petites tapes dans les mains et lui humecta les tempes avec de l'eau fraîche pour la remettre, et, voyant qu'elle redevenait elle-même, il l'embrassa. Cette preuve d'affection remit complètement Jo.

« C'est si bien à vous, Laurie, d'avoir prévenu maman malgré Hannah ! je vous aime cent fois plus pour l'avoir osé, Laurie. Racontez-moi tout, et ne me donnez plus de vin, cela me fortifie, mais aussi cela m'agite.

– Ce verre de madère vous a fait plus de bien que de mal, Jo. Quant au retour de M me Marsch, voici comment cela s'est passé. J'étais inquiet, ainsi que grand-père ; nous trouvions que Hannah outrepassait son droit, et que votre mère devait être informée de l'état de Beth, car elle ne nous aurait jamais pardonné si Beth... si quelque chose d'irréparable arrivait de ce côté. J'ai amené grand-père à dire qu'il était grand temps de faire quelque chose, et hier, voyant que le docteur avait l'air plus inquiet encore, j'ai, avec son aveu, envoyé une dépêche, dont déjà nous avons la réponse. Votre mère arrivera cette nuit même, vers deux heures du matin ; j'irai à sa rencontre. Vous n'avez, d'ici là, rien à faire que de mettre votre contentement au secret, tout en préparant Beth, et en la calmant jusqu'à ce que votre mère soit arrivée.

– Laurie, vous êtes un ange. Comment pourrons-nous jamais nous acquitter envers vous ?

– Vous vous jetterez l'une après l'autre à mon cou ; cela me plaît assez, dit Laurie d'un air taquin qu'il n'avait pas eu depuis quinze jours.

– Non, merci ; mais, par exemple, personne ne me retiendra d'embrasser votre grand-père quand il viendra ; et maintenant, Laurie, allez vous reposer, car vous serez debout la moitié de la nuit. Dieu vous bénisse ! Dieu vous bénisse ! »

Ceci dit, Jo s'enfuit dans la cuisine, et, s'asseyant par terre, dit aux chats assemblés autour d'elle, qu'elle était « si heureuse, oh ! si heureuse ! »

Au dernier moment, il fallut bien dire à Hannah que Mme Marsch allait arriver.

« Je n'ai jamais vu quelqu'un se mêler de tout comme ce jeune homme, mais je lui pardonne », dit Hannah d'un air de soulagement quand elle apprit la bonne nouvelle.

Meg, instruite à son tour, approuva fort les Laurentz. Jo passa la maison en revue, et mit la chambre de la malade en ordre pour que sa mère n'eût point à se plaindre. Hannah apprêtait quelque chose de chaud pour les voyageurs. Un souffle d'air frais semblait avoir passé sur la maison, et quelque chose de meilleur que le soleil semblait resplendir dans les chambres. Chacun comprit à sa façon qu'il y avait quelque chose de bon en l'air : l'oiseau de Beth commença à gazouiller, Meg découvrit sur le rosier d'Amy une rose à moitié ouverte ; les feux semblaient éclairer plus gaiement, et, chaque fois que Meg et Jo se rencontraient, leurs pâles figures s'éclairaient par un sourire et elles s'embrassaient en se disant : « Mère va arriver, mère va arriver ! » Tout le monde se réjouissait, excepté Beth, qui était dans un état de torpeur profonde et ne sentait ni l'espérance et la joie, ni le doute et le danger.

On avait envie de pleurer en la regardant ; sa figure, si fraîche, était blanche comme l'ivoire et si changée ! Ses doux yeux semblaient égarés, ses mains toujours agitées étaient faibles et maigres, ses lèvres, souriantes encore, demeuraient tout à fait muettes, et ses cheveux, si jolis et si lisses, étaient éparpillés, en désordre sur l'oreiller. Elle resta ainsi tout le jour, ne s'éveillant que de temps en temps pour demander « à boire ! » d'une voix si faible qu'on ne l'entendait qu'à peine. Tant que dura le jour, Meg et Jo restèrent à côté d'elle à la soigner, à attendre, à espérer, à se fier à Dieu et à leur mère. La neige tombait au dehors, le vent soufflait avec fureur et les heures se traînaient. La nuit arriva enfin, et les deux soeurs, assises de chaque côté du lit, se regardaient chaque fois que l'horloge sonnait, en pensant que chaque heure qui s'écoulait les rapprochait du moment où elles auraient de l'aide, l'aide suprême de leur mère chérie.

Le docteur avait dit qu'il y aurait peut-être, vers minuit, un changement dans l'état de Beth, et qu'il reviendrait vers cette heure-là. Hannah, à bout de forces, s'était couchée sur le canapé au pied du lit et s'était vite endormie. M. Laurentz arpentait le parloir à grands pas, et Laurie, couché sur le tapis, devant le feu, prétendait se reposer, mais regardait la flamme avec un regard pensif qui trahissait ses alarmes. Les jeunes filles n'oublièrent jamais cette nuit-là. Le sommeil ne les visita pas une minute pendant qu'elles veillaient avec ce sentiment terrible d'impuissance, qui nous possède à des moments comme ceux-là.

« Si Dieu épargne Beth, je ne me plaindrai plus jamais, je trouverai tout bien, dit Meg avec ferveur.

– Si Dieu épargne Beth, je la servirai toute ma vie », répondit Jo avec une ferveur égale.

Ici, l'horloge sonna minuit, et les deux soeurs s'absorbèrent dans la contemplation de Beth. Elles s'imaginèrent, à force de la regarder, qu'un changement s'était opéré sur sa pâle figure. La maison était tranquille comme la mort, et on n'entendait, dans le profond silence, que le gémissement lugubre du vent. Hannah continuait à dormir, les deux soeurs voyaient l'ombre s'épaissir, tomber sur le petit lit de Beth. Une heure s'écoula sans autre incident que le départ silencieux de Laurie pour la gare. Une heure encore se passa. Pourquoi Laurie, pourquoi leur mère n'étaient-ils pas encore là ? Les jeunes filles étaient hantées par la crainte que quelque accident ne fût arrivé au train qui devait leur rapporter Mme Marsch, ou encore que les nouvelles de Washington n'arrivassent pires que par le passé.

Il était plus de deux heures lorsque Jo, qui était debout devant la fenêtre et pensait que la terre avait un aspect effrayant dans son blanc linceul de neige, entendit un léger bruit près du lit. Se retournant vivement, elle aperçut Meg agenouillée devant le fauteuil de sa mère, la figure cachée dans les mains. Une terrible angoisse passa dans le coeur de Jo. Elle se dit : « Beth est morte, et Meg n'ose pas me le dire. »

En un instant, elle fut à son poste, les yeux sur le visage de Beth. Il lui sembla qu'une modification nouvelle avait passé sur les traits de la malade. La rougeur de la fièvre était partie, et la bien-aimée petite figure lui parut si calme et si paisible dans son profond repos, que Jo ne se sentit aucune envie de pleurer ou de se lamenter. Se baissant tendrement vers sa soeur chérie, elle embrassa son front humide en mettant tout son coeur dans son baiser et murmura doucement.

« Beth, ma Beth aimée ! Ne te sens-tu pas mieux ? »

Éveillée sans doute par le léger mouvement des deux soeurs, Hannah se leva, elle s'approcha de Beth, la regarda attentivement, lui tata le pouls et dit d'une voix brisée par l'émotion :

« Je crois... oui, je crois qu'elle est sauvée ! La fièvre est passée, elle dort naturellement, sa peau est moite et elle respire facilement. Dieu soit loué ! la pauvre dame peut arriver. »

Et elle s'assit par terre en pleurant.

Avant que Meg et Jo eussent pu croire tout à fait à cette heureuse nouvelle, le docteur vint la confirmer. Les deux jeunes filles trouvèrent sa figure céleste lorsqu'il leur dit en souriant d'un air paternel :

« Oui, mes chères enfants, je crois que la petite fille est sauvée. Tenez la maison tranquille, laissez-la dormir, et, quand elle s'éveillera, donnez-lui... »

Ce qu'elles devaient lui donner, ni l'une ni l'autre ne l'entendit. Toutes deux se glissèrent dans le corridor, et, s'asseyant sur l'escalier, se tinrent étroitement embrassées, sans parler, car leurs coeurs étaient trop pleins. Lorsqu'elles revinrent dans la chambre, après s'être soulagées par quelques larmes de bonheur, la fidèle Hannah les embrassa, les dorlota et leur montra Beth couchée, selon son ancienne habitude, avec sa tête sur sa main ; la terrible pâleur avait disparu, et elle respirait tranquillement comme si elle venait seulement de s'endormir.

« Si mère pouvait arriver maintenant ! dit Jo lorsque la nuit d'hiver commença à s'éclaircir. Quel retard ! Qu'est-il arrivé ?

– La neige retarde toujours les trains, dit Hannah.

– Voyez, Jo, dit Meg en apportant une jolie rose blanche à moitié ouverte. Je pensais hier qu'elle serait à peine assez éclose pour la mettre dans la main de Beth, si elle... nous avait été enlevée ; mais elle a fleuri dans la nuit, et maintenant, je vais la mettre dans mon petit vase, afin que, lorsque la petite chérie s'éveillera, la première chose qu'elle voie soit la petite rose et la figure de maman. »

Le soleil ne s'était jamais levé si brillant, et le monde n'avait jamais paru aussi beau à Meg et à Jo que ce matin-là, quand, leur longue et triste veillée étant finie, elles regardèrent ce spectacle avec des yeux appesantis par une nuit d'insomnie.

« On dirait un monde de fées, dit Meg en souriant, pendant que, cachée derrière, le rideau, elle regardait le soleil éblouissant. Ah ! si mère n'était pas en retard, comme ce serait complet !

– Écoutez ! » s'écria Jo en tressaillant.

Oui, on entendait un coup de sonnette, puis un cri de Hannah, puis la voix de Laurie, qui dit à demi-voix :

« Jo, Meg, la voici ! »

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