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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 2, 34. Apparition

34. Apparition

Apparition.

Franz avait trouvé un terme moyen pour qu'Albert arrivât au Colisée sans passer devant aucune ruine antique, et par conséquent sans que les préparations graduelles ôtassent au colosse une seule coudée de ses gigantesques proportions. C'était de suivre la via Sistinia, de couper à angle droit devant Sainte-Marie-Majeure, et d'arriver par la via Urbana et San Pietro in Vincoli jusqu'à la via del Colosseo.

Cet itinéraire offrait d'ailleurs un autre avantage: c'était celui de ne distraire en rien Franz de l'impression produite sur lui par l'histoire qu'avait racontée maître Pastrini, et dans laquelle se trouvait mêlé son mystérieux amphitryon de Monte-Cristo. Aussi s'était-il accoudé dans son coin et était-il retombé dans ces mille interrogatoires sans fin qu'il s'était faits à lui-même et dont pas un ne lui avait donné une réponse satisfaisante.

Une chose, au reste, lui avait encore rappelé son ami Simbad le marin: c'étaient ces mystérieuses relations entre les brigands et les matelots. Ce qu'avait dit maître Pastrini du refuge que trouvait Vampa sur les barques des pécheurs et des contrebandiers rappelait à Franz ces deux bandits corses qu'il avait trouvés soupant avec l'équipage du petit yacht, lequel s'était détourné de son chemin et avait abordé à Porto-Vecchio, dans le seul but de les remettre à terre. Le nom que se donnait son hôte de Monte-Cristo, prononcé par son hôte de l'hôtel d'Espagne, lui prouvait qu'il jouait le même rôle philanthropique sur les côtes de Piombino, de Civita-Vecchia, d'Ostie et de Gaëte que sur celles de Corse, de Toscane et d'Espagne; et comme lui-même, autant que pouvait se le rappeler Franz, avait parlé de Tunis et de Palerme, c'était une preuve qu'il embrassait un cercle de relations assez étendu.

Mais si puissantes que fussent sur l'esprit du jeune homme toutes ces réflexions, elles s'évanouirent à l'instant où il vit s'élever devant lui le spectre sombre et gigantesque du Colisée, à travers les ouvertures duquel la lune projetait ces longs et pâles rayons qui tombent des yeux des fantômes. La voiture arrêta à quelques pas de la Mesa Sudans. Le cocher vint ouvrir la portière; les deux jeunes gens sautèrent à bas de la voiture et se trouvèrent en face d'un cicérone qui semblait sortir de dessous terre.

Comme celui de l'hôtel les avait suivis, cela leur en faisait deux.

Impossible, au reste, d'éviter à Rome ce luxe des guides outre le cicérone général qui s'empare de vous au moment où vous mettez le pied sur le seuil de la porte de l'hôtel, et qui ne vous abandonne plus que le jour où vous mettez le pied hors de la ville, il y a encore un cicérone spécial attaché à chaque monument, et je dirai presque à chaque fraction du monument. Qu'on juge donc si l'on doit manquer de ciceroni au Colosseo, c'est-à-dire au monument par excellence, qui faisait dire à Martial:

«Que Memphis cesse de nous vanter les barbares miracles de ses pyramides, que l'on ne chante plus les merveilles de Babylone; tout doit céder devant l'immense travail de l'amphithéâtre des Césars, toutes les voix de la renommée doivent se réunir pour vanter ce monument.»

Franz et Albert n'essayèrent point de se soustraire à la tyrannie cicéronienne. Au reste, cela serait d'autant plus difficile que ce sont les guides seulement qui ont le droit de parcourir le monument avec des torches. Ils ne firent donc aucune résistance, et se livrèrent pieds et poings liés à leurs conducteurs.

Franz connaissait cette promenade pour l'avoir faite dix fois déjà. Mais comme son compagnon, plus novice, mettait pour la première fois le pied dans le monument de Flavius Vespasien, je dois l'avouer à sa louange, malgré le caquetage ignorant de ses guides, il était fortement impressionné. C'est qu'en effet on n'a aucune idée, quand on ne l'a pas vue, de la majesté d'une pareille ruine, dont toutes les proportions sont doublées encore par la mystérieuse clarté de cette lune méridionale dont les rayons semblent un crépuscule d'Occident.

Aussi à peine Franz le penseur eut-il fait cent pas sous les portiques intérieurs, qu'abandonnant Albert à ses guides, qui ne voulaient pas renoncer au droit imprescriptible de lui faire voir dans tous leurs détails la Fosse des Lions, la Loge des Gladiateurs, le Podium des Césars, il prit un escalier à moitié ruiné et, leur laissant continuer leur route symétrique, il alla tout simplement s'asseoir à l'ombre d'une colonne, en face d'une échancrure qui lui permettait d'embrasser le géant de granit dans toute sa majestueuse étendue.

Franz était là depuis un quart d'heure à peu près, perdu, comme je l'ai dit, dans l'ombre d'une colonne, occupé à regarder Albert, qui, accompagné de ses deux porteurs de torches, venait de sortir d'un vomitorium placé à l'autre extrémité du Colisée, et lesquels, pareils à des ombres qui suivent un feu follet, descendaient de gradin en gradin vers les places réservées aux vestales, lorsqu'il lui sembla entendre rouler dans les profondeurs du monument une pierre détachée de l'escalier situé en face de celui qu'il venait de prendre pour arriver à l'endroit où il était assis. Ce n'est pas chose rare sans doute qu'une pierre qui se détache sous le pied du temps et va rouler dans l'abîme; mais, cette fois, il lui semblait que c'était aux pieds d'un homme que la pierre avait cédé et qu'un bruit de pas arrivait jusqu'à lui, quoique celui qui l'occasionnait fît tout ce qu'il put pour l'assourdir.

En effet, au bout d'un instant, un homme parut sortant graduellement de l'ombre à mesure qu'il montait l'escalier, dont l'orifice, situé en face de Franz, était éclairé par la lune, mais dont les degrés, à mesure qu'on les descendait, s'enfonçaient dans l'obscurité.

Ce pouvait être un voyageur comme lui, préférant une méditation solitaire au bavardage insignifiant de ses guides, et par conséquent son apparition n'avait rien qui pût le surprendre; mais à l'hésitation avec laquelle il monta les dernières marches, à la façon dont, arrivé sur la plate-forme, il s'arrêta et parut écouter, il était évident qu'il était venu là dans un but particulier et qu'il attendait quelqu'un.

Par un mouvement instinctif, Franz s'effaça le plus qu'il put derrière la colonne.

À dix pieds du sol où ils se trouvaient tous deux, la voûte était enfoncée, et une ouverture ronde, pareille à celle d'un puits, permettait d'apercevoir le ciel tout constellé d'étoiles.

Autour de cette ouverture, qui donnait peut-être déjà depuis des centaines d'années passage aux rayons de la lune, poussaient des broussailles dont les vertes et frêles découpures se détachaient en vigueur sur l'azur mat du firmament, tandis que de grandes lianes et de puissants jets de lierre pendaient de cette terrasse supérieure et se balançaient sous la voûte, pareils à des cordages flottants.

Le personnage dont l'arrivée mystérieuse avait attiré l'attention de Franz était placé dans une demi-teinte qui ne lui permettait pas de distinguer ses traits, mais qui cependant n'était pas assez obscure pour l'empêcher de détailler son costume: il était enveloppé d'un grand manteau brun dont un des pans, rejeté sur son épaule gauche, lui cachait le bas du visage, tandis que son chapeau à larges bords en couvrait la partie supérieure. L'extrémité seule de ses vêtements se trouvait éclairée par la lumière oblique qui passait par l'ouverture, et qui permettait de distinguer un pantalon noir encadrant coquettement une botte vernie.

Cet homme appartenait évidemment, sinon à l'aristocratie, du moins à la haute société.

Il était là depuis quelques minutes et commençait à donner des signes visibles d'impatience, lorsqu'un léger bruit se fit entendre sur la terrasse supérieure.

Au même instant une ombre parut intercepter la lumière, un homme apparut à l'orifice de l'ouverture, plongea son regard perçant dans les ténèbres, et aperçut l'homme au manteau; aussitôt il saisit une poignée de ces lianes pendantes et de ces lierres flottants, se laissa glisser, et, arrivé à trois ou quatre pieds du sol sauta légèrement à terre. Celui-ci avait le costume d'un Transtévère complet.

«Excusez-moi, Excellence, dit-il en dialecte romain, je vous ai fait attendre. Cependant, je ne suis en retard que de quelques minutes. Dix heures viennent de sonner à Saint-Jean-de-Latran.

—C'est moi qui étais en avance et non vous qui étiez en retard, répondit l'étranger dans le plus pur toscan; ainsi pas de cérémonie: d'ailleurs m'eussiez-vous fait attendre, que je me serais bien douté que c'était par quelque motif indépendant de votre volonté.

—Et vous auriez eu raison, Excellence, je viens du château Saint-Ange, et j'ai eu toutes les peines du monde à parler à Beppo.

—Qu'est-ce que Beppo?

—Beppo est un employé de la prison, à qui je fais une petite rente pour savoir ce qui se passe dans l'intérieur du château de Sa Sainteté.

—Ah! ah! je vois que vous êtes homme de précaution, mon cher!

—Que voulez-vous, Excellence! on ne sait pas ce qui peut arriver; peut-être moi aussi serai-je un jour pris au filet comme ce pauvre Peppino; et aurai-je besoin d'un rat pour ronger quelques mailles de ma prison.

—Bref, qu'avez-vous appris?

—Il y aura deux exécutions mardi à deux heures comme c'est l'habitude à Rome lors des ouvertures des grandes fêtes. Un condamné sera mazzolato , c'est un misérable qui a tué un prêtre qui l'avait élevé, et qui ne mérite aucun intérêt. L'autre sera decapitato , et celui-là, c'est le pauvre Peppino.

—Que voulez-vous, mon cher, vous inspirez une si grande terreur, non seulement au gouvernement pontifical mais encore aux royaumes voisins qu'on veut absolument faire un exemple.

—Mais Peppino ne fait pas même partie de ma bande; c'est un pauvre berger qui n'a commis d'autre crime que de nous fournir des vivres.

—Ce qui le constitue parfaitement votre complice. Aussi, voyez qu'on a des égards pour lui: au lieu de l'assommer, comme vous le serez, si jamais on vous met la main dessus, on se contentera de le guillotiner. Au reste, cela variera les plaisirs du peuple, et il y aura spectacle pour tous les goûts.

—Sans compter celui que je lui ménage et auquel il ne s'attend pas, reprit le Transtévère.

—Mon cher ami, permettez-moi de vous dire, reprit l'homme au manteau, que vous me paraissez tout disposé à faire quelque sottise.

—Je suis disposé à tout pour empêcher l'exécution du pauvre diable qui est dans l'embarras pour m'avoir servi; par la Madone! je me regarderai comme un lâche, si je ne faisais pas quelque chose pour ce brave garçon.

—Et que ferez-vous?

—Je placerai une vingtaine d'hommes autour de l'échafaud, et, au moment où on l'amènera, au signal que je donnerai, nous nous élancerons le poignard au poing sur l'escorte, et nous l'enlèverons.

—Cela me paraît fort chanceux, et je crois décidément que mon projet vaut mieux que le vôtre.

—Et quel est votre projet, Excellence?

—Je donnerai dix mille piastres à quelqu'un que je sais, et qui obtiendra que l'exécution de Peppino soit remise à l'année prochaine; puis, dans le courant de l'année, je donnerai mille autres piastres à un autre quelqu'un que je sais encore, et le ferai évader de prison.

—Êtes-vous sûr de réussir?

—Pardieu! dit en français l'homme au manteau.

—Plaît-il? demanda le Transtévère.

—Je dis, mon cher, que j'en ferai plus à moi seul avec mon or que vous et tous vos gens avec leurs poignards, leurs pistolets, leurs carabines et leurs tromblons. Laissez-moi donc faire.

—À merveille; mais si vous échouez, nous nous tiendrons toujours prêts.

—Tenez-vous toujours prêts, si c'est votre plaisir mais soyez certain que j'aurai sa grâce.

—C'est après-demain mardi, faites-y attention. Vous n'avez plus que demain.

—Eh bien, mais le jour se compose de vingt-quatre heures, chaque heure se compose de soixante minutes, chaque minute de soixante secondes; en quatre-vingt-six mille quatre cents secondes on fait bien des choses.

—Si vous avez réussi, Excellence, comment le saurons-nous?

—C'est bien simple. J'ai loué les trois dernières fenêtres du café Rospoli; si j'ai obtenu le sursis, les deux fenêtres du coin seront tendues en damas jaune mais celle du milieu sera tendue en damas blanc avec une croix rouge.

—À merveille. Et par qui ferez-vous passer la grâce?

—Envoyez-moi un de vos hommes déguisé en pénitent et je la lui donnerai. Grâce à son costume, il arrivera jusqu'au pied de l'échafaud et remettra la bulle au chef de la confrérie, qui la remettra au bourreau. En attendant, faites savoir cette nouvelle à Peppino; qu'il n'aille pas mourir de peur ou devenir fou, ce qui serait cause que nous aurions fait pour lui une dépense inutile.

—Écoutez, Excellence, dit le paysan, je vous suis bien dévoué, et vous en êtes convaincu, n'est-ce pas?

—Je l'espère, au moins.

—Eh bien, si vous sauvez Peppino ce sera plus que du dévouement à l'avenir, ce sera de l'obéissance.

—Fais attention à ce que tu dis là, mon cher! je te le rappellerai peut-être un jour, car peut-être un jour moi aussi, j'aurai besoin de toi....

—Eh bien, alors, Excellence, vous me trouverez à l'heure du besoin comme je vous aurai trouvé à cette même heure; alors, fussiez-vous à l'autre bout du monde, vous n'aurez qu'à m'écrire: «Fais cela», et je le ferai, foi de....

—Chut! dit l'inconnu, j'entends du bruit.

—Ce sont des voyageurs qui visitent le Colisée aux flambeaux.

—Il est inutile qu'ils nous trouvent ensemble. Ces mouchards de guides pourraient vous reconnaître; et, si honorable que soit votre amitié, mon cher ami, si on nous savait liés comme nous le sommes, cette liaison, j'en ai bien peur, me ferait perdre quelque peu de mon crédit.

—Ainsi, si vous avez le sursis?

—La fenêtre du milieu tendue en damas avec une croix rouge.

—Si vous ne l'avez pas?...

—Trois tentures jaunes.

—Et alors?...

—Alors, mon cher ami, jouez du poignard tout à votre aise, je vous le permets, et je serai là pour vous voir faire.

—Adieu, Excellence, je compte sur vous, comptez sur moi.»

À ces mots le Transtévère disparut par l'escalier, tandis que l'inconnu, se couvrant plus que jamais le visage de son manteau, passa à deux pas de Franz et descendit dans l'arène par les gradins extérieurs.

Une seconde après, Franz entendit son nom retentir sous les voûtes: c'était Albert qui l'appelait.

Il attendit pour répondre que les deux hommes fussent éloignés, ne se souciant pas de leur apprendre qu'ils avaient eu un témoin qui, s'il n'avait pas vu leur visage, n'avait pas perdu un mot de leur entretien.

Dix minutes après, Franz roulait vers l'hôtel d'Espagne, écoutant avec une distraction fort impertinente la savante dissertation qu'Albert faisait, d'après Pline et Calpurnius, sur les filets garnis de pointes de fer qui empêchaient les animaux féroces de s'élancer sur les spectateurs.

Il le laissait aller sans le contredire; il avait hâte de se trouver seul pour penser sans distraction à ce qui venait de se passer devant lui.

De ces deux hommes, l'un lui était certainement étranger, et c'était la première fois qu'il le voyait et l'entendait, mais il n'en était pas ainsi de l'autre; et, quoique Franz n'eût pas distingué son visage constamment enseveli dans l'ombre ou caché par son manteau, les accents de cette voix l'avaient trop frappé la première fois qu'il les avait entendus pour qu'ils pussent jamais retentir devant lui sans qu'il les reconnût.

Il y avait surtout dans les intonations railleuses quelque chose de strident et de métallique qui l'avait fait tressaillir dans les ruines du Colisée comme dans la grotte de Monte-Cristo.

Aussi était-il bien convaincu que cet homme n'était autre que Simbad le marin.

Aussi, en toute autre circonstance, la curiosité que lui avait inspirée cet homme eût été si grande qu'il se serait fait reconnaître à lui, mais dans cette occasion, la conversation qu'il venait d'entendre était trop intime pour qu'il ne fût pas retenu par la crainte très sensée que son apparition ne lui serait pas agréable. Il l'avait donc laissé s'éloigner, comme on l'a vu, mais en se promettant, s'il le rencontrait une autre fois, de ne pas laisser échapper cette seconde occasion comme il avait fait de la première.

Franz était trop préoccupé pour bien dormir. Sa nuit fut employée à passer et repasser dans son esprit toutes les circonstances qui se rattachaient à l'homme de la grotte et à l'inconnu du Colisée, et qui tendaient à faire de ces deux personnages le même individu; et plus Franz y pensait, plus il s'affermissait dans cette opinion.

Il s'endormit au jour, et ce qui fit qu'il ne s'éveilla que fort tard. Albert, en véritable Parisien, avait déjà pris ses précautions pour la soirée. Il avait envoyé chercher une loge au théâtre Argentina.

Franz avait plusieurs lettres à écrire en France, il abandonna donc pour toute la journée la voiture à Albert.

À cinq heures, Albert rentra; il avait porté ses lettres de recommandation, avait des invitations pour toutes ses soirées et avait vu Rome.

Une journée avait suffi à Albert pour faire tout cela.

Et encore avait-il eu le temps de s'informer de la pièce qu'on jouait et des acteurs qui la joueraient.

La pièce avait pour titre: Parisiana ; les acteurs avaient nom: Coselli, Moriani et la Spech.

Nos deux jeunes gens n'étaient pas si malheureux, comme on le voit: ils allaient assister à la représentation d'un des meilleurs opéras de l'auteur de Lucia di Lammermoor , joué par trois des artistes les plus renommés de l'Italie.

Albert n'avait jamais pu s'habituer aux théâtres ultramontains, à l'orchestre desquels on ne va pas, et qui n'ont ni balcons, ni loges découvertes; c'était dur pour un homme qui avait sa stalle aux Bouffes et sa part de la loge infernale à l'Opéra.

Ce qui n'empêchait pas Albert de faire des toilettes flamboyantes toutes les fois qu'il allait à l'Opéra avec Franz; toilettes perdues; car, il faut l'avouer à la honte d'un des représentants les plus dignes de notre fashion, depuis quatre mois qu'il sillonnait l'Italie en tous sens, Albert n'avait pas eu une seule aventure.

Albert essayait quelquefois de plaisanter à cet endroit; mais au fond il était singulièrement mortifié, lui, Albert de Morcerf, un des jeunes gens les plus courus, d'en être encore pour ses frais. La chose était d'autant plus pénible que, selon l'habitude modeste de nos chers compatriotes, Albert était parti de Paris avec cette conviction qu'il allait avoir en Italie les plus grands succès, et qu'il viendrait faire les délices du boulevard de Gand du récit de ses bonnes fortunes.

Hélas! il n'en avait rien été: les charmantes comtesses génoises, florentines et napolitaines s'en étaient tenues, non pas à leurs maris, mais à leurs amants, et Albert avait acquis cette cruelle conviction, que les Italiennes ont du moins sur les Françaises l'avantage d'être fidèles à leur infidélité.

Je ne veux pas dire qu'en Italie, comme partout, il n'y ait pas des exceptions.

Et cependant Albert était non seulement un cavalier parfaitement élégant, mais encore un homme de beaucoup d'esprit; de plus il était vicomte: de nouvelle noblesse, c'est vrai; mais aujourd'hui qu'on ne fait plus ses preuves, qu'importe qu'on date de 1399 ou de 1815! Par-dessus tout cela il avait cinquante mille livres de rente. C'était plus qu'il n'en faut, comme on le voit, pour être à la mode à Paris. C'était donc quelque peu humiliant de n'avoir encore été sérieusement remarqué par personne dans aucune des villes où il avait passé.

Mais aussi comptait-il se rattraper à Rome, le carnaval étant, dans tous les pays de la terre qui célèbrent cette estimable institution, une époque de liberté où les plus sévères se laissent entraîner à quelque acte de folie. Or, comme le carnaval s'ouvrait le lendemain, il était fort important qu'Albert lançât son prospectus avant cette ouverture.

Albert avait donc, dans cette intention, loué une des loges les plus apparentes du théâtre, et fait, pour s'y rendre, une toilette irréprochable. C'était au premier rang, qui remplace chez nous la galerie. Au reste, les trois premiers étages sont aussi aristocratiques les uns que les autres, et on les appelle pour cette raison les rangs nobles.

D'ailleurs cette loge, où l'on pouvait tenir à douze sans être serrés, avait coûté aux deux amis un peu moins cher qu'une loge de quatre personnes à l'Ambigu.

Albert avait encore un autre espoir, c'est que s'il arrivait à prendre place dans le cœur d'une belle Romaine, cela le conduirait naturellement à conquérir un posto dans la voiture, et par conséquent à voir le carnaval du haut d'un véhicule aristocratique ou d'un balcon princier.

Toutes ces considérations rendaient donc Albert plus sémillant qu'il ne l'avait jamais été. Il tournait le dos aux acteurs, se penchant à moitié hors de la loge et lorgnant toutes les jolies femmes avec une jumelle de six pouces de long.

Ce qui n'amenait pas une seule jolie femme à récompenser d'un seul regard, même de curiosité, tout le mouvement que se donnait Albert.

En effet, chacun causait de ses affaires, de ses amours, de ses plaisirs, du carnaval qui s'ouvrait le lendemain de la semaine sainte prochaine, sans faire attention un seul instant ni aux acteurs, ni à la pièce, à l'exception des moments indiqués, où chacun alors se retournait, soit pour entendre une portion du récitatif de Coselli, soit pour applaudir quelque trait brillant de Moriani, soit pour crier bravo à la Spech; puis les conversations particulières reprenaient leur train habituel.

Vers la fin du premier acte, la porte d'une loge restée vide jusque-là s'ouvrit, et Franz vit entrer une personne à laquelle il avait eu l'honneur d'être présenté à Paris et qu'il croyait encore en France. Albert vit le mouvement que fit son ami à cette apparition, et se retournant vers lui:

«Est-ce que vous connaissez cette femme? dit-il.

—Oui; comment la trouvez-vous?

—Charmante, mon cher, et blonde. Oh! les adorables cheveux! C'est une Française?

—C'est une Vénitienne.

—Et vous l'appelez?

—La comtesse G...

—Oh! je la connais de nom, s'écria Albert; on la dit aussi spirituelle que jolie. Parbleu, quand je pense que j'aurais pu me faire présenter à elle au dernier bal de Mme de Villefort, où elle était, et que j'ai négligé cela: je suis un grand niais!

—Voulez-vous que je répare ce tort? demanda Franz.

—Comment! vous la connaissez assez pour me conduire dans sa loge?

—J'ai eu l'honneur de lui parler trois ou quatre fois dans ma vie; mais, vous le savez, c'est strictement assez pour ne pas commettre une inconvenance.»

En ce moment la comtesse aperçut Franz et lui fit de la main un signe gracieux, auquel il répondit par une respectueuse inclination de tête.

«Ah çà! mais il me semble que vous êtes au mieux avec elle? dit Albert.

—Eh bien, voilà ce qui vous trompe et ce qui nous fera faire sans cesse, à nous autres Français, mille sottises à l'étranger: c'est de tout soumettre à nos points de vue parisiens; en Espagne, et en Italie surtout, ne jugez jamais de l'intimité des gens sur la liberté des rapports. Nous nous sommes trouvés en sympathie avec la comtesse, voilà tout.

—En sympathie de cœur? demanda Albert en riant.

—Non, d'esprit, voilà tout, répondit sérieusement Franz.

—Et à quelle occasion?

—À l'occasion d'une promenade au Colisée pareille à celle que nous avons faite ensemble.

—Au clair de la lune?

—Oui.

—Seuls?

—À peu près!

—Et vous avez parlé...

—Des morts.

—Ah! s'écria Albert, c'était en vérité fort récréatif. Eh bien, moi, je vous promets que si j'ai le bonheur d'être le cavalier de la belle comtesse dans une pareille promenade, je ne lui parlerai que des vivants.

—Et vous aurez peut-être tort.

—En attendant, vous allez me présenter à elle comme vous me l'avez promis?

—Aussitôt la toile baissée.

—Que ce diable de premier acte est long!

—Écoutez le finale, il est fort beau, et Coselli le chante admirablement.

—Oui, mais quelle tournure!

—La Spech y est on ne peut plus dramatique.

—Vous comprenez que lorsqu'on a entendu la Sontag et la Malibran....

—Ne trouvez-vous pas la méthode de Moriani excellente?

—Je n'aime pas les bruns qui chantent blond.

—Ah! mon cher, dit Franz en se retournant, tandis qu'Albert continuait de lorgner, en vérité vous êtes par trop difficile!»

Enfin la toile tomba à la grande satisfaction du vicomte de Morcerf, qui prit son chapeau, donna un coup de main rapide à ses cheveux, à sa cravate et à ses manchettes, et fit observer à Franz qu'il l'attendait.

Comme de son côté, la comtesse, que Franz interrogeait des yeux, lui fit comprendre par un signe, qu'il serait le bienvenu, Franz ne mit aucun retard à satisfaire l'empressement d'Albert, et faisant—suivi de son compagnon qui profitait du voyage pour rectifier les faux plis que les mouvements avaient pu imprimer à son col de chemise et au revers de son habit—le tour de l'hémicycle, il vint frapper à la loge n° 4, qui était celle qu'occupait la comtesse.

Aussitôt le jeune homme qui était assis à côté d'elle sur le devant de la loge se leva, cédant sa place, selon l'habitude italienne, au nouveau venu, qui doit la céder à son tour lorsqu'une autre visite arrive.

Franz présenta Albert à la comtesse comme un de nos jeunes gens les plus distingués par sa position sociale et par son esprit; ce qui, d'ailleurs, était vrai; car à Paris, et dans le milieu où vivait Albert, c'était un cavalier irréprochable. Il ajouta que, désespéré de n'avoir pas su profiter du séjour de la comtesse à Paris pour se faire présenter à elle, il l'avait chargé de réparer cette faute, mission dont il s'acquittait en priant la comtesse, près de laquelle il aurait eu besoin lui-même d'un introducteur, d'excuser son indiscrétion.

La comtesse répondit en faisant un charmant salut à Albert et en tendant la main à Franz.

Albert, invité par elle, prit la place vide sur le devant, et Franz s'assit au second rang derrière la comtesse.

Albert avait trouvé un excellent sujet de conversation: c'était Paris, il parlait à la comtesse de leurs connaissances communes. Franz comprit qu'il était sur le terrain. Il le laissa aller, et, lui demandant sa gigantesque lorgnette, il se mit à son tour à explorer la salle.

Seule sur le devant d'une loge, placée au troisième rang en face d'eux, était une femme admirablement belle, vêtue d'un costume grec, qu'elle portait avec tant d'aisance qu'il était évident que c'était son costume naturel.

Derrière elle, dans l'ombre, se dessinait la forme d'un homme dont il était impossible de distinguer le visage.

Franz interrompit la conversation d'Albert et de la comtesse pour demander à cette dernière si elle connaissait la belle Albanaise qui était si digne d'attirer non seulement l'attention des hommes, mais encore des femmes.

«Non, dit-elle; tout ce que je sais, c'est qu'elle est à Rome depuis le commencement de la saison; car, à l'ouverture du théâtre, je l'ai vue où elle est, et depuis un mois elle n'a pas manqué une seule représentation, tantôt accompagnée de l'homme qui est avec elle en ce moment, tantôt suivie simplement d'un domestique noir.

—Comment la trouvez-vous, comtesse?

—Extrêmement belle. Medora devait ressembler à cette femme.»

Franz et la comtesse échangèrent un sourire. Elle se remit à causer avec Albert, et Franz à lorgner son Albanaise.

La toile se leva sur le ballet. C'était un de ces bons ballets italiens mis en scène par le fameux Henri qui s'était fait, comme chorégraphe, en Italie, une réputation colossale, que le malheureux est venu perdre au théâtre nautique; un de ces ballets où tout le monde, depuis le premier sujet jusqu'au dernier comparse, prend une part si active à l'action, que cent cinquante personnes font à la fois le même geste et lèvent ensemble ou le même bras ou la même jambe.

On appelait ce ballet Poliska .

Franz était trop préoccupé de sa belle Grecque pour s'occuper du ballet, si intéressant qu'il fût. Quant à elle, elle prenait un plaisir visible à ce spectacle, plaisir qui faisait une opposition suprême avec l'insouciance profonde de celui qui l'accompagnait, et qui, tant que dura le chef-d'œuvre chorégraphique, ne fit pas un mouvement, paraissant, malgré le bruit infernal que menaient les trompettes, les cymbales et les chapeaux chinois à l'orchestre, goûter les célestes douceurs d'un sommeil paisible et radieux.

Enfin le ballet finit, et la toile tomba au milieu des applaudissements frénétiques d'un parterre enivré.

Grâce à cette habitude de couper l'opéra par un ballet, les entractes sont très courts en Italie, les chanteurs ayant le temps de se reposer et de changer de costume tandis que les danseurs exécutent leurs pirouettes et confectionnent leurs entrechats.

L'ouverture du second acte commença; aux premiers coups d'archet, Franz vit le dormeur se soulever lentement et se rapprocher de la Grecque, qui se retourna pour lui adresser quelques paroles, et s'accouda de nouveau sur le devant de la loge.

La figure de son interlocuteur était toujours dans l'ombre, et Franz ne pouvait distinguer aucun de ses traits.

La toile se leva, l'attention de Franz fut nécessairement attirée par les acteurs, et ses yeux quittèrent un instant la loge de la belle Grecque pour se porter vers la scène.

L'acte s'ouvre, comme on sait, par le duo du rêve: Parisina, couchée, laisse échapper devant Azzo le secret de son amour pour Ugo; l'époux trahi passe par toutes les fureurs de la jalousie, jusqu'à ce que, convaincu que sa femme lui est infidèle, il la réveille pour lui annoncer sa prochaine vengeance.

Ce duo est un des plus beaux, des plus expressifs et des plus terribles qui soient sortis de la plume féconde de Donizetti. Franz l'entendait pour la troisième fois, et quoiqu'il ne passât pas pour un mélomane enragé, il produisit sur lui un effet profond. Il allait en conséquence joindre ses applaudissements à ceux de la salle, lorsque ses mains, prêtes à se réunir, restèrent écartées, et que le bravo qui s'échappait de sa bouche expira sur ses lèvres.

L'homme de la loge s'était levé tout debout, et, sa tête se trouvant dans la lumière, Franz venait de retrouver le mystérieux habitant de Monte-Cristo, celui dont la veille il lui avait si bien semblé reconnaître la taille et la voix dans les ruines du Colisée.

Il n'y avait plus de doute, l'étrange voyageur habitait Rome.

Sans doute l'expression de la figure de Franz était en harmonie avec le trouble que cette apparition jetait dans son esprit, car la comtesse le regarda, éclata de rire, et lui demanda ce qu'il avait.

«Madame la comtesse, répondit Franz, je vous ai demandé tout à l'heure si vous connaissiez cette femme albanaise: maintenant je vous demanderai si vous connaissez son mari.

—Pas plus qu'elle, répondit la comtesse.

—Vous ne l'avez jamais remarqué?

—Voilà bien une question à la française! Vous savez bien que, pour nous autres Italiennes, il n'y a pas d'autre homme au monde que celui que nous aimons!

—C'est juste, répondit Franz.

—En tout cas, dit-elle en appliquant les jumelles d'Albert à ses yeux et en les dirigeant vers la loge, ce doit être quelque nouveau déterré, quelque trépassé sorti du tombeau avec la permission du fossoyeur car il me semble affreusement pâle.

—Il est toujours comme cela, répondit Franz.

—Vous le connaissez donc? demanda la comtesse; alors c'est moi qui vous demanderai qui il est.

—Je crois l'avoir déjà vu, et il me semble le reconnaître.

—En effet, dit-elle en faisant un mouvement de ses belles épaules comme si un frisson lui passait dans les veines, je comprends que lorsqu'on a une fois vu un pareil homme on ne l'oublie jamais.»

L'effet que Franz avait éprouvé n'était donc pas une impression particulière, puisqu'une autre personne le ressentait comme lui.

«Eh bien, demanda Franz à la comtesse après qu'elle eut pris sur elle de le lorgner une seconde fois que pensez-vous de cet homme?

—Que cela me paraît être Lord Ruthwen en chair et en os.»

En effet, ce nouveau souvenir de Byron frappa Franz: si un homme pouvait lui faire croire à l'existence des vampires, c'était cet homme.

«Il faut que je sache qui il est, dit Franz en se levant.

—Oh! non, s'écria la comtesse; non, ne me quittez pas, je compte sur vous pour me reconduire, et je vous garde.

—Comment! véritablement, lui dit Franz en se penchant à son oreille, vous avez peur?

—Écoutez, lui dit-elle, Byron m'a juré qu'il croyait aux vampires, il m'a dit qu'il en avait vu, il m'a dépeint leur visage, eh bien! c'est absolument cela: ces cheveux noirs, ces grands yeux brillant d'une flamme étrange, cette pâleur mortelle; puis, remarquez qu'il n'est pas avec une femme comme toutes les femmes, il est avec une étrangère... une Grecque, une schismatique... sans doute quelque magicienne comme lui. Je vous en prie, n'y allez pas. Demain mettez-vous à sa recherche si bon vous semble, mais aujourd'hui je vous déclare que je vous garde.»

Franz insista.

«Écoutez, dit-elle en se levant, je m'en vais, je ne puis rester jusqu'à la fin du spectacle, j'ai du monde chez moi: serez-vous assez peu galant pour me refuser votre compagnie?»

Il n'y avait d'autre réponse à faire que de prendre son chapeau, d'ouvrir la porte et de présenter son bras à la comtesse.

C'est ce qu'il fit.

La comtesse était véritablement fort émue; et Franz lui-même ne pouvait échapper à une certaine terreur superstitieuse, d'autant plus naturelle que ce qui était chez la comtesse le produit d'une sensation instinctive, était chez lui le résultat d'un souvenir.

Il sentit qu'elle tremblait en montant en voiture.

Il la reconduisit jusque chez elle: il n'y avait personne, et elle n'était aucunement attendue; il lui en fit le reproche.

«En vérité lui dit-elle, je ne me sens pas bien, et j'ai besoin d'être seule; la vue de cet homme m'a toute bouleversée.»

Franz essaya de rire.

«Ne riez pas, lui dit-elle; d'ailleurs vous n'en avez pas envie. Puis promettez-moi une chose.

—Laquelle?

—Promettez-la-moi.

—Tout ce que vous voudrez, excepté de renoncer à découvrir quel est cet homme. J'ai des motifs que je ne puis vous dire pour désirer savoir qui il est, d'où il vient et où il va.

—D'où il vient, je l'ignore; mais où il va, je puis vous le dire: il va en enfer à coup sûr.

—Revenons à la promesse que vous vouliez exiger de moi, comtesse, dit Franz.

—Ah! c'est de rentrer directement à l'hôtel et de ne pas chercher ce soir à voir cet homme. Il y a certaines affinités entre les personnes que l'on quitte et les personnes que l'on rejoint. Ne servez pas de conducteur entre cet homme et moi. Demain courez après lui si bon vous semble, mais ne me le présentez jamais, si vous ne voulez pas me faire mourir de peur. Sur ce, bonsoir, tâchez de dormir, moi, je sais bien qui ne dormira pas.»

Et à ces mots la comtesse quitta Franz, le laissant indécis de savoir si elle s'était amusée à ses dépens ou si elle avait véritablement ressenti la crainte qu'elle avait exprimée.

En rentrant à l'hôtel, Franz trouva Albert en robe de chambre, en pantalon à pied, voluptueusement étendu sur un fauteuil et fumant son cigare.

«Ah! c'est vous! lui dit-il; ma foi, je ne vous attendais que demain.

—Mon cher Albert, répondit Franz, je suis heureux de trouver l'occasion de vous dire une fois pour toutes que vous avez la plus fausse idée des femmes italiennes; il me semble pourtant que vos mécomptes amoureux auraient dû vous la faire perdre.

—Que voulez-vous! ces diablesses de femmes, c'est à n'y rien comprendre! Elles vous donnent la main, elles vous la serrent; elles vous parlent tout bas, elles se font reconduire chez elles: avec le quart de ces manières de faire, une Parisienne se perdrait de réputation.

—Eh! justement, c'est parce qu'elles n'ont rien à cacher, c'est parce qu'elles vivent au grand soleil, que les femmes y mettent si peu de façons dans le beau pays où résonne le si, comme dit Dante. D'ailleurs, vous avez bien vu que la comtesse a eu véritablement peur.

—Peur de quoi? de cet honnête monsieur qui était en face de nous avec cette jolie Grecque? Mais j'ai voulu en avoir le cœur net quand ils sont sortis, et je les ai croisés dans le corridor. Je ne sais pas où diable vous avez pris toutes vos idées de l'autre monde! C'est un fort beau garçon qui est fort bien mis, et qui a tout l'air de se faire habiller en France chez Blin ou chez Humann; un peu pâle, c'est vrai, mais vous savez que la pâleur est un cachet de distinction.»

Franz sourit, Albert avait de grandes prétentions à être pâle.

«Aussi, lui dit Franz, je suis convaincu que les idées de la comtesse sur cet homme n'ont pas le sens commun. A-t-il parlé près de vous, et avez-vous entendu quelques-unes de ses paroles?

—Il a parlé, mais en romaïque. J'ai reconnu l'idiome à quelques mots grecs défigurés. Il faut vous dire, mon cher, qu'au collège j'étais très fort en grec.

—Ainsi il parlait le romaïque?

—C'est probable.

—Plus de doute, murmura Franz, c'est lui.

—Vous dites?...

—Rien. Que faisiez-vous donc là?

—Je vous ménageais une surprise.

—Laquelle?

—Vous savez qu'il est impossible de se procurer une calèche?

—Pardieu! puisque nous avons fait inutilement tout ce qu'il était humainement possible de faire pour cela.

—Eh bien, j'ai eu une idée merveilleuse.»

Franz regarda Albert en homme qui n'avait pas grande confiance dans son imagination.

«Mon cher, dit Albert, vous m'honorez là d'un regard qui mériterait bien que je vous demandasse réparation.

—Je suis prêt à vous la faire, cher ami, si l'idée est aussi ingénieuse que vous le dites.

—Écoutez.

—J'écoute.

—Il n'y a pas moyen de se procurer de voiture n'est-ce pas?

—Non.

—Ni de chevaux?

—Pas davantage.

—Mais l'on peut se procurer une charrette?

—Peut-être.

—Une paire de bœufs?

—C'est probable.

—Eh bien, mon cher! voilà notre affaire. Je vais faire décorer la charrette, nous nous habillons en moissonneurs napolitains, et nous représentons au naturel le magnifique tableau de Léopold Robert. Si pour plus grande ressemblance, la comtesse veut prendre le costume d'une femme de Pouzzole ou de Sorrente, cela complétera la mascarade, et elle est assez belle pour qu'on la prenne pour l'original de la Femme à l'Enfant.

—Pardieu! s'écria Franz, pour cette fois vous avez raison, monsieur Albert, et voilà une idée véritablement heureuse.

—Et toute nationale, renouvelée des rois fainéants, mon cher, rien que cela! Ah! messieurs les Romains, vous croyez qu'on courra à pied par vos rues comme des lazzaroni, et cela parce que vous manquez de calèches et de chevaux; eh bien! on en inventera.

—Et avez-vous déjà fait part à quelqu'un de cette triomphante imagination?

—À notre hôte. En rentrant, je l'ai fait monter et lui ai exposé mes désirs. Il m'a assuré que rien n'était plus facile; je voulais faire dorer les cornes des bœufs, mais il m'a dit que cela demandait trois jours: il faudra donc nous passer de cette superfluité.

—Et où est-il?

—Qui?

—Notre hôte?

—En quête de la chose. Demain il serait déjà peut-être un peu tard.

—De sorte qu'il va nous rendre réponse ce soir même?

—Je l'attends.»

En ce moment la porte s'ouvrit, et maître Pastrini passa la tête.

« Permesso ? dit-il.

—Certainement que c'est permis! s'écria Franz.

—Eh bien, dit Albert, nous avez-vous trouvé la charrette requise et les bœufs demandés?

—J'ai trouvé mieux que cela, répondit-il d'un air parfaitement satisfait de lui-même.

—Ah! mon cher hôte, prenez garde, dit Albert, le mieux est l'ennemi du bien.

—Que Vos Excellences s'en rapportent à moi, dit maître Pastrini d'un ton capable.

—Mais enfin qu'y a-t-il? demanda Franz à son tour.

—Vous savez dit l'aubergiste, que le comte de Monte-Cristo habite sur le même carré que vous?

—Je le crois bien, dit Albert, puisque c'est grâce à lui que nous sommes logés comme deux étudiants de la rue Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

—Eh bien, il sait l'embarras dans lequel vous vous trouvez, et vous fait offrir deux places dans sa voiture et deux places à ses fenêtres du palais Rospoli.»

Albert et Franz se regardèrent.

«Mais, demanda Albert, devons-nous accepter l'offre de cet étranger, d'un homme que nous ne connaissons pas?

—Quel homme est-ce que ce comte de Monte-Cristo? demanda Franz à son hôte.

—Un très grand seigneur sicilien ou maltais, je ne sais pas au juste, mais noble comme un Borghèse et riche comme une mine d'or.

—Il me semble, dit Franz à Albert, que, si cet homme était d'aussi bonnes manières que le dit notre hôte, il aurait dû nous faire parvenir son invitation d'une autre façon, soit en nous écrivant, soit....

En ce moment on frappa à la porte.

«Entrez», dit Franz.

Un domestique, vêtu d'une livrée parfaitement élégante, parut sur le seuil de la chambre.

«De la part du comte de Monte-Cristo, pour M. Franz d'Épinay et pour M. le vicomte Albert de Morcerf», dit-il.

Et il présenta à l'hôte deux cartes, que celui-ci remit aux jeunes gens.

«M. le comte de Monte-Cristo, continua le domestique, fait demander à ces messieurs la permission de se présenter en voisin demain matin chez eux; il aura l'honneur de s'informer auprès de ces messieurs à quelle heure ils seront visibles.

—Ma foi, dit Albert à Franz, il n'y a rien à y reprendre, tout y est.

—Dites au comte, répondit Franz, que c'est nous qui aurons l'honneur de lui faire notre visite.

Le domestique se retira.

«Voilà ce qui s'appelle faire assaut d'élégance, dit Albert; allons, décidément vous aviez raison, maître Pastrini, et c'est un homme tout à fait comme il faut que votre comte de Monte-Cristo.

—Alors vous acceptez son offre? dit l'hôte.

—Ma foi, oui, répondit Albert. Cependant, je vous l'avoue, je regrette notre charrette et les moissonneurs; et, s'il n'y avait pas la fenêtre du palais Rospoli pour faire compensation à ce que nous perdons, je crois que j'en reviendrais à ma première idée: qu'en dites-vous, Franz?

—Je dis que ce sont aussi les fenêtres du palais Rospoli qui me décident», répondit Franz à Albert.

En effet, cette offre de deux places à une fenêtre du palais Rospoli avait rappelé à Franz la conversation qu'il avait entendue dans les ruines du Colisée entre son inconnu et son Transtévère, conversation dans laquelle l'engagement avait été pris par l'homme au manteau d'obtenir la grâce du condamné. Or, si l'homme au manteau était, comme tout portait Franz à le croire, le même que celui dont l'apparition dans la salle Argentina l'avait si fort préoccupé, il le reconnaîtrait sans aucun doute, et alors rien ne l'empêcherait de satisfaire sa curiosité à son égard.

Franz passa une partie de la nuit à rêver à ses deux apparitions et à désirer le lendemain. En effet, le lendemain tout devait s'éclaircir; et cette fois, à moins que son hôte de Monte-Cristo ne possédât l'anneau de Gygès et, grâce à cet anneau, la faculté de se rendre invisible, il était évident qu'il ne lui échapperait pas. Aussi fut-il éveillé avant huit heures.

Quant à Albert, comme il n'avait pas les mêmes motifs que Franz d'être matinal, il dormait encore de son mieux.

Franz fit appeler son hôte, qui se présenta avec son obséquiosité ordinaire.

«Maître Pastrini, lui dit-il, ne doit-il pas y avoir aujourd'hui une exécution?

—Oui, Excellence; mais si vous me demandez cela pour avoir une fenêtre, vous vous y prenez bien tard.

—Non, reprit Franz; d'ailleurs, si je tenais absolument à voir ce spectacle, je trouverais place, je pense, sur le mont Pincio.

—Oh! je présumais que Votre Excellence ne voudrait pas se compromettre avec toute la canaille, dont c'est en quelque sorte l'amphithéâtre naturel.

—Il est probable que je n'irai pas, dit Franz; mais je désirerais avoir quelques détails.

—Lesquels?

—Je voudrais savoir le nombre des condamnés, leurs noms et le genre de leur supplice.

—Cela tombe à merveille, Excellence! on vient justement de m'apporter les tavolette .

—Qu'est-ce que les tavolette ?

—Les tavolette sont des tablettes en bois que l'on accroche à tous les coins de rue la veille des exécutions, et sur lesquelles on colle les noms des condamnés, la cause de leur condamnation et le mode de leur supplice. Cet avis a pour but d'inviter les fidèles à prier Dieu de donner aux coupables un repentir sincère.

—Et l'on vous apporte ces tavolette pour que vous joigniez vos prières à celles des fidèles? demanda Franz d'un air de doute.

—Non, Excellence; je me suis entendu avec le colleur, et il m'apporte cela comme il m'apporte les affiches de spectacles, afin que si quelques-uns de mes voyageurs désirent assister à l'exécution, ils soient prévenus.

—Ah! mais c'est une attention tout à fait délicate! s'écria Franz.

—Oh! dit maître Pastrini en souriant, je puis me vanter de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire les nobles étrangers qui m'honorent de leur confiance.

—C'est ce que je vois, mon hôte! et c'est ce que je répéterai à qui voudra l'entendre, soyez en bien certain. En attendant, je désirerais lire une de ces tavolette .

—C'est bien facile, dit l'hôte en ouvrant la porte j'en ai fait mettre une sur le carré.»

Il sortit, détacha la tavoletta , et la présenta à Franz.

Voici la traduction littérale de l'affiche patibulaire:

«On fait savoir à tous que le mardi 22 février, premier jour de carnaval, seront, par arrêt du tribunal de la Rota, exécutés, sur la place del Popolo le nommé Andrea Rondolo, coupable d'assassinat sur la personne très respectable et très vénérée de don César Terlini, chanoine de l'église de Saint-Jean de Latran, et le nommé Peppino, dit Rocca Priori , convaincu de complicité avec le détestable bandit Luigi Vampa et les hommes de sa troupe.

«Le premier sera mazzolato .

«Et le second decapitato .

«Les âmes charitables sont priées de demander à Dieu un repentir sincère pour ces deux malheureux condamnés.»

C'était bien ce que Franz avait entendu la surveille, dans les ruines du Colisée, et rien n'était changé au programme: les noms des condamnés, la cause de leur supplice et le genre de leur exécution étaient exactement les mêmes.

Ainsi, selon toute probabilité, le Transtévère n'était autre que le bandit Luigi Vampa, et l'homme au manteau Simbad le marin, qui, à Rome comme à Porto-Vecchio, et à Tunis, poursuivait le cours de ses philanthropiques expéditions.

Cependant le temps s'écoulait, il était neuf heures, et Franz allait réveiller Albert, lorsque à son grand étonnement il le vit sortir tout habillé de sa chambre. Le carnaval lui avait trotté par la tête, et l'avait éveillé plus matin que son ami ne l'espérait.

«Eh bien, dit Franz à son hôte, maintenant que nous voilà prêts tous deux, croyez-vous, mon cher monsieur Pastrini, que nous puissions nous présenter chez le comte de Monte-Cristo?

—Oh! bien certainement! répondit-il; le comte de Monte-Cristo a l'habitude d'être très matinal, et je suis sûr qu'il y a plus de deux heures déjà qu'il est levé.

—Et vous croyez qu'il n'y a pas d'indiscrétion à se présenter chez lui maintenant?

—Aucune.

—En ce cas, Albert, si vous êtes prêt....

—Entièrement prêt, dit Albert.

—Allons remercier notre voisin de sa courtoisie.

—Allons!

Franz et Albert n'avaient que le carré à traverser, l'aubergiste les devança et sonna pour eux; un domestique vint ouvrir.

« I Signori Francesi », dit l'hôte.

Le domestique s'inclina et leur fit signe d'entrer.

Ils traversèrent deux pièces meublées avec un luxe, qu'ils ne croyaient pas trouver dans l'hôtel de maître Pastrini, et ils arrivèrent enfin dans un salon d'une élégance parfaite. Un tapis de Turquie était tendu sur le parquet, et les meubles les plus confortables offraient leurs coussins rebondis et leurs dossiers renversés. De magnifiques tableaux de maîtres, entremêlés de trophées d'armes splendides, étaient suspendus aux murailles, et de grandes portières de tapisserie flottaient devant les portes.

«Si Leurs Excellences veulent s'asseoir, dit le domestique, je vais prévenir M. le comte.»

Et il disparut par une des portes.

Au moment où cette porte s'ouvrit, le son d'une guzla arriva jusqu'aux deux amis, mais s'éteignit aussitôt: la porte, refermée presque en même temps qu'ouverte, n'avait pour ainsi dire laissé pénétrer dans le salon qu'une bouffée d'harmonie.

Franz et Albert échangèrent un regard et reportèrent les yeux sur les meubles, sur les tableaux et sur les armes. Tout cela, à la seconde vue, leur parut encore plus magnifique qu'à la première.

«Eh bien, demanda Franz à son ami, que dites-vous de cela?

—Ma foi, mon cher, je dis qu'il faut que notre voisin soit quelque agent de change qui a joué à la baisse sur les fonds espagnols, ou quelque prince qui voyage incognito.

—Chut! lui dit Franz; c'est ce que nous allons savoir, car le voilà.»

En effet, le bruit d'une porte tournant sur ses gonds venait d'arriver jusqu'aux visiteurs; et presque aussitôt la tapisserie, se soulevant, donna passage au propriétaire de toutes ces richesses.

Albert s'avança au-devant de lui, mais Franz resta cloué à sa place.

Celui qui venait d'entrer n'était autre que l'homme au manteau du Colisée, l'inconnu de la loge, l'hôte mystérieux de Monte-Cristo.


34. Apparition 34. Auftreten 34. Appearance 34. Apariencia 34. Aparência

Apparition.

Franz avait trouvé un terme moyen pour qu’Albert arrivât au Colisée sans passer devant aucune ruine antique, et par conséquent sans que les préparations graduelles ôtassent au colosse une seule coudée de ses gigantesques proportions. Franz had found a means for Albert to arrive at the Colosseum, without passing any ancient ruin, and consequently without the gradual preparations of which the colossus would be one cubit of its gigantic proportions. C’était de suivre la via Sistinia, de couper à angle droit devant Sainte-Marie-Majeure, et d’arriver par la via Urbana et San Pietro in Vincoli jusqu’à la via del Colosseo. It was to follow via Sistinia, to cut at right angles to Santa Maria Maggiore, and to arrive via Urbana and San Pietro in Vincoli to Via del Colosseo.

Cet itinéraire offrait d’ailleurs un autre avantage: c’était celui de ne distraire en rien Franz de l’impression produite sur lui par l’histoire qu’avait racontée maître Pastrini, et dans laquelle se trouvait mêlé son mystérieux amphitryon de Monte-Cristo. This itinerary also offered another advantage: it was to avoid distracting Franz from the impression produced on him by the story told by Master Pastrini, in which his mysterious host of Monte-Carlo was mixed up. Cristo. Aussi s’était-il accoudé dans son coin et était-il retombé dans ces mille interrogatoires sans fin qu’il s’était faits à lui-même et dont pas un ne lui avait donné une réponse satisfaisante. So he had leaned in his corner and had fallen back into those endless interrogations that he had made to himself and none of which had given him a satisfactory answer.

Une chose, au reste, lui avait encore rappelé son ami Simbad le marin: c’étaient ces mystérieuses relations entre les brigands et les matelots. One thing, moreover, had again reminded him of his friend Simbad the sailor: it was these mysterious relations between the brigands and the sailors. Ce qu’avait dit maître Pastrini du refuge que trouvait Vampa sur les barques des pécheurs et des contrebandiers rappelait à Franz ces deux bandits corses qu’il avait trouvés soupant avec l’équipage du petit yacht, lequel s’était détourné de son chemin et avait abordé à Porto-Vecchio, dans le seul but de les remettre à terre. What Master Pastrini had said about the refuge Vampa found on the boats of sinners and smugglers reminded Franz of those two Corsican bandits whom he had found supping with the crew of the small yacht, which had turned out of its way and had landed at Porto-Vecchio, with the sole aim of putting them on land. Le nom que se donnait son hôte de Monte-Cristo, prononcé par son hôte de l’hôtel d’Espagne, lui prouvait qu’il jouait le même rôle philanthropique sur les côtes de Piombino, de Civita-Vecchia, d’Ostie et de Gaëte que sur celles de Corse, de Toscane et d’Espagne; et comme lui-même, autant que pouvait se le rappeler Franz, avait parlé de Tunis et de Palerme, c’était une preuve qu’il embrassait un cercle de relations assez étendu. The name given him by his host of Monte Cristo, pronounced by his guest of the Hotel of Spain, proved to him that he played the same philanthropic role on the coasts of Piombino, Civita-Vecchia, Ostia, and Gaëte only on those of Corsica, Tuscany and Spain; and as he himself, as far as Franz could remember, had spoken of Tunis and Palermo, it was a proof that he embraced a rather extensive circle of relations.

Mais si puissantes que fussent sur l’esprit du jeune homme toutes ces réflexions, elles s’évanouirent à l’instant où il vit s’élever devant lui le spectre sombre et gigantesque du Colisée, à travers les ouvertures duquel la lune projetait ces longs et pâles rayons qui tombent des yeux des fantômes. But as powerful as the thoughts of the young man were, they vanished at the moment when he saw the dark and gigantic specter of the Colosseum rising before him, through whose openings the moon projected these long and pale rays falling from ghost eyes. La voiture arrêta à quelques pas de la Mesa Sudans. The car stopped a few steps from the Mesa Sudans. Le cocher vint ouvrir la portière; les deux jeunes gens sautèrent à bas de la voiture et se trouvèrent en face d’un cicérone qui semblait sortir de dessous terre. The coachman came to open the door; the two young men jumped down from the car and found themselves in front of a cicerone that seemed to be coming out of the ground.

Comme celui de l’hôtel les avait suivis, cela leur en faisait deux. As the hotel had followed them, it made them two.

Impossible, au reste, d’éviter à Rome ce luxe des guides outre le cicérone général qui s’empare de vous au moment où vous mettez le pied sur le seuil de la porte de l’hôtel, et qui ne vous abandonne plus que le jour où vous mettez le pied hors de la ville, il y a encore un cicérone spécial attaché à chaque monument, et je dirai presque à chaque fraction du monument. It is impossible, besides, to avoid at Rome this luxury of guides besides the general cicerone which seizes upon you when you put your foot on the threshold of the door of the hotel, and which leaves you no more than the the day you step out of the city, there is still a special cicerone attached to each monument, and I will say almost to every fraction of the monument. Qu’on juge donc si l’on doit manquer de ciceroni au Colosseo, c’est-à-dire au monument par excellence, qui faisait dire à Martial: So let us judge if we should miss ciceroni at Colosseo, that is to say at the monument par excellence, which made Martial say:

«Que Memphis cesse de nous vanter les barbares miracles de ses pyramides, que l’on ne chante plus les merveilles de Babylone; tout doit céder devant l’immense travail de l’amphithéâtre des Césars, toutes les voix de la renommée doivent se réunir pour vanter ce monument.» "Let Memphis cease to boast of the barbaric miracles of his pyramids, that we no longer sing the marvels of Babylon; everything must yield to the immense work of the amphitheater of the Caesars, all the voices of fame must meet to praise this monument. "

Franz et Albert n’essayèrent point de se soustraire à la tyrannie cicéronienne. Franz and Albert did not try to escape Cisteronian tyranny. Au reste, cela serait d’autant plus difficile que ce sont les guides seulement qui ont le droit de parcourir le monument avec des torches. Moreover, it would be all the more difficult because it is only the guides who have the right to browse the monument with torches. Ils ne firent donc aucune résistance, et se livrèrent pieds et poings liés à leurs conducteurs. They made no resistance, and surrendered hand and foot to their drivers.

Franz connaissait cette promenade pour l’avoir faite dix fois déjà. Mais comme son compagnon, plus novice, mettait pour la première fois le pied dans le monument de Flavius Vespasien, je dois l’avouer à sa louange, malgré le caquetage ignorant de ses guides, il était fortement impressionné. But as his more novice companion put his foot in the Flavius ​​Vespasian monument for the first time, I must confess to his praise, in spite of the ignorant cackling of his guides, he was strongly impressed. C’est qu’en effet on n’a aucune idée, quand on ne l’a pas vue, de la majesté d’une pareille ruine, dont toutes les proportions sont doublées encore par la mystérieuse clarté de cette lune méridionale dont les rayons semblent un crépuscule d’Occident. It is because we have no idea, when we have not seen it, of the majesty of such a ruin, of which all the proportions are doubled again by the mysterious light of this southern moon whose rays seem a twilight of the West.

Aussi à peine Franz le penseur eut-il fait cent pas sous les portiques intérieurs, qu’abandonnant Albert à ses guides, qui ne voulaient pas renoncer au droit imprescriptible de lui faire voir dans tous leurs détails la Fosse des Lions, la Loge des Gladiateurs, le Podium des Césars, il prit un escalier à moitié ruiné et, leur laissant continuer leur route symétrique, il alla tout simplement s’asseoir à l’ombre d’une colonne, en face d’une échancrure qui lui permettait d’embrasser le géant de granit dans toute sa majestueuse étendue. So hardly had Franz the thinker gone a hundred steps under the interior porticoes, abandoning Albert to his guides, who would not renounce the imprescriptible right to show him in all their details the Lions' Pit, the Gladiator's Lodge. the Podium of the Caesars, he took a half-ruined staircase and, letting them continue their symmetrical route, he simply sat down in the shade of a column, in front of a notch that allowed him to kiss. the granite giant in all its majestic expanse.

Franz était là depuis un quart d’heure à peu près, perdu, comme je l’ai dit, dans l’ombre d’une colonne, occupé à regarder Albert, qui, accompagné de ses deux porteurs de torches, venait de sortir d’un vomitorium placé à l’autre extrémité du Colisée, et lesquels, pareils à des ombres qui suivent un feu follet, descendaient de gradin en gradin vers les places réservées aux vestales, lorsqu’il lui sembla entendre rouler dans les profondeurs du monument une pierre détachée de l’escalier situé en face de celui qu’il venait de prendre pour arriver à l’endroit où il était assis. Franz had been there for about a quarter of an hour, lost, as I said, in the shadow of a column, busy looking at Albert, who, accompanied by his two torchbearers, had just come out. a vomitorium placed at the other end of the Colosseum, and which, like shadows following a will-o'-the-wisp, descended from the terraced steps to the places reserved for the vestals, when it seemed to be heard rolling in the depths of the monument. detached stone from the staircase opposite the one he had just taken to reach the place where he was seated. Ce n’est pas chose rare sans doute qu’une pierre qui se détache sous le pied du temps et va rouler dans l’abîme; mais, cette fois, il lui semblait que c’était aux pieds d’un homme que la pierre avait cédé et qu’un bruit de pas arrivait jusqu’à lui, quoique celui qui l’occasionnait fît tout ce qu’il put pour l’assourdir. It is not uncommon for a stone to stand out under the feet of time and roll into the abyss; but this time it seemed to him that it was at the feet of a man that the stone had yielded, and that a sound of footsteps reached him, although the one who occasioned it did all he could to deafen.

En effet, au bout d’un instant, un homme parut sortant graduellement de l’ombre à mesure qu’il montait l’escalier, dont l’orifice, situé en face de Franz, était éclairé par la lune, mais dont les degrés, à mesure qu’on les descendait, s’enfonçaient dans l’obscurité. Indeed, after a moment, a man appeared gradually emerging from the shadow as he ascended the staircase, whose orifice, opposite Franz, was illuminated by the moon, but whose degrees as they were lowered, they plunged into the darkness.

Ce pouvait être un voyageur comme lui, préférant une méditation solitaire au bavardage insignifiant de ses guides, et par conséquent son apparition n’avait rien qui pût le surprendre; mais à l’hésitation avec laquelle il monta les dernières marches, à la façon dont, arrivé sur la plate-forme, il s’arrêta et parut écouter, il était évident qu’il était venu là dans un but particulier et qu’il attendait quelqu’un. He could be a traveler like himself, preferring a solitary meditation to the insignificant chatter of his guides, and consequently his appearance had nothing to surprise him; but at the hesitation with which he climbed the last steps, the way he came to the platform, he stopped and seemed to be listening, it was obvious that he had come there for a particular purpose and that he was waiting for someone

Par un mouvement instinctif, Franz s’effaça le plus qu’il put derrière la colonne. By an instinctive movement, Franz faded as much as he could behind the column.

À dix pieds du sol où ils se trouvaient tous deux, la voûte était enfoncée, et une ouverture ronde, pareille à celle d’un puits, permettait d’apercevoir le ciel tout constellé d’étoiles. At ten feet from the ground where they were both, the vault was sunken, and a round opening, like that of a well, made it possible to see the sky all star-studded.

Autour de cette ouverture, qui donnait peut-être déjà depuis des centaines d’années passage aux rayons de la lune, poussaient des broussailles dont les vertes et frêles découpures se détachaient en vigueur sur l’azur mat du firmament, tandis que de grandes lianes et de puissants jets de lierre pendaient de cette terrasse supérieure et se balançaient sous la voûte, pareils à des cordages flottants. Around this opening, which perhaps had already for hundreds of years passed the rays of the moon, pushed brush whose green and frail cut-outs stood out on the matte azure of the firmament, while large lianas and powerful jets of ivy hung from this upper terrace and swayed under the vault, like floating ropes.

Le personnage dont l’arrivée mystérieuse avait attiré l’attention de Franz était placé dans une demi-teinte qui ne lui permettait pas de distinguer ses traits, mais qui cependant n’était pas assez obscure pour l’empêcher de détailler son costume: il était enveloppé d’un grand manteau brun dont un des pans, rejeté sur son épaule gauche, lui cachait le bas du visage, tandis que son chapeau à larges bords en couvrait la partie supérieure. The character whose mysterious arrival had attracted Franz's attention was placed in a halftone which did not allow him to distinguish his features, but which, however, was not obscure enough to prevent him from detailing his costume. He was wrapped in a large brown cloak, one of the sides of which, thrown over his left shoulder, concealed his lower face, while his broad-brimmed hat covered the upper part. L’extrémité seule de ses vêtements se trouvait éclairée par la lumière oblique qui passait par l’ouverture, et qui permettait de distinguer un pantalon noir encadrant coquettement une botte vernie. The only end of his clothes was illuminated by the oblique light which passed through the opening, and which made it possible to distinguish a pair of black trousers coquettishly framing a varnished boot.

Cet homme appartenait évidemment, sinon à l’aristocratie, du moins à la haute société. This man obviously belonged, if not to the aristocracy, at least to high society.

Il était là depuis quelques minutes et commençait à donner des signes visibles d’impatience, lorsqu’un léger bruit se fit entendre sur la terrasse supérieure. He had been there for a few minutes and was starting to show visible signs of impatience when a slight noise was heard on the upper terrace.

Au même instant une ombre parut intercepter la lumière, un homme apparut à l’orifice de l’ouverture, plongea son regard perçant dans les ténèbres, et aperçut l’homme au manteau; aussitôt il saisit une poignée de ces lianes pendantes et de ces lierres flottants, se laissa glisser, et, arrivé à trois ou quatre pieds du sol sauta légèrement à terre. At the same moment a shadow appeared to intercept the light, a man appeared at the aperture of the opening, pierced his piercing glance in the darkness, and perceived the man in the cloak; at once he seized a handful of these hanging creepers and these floating ivies, let himself slip, and, three or four feet from the ground, jumped slightly to the ground. Celui-ci avait le costume d’un Transtévère complet. This one had the costume of a complete Trastevere.

«Excusez-moi, Excellence, dit-il en dialecte romain, je vous ai fait attendre. "Excuse me, Excellency," he said in the Roman dialect, "I made you wait. Cependant, je ne suis en retard que de quelques minutes. However, I am only a few minutes late. Dix heures viennent de sonner à Saint-Jean-de-Latran. Ten o'clock has just sounded at Saint-Jean-de-Latran.

—C’est moi qui étais en avance et non vous qui étiez en retard, répondit l’étranger dans le plus pur toscan; ainsi pas de cérémonie: d’ailleurs m’eussiez-vous fait attendre, que je me serais bien douté que c’était par quelque motif indépendant de votre volonté. "It was I who was in advance, and not you who were late," replied the stranger in the purest Tuscan; so no ceremony: besides, you would have made me wait, that I would have suspected that it was for some reason beyond your control.

—Et vous auriez eu raison, Excellence, je viens du château Saint-Ange, et j’ai eu toutes les peines du monde à parler à Beppo. "And you would have been right, Excellency, I come from Castel Sant'Angelo, and I had all the trouble in talking to Beppo.

—Qu’est-ce que Beppo? —What is Beppo?

—Beppo est un employé de la prison, à qui je fais une petite rente pour savoir ce qui se passe dans l’intérieur du château de Sa Sainteté. -Beppo is an employee of the prison, to whom I make a small rent to know what is happening in the interior of the castle of His Holiness.

—Ah! ah! je vois que vous êtes homme de précaution, mon cher! I see that you are a man of precaution, my dear fellow!

—Que voulez-vous, Excellence! -What do you want, Excellency! on ne sait pas ce qui peut arriver; peut-être moi aussi serai-je un jour pris au filet comme ce pauvre Peppino; et aurai-je besoin d’un rat pour ronger quelques mailles de ma prison. we do not know what can happen; perhaps I, too, will one day be caught like poor Peppino; and will I need a rat to gnaw some stitches of my prison.

—Bref, qu’avez-vous appris? -Bref, what did you learn?

—Il y aura deux exécutions mardi à deux heures comme c’est l’habitude à Rome lors des ouvertures des grandes fêtes. -There will be two executions on Tuesday at two o'clock as is the custom in Rome at the opening of the big parties. Un condamné sera  mazzolato , c’est un misérable qui a tué un prêtre qui l’avait élevé, et qui ne mérite aucun intérêt. A condemned man will be mazzolato, a miserable person who killed a priest who had raised him, and who deserves no interest. L’autre sera  decapitato , et celui-là, c’est le pauvre Peppino. The other will be decapitato, and that one is poor Peppino.

—Que voulez-vous, mon cher, vous inspirez une si grande terreur, non seulement au gouvernement pontifical mais encore aux royaumes voisins qu’on veut absolument faire un exemple. "What do you want, my dear fellow, you inspire so great a terror, not only to the pontifical government, but also to the neighboring kingdoms that we absolutely want to set an example.

—Mais Peppino ne fait pas même partie de ma bande; c’est un pauvre berger qui n’a commis d’autre crime que de nous fournir des vivres. "But Peppino is not even part of my band; it is a poor shepherd who has committed no other crime than to supply us with provisions.

—Ce qui le constitue parfaitement votre complice. -What perfectly constitutes your accomplice. Aussi, voyez qu’on a des égards pour lui: au lieu de l’assommer, comme vous le serez, si jamais on vous met la main dessus, on se contentera de le guillotiner. Also, see that we have respect for him: instead of knocking him out, as you will be, if ever you get your hands on it, we will just guillotine. Au reste, cela variera les plaisirs du peuple, et il y aura spectacle pour tous les goûts. Besides, it will vary the pleasures of the people, and there will be show for all tastes.

—Sans compter celui que je lui ménage et auquel il ne s’attend pas, reprit le Transtévère. "Without counting the one I am cleaning for him, which he does not expect," continued the Trastevere.

—Mon cher ami, permettez-moi de vous dire, reprit l’homme au manteau, que vous me paraissez tout disposé à faire quelque sottise. "My dear friend, permit me to tell you," said the man in the cloak, "that you seem to me quite disposed to do some foolishness.

—Je suis disposé à tout pour empêcher l’exécution du pauvre diable qui est dans l’embarras pour m’avoir servi; par la Madone! "I am disposed to do anything to prevent the execution of the poor devil who is in trouble for having served me; by the Madonna! je me regarderai comme un lâche, si je ne faisais pas quelque chose pour ce brave garçon. I'll look at you like a coward, if I did not do something for that brave boy.

—Et que ferez-vous? -And what will you do?

—Je placerai une vingtaine d’hommes autour de l’échafaud, et, au moment où on l’amènera, au signal que je donnerai, nous nous élancerons le poignard au poing sur l’escorte, et nous l’enlèverons. "I will place about twenty men around the scaffold, and at the moment of bringing it to the signal I will give, we will throw our dagger at our escort, and we will remove it."

—Cela me paraît fort chanceux, et je crois décidément que mon projet vaut mieux que le vôtre. "It seems to me very fortunate, and I truly believe that my project is better than yours.

—Et quel est votre projet, Excellence? “And what is your plan, Excellency?

—Je donnerai dix mille piastres à quelqu’un que je sais, et qui obtiendra que l’exécution de Peppino soit remise à l’année prochaine; puis, dans le courant de l’année, je donnerai mille autres piastres à un autre quelqu’un que je sais encore, et le ferai évader de prison. "I will give ten thousand piastres to someone whom I know, and who will obtain that the execution of Peppino be postponed until next year; then, in the course of the year, I will give a thousand other piastres to another one whom I still know, and will make him escape from prison.

—Êtes-vous sûr de réussir? -Are you sure you succeed?

—Pardieu! dit en français l’homme au manteau.

—Plaît-il? -Pleasure? demanda le Transtévère. asked the Transtévère.

—Je dis, mon cher, que j’en ferai plus à moi seul avec mon or que vous et tous vos gens avec leurs poignards, leurs pistolets, leurs carabines et leurs tromblons. "I say, my dear fellow, that I will do more for myself alone with my gold than you and all your people with their daggers, their pistols, their carbines, and their blunderbusses. Laissez-moi donc faire. So let me do it.

—À merveille; mais si vous échouez, nous nous tiendrons toujours prêts. -Perfectly; but if you fail, we'll always be ready.

—Tenez-vous toujours prêts, si c’est votre plaisir mais soyez certain que j’aurai sa grâce. -Always get ready, if it's your pleasure but be sure that I will have his grace.

—C’est après-demain mardi, faites-y attention. -It's the day after tomorrow Tuesday, pay attention. Vous n’avez plus que demain. You have only tomorrow.

—Eh bien, mais le jour se compose de vingt-quatre heures, chaque heure se compose de soixante minutes, chaque minute de soixante secondes; en quatre-vingt-six mille quatre cents secondes on fait bien des choses. -Well, but the day consists of twenty-four hours, each hour consists of sixty minutes, every minute of sixty seconds; in eighty-six thousand four hundred seconds we do many things.

—Si vous avez réussi, Excellence, comment le saurons-nous? "If you have succeeded, Excellency, how will we know it?

—C’est bien simple. “It's very simple. J’ai loué les trois dernières fenêtres du café Rospoli; si j’ai obtenu le sursis, les deux fenêtres du coin seront tendues en damas jaune mais celle du milieu sera tendue en damas blanc avec une croix rouge. I rented the last three windows of the Cafe Rospoli; if I got the reprieve, the two windows of the corner will be stretched in yellow damask but the middle one will be stretched in white damask with a red cross.

—À merveille. Et par qui ferez-vous passer la grâce? And by whom will you pass grace?

—Envoyez-moi un de vos hommes déguisé en pénitent et je la lui donnerai. -Send me one of your men disguised as a penitent and I will give it to him. Grâce à son costume, il arrivera jusqu’au pied de l’échafaud et remettra la bulle au chef de la confrérie, qui la remettra au bourreau. Thanks to his costume, he will reach the foot of the scaffold and give the bubble to the head of the brotherhood, who will give it to the executioner. En attendant, faites savoir cette nouvelle à Peppino; qu’il n’aille pas mourir de peur ou devenir fou, ce qui serait cause que nous aurions fait pour lui une dépense inutile. In the meantime, let this news to Peppino; let him not die of fear or go mad, which would cause us to have made a useless expense for him.

—Écoutez, Excellence, dit le paysan, je vous suis bien dévoué, et vous en êtes convaincu, n’est-ce pas? “Listen, Excellency,” said the peasant, “I am very devoted to you, and you are convinced of it, aren't you?

—Je l’espère, au moins.

—Eh bien, si vous sauvez Peppino ce sera plus que du dévouement à l’avenir, ce sera de l’obéissance. -Well, if you save Peppino it will be more than dedication in the future, it will be obedience.

—Fais attention à ce que tu dis là, mon cher! “Be careful what you say there, my dear! je te le rappellerai peut-être un jour, car peut-être un jour moi aussi, j’aurai besoin de toi.... I'll remind you maybe someday, because maybe someday too, I'll need you ....

—Eh bien, alors, Excellence, vous me trouverez à l’heure du besoin comme je vous aurai trouvé à cette même heure; alors, fussiez-vous à l’autre bout du monde, vous n’aurez qu’à m’écrire: «Fais cela», et je le ferai, foi de.... "Well, then, Excellency, you will find me at the hour of need, as I will have found you at this very hour; so, were you at the other end of the world, you will only have to write to me: "Do this," and I will do it, faith of ....

—Chut! dit l’inconnu, j’entends du bruit.

—Ce sont des voyageurs qui visitent le Colisée aux flambeaux. —These are travelers who visit the Coliseum by torchlight.

—Il est inutile qu’ils nous trouvent ensemble. -It is useless for them to find us together. Ces mouchards de guides pourraient vous reconnaître; et, si honorable que soit votre amitié, mon cher ami, si on nous savait liés comme nous le sommes, cette liaison, j’en ai bien peur, me ferait perdre quelque peu de mon crédit. These sneaky guides could recognize you; and, how honorable your friendship may be, my dear friend, if we were to be bound as we are, this affair, I am afraid, would make me lose some of my credit.

—Ainsi, si vous avez le sursis? -So, if you have the reprieve?

—La fenêtre du milieu tendue en damas avec une croix rouge. -The middle window stretched in damask with a red cross.

—Si vous ne l’avez pas?... "If you don't have it? ...

—Trois tentures jaunes. —Three yellow drapes.

—Et alors?... -So what?...

—Alors, mon cher ami, jouez du poignard tout à votre aise, je vous le permets, et je serai là pour vous voir faire. "Then, my dear friend, play the dagger at your ease, I permit you, and I will be there to see you."

—Adieu, Excellence, je compte sur vous, comptez sur moi.» "Farewell, Excellency, I count on you, count on me."

À ces mots le Transtévère disparut par l’escalier, tandis que l’inconnu, se couvrant plus que jamais le visage de son manteau, passa à deux pas de Franz et descendit dans l’arène par les gradins extérieurs. At these words the Trastevere disappeared by the staircase, while the unknown, covering himself more than ever the face of his cloak, passed two paces from Franz and descended into the arena by the outer tiers.

Une seconde après, Franz entendit son nom retentir sous les voûtes: c’était Albert qui l’appelait. A second later, Franz heard his name ringing under the vaults: it was Albert calling him.

Il attendit pour répondre que les deux hommes fussent éloignés, ne se souciant pas de leur apprendre qu’ils avaient eu un témoin qui, s’il n’avait pas vu leur visage, n’avait pas perdu un mot de leur entretien. He waited to reply that the two men were far away, not caring to tell them that they had had a witness who, if he had not seen their faces, had not lost a word of their conversation.

Dix minutes après, Franz roulait vers l’hôtel d’Espagne, écoutant avec une distraction fort impertinente la savante dissertation qu’Albert faisait, d’après Pline et Calpurnius, sur les filets garnis de pointes de fer qui empêchaient les animaux féroces de s’élancer sur les spectateurs. Ten minutes later, Franz was driving towards the Hotel d'Espagne, listening with a very impertinent distrust to the learned dissertation that Albert made, according to Pliny and Calpurnius, on the nets furnished with iron spikes which prevented the ferocious animals from to throw on the spectators.

Il le laissait aller sans le contredire; il avait hâte de se trouver seul pour penser sans distraction à ce qui venait de se passer devant lui. He let him go without contradicting him; he was anxious to find himself alone to think without distraction of what had happened before him.

De ces deux hommes, l’un lui était certainement étranger, et c’était la première fois qu’il le voyait et l’entendait, mais il n’en était pas ainsi de l’autre; et, quoique Franz n’eût pas distingué son visage constamment enseveli dans l’ombre ou caché par son manteau, les accents de cette voix l’avaient trop frappé la première fois qu’il les avait entendus pour qu’ils pussent jamais retentir devant lui sans qu’il les reconnût. Of these two men, one was certainly foreign to him, and it was the first time that he had seen and heard him, but it was not so with the other; and although Franz had not distinguished his face constantly buried in the shade, or concealed by his cloak, the accents of this voice had struck him too much the first time he had heard them so that they could never sound before him. he did not recognize them.

Il y avait surtout dans les intonations railleuses quelque chose de strident et de métallique qui l’avait fait tressaillir dans les ruines du Colisée comme dans la grotte de Monte-Cristo. Above all, there was something strident and metallic in the mocking intonations that had made him tremble in the ruins of the Colosseum as well as in the cave of Monte Cristo.

Aussi était-il bien convaincu que cet homme n’était autre que Simbad le marin. So he was convinced that this man was none other than Simbad the sailor.

Aussi, en toute autre circonstance, la curiosité que lui avait inspirée cet homme eût été si grande qu’il se serait fait reconnaître à lui, mais dans cette occasion, la conversation qu’il venait d’entendre était trop intime pour qu’il ne fût pas retenu par la crainte très sensée que son apparition ne lui serait pas agréable. So, in any other circumstance, the curiosity which this man had inspired him would have been so great that he would have made himself known to him, but on this occasion the conversation he had just heard was too intimate for him to would not be restrained by the very sensible fear that his appearance would not be agreeable to him. Il l’avait donc laissé s’éloigner, comme on l’a vu, mais en se promettant, s’il le rencontrait une autre fois, de ne pas laisser échapper cette seconde occasion comme il avait fait de la première. He had let him go away, as we have seen, but promising himself, if he met him again, not to let slip this second opportunity as he had done the first.

Franz était trop préoccupé pour bien dormir. Franz was too preoccupied to sleep well. Sa nuit fut employée à passer et repasser dans son esprit toutes les circonstances qui se rattachaient à l’homme de la grotte et à l’inconnu du Colisée, et qui tendaient à faire de ces deux personnages le même individu; et plus Franz y pensait, plus il s’affermissait dans cette opinion. His night was spent in passing over and over in his mind all the circumstances which were connected with the man of the grotto and the unknown of the Colosseum, and which tended to make of these two personages the same individual; and the more Franz thought about it, the more he became stronger in this opinion.

Il s’endormit au jour, et ce qui fit qu’il ne s’éveilla que fort tard. He fell asleep in the day, and he did not wake until very late. Albert, en véritable Parisien, avait déjà pris ses précautions pour la soirée. Albert, as a true Parisian, had already taken his precautions for the evening. Il avait envoyé chercher une loge au théâtre Argentina. He had sent for a box at the Argentina Theater.

Franz avait plusieurs lettres à écrire en France, il abandonna donc pour toute la journée la voiture à Albert. Franz had several letters to write in France, so he left the car for Albert all day.

À cinq heures, Albert rentra; il avait porté ses lettres de recommandation, avait des invitations pour toutes ses soirées et avait vu Rome. At five o'clock Albert returned; he had worn his letters of recommendation, had invitations for all his evenings, and had seen Rome.

Une journée avait suffi à Albert pour faire tout cela. One day was enough for Albert to do all this.

Et encore avait-il eu le temps de s’informer de la pièce qu’on jouait et des acteurs qui la joueraient. And yet he had time to inquire about the play we were playing and the actors who would play it.

La pièce avait pour titre:  Parisiana ; les acteurs avaient nom: Coselli, Moriani et la Spech.

Nos deux jeunes gens n’étaient pas si malheureux, comme on le voit: ils allaient assister à la représentation d’un des meilleurs opéras de l’auteur de  Lucia di Lammermoor , joué par trois des artistes les plus renommés de l’Italie. Our two young people were not so unhappy, as we see: they were going to attend the performance of one of the best operas of the author of Lucia di Lammermoor, played by three of the most renowned artists of Italy.

Albert n’avait jamais pu s’habituer aux théâtres ultramontains, à l’orchestre desquels on ne va pas, et qui n’ont ni balcons, ni loges découvertes; c’était dur pour un homme qui avait sa stalle aux Bouffes et sa part de la loge infernale à l’Opéra. Albert had never been able to get used to ultramontane theaters, to the orchestra from which one does not go, and which have neither balconies nor discovered boxes; it was hard for a man who had his stall at Bouffes and his share of the infernal box at the Opera.

Ce qui n’empêchait pas Albert de faire des toilettes flamboyantes toutes les fois qu’il allait à l’Opéra avec Franz; toilettes perdues; car, il faut l’avouer à la honte d’un des représentants les plus dignes de notre fashion, depuis quatre mois qu’il sillonnait l’Italie en tous sens, Albert n’avait pas eu une seule aventure. This did not prevent Albert from making flamboyant toilets whenever he went to the Opera with Franz; lost toilets; for, it must be confessed to the shame of one of the most worthy representatives of our fashion, for four months that he traveled all over Italy, Albert had not had a single adventure.

Albert essayait quelquefois de plaisanter à cet endroit; mais au fond il était singulièrement mortifié, lui, Albert de Morcerf, un des jeunes gens les plus courus, d’en être encore pour ses frais. Albert sometimes tried to joke at this place; but at bottom he was singularly mortified, he, Albert de Morcerf, one of the most popular young men, to be still for his expenses. La chose était d’autant plus pénible que, selon l’habitude modeste de nos chers compatriotes, Albert était parti de Paris avec cette conviction qu’il allait avoir en Italie les plus grands succès, et qu’il viendrait faire les délices du boulevard de Gand du récit de ses bonnes fortunes. The thing was all the more painful because, according to the modest habit of our dear compatriots, Albert had left Paris with the conviction that he was going to have the greatest successes in Italy, and that he would come to the delights of the boulevard. of Ghent from the story of his good fortune.

Hélas! Alas! il n’en avait rien été: les charmantes comtesses génoises, florentines et napolitaines s’en étaient tenues, non pas à leurs maris, mais à leurs amants, et Albert avait acquis cette cruelle conviction, que les Italiennes ont du moins sur les Françaises l’avantage d’être fidèles à leur infidélité. it was not the case: the charming Genoese, Florentine, and Neapolitan countesses had held out, not to their husbands, but to their lovers, and Albert had acquired this cruel conviction, that the Italians have at least the French women. the advantage of being faithful to their infidelity.

Je ne veux pas dire qu’en Italie, comme partout, il n’y ait pas des exceptions. I don't mean to say that in Italy, like everywhere, there are no exceptions.

Et cependant Albert était non seulement un cavalier parfaitement élégant, mais encore un homme de beaucoup d’esprit; de plus il était vicomte: de nouvelle noblesse, c’est vrai; mais aujourd’hui qu’on ne fait plus ses preuves, qu’importe qu’on date de 1399 ou de 1815! And yet Albert was not only a perfectly elegant horseman, but also a man of great wit; moreover he was a viscount: a new nobility, it is true; but today that no longer proves its worth, no matter whether it dates from 1399 or 1815! Par-dessus tout cela il avait cinquante mille livres de rente. Above all, he had fifty thousand francs a year. C’était plus qu’il n’en faut, comme on le voit, pour être à la mode à Paris. It was more than enough, as we see, to be fashionable in Paris. C’était donc quelque peu humiliant de n’avoir encore été sérieusement remarqué par personne dans aucune des villes où il avait passé. So it was somewhat humiliating to have not been seriously noticed by anyone in any of the cities where he had been.

Mais aussi comptait-il se rattraper à Rome, le carnaval étant, dans tous les pays de la terre qui célèbrent cette estimable institution, une époque de liberté où les plus sévères se laissent entraîner à quelque acte de folie. But he also counted on catching up in Rome, the carnival being, in all the countries of the earth which celebrate this estimable institution, an era of freedom where the most severe ones let themselves be led to some act of madness. Or, comme le carnaval s’ouvrait le lendemain, il était fort important qu’Albert lançât son prospectus avant cette ouverture. Now, as the carnival was opening the next day, it was very important for Albert to launch his prospectus before this opening.

Albert avait donc, dans cette intention, loué une des loges les plus apparentes du théâtre, et fait, pour s’y rendre, une toilette irréprochable. Albert had, for this purpose, rented one of the most visible boxes of the theater, and made an irreproachable toilet to get there. C’était au premier rang, qui remplace chez nous la galerie. It was in the first row, replacing the gallery. Au reste, les trois premiers étages sont aussi aristocratiques les uns que les autres, et on les appelle pour cette raison les rangs nobles. For the rest, the first three floors are as aristocratic as the others, and for this reason they are called the noble ranks.

D’ailleurs cette loge, où l’on pouvait tenir à douze sans être serrés, avait coûté aux deux amis un peu moins cher qu’une loge de quatre personnes à l’Ambigu. Besides, this lodge, which could be kept at twelve without being tight, had cost the two friends a little less than a lodge of four at L'Ambigu.

Albert avait encore un autre espoir, c’est que s’il arrivait à prendre place dans le cœur d’une belle Romaine, cela le conduirait naturellement à conquérir un  posto  dans la voiture, et par conséquent à voir le carnaval du haut d’un véhicule aristocratique ou d’un balcon princier. Albert had another hope, that if he could get into the heart of a beautiful Roman, it would naturally lead him to conquer a post in the car, and consequently to see the carnival from the top of an aristocratic vehicle or a princely balcony.

Toutes ces considérations rendaient donc Albert plus sémillant qu’il ne l’avait jamais été. All these considerations, therefore, made Albert more intelligent than he had ever been. Il tournait le dos aux acteurs, se penchant à moitié hors de la loge et lorgnant toutes les jolies femmes avec une jumelle de six pouces de long. He turned his back on the actors, leaning halfway out of the box and peeping all the pretty women with a six-inch-long binocular.

Ce qui n’amenait pas une seule jolie femme à récompenser d’un seul regard, même de curiosité, tout le mouvement que se donnait Albert. Which did not bring a single pretty woman to reward with one glance, even with curiosity, all the movement that Albert gave himself.

En effet, chacun causait de ses affaires, de ses amours, de ses plaisirs, du carnaval qui s’ouvrait le lendemain de la semaine sainte prochaine, sans faire attention un seul instant ni aux acteurs, ni à la pièce, à l’exception des moments indiqués, où chacun alors se retournait, soit pour entendre une portion du récitatif de Coselli, soit pour applaudir quelque trait brillant de Moriani, soit pour crier bravo à la Spech; puis les conversations particulières reprenaient leur train habituel. In fact, everyone was talking about his business, his love, his pleasures, the carnival that opened the next day of the next holy week, without paying any attention for a single moment neither to the actors, nor to the play, with the exception moments indicated, where each one then turned, either to hear a portion of Coselli's recitative, or to applaud some brilliant line of Moriani, or to shout bravo to the Spech; then the particular conversations resumed their usual train.

Vers la fin du premier acte, la porte d’une loge restée vide jusque-là s’ouvrit, et Franz vit entrer une personne à laquelle il avait eu l’honneur d’être présenté à Paris et qu’il croyait encore en France. Towards the end of the first act, the door of a box remained empty until then opened, and Franz saw enter a person to whom he had the honor to be presented in Paris and he still believed in France . Albert vit le mouvement que fit son ami à cette apparition, et se retournant vers lui: Albert saw the movement his friend made at this apparition, and turning to him:

«Est-ce que vous connaissez cette femme? dit-il.

—Oui; comment la trouvez-vous? -Yes; How do you find it?

—Charmante, mon cher, et blonde. Oh! les adorables cheveux! C’est une Française?

—C’est une Vénitienne. “She's a Venetian.

—Et vous l’appelez?

—La comtesse G... —The Countess G ...

—Oh! je la connais de nom, s’écria Albert; on la dit aussi spirituelle que jolie. I know her by name, cried Albert; it is said to be as witty as it is pretty. Parbleu, quand je pense que j’aurais pu me faire présenter à elle au dernier bal de Mme de Villefort, où elle était, et que j’ai négligé cela: je suis un grand niais! Why, when I think that I could have been introduced to her at the last ball of Madame de Villefort, where she was, and that I neglected that: I am a great fool!

—Voulez-vous que je répare ce tort? -Do you want me to repair this wrong? demanda Franz.

—Comment! -How! vous la connaissez assez pour me conduire dans sa loge? Do you know her well enough to take me to her box?

—J’ai eu l’honneur de lui parler trois ou quatre fois dans ma vie; mais, vous le savez, c’est strictement assez pour ne pas commettre une inconvenance.» "I had the honor of talking to him three or four times in my life; but, you know, it's strictly enough not to commit impropriety. "

En ce moment la comtesse aperçut Franz et lui fit de la main un signe gracieux, auquel il répondit par une respectueuse inclination de tête. At this moment the Countess perceived Franz, and made a gracious gesture with his hand, to which he replied with a respectful inclination of the head.

«Ah çà! "Oh that! mais il me semble que vous êtes au mieux avec elle? but it seems to me that you are at best with her? dit Albert.

—Eh bien, voilà ce qui vous trompe et ce qui nous fera faire sans cesse, à nous autres Français, mille sottises à l’étranger: c’est de tout soumettre à nos points de vue parisiens; en Espagne, et en Italie surtout, ne jugez jamais de l’intimité des gens sur la liberté des rapports. "Well, that is what deceives you, and what will make us ceaselessly do to us Frenchmen, a thousand foolishnesses abroad: it is to submit everything to our Parisian points of view; in Spain, and especially in Italy, never judge of the intimacy of people over the liberty of intercourse. Nous nous sommes trouvés en sympathie avec la comtesse, voilà tout. We were in sympathy with the Countess, that's all.

—En sympathie de cœur? - In sympathy of heart? demanda Albert en riant. Albert asked, laughing. Albert preguntó, riendo.

—Non, d’esprit, voilà tout, répondit sérieusement Franz. "No, wit, that's all," replied Franz seriously.

—Et à quelle occasion? “And on what occasion?

—À l’occasion d’une promenade au Colisée pareille à celle que nous avons faite ensemble. - During a walk to the Coliseum similar to the one we did together.

—Au clair de la lune? -In the moonlight?

—Oui.

—Seuls?

—À peu près! -Nearly!

—Et vous avez parlé... “And you spoke ...

—Des morts. -Deaths.

—Ah! s’écria Albert, c’était en vérité fort récréatif. exclaimed Albert, it was indeed very entertaining. Eh bien, moi, je vous promets que si j’ai le bonheur d’être le cavalier de la belle comtesse dans une pareille promenade, je ne lui parlerai que des vivants. Well, I promise you that if I have the happiness of being the cavalier of the beautiful Countess in such a walk, I will speak to her only of the living.

—Et vous aurez peut-être tort. “And you might be wrong.

—En attendant, vous allez me présenter à elle comme vous me l’avez promis? "In the meantime, will you introduce me to her as you promised me?"

—Aussitôt la toile baissée. -At immediately the canvas lowered.

—Que ce diable de premier acte est long! -That devil of first act is long!

—Écoutez le finale, il est fort beau, et Coselli le chante admirablement. -Listen the finale, it is very beautiful, and Coselli sings it admirably.

—Oui, mais quelle tournure! -Yes, but what a turn!

—La Spech y est on ne peut plus dramatique. -The Spech is there can not be more dramatic.

—Vous comprenez que lorsqu’on a entendu la Sontag et la Malibran.... -You understand that when we heard the Sontag and the Malibran ....

—Ne trouvez-vous pas la méthode de Moriani excellente? -Do you not find the Moriani method excellent?

—Je n’aime pas les bruns qui chantent blond. -I do not like browns who sing blond.

—Ah! mon cher, dit Franz en se retournant, tandis qu’Albert continuait de lorgner, en vérité vous êtes par trop difficile!» my dear, "said Franz, turning, while Albert continued to ogle," in truth you are too difficult! "

Enfin la toile tomba à la grande satisfaction du vicomte de Morcerf, qui prit son chapeau, donna un coup de main rapide à ses cheveux, à sa cravate et à ses manchettes, et fit observer à Franz qu’il l’attendait. At last the painting fell to the great satisfaction of the Vicomte de Morcerf, who took his hat, gave a quick blow to his hair, his tie, and his cuffs, and remarked to Franz that he was waiting for it.

Comme de son côté, la comtesse, que Franz interrogeait des yeux, lui fit comprendre par un signe, qu’il serait le bienvenu, Franz ne mit aucun retard à satisfaire l’empressement d’Albert, et faisant—suivi de son compagnon qui profitait du voyage pour rectifier les faux plis que les mouvements avaient pu imprimer à son col de chemise et au revers de son habit—le tour de l’hémicycle, il vint frapper à la loge n° 4, qui était celle qu’occupait la comtesse. As, on her side, the Countess, whom Franz was questioning with his eyes, made him understand by a sign that he would be welcome, Franz did not hesitate to satisfy Albert's eagerness, and followed by his companion, who took advantage of the trip to rectify the wrinkles that the movements had been able to print on his shirt collar and on the back of his coat-the round of the hemicycle, he came knocking at the No. 4 box, which was the one occupied by the countess.

Aussitôt le jeune homme qui était assis à côté d’elle sur le devant de la loge se leva, cédant sa place, selon l’habitude italienne, au nouveau venu, qui doit la céder à son tour lorsqu’une autre visite arrive. Immediately the young man who was seated next to her at the front of the box got up, yielding his place, according to the Italian custom, to the newcomer, who must give in turn when another visit arrives.

Franz présenta Albert à la comtesse comme un de nos jeunes gens les plus distingués par sa position sociale et par son esprit; ce qui, d’ailleurs, était vrai; car à Paris, et dans le milieu où vivait Albert, c’était un cavalier irréprochable. Franz presented Albert to the Countess as one of our most distinguished young men by his social position and his spirit; which, moreover, was true; for in Paris, and in the middle where Albert lived, he was an irreproachable horseman. Il ajouta que, désespéré de n’avoir pas su profiter du séjour de la comtesse à Paris pour se faire présenter à elle, il l’avait chargé de réparer cette faute, mission dont il s’acquittait en priant la comtesse, près de laquelle il aurait eu besoin lui-même d’un introducteur, d’excuser son indiscrétion. He added that, desperate for not having known how to profit from the Countess's stay at Paris to be presented to her, he had instructed her to repair this fault, a mission which he fulfilled by praying to the Countess, near whom he would have needed an introducer himself, to excuse his indiscretion.

La comtesse répondit en faisant un charmant salut à Albert et en tendant la main à Franz. The Countess answered, giving Albert a charming bow, and extending his hand to Franz.

Albert, invité par elle, prit la place vide sur le devant, et Franz s’assit au second rang derrière la comtesse. Albert, invited by her, took the empty place in front, and Franz sat down in the second row behind the countess.

Albert avait trouvé un excellent sujet de conversation: c’était Paris, il parlait à la comtesse de leurs connaissances communes. Albert had found an excellent subject for conversation: it was Paris, he was talking to the Countess about their common knowledge. Franz comprit qu’il était sur le terrain. Franz knew he was on the ground. Il le laissa aller, et, lui demandant sa gigantesque lorgnette, il se mit à son tour à explorer la salle. He let it go, and, asking for his gigantic glass, he began to explore the room.

Seule sur le devant d’une loge, placée au troisième rang en face d’eux, était une femme admirablement belle, vêtue d’un costume grec, qu’elle portait avec tant d’aisance qu’il était évident que c’était son costume naturel. Only at the front of a box, placed in the third row in front of them, was a beautifully beautiful woman, dressed in a Greek costume, which she wore with so much ease that it was obvious that it was his natural costume.

Derrière elle, dans l’ombre, se dessinait la forme d’un homme dont il était impossible de distinguer le visage. Behind her, in the shadows, was the shape of a man whose face could not be distinguished.

Franz interrompit la conversation d’Albert et de la comtesse pour demander à cette dernière si elle connaissait la belle Albanaise qui était si digne d’attirer non seulement l’attention des hommes, mais encore des femmes. Franz interrupted the conversation between Albert and the Countess to ask her if she knew the beautiful Albanian who was so worthy to attract not only men's attention but also women's attention.

«Non, dit-elle; tout ce que je sais, c’est qu’elle est à Rome depuis le commencement de la saison; car, à l’ouverture du théâtre, je l’ai vue où elle est, et depuis un mois elle n’a pas manqué une seule représentation, tantôt accompagnée de l’homme qui est avec elle en ce moment, tantôt suivie simplement d’un domestique noir. "No," she said; all I know is that she has been in Rome since the beginning of the season; for, at the opening of the theater, I saw her where she is, and for a month she has not missed a single performance, sometimes accompanied by the man who is with her at this moment, sometimes followed simply by a black servant.

—Comment la trouvez-vous, comtesse?

—Extrêmement belle. Medora devait ressembler à cette femme.» Medora must have looked like this woman. "

Franz et la comtesse échangèrent un sourire. Franz and the countess exchanged a smile. Elle se remit à causer avec Albert, et Franz à lorgner son Albanaise. She began talking again with Albert, and Franz staring at his Albanian.

La toile se leva sur le ballet. The canvas rose on the ballet. C’était un de ces bons ballets italiens mis en scène par le fameux Henri qui s’était fait, comme chorégraphe, en Italie, une réputation colossale, que le malheureux est venu perdre au théâtre nautique; un de ces ballets où tout le monde, depuis le premier sujet jusqu’au dernier comparse, prend une part si active à l’action, que cent cinquante personnes font à la fois le même geste et lèvent ensemble ou le même bras ou la même jambe. It was one of those good Italian ballets staged by the famous Henry, who had become, as a choreographer, in Italy, a colossal reputation, which the unfortunate man came to lose at the nautical theater; one of those ballets where everyone, from the first subject to the last one, takes such an active part in the action, that one hundred and fifty people make the same gesture and raise together or the same arm or the same leg.

On appelait ce ballet  Poliska . This ballet was called Poliska.

Franz était trop préoccupé de sa belle Grecque pour s’occuper du ballet, si intéressant qu’il fût. Franz was too preoccupied with his beautiful Greek to take care of the ballet, interesting as it was. Quant à elle, elle prenait un plaisir visible à ce spectacle, plaisir qui faisait une opposition suprême avec l’insouciance profonde de celui qui l’accompagnait, et qui, tant que dura le chef-d’œuvre chorégraphique, ne fit pas un mouvement, paraissant, malgré le bruit infernal que menaient les trompettes, les cymbales et les chapeaux chinois à l’orchestre, goûter les célestes douceurs d’un sommeil paisible et radieux. As for her, she took a visible pleasure in this spectacle, a pleasure which made a supreme opposition with the profound insouciance of the one who accompanied him, and who, as long as the choreographic masterpiece lasted, did not make a movement appearing, in spite of the infernal noise of Chinese trumpets, cymbals, and hats, to taste the heavenly sweetness of a peaceful and radiant sleep.

Enfin le ballet finit, et la toile tomba au milieu des applaudissements frénétiques d’un parterre enivré. At last the ballet finished, and the canvas fell amidst the frenzied applause of an intoxicated bed.

Grâce à cette habitude de couper l’opéra par un ballet, les entractes sont très courts en Italie, les chanteurs ayant le temps de se reposer et de changer de costume tandis que les danseurs exécutent leurs pirouettes et confectionnent leurs entrechats. Thanks to this habit of cutting the opera by a ballet, intermissions are very short in Italy, the singers having time to rest and change their costume while the dancers perform their pirouettes and make their entrechats.

L’ouverture du second acte commença; aux premiers coups d’archet, Franz vit le dormeur se soulever lentement et se rapprocher de la Grecque, qui se retourna pour lui adresser quelques paroles, et s’accouda de nouveau sur le devant de la loge. The opening of the second act began; At the first bows, Franz saw the sleeper rise slowly and approach the Greek, who turned to address him a few words, and leaned again on the front of the box.

La figure de son interlocuteur était toujours dans l’ombre, et Franz ne pouvait distinguer aucun de ses traits. The figure of his interlocutor was still in the shadow, and Franz could not distinguish any of his features.

La toile se leva, l’attention de Franz fut nécessairement attirée par les acteurs, et ses yeux quittèrent un instant la loge de la belle Grecque pour se porter vers la scène. The canvas rose, Franz's attention was necessarily attracted to the actors, and his eyes left for a moment the box of the beautiful Greek to go to the stage.

L’acte s’ouvre, comme on sait, par le duo du rêve: Parisina, couchée, laisse échapper devant Azzo le secret de son amour pour Ugo; l’époux trahi passe par toutes les fureurs de la jalousie, jusqu’à ce que, convaincu que sa femme lui est infidèle, il la réveille pour lui annoncer sa prochaine vengeance. The act opens, as we know, by the duo of the dream: Parisina, lying down, lets escape to Azzo the secret of his love for Ugo; the betrayed husband passes through all the fury of jealousy, until, convinced that his wife is unfaithful to him, he wakes her up to announce to him her next vengeance.

Ce duo est un des plus beaux, des plus expressifs et des plus terribles qui soient sortis de la plume féconde de Donizetti. This duet is one of the most beautiful, the most expressive and the most terrible that came out of the fertile pen of Donizetti. Franz l’entendait pour la troisième fois, et quoiqu’il ne passât pas pour un mélomane enragé, il produisit sur lui un effet profond. Franz heard it for the third time, and although he did not pass for a mad music lover, he produced a profound effect on him. Il allait en conséquence joindre ses applaudissements à ceux de la salle, lorsque ses mains, prêtes à se réunir, restèrent écartées, et que le bravo qui s’échappait de sa bouche expira sur ses lèvres. He would accordingly join his applause to those of the hall, when his hands, ready to meet, remained apart, and the bravo that escaped his mouth expired on his lips.

L’homme de la loge s’était levé tout debout, et, sa tête se trouvant dans la lumière, Franz venait de retrouver le mystérieux habitant de Monte-Cristo, celui dont la veille il lui avait si bien semblé reconnaître la taille et la voix dans les ruines du Colisée. The man in the box had risen up, and with his head in the light, Franz had just found the mysterious inhabitant of Monte Cristo, the one who the day before had so well seemed to recognize the size and voice in the ruins of the Coliseum.

Il n’y avait plus de doute, l’étrange voyageur habitait Rome. There was no longer any doubt, the strange traveler lived in Rome.

Sans doute l’expression de la figure de Franz était en harmonie avec le trouble que cette apparition jetait dans son esprit, car la comtesse le regarda, éclata de rire, et lui demanda ce qu’il avait. No doubt the expression of Franz's face was in harmony with the confusion which this apparition cast into his mind, for the Countess looked at him, burst out laughing, and asked him what he had.

«Madame la comtesse, répondit Franz, je vous ai demandé tout à l’heure si vous connaissiez cette femme albanaise: maintenant je vous demanderai si vous connaissez son mari. "Countess," replied Franz, "I asked you just now if you knew this Albanian woman; now I will ask you if you know her husband.

—Pas plus qu’elle, répondit la comtesse. "No more than she," replied the countess.

—Vous ne l’avez jamais remarqué? -You never noticed?

—Voilà bien une question à la française! -That's a French question! Vous savez bien que, pour nous autres Italiennes, il n’y a pas d’autre homme au monde que celui que nous aimons! You know that for us Italians there is no other man in the world than the one we love!

—C’est juste, répondit Franz. "That's right," replied Franz.

—En tout cas, dit-elle en appliquant les jumelles d’Albert à ses yeux et en les dirigeant vers la loge, ce doit être quelque nouveau déterré, quelque trépassé sorti du tombeau avec la permission du fossoyeur car il me semble affreusement pâle. "In any case," she said, applying Albert's twins to his eyes and directing them to the box, "it must be some new dug up, some dead from the grave with the permission of the gravedigger because it seems to me terribly pale."

—Il est toujours comme cela, répondit Franz. "He is always like that," replied Franz.

—Vous le connaissez donc? demanda la comtesse; alors c’est moi qui vous demanderai qui il est. asked the countess; then it is I who will ask you who he is.

—Je crois l’avoir déjà vu, et il me semble le reconnaître. "I think I have seen it before, and I seem to recognize it.

—En effet, dit-elle en faisant un mouvement de ses belles épaules comme si un frisson lui passait dans les veines, je comprends que lorsqu’on a une fois vu un pareil homme on ne l’oublie jamais.» "Indeed," she said, making a movement of her beautiful shoulders, as if a shudder passed through her veins, "I understand that when we have seen such a man, we never forget him."

L’effet que Franz avait éprouvé n’était donc pas une impression particulière, puisqu’une autre personne le ressentait comme lui. The effect Franz had experienced was therefore not a particular impression, since another person felt it as he did.

«Eh bien, demanda Franz à la comtesse après qu’elle eut pris sur elle de le lorgner une seconde fois que pensez-vous de cet homme? "Well," said Franz to the countess after she had taken it upon her to ogle it a second time, "what do you think of this man?

—Que cela me paraît être Lord Ruthwen en chair et en os.» "That it seems to me Lord Ruthwen in the flesh."

En effet, ce nouveau souvenir de Byron frappa Franz: si un homme pouvait lui faire croire à l’existence des vampires, c’était cet homme. Indeed, this new memory of Byron struck Franz: if a man could make him believe in the existence of vampires, it was this man.

«Il faut que je sache qui il est, dit Franz en se levant. "I must know who he is," said Franz, getting up.

—Oh! non, s’écria la comtesse; non, ne me quittez pas, je compte sur vous pour me reconduire, et je vous garde. no, exclaimed the countess; No, do not leave me, I'm counting on you to take me back, and I'll keep you.

—Comment! -How! véritablement, lui dit Franz en se penchant à son oreille, vous avez peur? truly, "said Franz, leaning over his ear," are you afraid?

—Écoutez, lui dit-elle, Byron m’a juré qu’il croyait aux vampires, il m’a dit qu’il en avait vu, il m’a dépeint leur visage, eh bien! "Listen," she said, "Byron swore to me that he believed in vampires, he told me he had seen them, he painted their faces, well! c’est absolument cela: ces cheveux noirs, ces grands yeux brillant d’une flamme étrange, cette pâleur mortelle; puis, remarquez qu’il n’est pas avec une femme comme toutes les femmes, il est avec une étrangère... une Grecque, une schismatique... sans doute quelque magicienne comme lui. it is absolutely this: these black hair, those big eyes shining with a strange flame, this deadly pallor; then, notice that he is not with a woman like all women, he is with a stranger ... a Greek, a schismatic ... no doubt a magician like him. Je vous en prie, n’y allez pas. I beg you, do not go there. Demain mettez-vous à sa recherche si bon vous semble, mais aujourd’hui je vous déclare que je vous garde.» Tomorrow, look for him if you like, but today I tell you that I'll keep you. "

Franz insista. Franz insisted.

«Écoutez, dit-elle en se levant, je m’en vais, je ne puis rester jusqu’à la fin du spectacle, j’ai du monde chez moi: serez-vous assez peu galant pour me refuser votre compagnie?» "Listen," she said, getting up, "I'm leaving, I can not stay until the end of the show, I have people at home: will you be so unpopular as to refuse me your company?"

Il n’y avait d’autre réponse à faire que de prendre son chapeau, d’ouvrir la porte et de présenter son bras à la comtesse. There was no other answer than to take his hat, open the door, and present his arm to the countess.

C’est ce qu’il fit. That's what he did.

La comtesse était véritablement fort émue; et Franz lui-même ne pouvait échapper à une certaine terreur superstitieuse, d’autant plus naturelle que ce qui était chez la comtesse le produit d’une sensation instinctive, était chez lui le résultat d’un souvenir. The countess was really moved; and Franz himself could not escape from a certain superstitious terror, all the more natural inasmuch as what was in the Countess's mind the product of an instinctive sensation, was in him the result of a memory.

Il sentit qu’elle tremblait en montant en voiture. He felt that she was shaking while driving.

Il la reconduisit jusque chez elle: il n’y avait personne, et elle n’était aucunement attendue; il lui en fit le reproche. He escorted her home: there was no one, and she was not expected; he reproached her for it.

«En vérité lui dit-elle, je ne me sens pas bien, et j’ai besoin d’être seule; la vue de cet homme m’a toute bouleversée.» "In truth," said she, "I do not feel well, and I need to be alone; the sight of this man upset me. "

Franz essaya de rire. Franz tried to laugh.

«Ne riez pas, lui dit-elle; d’ailleurs vous n’en avez pas envie. "Do not laugh," she said to him; Besides, you do not want to. Puis promettez-moi une chose. Then promise me one thing.

—Laquelle?

—Promettez-la-moi.

—Tout ce que vous voudrez, excepté de renoncer à découvrir quel est cet homme. "Whatever you want, except to give up on discovering who this man is. J’ai des motifs que je ne puis vous dire pour désirer savoir qui il est, d’où il vient et où il va. I have reasons I can not tell you for wanting to know who he is, where he comes from and where he is going.

—D’où il vient, je l’ignore; mais où il va, je puis vous le dire: il va en enfer à coup sûr. -Where he comes, I do not know; but where he is going, I can tell you, he is going to hell for sure.

—Revenons à la promesse que vous vouliez exiger de moi, comtesse, dit Franz. "Let's get back to the promise you wanted to make of me, Countess," said Franz.

—Ah! c’est de rentrer directement à l’hôtel et de ne pas chercher ce soir à voir cet homme. it is to go directly to the hotel and not to look tonight to see this man. Il y a certaines affinités entre les personnes que l’on quitte et les personnes que l’on rejoint. There are certain affinities between the people we leave and the people we join. Ne servez pas de conducteur entre cet homme et moi. Do not use a driver between this man and me. Demain courez après lui si bon vous semble, mais ne me le présentez jamais, si vous ne voulez pas me faire mourir de peur. Tomorrow run after him if you like, but do not show it to me, if you do not want to kill me for fear. Sur ce, bonsoir, tâchez de dormir, moi, je sais bien qui ne dormira pas.» On that, good evening, try to sleep, me, I know who will not sleep. "

Et à ces mots la comtesse quitta Franz, le laissant indécis de savoir si elle s’était amusée à ses dépens ou si elle avait véritablement ressenti la crainte qu’elle avait exprimée. And at these words the Countess left Franz, leaving him undecided whether she had amused herself at her expense or whether she had really felt the fear she had expressed.

En rentrant à l’hôtel, Franz trouva Albert en robe de chambre, en pantalon à pied, voluptueusement étendu sur un fauteuil et fumant son cigare. On returning to the hotel, Franz found Albert in his dressing-gown, in his trousers, voluptuously lying on a chair and smoking his cigar.

«Ah! c’est vous! lui dit-il; ma foi, je ne vous attendais que demain. he said to him; Well, I was only waiting for you tomorrow.

—Mon cher Albert, répondit Franz, je suis heureux de trouver l’occasion de vous dire une fois pour toutes que vous avez la plus fausse idée des femmes italiennes; il me semble pourtant que vos mécomptes amoureux auraient dû vous la faire perdre. "My dear Albert," replied Franz, "I am glad to find the occasion to tell you once and for all that you have the most mistaken idea of ​​Italian women; it seems to me, however, that your disappointments in love ought to have made her lose you.

—Que voulez-vous! -What do you want! ces diablesses de femmes, c’est à n’y rien comprendre! these devils of women, it is to understand nothing! Elles vous donnent la main, elles vous la serrent; elles vous parlent tout bas, elles se font reconduire chez elles: avec le quart de ces manières de faire, une Parisienne se perdrait de réputation. They give you their hand, they shake it; they speak to you in a low voice, they are driven home: with a quarter of these ways of doing things, a Parisian woman would lose her reputation.

—Eh! “Hey! justement, c’est parce qu’elles n’ont rien à cacher, c’est parce qu’elles vivent au grand soleil, que les femmes y mettent si peu de façons dans le beau pays où résonne le si, comme dit Dante. it is because they have nothing to hide because they live in the bright sun, that women put so few ways in the beautiful country where the sound resounds, as Dante says. D’ailleurs, vous avez bien vu que la comtesse a eu véritablement peur. Besides, you have seen that the Countess was really frightened.

—Peur de quoi? de cet honnête monsieur qui était en face de nous avec cette jolie Grecque? of that honest gentleman who was in front of us with that pretty Greek woman? Mais j’ai voulu en avoir le cœur net quand ils sont sortis, et je les ai croisés dans le corridor. But I wanted to be clear when they came out, and I met them in the corridor. Je ne sais pas où diable vous avez pris toutes vos idées de l’autre monde! I do not know where on earth did you take all your ideas from the other world! C’est un fort beau garçon qui est fort bien mis, et qui a tout l’air de se faire habiller en France chez Blin ou chez Humann; un peu pâle, c’est vrai, mais vous savez que la pâleur est un cachet de distinction.» He is a very handsome boy, who is very well dressed, and who seems to be getting dressed in France at Blin's or at Humann's; a little pale, it's true, but you know that pallor is a hallmark of distinction. "

Franz sourit, Albert avait de grandes prétentions à être pâle. Franz smiled, Albert had great pretensions to be pale.

«Aussi, lui dit Franz, je suis convaincu que les idées de la comtesse sur cet homme n’ont pas le sens commun. "Also," said Franz, "I am convinced that the Countess's ideas of this man have no common sense. A-t-il parlé près de vous, et avez-vous entendu quelques-unes de ses paroles? Did he speak to you, and did you hear some of his words?

—Il a parlé, mais en romaïque. -He spoke, but in Romanic. J’ai reconnu l’idiome à quelques mots grecs défigurés. I recognized the idiom to some disfigured Greek words. Il faut vous dire, mon cher, qu’au collège j’étais très fort en grec. I must tell you, my dear, that at school I was very good in Greek.

—Ainsi il parlait le romaïque? -This is how he spoke Roman?

—C’est probable.

—Plus de doute, murmura Franz, c’est lui. “No more doubt,” Franz whispered, “it's him.

—Vous dites?...

—Rien. Que faisiez-vous donc là? What were you doing there?

—Je vous ménageais une surprise. - I spared you a surprise.

—Laquelle?

—Vous savez qu’il est impossible de se procurer une calèche? "Do you know that it is impossible to get a carriage?"

—Pardieu! “Goodbye! puisque nous avons fait inutilement tout ce qu’il était humainement possible de faire pour cela. since we needlessly did everything humanly possible to do for it.

—Eh bien, j’ai eu une idée merveilleuse.»

Franz regarda Albert en homme qui n’avait pas grande confiance dans son imagination. Franz looked at Albert as a man who did not have much confidence in his imagination.

«Mon cher, dit Albert, vous m’honorez là d’un regard qui mériterait bien que je vous demandasse réparation. "My dear fellow," said Albert, "you honor me with a glance which would deserve that I should ask you for reparation.

—Je suis prêt à vous la faire, cher ami, si l’idée est aussi ingénieuse que vous le dites. "I am ready to make it to you, dear friend, if the idea is as ingenious as you say it.

—Écoutez.

—J’écoute.

—Il n’y a pas moyen de se procurer de voiture n’est-ce pas? - There is no way to get a car is not it?

—Non.

—Ni de chevaux?

—Pas davantage. -No more.

—Mais l’on peut se procurer une charrette? "But can we get a cart?"

—Peut-être.

—Une paire de bœufs? “A pair of oxen?

—C’est probable. -It's possible.

—Eh bien, mon cher! “Well, my dear! voilà notre affaire. this is our business. Je vais faire décorer la charrette, nous nous habillons en moissonneurs napolitains, et nous représentons au naturel le magnifique tableau de Léopold Robert. I am going to have the cart decorated, we are dressed as Neapolitan reapers, and we represent Leopold Robert's magnificent painting. Si pour plus grande ressemblance, la comtesse veut prendre le costume d’une femme de Pouzzole ou de Sorrente, cela complétera la mascarade, et elle est assez belle pour qu’on la prenne pour l’original de la Femme à l’Enfant. If, for greater resemblance, the Countess wants to take the costume of a woman from Pozzuoli or Sorrento, that will complete the masquerade, and she is beautiful enough to be taken for the original Woman with Child.

—Pardieu! s’écria Franz, pour cette fois vous avez raison, monsieur Albert, et voilà une idée véritablement heureuse. exclaimed Franz, "this time you are right, Monsieur Albert, and here is a truly happy idea."

—Et toute nationale, renouvelée des rois fainéants, mon cher, rien que cela! -And all national, renewed lazy kings, my dear, just that! Ah! messieurs les Romains, vous croyez qu’on courra à pied par vos rues comme des lazzaroni, et cela parce que vous manquez de calèches et de chevaux; eh bien! Gentlemen the Romans, you believe that we will run on foot like lazzaroni on your streets, and that because you are short of carriages and horses; well! on en inventera. we will invent some.

—Et avez-vous déjà fait part à quelqu’un de cette triomphante imagination? "And have you ever told anyone of this triumphant imagination?

—À notre hôte. “To our host. En rentrant, je l’ai fait monter et lui ai exposé mes désirs. When I returned, I had him come up and explained to him my desires. Il m’a assuré que rien n’était plus facile; je voulais faire dorer les cornes des bœufs, mais il m’a dit que cela demandait trois jours: il faudra donc nous passer de cette superfluité. He assured me that nothing was easier; I wanted to brown the horns of the oxen, but he told me that it took three days: we will have to do without this superfluity.

—Et où est-il?

—Qui?

—Notre hôte?

—En quête de la chose. -In search of the thing. Demain il serait déjà peut-être un peu tard. Tomorrow it might already be a little late.

—De sorte qu’il va nous rendre réponse ce soir même? -So he will answer us tonight?

—Je l’attends.» -I'm waiting for him."

En ce moment la porte s’ouvrit, et maître Pastrini passa la tête. At this moment the door opened, and Master Pastrini passed his head.

« Permesso ? dit-il.

—Certainement que c’est permis! - Certainly it's allowed! s’écria Franz.

—Eh bien, dit Albert, nous avez-vous trouvé la charrette requise et les bœufs demandés? -Well," said Albert, "have you found us the cart and oxen we need?

—J’ai trouvé mieux que cela, répondit-il d’un air parfaitement satisfait de lui-même. "I've found better than that," he answered, looking perfectly satisfied with himself.

—Ah! mon cher hôte, prenez garde, dit Albert, le mieux est l’ennemi du bien. my dear host, take care, "said Albert," the best is the enemy of good.

—Que Vos Excellences s’en rapportent à moi, dit maître Pastrini d’un ton capable. "May your Excellencies relate to me," said Master Pastrini, in a capable tone.

—Mais enfin qu’y a-t-il? -But finally, what is it? demanda Franz à son tour. Franz asked in his turn.

—Vous savez dit l’aubergiste, que le comte de Monte-Cristo habite sur le même carré que vous? "You know," said the innkeeper, "that Count Monte Cristo lives on the same square as you?

—Je le crois bien, dit Albert, puisque c’est grâce à lui que nous sommes logés comme deux étudiants de la rue Saint-Nicolas-du-Chardonnet. "I think so," said Albert, "because it is thanks to him that we are lodged like two students in the Rue Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

—Eh bien, il sait l’embarras dans lequel vous vous trouvez, et vous fait offrir deux places dans sa voiture et deux places à ses fenêtres du palais Rospoli.» "Well, he knows how embarrassed you are, and offers you two seats in his car and two seats at his windows in Rospoli Palace."

Albert et Franz se regardèrent. Albert and Franz looked at each other.

«Mais, demanda Albert, devons-nous accepter l’offre de cet étranger, d’un homme que nous ne connaissons pas? "But," asked Albert, "must we accept the offer of this stranger, a man we do not know?

—Quel homme est-ce que ce comte de Monte-Cristo? "What man is this Count de Monte-Cristo?" demanda Franz à son hôte.

—Un très grand seigneur sicilien ou maltais, je ne sais pas au juste, mais noble comme un Borghèse et riche comme une mine d’or. -A very great Sicilian or Maltese lord, I do not know exactly, but noble as a Borghese and rich as a gold mine.

—Il me semble, dit Franz à Albert, que, si cet homme était d’aussi bonnes manières que le dit notre hôte, il aurait dû nous faire parvenir son invitation d’une autre façon, soit en nous écrivant, soit.... "It seems to me," said Franz to Albert, "that if this man were as good manners as our host said, he should have sent us his invitation in another way, either by writing to us or by ... .

En ce moment on frappa à la porte. At this moment there was a knock on the door.

«Entrez», dit Franz. “Come in,” Franz said.

Un domestique, vêtu d’une livrée parfaitement élégante, parut sur le seuil de la chambre. A servant, dressed in a perfectly elegant livery, appeared on the threshold of the room.

«De la part du comte de Monte-Cristo, pour M. Franz d’Épinay et pour M. le vicomte Albert de Morcerf», dit-il. "On behalf of the Count of Monte Cristo, for M. Franz d'Epinay, and for the Vicomte Albert de Morcerf," he said.

Et il présenta à l’hôte deux cartes, que celui-ci remit aux jeunes gens. And he presented to the host two cards, which he gave to the young men.

«M. le comte de Monte-Cristo, continua le domestique, fait demander à ces messieurs la permission de se présenter en voisin demain matin chez eux; il aura l’honneur de s’informer auprès de ces messieurs à quelle heure ils seront visibles. the Count of Monte Cristo, "continued the servant," asks these gentlemen to be allowed to appear as a neighbor tomorrow morning at their house; he will have the honor to inquire of these gentlemen at what time they will be visible.

—Ma foi, dit Albert à Franz, il n’y a rien à y reprendre, tout y est. "Faith," said Albert to Franz, "there is nothing to take back, everything is there.

—Dites au comte, répondit Franz, que c’est nous qui aurons l’honneur de lui faire notre visite. "Tell the count," replied Franz, "that we shall have the honor of paying him our visit.

Le domestique se retira. The servant withdrew.

«Voilà ce qui s’appelle faire assaut d’élégance, dit Albert; allons, décidément vous aviez raison, maître Pastrini, et c’est un homme tout à fait comme il faut que votre comte de Monte-Cristo. "This is what is called an assault of elegance," said Albert; Come on, you were right, Master Pastrini, and he is a man quite like your Count of Monte Cristo.

—Alors vous acceptez son offre? dit l’hôte.

—Ma foi, oui, répondit Albert. Cependant, je vous l’avoue, je regrette notre charrette et les moissonneurs; et, s’il n’y avait pas la fenêtre du palais Rospoli pour faire compensation à ce que nous perdons, je crois que j’en reviendrais à ma première idée: qu’en dites-vous, Franz? However, I confess to you, I regret our cart and the reapers; and if there was not the window of the Rospoli palace to compensate for what we are losing, I think I would come back to my first idea: what do you say, Franz?

—Je dis que ce sont aussi les fenêtres du palais Rospoli qui me décident», répondit Franz à Albert. "I say that it is also the windows of the Rospoli palace that decide me," Franz replied to Albert.

En effet, cette offre de deux places à une fenêtre du palais Rospoli avait rappelé à Franz la conversation qu’il avait entendue dans les ruines du Colisée entre son inconnu et son Transtévère, conversation dans laquelle l’engagement avait été pris par l’homme au manteau d’obtenir la grâce du condamné. Indeed, this offer of two places to a window of the palace Rospoli had reminded Franz of the conversation he had heard in the ruins of the Colosseum between his stranger and his Trastevere, a conversation in which the engagement had been made by the man to the mantle to obtain the grace of the condemned. Or, si l’homme au manteau était, comme tout portait Franz à le croire, le même que celui dont l’apparition dans la salle Argentina l’avait si fort préoccupé, il le reconnaîtrait sans aucun doute, et alors rien ne l’empêcherait de satisfaire sa curiosité à son égard. Now, if the man in the cloak was, as Franz always believed, the same one whose appearance in the Argentina room had so preoccupied him, he would certainly recognize him, and then nothing would prevent his curiosity from being satisfied.

Franz passa une partie de la nuit à rêver à ses deux apparitions et à désirer le lendemain. Franz spent part of the night dreaming about his two appearances and wanting the next day. En effet, le lendemain tout devait s’éclaircir; et cette fois, à moins que son hôte de Monte-Cristo ne possédât l’anneau de Gygès et, grâce à cet anneau, la faculté de se rendre invisible, il était évident qu’il ne lui échapperait pas. Indeed, the next day everything had to clear; and this time, unless his host of Monte Cristo possessed the ring of Gyges and, thanks to this ring, the faculty of making himself invisible, it was evident that he would not escape him. Aussi fut-il éveillé avant huit heures. So he was awake before eight o'clock.

Quant à Albert, comme il n’avait pas les mêmes motifs que Franz d’être matinal, il dormait encore de son mieux. As for Albert, as he did not have the same motives as Franz to be early, he was still sleeping as best he could.

Franz fit appeler son hôte, qui se présenta avec son obséquiosité ordinaire. Franz summoned his guest, who presented himself with his usual obsequiousness.

«Maître Pastrini, lui dit-il, ne doit-il pas y avoir aujourd’hui une exécution? "Master Pastrini," said he, "must there not be an execution today?

—Oui, Excellence; mais si vous me demandez cela pour avoir une fenêtre, vous vous y prenez bien tard. Yes, Excellency; but if you ask me to have a window, you'll be late.

—Non, reprit Franz; d’ailleurs, si je tenais absolument à voir ce spectacle, je trouverais place, je pense, sur le mont Pincio. "No," said Franz; besides, if I absolutely wanted to see this show, I would find place, I think, on Mount Pincio.

—Oh! je présumais que Votre Excellence ne voudrait pas se compromettre avec toute la canaille, dont c’est en quelque sorte l’amphithéâtre naturel. I presumed that your Excellency would not compromise with all the rabble, of which it is in a way the natural amphitheater.

—Il est probable que je n’irai pas, dit Franz; mais je désirerais avoir quelques détails. "It is probable that I will not go," said Franz; but I would like to have some details.

—Lesquels?

—Je voudrais savoir le nombre des condamnés, leurs noms et le genre de leur supplice. -I would like to know the number of the convicts, their names and the kind of their torture.

—Cela tombe à merveille, Excellence! "It falls perfectly, Excellency! on vient justement de m’apporter les  tavolette . they just brought me the tavolette.

—Qu’est-ce que les  tavolette ? -What are tavolette?

—Les  tavolette  sont des tablettes en bois que l’on accroche à tous les coins de rue la veille des exécutions, et sur lesquelles on colle les noms des condamnés, la cause de leur condamnation et le mode de leur supplice. The tavolettes are wooden tablets which are attached to every street corner on the eve of executions, and on which the names of the condemned are stamped, the cause of their condemnation, and the mode of their execution. Cet avis a pour but d’inviter les fidèles à prier Dieu de donner aux coupables un repentir sincère. The purpose of this notice is to invite the faithful to pray to God to give the guilty ones sincere repentance.

—Et l’on vous apporte ces  tavolette  pour que vous joigniez vos prières à celles des fidèles? -And you are brought these tavolette so that you join your prayers to those of the faithful? demanda Franz d’un air de doute. Franz asked doubtfully.

—Non, Excellence; je me suis entendu avec le colleur, et il m’apporte cela comme il m’apporte les affiches de spectacles, afin que si quelques-uns de mes voyageurs désirent assister à l’exécution, ils soient prévenus. "No, Excellency; I have agreed with the stickler, and he brings me this as he brings me the posters of spectacles, so that if some of my travelers wish to attend the execution, they are warned.

—Ah! mais c’est une attention tout à fait délicate! but it's a very delicate attention! s’écria Franz.

—Oh! dit maître Pastrini en souriant, je puis me vanter de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire les nobles étrangers qui m’honorent de leur confiance. "said Master Pastrini, smiling," I can boast of doing all I can to satisfy the noble foreigners who honor me with their confidence.

—C’est ce que je vois, mon hôte! "That's what I see, my host! et c’est ce que je répéterai à qui voudra l’entendre, soyez en bien certain. and that's what I'll say to anyone who wants to hear it, be sure. En attendant, je désirerais lire une de ces  tavolette . In the meantime, I would like to read one of these tavolettes.

—C’est bien facile, dit l’hôte en ouvrant la porte j’en ai fait mettre une sur le carré.» "It's easy," said the host, as he opened the door, "I put one on the square."

Il sortit, détacha la  tavoletta , et la présenta à Franz. He went out, untied the tavoletta, and presented it to Franz.

Voici la traduction littérale de l’affiche patibulaire: Here is the literal translation of the poster patibulaire:

«On fait savoir à tous que le mardi 22 février, premier jour de carnaval, seront, par arrêt du tribunal de la Rota, exécutés, sur la place del Popolo le nommé Andrea Rondolo, coupable d’assassinat sur la personne très respectable et très vénérée de don César Terlini, chanoine de l’église de Saint-Jean de Latran, et le nommé Peppino, dit  Rocca Priori , convaincu de complicité avec le détestable bandit Luigi Vampa et les hommes de sa troupe. "It is known to everyone that Tuesday, February 22, the first day of carnival, will be, by judgment of the court of the Rota, executed, on the Piazza del Popolo the named Andrea Rondolo, guilty of assassination on the person very respectable and very venerated by Don Caesar Terlini, Canon of the Church of St. John Lateran, and the Peppino, called Rocca Priori, convinced of complicity with the detestable bandit Luigi Vampa and the men of his company.

«Le premier sera  mazzolato . "The first will be mazzolato.

«Et le second  decapitato .

«Les âmes charitables sont priées de demander à Dieu un repentir sincère pour ces deux malheureux condamnés.» "Charitable souls are asked to ask God for a sincere repentance for these two unfortunate convicts."

C’était bien ce que Franz avait entendu la surveille, dans les ruines du Colisée, et rien n’était changé au programme: les noms des condamnés, la cause de leur supplice et le genre de leur exécution étaient exactement les mêmes. This was indeed what Franz had heard in the ruins of the Colosseum, and nothing was changed in the program: the names of the condemned, the cause of their execution, and the kind of execution were exactly the same.

Ainsi, selon toute probabilité, le Transtévère n’était autre que le bandit Luigi Vampa, et l’homme au manteau Simbad le marin, qui, à Rome comme à Porto-Vecchio, et à Tunis, poursuivait le cours de ses philanthropiques expéditions. Thus, in all probability, the Trastevere was none other than the bandit Luigi Vampa, and the man with the coat Simbad the sailor, who, in Rome as in Porto-Vecchio, and in Tunis, continued the course of his philanthropic expeditions.

Cependant le temps s’écoulait, il était neuf heures, et Franz allait réveiller Albert, lorsque à son grand étonnement il le vit sortir tout habillé de sa chambre. Meanwhile time was running out, it was nine o'clock, and Franz was about to wake Albert, when, to his great astonishment, he saw him come out of his room. Le carnaval lui avait trotté par la tête, et l’avait éveillé plus matin que son ami ne l’espérait. The carnival had trotted her by the head, and had awakened her more morning than her friend had hoped.

«Eh bien, dit Franz à son hôte, maintenant que nous voilà prêts tous deux, croyez-vous, mon cher monsieur Pastrini, que nous puissions nous présenter chez le comte de Monte-Cristo? "Well," said Franz to his guest, "now that we are both ready, do you believe, my dear Monsieur Pastrini, that we can go to the Count of Monte Cristo?"

—Oh! bien certainement! répondit-il; le comte de Monte-Cristo a l’habitude d’être très matinal, et je suis sûr qu’il y a plus de deux heures déjà qu’il est levé. He replied; the Count of Monte Cristo has a habit of being very early, and I am sure that he has been raised for more than two hours now.

—Et vous croyez qu’il n’y a pas d’indiscrétion à se présenter chez lui maintenant? "And do you think there is no indiscretion to come to his house now?

—Aucune.

—En ce cas, Albert, si vous êtes prêt....

—Entièrement prêt, dit Albert.

—Allons remercier notre voisin de sa courtoisie.

—Allons!

Franz et Albert n’avaient que le carré à traverser, l’aubergiste les devança et sonna pour eux; un domestique vint ouvrir. Franz and Albert had only the square to cross, the innkeeper got ahead of them and rang for them; a servant came to open the door.

« I Signori Francesi », dit l’hôte. "I Signori Francesi," says the host.

Le domestique s’inclina et leur fit signe d’entrer.

Ils traversèrent deux pièces meublées avec un luxe, qu’ils ne croyaient pas trouver dans l’hôtel de maître Pastrini, et ils arrivèrent enfin dans un salon d’une élégance parfaite. Un tapis de Turquie était tendu sur le parquet, et les meubles les plus confortables offraient leurs coussins rebondis et leurs dossiers renversés. A Turkish carpet was stretched on the floor, and the most comfortable furniture offered their bouncy cushions and their inverted backs. De magnifiques tableaux de maîtres, entremêlés de trophées d’armes splendides, étaient suspendus aux murailles, et de grandes portières de tapisserie flottaient devant les portes. Magnificent pictures of masters, intertwined with splendid trophies of arms, were hanging on the walls, and large doors of tapestry floated in front of the doors.

«Si Leurs Excellences veulent s’asseoir, dit le domestique, je vais prévenir M. le comte.» "If Their Excellencies want to sit down," said the servant, "I will warn the Count."

Et il disparut par une des portes. And he disappeared through one of the doors.

Au moment où cette porte s’ouvrit, le son d’une  guzla  arriva jusqu’aux deux amis, mais s’éteignit aussitôt: la porte, refermée presque en même temps qu’ouverte, n’avait pour ainsi dire laissé pénétrer dans le salon qu’une bouffée d’harmonie. At the moment when this door opened, the sound of a guzla reached the two friends, but was extinguished at once: the door, closed almost at the same time as open, had, so to speak, only lounge a breath of harmony.

Franz et Albert échangèrent un regard et reportèrent les yeux sur les meubles, sur les tableaux et sur les armes. Franz and Albert exchanged a glance and looked at the furniture, the pictures and the weapons. Tout cela, à la seconde vue, leur parut encore plus magnifique qu’à la première.

«Eh bien, demanda Franz à son ami, que dites-vous de cela?

—Ma foi, mon cher, je dis qu’il faut que notre voisin soit quelque agent de change qui a joué à la baisse sur les fonds espagnols, ou quelque prince qui voyage incognito. "Faith, my dear fellow, I say that our neighbor must be some agent of exchange, who has played down on the Spanish funds, or some prince who travels incognito.

—Chut! lui dit Franz; c’est ce que nous allons savoir, car le voilà.» Franz told him; that's what we'll know, because here it is. "

En effet, le bruit d’une porte tournant sur ses gonds venait d’arriver jusqu’aux visiteurs; et presque aussitôt la tapisserie, se soulevant, donna passage au propriétaire de toutes ces richesses. In fact, the sound of a door turning on its hinges had just reached the visitors; and almost immediately the tapestry, rising, gave passage to the owner of all these riches.

Albert s’avança au-devant de lui, mais Franz resta cloué à sa place. Albert stepped forward to meet him, but Franz remained stuck in his place.

Celui qui venait d’entrer n’était autre que l’homme au manteau du Colisée, l’inconnu de la loge, l’hôte mystérieux de Monte-Cristo. The one who had just entered was none other than the man in the cloak of the Coliseum, the unknown of the lodge, the mysterious host of Monte Cristo.