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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 2, 33-1. Bandits romains

33-1. Bandits romains

Bandits romains, part 1.

Le lendemain, Franz se réveilla le premier, et aussitôt réveillé, sonna.

Le tintement de la clochette vibrait encore, lorsque maître Pastrini entra en personne.

«Eh bien, dit l'hôte triomphant, et sans même attendre que Franz l'interrogeât, je m'en doutais bien hier, Excellence, quand je ne voulais rien vous promettre; vous vous y êtes pris trop tard, et il n'y a plus une seule calèche à Rome: pour les trois derniers jours, s'entend.

—Oui, reprit Franz, c'est-à-dire pour ceux où elle est absolument nécessaire.

—Qu'y a-t-il? demanda Albert en entrant, pas de calèche?

—Justement, mon cher ami, répondit Franz, et vous avez deviné du premier coup.

—Eh bien, voilà une jolie ville que votre ville éternelle!

—C'est-à-dire, Excellence reprit maître Pastrini, qui désirait maintenir la capitale du monde chrétien dans une certaine dignité à l'égard de ses voyageurs, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de calèche à partir de dimanche matin jusqu'à mardi soir, mais d'ici là vous en trouverez cinquante si vous voulez.

—Ah! c'est déjà quelque chose, dit Albert; nous sommes aujourd'hui jeudi; qui sait, d'ici à dimanche, ce qui peut arriver?

—Il arrivera dix à douze mille voyageurs, répondit Franz, lesquels rendront la difficulté plus grande encore.

—Mon ami, dit Morcerf, jouissons du présent et n'assombrissons pas l'avenir.

—Au moins, demanda Franz, nous pourrons avoir une fenêtre?

—Sur quoi?

—Sur la rue du Cours, parbleu!

—Ah! bien oui, une fenêtre! s'exclama maître Pastrini; impossible; de toute impossibilité! Il en restait une au cinquième étage du palais Doria, et elle a été louée à un prince russe pour vingt sequins par jour.»

Les deux jeunes gens se regardaient d'un air stupéfait.

«Eh bien, mon cher, dit Franz à Albert, savez-vous ce qu'il y a de mieux à faire? c'est de nous en aller passer le carnaval à Venise; au moins là, si nous ne trouvons pas de voiture, nous trouverons des gondoles.

—Ah! ma foi non! s'écria Albert, j'ai décidé que je verrais le carnaval à Rome, et je l'y verrai, fût-ce sur des échasses.

—Tiens! s'écria Franz, c'est une idée triomphante, surtout pour éteindre les moccoletti, nous nous déguiserons en polichinelles vampires ou en habitants des Landes, et nous aurons un succès fou.

—Leurs Excellences désirent-elles toujours une voiture jusqu'à dimanche?

—Parbleu! dit Albert, est-ce que vous croyez que nous allons courir les rues de Rome à pied, comme des clercs d'huissier?

—Je vais m'empresser d'exécuter les ordres de Leurs Excellences, dit maître Pastrini: seulement je les préviens que la voiture leur coûtera six piastres par jour.

—Et moi, mon cher monsieur Pastrini, dit Franz, moi qui ne suis pas notre voisin le millionnaire, je vous préviens à mon tour, qu'attendu que c'est la quatrième fois que je viens à Rome, je sais le prix des calèches, jours ordinaires, dimanches et fêtes. Nous vous donnerons douze piastres pour aujourd'hui, demain et après-demain, et vous aurez encore un fort joli bénéfice.

—Cependant, Excellence!... dit maître Pastrini, essayant de se rebeller.

—Allez, mon cher hôte, allez, dit Franz, ou je vais moi-même faire mon prix avec votre affettatore , qui est le mien aussi, c'est un vieil ami à moi, qui m'a déjà pas mal volé d'argent dans sa vie, et qui, dans l'espérance de m'en voler encore, en passera par un prix moindre que celui que je vous offre: vous perdrez donc la différence et ce sera votre faute.

—Ne prenez pas cette peine, Excellence, dit maître Pastrini, avec ce sourire du spéculateur italien qui s'avoue vaincu, je ferai de mon mieux, et j'espère que vous serez content.

—À merveille! voilà ce qui s'appelle parler. Quand voulez-vous la voiture?

—Dans une heure.

—Dans une heure elle sera à la porte.»

Une heure après, effectivement, la voiture attendait les deux jeunes gens: c'était un modeste fiacre que, vu la solennité de la circonstance, on avait élevé au rang de calèche; mais, quelque médiocre apparence qu'il eût, les deux jeunes gens se fussent trouvés bien heureux d'avoir un pareil véhicule pour les trois derniers jours.

«Excellence! cria le cicérone en voyant Franz mettre le nez à la fenêtre, faut-il faire approcher le carrosse du palais?»

Si habitué que fût Franz à l'emphase italienne, son premier mouvement fut de regarder autour de lui mais c'était bien à lui-même que ces paroles s'adressaient.

Franz était l'Excellence; le carrosse, c'était le fiacre; le palais, c'était l'hôtel de Londres.

Tout le génie laudatif de la nation était dans cette seule phrase.

Franz et Albert descendirent. Le carrosse s'approcha du palais. Leurs Excellences allongèrent leurs jambes sur les banquettes, le cicérone sauta sur le siège de derrière.

«Où Leurs Excellences veulent-elles qu'on les conduise?

—Mais, à Saint-Pierre d'abord, et au Colisée ensuite», dit Albert en véritable Parisien.

Mais Albert ne savait pas une chose: c'est qu'il faut un jour pour voir Saint-Pierre, et un mois pour l'étudier: la journée se passa donc rien qu'à voir Saint-Pierre.

Tout à coup, les deux amis s'aperçurent que le jour baissait.

Franz tira sa montre, il était quatre heures et demie.

On reprit aussitôt le chemin de l'hôtel. À la porte, Franz donna l'ordre au cocher de se tenir prêt à huit heures. Il voulait faire voir à Albert le Colisée au clair de lune, comme il lui avait fait voir Saint-Pierre au grand jour. Lorsqu'on fait voir à un ami une ville qu'on a déjà vue, on y met la même coquetterie qu'à montrer une femme dont on a été l'amant.

En conséquence, Franz traça au cocher son itinéraire; il devait sortir par la porte del Popolo, longer la muraille extérieure et rentrer par la porte San-Giovanni. Ainsi le Colisée leur apparaissait sans préparation aucune, et sans que le Capitole, le Forum, l'arc de Septime Sévère, le temple d'Antonin et Faustine et la Via Sacra eussent servi de degrés placés sur sa route pour le rapetisser.

On se mit à table: maître Pastrini avait promis à ses hôtes un festin excellent; il leur donna un dîner passable: il n'y avait rien à dire.

À la fin du dîner, il entra lui-même: Franz crut d'abord que c'était pour recevoir ses compliments et s'apprêtait à les lui faire, lorsqu'aux premiers mots il l'interrompit:

«Excellence, dit-il, je suis flatté de votre approbation; mais ce n'était pas pour cela que j'étais monté chez vous....

—Était-ce pour nous dire que vous aviez trouvé une voiture? demanda Albert en allumant son cigare.

—Encore moins, et même, Excellence, vous ferez bien de n'y plus penser et d'en prendre votre parti. À Rome, les choses se peuvent ou ne se peuvent pas. Quand on vous a dit qu'elles ne se pouvaient pas, c'est fini.

—À Paris, c'est bien plus commode: quand cela ne se peut pas, on paie le double et l'on a à l'instant même ce que l'on demande.

—J'entends dire cela à tous les Français, dit maître Pastrini un peu piqué, ce qui fait que je ne comprends pas comment ils voyagent.

—Mais aussi, dit Albert en poussant flegmatiquement sa fumée au plafond et en se renversant balancé sur les deux pieds de derrière de son fauteuil, ce sont les fous et les niais comme nous qui voyagent; les gens sensés ne quittent pas leur hôtel de la rue du Helder, le boulevard de Gand et le café de Paris.»

Il va sans dire qu'Albert demeurait dans la rue susdite, faisait tous les jours sa promenade fashionable, et dînait quotidiennement dans le seul café où l'on dîne, quand toutefois on est en bons termes avec les garçons.

Maître Pastrini resta un instant silencieux, il était évident qu'il méditait la réponse, qui sans doute ne lui paraissait pas parfaitement claire.

«Mais enfin, dit Franz à son tour, interrompant les réflexions géographiques de son hôte, vous étiez venu dans un but quelconque; voulez-vous nous exposer l'objet de votre visite?

—Ah! c'est juste; le voici: vous avez commandé la calèche pour huit heures?

—Parfaitement.

—Vous avez l'intention de visiter il Colosseo?

—C'est-à-dire le Colisée?

—C'est exactement la même chose.

—Soit.

—Vous avez dit à votre cocher de sortir par la porte del Popolo, de faire le tour des murs et de rentrer par la porte San-Giovanni?

—Ce sont mes propres paroles.

—Eh bien, cet itinéraire est impossible.

—Impossible!

—Ou du moins fort dangereux.

—Dangereux! et pourquoi?

—À cause du fameux Luigi Vampa.

—D'abord, mon cher hôte, qu'est-ce que le fameux Luigi Vampa? demanda Albert; il peut être très fameux à Rome, mais je vous préviens qu'il est ignoré à Paris.

—Comment! vous ne le connaissez pas?

—Je n'ai pas cet honneur.

—Vous n'avez jamais entendu prononcer son nom?

—Jamais.

—Eh bien, c'est un bandit auprès duquel les Deseraris et les Gasparone sont des espèces d'enfants de chœur.

—Attention, Albert! s'écria Franz, voilà donc enfin un bandit!

—Je vous préviens, mon cher hôte, que je ne croirai pas un mot de ce que vous allez nous dire. Ce point arrêté entre nous, parlez tant que vous voudrez, je vous écoute. «Il y avait une fois...» Eh bien, allez donc!»

Maître Pastrini se retourna du côté de Franz, qui lui paraissait le plus raisonnable des deux jeunes gens. Il faut rendre justice au brave homme: il avait logé bien des Français dans sa vie, mais jamais il n'avait compris certain côté de leur esprit.

«Excellence, dit-il fort gravement, s'adressant, comme nous l'avons dit, à Franz, si vous me regardez comme un menteur, il est inutile que je vous dise ce que je voulais vous dire; je puis cependant vous affirmer que c'était dans l'intérêt de Vos Excellences.

—Albert ne vous dit pas que vous êtes un menteur, mon cher monsieur Pastrini, reprit Franz, il vous dit qu'il ne vous croira pas, voilà tout. Mais, moi, je vous croirai, soyez tranquille; parlez donc.

—Cependant, Excellence, vous comprenez bien que si l'on met en doute ma véracité...

—Mon cher, reprit Franz, vous êtes plus susceptible que Cassandre, qui cependant était prophétesse, et que personne n'écoutait; tandis que vous, au moins, vous êtes sûr de la moitié de votre auditoire. Voyons, asseyez-vous, et dites-nous ce que c'est que M. Vampa.

—Je vous l'ai dit, Excellence, c'est un bandit, comme nous n'en avons pas encore vu depuis le fameux Mastrilla.

—Eh bien, quel rapport a ce bandit avec l'ordre que j'ai donné à mon cocher de sortir par la porte del Popolo et de rentrer par la porte San-Giovanni?

—Il y a, répondit maître Pastrini, que vous pourrez bien sortir par l'une, mais que je doute que vous rentriez par l'autre.

—Pourquoi cela? demanda Franz.

—Parce que, la nuit venue, on n'est plus en sûreté à cinquante pas des portes.

—D'honneur? s'écria Albert.

—Monsieur le vicomte, dit maître Pastrini, toujours blessé jusqu'au fond du cœur du doute émis par Albert sur sa véracité, ce que je dis n'est pas pour vous, c'est pour votre compagnon de voyage, qui connaît Rome, lui, et qui sait qu'on ne badine pas avec ces choses-là.

—Mon cher, dit Albert s'adressant à Franz, voici une aventure admirable toute trouvée: nous bourrons notre calèche de pistolets, de tromblons et de fusils à deux coups. Luigi Vampa vient pour nous arrêter, nous l'arrêtons. Nous le ramenons à Rome; nous en faisons hommage à Sa Sainteté, qui nous demande ce qu'elle peut faire pour reconnaître un si grand service. Alors nous réclamons purement et simplement un carrosse et deux chevaux de ses écuries, et nous voyons le carnaval en voiture; sans compter que probablement le peuple romain, reconnaissant, nous couronne au Capitole et nous proclame, comme Curtius et Horatius Coclès, les sauveurs de la patrie.»

Pendant qu'Albert déduisait cette proposition, maître Pastrini faisait une figure qu'on essayerait vainement de décrire.

«Et d'abord, demanda Franz à Albert, où prendrez-vous ces pistolets, ces tromblons, ces fusils à deux coups dont vous voulez farcir votre voiture?

—Le fait est que ce ne sera pas dans mon arsenal, dit-il, car à la Terracine, on m'a pris jusqu'à mon couteau poignard; et à vous?

—À moi, on m'en a fait autant à Aqua-Pendente.

—Ah çà! mon cher hôte, dit Albert en allumant son second cigare au reste de son premier, savez-vous que c'est très commode pour les voleurs cette mesure-là, et qu'elle m'a tout l'air d'avoir été prise de compte à demi avec eux?»

Sans doute maître Pastrini trouva la plaisanterie compromettante, car il n'y répondit qu'à moitié et encore en adressant la parole à Franz, comme au seul être raisonnable avec lequel il pût convenablement s'entendre.

«Son Excellence sait que ce n'est pas l'habitude de se défendre quand on est attaqué par des bandits.

—Comment! s'écria Albert, dont le courage se révoltait à l'idée de se laisser dévaliser sans rien dire; comment! ce n'est pas l'habitude?

—Non, car toute défense serait inutile. Que voulez-vous faire contre une douzaine de bandits qui sortent d'un fossé, d'une masure ou d'un aqueduc, et qui vous couchent en joue tous à la fois?

—Eh sacrebleu! je veux me faire tuer!» s'écria Albert.

L'aubergiste se tourna vers Franz d'un air qui voulait dire: Décidément, Excellence, votre camarade est fou.

«Mon cher Albert, reprit Franz, votre réponse est sublime, et vaut le Qu'il mourût du vieux Corneille: seulement, quand Horace répondait cela, il s'agissait du salut de Rome, et la chose en valait la peine. Mais quant à nous, remarquez qu'il s'agit simplement d'un caprice à satisfaire, et qu'il serait ridicule, pour un caprice, de risquer notre vie.

—Ah! per Bacco ! s'écria maître Pastrini, à la bonne heure, voilà ce qui s'appelle parler.»

Albert se versa un verre de lacryma Christi , qu'il but à petits coups, en grommelant des paroles inintelligibles.

«Eh bien, maître Pastrini, reprit Franz, maintenant que voilà mon compagnon calmé, et que vous avez pu apprécier mes dispositions pacifiques, maintenant, voyons qu'est-ce que le seigneur Luigi Vampa? Est-il berger ou patricien? est-il jeune ou vieux? est-il petit ou grand? Dépeignez-nous le, afin que si nous le rencontrions par hasard dans le monde, comme Jean Sbogar ou Lara, nous puissions au moins le reconnaître.

—Vous ne pouvez pas mieux vous adresser qu'à moi, Excellence, pour avoir des détails exacts, car j'ai connu Luigi Vampa tout enfant; et, un jour que j'étais tombé moi-même entre ses mains, en allant de Ferentino à Alatri, il se souvint, heureusement pour moi, de notre ancienne connaissance; il me laissa aller, non seulement sans me faire payer de rançon, mais encore après m'avoir fait cadeau d'une fort belle montre et m'avoir raconté son histoire.

—Voyons la montre», dit Albert.

Maître Pastrini tira de son gousset une magnifique Breguet portant le nom de son auteur, le timbre de Paris et une couronne de comte.

«Voilà, dit-il.

—Peste! fit Albert je vous en fais mon compliment; j'ai la pareille à peu près—il tira sa montre de la poche de son gilet—et elle m'a coûté trois mille francs.

—Voyons l'histoire, dit Franz à son tour, en tirant un fauteuil et en faisant signe à maître Pastrini de s'asseoir.

—Leurs Excellences permettent? dit l'hôte.

—Pardieu! dit Albert, vous n'êtes pas un prédicateur, mon cher, pour parler debout.»

L'hôtelier s'assit, après avoir fait à chacun de ses futurs auditeurs un salut respectueux, lequel avait pour but d'indiquer qu'il était prêt à leur donner sur Luigi Vampa les renseignements qu'ils demandaient.

«Ah çà, fit Franz, arrêtant maître Pastrini au moment où il ouvrait la bouche, vous dites que vous avez connu Luigi Vampa tout enfant; c'est donc encore un jeune homme?

—Comment, un jeune homme! je crois bien; il a vingt-deux ans à peine! Oh! c'est un gaillard qui ira loin, soyez tranquille!

—Que dites-vous de cela, Albert? c'est beau, à vingt-deux ans, de s'être déjà fait une réputation, dit Franz.

—Oui, certes, et, à son âge, Alexandre, César et Napoléon, qui depuis ont fait un certain bruit dans le monde, n'étaient pas si avancés que lui.

—Ainsi, reprit Franz, s'adressant à son hôte, le héros dont nous allons entendre l'histoire n'a que vingt-deux ans.

—À peine, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire.

—Est-il grand ou petit?

—De taille moyenne: à peu près comme Son Excellence, dit l'hôte en montrant Albert.

—Merci de la comparaison, dit celui-ci en s'inclinant.

—Allez toujours, maître Pastrini, reprit Franz, souriant de la susceptibilité de son ami. Et à quelle classe de la société appartenait-il?

—C'était un simple petit pâtre attaché à la ferme du comte de San-Felice, située entre Palestrina et le lac de Gabri. Il était né à Pampinara, et était entré à l'âge de cinq ans au service du comte. Son père, berger lui-même à Anagni, avait un petit troupeau à lui; et vivait de la laine de ses moutons et de la récolte faite avec le lait de ses brebis, qu'il venait vendre à Rome.

«Tout enfant, le petit Vampa avait un caractère étrange. Un jour, à l'âge de sept ans, il était venu trouver le curé de Palestrina, et l'avait prié de lui apprendre à lire. C'était chose difficile; car le jeune pâtre ne pouvait pas quitter son troupeau. Mais le bon curé allait tous les jours dire la messe dans un pauvre petit bourg trop peu considérable pour payer un prêtre, et qui, n'ayant pas même de nom, était connu sous celui dell'Borgo. Il offrit à Luigi de se trouver sur son chemin à l'heure de son retour et de lui donner ainsi sa leçon, le prévenant que cette leçon serait courte et qu'il eût par conséquent à en profiter.

«L'enfant accepta avec joie.

«Tous les jours, Luigi menait paître son troupeau sur la route de Palestrina au Borgo; tous les jours, à neuf heures du matin, le curé passait, le prêtre et l'enfant s'asseyaient sur le revers d'un fossé, et le petit pâtre prenait sa leçon dans le bréviaire du curé.

«Au bout de trois mois, il savait lire.

«Ce n'était pas tout, il lui fallait maintenant apprendre à écrire.

«Le prêtre fit faire par un professeur d'écriture de Rome trois alphabets: un en gros, un en moyen, et un en fin, et il lui montra qu'en suivant cet alphabet sur une ardoise il pouvait, à l'aide d'une pointe de fer, apprendre à écrire.

«Le même soir, lorsque le troupeau fut rentré à la ferme, le petit Vampa courut chez le serrurier de Palestrina, prit un gros clou, le forgea, le martela, l'arrondit, et en fit une espèce de stylet antique.

«Le lendemain, il avait réuni une provision d'ardoises et se mettait à l'œuvre.

«Au bout de trois mois, il savait écrire.

«Le curé, étonné de cette profonde intelligence et touché de cette aptitude, lui fit cadeau de plusieurs cahiers de papier, d'un paquet de plumes et d'un canif.

«Ce fut une nouvelle étude à faire, mais étude qui n'était rien auprès de la première. Huit jours après, il maniait la plume comme il maniait le stylet.

«Le curé raconta cette anecdote au comte de San-Felice, qui voulut voir le petit pâtre, le fit lire et écrire devant lui, ordonna à son intendant de le faire manger avec les domestiques, et lui donna deux piastres par mois.

«Avec cet argent, Luigi acheta des livres et des crayons.

«En effet, il avait appliqué à tous les objets cette facilité d'imitation qu'il avait, et, comme Giotto enfant, il dessinait sur ses ardoises ses brebis, les arbres, les maisons.

«Puis, avec la pointe de son canif, il commença à tailler le bois et à lui donner toutes sortes de formes. C'est ainsi que Pinelli, le sculpteur populaire, avait commencé.

«Une jeune fille de six ou sept ans, c'est-à-dire un peu plus jeune que Vampa, gardait de son côté les brebis dans une ferme voisine de Palestrina; elle était orpheline, née à Valmontone, et s'appelait Teresa.

«Les deux enfants se rencontraient, s'asseyaient l'un près de l'autre, laissaient leurs troupeaux se mêler et paître ensemble, causaient, riaient et jouaient puis, le soir, on démêlait les moutons du comte de San-Felice d'avec ceux du baron de Cervetri, et les enfants se quittaient pour revenir à leur ferme respective, en se promettant de se retrouver le lendemain matin.

«Le lendemain ils tenaient parole, et grandissaient ainsi côte à côte.

«Vampa atteignit douze ans, et la petite Teresa onze.

«Cependant, leurs instincts naturels se développaient.

«À côté du goût des arts que Luigi avait poussé aussi loin qu'il le pouvait faire dans l'isolement, il était triste par boutade, ardent par secousse, colère par caprice, railleur toujours. Aucun des jeunes garçons de Pampinara, de Palestrina ou de Valmontone n'avait pu non seulement prendre aucune influence sur lui, mais encore devenir son compagnon. Son tempérament volontaire, toujours disposé à exiger sans jamais vouloir se plier à aucune concession, écartait de lui tout mouvement amical, toute démonstration sympathique. Teresa seule commandait d'un mot, d'un regard, d'un geste à ce caractère entier qui pliait sous la main d'une femme, et qui, sous celle de quelque homme que ce fût, se serait raidi jusqu'à rompre.

«Teresa était, au contraire, vive, alerte et gaie, mais coquette à l'excès, les deux piastres que donnait à Luigi l'intendant du comte de San-Felice, le prix de tous les petits ouvrages sculptés qu'il vendait aux marchands de joujoux de Rome passaient en boucles d'oreilles de perles, en colliers de verre, en aiguilles d'or. Aussi, grâce à cette prodigalité de son jeune ami, Teresa était-elle la plus belle et la plus élégante paysanne des environs de Rome.

«Les deux enfants continuèrent à grandir, passant toutes leurs journées ensemble, et se livrant sans combat aux instincts de leur nature primitive. Aussi, dans leurs conversations, dans leurs souhaits, dans leurs rêves, Vampa se voyait toujours capitaine de vaisseau, général d'armée ou gouverneur d'une province; Teresa se voyait riche, vêtue des plus belles robes et suivie de domestiques en livrée, puis, quand ils avaient passé toute la journée à broder leur avenir de ces folles et brillantes arabesques, ils se séparaient pour ramener chacun leurs moutons dans leur étable, et redescendre, de la hauteur de leurs songes, à l'humilité de leur position réelle.

«Un jour, le jeune berger dit à l'intendant du comte qu'il avait vu un loup sortir des montagnes de la Sabine et rôder autour de son troupeau. L'intendant lui donna un fusil: c'est ce que voulait Vampa.

«Ce fusil se trouva par hasard être un excellent canon de Brescia, portant la balle comme une carabine anglaise; seulement un jour le comte, en assommant un renard blessé, en avait cassé la crosse et l'on avait jeté le fusil au rebut.

«Cela n'était pas une difficulté pour un sculpteur comme Vampa. Il examina la couche primitive, calcula ce qu'il fallait y changer pour la mettre à son coup d'œil, et fit une autre crosse chargée d'ornements si merveilleux que, s'il eût voulu aller vendre à la ville le bois seul, il en eût certainement tiré quinze ou vingt piastres.

«Mais il n'avait garde d'agir ainsi: un fusil avait longtemps été le rêve du jeune homme. Dans tous les pays où l'indépendance est substituée à la liberté, le premier besoin qu'éprouve tout cœur fort, toute organisation puissante, est celui d'une arme qui assure en même temps l'attaque et la défense, et qui faisant celui qui la porte terrible, le fait souvent redouté.

«À partir de ce moment, Vampa donna tous les instants qui lui restèrent à l'exercice du fusil; il acheta de la poudre et des balles, et tout lui devint un but: le tronc de l'olivier, triste, chétif et gris, qui pousse au versant des montagnes de la Sabine; le renard qui, le soir, sortait de son terrier pour commencer sa chasse nocturne, et l'aigle qui planait dans l'air. Bientôt il devint si adroit, que Teresa surmontait la crainte qu'elle avait éprouvée d'abord en entendant la détonation, et s'amusa à voir son jeune compagnon placer la balle de son fusil où il voulait la mettre, avec autant de justesse que s'il l'eût poussée avec la main.

«Un soir, un loup sortit effectivement d'un bois de sapins près duquel les deux jeunes gens avaient l'habitude de demeurer: le loup n'avait pas fait dix pas en plaine qu'il était mort.

«Vampa, tout fier de ce beau coup, le chargea sur ses épaules et le rapporta à la ferme.

«Tous ces détails donnaient à Luigi une certaine réputation aux alentours de la ferme; l'homme supérieur partout où il se trouve, se crée une clientèle d'admirateurs. On parlait dans les environs de ce jeune pâtre comme du plus adroit, du plus fort et du plus brave contadino qui fût à dix lieues à la ronde; et quoique de son côté Teresa, dans un cercle plus étendu encore, passât pour une des plus jolies filles de la Sabine, personne ne s'avisait de lui dire un mot d'amour, car on la savait aimée par Vampa.

«Et cependant les deux jeunes gens ne s'étaient jamais dit qu'ils s'aimaient. Ils avaient poussé l'un à côté de l'autre comme deux arbres qui mêlent leurs racines sous le sol, leurs branches dans l'air, leur parfum dans le ciel; seulement leur désir de se voir était le même; ce désir était devenu un besoin, et ils comprenaient plutôt la mort qu'une séparation d'un seul jour.

«Teresa avait seize ans et Vampa dix-sept.

«Vers ces temps, on commença de parler beaucoup d'une bande de brigands qui s'organisait dans les monts Lepini. Le brigandage n'a jamais été sérieusement extirpé dans le voisinage de Rome. Il manque de chefs parfois, mais quand un chef se présente, il est rare qu'il lui manque une bande.

«Le célèbre Cucumetto, traqué dans les Abruzzes chassé du royaume de Naples, où il avait soutenu une véritable guerre, avait traversé Garigliano comme Manfred, et était venu entre Sonnino et Juperno se réfugier sur les bords de l'Amasine.

«C'était lui qui s'occupait à réorganiser une troupe, et qui marchait sur les traces de Decesaris et de Gasparone, qu'il espérait bientôt surpasser. Plusieurs jeunes gens de Palestrina, de Frascati et de Pampinara disparurent. On s'inquiéta d'eux d'abord puis bientôt on sut qu'ils étaient allés rejoindre la bande de Cucumetto.

«Au bout de quelque temps, Cucumetto devint l'objet de l'attention générale. On citait de ce chef de bandits des traits d'audace extraordinaires et de brutalité révoltante.

«Un jour, il enleva une jeune fille: c'était la fille de l'arpenteur de Frosinone. Les lois des bandits sont positives: une jeune fille est à celui qui l'enlève d'abord, puis les autres la tirent au sort, et la malheureuse sert aux plaisirs de toute la troupe jusqu'à ce que les bandits l'abandonnent ou qu'elle meure.

«Lorsque les parents sont assez riches pour la racheter, on envoie un messager qui traite de la rançon; la tête de la prisonnière répond de la sécurité de l'émissaire. Si la rançon est refusée, la prisonnière est condamnée irrévocablement.

«La jeune fille avait son amant dans la troupe de Cucumetto: il s'appelait Carlini.

«En reconnaissant le jeune homme, elle tendit les bras vers lui et se crut sauvée. Mais le pauvre Carlini, en la reconnaissant, lui, sentit son cœur se briser, car il se doutait bien du sort qui attendait sa maîtresse.

«Cependant, comme il était le favori de Cucumetto, comme il avait partagé ses dangers depuis trois ans, comme il lui avait sauvé la vie en abattant d'un coup de pistolet un carabinier qui avait déjà le sabre levé sur sa tête, il espéra que Cucumetto aurait quelque pitié de lui.

«Il prit donc le chef à part, tandis que la jeune fille, assise contre le tronc d'un grand pin qui s'élevait au milieu d'une clairière de la forêt, s'était fait un voile de la coiffure pittoresque des paysannes romaines et cachait son visage aux regards luxurieux des bandits.

«Là, il lui raconta tout, ses amours avec la prisonnière, leurs serments de fidélité, et comment chaque nuit, depuis qu'ils étaient dans les environs, ils se donnaient rendez-vous dans une ruine.

«Ce soir-là justement, Cucumetto avait envoyé Carlini dans un village voisin, il n'avait pu se trouver au rendez-vous; mais Cucumetto s'y était trouvé par hasard, disait-il, et c'est alors qu'il avait enlevé la jeune fille.

«Carlini supplia son chef de faire une exception en sa faveur et de respecter Rita, lui disant que le père était riche et qu'il payerait une bonne rançon.

«Cucumetto parut se rendre aux prières de son ami, et le chargea de trouver un berger qu'on pût envoyer chez le père de Rita à Frosinone.

«Alors Carlini s'approcha tout joyeux de la jeune fille, lui dit qu'elle était sauvée, et l'invita à écrire à son père une lettre dans laquelle elle racontait ce qui lui était arrivé, et lui annoncerait que sa rançon était fixée à trois cents piastres.

«On donnait pour tout délai au père douze heures, c'est-à-dire jusqu'au lendemain neuf heures du matin.

«La lettre écrite, Carlini s'en empara aussitôt et courut dans la plaine pour chercher un messager.

«Il trouva un jeune pâtre qui parquait son troupeau. Les messagers naturels des bandits sont les bergers, qui vivent entre la ville et la montagne, entre la vie sauvage et la vie civilisée.

«Le jeune berger partit aussitôt, promettant d'être avant une heure à Frosinone.

«Carlini revint tout joyeux pour rejoindre sa maîtresse et lui annoncer cette bonne nouvelle.

«Il trouva la troupe dans la clairière, où elle soupait joyeusement des provisions que les bandits levaient sur les paysans comme un tribut seulement; au milieu de ces gais convives, il chercha vainement Cucumetto et Rita.

«Il demanda où ils étaient, les bandits répondirent par un grand éclat de rire. Une sueur froide coula sur le front de Carlini, et il sentit l'angoisse qui le prenait aux cheveux.

«Il renouvela sa question. Un des convives remplit un verre de vin d'Orvieto et le lui tendit en disant:

«—À la santé du brave Cucumetto et de la belle Rita!

«En ce moment, Carlini crut entendre un cri de femme. Il devina tout. Il prit le verre, le brisa sur la face de celui qui le lui présentait, et s'élança dans la direction du cri.

«Au bout de cent pas, au détour d'un buisson, il trouva Rita évanouie entre les bras de Cucumetto.

«En apercevant Carlini, Cucumetto se releva tenant un pistolet de chaque main.

«Les deux bandits se regardèrent un instant: l'un le sourire de la luxure sur les lèvres, l'autre la pâleur de la mort sur le front.

«On eût cru qu'il allait se passer entre ces deux hommes quelque chose de terrible. Mais peu à peu les traits de Carlini se détendirent, sa main, qu'il avait portée à un des pistolets de sa ceinture, retomba près de lui pendante à son côté.

«Rita était couchée entre eux deux.

«La lune éclairait cette scène.

«—Eh bien, lui dit Cucumetto, as-tu fait la commission dont tu t'étais chargé?

«—Oui, capitaine, répondit Carlini, et demain, avant neuf heures, le père de Rita sera ici avec l'argent.

«—À merveille. En attendant, nous allons passer une joyeuse nuit. Cette jeune fille est charmante, et tu as, en vérité, bon goût, maître Carlini. Aussi comme je ne suis pas égoïste nous allons retourner auprès des camarades et tirer au sort à qui elle appartiendra maintenant.

«—Ainsi vous êtes décidé à l'abandonner à la loi commune? demanda Carlini.

«—Et pourquoi ferait-on exception en sa faveur?

«—J'avais cru qu'à ma prière....

«—Et qu'es-tu plus que les autres?

«—C'est juste.

«—Mais sois tranquille, reprit Cucumetto en riant, un peu plus tôt, un peu plus tard, ton tour viendra.

«Les dents de Carlini se serraient à se briser.

«—Allons, dit Cucumetto en faisant un pas vers les convives, viens-tu?

«—Je vous suis....

«Cucumetto s'éloigna sans perdre de vue Carlini, car sans doute il craignait qu'il ne le frappât par derrière. Mais rien dans le bandit ne dénonçait une intention hostile.

«Il était debout, les bras croisés, près de Rita toujours évanouie.

«Un instant, l'idée de Cucumetto fut que le jeune homme allait la prendre dans ses bras et fuir avec elle. Mais peu lui importait maintenant, il avait eu de Rita ce qu'il voulait; et quant à l'argent, trois cents piastres réparties à la troupe faisaient une si pauvre somme qu'il s'en souciait médiocrement.

«Il continua donc sa route vers la clairière; mais, à son grand étonnement, Carlini y arriva presque aussitôt que lui.

«—Le tirage au sort! le tirage au sort! crièrent tous les bandits en apercevant le chef.

«Et les yeux de tous ces hommes brillèrent d'ivresse et de lascivité, tandis que la flamme du foyer jetait sur toute leur personne une lueur rougeâtre qui les faisait ressembler à des démons.

«Ce qu'ils demandaient était juste; aussi le chef fit-il de la tête un signe annonçant qu'il acquiesçait à leur demande. On mit tous les noms dans un chapeau, celui de Carlini comme ceux des autres, et le plus jeune de la bande tira de l'urne improvisée un bulletin.

«Ce bulletin portait le nom de Diavolaccio.

«C'était celui-là même qui avait proposé à Carlini la santé du chef, et à qui Carlini avait répondu en lui brisant le verre sur la figure.

«Une large blessure ouverte de la tempe à la bouche, laissait couler le sang à flots.

«Diavolaccio, se voyant ainsi favorisé de la fortune, poussa un éclat de rire.

«—Capitaine, dit-il, tout à l'heure Carlini n'a pas voulu boire à votre santé, proposez-lui de boire à la mienne; il aura peut-être plus de condescendance pour vous que pour moi.»

«Chacun s'attendait à une explosion de la part de Carlini; mais au grand étonnement de tous, il prit un verre d'une main, un fiasco de l'autre, puis, remplissant le verre:

«—À ta santé, Diavolaccio, dit-il d'une voix parfaitement calme.

«Et il avala le contenu du verre sans que sa main tremblât. Puis, s'asseyant près du feu:

«—Ma part de souper! dit-il; la course que je viens de faire m'a donné de l'appétit.

«—Vive Carlini! s'écrièrent les brigands.

«—À la bonne heure, voilà ce qui s'appelle prendre la chose en bon compagnon.

«Et tous reformèrent le cercle autour du foyer, tandis que Diavolaccio s'éloignait.

«Carlini mangeait et buvait, comme si rien ne s'était passé.

«Les bandits le regardaient avec étonnement, ne comprenant rien à cette impassibilité, lorsqu'ils entendirent derrière eux retentir sur le sol un pas alourdi.

«Ils se retournèrent et aperçurent Diavolaccio tenant la jeune fille entre ses bras.

«Elle avait la tête renversée, et ses longs cheveux pendaient jusqu'à terre.

«À mesure qu'ils entraient dans le cercle de la lumière projetée par le foyer, on s'apercevait de la pâleur de la jeune fille et de la pâleur du bandit.

«Cette apparition avait quelque chose de si étrange et de si solennel, que chacun se leva, excepté Carlini, qui resta assis et continua de boire et de manger, comme si rien ne se passait autour de lui.

«Diavolaccio continuait de s'avancer au milieu du plus profond silence, et déposa Rita aux pieds du capitaine.

«Alors tout le monde put reconnaître la cause de cette pâleur de la jeune fille et de cette pâleur du bandit: Rita avait un couteau enfoncé jusqu'au manche au-dessous de la mamelle gauche.

«Tous les yeux se portèrent sur Carlini: la gaine était vide à sa ceinture.

«—Ah! ah! dit le chef, je comprends maintenant pourquoi Carlini était resté en arrière.

«Toute nature sauvage est apte à apprécier une action forte; quoique peut-être aucun des bandits n'eût fait ce que venait de faire Carlini, tous comprirent ce qu'il avait fait.

«—Eh bien, dit Carlini en se levant à son tour et en s'approchant du cadavre, la main sur la crosse d'un de ses pistolets, y a-t-il encore quelqu'un qui me dispute cette femme?

«—Non, dit le chef, elle est à toi!»

«Alors Carlini la prit à son tour dans ses bras, et l'emporta hors du cercle de lumière que projetait la flamme du foyer.

«Cucumetto disposa les sentinelles comme d'habitude, et les bandits se couchèrent, enveloppés dans leurs manteaux, autour du foyer.

«À minuit, la sentinelle donna l'éveil, et en un instant le chef et ses compagnons furent sur pied.

«C'était le père de Rita, qui arrivait lui-même, portant la rançon de sa fille.

«—Tiens, dit-il à Cucumetto en lui tendant un sac d'argent, voici trois cents pistoles, rends-moi mon enfant.

«Mais le chef, sans prendre l'argent, lui fit signe de le suivre. Le vieillard obéit; tous deux s'éloignèrent sous les arbres, à travers les branches desquels filtraient les rayons de la lune. Enfin Cucumetto s'arrêta étendant la main et montrant au vieillard deux personnes groupées au pied d'un arbre:

«—Tiens, lui dit-il, demande ta fille à Carlini, c'est lui qui t'en rendra compte.

«Et il s'en retourna vers ses compagnons.

«Le vieillard resta immobile et les yeux fixes. Il sentait que quelque malheur inconnu, immense, inouï, planait sur sa tête.

«Enfin, il fit quelques pas vers le groupe informe dont il ne pouvait se rendre compte.


33-1. Bandits romains 33-1. Römische Banditen 33-1. Ρωμαίοι ληστές 33-1. Roman bandits 33-1. Bandidos romanos 33-1. Romeinse bandieten 33-1. Bandidos romanos

Bandits romains, part 1. Roman bandits, part 1.

Le lendemain, Franz se réveilla le premier, et aussitôt réveillé, sonna. The next day, Franz woke up first, and immediately woke up, rang the bell.

Le tintement de la clochette vibrait encore, lorsque maître Pastrini entra en personne. The clink of the bell was still vibrating, when Master Pastrini came in person.

«Eh bien, dit l’hôte triomphant, et sans même attendre que Franz l’interrogeât, je m’en doutais bien hier, Excellence, quand je ne voulais rien vous promettre; vous vous y êtes pris trop tard, et il n’y a plus une seule calèche à Rome: pour les trois derniers jours, s’entend. "Well," said the triumphant host, and without even waiting for Franz to question him, "I suspected it yesterday, Excellency, when I did not wish to promise you anything; you have taken it too late, and there is no longer a single carriage in Rome: for the last three days, it means.

—Oui, reprit Franz, c’est-à-dire pour ceux où elle est absolument nécessaire. "Yes," said Franz, "that is to say, where it is absolutely necessary.

—Qu’y a-t-il? -What is it? demanda Albert en entrant, pas de calèche? Albert asked as he entered, no carriage?

—Justement, mon cher ami, répondit Franz, et vous avez deviné du premier coup. "Precisely, my dear friend," replied Franz, "and you guessed right the first time."

—Eh bien, voilà une jolie ville que votre ville éternelle! "Well, here is a pretty city your eternal city!"

—C’est-à-dire, Excellence reprit maître Pastrini, qui désirait maintenir la capitale du monde chrétien dans une certaine dignité à l’égard de ses voyageurs, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de calèche à partir de dimanche matin jusqu’à mardi soir, mais d’ici là vous en trouverez cinquante si vous voulez. "That is to say, Excellency, resumed Master Pastrini, who wished to maintain the capital of the Christian world in a certain dignity with regard to its travelers, that is to say that there is no longer any horse-drawn carriage from Sunday morning until Tuesday evening, but by then you will find fifty if you want.

—Ah! c’est déjà quelque chose, dit Albert; nous sommes aujourd’hui jeudi; qui sait, d’ici à dimanche, ce qui peut arriver? it is already something, said Albert; today is Thursday; who knows, between now and Sunday, what can happen?

—Il arrivera dix à douze mille voyageurs, répondit Franz, lesquels rendront la difficulté plus grande encore. -Ten or twelve thousand travelers will arrive," Franz replied, "which will make the difficulty even greater.

—Mon ami, dit Morcerf, jouissons du présent et n’assombrissons pas l’avenir. “My friend,” said Morcerf, “let us enjoy the present and do not darken the future.

—Au moins, demanda Franz, nous pourrons avoir une fenêtre? “At least,” Franz asked, “we can get a window?

—Sur quoi? -On what?

—Sur la rue du Cours, parbleu!

—Ah! bien oui, une fenêtre! yes, a window! s’exclama maître Pastrini; impossible; de toute impossibilité! exclaimed Master Pastrini; "impossible, absolutely impossible! Il en restait une au cinquième étage du palais Doria, et elle a été louée à un prince russe pour vingt sequins par jour.» There was one left on the fifth floor of the Doria Palace, and it was rented to a Russian prince for twenty sequins a day. "

Les deux jeunes gens se regardaient d’un air stupéfait. The two young men looked at each other in amazement.

«Eh bien, mon cher, dit Franz à Albert, savez-vous ce qu’il y a de mieux à faire? "Well, my dear," said Franz to Albert, "do you know what is best to do? c’est de nous en aller passer le carnaval à Venise; au moins là, si nous ne trouvons pas de voiture, nous trouverons des gondoles. it is to go to carnival in Venice; at least there, if we do not find a car, we will find gondolas.

—Ah! -Ah! ma foi non! my faith no! s’écria Albert, j’ai décidé que je verrais le carnaval à Rome, et je l’y verrai, fût-ce sur des échasses. cried Albert.

—Tiens! -Here! s’écria Franz, c’est une idée triomphante, surtout pour éteindre les moccoletti, nous nous déguiserons en polichinelles vampires ou en habitants des Landes, et nous aurons un succès fou. cried Franz, it's a triumphant idea, especially to put out the moccoletti, we will disguise ourselves as vampire puppets or inhabitants of the Landes, and we will have a huge success.

—Leurs Excellences désirent-elles toujours une voiture jusqu’à dimanche? -Do Their Excellencies still want a car until Sunday?

—Parbleu! “Of course! dit Albert, est-ce que vous croyez que nous allons courir les rues de Rome à pied, comme des clercs d’huissier? said Albert, do you think we're going to run through the streets of Rome on foot, like bailiffs?

—Je vais m’empresser d’exécuter les ordres de Leurs Excellences, dit maître Pastrini: seulement je les préviens que la voiture leur coûtera six piastres par jour. "I will hasten to execute the orders of Their Excellencies," said Master Pastrini; "only I warn them that the car will cost them six dollars a day.

—Et moi, mon cher monsieur Pastrini, dit Franz, moi qui ne suis pas notre voisin le millionnaire, je vous préviens à mon tour, qu’attendu que c’est la quatrième fois que je viens à Rome, je sais le prix des calèches, jours ordinaires, dimanches et fêtes. -And I, my dear Monsieur Pastrini, said Franz, I, who am not our neighbor the millionaire, I warn you in turn, that since it is the fourth time that I have come to Rome, I know the price of horse-drawn carriages, ordinary days, Sundays and holidays. Nous vous donnerons douze piastres pour aujourd’hui, demain et après-demain, et vous aurez encore un fort joli bénéfice. We will give you twelve dollars for today, tomorrow and the day after, and you will still have a very nice profit.

—Cependant, Excellence!... -However, Excellency! ... dit maître Pastrini, essayant de se rebeller. said Master Pastrini, trying to rebel.

—Allez, mon cher hôte, allez, dit Franz, ou je vais moi-même faire mon prix avec votre  affettatore , qui est le mien aussi, c’est un vieil ami à moi, qui m’a déjà pas mal volé d’argent dans sa vie, et qui, dans l’espérance de m’en voler encore, en passera par un prix moindre que celui que je vous offre: vous perdrez donc la différence et ce sera votre faute. "Go, my dear guest, go," said Franz, "or I myself will make my price with your affettatore, which is mine too, it is an old friend of mine, who has already stolen me a good deal. money in his life, and who, in the hope of stealing still, will pass a price lower than the one I offer you: you will lose the difference and it will be your fault.

—Ne prenez pas cette peine, Excellence, dit maître Pastrini, avec ce sourire du spéculateur italien qui s’avoue vaincu, je ferai de mon mieux, et j’espère que vous serez content. "Do not take this trouble, Excellency," said Master Pastrini, with that smile of the Italian speculator who admits to being defeated, "I will do my best, and I hope you will be happy."

—À merveille! -Perfectly! voilà ce qui s’appelle parler. this is called speaking. Quand voulez-vous la voiture? When do you want the car?

—Dans une heure. -One hour.

—Dans une heure elle sera à la porte.» -In an hour she'll be at the door."

Une heure après, effectivement, la voiture attendait les deux jeunes gens: c’était un modeste fiacre que, vu la solennité de la circonstance, on avait élevé au rang de calèche; mais, quelque médiocre apparence qu’il eût, les deux jeunes gens se fussent trouvés bien heureux d’avoir un pareil véhicule pour les trois derniers jours. An hour later, in fact, the carriage was waiting for the two young people: it was a modest cab which, given the solemnity of the occasion, had been elevated to the rank of a horse-drawn carriage; but, however mediocre appearance it might have, the two young people would have been very happy to have such a vehicle for the last three days.

«Excellence! cria le cicérone en voyant Franz mettre le nez à la fenêtre, faut-il faire approcher le carrosse du palais?» cried the cicerone, seeing Franz put his nose to the window, should we bring the coach closer to the palace? "

Si habitué que fût Franz à l’emphase italienne, son premier mouvement fut de regarder autour de lui mais c’était bien à lui-même que ces paroles s’adressaient. As accustomed as Franz was to the Italian emphasis, his first movement was to look around him, but it was to himself that these words were addressed.

Franz était l’Excellence; le carrosse, c’était le fiacre; le palais, c’était l’hôtel de Londres. Franz was Excellence; the carriage was the cab; the palace was the London hotel.

Tout le génie laudatif de la nation était dans cette seule phrase. All the nation's laudatory genius was in this one sentence.

Franz et Albert descendirent. Franz and Albert went downstairs. Le carrosse s’approcha du palais. The carriage approached the palace. Leurs Excellences allongèrent leurs jambes sur les banquettes, le cicérone sauta sur le siège de derrière. Their Excellencies stretched out their legs on the benches, the cicerone jumped into the back seat.

«Où Leurs Excellences veulent-elles qu’on les conduise? "Where do Their Excellencies want them taken?"

—Mais, à Saint-Pierre d’abord, et au Colisée ensuite», dit Albert en véritable Parisien. "But first in Saint-Pierre, and then at the Coliseum," said Albert like a true Parisian.

Mais Albert ne savait pas une chose: c’est qu’il faut un jour pour voir Saint-Pierre, et un mois pour l’étudier: la journée se passa donc rien qu’à voir Saint-Pierre. But Albert did not know one thing: it was necessary one day to see Saint-Pierre, and a month to study it: the day passed therefore just to see Saint-Pierre.

Tout à coup, les deux amis s’aperçurent que le jour baissait. Suddenly, the two friends realized that the day was falling.

Franz tira sa montre, il était quatre heures et demie. Franz took out his watch, it was four-thirty.

On reprit aussitôt le chemin de l’hôtel. We immediately started back to the hotel. À la porte, Franz donna l’ordre au cocher de se tenir prêt à huit heures. At the door Franz ordered the coachman to be ready at eight o'clock. Il voulait faire voir à Albert le Colisée au clair de lune, comme il lui avait fait voir Saint-Pierre au grand jour. He wanted to show Albert the Colosseum in the moonlight, as he had made him see St. Peter in broad daylight. Lorsqu’on fait voir à un ami une ville qu’on a déjà vue, on y met la même coquetterie qu’à montrer une femme dont on a été l’amant. When a friend is shown a city that has already been seen, it is as coquettish as showing a woman of whom one has been the lover.

En conséquence, Franz traça au cocher son itinéraire; il devait sortir par la porte del Popolo, longer la muraille extérieure et rentrer par la porte San-Giovanni. Consequently, Franz traced his route to the driver; he was to exit through the Popolo gate, walk along the outer wall and return through the San Giovanni gate. Ainsi le Colisée leur apparaissait sans préparation aucune, et sans que le Capitole, le Forum, l’arc de Septime Sévère, le temple d’Antonin et Faustine et la Via Sacra eussent servi de degrés placés sur sa route pour le rapetisser. Thus the Colosseum appeared to them without any preparation, and without the Capitol, the Forum, the Arch of Septimius Severus, the Temple of Antoninus and Faustina, and the Via Sacra having served as degrees placed on its path to diminish it.

On se mit à table: maître Pastrini avait promis à ses hôtes un festin excellent; il leur donna un dîner passable: il n’y avait rien à dire. They sat down to table: Master Pastrini had promised his guests an excellent feast; he gave them a fair dinner; there was nothing to say.

À la fin du dîner, il entra lui-même: Franz crut d’abord que c’était pour recevoir ses compliments et s’apprêtait à les lui faire, lorsqu’aux premiers mots il l’interrompit: At the end of the dinner he entered himself. Franz at first thought that it was to receive his compliments and was about to make them, when at the first words he interrupted him:

«Excellence, dit-il, je suis flatté de votre approbation; mais ce n’était pas pour cela que j’étais monté chez vous.... "Excellency," said he, "I am flattered by your approbation; but that was not why I went home ....

—Était-ce pour nous dire que vous aviez trouvé une voiture? Was it to tell us that you had found a car? demanda Albert en allumant son cigare.

—Encore moins, et même, Excellence, vous ferez bien de n’y plus penser et d’en prendre votre parti. "Even less, and even, Excellency, you would do well not to think about it any longer and take your side." À Rome, les choses se peuvent ou ne se peuvent pas. In Rome, things can or can not be. Quand on vous a dit qu’elles ne se pouvaient pas, c’est fini. When you were told they couldn't be, it was over.

—À Paris, c’est bien plus commode: quand cela ne se peut pas, on paie le double et l’on a à l’instant même ce que l’on demande. - In Paris, it is much more convenient: when that can not be done, we pay double and we have at the moment what we ask.

—J’entends dire cela à tous les Français, dit maître Pastrini un peu piqué, ce qui fait que je ne comprends pas comment ils voyagent. "I hear that said to all the French," said Master Pastrini, a little stung, "which makes me understand how they travel.

—Mais aussi, dit Albert en poussant flegmatiquement sa fumée au plafond et en se renversant balancé sur les deux pieds de derrière de son fauteuil, ce sont les fous et les niais comme nous qui voyagent; les gens sensés ne quittent pas leur hôtel de la rue du Helder, le boulevard de Gand et le café de Paris.» "But also," said Albert, phlegmatically pushing his smoke from the ceiling, and throwing himself back on the two hind legs of his chair, "are the fools and the idiots like us who are traveling; sensible people do not leave their hotel from the rue du Helder, the boulevard de Gand and the café de Paris. "

Il va sans dire qu’Albert demeurait dans la rue susdite, faisait tous les jours sa promenade fashionable, et dînait quotidiennement dans le seul café où l’on dîne, quand toutefois on est en bons termes avec les garçons. It goes without saying that Albert remained in the street above, went out for a fashionable walk every day, and dined daily in the only cafe where we dined, when we were on good terms with the boys.

Maître Pastrini resta un instant silencieux, il était évident qu’il méditait la réponse, qui sans doute ne lui paraissait pas parfaitement claire. Master Pastrini was silent for a moment, it was obvious that he was meditating the answer, which probably did not seem perfectly clear to him.

«Mais enfin, dit Franz à son tour, interrompant les réflexions géographiques de son hôte, vous étiez venu dans un but quelconque; voulez-vous nous exposer l’objet de votre visite? "But at last," said Franz, interrupting the geographical reflections of his host, "you have come for any purpose; Do you want to explain the purpose of your visit?

—Ah! c’est juste; le voici: vous avez commandé la calèche pour huit heures? it's just; here it is: you ordered the carriage for eight o'clock?

—Parfaitement. -Exactly.

—Vous avez l’intention de visiter il Colosseo? -Are you planning to visit il Colosseo?

—C’est-à-dire le Colisée? -Meaning the Colosseum?

—C’est exactement la même chose. -It's exactly the same thing.

—Soit. -Is.

—Vous avez dit à votre cocher de sortir par la porte del Popolo, de faire le tour des murs et de rentrer par la porte San-Giovanni? "Did you tell your coachman to go out through the door of Popolo, to go around the walls and enter by the San Giovanni's door?

—Ce sont mes propres paroles. “These are my own words.

—Eh bien, cet itinéraire est impossible. “Well, this route is impossible.

—Impossible! -Impossible!

—Ou du moins fort dangereux. - Or at least very dangerous.

—Dangereux! -Dangerous! et pourquoi? and why?

—À cause du fameux Luigi Vampa. -Because of the famous Luigi Vampa.

—D’abord, mon cher hôte, qu’est-ce que le fameux Luigi Vampa? -First of all, my dear host, what is the famous Luigi Vampa? demanda Albert; il peut être très fameux à Rome, mais je vous préviens qu’il est ignoré à Paris. asked Albert; he may be very famous in Rome, but I warn you that he is unknown in Paris.

—Comment! -How do you know! vous ne le connaissez pas? you don't know him?

—Je n’ai pas cet honneur. -I don't have that honor.

—Vous n’avez jamais entendu prononcer son nom? -You've never heard his name?

—Jamais. -Never.

—Eh bien, c’est un bandit auprès duquel les Deseraris et les Gasparone sont des espèces d’enfants de chœur. "Well, he's a bandit with whom the Deseraris and the Gasparones are a kind of choirboy.

—Attention, Albert! -Watch out, Albert! s’écria Franz, voilà donc enfin un bandit! cried Franz, 'here is a bandit at last!

—Je vous préviens, mon cher hôte, que je ne croirai pas un mot de ce que vous allez nous dire. -I warn you, my dear host, that I won't believe a word you tell us. Ce point arrêté entre nous, parlez tant que vous voudrez, je vous écoute. This point stopped between us, speak as much as you like, I listen to you. «Il y avait une fois...» Eh bien, allez donc!» "Once upon a time ..." Well, come on! "

Maître Pastrini se retourna du côté de Franz, qui lui paraissait le plus raisonnable des deux jeunes gens. Master Pastrini turned to Franz, who seemed the more reasonable of the two young men. Il faut rendre justice au brave homme: il avait logé bien des Français dans sa vie, mais jamais il n’avait compris certain côté de leur esprit. It is necessary to render justice to the good man: he had lodged many Frenchmen in his life, but he never understood certain side of their spirit.

«Excellence, dit-il fort gravement, s’adressant, comme nous l’avons dit, à Franz, si vous me regardez comme un menteur, il est inutile que je vous dise ce que je voulais vous dire; je puis cependant vous affirmer que c’était dans l’intérêt de Vos Excellences. "Excellency," said he, very gravely, addressing Franz, as we have said, "if you regard me as a liar, it is useless for me to tell you what I wanted to say to you; I can, however, assert that it was in the interest of Your Excellencies.

—Albert ne vous dit pas que vous êtes un menteur, mon cher monsieur Pastrini, reprit Franz, il vous dit qu’il ne vous croira pas, voilà tout. "Albert does not tell you that you are a liar, my dear Monsieur Pastrini," said Franz, "he tells you he will not believe you, that's all. Mais, moi, je vous croirai, soyez tranquille; parlez donc. But I will believe you, be quiet; speak then.

—Cependant, Excellence, vous comprenez bien que si l’on met en doute ma véracité... "However, Excellency, you understand that if my veracity is questioned ...

—Mon cher, reprit Franz, vous êtes plus susceptible que Cassandre, qui cependant était prophétesse, et que personne n’écoutait; tandis que vous, au moins, vous êtes sûr de la moitié de votre auditoire. "My dear fellow," said Franz, "you are more susceptible than Cassander, who, however, was a prophetess, and no one listened; while you, at least, are sure of half of your audience. Voyons, asseyez-vous, et dites-nous ce que c’est que M. Vampa. Let's see, sit down, and tell us what Mr. Vampa is.

—Je vous l’ai dit, Excellence, c’est un bandit, comme nous n’en avons pas encore vu depuis le fameux Mastrilla. -I told you, Excellency, he's a bandit, the likes of which we haven't seen since the famous Mastrilla.

—Eh bien, quel rapport a ce bandit avec l’ordre que j’ai donné à mon cocher de sortir par la porte del Popolo et de rentrer par la porte San-Giovanni? "Well, what does this villain have to do with the order I gave my coachman to go out through the door of Popolo and go through the San Giovanni's door?"

—Il y a, répondit maître Pastrini, que vous pourrez bien sortir par l’une, mais que je doute que vous rentriez par l’autre. "There is," replied Master Pastrini, "that you will be able to go out by one, but that I doubt that you will return by the other.

—Pourquoi cela? -Why? demanda Franz. Franz asked.

—Parce que, la nuit venue, on n’est plus en sûreté à cinquante pas des portes. “Because, at nightfall, it is no longer safe fifty paces from the doors.

—D’honneur? “Honor? s’écria Albert.

—Monsieur le vicomte, dit maître Pastrini, toujours blessé jusqu’au fond du cœur du doute émis par Albert sur sa véracité, ce que je dis n’est pas pour vous, c’est pour votre compagnon de voyage, qui connaît Rome, lui, et qui sait qu’on ne badine pas avec ces choses-là. "Monsieur le Vicomte," said Master Pastrini, "always wounded to the bottom of the heart of the doubt expressed by Albert as to his veracity, what I say is not for you, it is for your traveling companion, who knows Rome, him, and who knows that one does not joke with these things.

—Mon cher, dit Albert s’adressant à Franz, voici une aventure admirable toute trouvée: nous bourrons notre calèche de pistolets, de tromblons et de fusils à deux coups. “My dear,” said Albert, addressing Franz, “here is an admirable adventure ready-made: we stuff our carriage with pistols, blunderbusses and double-barreled rifles. Luigi Vampa vient pour nous arrêter, nous l’arrêtons. Luigi Vampa comes to stop us, we stop him. Nous le ramenons à Rome; nous en faisons hommage à Sa Sainteté, qui nous demande ce qu’elle peut faire pour reconnaître un si grand service. We bring him back to Rome; we pay homage to Her Holiness, who asks us what she can do to recognize such great service. Alors nous réclamons purement et simplement un carrosse et deux chevaux de ses écuries, et nous voyons le carnaval en voiture; sans compter que probablement le peuple romain, reconnaissant, nous couronne au Capitole et nous proclame, comme Curtius et Horatius Coclès, les sauveurs de la patrie.» Then we simply demand a coach and two horses from his stables, and we see the carnival by car; besides, probably the grateful Roman people crown us at the Capitol and proclaim us, like Curtius and Horatius Cocles, the saviors of our country. "

Pendant qu’Albert déduisait cette proposition, maître Pastrini faisait une figure qu’on essayerait vainement de décrire. While Albert deduced this proposition, Master Pastrini made a figure which one would try in vain to describe.

«Et d’abord, demanda Franz à Albert, où prendrez-vous ces pistolets, ces tromblons, ces fusils à deux coups dont vous voulez farcir votre voiture? "And first," said Franz to Albert, "where will you take these pistols, these blunderbusses, those two-shot guns you want to stuff your car with?"

—Le fait est que ce ne sera pas dans mon arsenal, dit-il, car à la Terracine, on m’a pris jusqu’à mon couteau poignard; et à vous? "The fact is, it will not be in my arsenal," he said, "because at Terracina I was taken to my knife; and to you?

—À moi, on m’en a fait autant à Aqua-Pendente. "To me, they did it to me at Aqua-Pendente.

—Ah çà! mon cher hôte, dit Albert en allumant son second cigare au reste de son premier, savez-vous que c’est très commode pour les voleurs cette mesure-là, et qu’elle m’a tout l’air d’avoir été prise de compte à demi avec eux?» my dear guest, "said Albert, lighting his second cigar to the rest of his first," do you know that it is very convenient for thieves, and that it seems to me to have been taken half account with them? "

Sans doute maître Pastrini trouva la plaisanterie compromettante, car il n’y répondit qu’à moitié et encore en adressant la parole à Franz, comme au seul être raisonnable avec lequel il pût convenablement s’entendre. No doubt, Master Pastrini found the joke compromising, for he only half answered it, and again addressing Franz as the only reasonable being with whom he could properly understand himself.

«Son Excellence sait que ce n’est pas l’habitude de se défendre quand on est attaqué par des bandits. "His Excellency knows that it's not customary to defend oneself when attacked by bandits.

—Comment! -How do you know! s’écria Albert, dont le courage se révoltait à l’idée de se laisser dévaliser sans rien dire; comment! cried Albert, whose courage revolted at the thought of being robbed without saying anything; how! ce n’est pas l’habitude? this is not the habit?

—Non, car toute défense serait inutile. “No, because any defense would be useless. Que voulez-vous faire contre une douzaine de bandits qui sortent d’un fossé, d’une masure ou d’un aqueduc, et qui vous couchent en joue tous à la fois? What do you want to do against a dozen bandits who come out of a ditch, a hovel or an aqueduct, and who you play all at once?

—Eh sacrebleu! -Eh sacrebleu! je veux me faire tuer!» s’écria Albert. I want to be killed! ” cried Albert.

L’aubergiste se tourna vers Franz d’un air qui voulait dire: Décidément, Excellence, votre camarade est fou. The innkeeper turned to Franz with an air which meant: Definitely, Excellency, your comrade is mad.

«Mon cher Albert, reprit Franz, votre réponse est sublime, et vaut le  Qu’il mourût  du vieux Corneille: seulement, quand Horace répondait cela, il s’agissait du salut de Rome, et la chose en valait la peine. "My dear Albert," replied Franz, "your answer is sublime, and worth the death of old Corneille: only when Horace answered that it was the salvation of Rome, and the thing was worth it. Mais quant à nous, remarquez qu’il s’agit simplement d’un caprice à satisfaire, et qu’il serait ridicule, pour un caprice, de risquer notre vie. But as for us, notice that it is simply a whim to satisfy, and that it would be ridiculous, for a whim, to risk our life.

—Ah! per Bacco ! per Bacco! s’écria maître Pastrini, à la bonne heure, voilà ce qui s’appelle parler.» cried Maitre Pastrini, "well, that's what is called speaking."

Albert se versa un verre de  lacryma Christi , qu’il but à petits coups, en grommelant des paroles inintelligibles. Albert poured himself a glass of lacryma Christi, which he drank, grumbling unintelligible words.

«Eh bien, maître Pastrini, reprit Franz, maintenant que voilà mon compagnon calmé, et que vous avez pu apprécier mes dispositions pacifiques, maintenant, voyons qu’est-ce que le seigneur Luigi Vampa? “Well, Master Pastrini,” Franz continued, “now that my companion has calmed down, and you have been able to appreciate my peaceful dispositions, now let's see what Lord Luigi Vampa is? Est-il berger ou patricien? Is he a shepherd or a patrician? est-il jeune ou vieux? is he young or old? est-il petit ou grand? is it small or large? Dépeignez-nous le, afin que si nous le rencontrions par hasard dans le monde, comme Jean Sbogar ou Lara, nous puissions au moins le reconnaître. Describe him to us, so that if we come across him by chance in the world, like Jean Sbogar or Lara, we can at least recognize him.

—Vous ne pouvez pas mieux vous adresser qu’à moi, Excellence, pour avoir des détails exacts, car j’ai connu Luigi Vampa tout enfant; et, un jour que j’étais tombé moi-même entre ses mains, en allant de Ferentino à Alatri, il se souvint, heureusement pour moi, de notre ancienne connaissance; il me laissa aller, non seulement sans me faire payer de rançon, mais encore après m’avoir fait cadeau d’une fort belle montre et m’avoir raconté son histoire. "You can not speak better than you, Excellency, for exact details, for I knew Luigi Vampa as a child; and one day when I had fallen into his hands, on his way from Ferentino to Alatri, he remembered, happily for me, our old acquaintance; he let me go, not only without paying me ransom, but after giving me a very nice watch and telling me his story.

—Voyons la montre», dit Albert. -Let's see the watch," says Albert.

Maître Pastrini tira de son gousset une magnifique Breguet portant le nom de son auteur, le timbre de Paris et une couronne de comte. Master Pastrini drew from his pocket a magnificent Breguet bearing the name of its author, the stamp of Paris and a crown of count.

«Voilà, dit-il. "There," he says.

—Peste! -Plague! fit Albert je vous en fais mon compliment; j’ai la pareille à peu près—il tira sa montre de la poche de son gilet—et elle m’a coûté trois mille francs. said Albert, "I congratulate you on it; I pretty much like that-he took his watch out of his vest pocket-and it cost me three thousand francs.

—Voyons l’histoire, dit Franz à son tour, en tirant un fauteuil et en faisant signe à maître Pastrini de s’asseoir. "Let's see the story," said Franz, pulling an armchair and motioning for Master Pastrini to sit down.

—Leurs Excellences permettent? -Their Excellencies permit? dit l’hôte. says the host.

—Pardieu! -Good heavens! dit Albert, vous n’êtes pas un prédicateur, mon cher, pour parler debout.» said Albert, "you are not a preacher, my dear, to speak standing."

L’hôtelier s’assit, après avoir fait à chacun de ses futurs auditeurs un salut respectueux, lequel avait pour but d’indiquer qu’il était prêt à leur donner sur Luigi Vampa les renseignements qu’ils demandaient. The hotelkeeper sat down, after making a respectful bow to each of his future listeners, which was intended to indicate that he was ready to give them the information they asked for on Luigi Vampa.

«Ah çà, fit Franz, arrêtant maître Pastrini au moment où il ouvrait la bouche, vous dites que vous avez connu Luigi Vampa tout enfant; c’est donc encore un jeune homme? "Ah," said Franz, arresting Master Pastrini as he opened his mouth, "you say that you have known Luigi Vampa as a child; is he still a young man?

—Comment, un jeune homme! -A young man! je crois bien; il a vingt-deux ans à peine! I think so; he's barely twenty-two! Oh! c’est un gaillard qui ira loin, soyez tranquille! he is a fellow who will go far, be quiet!

—Que dites-vous de cela, Albert? -What do you say to that, Albert? c’est beau, à vingt-deux ans, de s’être déjà fait une réputation, dit Franz. It's beautiful, at twenty-two, to have already made a name for yourself, says Franz.

—Oui, certes, et, à son âge, Alexandre, César et Napoléon, qui depuis ont fait un certain bruit dans le monde, n’étaient pas si avancés que lui. "Yes, certainly, and at his age, Alexander, Caesar, and Napoleon, who have since made a certain noise in the world, were not so advanced as he.

—Ainsi, reprit Franz, s’adressant à son hôte, le héros dont nous allons entendre l’histoire n’a que vingt-deux ans. "So," said Franz, addressing his guest, "the hero whose story we are about to hear is only twenty-two years old.

—À peine, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire. “Hardly, as I had the honor to tell you. -Dificilmente, como tive a honra de vos dizer.

—Est-il grand ou petit? -Is it big or small?

—De taille moyenne: à peu près comme Son Excellence, dit l’hôte en montrant Albert. "Of average height: almost like His Excellency," said the host, pointing to Albert.

—Merci de la comparaison, dit celui-ci en s’inclinant. "Thanks for the comparison," he said, bowing.

—Allez toujours, maître Pastrini, reprit Franz, souriant de la susceptibilité de son ami. "Always go, Master Pastrini," said Franz, smiling at his friend's susceptibility. Et à quelle classe de la société appartenait-il? And what class of society did he belong to?

—C’était un simple petit pâtre attaché à la ferme du comte de San-Felice, située entre Palestrina et le lac de Gabri. -He was a simple little shepherd attached to the Count of San-Felice's farm, located between Palestrina and Lake Gabri. Il était né à Pampinara, et était entré à l’âge de cinq ans au service du comte. He was born at Pampinara, and at the age of five had entered the service of the count. Son père, berger lui-même à Anagni, avait un petit troupeau à lui; et vivait de la laine de ses moutons et de la récolte faite avec le lait de ses brebis, qu’il venait vendre à Rome. His father, a shepherd himself at Anagni, had a little flock of his own; and he lived on the wool of his sheep and on the harvest made with the milk of his sheep, which he came to sell in Rome.

«Tout enfant, le petit Vampa avait un caractère étrange. "As a child, the little Vampa had a strange character. Un jour, à l’âge de sept ans, il était venu trouver le curé de Palestrina, et l’avait prié de lui apprendre à lire. One day, at the age of seven, he had come to find the priest of Palestrina, and had asked him to teach him to read. C’était chose difficile; car le jeune pâtre ne pouvait pas quitter son troupeau. It was difficult thing; for the young shepherd could not leave his flock. Mais le bon curé allait tous les jours dire la messe dans un pauvre petit bourg trop peu considérable pour payer un prêtre, et qui, n’ayant pas même de nom, était connu sous celui dell’Borgo. But the good priest went every day to say mass in a poor little village, not very large enough to pay a priest, and who, having no name, was known as the dell'Borgo. Il offrit à Luigi de se trouver sur son chemin à l’heure de son retour et de lui donner ainsi sa leçon, le prévenant que cette leçon serait courte et qu’il eût par conséquent à en profiter. He offered Luigi to be on his way at the time of his return and thus give him his lesson, warning him that this lesson would be short and that he therefore had to take advantage of it.

«L’enfant accepta avec joie. "The child gladly accepted.

«Tous les jours, Luigi menait paître son troupeau sur la route de Palestrina au Borgo; tous les jours, à neuf heures du matin, le curé passait, le prêtre et l’enfant s’asseyaient sur le revers d’un fossé, et le petit pâtre prenait sa leçon dans le bréviaire du curé. "Every day Luigi led his flock on the road from Palestrina to Borgo; every day, at nine o'clock in the morning, the cure passed by, the priest and the child sat on the back of a ditch, and the little shepherd took his lesson in the parish priest's breviary.

«Au bout de trois mois, il savait lire. "After three months, he could read.

«Ce n’était pas tout, il lui fallait maintenant apprendre à écrire. "It was not everything, he now had to learn to write.

«Le prêtre fit faire par un professeur d’écriture de Rome trois alphabets: un en gros, un en moyen, et un en fin, et il lui montra qu’en suivant cet alphabet sur une ardoise il pouvait, à l’aide d’une pointe de fer, apprendre à écrire. "The priest had three alphabets, one in the middle, one in the middle, and one in the end, made by a Roman writing teacher, and he showed him that by following this alphabet on a slate he could, with the help of 'an iron tip, learn to write.

«Le même soir, lorsque le troupeau fut rentré à la ferme, le petit Vampa courut chez le serrurier de Palestrina, prit un gros clou, le forgea, le martela, l’arrondit, et en fit une espèce de stylet antique. "The same evening, when the flock returned to the farm, the little Vampa ran to the locksmith of Palestrina, took a big nail, forged it, hammered it, rounded it, and made it into a kind of antique stiletto.

«Le lendemain, il avait réuni une provision d’ardoises et se mettait à l’œuvre. “The next day he had gathered a supply of slates and set to work.

«Au bout de trois mois, il savait écrire. “After three months he could write.

«Le curé, étonné de cette profonde intelligence et touché de cette aptitude, lui fit cadeau de plusieurs cahiers de papier, d’un paquet de plumes et d’un canif. “The parish priest, astonished at this profound intelligence and touched by this aptitude, gave him several notebooks of paper, a bundle of feathers and a penknife.

«Ce fut une nouvelle étude à faire, mais étude qui n’était rien auprès de la première. "It was a new study to do, but study that was nothing from the first. Huit jours après, il maniait la plume comme il maniait le stylet. Eight days later, he handled the feather as he handled the stylus.

«Le curé raconta cette anecdote au comte de San-Felice, qui voulut voir le petit pâtre, le fit lire et écrire devant lui, ordonna à son intendant de le faire manger avec les domestiques, et lui donna deux piastres par mois. “The priest told this anecdote to the Count de San-Felice, who wanted to see the little shepherd, had him read and write in front of him, ordered his steward to feed him with the servants, and gave him two piastres a month.

«Avec cet argent, Luigi acheta des livres et des crayons. "With this money, Luigi bought books and pencils.

«En effet, il avait appliqué à tous les objets cette facilité d’imitation qu’il avait, et, comme Giotto enfant, il dessinait sur ses ardoises ses brebis, les arbres, les maisons. "Indeed, he had applied to all objects this facility for imitation that he had, and, like Giotto as a child, he drew on his slates his sheep, trees, houses.

«Puis, avec la pointe de son canif, il commença à tailler le bois et à lui donner toutes sortes de formes. “Then, with the point of his penknife, he began to cut the wood and give it all kinds of shapes. C’est ainsi que Pinelli, le sculpteur populaire, avait commencé. This is how Pinelli, the popular sculptor, began.

«Une jeune fille de six ou sept ans, c’est-à-dire un peu plus jeune que Vampa, gardait de son côté les brebis dans une ferme voisine de Palestrina; elle était orpheline, née à Valmontone, et s’appelait Teresa. "A girl of six or seven years, that is to say, a little younger than Vampa, kept the sheep on her side at a farm near Palestrina; she was an orphan, born in Valmontone, and her name was Teresa.

«Les deux enfants se rencontraient, s’asseyaient l’un près de l’autre, laissaient leurs troupeaux se mêler et paître ensemble, causaient, riaient et jouaient puis, le soir, on démêlait les moutons du comte de San-Felice d’avec ceux du baron de Cervetri, et les enfants se quittaient pour revenir à leur ferme respective, en se promettant de se retrouver le lendemain matin. "The two children met each other, sat next to each other, let their flocks mingle and graze together, chatted, laughed and played, and in the evening the sheep of the Count of San Felice were unraveled. with those of Baron de Cervetri, and the children left each other to return to their respective farms, promising to meet again the next morning.

«Le lendemain ils tenaient parole, et grandissaient ainsi côte à côte. "The next day they kept their word, and grew up side by side.

«Vampa atteignit douze ans, et la petite Teresa onze. “Vampa was twelve years old, and little Teresa eleven.

«Cependant, leurs instincts naturels se développaient. "However, their natural instincts were developing.

«À côté du goût des arts que Luigi avait poussé aussi loin qu’il le pouvait faire dans l’isolement, il était triste par boutade, ardent par secousse, colère par caprice, railleur toujours. "Beside the taste of the arts that Luigi had pushed as far as he could in isolation, he was sad by jest, burning with jerk, anger on a whim, always a joke. Aucun des jeunes garçons de Pampinara, de Palestrina ou de Valmontone n’avait pu non seulement prendre aucune influence sur lui, mais encore devenir son compagnon. None of the young boys of Pampinara, Palestrina, or Valmontone had not only been able to influence him, but to become his companion. Son tempérament volontaire, toujours disposé à exiger sans jamais vouloir se plier à aucune concession, écartait de lui tout mouvement amical, toute démonstration sympathique. His voluntary temperament, always disposed to demand without ever yielding to any concession, dismissed from him any friendly movement, any sympathetic demonstration. Teresa seule commandait d’un mot, d’un regard, d’un geste à ce caractère entier qui pliait sous la main d’une femme, et qui, sous celle de quelque homme que ce fût, se serait raidi jusqu’à rompre. Teresa alone commanded with a word, a look, a gesture, that whole character which was bending under the hand of a woman, and which, under that of any man, would have stiffened to the point of breaking .

«Teresa était, au contraire, vive, alerte et gaie, mais coquette à l’excès, les deux piastres que donnait à Luigi l’intendant du comte de San-Felice, le prix de tous les petits ouvrages sculptés qu’il vendait aux marchands de joujoux de Rome passaient en boucles d’oreilles de perles, en colliers de verre, en aiguilles d’or. "Teresa was, on the contrary, lively, alert, and cheerful, but exceedingly coquettish, the two piastres which Luigi, steward of the Comte de San Felice, gave the price of all the little carved works which he sold to the Rome's toy merchants passed in pearl earrings, in glass necklaces, in gold needles. Aussi, grâce à cette prodigalité de son jeune ami, Teresa était-elle la plus belle et la plus élégante paysanne des environs de Rome. Also, thanks to this prodigality of her young friend, Teresa was she the most beautiful and the most elegant peasant woman in the neighborhood of Rome.

«Les deux enfants continuèrent à grandir, passant toutes leurs journées ensemble, et se livrant sans combat aux instincts de leur nature primitive. "The two children continued to grow up, spending all their days together, and indulging in the instincts of their primitive nature. Aussi, dans leurs conversations, dans leurs souhaits, dans leurs rêves, Vampa se voyait toujours capitaine de vaisseau, général d’armée ou gouverneur d’une province; Teresa se voyait riche, vêtue des plus belles robes et suivie de domestiques en livrée, puis, quand ils avaient passé toute la journée à broder leur avenir de ces folles et brillantes arabesques, ils se séparaient pour ramener chacun leurs moutons dans leur étable, et redescendre, de la hauteur de leurs songes, à l’humilité de leur position réelle. Also, in their conversations, in their wishes, in their dreams, Vampa always saw himself captain of ships, general of army or governor of a province; Teresa saw herself rich, dressed in the most beautiful dresses, and followed by servants in livery, then, when they had spent the whole day embroidering their future with these crazy and brilliant arabesques, they separated to bring back each their sheep in their stable, and to descend from the height of their dreams to the humility of their real position.

«Un jour, le jeune berger dit à l’intendant du comte qu’il avait vu un loup sortir des montagnes de la Sabine et rôder autour de son troupeau. "One day the young shepherd told the intendant of the count that he had seen a wolf come out of the mountains of Sabine and prowl around his flock. L’intendant lui donna un fusil: c’est ce que voulait Vampa. The intendant gave him a rifle, which was what Vampa wanted.

«Ce fusil se trouva par hasard être un excellent canon de Brescia, portant la balle comme une carabine anglaise; seulement un jour le comte, en assommant un renard blessé, en avait cassé la crosse et l’on avait jeté le fusil au rebut. "This rifle happened to be an excellent canon of Brescia, carrying the bullet like an English rifle; only one day the count, by knocking out a wounded fox, had broken his butt, and the rifle had been thrown away.

«Cela n’était pas une difficulté pour un sculpteur comme Vampa. "It was not a problem for a sculptor like Vampa. Il examina la couche primitive, calcula ce qu’il fallait y changer pour la mettre à son coup d’œil, et fit une autre crosse chargée d’ornements si merveilleux que, s’il eût voulu aller vendre à la ville le bois seul, il en eût certainement tiré quinze ou vingt piastres. He examined the primitive layer, calculated what was to be changed to make it look at him, and made another butt loaded with ornaments so marvelous that if he had wanted to sell the wood alone to the city he would certainly have taken fifteen or twenty piastres.

«Mais il n’avait garde d’agir ainsi: un fusil avait longtemps été le rêve du jeune homme. "But he was careful not to act like this: a rifle had long been the dream of the young man. Dans tous les pays où l’indépendance est substituée à la liberté, le premier besoin qu’éprouve tout cœur fort, toute organisation puissante, est celui d’une arme qui assure en même temps l’attaque et la défense, et qui faisant celui qui la porte terrible, le fait souvent redouté. In all the countries where independence is substituted for liberty, the first need that any strong heart feels, all powerful organization, is that of a weapon which assures at the same time the attack and the defense, and which makes who wears it terrible, often dreads it.

«À partir de ce moment, Vampa donna tous les instants qui lui restèrent à l’exercice du fusil; il acheta de la poudre et des balles, et tout lui devint un but: le tronc de l’olivier, triste, chétif et gris, qui pousse au versant des montagnes de la Sabine; le renard qui, le soir, sortait de son terrier pour commencer sa chasse nocturne, et l’aigle qui planait dans l’air. "From that moment, Vampa gave all the moments that remained to the exercise of the rifle; he bought powder and bullets, and all became to him a goal: the trunk of the olive tree, sad, puny and gray, which grows on the slope of the mountains of Sabine; the fox who, in the evening, came out of his burrow to begin his nocturnal hunt, and the eagle hovering in the air. Bientôt il devint si adroit, que Teresa surmontait la crainte qu’elle avait éprouvée d’abord en entendant la détonation, et s’amusa à voir son jeune compagnon placer la balle de son fusil où il voulait la mettre, avec autant de justesse que s’il l’eût poussée avec la main. Soon he became so dexterous that Teresa overcame the fear that she felt at first on hearing the report, and amused herself by seeing her young companion place the bullet of his rifle where he wanted to put it, with as much accuracy as if he had pushed it with his hand.

«Un soir, un loup sortit effectivement d’un bois de sapins près duquel les deux jeunes gens avaient l’habitude de demeurer: le loup n’avait pas fait dix pas en plaine qu’il était mort. "One night a wolf came out of a fir tree near which the two young men used to live: the wolf had not made ten steps in the plain that he was dead.

«Vampa, tout fier de ce beau coup, le chargea sur ses épaules et le rapporta à la ferme. "Vampa, proud of this beautiful blow, loaded it on his shoulders and brought it back to the farm.

«Tous ces détails donnaient à Luigi une certaine réputation aux alentours de la ferme; l’homme supérieur partout où il se trouve, se crée une clientèle d’admirateurs. On parlait dans les environs de ce jeune pâtre comme du plus adroit, du plus fort et du plus brave contadino qui fût à dix lieues à la ronde; et quoique de son côté Teresa, dans un cercle plus étendu encore, passât pour une des plus jolies filles de la Sabine, personne ne s’avisait de lui dire un mot d’amour, car on la savait aimée par Vampa. There was talk in the neighborhood of this young shepherd as the most skilful, the strongest and the bravest contadino who was ten leagues round; and although Teresa, in a still greater circle, was considered one of the most beautiful girls of Sabine, no one ventured to say a word of love to her, for they knew she was loved by Vampa.

«Et cependant les deux jeunes gens ne s’étaient jamais dit qu’ils s’aimaient. "And yet the two young men never said that they loved each other. Ils avaient poussé l’un à côté de l’autre comme deux arbres qui mêlent leurs racines sous le sol, leurs branches dans l’air, leur parfum dans le ciel; seulement leur désir de se voir était le même; ce désir était devenu un besoin, et ils comprenaient plutôt la mort qu’une séparation d’un seul jour. They had grown side by side like two trees which mingle their roots under the ground, their branches in the air, their perfume in the sky; only their desire to see each other was the same; this desire had become a need, and they understood death rather than a one-day separation.

«Teresa avait seize ans et Vampa dix-sept.

«Vers ces temps, on commença de parler beaucoup d’une bande de brigands qui s’organisait dans les monts Lepini. "About these times, people began to talk a lot about a band of brigands who organized themselves in the Lepini mountains. Le brigandage n’a jamais été sérieusement extirpé dans le voisinage de Rome. Robbery has never been seriously extirpated in the neighborhood of Rome. Il manque de chefs parfois, mais quand un chef se présente, il est rare qu’il lui manque une bande. It lacks leaders sometimes, but when a leader shows up, he is rarely missing a band.

«Le célèbre Cucumetto, traqué dans les Abruzzes chassé du royaume de Naples, où il avait soutenu une véritable guerre, avait traversé Garigliano comme Manfred, et était venu entre Sonnino et Juperno se réfugier sur les bords de l’Amasine. “The famous Cucumetto, hunted down in Abruzzo, driven out of the kingdom of Naples, where he had supported a real war, had crossed Garigliano like Manfred, and had come between Sonnino and Juperno to take refuge on the banks of the Amasine.

«C’était lui qui s’occupait à réorganiser une troupe, et qui marchait sur les traces de Decesaris et de Gasparone, qu’il espérait bientôt surpasser. "It was he who was busy reorganizing a troop, and who was following in the footsteps of Decesaris and Gasparone, whom he hoped to surpass. Plusieurs jeunes gens de Palestrina, de Frascati et de Pampinara disparurent. Several young men from Palestrina, Frascati and Pampinara disappeared. On s’inquiéta d’eux d’abord puis bientôt on sut qu’ils étaient allés rejoindre la bande de Cucumetto. They were worried about them first and then soon they knew that they had gone to join the Cucumetto band.

«Au bout de quelque temps, Cucumetto devint l’objet de l’attention générale. "After a while, Cucumetto became the object of general attention. On citait de ce chef de bandits des traits d’audace extraordinaires et de brutalité révoltante. From this bandit leader were cited extraordinary daring traits and revolting brutality.

«Un jour, il enleva une jeune fille: c’était la fille de l’arpenteur de Frosinone. "One day he kidnapped a young girl: she was the daughter of the Frosinone surveyor. Les lois des bandits sont positives: une jeune fille est à celui qui l’enlève d’abord, puis les autres la tirent au sort, et la malheureuse sert aux plaisirs de toute la troupe jusqu’à ce que les bandits l’abandonnent ou qu’elle meure. The laws of bandits are positive: a girl is the one who removes first, then the others draw lots, and the unfortunate girl serves the pleasures of all the troop until the bandits abandon or let her die.

«Lorsque les parents sont assez riches pour la racheter, on envoie un messager qui traite de la rançon; la tête de la prisonnière répond de la sécurité de l’émissaire. "When the parents are rich enough to buy it back, they send a messenger who deals with the ransom; the prisoner's head answers for the safety of the emissary. Si la rançon est refusée, la prisonnière est condamnée irrévocablement.

«La jeune fille avait son amant dans la troupe de Cucumetto: il s’appelait Carlini. "The girl had her lover in the Cucumetto troupe: his name was Carlini.

«En reconnaissant le jeune homme, elle tendit les bras vers lui et se crut sauvée. "In recognizing the young man, she extended her arms towards him and thought herself saved. Mais le pauvre Carlini, en la reconnaissant, lui, sentit son cœur se briser, car il se doutait bien du sort qui attendait sa maîtresse. But poor Carlini, recognizing him, felt his heart shatter, for he was suspicious of the fate awaiting his mistress.

«Cependant, comme il était le favori de Cucumetto, comme il avait partagé ses dangers depuis trois ans, comme il lui avait sauvé la vie en abattant d’un coup de pistolet un carabinier qui avait déjà le sabre levé sur sa tête, il espéra que Cucumetto aurait quelque pitié de lui. "However, as he was the favorite of Cucumetto, as he had shared his dangers for three years, as he had saved his life by shooting with a pistol shot a rifleman who already had the sword raised on his head, he hoped that Cucumetto would have some pity for him.

«Il prit donc le chef à part, tandis que la jeune fille, assise contre le tronc d’un grand pin qui s’élevait au milieu d’une clairière de la forêt, s’était fait un voile de la coiffure pittoresque des paysannes romaines et cachait son visage aux regards luxurieux des bandits. So he took the chief by himself, while the girl, seated against the trunk of a tall pine tree which rose in the middle of a clearing in the forest, had made a veil of the peasant's picturesque hairstyle. and hid his face from the luxurious looks of bandits.

«Là, il lui raconta tout, ses amours avec la prisonnière, leurs serments de fidélité, et comment chaque nuit, depuis qu’ils étaient dans les environs, ils se donnaient rendez-vous dans une ruine. "There he told him everything, his love with the prisoner, their oaths of fidelity, and how every night, since they were in the neighborhood, they were meeting in a ruin.

«Ce soir-là justement, Cucumetto avait envoyé Carlini dans un village voisin, il n’avait pu se trouver au rendez-vous; mais Cucumetto s’y était trouvé par hasard, disait-il, et c’est alors qu’il avait enlevé la jeune fille. "That evening, Cucumetto had sent Carlini to a neighboring village, he could not be at the rendezvous; but Cucumetto was there by chance, he said, and it was then that he had kidnapped the girl.

«Carlini supplia son chef de faire une exception en sa faveur et de respecter Rita, lui disant que le père était riche et qu’il payerait une bonne rançon. "Carlini begged her chief to make an exception in her favor and to respect Rita, telling her that the father was rich and that he would pay a good ransom.

«Cucumetto parut se rendre aux prières de son ami, et le chargea de trouver un berger qu’on pût envoyer chez le père de Rita à Frosinone. Cucumetto appeared to go to his friend's prayers, and charged him to find a shepherd whom could be sent to Rita's father at Frosinone.

«Alors Carlini s’approcha tout joyeux de la jeune fille, lui dit qu’elle était sauvée, et l’invita à écrire à son père une lettre dans laquelle elle racontait ce qui lui était arrivé, et lui annoncerait que sa rançon était fixée à trois cents piastres. "Then Carlini approached the girl with joy, told her that she was saved, and invited her to write to her father a letter in which she related what had happened to her, and would announce that her ransom was fixed. to three hundred dollars.

«On donnait pour tout délai au père douze heures, c’est-à-dire jusqu’au lendemain neuf heures du matin. "The father was given twelve hours, that is to say, until nine o'clock in the morning.

«La lettre écrite, Carlini s’en empara aussitôt et courut dans la plaine pour chercher un messager. "The letter written, Carlini seized it immediately and ran to the plain to seek a messenger.

«Il trouva un jeune pâtre qui parquait son troupeau. "He found a young shepherd who was stocking his flock. Les messagers naturels des bandits sont les bergers, qui vivent entre la ville et la montagne, entre la vie sauvage et la vie civilisée. The natural messengers of the bandits are the shepherds, who live between the city and the mountain, between the wild life and the civilized life.

«Le jeune berger partit aussitôt, promettant d’être avant une heure à Frosinone. "The young shepherd left at once, promising to be before one o'clock at Frosinone.

«Carlini revint tout joyeux pour rejoindre sa maîtresse et lui annoncer cette bonne nouvelle.

«Il trouva la troupe dans la clairière, où elle soupait joyeusement des provisions que les bandits levaient sur les paysans comme un tribut seulement; au milieu de ces gais convives, il chercha vainement Cucumetto et Rita. "He found the troop in the clearing, where it happily supped provisions that the bandits raised on the peasants as a tribute only; In the midst of these gay guests, he searched in vain for Cucumetto and Rita.

«Il demanda où ils étaient, les bandits répondirent par un grand éclat de rire. Une sueur froide coula sur le front de Carlini, et il sentit l’angoisse qui le prenait aux cheveux. A cold sweat ran down Carlini's forehead, and he felt the anguish that gripped his hair.

«Il renouvela sa question. Un des convives remplit un verre de vin d’Orvieto et le lui tendit en disant: One of the guests filled a glass of Orvieto wine and handed it to him, saying:

«—À la santé du brave Cucumetto et de la belle Rita! "To the health of the brave Cucumetto and the beautiful Rita!

«En ce moment, Carlini crut entendre un cri de femme. "At this moment Carlini thought he heard a woman cry. Il devina tout. He guessed everything. Il prit le verre, le brisa sur la face de celui qui le lui présentait, et s’élança dans la direction du cri. He took the glass, broke it on the face of the one who presented it to him, and darted in the direction of the cry.

«Au bout de cent pas, au détour d’un buisson, il trouva Rita évanouie entre les bras de Cucumetto. "At the end of a hundred paces, at the turn of a bush, he found Rita fainting in the arms of Cucumetto.

«En apercevant Carlini, Cucumetto se releva tenant un pistolet de chaque main. "On seeing Carlini, Cucumetto got up with a pistol in each hand.

«Les deux bandits se regardèrent un instant: l’un le sourire de la luxure sur les lèvres, l’autre la pâleur de la mort sur le front. "The two bandits looked at each other for a moment: one with a smile of lust on his lips, the other with the pallor of death on his forehead.

«On eût cru qu’il allait se passer entre ces deux hommes quelque chose de terrible. "It seemed as if something terrible was going to happen between these two men. Mais peu à peu les traits de Carlini se détendirent, sa main, qu’il avait portée à un des pistolets de sa ceinture, retomba près de lui pendante à son côté. But little by little Carlini's features relaxed, his hand, which he had carried to one of the pistols in his belt, fell down beside him, hanging down beside him.

«Rita était couchée entre eux deux. "Rita was lying between them.

«La lune éclairait cette scène. "The moon illuminated this scene.

«—Eh bien, lui dit Cucumetto, as-tu fait la commission dont tu t’étais chargé? "Well," said Cucumetto, "have you done the commission with which you have been charged?

«—Oui, capitaine, répondit Carlini, et demain, avant neuf heures, le père de Rita sera ici avec l’argent. "Yes, captain," answered Carlini, "and tomorrow, before nine o'clock, Rita's father will be here with the money.

«—À merveille. "-Wonderfully. En attendant, nous allons passer une joyeuse nuit. In the meantime, we will spend a happy night. Cette jeune fille est charmante, et tu as, en vérité, bon goût, maître Carlini. This girl is charming, and you have, in truth, good taste, Master Carlini. Aussi comme je ne suis pas égoïste nous allons retourner auprès des camarades et tirer au sort à qui elle appartiendra maintenant. Also, as I am not selfish, we will go back to the classmates and draw lots to whom it will belong now.

«—Ainsi vous êtes décidé à l’abandonner à la loi commune? "So you have decided to abandon it to the common law? demanda Carlini.

«—Et pourquoi ferait-on exception en sa faveur? "And why should we make an exception in his favor?

«—J’avais cru qu’à ma prière.... "I had thought that at my prayer ....

«—Et qu’es-tu plus que les autres? "And what are you more than others?

«—C’est juste.

«—Mais sois tranquille, reprit Cucumetto en riant, un peu plus tôt, un peu plus tard, ton tour viendra. "But be quiet," said Cucumetto, laughing a little earlier, "a little later, your turn will come.

«Les dents de Carlini se serraient à se briser. "Carlini's teeth were breaking.

«—Allons, dit Cucumetto en faisant un pas vers les convives, viens-tu? "Come," said Cucumetto, taking a step towards the guests, "are you coming?

«—Je vous suis.... "-I follow you....

«Cucumetto s’éloigna sans perdre de vue Carlini, car sans doute il craignait qu’il ne le frappât par derrière. "Cucumetto went off without losing sight of Carlini, for no doubt he feared that he would strike him from behind. Mais rien dans le bandit ne dénonçait une intention hostile. But nothing in the bandit denounced a hostile intention.

«Il était debout, les bras croisés, près de Rita toujours évanouie. "He was standing, arms crossed, near Rita still unconscious.

«Un instant, l’idée de Cucumetto fut que le jeune homme allait la prendre dans ses bras et fuir avec elle. "For a moment, Cucumetto's idea was that the young man would take her in his arms and flee with her. Mais peu lui importait maintenant, il avait eu de Rita ce qu’il voulait; et quant à l’argent, trois cents piastres réparties à la troupe faisaient une si pauvre somme qu’il s’en souciait médiocrement. But it did not matter to him now, he had what Rita wanted; and as for money, three hundred piastres distributed to the troops made such a small sum that he cared little for it.

«Il continua donc sa route vers la clairière; mais, à son grand étonnement, Carlini y arriva presque aussitôt que lui. "So he continued his way to the clearing; but, to his great astonishment, Carlini arrived there almost as soon as he did.

«—Le tirage au sort! "-The draw! le tirage au sort! the draw! crièrent tous les bandits en apercevant le chef. cried all the bandits, seeing the chief.

«Et les yeux de tous ces hommes brillèrent d’ivresse et de lascivité, tandis que la flamme du foyer jetait sur toute leur personne une lueur rougeâtre qui les faisait ressembler à des démons. "And the eyes of all these men shone with drunkenness and lasciviousness, while the flame of the hearth cast on their whole person a red glow that made them look like demons.

«Ce qu’ils demandaient était juste; aussi le chef fit-il de la tête un signe annonçant qu’il acquiesçait à leur demande. "What they asked was right; so the leader nodded, announcing that he acquiesced at their request. On mit tous les noms dans un chapeau, celui de Carlini comme ceux des autres, et le plus jeune de la bande tira de l’urne improvisée un bulletin. All the names were put in a hat, that of Carlini, like those of the others, and the youngest of the band drew from the improvised ballot box a ballot.

«Ce bulletin portait le nom de Diavolaccio. "This newsletter was called Diavolaccio.

«C’était celui-là même qui avait proposé à Carlini la santé du chef, et à qui Carlini avait répondu en lui brisant le verre sur la figure. "It was the very one who had proposed to Carlini the health of the chief, and to whom Carlini had replied by breaking the glass on his face.

«Une large blessure ouverte de la tempe à la bouche, laissait couler le sang à flots. "A wide open wound from the temple to the mouth, let the blood flow freely.

«Diavolaccio, se voyant ainsi favorisé de la fortune, poussa un éclat de rire. Diavolaccio, seeing himself thus favored by fortune, gave a burst of laughter.

«—Capitaine, dit-il, tout à l’heure Carlini n’a pas voulu boire à votre santé, proposez-lui de boire à la mienne; il aura peut-être plus de condescendance pour vous que pour moi.» "-Capitaine," said he, "just now Carlini did not want to drink to your health, propose to him to drink to mine; he may be more condescending to you than to me. "

«Chacun s’attendait à une explosion de la part de Carlini; mais au grand étonnement de tous, il prit un verre d’une main, un fiasco de l’autre, puis, remplissant le verre: "Everyone was expecting an explosion from Carlini; but to the astonishment of all, he took a glass with one hand, a fiasco on the other, then, filling the glass:

«—À ta santé, Diavolaccio, dit-il d’une voix parfaitement calme. "To your health, Diavolaccio," he said in a perfectly calm voice.

«Et il avala le contenu du verre sans que sa main tremblât. "And he swallowed the contents of the glass without his hand trembling. Puis, s’asseyant près du feu: Then, sitting by the fire:

«—Ma part de souper! "Leave me for supper! dit-il; la course que je viens de faire m’a donné de l’appétit. he said; the race I have just made gave me an appetite.

«—Vive Carlini! "-Vive Carlini! s’écrièrent les brigands. cried the brigands.

«—À la bonne heure, voilà ce qui s’appelle prendre la chose en bon compagnon. "At the right time, that's what is called taking the thing as a good companion.

«Et tous reformèrent le cercle autour du foyer, tandis que Diavolaccio s’éloignait. "And all reformed the circle around the hearth, while Diavolaccio moved away.

«Carlini mangeait et buvait, comme si rien ne s’était passé. "Carlini was eating and drinking, as if nothing had happened.

«Les bandits le regardaient avec étonnement, ne comprenant rien à cette impassibilité, lorsqu’ils entendirent derrière eux retentir sur le sol un pas alourdi. "The bandits looked at him in astonishment, understanding nothing of this impassibility, when they heard behind them a heavy step on the ground.

«Ils se retournèrent et aperçurent Diavolaccio tenant la jeune fille entre ses bras. "They turned around and saw Diavolaccio holding the girl in his arms.

«Elle avait la tête renversée, et ses longs cheveux pendaient jusqu’à terre. She had her head thrown back, and her long hair hung to the ground.

«À mesure qu’ils entraient dans le cercle de la lumière projetée par le foyer, on s’apercevait de la pâleur de la jeune fille et de la pâleur du bandit. "As they entered the circle of the light projected by the hearth, one noticed the pallor of the girl and the pallor of the bandit.

«Cette apparition avait quelque chose de si étrange et de si solennel, que chacun se leva, excepté Carlini, qui resta assis et continua de boire et de manger, comme si rien ne se passait autour de lui. "This apparition was so strange and so solemn that everyone got up, except Carlini, who sat and continued to drink and eat, as if nothing was happening around him.

«Diavolaccio continuait de s’avancer au milieu du plus profond silence, et déposa Rita aux pieds du capitaine. Diavolaccio continued to advance in the midst of the deepest silence, and laid Rita at the captain's feet.

«Alors tout le monde put reconnaître la cause de cette pâleur de la jeune fille et de cette pâleur du bandit: Rita avait un couteau enfoncé jusqu’au manche au-dessous de la mamelle gauche. "Then everyone could recognize the cause of the girl's pallor and the pallor of the bandit: Rita had a knife pushed down to the handle below the left breast.

«Tous les yeux se portèrent sur Carlini: la gaine était vide à sa ceinture. "All eyes were on Carlini: the sheath was empty at his belt.

«—Ah! ah! dit le chef, je comprends maintenant pourquoi Carlini était resté en arrière. said the chief, I now understand why Carlini had stayed behind.

«Toute nature sauvage est apte à apprécier une action forte; quoique peut-être aucun des bandits n’eût fait ce que venait de faire Carlini, tous comprirent ce qu’il avait fait. "Every wilderness is apt to appreciate a strong action; though perhaps none of the bandits had done what Carlini had done, all understood what he had done.

«—Eh bien, dit Carlini en se levant à son tour et en s’approchant du cadavre, la main sur la crosse d’un de ses pistolets, y a-t-il encore quelqu’un qui me dispute cette femme? "Well," said Carlini, getting up in his turn and approaching the corpse, his hand on the butt of one of his pistols, "is there anyone else who is arguing with me about this woman?

«—Non, dit le chef, elle est à toi!» "No," said the chief, "she is yours!"

«Alors Carlini la prit à son tour dans ses bras, et l’emporta hors du cercle de lumière que projetait la flamme du foyer. "Then Carlini took her in his arms, and carried her out of the circle of light that was projected by the flame of the hearth.

«Cucumetto disposa les sentinelles comme d’habitude, et les bandits se couchèrent, enveloppés dans leurs manteaux, autour du foyer. "Cucumetto arranged the sentinels as usual, and the bandits lay down, wrapped in their coats, around the hearth.

«À minuit, la sentinelle donna l’éveil, et en un instant le chef et ses compagnons furent sur pied. "At midnight the sentry gave the awakening, and in an instant the chief and his companions were on their feet.

«C’était le père de Rita, qui arrivait lui-même, portant la rançon de sa fille. "It was Rita's father, who arrived himself, carrying the ransom of his daughter.

«—Tiens, dit-il à Cucumetto en lui tendant un sac d’argent, voici trois cents pistoles, rends-moi mon enfant. "Here," he said to Cucumetto, handing him a sack of money, "here are three hundred pistoles, give me back my child."

«Mais le chef, sans prendre l’argent, lui fit signe de le suivre. "But the chief, without taking the money, made him a sign to follow him. Le vieillard obéit; tous deux s’éloignèrent sous les arbres, à travers les branches desquels filtraient les rayons de la lune. The old man obeys; both went off under the trees, through whose branches the rays of the moon filtered. Enfin Cucumetto s’arrêta étendant la main et montrant au vieillard deux personnes groupées au pied d’un arbre: At last Cucumetto stopped, extending his hand and showing the old man two people grouped at the foot of a tree:

«—Tiens, lui dit-il, demande ta fille à Carlini, c’est lui qui t’en rendra compte. "Here," said he, "ask your daughter to Carlini, he will tell you."

«Et il s’en retourna vers ses compagnons. "And he returned to his companions.

«Le vieillard resta immobile et les yeux fixes. "The old man remained motionless, his eyes fixed. Il sentait que quelque malheur inconnu, immense, inouï, planait sur sa tête. He felt that some unknown misery, immense, unheard, hovered over his head.

«Enfin, il fit quelques pas vers le groupe informe dont il ne pouvait se rendre compte. "Finally, he took a few steps towards the shapeless group he could not see.