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LE PETIT VIEUX DES BATIGNOLLES de Émile Gaboriau, Chapitre 7

Chapitre 7

VII

Il n'était pas loin de dix heures lorsque monsieur Méchinet, que j'escortais toujours, sonna à la porte de son appartement. – Je n'emporte jamais de passe-partout, me dit-il. Dans notre sacré métier, on ne sait jamais ce qui peut arriver… Il y a bien des gredins qui m'en veulent, et si je ne suis pas toujours prudent pour moi, je dois l'être pour ma femme. L'explication de mon digne voisin était superflue : j'avais compris. J'avais même observé qu'il sonnait d'une façon particulière, qui devait être un signal convenu entre sa femme et lui. Ce fut la gentille madame Méchinet qui vint nous ouvrir.

D'un mouvement preste et gracieux autant que celui d'une chatte, elle sauta au cou de son mari, en s'écriant : – Te voilà donc !… je ne sais pourquoi, j'étais presque inquiète… Mais elle s'arrêta brusquement : elle venait de m'apercevoir. Sa gaie physionomie s'assombrit, et elle se recula ; et s'adressant autant à moi qu'à son mari : – Quoi ! reprit-elle, vous sortez du café, à cette heure !… cela n'a pas le sens commun ! Monsieur Méchinet avait aux lèvres l'indulgent sourire de l'homme sûr d'être aimé, qui sait pouvoir apaiser d'un seul mot la querelle qu'on lui cherche. – Ne nous gronde pas, Caroline, répondit-il, m'associant à sa cause par ce pluriel, nous ne sortons pas du café et nous n'avons pas perdu notre temps… On est venu me chercher pour une affaire, pour un assassinat commis aux Batignolles. D'un regard soupçonneux, la jeune femme nous examina alternativement, son mari et moi, et quand elle fut persuadée qu'on ne la trompait pas, elle fit seulement : – Ah !…

Mais il faudrait une page pour détailler tout ce que contenait cette brève exclamation.

Elle s'adressait à monsieur Méchinet et signifiait clairement : – Quoi ! tu t'es confié à ce jeune homme, tu lui as révélé ta situation, tu l'as initié à nos secrets ! C'est ainsi que je l'interprétais, ce « ah ! » si éloquent, et mon digne voisin l'interpréta comme moi, car il répondit : – Eh bien ! oui. Où est le mal ? Si j'ai à redouter la vengeance des misérables que j'ai livrés à la justice, qu'ai-je à craindre des honnêtes gens ?… T'imaginerais-tu, par hasard, que je me cache, que j'ai honte de mon métier… – Tu m'as mal compris, mon ami, objecta la jeune femme… Monsieur Méchinet ne l'entendit même pas. Il venait d'enfourcher – je connus ce détail plus tard – un dada favori qui l'emportait toujours. – Parbleu ! poursuivit-il, tu as de singulières idées, madame ma femme. Quoi ! je suis une des sentinelles perdues de la civilisation, au prix de mon repos et au risque de ma vie, j'assure la sécurité de la société et j'en rougirais !… Ce serait par trop plaisant. Tu me diras qu'il existe, contre nous autres de la police, quantité de préjugés ineptes légués par le passé… Que m'importe ! Oui, je sais qu'il y a des messieurs susceptibles qui nous regardent de très haut… Mais sacrebleu ! je voudrais bien voir leur mine si demain mes collègues et moi nous nous mettions en grève, laissant le pavé libre à l'armée de gredins que nous tenons en respect ! Accoutumée sans doute à des sorties de ce genre, madame Méchinet ne souffla mot, et bien elle fit, car mon brave voisin ne rencontrant pas de contradiction, se calma comme par enchantement.

– Mais en voici assez, dit-il à sa femme. Il s'agit pour l'instant d'une chose bien autrement importante… Nous n'avons pas dîné, nous mourons de faim, as-tu de quoi nous donner à souper ?… Ce qui arrivait ce soir devait être arrivé trop souvent pour que madame Méchinet se laissât prendre sans vert.

– Dans cinq minutes, ces messieurs seront servis, répondit-elle avec le plus aimable sourire.

En effet, le moment d'après, nous nous mettions à table devant une belle pièce de bœuf froid, servie par madame Méchinet qui ne cessait de remplir nos verres d'un excellent petit vin de Mâcon. Et moi, pendant que mon digne voisin jouait de la fourchette en conscience, considérant cet intérieur paisible qui était le sien, cette jolie petite femme prévenante qui était la sienne, je me demandais si c'était bien là un de ces « farouches » agents de la sûreté qui ont été les héros de tant de récits absurdes. Cependant la grosse faim ne tarda pas à être apaisée, et monsieur Méchinet entreprit de raconter à sa femme notre expédition.

Et il ne racontait pas à la légère, il descendait dans les plus menus détails. Elle s'était assise à côté de lui, et à la façon dont elle écoutait, d'un petit air capable, demandant des explications quand elle n'avait pas bien compris, on devinait l'Égérie bourgeoise habituée à être consultée et qui a voix délibérative. Lorsque monsieur Méchinet eut achevé :

– Tu as fait une grande faute, lui dit-elle, une faute irréparable.

– Laquelle ?…

– Ce n'est pas à la préfecture qu'il fallait aller, en quittant les Batignolles… – Cependant, Monistrol…

– Oui, tu voulais l'interroger… Quel bénéfice en as-tu retiré ? – Cela m'a servi, ma chère amie… – À rien. C'est rue Vivienne, que tu devais courir, chez la femme… Tu la surprenais sous le coup de l'émotion qu'elle a nécessairement ressentie de l'arrestation de son mari, et si elle est complice, comme on doit le supposer, avec un peu d'adresse tu la confessais… J'avais bondi sur ma chaise à ces mots. – Quoi, madame, m'écriai-je, vous croyez Monistrol coupable !… Après un moment d'hésitation, elle répondit : – Oui.

Puis très vivement :

– Mais je suis sûre, entendez-vous, absolument sûre, que l'idée du meurtre vient de la femme. Sur vingt crimes commis par les hommes, quinze ont été conçus, ruminés et inspirés par des femmes… demandez à Méchinet. La déposition de la concierge eût dû vous éclairer. Qu'est-ce que cette madame Monistrol ? Une personne remarquablement belle, vous a-t-on dit, coquette, ambitieuse, rongée de convoitises et qui mène son mari par le bout du nez. Or quelle était sa position ? Mesquine, étroite, précaire. Elle en souffrait, et la preuve c'est qu'elle a demandé à son oncle de lui prêter cent mille francs. Il les lui a refusés, faisant ainsi avorter ses espérances. Croyez-vous qu'elle ne lui en a pas voulu mortellement !… Allez, elle a dû se répéter bien souvent : “S'il mourait, cependant, ce vieil avare, nous serions riches, mon mari et moi !…” Et quand elle le voyait bien portant et solide comme un chêne, fatalement elle se disait : “Il vivra cent ans… quand il nous laissera son héritage, nous n'aurons plus de dents pour le croquer… et qui sait même s'il ne nous enterrera pas !…” De là à concevoir l'idée d'un crime, y a-t-il donc si loin ?… Et la résolution une fois arrêtée dans son esprit, elle aura préparé son mari de longue main, elle l'aura familiarisé avec la pensée d'un assassinat, elle lui aura mis, comme on dit, le couteau à la main… Et lui, un jour, menacé de la faillite, affolé par les lamentations de sa femme, il a fait le coup… – Tout cela est logique, approuvait monsieur Méchinet.

Très logique, sans doute, mais que devenaient les circonstances relevées par nous ?

– Alors, madame, dis-je, vous supposez Monistrol assez bête pour s'être dénoncé en écrivant son nom… Elle haussa légèrement les épaules, et répondit :

– Est-ce une bêtise ? Moi, je soutiens que non, puisque c'est votre argument le plus fort en faveur de son innocence. Le raisonnement était si spécieux que j'en demeurai un moment interdit. Puis, me remettant :

– Mais il s'avoue coupable, madame, insistai-je. – Excellent moyen pour engager la justice à démontrer son innocence…

– Oh !

– Vous en êtes la preuve, cher monsieur Godeuil.

– Eh ! madame, le malheureux ne sait pas comment son oncle a été tué !…

– Pardon, il a paru ne pas le savoir… ce qui n'est pas la même chose. La discussion s'animait, et elle eût duré longtemps encore, si monsieur Méchinet n'y eût mis un terme. – Allons, allons, dit-il bonnement à sa femme, tu es par trop romanesque, ce soir…

Et s'adressant à moi : – Quant à vous, poursuivit-il, j'irai vous prendre demain, et nous irons ensemble chez madame Monistrol… Et sur ce, comme je tombe de sommeil, bonne nuit… Il dut dormir, lui, mais moi, je ne pus fermer l'œil. Une voix secrète s'élevait du plus profond de moi-même, qui me criait que Monistrol était innocent. Mon imagination me représentait avec une vivacité douloureuse les tortures de ce malheureux, seul dans sa cellule du dépôt…

Mais pourquoi avait-il avoué ?…

Chapitre 7 Kapitel 7 Chapter 7 Capítulo 7 Capitolo 7 Capítulo 7 Bölüm 7 第7章 第7章

VII

Il n'était pas loin de dix heures lorsque monsieur Méchinet, que j'escortais toujours, sonna à la porte de son appartement. Es war kurz vor zehn Uhr, als Monsieur Méchinet, den ich immer begleitete, an der Tür seiner Wohnung klingelte. It was not far from ten o'clock when Monsieur Méchinet, whom I always escorted, rang the doorbell to his apartment. Было уже недалеко от десяти часов, когда господин Мешине, которого я всегда провожал, позвонил в дверь своей квартиры. – Je n'emporte jamais de passe-partout, me dit-il. - Ich nehme nie einen Dietrich mit", sagte er zu mir. - I never carry a master key," he says. - Я никогда не беру с собой мастер-ключ, - говорит он. Dans notre sacré métier, on ne sait jamais ce qui peut arriver… Il y a bien des gredins qui m'en veulent, et si je ne suis pas toujours prudent pour moi, je dois l'être pour ma femme. In unserem heiligen Beruf weiß man nie, was passieren kann ... Es gibt viele Schurken, die es auf mich abgesehen haben, und wenn ich schon bei mir nicht immer vorsichtig bin, muss ich es auch bei meiner Frau sein. There are a lot of scoundrels out there who have it in for me, and if I'm not always careful for myself, I have to be for my wife. В нашей проклятой профессии никогда не знаешь, что может случиться... Есть много негодяев, которые имеют на меня зуб, и если я не всегда осторожен для себя, то должен быть осторожен для своей жены. L'explication de mon digne voisin était superflue : j'avais compris. Die Erklärung meines würdigen Nachbarn war überflüssig: Ich hatte verstanden. My worthy neighbor's explanation was superfluous: I understood. J'avais même observé qu'il sonnait d'une façon particulière, qui devait être un signal convenu entre sa femme et lui. Ich hatte sogar beobachtet, dass er auf eine bestimmte Art und Weise klingelte, die ein zwischen ihm und seiner Frau vereinbartes Signal sein musste. I'd even observed that it rang in a particular way, which must have been a signal agreed between him and his wife. Я даже заметил, что он звонит как-то по-особенному, видимо, это был сигнал, согласованный между ним и его женой. Ce fut la gentille madame Méchinet qui vint nous ouvrir. It was the kind Madame Méchinet who came to open the door. Дверь открыла любезная мадам Мешине.

D'un mouvement preste et gracieux autant que celui d'une chatte, elle sauta au cou de son mari, en s'écriant : Mit einer schnellen und anmutigen Bewegung wie die einer Katze sprang sie ihrem Mann um den Hals und rief: With a swift and graceful movement as graceful as that of a cat, she jumped at her husband's neck, exclaiming: Быстрым и грациозным, как у кошки, движением она прыгнула на шею мужа и закричала: – Te voilà donc !… je ne sais pourquoi, j'étais presque inquiète… - Da bist du also! ... Ich weiß nicht, warum, ich war fast besorgt ... - So there you are!... I don't know why, I was almost worried... - Так вот ты где!... Не знаю почему, я почти волновался... Mais elle s'arrêta brusquement : elle venait de m'apercevoir. Aber sie blieb abrupt stehen: Sie hatte mich gerade gesehen. But then she stopped abruptly: she'd just seen me. Sa gaie physionomie s'assombrit, et elle se recula ; et s'adressant autant à moi qu'à son mari : Her cheerful countenance darkened, and she stepped back; and addressing herself as much to me as to her husband: – Quoi ! - What! reprit-elle, vous sortez du café, à cette heure !… cela n'a pas le sens commun ! you're coming out of the café at this hour," she said, "it's not common sense! вы выходите из кафе в такой час... это не здравый смысл! Monsieur Méchinet avait aux lèvres l'indulgent sourire de l'homme sûr d'être aimé, qui sait pouvoir apaiser d'un seul mot la querelle qu'on lui cherche. Monsieur Méchinet had the indulgent smile on his lips of a man who knows he's loved, and can soothe a quarrel with a single word. На губах месье Мешине играла снисходительная улыбка человека, уверенного в том, что его любят, знающего, что он может утихомирить ссору одним словом. – Ne nous gronde pas, Caroline, répondit-il, m'associant à sa cause par ce pluriel, nous ne sortons pas du café et nous n'avons pas perdu notre temps… On est venu me chercher pour une affaire, pour un assassinat commis aux Batignolles. - Don't scold us, Caroline," he replied, associating me with his cause by this plural, "we haven't left the café and we haven't wasted our time... They've come to get me for a case, for a murder committed in Batignolles. - Не ругайте нас, Каролина, - ответил он, приобщая меня к своему делу в этом множественном числе, - мы не покидали кафе и не теряли времени... Они пришли за мной по делу, по убийству, совершенному в Батиньоле. D'un regard soupçonneux, la jeune femme nous examina alternativement, son mari et moi, et quand elle fut persuadée qu'on ne la trompait pas, elle fit seulement : With a suspicious look, the young woman alternately examined her husband and me, and when she was convinced that we weren't cheating on her, she only said: С подозрительным видом молодая женщина поочередно осматривала то мужа, то меня, а когда убедилась, что мы ее не обманываем, просто сказала: – Ah !… - Ah!...

Mais il faudrait une page pour détailler tout ce que contenait cette brève exclamation. But it would take a page to detail everything contained in this brief exclamation.

Elle s'adressait à monsieur Méchinet et signifiait clairement : It was addressed to Monsieur Méchinet and clearly meant: – Quoi ! - What! tu t'es confié à ce jeune homme, tu lui as révélé ta situation, tu l'as initié à nos secrets ! you confided in this young man, revealing your situation and introducing him to our secrets! Вы доверились этому молодому человеку, вы открыли ему свою ситуацию, вы посвятили его в наши тайны! C'est ainsi que je l'interprétais, ce « ah ! That's how I interpreted the "ah! Вот как я истолковал это "ах! » si éloquent, et mon digne voisin l'interpréta comme moi, car il répondit : "so eloquent, and my worthy neighbor interpreted it as I did, for he replied: – Eh bien ! - Well, well, well! oui. Où est le mal ? Where's the harm? Где вред? Si j'ai à redouter la vengeance des misérables que j'ai livrés à la justice, qu'ai-je à craindre des honnêtes gens ?… T'imaginerais-tu, par hasard, que je me cache, que j'ai honte de mon métier… If I have to fear the vengeance of the wretches I've brought to justice, what have I to fear from honest people?... Do you imagine, by any chance, that I'm hiding, that I'm ashamed of my profession... Если я должен бояться мести несчастных, которых я привлек к суду, то чего мне бояться честных людей?... Неужели вы думаете, что я скрываюсь, что я стыжусь своей профессии... – Tu m'as mal compris, mon ami, objecta la jeune femme… - You misunderstand me, my friend," objected the young woman... - Вы меня неправильно поняли, друг мой, - возразила девушка... Monsieur Méchinet ne l'entendit même pas. Monsieur Méchinet didn't even hear him. Месье Мешине даже не слышал его. Il venait d'enfourcher – je connus ce détail plus tard – un dada favori qui l'emportait toujours. Er hatte gerade - ich erfuhr dieses Detail erst später - ein Lieblingsdada geritten, das immer siegte. He had just ridden - I learned this detail later - a favorite dada that always carried him away. Как я выяснил позже, у него был любимый дада, который всегда увлекал его за собой. – Parbleu ! - Parbleu! poursuivit-il, tu as de singulières idées, madame ma femme. Er fuhr fort: "Du hast seltsame Vorstellungen, meine Frau. he continued, "you've got some strange ideas, my wife. Quoi ! je suis une des sentinelles perdues de la civilisation, au prix de mon repos et au risque de ma vie, j'assure la sécurité de la société et j'en rougirais !… Ce serait par trop plaisant. Ich bin einer der verlorenen Wächter der Zivilisation, ich riskiere meine Ruhe und mein Leben, ich sorge für die Sicherheit der Gesellschaft, und ich würde erröten... Das wäre zu angenehm. I'm one of the lost sentinels of civilization, at the cost of my rest and the risk of my life, I ensure the safety of society, and I'd blush!... That would be too much fun. Я один из заблудших часовых цивилизации, ценой своего отдыха и рискуя жизнью, обеспечиваю безопасность общества, и мне было бы стыдно!... Это было бы слишком весело. Tu me diras qu'il existe, contre nous autres de la police, quantité de préjugés ineptes légués par le passé… Que m'importe ! Du wirst mir sagen, dass es gegen uns von der Polizei viele untaugliche Vorurteile aus der Vergangenheit gibt... Was kümmert es mich? You'll tell me that there are a lot of inane prejudices against us police, handed down from the past... I don't care! Вы скажете, что есть много нелепых предрассудков против нас, милиционеров, передающихся из прошлого... А мне-то что! Oui, je sais qu'il y a des messieurs susceptibles qui nous regardent de très haut… Mais sacrebleu ! Ja, ich weiß, dass es empfindliche Herren gibt, die auf uns herabblicken... Aber sacrebleu! Yes, I know there are some touchy-feely gentlemen who look down their noses at us... But damn! Да, я знаю, что есть несколько чувствительных джентльменов, которые смотрят на нас сквозь пальцы... Но, черт возьми! je voudrais bien voir leur mine si demain mes collègues et moi nous nous mettions en grève, laissant le pavé libre à l'armée de gredins que nous tenons en respect ! Ich würde gerne ihre Miene sehen, wenn meine Kollegen und ich morgen streiken würden und die Straße für die Armee von Schurken, die wir in Schach halten, frei machen würden! I'd love to see the look on their faces if my colleagues and I went on strike tomorrow, leaving the pavement free for the army of scoundrels we keep in check! Хотел бы я посмотреть на их лица, если бы я и мои коллеги завтра объявили забастовку, оставив тротуар свободным для армии негодяев, которых мы держим в узде! Accoutumée sans doute à des sorties de ce genre, madame Méchinet ne souffla mot, et bien elle fit, car mon brave voisin ne rencontrant pas de contradiction, se calma comme par enchantement. Frau Méchinet, die an solche Ausflüge gewöhnt war, schwieg, und das war gut so, denn mein tapferer Nachbar fand keinen Widerspruch und beruhigte sich wie durch Zauberhand. Accustomed, no doubt, to outings of this kind, Madame Méchinet breathed no word, and well she did, for my brave neighbor, encountering no contradiction, calmed down as if by magic. Привыкшая, без сомнения, к подобным вспышкам, мадам Мешине не проронила ни слова, и хорошо, что так, потому что моя храбрая соседка, не встретив возражений, успокоилась как по волшебству.

– Mais en voici assez, dit-il à sa femme. - Aber hier ist genug", sagte er zu seiner Frau. - But here's enough," he said to his wife. - Но этого достаточно, - сказал он жене. Il s'agit pour l'instant d'une chose bien autrement importante… Nous n'avons pas dîné, nous mourons de faim, as-tu de quoi nous donner à souper ?… We haven't had dinner, we're starving, do you have enough for us to eat? Мы не ужинали, мы умираем от голода, у вас есть достаточно еды для нас? Ce qui arrivait ce soir devait être arrivé trop souvent pour que madame Méchinet se laissât prendre sans vert. What was happening tonight must have happened too often for Madame Méchinet to let herself be taken in without a green thumb. То, что произошло сегодня вечером, должно быть, случалось слишком часто, чтобы мадам Мешине позволила себе это.

– Dans cinq minutes, ces messieurs seront servis, répondit-elle avec le plus aimable sourire. - In five minutes, these gentlemen will be served," she replied with the kindest smile. - Через пять минут господа будут поданы, - ответила она с самой доброй улыбкой.

En effet, le moment d'après, nous nous mettions à table devant une belle pièce de bœuf froid, servie par madame Méchinet qui ne cessait de remplir nos verres d'un excellent petit vin de Mâcon. Indeed, the next moment, we were sitting down to a nice cold piece of beef, served by Madame Méchinet, who kept filling our glasses with an excellent little Mâcon wine. Et moi, pendant que mon digne voisin jouait de la fourchette en conscience, considérant cet intérieur paisible qui était le sien, cette jolie petite femme prévenante qui était la sienne, je me demandais si c'était bien là un de ces « farouches » agents de la sûreté qui ont été les héros de tant de récits absurdes. And as my worthy neighbor conscientiously played with his fork, considering his peaceful interior and his pretty, thoughtful wife, I wondered if he really was one of those "fierce" security agents who have been the heroes of so many absurd stories. И пока мой достойный сосед с чистой совестью играл вилкой, глядя на свой мирный интерьер и симпатичную, задумчивую жену, я размышлял, действительно ли он один из тех "свирепых" сотрудников службы безопасности, которые являются героями стольких абсурдных историй. Cependant la grosse faim ne tarda pas à être apaisée, et monsieur Méchinet entreprit de raconter à sa femme notre expédition. However, the ravenous hunger was soon appeased, and Monsieur Méchinet set about telling his wife about our expedition.

Et il ne racontait pas à la légère, il descendait dans les plus menus détails. And he didn't tell it lightly, he went into great detail. И он не рассказывал об этом легко, а вдавался в подробности. Elle s'était assise à côté de lui, et à la façon dont elle écoutait, d'un petit air capable, demandant des explications quand elle n'avait pas bien compris, on devinait l'Égérie bourgeoise habituée à être consultée et qui a voix délibérative. She sat down next to him, and from the way she listened, with a little capable air, asking for explanations when she didn't quite understand, you could tell that she was a bourgeois Egeria, used to being consulted and having a say. Она сидела рядом с ним, и по тому, как она слушала, с каким умным видом, прося объяснений, когда не совсем понимала, можно было понять, что это буржуазная Эгерия, привыкшая, чтобы с ней советовались и давали ей право голоса. Lorsque monsieur Méchinet eut achevé : When Monsieur Méchinet had finished: Когда месье Мешине закончил:

– Tu as fait une grande faute, lui dit-elle, une faute irréparable. - You've made a big mistake," she told him, "an irreparable one. - Вы совершили большую ошибку, - сказала она ему, - ошибку, которую невозможно исправить.

– Laquelle ?… - Which one?

– Ce n'est pas à la préfecture qu'il fallait aller, en quittant les Batignolles… - Es war nicht die Präfektur, zu der man hätte gehen sollen, als man die Batignolles verließ... - When we left Batignolles, we didn't have to go to the prefecture... - Когда мы покидали Батиньоль, нам не следовало идти в префектуру... – Cependant, Monistrol… - Allerdings ist Monistrol... - However, Monistrol... - Однако Монистрол...

– Oui, tu voulais l'interroger… Quel bénéfice en as-tu retiré ? - Ja, du wolltest ihn befragen... Welchen Nutzen hast du daraus gezogen? - Yes, you wanted to question him... What did you get out of it? - Да, вы хотели допросить его... Что вы из этого вынесли? – Cela m'a servi, ma chère amie… - Das hat mir geholfen, meine liebe Freundin... - It served me well, my dear friend... - Это сослужило мне хорошую службу, мой дорогой друг... – À rien. - Nothing. C'est rue Vivienne, que tu devais courir, chez la femme… Tu la surprenais sous le coup de l'émotion qu'elle a nécessairement ressentie de l'arrestation de son mari, et si elle est complice, comme on doit le supposer, avec un peu d'adresse tu la confessais… In der Rue Vivienne solltest du zu der Frau laufen... Du würdest sie in ihrer Aufregung über die Verhaftung ihres Mannes überraschen und wenn sie eine Komplizin ist, wie man annehmen muss, würdest du sie mit ein wenig Geschick beichten... You had to run to the wife's house on Rue Vivienne... You'd catch her in the emotion she must have felt at her husband's arrest, and if she's an accomplice, as we must assume, with a little skill you'd confess her... Вы должны были бежать в дом жены на улице Вивьен... Вы застали бы ее в том волнении, которое она, должно быть, испытывала при аресте мужа, и если она была сообщницей, как мы должны предполагать, то при небольшом умении вы бы признали ее... J'avais bondi sur ma chaise à ces mots. I jumped up in my chair at these words. – Quoi, madame, m'écriai-je, vous croyez Monistrol coupable !… - Madame," I cried, "you think Monistrol is guilty!... - Что, мадам, - воскликнул я, - вы считаете Монистроля виновным? Après un moment d'hésitation, elle répondit : After a moment's hesitation, she replied: – Oui.

Puis très vivement : Then very briskly:

– Mais je suis sûre, entendez-vous, absolument sûre, que l'idée du meurtre vient de la femme. - But I'm sure, you understand, absolutely sure, that the idea for the murder came from the woman. - Но я уверен, вы понимаете, абсолютно уверен, что идея убийства исходила от женщины. Sur vingt crimes commis par les hommes, quinze ont été conçus, ruminés et inspirés par des femmes… demandez à Méchinet. Out of twenty crimes committed by men, fifteen were conceived, ruminated and inspired by women... just ask Méchinet. Из двадцати преступлений, совершенных мужчинами, пятнадцать были задуманы, придуманы и вдохновлены женщинами... только спросите Мешине. La déposition de la concierge eût dû vous éclairer. The concierge's statement should have enlightened you. Заявление консьержа должно было просветить вас. Qu'est-ce que cette madame Monistrol ? What is this Madame Monistrol? Что это за мадам Монистроль? Une personne remarquablement belle, vous a-t-on dit, coquette, ambitieuse, rongée de convoitises et qui mène son mari par le bout du nez. A remarkably beautiful person, you've been told, flirtatious, ambitious, riddled with lust and leading her husband by the nose. Удивительно красивая особа, говорили вам, кокетливая, амбициозная, обуреваемая похотью и водящая мужа за нос. Or quelle était sa position ? But what was his position? Какова была его позиция? Mesquine, étroite, précaire. Small, narrow, precarious. Маленький, узкий, ненадежный. Elle en souffrait, et la preuve c'est qu'elle a demandé à son oncle de lui prêter cent mille francs. She was suffering, and the proof was that she asked her uncle to lend her a hundred thousand francs. Она страдала, и доказательством тому служит то, что она попросила своего дядю одолжить ей сто тысяч франков. Il les lui a refusés, faisant ainsi avorter ses espérances. He refused her, thus aborting her hopes. Он отказался отдать их ей, тем самым разрушив ее надежды. Croyez-vous qu'elle ne lui en a pas voulu mortellement !… Allez, elle a dû se répéter bien souvent : “S'il mourait, cependant, ce vieil avare, nous serions riches, mon mari et moi !…” Et quand elle le voyait bien portant et solide comme un chêne, fatalement elle se disait : “Il vivra cent ans… quand il nous laissera son héritage, nous n'aurons plus de dents pour le croquer… et qui sait même s'il ne nous enterrera pas !…” De là à concevoir l'idée d'un crime, y a-t-il donc si loin ?… Et la résolution une fois arrêtée dans son esprit, elle aura préparé son mari de longue main, elle l'aura familiarisé avec la pensée d'un assassinat, elle lui aura mis, comme on dit, le couteau à la main… Et lui, un jour, menacé de la faillite, affolé par les lamentations de sa femme, il a fait le coup… Do you think she didn't bear him a mortal grudge? Come on, she must have said to herself many times: "If he died, though, that old miser, my husband and I would be rich! And when she saw him well and strong as an oak, she would inevitably say to herself: "He'll live a hundred years... when he leaves us his inheritance, we won't have any teeth left to munch on him... and who knows if he won't even bury us!..." From there to conceiving the idea of a crime, is it really that far?... And once the resolution was fixed in her mind, she prepared her husband from the start, she familiarized him with the thought of an assassination, she put, as they say, the knife in his hand... And he, one day, threatened with bankruptcy, distraught by his wife's lamentations, did the deed... – Tout cela est logique, approuvait monsieur Méchinet. - It all makes sense," agreed Mr Méchinet.

Très logique, sans doute, mais que devenaient les circonstances relevées par nous ? Very logical, no doubt, but what happened to the circumstances we identified? Логично, несомненно, но как быть с выявленными нами обстоятельствами?

– Alors, madame, dis-je, vous supposez Monistrol assez bête pour s'être dénoncé en écrivant son nom… - Also, Madame", sagte ich, "Sie gehen davon aus, dass Monistrol so dumm ist, dass er sich selbst angezeigt hat, indem er seinen Namen geschrieben hat? - So, Madame," I said, "you think Monistrol was stupid enough to give himself away by writing his name... - Итак, мадам, - сказал я, - вы считаете, что Монистроль был настолько глуп, что выдал себя, написав свое имя... Elle haussa légèrement les épaules, et répondit : Sie zuckte leicht mit den Schultern und antwortete: She shrugged slightly, and replied:

– Est-ce une bêtise ? - Is it nonsense? - Это чепуха? Moi, je soutiens que non, puisque c'est votre argument le plus fort en faveur de son innocence. Ich behaupte, dass dies nicht der Fall ist, da es Ihr stärkstes Argument für seine Unschuld ist. I say no, since that's your strongest argument in favor of his innocence. Le raisonnement était si spécieux que j'en demeurai un moment interdit. Die Argumentation war so spekulativ, dass ich einen Moment lang sprachlos war. The reasoning was so specious that I was stunned for a moment. Аргументация была настолько умозрительной, что я на мгновение остолбенел. Puis, me remettant : Dann, mich übergebend: Then, handing me over:

– Mais il s'avoue coupable, madame, insistai-je. - But he admits his guilt, Madame," I insisted. - Но он признает свою вину, мадам, - настаивала я. – Excellent moyen pour engager la justice à démontrer son innocence… - Hervorragendes Mittel, um die Justiz zu verpflichten, seine Unschuld zu beweisen... - An excellent way to get the courts to prove your innocence... - Отличный способ заставить суд доказать вашу невиновность...

– Oh !

– Vous en êtes la preuve, cher monsieur Godeuil. - Sie sind der Beweis dafür, lieber Herr Godeuil. - You are the proof, dear Mr. Godeuil. - Вы - доказательство, месье Годюи.

– Eh ! madame, le malheureux ne sait pas comment son oncle a été tué !… Madame, der Unglückliche weiß nicht, wie sein Onkel getötet wurde! Madam, the unfortunate man doesn't know how his uncle was killed!... Мадам, этот несчастный не знает, как был убит его дядя!...

– Pardon, il a paru ne pas le savoir… ce qui n'est pas la même chose. - Verzeihung, er schien es nicht zu wissen, was nicht das Gleiche ist. - Sorry, he didn't seem to know... which is not the same thing. - Простите, он, кажется, не знал... что не одно и то же. La discussion s'animait, et elle eût duré longtemps encore, si monsieur Méchinet n'y eût mis un terme. Die Diskussion wurde immer lebhafter und hätte noch lange gedauert, wenn Herr Méchinet sie nicht beendet hätte. The discussion was lively, and would have gone on for a long time if Monsieur Méchinet hadn't put a stop to it. Дискуссия была оживленной и продолжалась бы еще долго, если бы месье Мешине не прервал ее. – Allons, allons, dit-il bonnement à sa femme, tu es par trop romanesque, ce soir… - Aber, aber", sagte er schlicht und einfach zu seiner Frau, "du bist heute Abend zu romantisch ... - Come, come," he said simply to his wife, "you're too romantic tonight... - Перестань, перестань, - просто сказал он жене, - ты слишком романтична в этот вечер...

Et s'adressant à moi : Und an mich gewandt: And addressing me: – Quant à vous, poursuivit-il, j'irai vous prendre demain, et nous irons ensemble chez madame Monistrol… Et sur ce, comme je tombe de sommeil, bonne nuit… - Was Sie betrifft", fuhr er fort, "so hole ich Sie morgen ab, und wir gehen zusammen zu Madame Monistrol... Und da ich gerade schlaftrunken bin, wünsche ich Ihnen eine gute Nacht... - As for you," he continued, "I'll pick you up tomorrow, and we'll go to Madame Monistrol's together... And on that note, as I'm falling asleep, good night... - Что касается тебя, - продолжал он, - то я заеду за тобой завтра, и мы вместе поедем к мадам Монистроль... И на этой ноте, засыпая, спокойной ночи... Il dut dormir, lui, mais moi, je ne pus fermer l'œil. Er schlief wohl, aber ich konnte kein Auge schließen. He must have been asleep, but I couldn't sleep a wink. Он, должно быть, спал, но я не могла сомкнуть глаз. Une voix secrète s'élevait du plus profond de moi-même, qui me criait que Monistrol était innocent. Eine geheime Stimme erhob sich aus meinem tiefsten Inneren und schrie mir zu, dass Monistrol unschuldig sei. A secret voice rose up from deep inside me, shouting that Monistrol was innocent. Из глубины души поднялся тайный голос, кричавший, что Монистрол невиновен. Mon imagination me représentait avec une vivacité douloureuse les tortures de ce malheureux, seul dans sa cellule du dépôt… Meine Phantasie stellte mir mit schmerzhafter Lebendigkeit die Qualen dieses Unglücklichen vor, der allein in seiner Zelle im Depot saß... My imagination pictured with painful vividness the tortures of this unfortunate man, alone in his cell in the depot... Мое воображение с болезненной живостью представило мучения этого несчастного, одинокого в своей камере в депо...

Mais pourquoi avait-il avoué ?… Aber warum hatte er gestanden? But why had he confessed?...