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Arthur Bernède- Belphégor, 4-7 Où x croit triompher...mais...

4-7 Où x croit triompher...mais...

Où Simone Desroches croit triompher...mais...

Tandis qu'à petite allure la limousine des Papillon roulait vers Courteuil, le bossu et Maurice de Thouars, toujours dans son costume d'aviateur, se préparaient, dans l'ancienne prison du château muée en laboratoire, à transformer en lingots d'or le trésor des Valois.

Après avoir ouvert le coffre, tandis que le comte Maurice rangeait sur la table les piles d'écus d'or frappés à l'effigie du roi Henri III, Lüchner, à l'aide d'une pince de bijoutier, commençait à dessertir les diamants et pierres précieuses qui enrichissaient le diadème de Catherine de Médicis.

Maurice de Thouars lui demandait :

– À combien évaluez-vous le montant du trésor ?

Sans hésiter, le secrétaire de Papillon répliquait :

– À cinquante millions environ… En effet, s'il représente une quantité d'or relativement peu considérable, il renferme des pierres précieuses, et notamment plusieurs diamants, moins gros peut-être, mais beaucoup plus purs que le fameux Régent.

– Dites-moi… ne sera-t-il pas très difficile de les écouler ?

– Détrompez-vous, affirmait le bossu. Toutes les précautions ont été prises, et je me suis déjà entendu avec un diamantaire d'Amsterdam qui se charge de tout réaliser en six semaines.

Tout en continuant son délicat travail, Lüchner ajouta :

– Mlle Desroches vous a-t-elle parlé des conditions dans lesquelles nous devons partager le trésor ?

– Non… C'est une question que je n'ai pas voulu aborder avec elle.

– Eh bien ! voici… Elle touche cinquante pour cent… Mlle Bergen vingt ; moi vingt… et Jack Teddy…

– Jack Teddy ?

– Oui, l'homme à la salopette… dix pour cent…

– Cela me semble très bien ainsi.

– En effet… déclarait le bossu.

Et, avec un sourire teinté d'ironie, il fit :

– Ce qui m'étonne, je ne vous le cache pas, c'est de ne pas vous voir figurer dans la répartition.

« Voulez-vous que j'en touche deux mots à Mlle Desroches ?

– C'est inutile, puisque je vais l'épouser.

– Toutes mes félicitations ! s'écriait le secrétaire du baron Papillon… Vous n'êtes pas à plaindre… C'est vous qui êtes le plus favorisé et je vous souhaite bien du bonheur à tous les deux.

– Je vous sais gré de vos vœux… mon cher Lüchner… fit tout à coup une voix qui résonna sous la voûte de la prison.

C'était Simone Desroches qui, dans un élégant déshabillé du matin, que la veille elle avait apporté en avion avec quelques menus bagages, faisait son apparition dans la prison.

Jamais, peut-être, elle n'avait été aussi belle… On eût dit l'archange du mal.

S'approchant du bossu, qui continuait sa besogne, elle scanda :

– Je vois que vous êtes très avancé.

Et, s'emparant d'un des diamants que Lüchner venait de dessertir, elle l'éleva entre ses doigts et le plaça bien dans la lumière que semait autour d'elle une puissante lampe électrique.

– Quelle merveille ! admira-t-elle… Quels feux ! Je n'ai jamais vu un diamant aussi splendide.

– Il y en a de plus beaux encore… scandait M. de Thouars… Et ces rubis, ces topazes, ces émeraudes ?

Simone plongea les mains dans ce véritable tas de pierreries, que le comte Maurice avait amoncelées auprès des piles d'écus… et les fit ruisseler en une féerique cascade.

– Quel dommage ! fit-elle, que je ne puisse pas en garder quelques-unes.

Mais ses instincts de bête de proie l'emportèrent aussitôt sur ses désirs de femme coquette. D'un ton âpre, elle martela :

– Mieux vaut tout liquider… C'est plus prudent, plus sûr et plus profitable.

Et, jetant un coup d'œil circulaire sur le trésor dispersé et étalé sur l'établi, elle fit :

– Lüchner, j'estime que votre estimation n'est pas suffisante.

– Je commence à le croire aussi, appuya le bossu.

Et il grommela entre ses dents :

– Pourvu que ce maudit Chantecoq…

– Chantecoq ! s'exclama Simone…

Puis elle reprit d'une voix non plus harmonieuse, mais sèche, implacable :

– Je vous avais annoncé, hier soir, que Belphégor n'avait pas dit son dernier mot.

– Je me rappelle, en effet… ponctua Maurice de Thouars.

– Eh bien ! Jack Teddy vient de me téléphoner du bureau de poste de Mantes qu'il avait réussi à enlever la fille du détective et qu'il serait ici avec elle dans une demi-heure.

– Ça, c'est le bouquet ! déclarait Lüchner avec une visible satisfaction.

Simone poursuivit :

– En admettant que Chantecoq découvre notre piste, quand il saura que sa fille est entre nos mains – et il ne tardera pas à l'apprendre – il se gardera bien de nous attaquer et j'aurai le temps de filer en avion avec nos lingots, nos diamants, nos pierreries, et, si besoin est, avec la demoiselle !

– C'est tout simplement prodigieux, s'enthousiasmait M. de Thouars.

Le bossu, qui avait fini de dessertir le diadème, et avait soigneusement enveloppé les diamants dans du papier de soie, s'en fut vers les piles d'écus, qu'il déposa sur le plateau en y joignant le diadème et plusieurs autres bijoux d'un dessin magnifique.

Puis, se dirigeant vers le fourneau à haute tension, il l'ouvrit et y introduisit le plateau… Après avoir refermé le four, il fit manœuvrer une petite roue de cuivre… Aussitôt, les aiguilles d'un manomètre se mirent à frétiller.

Simone, qui avait suivi l'opération avec un visible intérêt, se tourna vers M. de Thouars et lui dit :

– Jack Teddy va bientôt arriver… Allez le guetter !

Le comte Maurice s'éloigna.

Alors, Mlle Desroches, s'approchant du bossu, qui surveillait son tableau, lui dit :

– Combien de temps pensez-vous que cela va durer ?

– Trois heures… répondit le secrétaire de Papillon… Il faut au moins deux heures pour que le métal commence à entrer en fusion.

– Alors, ironisa Belphégor, j'ai le temps de griller quelques cigarettes.

Sur la route de Mantes à Dreux, une puissante auto fermée filait à une vitesse de cent à l'heure…

L'homme à la salopette, revêtu de son costume de chauffeur, sous lequel nous l'avons vu pénétrer chez Chantecoq, et auquel il avait ajouté une paire de lunettes noires, se tenait au volant.

Après avoir dépassé plusieurs voitures, et notamment la limousine du baron et de la baronne Papillon, qu'il n'avait pas eu le temps de reconnaître, il arrivait bientôt en vue du château de Courteuil.

À l'intérieur de la voiture, Colette, sans chapeau, un manteau jeté sur ses épaules semblait plongée dans un profond sommeil…

Sans doute le complice de Belphégor lui avait-il fait absorber un narcotique grâce auquel il allait pouvoir l'emporter sans encombre jusqu'à l'endroit où Simone Desroches lui avait donné l'ordre de la rejoindre…

En effet, lorsque, après avoir franchi la grille du château, l'auto s'engagea dans la cour d'honneur, la jeune fille demeura immobile dans le fond de la voiture, comme si elle avait été anéantie par son lourd et invincible sommeil.

L'homme à la salopette sauta à terre et, après avoir fait signe à M. de Thouars qui s'avançait vers lui de ne pas bouger et de garder le silence, il s'en fut vers la portière, l'ouvrit, et, prenant dans sa poche un flacon qu'il déboucha, il le fit respirer à la jeune fille.

Presque aussitôt, Colette entrouvrit les paupières… Sa poitrine se dilata comme si elle avait hâte de respirer à pleins poumons l'air pur et frais du matin.

Et, s'appuyant sur la main que lui tendait Jack Teddy, elle mit pied à terre… Elle semblait harassée d'émotion et de fatigue.

L'homme à la salopette invita cette fois M. de Thouars à le rejoindre… Et le comte Maurice, s'inclinant avec déférence devant l'otage de Belphégor, lui dit :

– Veuillez me suivre, mademoiselle, je vais vous conduire auprès de M. votre père.

Fort galamment, il offrit son bras à Colette, qui s'y appuya… tout en murmurant :

– N'est-ce pas plus grave que l'on a bien voulu me le dire ?

– Non, mademoiselle, et je puis même vous assurer que la vie de M. votre père n'est nullement en danger.

Ces paroles parurent réconforter la jeune fille. Sous le regard du portier, qui était accouru et auquel Lüchner avait dû, pour expliquer la présence au château de ces hôtes inconnus, raconter une de ces fables ingénieuses dont il avait le secret, Maurice de Thouars et Colette pénétrèrent dans le château, suivis par l'homme à la salopette.

Après avoir gravi l'escalier d'honneur, ils pénétrèrent tous trois dans le grand salon où se trouvait la porte qui donnait dans l'escalier dit des oubliettes.

Maurice de Thouars l'ouvrit et invita Colette à en franchir le seuil.

À la vue du couloir, de ces marches étroites, elle eut un instinctif mouvement de recul.

– Où m'emmenez-vous ? demanda-t-elle.

– Je vous l'ai déjà dit, mademoiselle… Près de votre père.

– Où se trouve-il donc ?

– Dans une aile du château auquel l'escalier donne seul accès.

Le bellâtre ajouta :

– Les architectes des temps passés avaient parfois de ces caprices…

Colette n'insista pas.

D'ailleurs, Jack Teddy avait déjà refermé la porte et barrait la route à la fille du détective, au cas où celle-ci eût voulu esquisser un mouvement de retraite.

– Je vous suis, monsieur, décida la fiancée de Jacques.

Et, descendant les degrés, ils arrivèrent jusqu'aux anciennes prisons.

En apercevant à travers les grilles Simone Desroches et le bossu qui, debout devant le tableau d'électricité, les yeux fixés sur le manomètre, guettaient les oscillations de l'aiguille, Colette s'arrêta, tout en manifestant une violente surprise.

Maurice de Thouars, la prenant par la main lui dit :

– Entrez donc, mademoiselle, je vous en prie.

Simone se retourna. À la vue de sa rivale qui venait de pénétrer dans la salle, elle eut un éclat de rire triomphant.

De nouveau, la fiancée de Jacques esquissa un mouvement de retraite. Mais elle se heurta à l'homme à la salopette qui s'encadrait dans la porte.

D'une voix railleuse, Simone lançait :

– Vous venez chercher votre père ?

– Oui, mademoiselle.

– Il n'est pas ici.

Et, sur un ton de menace implacable, Mlle Desroches poursuivit :

– Et si jamais il y vient…

Elle s'arrêta.

– Le voici ! s'écriait Jack Teddy, en enlevant sa casquette, ses lunettes et sa fausse moustache.

– Chantecoq ! s'écria Simone.

Déjà, le détective braquait sur elle un revolver…

Tandis que Maurice de Thouars et le bossu, sidérés par tant d'audace, restaient figés sur place le grand détective reprenait :

– Cette fois, Belphégor… je te tiens !

Maurice de Thouars crispa rageusement les poings. Et tandis que, sournoisement, le bossu se rapprochait de la table, le grand limier disait à Simone :

– Vous avez voulu faire enlever ma fille par un de vos complices, mais je suis arrivé à temps pour l'en empêcher. Et ce gredin, ainsi que la demoiselle de compagnie Elsa Bergen, je les ai remis moi-même entre les mains de la justice… Et, maintenant, réglons nos comptes.

Livide, effarée, le dos appuyé sur la muraille, Simone fixait Chantecoq avec une étrange fixité.

Doucement, le bossu avança la main pour saisir une paire de fortes tenailles qui traînaient sur l'établi… Et la brandissant brusquement, il allait la projeter à toute volée à la tête du policier…

Mais celui-ci, qui avait l'œil à tout, ne lui en donna pas le temps… Un coup de feu retentit… Le bossu laissa échapper son arme improvisée… La balle du détective venait de lui traverser le bras.

M. de Thouars voulut s'élancer entre Chantecoq et Simone…

Mais Chantecoq le saisit au collet en disant :

– Assez de casse comme ça ! Ne me privez pas du plaisir de vous livrer intacts à mon ami Ferval.

Il n'avait pas prononcé ces mots, que Gautrais, accompagné de Pandore et de Vidocq, faisait irruption dans la pièce.

Un commissaire de police et quatre agents de la brigade mobile les accompagnaient.

– Monsieur le commissaire, fit Chantecoq en lui désignant Simone et ses deux acolytes, voici Belphégor et ses complices… Je les remets entre vos mains.

Deux agents se jetèrent sur le bossu et M. de Thouars, qui n'opposèrent aucune résistance.

Le commissaire s'approcha de Simone… et il allait s'emparer d'elle, lorsque la muraille contre laquelle elle s'appuyait s'entrouvrit, démasquant un passage secret, dont la veille, en cas d'alerte, le secrétaire du baron Papillon lui avait révélé l'existence.

Et tout en disparaissant par l'ouverture, elle s'écria :

– Tu ne me tiens pas encore !…

Le roi des détectives se précipita, mais il se heurta à la muraille qui s'était refermée.

Chantecoq, tout en menaçant le bossu de son arme, lui dit :

– Livre-moi tout de suite le secret de cette porte ou je te brûle la cervelle.

Lüchner n'hésita pas…

S'approchant de la muraille, il appuya sur un ressort dissimulé entre deux pierres… La muraille se déplaça aussitôt…

– Lâchez les chiens ! ordonna le père de Colette à Gautrais, qui détacha les deux danois qu'il tenait en laisse.

Aussitôt, Pandore et Vidocq s'élancèrent à travers la baie et gravirent de toute la vitesse de leurs quatre pattes l'escalier dérobé par lequel s'était enfui Belphégor, et qui aboutissait à la plate-forme de l'une des tours du château.

Ils y arrivèrent au moment où Simone allait se laisser glisser sur un toit voisin d'où, par une de ses fenêtres à tabatière, il lui eût été possible de gagner, par les combles, une cachette que le prévoyant bossu, en cas d'alerte, s'était aménagée.

Mais Pandore et Vidocq ne lui en laissèrent pas le loisir… Se jetant sur elle, ils l'empoignèrent chacun par un bras… et comme elle cherchait à se dégager, elle sentit les crocs des deux chiens s'enfoncer dans sa chair.

Alors, se sentant perdue, et comprenant qu'elle n'avait plus qu'à se rendre ou à mourir, malgré la douleur que lui causait la double morsure qui s'accentuait à chacun de ses mouvements, elle chercha à gagner le créneau afin de se précipiter dans le vide…

Pandore et Vidocq resserrèrent l'étreinte de leurs mâchoires et elle eut l'impression de lire la mort dans leurs yeux.

Un cri de rage impuissante lui échappa et elle s'abattit sur les dalles…

Une haleine chaude passa sur son visage… Une gueule béante s'approcha de sa gorge… C'était Pandore qui s'apprêtait à l'étrangler.

Mais un coup de sifflet retentit… Les deux bêtes lâchèrent aussitôt leur proie pour retourner docilement vers Gautrais qui venait de surgir, avec Chantecoq, sur la plate-forme.

Et le détective, empoignant dans ses bras la jeune femme à moitié évanouie, s'écria :

– Maintenant, Belphégor, je te tiens tout à fait !

4-7 Où x croit triompher...mais... 4-7 Wo x glaubt, zu triumphieren...aber... 4-7 Where x triumphs...but...

Où Simone Desroches croit triompher...mais... Where Simone Desroches believes to triumph ... but ...

Tandis qu’à petite allure la limousine des Papillon roulait vers Courteuil, le bossu et Maurice de Thouars, toujours dans son costume d’aviateur, se préparaient, dans l’ancienne prison du château muée en laboratoire, à transformer en lingots d’or le trésor des Valois. While at a slow pace the Papillon limousine rolled towards Courteuil, the hunchback and Maurice de Thouars, still in his aviator's costume, were preparing, in the former prison of the castle moved in the laboratory, to turn into gold bullion the Valois treasure.

Après avoir ouvert le coffre, tandis que le comte Maurice rangeait sur la table les piles d’écus d’or frappés à l’effigie du roi Henri III, Lüchner, à l’aide d’une pince de bijoutier, commençait à dessertir les diamants et pierres précieuses qui enrichissaient le diadème de Catherine de Médicis.

Maurice de Thouars lui demandait :

– À combien évaluez-vous le montant du trésor ?

Sans hésiter, le secrétaire de Papillon répliquait :

– À cinquante millions environ… En effet, s’il représente une quantité d’or relativement peu considérable, il renferme des pierres précieuses, et notamment plusieurs diamants, moins gros peut-être, mais beaucoup plus purs que le fameux Régent.

– Dites-moi… ne sera-t-il pas très difficile de les écouler ?

– Détrompez-vous, affirmait le bossu. Toutes les précautions ont été prises, et je me suis déjà entendu avec un diamantaire d’Amsterdam qui se charge de tout réaliser en six semaines.

Tout en continuant son délicat travail, Lüchner ajouta :

– Mlle Desroches vous a-t-elle parlé des conditions dans lesquelles nous devons partager le trésor ?

– Non… C’est une question que je n’ai pas voulu aborder avec elle.

– Eh bien ! voici… Elle touche cinquante pour cent… Mlle Bergen vingt ; moi vingt… et Jack Teddy…

– Jack Teddy ?

– Oui, l’homme à la salopette… dix pour cent…

– Cela me semble très bien ainsi.

– En effet… déclarait le bossu.

Et, avec un sourire teinté d’ironie, il fit :

– Ce qui m’étonne, je ne vous le cache pas, c’est de ne pas vous voir figurer dans la répartition.

« Voulez-vous que j’en touche deux mots à Mlle Desroches ?

– C’est inutile, puisque je vais l’épouser.

– Toutes mes félicitations ! s’écriait le secrétaire du baron Papillon… Vous n’êtes pas à plaindre… C’est vous qui êtes le plus favorisé et je vous souhaite bien du bonheur à tous les deux.

– Je vous sais gré de vos vœux… mon cher Lüchner… fit tout à coup une voix qui résonna sous la voûte de la prison.

C’était Simone Desroches qui, dans un élégant déshabillé du matin, que la veille elle avait apporté en avion avec quelques menus bagages, faisait son apparition dans la prison.

Jamais, peut-être, elle n’avait été aussi belle… On eût dit l’archange du mal.

S’approchant du bossu, qui continuait sa besogne, elle scanda :

– Je vois que vous êtes très avancé.

Et, s’emparant d’un des diamants que Lüchner venait de dessertir, elle l’éleva entre ses doigts et le plaça bien dans la lumière que semait autour d’elle une puissante lampe électrique.

– Quelle merveille ! admira-t-elle… Quels feux ! Je n’ai jamais vu un diamant aussi splendide.

– Il y en a de plus beaux encore… scandait M. de Thouars… Et ces rubis, ces topazes, ces émeraudes ?

Simone plongea les mains dans ce véritable tas de pierreries, que le comte Maurice avait amoncelées auprès des piles d’écus… et les fit ruisseler en une féerique cascade.

– Quel dommage ! fit-elle, que je ne puisse pas en garder quelques-unes.

Mais ses instincts de bête de proie l’emportèrent aussitôt sur ses désirs de femme coquette. D’un ton âpre, elle martela :

– Mieux vaut tout liquider… C’est plus prudent, plus sûr et plus profitable.

Et, jetant un coup d’œil circulaire sur le trésor dispersé et étalé sur l’établi, elle fit :

– Lüchner, j’estime que votre estimation n’est pas suffisante.

– Je commence à le croire aussi, appuya le bossu.

Et il grommela entre ses dents :

– Pourvu que ce maudit Chantecoq…

– Chantecoq ! s’exclama Simone…

Puis elle reprit d’une voix non plus harmonieuse, mais sèche, implacable :

– Je vous avais annoncé, hier soir, que Belphégor n’avait pas dit son dernier mot.

– Je me rappelle, en effet… ponctua Maurice de Thouars.

– Eh bien ! Jack Teddy vient de me téléphoner du bureau de poste de Mantes qu’il avait réussi à enlever la fille du détective et qu’il serait ici avec elle dans une demi-heure.

– Ça, c’est le bouquet ! déclarait Lüchner avec une visible satisfaction.

Simone poursuivit :

– En admettant que Chantecoq découvre notre piste, quand il saura que sa fille est entre nos mains – et il ne tardera pas à l’apprendre – il se gardera bien de nous attaquer et j’aurai le temps de filer en avion avec nos lingots, nos diamants, nos pierreries, et, si besoin est, avec la demoiselle !

– C’est tout simplement prodigieux, s’enthousiasmait M. de Thouars.

Le bossu, qui avait fini de dessertir le diadème, et avait soigneusement enveloppé les diamants dans du papier de soie, s’en fut vers les piles d’écus, qu’il déposa sur le plateau en y joignant le diadème et plusieurs autres bijoux d’un dessin magnifique.

Puis, se dirigeant vers le fourneau à haute tension, il l’ouvrit et y introduisit le plateau… Après avoir refermé le four, il fit manœuvrer une petite roue de cuivre… Aussitôt, les aiguilles d’un manomètre se mirent à frétiller.

Simone, qui avait suivi l’opération avec un visible intérêt, se tourna vers M. de Thouars et lui dit :

– Jack Teddy va bientôt arriver… Allez le guetter !

Le comte Maurice s’éloigna.

Alors, Mlle Desroches, s’approchant du bossu, qui surveillait son tableau, lui dit :

– Combien de temps pensez-vous que cela va durer ?

– Trois heures… répondit le secrétaire de Papillon… Il faut au moins deux heures pour que le métal commence à entrer en fusion.

– Alors, ironisa Belphégor, j’ai le temps de griller quelques cigarettes.

Sur la route de Mantes à Dreux, une puissante auto fermée filait à une vitesse de cent à l’heure…

L’homme à la salopette, revêtu de son costume de chauffeur, sous lequel nous l’avons vu pénétrer chez Chantecoq, et auquel il avait ajouté une paire de lunettes noires, se tenait au volant.

Après avoir dépassé plusieurs voitures, et notamment la limousine du baron et de la baronne Papillon, qu’il n’avait pas eu le temps de reconnaître, il arrivait bientôt en vue du château de Courteuil.

À l’intérieur de la voiture, Colette, sans chapeau, un manteau jeté sur ses épaules semblait plongée dans un profond sommeil…

Sans doute le complice de Belphégor lui avait-il fait absorber un narcotique grâce auquel il allait pouvoir l’emporter sans encombre jusqu’à l’endroit où Simone Desroches lui avait donné l’ordre de la rejoindre…

En effet, lorsque, après avoir franchi la grille du château, l’auto s’engagea dans la cour d’honneur, la jeune fille demeura immobile dans le fond de la voiture, comme si elle avait été anéantie par son lourd et invincible sommeil.

L’homme à la salopette sauta à terre et, après avoir fait signe à M. de Thouars qui s’avançait vers lui de ne pas bouger et de garder le silence, il s’en fut vers la portière, l’ouvrit, et, prenant dans sa poche un flacon qu’il déboucha, il le fit respirer à la jeune fille.

Presque aussitôt, Colette entrouvrit les paupières… Sa poitrine se dilata comme si elle avait hâte de respirer à pleins poumons l’air pur et frais du matin.

Et, s’appuyant sur la main que lui tendait Jack Teddy, elle mit pied à terre… Elle semblait harassée d’émotion et de fatigue.

L’homme à la salopette invita cette fois M. de Thouars à le rejoindre… Et le comte Maurice, s’inclinant avec déférence devant l’otage de Belphégor, lui dit :

– Veuillez me suivre, mademoiselle, je vais vous conduire auprès de M. votre père.

Fort galamment, il offrit son bras à Colette, qui s’y appuya… tout en murmurant :

– N’est-ce pas plus grave que l’on a bien voulu me le dire ?

– Non, mademoiselle, et je puis même vous assurer que la vie de M. votre père n’est nullement en danger.

Ces paroles parurent réconforter la jeune fille. Sous le regard du portier, qui était accouru et auquel Lüchner avait dû, pour expliquer la présence au château de ces hôtes inconnus, raconter une de ces fables ingénieuses dont il avait le secret, Maurice de Thouars et Colette pénétrèrent dans le château, suivis par l’homme à la salopette.

Après avoir gravi l’escalier d’honneur, ils pénétrèrent tous trois dans le grand salon où se trouvait la porte qui donnait dans l’escalier dit des oubliettes.

Maurice de Thouars l’ouvrit et invita Colette à en franchir le seuil.

À la vue du couloir, de ces marches étroites, elle eut un instinctif mouvement de recul.

– Où m’emmenez-vous ? demanda-t-elle.

– Je vous l’ai déjà dit, mademoiselle… Près de votre père.

– Où se trouve-il donc ?

– Dans une aile du château auquel l’escalier donne seul accès.

Le bellâtre ajouta :

– Les architectes des temps passés avaient parfois de ces caprices…

Colette n’insista pas.

D’ailleurs, Jack Teddy avait déjà refermé la porte et barrait la route à la fille du détective, au cas où celle-ci eût voulu esquisser un mouvement de retraite.

– Je vous suis, monsieur, décida la fiancée de Jacques.

Et, descendant les degrés, ils arrivèrent jusqu’aux anciennes prisons.

En apercevant à travers les grilles Simone Desroches et le bossu qui, debout devant le tableau d’électricité, les yeux fixés sur le manomètre, guettaient les oscillations de l’aiguille, Colette s’arrêta, tout en manifestant une violente surprise.

Maurice de Thouars, la prenant par la main lui dit :

– Entrez donc, mademoiselle, je vous en prie.

Simone se retourna. À la vue de sa rivale qui venait de pénétrer dans la salle, elle eut un éclat de rire triomphant.

De nouveau, la fiancée de Jacques esquissa un mouvement de retraite. Mais elle se heurta à l’homme à la salopette qui s’encadrait dans la porte.

D’une voix railleuse, Simone lançait :

– Vous venez chercher votre père ?

– Oui, mademoiselle.

– Il n’est pas ici.

Et, sur un ton de menace implacable, Mlle Desroches poursuivit :

– Et si jamais il y vient…

Elle s’arrêta.

– Le voici ! s’écriait Jack Teddy, en enlevant sa casquette, ses lunettes et sa fausse moustache.

– Chantecoq ! s’écria Simone.

Déjà, le détective braquait sur elle un revolver…

Tandis que Maurice de Thouars et le bossu, sidérés par tant d’audace, restaient figés sur place le grand détective reprenait :

– Cette fois, Belphégor… je te tiens !

Maurice de Thouars crispa rageusement les poings. Et tandis que, sournoisement, le bossu se rapprochait de la table, le grand limier disait à Simone :

– Vous avez voulu faire enlever ma fille par un de vos complices, mais je suis arrivé à temps pour l’en empêcher. Et ce gredin, ainsi que la demoiselle de compagnie Elsa Bergen, je les ai remis moi-même entre les mains de la justice… Et, maintenant, réglons nos comptes.

Livide, effarée, le dos appuyé sur la muraille, Simone fixait Chantecoq avec une étrange fixité.

Doucement, le bossu avança la main pour saisir une paire de fortes tenailles qui traînaient sur l’établi… Et la brandissant brusquement, il allait la projeter à toute volée à la tête du policier…

Mais celui-ci, qui avait l’œil à tout, ne lui en donna pas le temps… Un coup de feu retentit… Le bossu laissa échapper son arme improvisée… La balle du détective venait de lui traverser le bras.

M. de Thouars voulut s’élancer entre Chantecoq et Simone…

Mais Chantecoq le saisit au collet en disant :

– Assez de casse comme ça ! Ne me privez pas du plaisir de vous livrer intacts à mon ami Ferval.

Il n’avait pas prononcé ces mots, que Gautrais, accompagné de Pandore et de Vidocq, faisait irruption dans la pièce.

Un commissaire de police et quatre agents de la brigade mobile les accompagnaient.

– Monsieur le commissaire, fit Chantecoq en lui désignant Simone et ses deux acolytes, voici Belphégor et ses complices… Je les remets entre vos mains.

Deux agents se jetèrent sur le bossu et M. de Thouars, qui n’opposèrent aucune résistance.

Le commissaire s’approcha de Simone… et il allait s’emparer d’elle, lorsque la muraille contre laquelle elle s’appuyait s’entrouvrit, démasquant un passage secret, dont la veille, en cas d’alerte, le secrétaire du baron Papillon lui avait révélé l’existence.

Et tout en disparaissant par l’ouverture, elle s’écria :

– Tu ne me tiens pas encore !…

Le roi des détectives se précipita, mais il se heurta à la muraille qui s’était refermée.

Chantecoq, tout en menaçant le bossu de son arme, lui dit :

– Livre-moi tout de suite le secret de cette porte ou je te brûle la cervelle.

Lüchner n’hésita pas…

S’approchant de la muraille, il appuya sur un ressort dissimulé entre deux pierres… La muraille se déplaça aussitôt…

– Lâchez les chiens ! ordonna le père de Colette à Gautrais, qui détacha les deux danois qu’il tenait en laisse.

Aussitôt, Pandore et Vidocq s’élancèrent à travers la baie et gravirent de toute la vitesse de leurs quatre pattes l’escalier dérobé par lequel s’était enfui Belphégor, et qui aboutissait à la plate-forme de l’une des tours du château.

Ils y arrivèrent au moment où Simone allait se laisser glisser sur un toit voisin d’où, par une de ses fenêtres à tabatière, il lui eût été possible de gagner, par les combles, une cachette que le prévoyant bossu, en cas d’alerte, s’était aménagée.

Mais Pandore et Vidocq ne lui en laissèrent pas le loisir… Se jetant sur elle, ils l’empoignèrent chacun par un bras… et comme elle cherchait à se dégager, elle sentit les crocs des deux chiens s’enfoncer dans sa chair.

Alors, se sentant perdue, et comprenant qu’elle n’avait plus qu’à se rendre ou à mourir, malgré la douleur que lui causait la double morsure qui s’accentuait à chacun de ses mouvements, elle chercha à gagner le créneau afin de se précipiter dans le vide…

Pandore et Vidocq resserrèrent l’étreinte de leurs mâchoires et elle eut l’impression de lire la mort dans leurs yeux.

Un cri de rage impuissante lui échappa et elle s’abattit sur les dalles…

Une haleine chaude passa sur son visage… Une gueule béante s’approcha de sa gorge… C’était Pandore qui s’apprêtait à l’étrangler.

Mais un coup de sifflet retentit… Les deux bêtes lâchèrent aussitôt leur proie pour retourner docilement vers Gautrais qui venait de surgir, avec Chantecoq, sur la plate-forme.

Et le détective, empoignant dans ses bras la jeune femme à moitié évanouie, s’écria :

– Maintenant, Belphégor, je te tiens tout à fait !