La mystérieuse armée de terre cuite du 1er empereur chinois (2)
très prisé du commerce le long de la rivière wei, un affluent principal du Fleuve Jaune.
Pour le coup, que l'on soit clair, la tombe impériale, encore aujourd'hui,
n'a jamais été fouillée. Et ça pour plusieurs raisons. Déjà les archéologues ne veulent pas
se retrouver face à une tombe pillée, ce qui pourrait avoir des conséquences symboliques
particulièrement mauvaises. Oui, car c'est souvent le cas que les tombes d'élites soient,
quelques années à peine après l'inhumation, les cibles de vandalisme et de pillages.
Il faut dire aussi que les spécialistes attendent de pouvoir disposer de technologies suffisantes
pour être à même de protéger ce qui se trouve au sein du tumulus. Ils craignent d'ailleurs
de tomber sur des pièges, destinés à repousser les intrus et les archéologues en vrai c'est
pas Indiana Jones. Donc s'ils rentrent, ils se prennent le piège dans le pif et
au suivant ! Donc ils sont moyens chauds on va dire… D'ailleurs la crainte est justifiée,
comme nous l'indique cette description de ce qui devrait se trouver à l'intérieur de
la tombe que nous devons à nouveau à notre cher Sima Qian, et dont voici un extrait :
« Au neuvième mois, le Premier Auguste Empereur fut inhumé près du mont Li. […] quand il unifia
le monde, il y envoya 700 000 personnes. […] [On ordonna] aux artisans de fabriquer
des arbalètes et des traits, prêts à être décochés au cas où quelqu'un
essaierait de violer la sépulture. Avec du vif-argent (c'est-à-dire le mercure),
on fit les 100 fleuves.[…] Le plafond figurait le ciel, le sol, la Terre. »
Les archéologues chinois ont effectué des prospections au-dessus du tumulus, et ont bien
trouvé un taux élevé en mercure. C'est la preuve que la description semble probable, et donc sans
doute la suite aussi. Un peu parano, l'Empereur décréta en tout cas qu'il ne pouvait mourir seul.
Non seulement on sacrifia toutes les veuves des précédents souverains (une bonne dizaine
au moins), mais on enterra aussi vivant les artisans chargés de la construction de la tombe.
Voilà, comme ça, vous avez une bonne impression générale de ce sympathique personnage !
C'est donc tout naturel que tout autour de cette immense pyramide funéraire, les archéologues
découvrent des fosses d'accompagnements sacrificielles. Mais comme on ne pouvait
pas massacrer l'ensemble de la population chinoise pour les beaux yeux de l'Empereur,
(enfin, peut-être qu'il en avait l'intention, mais comme il est mort en tournée d'inspection,
il a fallu s'adapter), il fallait pouvoir aussi substituer les humains sacrifiés par
des objets que les chinois de l'antiquité appellent : mingqi, un sujet qui doit être
brièvement abordé ici pour comprendre la raison d'être de l'armée en terre cuite.
Mot-à-mot « Objet lumineux », les mingqi désignent des objets qui ont pour mission
d'éclairer la tombe pour l'éternité, comme une lampe torche de luxe quoi... Ces objets
se popularisent depuis la période des Royaumes-Combattants pour remplacer
la pratique jusqu'alors courante du sacrifice. Ils peuvent prendre la forme d'à peu près tout,
du moment que l'objet avait une valeur sentimentale pour le défunt. Cette pratique
continue à être observée encore aujourd'hui, comme on le voit avec les offrandes funéraires
en papier à Taiwan qui prennent la forme de produits de consommations associés au défunt.
On retrouve ainsi des offrandes en forme d'I Phone, d'avion, de Ferrari, de porte clé.
Le moment venu si c'est possible un PC en papier, je dis pas non,
ça doit être classe.
Au sein du mausolée du Premier Empereur, ces mingqi sont notamment des statues en
bronze et en céramique représentant des fonctionnaires, serviteurs, cuisiniers,
palefreniers, acrobates et même scribes. En gros, toutes les personnes indispensables au
bon fonctionnement du jeune Empire. Et bien sûr, il ne peut y avoir d'unité sans armée :
ainsi, au lieu de massacrer 8000 bons hommes avec leurs armures, on va utiliser cette pratique des
mingqi pour sculpter une armée entière destinée à défendre éternellement la tombe impériale.
Et maintenant que l'on a dit tout ça, on va enfin pouvoir
s'intéresser à cette armée ! L'intro était un peu longue, mais nécessaire !
Située à 1,2 km à l'est de l'enceinte, 4 fosses occupent un espace total de 24 780m².
La fosse n°4 est vide, en revanche les trois autres comptent près de
8500 soldats. Chaque fosse représente un corps militaire bien spécifique :
• La fosse n°1,
la plus grande et la plus connue, rassemble une armée entière de fantassins et d'archers (un peu
plus de 6000 statues) : c'est l'avant-garde. Elle est divisée en 6 rangées chacune menée en tête par
un quadrige, un char antique sur deux roues. L'armée s'organise en formation rectangulaire.
Les archées se tiennent prêts pour décocher leurs flèches, les fantassins attendent le
signal pour charger. Les ailes droites et gauches, étant identiques, s'ouvrent en éventail, ou se
referment en tenaille, deux formations militaires destinées à soutenir les unités centrales.
• La fosse n°2 (1000 statues environ), en « L », se compose en quatre blocs. Au nord,
un régiment d'archers entoure une unité d'arbalétriers. Derrière, en deux blocs
parallèles, deux chars légers précédent un escadron de cavalerie. Au sud, se tiennent les
chars lourds et les régiments d'infanterie. Chacune de ces unités combat peut opérer
seule pour mieux contourner l'ennemi : c'est la formation dite du « déploiement concentrique ».
• La fosse n°3, en « U » est la plus petite. Divisée en trois sections elle rassemble le
Quartier Général, avec 68 soldats qui semblent vouloir protéger l'officier
de haut rang se trouvant au centre, près de l'unique char. Ce dernier n'est d'ailleurs pas
là et les archéologues pensent que sa tombe se trouve quelques kilomètres à l'ouest.
Il faut comprendre que personne n'est censé voir ces armées,
encore moins de les observer de face comme nous le faisons aujourd'hui.
L'ensemble des fosses était recouvert par plusieurs niveaux de sols différents,
afin d'en garantir leurs protections contre les précipitations et, surtout, les pilleurs.
A l'origine on a recouvert l'ensemble de ces fosses par un plafond fait à base de
troncs d'arbres, de couches de natte et de terre damée. Ces fosses sont pensées comme
des cryptes au-dessus desquelles devait se tenir un palais monumental, resté sans doute
inachevé par la mort inopinée de l'Empereur, et des révoltes qui ont suivi. D'ailleurs,
quand les archéologues découvrent ces statues, elles sont renversées sur le sol en brique,
détruites par des frappes intentionnées. Voilà pourquoi beaucoup d'armes ont disparu
des mains des soldats, sans doute prises par les pilleurs qui s'étaient immiscés dans la tombe.
On va se pencher maintenant sur les étapes de constructions de ces statues,
car c'est une véritable chaîne de travail, ordonnée, contrôlée et
organisée qui a été mise en place pour leur fabrication, à la chinoise quoi !
Les ouvriers travaillent dans un chantier à proximité des fosses, et sont tout autant utilisés
pour façonner les soldats, que les autres statues placées au sein de l'enceinte sacrée. Construites
à l'échelle 1/1, ces figures à taille humaine (en fait légèrement plus grandes que les humains de
l'époque, pour amplifier la portée symbolique de l'armée) sont fabriquées localement. La matière
première, l'argile, est utilisée pour la formation de l'ensemble du corps. C'est un véritable puzzle
à taille humaine. Les artisans disposent de moules pour façonner les têtes, bras, jambes,
et torses. Les parties sont rassemblées avant de passer au four. Imaginez un peu la taille des
fours pour cuire tout ça quand même ! .
Pour être bien certain que le rendu final est conforme au cahier des charges,
la statue passe par une étape de contrôle. Chaque atelier doit laisser sa trace en
inscrivant son nom dans l'argile crue. Et autant dire que l'atelier responsable d'un
défaut passait un sale quart d'heure. Après la cuisson, les statues sont laquées puis peintes.
Eh oui, comme les statues grecques en marbre recouvertes d'une feuille d'or,
celles de l'armée du Premier Empereur, sont peintes en rose,
rouge, vert, bleu, noir, blanc, brun… c'était coloré quoi !
Bien sûr, la couleur dépendait de la fonction. Le rendu final est si réaliste,
que l'on pourrait croire à des portraits. Mais ce n'est qu'une illusion. Une fois que toutes
les parties sont rassemblées, l'artisan (remarquez que je ne dis pas artiste ici), travaille l'argile
à froid pour façonner les expressions du visage. Chaque statue paraît ainsi différente de l'autre.
Côté hiérarchie au sein de cette armée de terre cuite, rien n'est laissé au hasard :
Taille, vêtement, couleur, coiffe, emplacement, armure,
les artisans respectent à la lettre les codes de représentations des soldats.
- Les fantassins sont sans armures, tandis
que les officiers de rang moyen sont équipés d'une armure à tunique avec épaulières et brassards.
- Le général est vêtu d'une écharpes ouatée, d'un couvre-chef,
d'une sous tunique, d'une armure qui se termine en « V »,et d'un couvre-chef appelé He [REU],
du nom d'un faisan célèbre pour ses qualités de combattant tenace.
- Les arbalétriers qui décochent leurs flèches un genou à terre, en maintenant l'arc avec les pieds
tandis qu'ils arment la corde, ont besoin d'être libres de leurs mouvements. Ils portent donc
une cuirasse courte et une jupette, tandis que leurs cheveux sont retenus par un chignon haut.
Voilà, maintenant vous savez tout sur ces statues
pour faire des blind tests et deviner à quel rang est associé tel ou tel soldat !
Bon...après tout ça, il est difficile de parler de ces statues sans aborder,
ici en conclusion, quelques mystères qu'ils restent encore à expliquer.
D'abord, aucun texte ancien ne mentionne l'existence d'une telle armée, alors que
la tombe du Premier Empereur, nous l'avons vu, est connue du grand historien des Han,
un siècle après l'inhumation. Cette absence de sources est d'autant plus étonnante que
des pilleurs se sont manifestement rendus dans la tombe pour prendre les armes.
Un autre débat domine encore de nos jours sur la question des influences possibles
pour cette statuaire de taille humaine. Un chercheur de la SOAS, à Londres, considère
que des artisans grecs se sont rendus jusqu'à Lintong pour participer à cette entreprise.
Alors, soyons clairs : les découvertes archéologiques en Chine et les textes
anciens attestent de l'existence de statues de plain-pied bien avant le Premier Empereur.
Donc on peut douter de ça mais cette théorie a quand même quelques arguments qui se tiennent.
Il ne faut pas oublier que depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand, les satrapies grecques,
des morceaux de territoire quoi, sont installées en Asie centrale, et jusqu'au Pakistan actuel.
Durant l'époque « Gréco-bactrienne » (250 à 130 av. environ), les rois grecs frappent les monnaies
avec des effigies de dieux grecs, développent leurs cités qu'ils agrémentent de décors purement
hellénistiques, dont des statues. Et on est exactement au moment du règne de Qin ShiHuangdi.
D'ailleurs, en septembre 2019, on a découvert un truc dans une tombe située à proximité de
l'enceinte nord qui renforce cette idée. Il s'agit d'un chameau en or mesurant 25 cm,
et qui est clairement un modèle des fameux chameaux de Bactriane (États
actuels d'Afghanistan, du Tadjikistan, et de l'Ouzbékistan). Ces chameaux sont les
principaux animaux de transport de marchandises dans le désert,
entre la Chine et l'Asie centrale, là où régnaient ces dynasties grecques.
Quoi qu'il en soit, il faut garder en mémoire que cette armée monumentale transformera en
profondeur la structure des inhumations dans les tombes impériales de la dynastie suivante, celle
des Han. Puisque l'on va en retrouver d'autres des armées comme ça, sauf qu'il s'agit de soldats de
petites tailles et beaucoup moins travaillés. En gros…. il y avait plus de pognon !
Ces changements prouvent donc de façon assez évidente que la tombe du Premier
Empereur aura fortement marqué les esprits de ce temps. Voilà les amis,
c'est tout pour aujourd'hui ! Merci à Arnaud Bertrand qui m'a accompagné une
fois de plus sur la préparation de cet épisode. Merci également à Tianci Media,
le partenaire qui nous permet de valoriser cette culture chinoise à travers cette série. J'espère
que cette vidéo vous a plu, on compte évidemment sur vos partages, c'est super important ! On se
retrouve bientôt sur la chaîne pour de nouvelles aventures sur la Chine. Ciao !