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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 2 – Le Témoignage (5)

Livre 2 – Le Témoignage (5)

Malgré tant d'approbations, tant de témoignages, tant de signes manifestes de la bénédiction d'en haut sur le livre que Dieu nous avait fait la grâce d'écrire, faut-il avouer cependant un regret vif et profond qui demeurait en moi? Ayant mis un soin si religieux à tout étudier et à tout savoir pour le redire avec exactitude, il m'eût été très doux que Bernadette put connaître mon récit dans son expression définitive et juger par elle-même combien j'avais été vrai. Et il n'avait fallu rien moins que les considérations exposées plus haut pour me déterminer à sacrifier cette satisfaction de coeur, cette satisfaction d'esprit, qui m'eut été, tout le monde le comprend, si précieuse et si chère.

Mais on ne donne rien à Dieu, sans en recevoir plus encore. En acceptant ce sacrifice qui m'était cruel, la maternelle Providence devait, comme on va le voir bientôt, trouver le moyen de me rendre au centuple, sous une autre et meilleure forme, cette approbation de Bernadette et cette sanction à laquelle, par respect même pour la Voyante, j'avais renoncé sans retour.

Ce regret, je l'exprimais naguères devant des Soeurs de Saint-Gildard.

— Voilà donc, disais-je avec un soupir de mélancolie, voilà donc que Bernadette aura toujours ignoré tout ce que, dans Notre-Dame de Lourdes, je raconte de sa propre histoire?...

— Oui et non, me fut-il répendu. Suivant votre désir elle n'a jamais eu ni la connaissance ni le soupçon du portrait que vous avez tracé d'elle. Mais quant au détail de tous les faits historiques qui la concernent elle-même ou qui touchent aux Apparitions, elle n'a pas eu besoin de lire votre livre pour connaitre à fond ce que vous avez écrit là-dessus. »

Je laissai voir mon étonnement. Celle qui me parlait reprit:

« — Depuis le temps, déjà assez long (n'y a-t-il pas dix ou onze ans?) que cet ouvrage a paru, il est naturellement arrivé, en effet, que presque toutes nos Soeurs, tantôt l'une, tantôt l'autre, dans l'intimité de nos causeries fraternelles, ont mainte et mainte fois interrogé Soeur Marie Bernard sur chacun des épisodes de sa vie à Lourdes. Et toujours les détails qu'elle a donnés se sont trouvés rigoureusement conformes à votre récit.

« Souvent aussi on faisait la contre-épreuve; et lui répétant, aussi textuellement que pouvait le fournir la mémoire, tel ou tel passage de Notre-Dame de Lourdes, on lui disait: « — Voilà ce que l'on raconte. Est-ce ainsi que cela s'est passé? — Absolument, » répondait-elle?

« Tel est, au milieu de nous, et dans l'abandon cordial de la famille religieuse, l'examen qui s'est à chaque instant renouvelé et qui a confirmé et corroboré l'exactitude de votre livre.

— Et dans cet examen minutieux, dans cet examen point par point et à la loupe, aucune erreur n'a été découverte?

— Une seule et la voici. Racontant l'une des dix-huit Apparitions, la sixième, celle du 25 février, vous dites que la Vierge appela la Voyante par son nom: « Bernadette,... ma fille ». C'est une petite erreur. Vous aurez, sur ce point, mal compris notre chère Soeur ou fait confusion dans vos notes. Mais ce détail est de si minime importance et touche si peu au fond des choses et à l'ensemble du livre qu'on ne vous en a point parlé jusqu'ici. Elle croyait aussi quelquefois se souvenir que l'Apparition de la semaine de Pâques, que l'on place généralement au lendemain de la fête, mais dont elle-même ne pouvait marquer le jour, n'aurait eu lieu cependant ni un lundi ni un vendredi. Elle n'avait point d'ailleurs là-dessus d'affirmation positive, et s'en référait à ce qu'elle avait déclaré jadis à la Commission d'enquête, et à la brochure de M. l'abbé Fourcade. « — J'étais alors, disait-elle, une petite enfant sans aucune instruction, ne sachant ni lire ni écrire, ignorant mon catéchisme et ne connaissant nullement ce que c'était que la date du calendrier. Je ne faisais pas même attention la plupart du temps au jour de la semaine où nous étions... Je ne pensais qu'à l'Apparition. »

— Ainsi dans cette longue histoire si chargée d'incidents, parmi tant de faits exposés, tant de paroles rapportées, tant de dialogues reproduits, tant de scènes décrites, voilà la seule nuance d'erreur que Bernadette ait jamais relevée?

— La seule. « — Qu'on lise ce qui est écrit répélait-elle souvent à ceux du dehors qui, par exception, étaient admis à l'interroger. J'ai tout dit à la Commission d'enquête, à M. l'abbé Fourcade, auteur de la brochure de l'Évêché et à M. Henri Lasserre. »

Ma joie fut grande en entendant ces mots. Et je remerciai Notre-Dame de Lourdes qui n'avait point voulu que son Enfant bien-aimée disparût de ce monde sans avoir attesté de la sorte, la vérité de l'histoire et la véracité de l'historien...

Et voilà comment après bien des années, je fus récompensé de mon sacrifice. La sanction que, par un craintif scrupule de mon âme envers l'humilité de Bernadette, je n'avais point voulu solliciter, venait d'elle-même à moi, sans que cette humilité eût eu, en aucune façon, à être tentée ou à être confuse. En faisant de la sorte recueillir les paroles de la Voyante par ses compagnes de la Maison de Dieu, en confiant pour jamais à la fidélité de ses Soeurs le dépôt de ce témoignage, la Providence, qui m'apportait avec tant de force cette preuve suprême, avait, vis-à-vis de Bernadette, tout disposé avec suavité.

Et puisque nous parlons ici de l'immuable attestation que Soeur Marie-Bernard rendait spontanément et avec amour à la Vérité, rappelons aussi, afin de compléter ce côté de sa physionomie, son invincible horreur pour toute invention imaginaire qui pouvait, en quoi que ce soit, altérer la pureté de l'Histoire.

Il y a plus de dix ans, nous eûmes l'occasion de lui communiquer de nombreux fragments d'un récit légendaire des Apparitions et de sa propre vie qui avait été composé par d'imprudents esprits, sans le secours d'aucun document officiel, sans aucune pièce de l'Evêché de Tarbes (nous les avions encore en main), sans même que la Voyante eût été seulement interrogée. La Soeur Marie-Bernard s'empressa tout aussitôt de protester, avec une vive énergie, contre toutes les erreurs de ce récit, leur opposant ses affirmations les plus précises, ses souvenirs les plus distincts, son démenti le plus formel. Elle nous remit, et nous avons en nos archives, l'original de cette protestation, signée par elle en présence de ses Supérieures, et contresignée par son Évêque. Passons...

Et maintenant que nous avons achevé de faire connaître à nos lecteurs tout ce qui touche directement et indirectement à la vie publique de Bernadette et à son témoignage historique, allons demander aux Religieuses de Saint-Gildard ce que fut Soeur Marie-Bernard dans la vie cachée.


Livre 2 – Le Témoignage (5)

Malgré tant d'approbations, tant de témoignages, tant de signes manifestes de la bénédiction d'en haut sur le livre que Dieu nous avait fait la grâce d'écrire, faut-il avouer cependant un regret vif et profond qui demeurait en moi? Ayant mis un soin si religieux à tout étudier et à tout savoir pour le redire avec exactitude, il m'eût été très doux que Bernadette put connaître mon récit dans son expression définitive et juger par elle-même combien j'avais été vrai. Et il n'avait fallu rien moins que les considérations exposées plus haut pour me déterminer à sacrifier cette satisfaction de coeur, cette satisfaction d'esprit, qui m'eut été, tout le monde le comprend, si précieuse et si chère.

Mais on ne donne rien à Dieu, sans en recevoir plus encore. En acceptant ce sacrifice qui m'était cruel, la maternelle Providence devait, comme on va le voir bientôt, trouver le moyen de me rendre au centuple, sous une autre et meilleure forme, cette approbation de Bernadette et cette sanction à laquelle, par respect même pour la Voyante, j'avais renoncé sans retour.

Ce regret, je l'exprimais naguères devant des Soeurs de Saint-Gildard.

— Voilà donc, disais-je avec un soupir de mélancolie, voilà donc que Bernadette aura toujours ignoré tout ce que, dans __Notre-Dame de Lourdes__, je raconte de sa propre histoire?...

— Oui et non, me fut-il répendu. Suivant votre désir elle n'a jamais eu ni la connaissance ni le soupçon du portrait que vous avez tracé d'elle. Mais quant au détail de tous les faits historiques qui la concernent elle-même ou qui touchent aux Apparitions, elle n'a pas eu besoin de lire votre livre pour connaitre à fond ce que vous avez écrit là-dessus. »

Je laissai voir mon étonnement. Celle qui me parlait reprit:

« — Depuis le temps, déjà assez long (n'y a-t-il pas dix ou onze ans?) que cet ouvrage a paru, il est naturellement arrivé, en effet, que presque toutes nos Soeurs, tantôt l'une, tantôt l'autre, dans l'intimité de nos causeries fraternelles, ont mainte et mainte fois interrogé Soeur Marie Bernard sur chacun des épisodes de sa vie à Lourdes. Et toujours les détails qu'elle a donnés se sont trouvés rigoureusement conformes à votre récit.

« Souvent aussi on faisait la contre-épreuve; et lui répétant, aussi textuellement que pouvait le fournir la mémoire, tel ou tel passage de Notre-Dame de Lourdes, on lui disait: « — Voilà ce que l'on raconte. Est-ce ainsi que cela s'est passé? — Absolument, » répondait-elle?

« Tel est, au milieu de nous, et dans l'abandon cordial de la famille religieuse, l'examen qui s'est à chaque instant renouvelé et qui a confirmé et corroboré l'exactitude de votre livre.

— Et dans cet examen minutieux, dans cet examen point par point et à la loupe, aucune erreur n'a été découverte?

— Une seule et la voici. Racontant l'une des dix-huit Apparitions, la sixième, celle du 25 février, vous dites que la Vierge appela la Voyante par son nom: « Bernadette,... ma fille ». C'est une petite erreur. Vous aurez, sur ce point, mal compris notre chère Soeur ou fait confusion dans vos notes. Mais ce détail est de si minime importance et touche si peu au fond des choses et à l'ensemble du livre qu'on ne vous en a point parlé jusqu'ici. Elle croyait aussi quelquefois se souvenir que l'Apparition de la semaine de Pâques, que l'on place généralement au lendemain de la fête, mais dont elle-même ne pouvait marquer le jour, n'aurait eu lieu cependant ni un lundi ni un vendredi. Elle n'avait point d'ailleurs là-dessus d'affirmation positive, et s'en référait à ce qu'elle avait déclaré jadis à la Commission d'enquête, et à la brochure de M. l'abbé Fourcade. « — J'étais alors, disait-elle, une petite enfant sans aucune instruction, ne sachant ni lire ni écrire, ignorant mon catéchisme et ne connaissant nullement ce que c'était que la date du calendrier. Je ne faisais pas même attention la plupart du temps au jour de la semaine où nous étions... __Je ne pensais qu'à l'Apparition__. »

— Ainsi dans cette longue histoire si chargée d'incidents, parmi tant de faits exposés, tant de paroles rapportées, tant de dialogues reproduits, tant de scènes décrites, voilà la seule nuance d'erreur que Bernadette ait jamais relevée?

— La seule. « — Qu'on lise ce qui est écrit répélait-elle souvent à ceux du dehors qui, par exception, étaient admis à l'interroger. J'ai tout dit à la Commission d'enquête, à M. l'abbé Fourcade, auteur de la brochure de l'Évêché et à M. Henri Lasserre. »

Ma joie fut grande en entendant ces mots. Et je remerciai Notre-Dame de Lourdes qui n'avait point voulu que son Enfant bien-aimée disparût de ce monde sans avoir attesté de la sorte, la vérité de l'histoire et la véracité de l'historien...

Et voilà comment après bien des années, je fus récompensé de mon sacrifice. La sanction que, par un craintif scrupule de mon âme envers l'humilité de Bernadette, je n'avais point voulu solliciter, venait d'elle-même à moi, sans que cette humilité eût eu, en aucune façon, à être tentée ou à être confuse. En faisant de la sorte recueillir les paroles de la Voyante par ses compagnes de la Maison de Dieu, en confiant pour jamais à la fidélité de ses Soeurs le dépôt de ce témoignage, la Providence, qui m'apportait avec tant de force cette preuve suprême, avait, vis-à-vis de Bernadette, tout disposé avec suavité.

Et puisque nous parlons ici de l'immuable attestation que Soeur Marie-Bernard rendait spontanément et avec amour à la Vérité, rappelons aussi, afin de compléter ce côté de sa physionomie, son invincible horreur pour toute invention imaginaire qui pouvait, en quoi que ce soit, altérer la pureté de l'Histoire.

Il y a plus de dix ans, nous eûmes l'occasion de lui communiquer de nombreux fragments d'un récit légendaire des Apparitions et de sa propre vie qui avait été composé par d'imprudents esprits, sans le secours d'aucun document officiel, sans aucune pièce de l'Evêché de Tarbes (nous les avions encore en main), sans même que la Voyante eût été seulement interrogée. La Soeur Marie-Bernard s'empressa tout aussitôt de protester, avec une vive énergie, contre toutes les erreurs de ce récit, leur opposant ses affirmations les plus précises, ses souvenirs les plus distincts, son démenti le plus formel. Elle nous remit, et nous avons en nos archives, l'original de cette protestation, signée par elle en présence de ses Supérieures, et contresignée par son Évêque. Passons...

Et maintenant que nous avons achevé de faire connaître à nos lecteurs tout ce qui touche directement et indirectement à la vie publique de Bernadette et à son témoignage historique, allons demander aux Religieuses de Saint-Gildard ce que fut Soeur Marie-Bernard dans la vie cachée.