Robespierre était-il méchant ? (1)
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podcasts ! Parce qu'on a pas toujours le temps de se poser avec un bon livre alors
qu'on en a très envie, je ne peux que vous conseiller d'aller y faire un tour pour
découvrir tout un tas de programmes à écouter ! Je vous en dis un peu plus à la fin de
l'épisode et je vous laisse profiter de deux mois d'essais gratuits sur www.audible.fr/notabene.
Bonne vidéo ! Mes chers camarades, bien le bonjour ! Dès
qu'on parle de la Révolution française, une figure emblématique s'impose, avant
même celle de Louis XVI : Robespierre. Celui qui est devenu le révolutionnaire par excellence
ne laisse personne indifférent. Pour beaucoup, il est le responsable de la Terreur, un véritable
buveur de sang accro à la guillotine, froid, calculateur, « psychopathe légaliste ». Pour
d'autres, plus rares, Robespierre est un héros injustement blâmé ; l'incarnation
d'une révolution juste et sociale qui aurait été abattue par la bourgeoisie des possédants.
S'il existe bien des débats en histoire, il est rare qu'un personnage face l'objet
de deux portraits aussi symétriquement opposés et entre ces deux versions caricaturales,
il est difficile de s'approcher de la réalité. Déjà, au début du XXe siècle, le grand
historien Marc Bloch se lamentait : « Robespierristes, antirobespierristes, nous vous crions grâce
; par pitié, dites-nous simplement : quel fut Robespierre ? »
Et bah on va essayer d'y voir plus clair même s'iI sera malheureusement impossible
de savoir un jour totalement qui était Robespierre. Dès le départ en effet, les sources ont
été très partiales à son sujet, qu'elles émanent de ses soutiens ou de ses ennemis,
et au fil du temps, les légendes se sont accumulées. En plus, Robespierre, contrairement
à beaucoup d'autres acteurs de la Révolution, ne nous a pas laissé de mémoires : sa mort
prématurée l'a empêché de livrer avec du recul son point de vue sur les événements
qu'il a traversés. Les principaux écrits que nous possédons de lui sont donc des articles
et surtout ses nombreux discours : l'intégralité de ces écrits occupe pas moins de onze tomes
! Le souci, c'est que des discours et articles politiques, ce sont des sources qu'il faut
savoir manipuler avec précaution et distance. Qu'on soit clair, personne ne prendrait
pour argent comptant des discours politiques d'hommes actuels… et ceux de la Révolution
ne sont pas différents. Toutes ces sources demandent donc à être critiquées, recoupées,
contextualisées, et forcément, les analyses sont toujours différentes. Et on peut ajouter
à ça la fâcheuse tendance de certains auteurs à faire de la psychologie de comptoir, et
une bonne part de ce qui a été écrit sur Robespierre se révèle être assez bancal,
pour ne pas dire très mauvais. Heureusement, il existe aussi de nombreux travaux universitaires
de qualité et récents, qui permettent de mieux aborder le personnage. Cette vidéo
n'aura pas la prétention de vous dire toute la vérité sur Robespierre : personne ne
le peut. Elle va par contre essayer de vous expliquer ce qu'on sait de lui, et comment
son image s'est déformée avec le temps. Robespierre est né dans une bonne famille
d'Arras, issu d'une lignée d'avocats. Il se situe donc dans cette bonne bourgeoisie
à la frontière de la noblesse. Son enfance est malgré tout marquée par la mort de sa
mère, puis le départ de son père. Orphelin, le jeune Maximilien Robespierre est cependant
bien entouré par le reste de sa famille. Ce statut d'orphelin a parfois été évoqué
pour justifier l'homme qu'il serait devenu, mais l'historien Jean-Clément Martin rappelle
à très juste titre que des orphelins, dans la France de la fin d'Ancien régime, c'est
loin d'être rare. Bien des futurs collègues révolutionnaires de Robespierre ont eu des
situations familiales au moins aussi difficiles… De ce point de vue, Robespierre s'en sort
finalement bien. Ayant obtenu une bourse conséquente, il fait de brillantes études au lycée Louis-Le-Grand
à Paris, avant de retourner à Arras où il devient avocat. Il plaide alors plusieurs
affaires assez médiatisées, dans lesquelles apparaît une tendance assez constante à
lutter contre les préjugés et l'arbitraire. Comme beaucoup de juristes de son époque,
il participe également à des concours, soumettant des écrits pour proposer des évolutions
du droit, par exemple sur la question du droit des bâtards, ou de l'honneur des familles
des condamnés par la justice. À la fin des années 1780, la France est
agitée par la question de la dette et des impôts. Pour faire très simple, Louis XVI
aimerait étendre certains impôts aux ordres privilégiés, le clergé et la noblesse,
mais chaque tentative de réforme a été bloquée par les Parlements, des cours de
justice tenues par des nobles qui s'opposent au roi pour préserver leurs privilèges.
Ce blocage conduit donc à la convocation des États-généraux, une institution qui
n'avait pas servie depuis des siècles. Début 1789, localement, les trois ordres,
clergé, noblesse et tiers état, sont chargés de produire des cahiers de doléance et d'élire
leurs représentants. Robespierre, sensible à la question sociale, choisit de rédiger
le cahier de la corporation des savetiers d'Arras, l'une des plus pauvres. En avril,
il est également l'un des huit députés élus pour représenter le Tiers état de
l'Artois. C'est en cette qualité qu'il se rend donc à Versailles, où il est alors
totalement fondu dans la masse des députés inconnus, bien loin des stars du moment que
sont des gens comme Mirabeau, Le Chapelier ou encore La Fayette.
La suite des événements, elle est plutôt connue mais on en fait un bref rappel !
En juin 1789, les États généraux, réunis depuis un mois mais bloqués par le Tiers
état , désireux d'un mode de décision plus juste entre les ordres, deviennent l'Assemblée
nationale constituante. Pendant deux ans, les députés vont élaborer la première
constitution du pays et nombre de refondations. Robespierre se classe alors clairement parmi
les « patriotes », ces députés attachés au tournant révolutionnaire, qui s'opposent
à ceux pour qui le roi doit garder une place prépondérante, voire qui refusent la constitution.
Mais même parmi les patriotes, Robespierre se démarque bientôt comme quelqu'un de
très radical et populaire, de même qu'un autre député, Pétion, qui deviendra plus
tard maire de Paris. Durant ces années, Robespierre intervient
à de nombreuses reprises, même s'il n'est pas toujours écouté : il fait partie d'une
petite avant-garde de députés dénonçant fermement la peine de mort, mais il se démarque
surtout par sa dénonciation de ce qu'on appelle alors le marc d'argent, une somme
très importante qui doit être versée pour avoir le droit d'être élu. La Constitution
qui s'élabore fait alors la promotion du suffrage censitaire, c'est à dire que ne
peuvent voter que ceux qui payent. Une idée contre laquelle Robespierre lutte fermement,
sans être écouté. Durant cette période de la Constituante,
Robespierre s'est donc fait un nom, et est devenu très populaire à Paris. Mais il s'est
aussi fait des ennemis politiques qui le trouvent trop radical. Son influence reste dans tous
les cas très modeste et s'il est l'un des députés les plus appréciés du peuple
parisien avec Pétion, il est loin d'être le plus puissant. Avant la fin de la Constituante,
il s'illustre cependant par une proposition de loi importante : l'interdiction aux membres
de la Constituante de se représenter pour l'assemblée suivante, la Législative.
En faisant cette proposition, Robespierre espère ainsi éliminer ses ennemis politiques,
qui ne pourront plus siéger. La proposition est votée et donc, lorsque la Convention
se sépare, Robespierre voit la fin de sa carrière de député.
Politiquement, il reste pourtant très présent à Paris et devient le président du club
des Jacobins, une société qui réunissait initialement les députés les plus attachés
à la Constitution. Depuis juin 1791 et la tentative de fuite de Louis XVI à l'étranger,
cependant, le club a connu une scission. Les modérés, qui continuent à soutenir le roi,
ont créé le club des Feuillants, ne laissant aux Jacobins que les plus radicaux, dont Robespierre
est l'un des plus en vue. Dans la nouvelle assemblée, la Législative, élue fin 91,
les Feuillants, modérés, dominent. Un petit groupe de députés plus radicaux, jacobins
opposés au roi, existe cependant autour du député Brissot. Et très vite, les débats
se polarisent sur la question de la guerre. Cette guerre contre les puissances étrangères,
notamment l'Autriche où bien des nobles se sont réfugiés, Louis XVI et son entourage
la désirent pour retrouver leur pouvoir. Brissot et ses amis la souhaitent également
: ils pensent que cela forcera le roi à révéler son double jeu. Aux Jacobins, Robespierre
est bien plus dubitatif. Il craint en effet que la guerre ne mette en danger la Révolution
: un général victorieux pourrait risquer de revenir avec trop de pouvoir.
Et clairement ici, il pense très fort à La Fayette !
Robespierre et Brissot s'engagent dans un débat sans fin, extrêmement violent et polarisé,
sur cette question. Finalement, Brissot l'emporte et, en avril, la France déclare la guerre
à l'Autriche. Très vite, les craintes de Robespierre se révèlent fondées : la
guerre se passe mal, et Louis XVI joue l'obstruction, ce qui n'arrange pas les choses. Lorsque
le peuple parisien s'insurge une première fois en juin (sous l'impulsion de Brissot
et ses amis), La Fayette revient en catastrophe à la capitale et propose de réprimer les
Jacobins… s'il ne réussit pas à s'imposer, il donne malgré tout totalement raison à
Robespierre.
Louis XVI est finalement renversé le 10 août 1792 par des parisiens craignant sa trahison.
Dans cette journée mythique, comme lors des autres journées insurrectionnelles, Robespierre
se tient à distance et n'organise rien, quoi qu'en disent ensuite ses ennemis. Il
défend par contre ensuite les insurgés contre ceux qui voudraient les punir, à qui il reproche
de vouloir « la révolution sans révolution ». La monarchie constitutionnelle étant
renversée, une nouvelle assemblée constituante est élue : la Convention. Robespierre y est
élu triomphalement à Paris, et devient l'un des membres influents du groupe de députés
que l'on appelle la Montagne, opposé à Brissot et ses amis, plus connus sous le nom
de Girondins. À la fin de 1792, les deux camps s'opposent très sévèrement sur
la question de la mort du Roi, souhaitée rapidement par les Montagnards tandis que
les Girondins sont bien plus réticents pour la plupart.
À cette époque, le Robespierre opposé à la peine de mort est loin : il a évolué
et considère que la trahison de Louis XVI est trop grave pour qu'il vive.C'est pourquoi,
à ses yeux, ceux qui représentent un danger pour la Révolution et la nation peuvent légitimement
être condamnés à mort. Et ne me faites pas dire qu'il en perd la tête..pas encore
! Robespierre est cependant loin d'être l'unique
bourreau de Louis XVI, et sa mort est votée, contrairement à la légende, à une assez
large majorité. Le débat n'en avait pas moins polarisé la Convention, car il recouvrait
un enjeu plus large : l'articulation entre ce pouvoir élu, et le mouvement populaire
parisien des sans-culottes, bien plus radicaux. À la Convention, ces sans-culottes étaient
plutôt défendus par les Montagnards, notamment Danton, Marat et Robespierre, même si tous
trois étaient bien moins radicaux que le mouvement populaire et espéraient aussi limiter
son ampleur. Mais en face, les Girondins optaient pour une stratégie plus répressive et, au
printemps 1793, ils tentent de s'en prendre à de grandes figures populaires, notamment
Marat, qui se tire cependant sans encombre du procès qui lui est fait. La réponse des
sans-culotte est très vive : fin mai et début juin, ils prennent d'assaut la Convention
et demandent l'arrestation d'une vingtaine de députés girondins. La Montagne domine
désormais la Convention, tandis que certains Girondins ayant fui en province (notamment
en Normandie et à Lyon) sont soutenus par des révoltes, ce qu'on appelle le fédéralisme.
Contrairement à une idée reçue, les Girondins n'étaient pas d'innocentes victimes : eux-mêmes
n'auraient pas été contre envoyer leurs ennemis à la guillotine. Et Robespierre n'est
pas leur terrible bourreau. Au contraire, alors que les députés les plus radicaux
demandent l'exécution d'environ 75 députés soutenant les Girondins, Robespierre les protége