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Arthur Bernède- Belphégor, 1-10 Où Chantecoq entre en campagne

1-10 Où Chantecoq entre en campagne

Où Chantecoq entre en campagne

Chantecoq après un rapide déjeuner, avait regagné son cabinet de travail, où il s'était enfermé… Il s'était procuré une Histoire du Louvre à travers les âges, qu'il s'était mis à étudier avec une extrême attention. Le texte et les nombreuses gravures qui l'illustraient avaient été, de sa part, l'objet d'un examen approfondi. Sans doute espérait-il découvrir dans cet ouvrage très complet un indice qui lui permettrait de repérer l'endroit par où le Fantôme s'était introduit dans le musée ; mais au bout de deux heures de recherches, il n'avait encore rien trouvé, et Chantecoq allait refermer son livre, lorsque son domestique apparut, portant une carte sur un plateau. C'était celle de Jacques Bellegarde. Le détective donna l'ordre d'introduire aussitôt le reporter. Dès que celui-ci parut, Chantecoq s'en fut vers lui avec empressement… Et par une cordiale poignée de main, il l'invita à prendre place sur un siège placé devant son bureau. – Tout d'abord, attaquait Bellegarde, permettez-moi de vous remercier encore. – Pourquoi donc ?

– Sans vous, la nuit dernière, je subissais le sort du gardien Sabarat.

– Si je vous disais que c'est un peu et même beaucoup ma faute ? répliquait Chantecoq avec un fin sourire.

– Allons donc ! s'écriait Bellegarde. – Je savais, déclarait le détective, que vous deviez passer la nuit dernière dans la salle des Dieux barbares.

– Vous savez donc tout ?

– C'est mon métier… J'ajoute que je n'avais qu'un mot à dire pour vous en empêcher… Si je ne l'ai pas fait, c'est parce que, d'abord, je n'étais pas fâché qu'un témoin de qualité assistât à la scène que je prévoyais, puis, qu'il y eût là un homme de votre courage pour me prêter au besoin main-forte. « Vous voyez bien, cher monsieur, que vous ne me devez aucune reconnaissance. Malheureusement, les choses ont moins bien tourné que je ne l'espérais. Enfin, l'essentiel est que nous soyons encore là tous les deux, plus décidés que jamais, n'est-ce pas, à tirer au clair cette singulière affaire. – Plus que jamais, en effet, monsieur Chantecoq, affirmait le journaliste avec force.

– À la bonne heure ! scandait le détective. Je vois que nous sommes faits pour nous entendre.

Et, tout de suite, il ajouta :

– M'avez-vous apporté les documents dont vous m'avez parlé hier soir ? – Les voici ! répliquait aussitôt Bellegarde, en lui remettant les deux lettres signées Belphégor.

Chantecoq s'en empara et les lut attentivement. – Ce Belphégor a vraiment de l'audace… déclara-t-il d'un ton grave. – C'est tout à fait mon avis. – Puis-je garder ces lettres ?

– Je vous en prie.

Et Chantecoq tout en les envoyant rejoindre, dans l'un des tiroirs de son bureau, le pneumatique que le reporter lui avait adressé le matin même, répliqua, d'un air quelque peu énigmatique : – Je vais les examiner, dès ce soir, avec la plus grande attention et peut-être me fourniront-elles un indice capable de me lancer sur une bonne piste.

Mais un cri de surprise échappait à Jacques. Ce n'était nullement la déclaration de Chantecoq qui le lui arrachait, mais l'apparition soudaine, dans le studio, de la délicieuse Parisienne dont l'image le hantait si puissamment depuis que, par trois fois et dans des circonstances si singulières, il l'avait rencontrée sur sa route. Colette, qui portait une toilette de ville d'une élégante simplicité, complétée d'un charmant chapeau cloche qui lui seyait à ravir, s'avançait vers son père ; et, tout en feignant de ne pas remarquer la présence du journaliste, elle annonçait joyeusement : – Papa, je suis prête !

– Monsieur Bellegarde ! présentait le détective en souriant… Ma fille et ma secrétaire !

– Mademoiselle, balbutiait Jacques troublé, en regardant tour à tour Colette et Chantecoq.

Celui-ci, tout en accentuant son sourire, reprenait :

– Comment ! vous n'aviez pas deviné ?… – C'est-à-dire que… hésitait le jeune homme. Mais Colette, désireuse de lui éviter l'évocation d'un incident dont il ne pouvait avoir conservé qu'un souvenir désagréable, lui tendait franchement la main tout en disant : – N'est-ce pas, monsieur Bellegarde, que mon père possède au suprême degré l'art de se camoufler. – C'est tout simplement admirable, déclarait Bellegarde, enchanté de cette diversion. – Il peut, continuait Colette, s'incarner dans vingt personnages différents et je mets au défi l'œil le plus exercé de le reconnaître. Ainsi, moi-même, il m'est arrivé de passer près de lui, dans la rue, sans le reconnaître… – Et pourtant, s'écriait le détective, je n'ai jamais été comédien. – Je ne voudrais pas être indiscret, reprenait le journaliste. Je vois que vous vous prépariez à sortir.

– En effet ! répliquait Chantecoq. J'ai l'intention de me rendre au Louvre avec ma fille. Voulez-vous nous y accompagner ?

– Très volontiers.

– Seulement, observait Colette, il faudra nous dépêcher, si nous voulons arriver avant la fermeture.

– J'ai là justement une voiture, déclarait Jacques. – Eh bien ! filons ! conclut le détective.

Un instant après ils montaient dans le taxi du reporter, qui stationnait avenue des Ternes.

Non loin de là, le bossu, dans sa voiturette, était toujours aux aguets.

Sans doute attachait-il une grande importance aux allées et venues de celui qu'il filait avec une si opiniâtre insistance, car, tout en feignant de s'absorber dans la lecture de son journal, il n'avait cessé de lancer de rapides coups d'œil vers la grille ouverte qui sert d'entrée à l'allée de Verzy. Lorsqu'il aperçut Chantecoq, Bellegarde et Colette, un sourire de satisfaction erra sur ses lèvres minces et décolorées. À haute voix, le reporter lançait au chauffeur :

– Au musée du Louvre !

Tous trois prirent place dans le taxi qui démarra… Le bossu, jetant son journal sur le trottoir, saisit son volant et, tout en mettant son véhicule en marche, il grommela :

– Alors, c'est la triple alliance !… Et, tout en ricanant, il scanda :

– Soit ! mais rira bien qui rira le dernier !

Vingt minutes après, le taxi s'arrêtait dans la grande cour du Louvre… Ses trois occupants en descendirent… et, tandis que Bellegarde réglait le chauffeur, le bossu rangeait sa voiturette à une cinquantaine de mètres de là, le long du trottoir. Le journaliste, ayant rejoint le détective et sa fille, tous trois pénétrèrent dans le palais et se dirigèrent tout droit vers l'escalier de la Victoire de Samothrace qui, chance inespérée, était absolument désert. Arrivés sur le palier, ils s'arrêtèrent. Chantecoq qui, doué d'une excellente mémoire, avait exactement repéré l'endroit où le Fantôme s'était littéralement fondu dans les ténèbres, demanda à Bellegarde : – C'est bien là, n'est-ce pas, qu'il a disparu ? – C'est bien là ! Le détective promena autour de lui un long regard qui finit par se fixer sur un gros pilier placé à gauche et en retrait de la rampe. Et, tout en le désignant du doigt, il reprit :

– Je suis persuadé qu'il doit exister là une issue secrète. Je ne puis, en effet, m'expliquer autrement l'évasion de notre bandit. Et, prenant dans la poche de son veston une loupe puissante, il se mit à examiner consciencieusement le pilier, depuis la base jusqu'à hauteur d'homme. Bientôt l'air un peu désappointé, il déclarait : – Je n'aperçois aucune solution de continuité… pas la moindre fissure. Partout la patine de la pierre est uniforme, et pourtant…

Remplaçant sa loupe par un petit marteau en acier, il en frappa plusieurs coups espacés le long de la colonne… Mais son ouïe, qui était d'une finesse exercée, ne perçut aucun son creux : – Rien, grommela-t-il… C'est bizarre ! Et, tout en faisant disparaître ses deux instruments d'investigation, il ajouta : – Cherchons ailleurs… Les dalles ?… Aucun passage ne peut avoir été pratiqué parmi elles, puisqu'il ne pourrait qu'aboutir à la voûte de l'escalier et donc à aucun souterrain indispensable pour s'enfuir. À moins que…

Chantecoq réfléchit un instant, puis il reprit :

– Oui, à moins qu'il n'y ait là-dessous une simple cachette dont le Fantôme aurait surpris le secret et dans laquelle il se serait réfugié quand nous le serrions de près… et d'où il sera sorti lorsqu'il n'y aura plus eu personne. De nouveau, le détective regarda autour de lui.

– C'est sur la gauche qu'il a bondi… Voyons un peu de ce côté ! Il se dirigea vers une muraille recouverte d'une épaisse et sombre tenture qu'il souleva… Elle recouvrait une porte en chêne massif défendue par une épaisse serrure. – Cette porte, observa-t-il, est condamnée depuis longtemps. Voyons cependant où elle donne.

Et, tirant de sa poche un plan du musée, il allait le consulter, lorsque retentit le cri quotidien et réglementaire :

– On ferme !

Un flot de visiteurs, poussé par un gardien, apparut au sommet de l'escalier. – Fini pour aujourd'hui, conclut Chantecoq Allons-nous-en ! – Eh bien ! monsieur Chantecoq, qu'en dites-vous ? interrogeait Bellegarde en descendant les marches.

– Je pense, répliquait le père de Colette, que ce serait perdre son temps que de chercher à savoir par où le Fantôme est entré au Louvre et en est sorti, et que mieux vaut chercher plutôt à savoir ce qu'il est venu y faire. – Pour cela, reprenait Colette, il faudrait que nous puissions pénétrer dans la salle des Dieux barbares.

– J'y songe ! ponctuait le détective.

– Malheureusement, faisait observer Bellegarde, l'accès en est toujours interdit au public, et je ne crois pas que la police, sous les traits de notre cher ami Ménardier, soit disposée à faire une exception en notre faveur. Tout en cheminant, nos trois interlocuteurs avaient gagné la grande cour et étaient arrivés à la hauteur de la voiturette du bossu qui stationnait toujours le long du trottoir, mais vide, cette fois, de son conducteur. Ils allaient continuer leur route, lorsqu'une voix puissante retentit tout près d'eux : – Monsieur Chantecoq ! Monsieur Chantecoq !

Ils se retournèrent… Pierre Gautrais, sa casquette à la main et l'air navré, se tenait devant eux. – Eh bien ! mon brave, qu'y a-t-il donc ? interrogeait le grand limier.

– Ça y est ! Je suis révoqué ! expliquait le gardien d'un ton désespéré. Tout en le fixant bien dans les yeux, Chantecoq reprenait :

– Tu sais ce que je t'ai promis… – Alors, s'écria Gautrais, vous me prenez à votre service ? – Ainsi que ta femme !

– Nous avons justement besoin d'une bonne cuisinière, soulignait gaiement Colette ; et je sais que Marie-Jeanne est un vrai cordon-bleu. – Ça, appuyait Gautrais, j'en réponds, et je vous prie de croire que vous allez être soignés. – Alors, s'exclamait Jacques avec bonne humeur, vous m'enlevez ma femme de ménage ? – Je vous demande pardon… j'ignorais… s'excusait la jeune fille. – Je vous en prie, ne vous gênez pas… s'empressait de déclarer le reporter… Certes, je tenais beaucoup à Marie-Jeanne, mais je m'en voudrais de vous priver, ainsi que monsieur votre père, des services de cette excellente femme… J'en serai quitte pour me procurer une autre femme de ménage. – Marie-Jeanne vous trouvera ça… affirmait Gautrais, ravi de la tournure que prenaient pour lui les événements.

Et il ajouta rondement :

– Au revoir tout le monde et encore merci !

L'excellent homme s'éloigna, tout exubérant de joie. Alors, Colette, s'avançant vers Jacques qui s'apprêtait à prendre congé d'elle et de son père, lui dit : – Moi aussi, il faut que je vous remercie.

– De quoi donc, mademoiselle ?

– Mais du sacrifice que vous avez bien voulu consentir en notre faveur.

– N'est-ce pas tout naturel ? Et, s'adressant au détective qui regardait les deux jeunes gens avec un bon sourire, le reporter ajouta : – Quand aurai-je le grand plaisir de vous revoir ?

Avec bonhomie, Chantecoq répliquait :

– Mais quand vous voudrez, et le plus tôt sera le mieux. Au fait, j'y songe. Faites-nous donc l'amitié de venir dîner demain soir avec nous, sans cérémonie, en famille. Vous pourrez ainsi goûter à la cuisine de votre femme de ménage.

Instinctivement, les yeux de Jacques se dirigèrent vers Colette. Tout, en elle, semblait si bien exprimer qu'elle espérait une réponse favorable, que, sans hésiter, il répondit : – J'accepte avec plaisir. Après de cordiales poignées de main, tous trois se séparèrent. Colette, en voyant partir Jacques, dit à son père, avec cette exquise spontanéité qui la caractérisait :

– N'est-ce pas, qu'il est charmant ? – Comme le prince du même nom, dit Chantecoq en tapotant la joue de Colette qui se colora d'un joli rose. Et, prenant le bras de son père, elle s'en fut avec lui dans la direction du Carrousel. Quand ils eurent fait quelques pas, la tête du mystérieux bossu émergea lentement de la voiturette, au fond de laquelle il se cachait. Et tout en suivant de son regard de batracien le détective et sa fille qui s'éloignaient en devisant gaiement, il murmura avec un hideux sourire : – Je crois que Belphégor sera content de moi !…

1-10 Où Chantecoq entre en campagne 1-10 Wo Chantecoq in den Wahlkampf zieht 1-10 Where Chantecoq enters the campaign

Où Chantecoq entre en campagne

Chantecoq après un rapide déjeuner, avait regagné son cabinet de travail, où il s'était enfermé… Il s'était procuré une Histoire du Louvre à travers les âges, qu'il s'était mis à étudier avec une extrême attention. Le texte et les nombreuses gravures qui l'illustraient avaient été, de sa part, l'objet d'un examen approfondi. Sans doute espérait-il découvrir dans cet ouvrage très complet un indice qui lui permettrait de repérer l'endroit par où le Fantôme s'était introduit dans le musée ; mais au bout de deux heures de recherches, il n'avait encore rien trouvé, et Chantecoq allait refermer son livre, lorsque son domestique apparut, portant une carte sur un plateau. C'était celle de Jacques Bellegarde. Le détective donna l'ordre d'introduire aussitôt le reporter. Dès que celui-ci parut, Chantecoq s'en fut vers lui avec empressement… Et par une cordiale poignée de main, il l'invita à prendre place sur un siège placé devant son bureau. – Tout d'abord, attaquait Bellegarde, permettez-moi de vous remercier encore. – Pourquoi donc ?

– Sans vous, la nuit dernière, je subissais le sort du gardien Sabarat.

– Si je vous disais que c'est un peu et même beaucoup ma faute ? répliquait Chantecoq avec un fin sourire.

– Allons donc ! s'écriait Bellegarde. – Je savais, déclarait le détective, que vous deviez passer la nuit dernière dans la salle des Dieux barbares.

– Vous savez donc tout ?

– C'est mon métier… J'ajoute que je n'avais qu'un mot à dire pour vous en empêcher… Si je ne l'ai pas fait, c'est parce que, d'abord, je n'étais pas fâché qu'un témoin de qualité assistât à la scène que je prévoyais, puis, qu'il y eût là un homme de votre courage pour me prêter au besoin main-forte. « Vous voyez bien, cher monsieur, que vous ne me devez aucune reconnaissance. Malheureusement, les choses ont moins bien tourné que je ne l'espérais. Enfin, l'essentiel est que nous soyons encore là tous les deux, plus décidés que jamais, n'est-ce pas, à tirer au clair cette singulière affaire. – Plus que jamais, en effet, monsieur Chantecoq, affirmait le journaliste avec force.

– À la bonne heure ! scandait le détective. Je vois que nous sommes faits pour nous entendre.

Et, tout de suite, il ajouta :

– M'avez-vous apporté les documents dont vous m'avez parlé hier soir ? – Les voici ! répliquait aussitôt Bellegarde, en lui remettant les deux lettres signées Belphégor.

Chantecoq s'en empara et les lut attentivement. – Ce Belphégor a vraiment de l'audace… déclara-t-il d'un ton grave. – C'est tout à fait mon avis. – Puis-je garder ces lettres ?

– Je vous en prie.

Et Chantecoq tout en les envoyant rejoindre, dans l'un des tiroirs de son bureau, le pneumatique que le reporter lui avait adressé le matin même, répliqua, d'un air quelque peu énigmatique : – Je vais les examiner, dès ce soir, avec la plus grande attention et peut-être me fourniront-elles un indice capable de me lancer sur une bonne piste.

Mais un cri de surprise échappait à Jacques. Ce n'était nullement la déclaration de Chantecoq qui le lui arrachait, mais l'apparition soudaine, dans le studio, de la délicieuse Parisienne dont l'image le hantait si puissamment depuis que, par trois fois et dans des circonstances si singulières, il l'avait rencontrée sur sa route. Colette, qui portait une toilette de ville d'une élégante simplicité, complétée d'un charmant chapeau cloche qui lui seyait à ravir, s'avançait vers son père ; et, tout en feignant de ne pas remarquer la présence du journaliste, elle annonçait joyeusement : – Papa, je suis prête !

– Monsieur Bellegarde ! présentait le détective en souriant… Ma fille et ma secrétaire !

– Mademoiselle, balbutiait Jacques troublé, en regardant tour à tour Colette et Chantecoq.

Celui-ci, tout en accentuant son sourire, reprenait :

– Comment ! vous n'aviez pas deviné ?… – C'est-à-dire que… hésitait le jeune homme. Mais Colette, désireuse de lui éviter l'évocation d'un incident dont il ne pouvait avoir conservé qu'un souvenir désagréable, lui tendait franchement la main tout en disant : – N'est-ce pas, monsieur Bellegarde, que mon père possède au suprême degré l'art de se camoufler. – C'est tout simplement admirable, déclarait Bellegarde, enchanté de cette diversion. – Il peut, continuait Colette, s'incarner dans vingt personnages différents et je mets au défi l'œil le plus exercé de le reconnaître. Ainsi, moi-même, il m'est arrivé de passer près de lui, dans la rue, sans le reconnaître… – Et pourtant, s'écriait le détective, je n'ai jamais été comédien. – Je ne voudrais pas être indiscret, reprenait le journaliste. Je vois que vous vous prépariez à sortir.

– En effet ! répliquait Chantecoq. J'ai l'intention de me rendre au Louvre avec ma fille. Voulez-vous nous y accompagner ?

– Très volontiers.

– Seulement, observait Colette, il faudra nous dépêcher, si nous voulons arriver avant la fermeture.

– J'ai là justement une voiture, déclarait Jacques. – Eh bien ! filons ! conclut le détective.

Un instant après ils montaient dans le taxi du reporter, qui stationnait avenue des Ternes.

Non loin de là, le bossu, dans sa voiturette, était toujours aux aguets.

Sans doute attachait-il une grande importance aux allées et venues de celui qu'il filait avec une si opiniâtre insistance, car, tout en feignant de s'absorber dans la lecture de son journal, il n'avait cessé de lancer de rapides coups d'œil vers la grille ouverte qui sert d'entrée à l'allée de Verzy. Lorsqu'il aperçut Chantecoq, Bellegarde et Colette, un sourire de satisfaction erra sur ses lèvres minces et décolorées. À haute voix, le reporter lançait au chauffeur :

– Au musée du Louvre !

Tous trois prirent place dans le taxi qui démarra… Le bossu, jetant son journal sur le trottoir, saisit son volant et, tout en mettant son véhicule en marche, il grommela :

– Alors, c'est la triple alliance !… Et, tout en ricanant, il scanda :

– Soit ! mais rira bien qui rira le dernier !

Vingt minutes après, le taxi s'arrêtait dans la grande cour du Louvre… Ses trois occupants en descendirent… et, tandis que Bellegarde réglait le chauffeur, le bossu rangeait sa voiturette à une cinquantaine de mètres de là, le long du trottoir. Le journaliste, ayant rejoint le détective et sa fille, tous trois pénétrèrent dans le palais et se dirigèrent tout droit vers l'escalier de la Victoire de Samothrace qui, chance inespérée, était absolument désert. Arrivés sur le palier, ils s'arrêtèrent. Chantecoq qui, doué d'une excellente mémoire, avait exactement repéré l'endroit où le Fantôme s'était littéralement fondu dans les ténèbres, demanda à Bellegarde : – C'est bien là, n'est-ce pas, qu'il a disparu ? – C'est bien là ! Le détective promena autour de lui un long regard qui finit par se fixer sur un gros pilier placé à gauche et en retrait de la rampe. Et, tout en le désignant du doigt, il reprit :

– Je suis persuadé qu'il doit exister là une issue secrète. Je ne puis, en effet, m'expliquer autrement l'évasion de notre bandit. Et, prenant dans la poche de son veston une loupe puissante, il se mit à examiner consciencieusement le pilier, depuis la base jusqu'à hauteur d'homme. Bientôt l'air un peu désappointé, il déclarait : – Je n'aperçois aucune solution de continuité… pas la moindre fissure. Partout la patine de la pierre est uniforme, et pourtant…

Remplaçant sa loupe par un petit marteau en acier, il en frappa plusieurs coups espacés le long de la colonne… Mais son ouïe, qui était d'une finesse exercée, ne perçut aucun son creux : – Rien, grommela-t-il… C'est bizarre ! Et, tout en faisant disparaître ses deux instruments d'investigation, il ajouta : – Cherchons ailleurs… Les dalles ?… Aucun passage ne peut avoir été pratiqué parmi elles, puisqu'il ne pourrait qu'aboutir à la voûte de l'escalier et donc à aucun souterrain indispensable pour s'enfuir. À moins que…

Chantecoq réfléchit un instant, puis il reprit :

– Oui, à moins qu'il n'y ait là-dessous une simple cachette dont le Fantôme aurait surpris le secret et dans laquelle il se serait réfugié quand nous le serrions de près… et d'où il sera sorti lorsqu'il n'y aura plus eu personne. De nouveau, le détective regarda autour de lui.

– C'est sur la gauche qu'il a bondi… Voyons un peu de ce côté ! Il se dirigea vers une muraille recouverte d'une épaisse et sombre tenture qu'il souleva… Elle recouvrait une porte en chêne massif défendue par une épaisse serrure. – Cette porte, observa-t-il, est condamnée depuis longtemps. Voyons cependant où elle donne.

Et, tirant de sa poche un plan du musée, il allait le consulter, lorsque retentit le cri quotidien et réglementaire :

– On ferme !

Un flot de visiteurs, poussé par un gardien, apparut au sommet de l'escalier. – Fini pour aujourd'hui, conclut Chantecoq Allons-nous-en ! – Eh bien ! monsieur Chantecoq, qu'en dites-vous ? interrogeait Bellegarde en descendant les marches.

– Je pense, répliquait le père de Colette, que ce serait perdre son temps que de chercher à savoir par où le Fantôme est entré au Louvre et en est sorti, et que mieux vaut chercher plutôt à savoir ce qu'il est venu y faire. – Pour cela, reprenait Colette, il faudrait que nous puissions pénétrer dans la salle des Dieux barbares.

–  J'y songe ! ponctuait le détective.

– Malheureusement, faisait observer Bellegarde, l'accès en est toujours interdit au public, et je ne crois pas que la police, sous les traits de notre cher ami Ménardier, soit disposée à faire une exception en notre faveur. Tout en cheminant, nos trois interlocuteurs avaient gagné la grande cour et étaient arrivés à la hauteur de la voiturette du bossu qui stationnait toujours le long du trottoir, mais vide, cette fois, de son conducteur. Ils allaient continuer leur route, lorsqu'une voix puissante retentit tout près d'eux : – Monsieur Chantecoq ! Monsieur Chantecoq !

Ils se retournèrent… Pierre Gautrais, sa casquette à la main et l'air navré, se tenait devant eux. – Eh bien ! mon brave, qu'y a-t-il donc ? interrogeait le grand limier.

– Ça y est ! Je suis révoqué ! expliquait le gardien d'un ton désespéré. Tout en le fixant bien dans les yeux, Chantecoq reprenait :

– Tu sais ce que je t'ai promis… – Alors, s'écria Gautrais, vous me prenez à votre service ? – Ainsi que ta femme !

– Nous avons justement besoin d'une bonne cuisinière, soulignait gaiement Colette ; et je sais que Marie-Jeanne est un vrai cordon-bleu. – Ça, appuyait Gautrais, j'en réponds, et je vous prie de croire que vous allez être soignés. – Alors, s'exclamait Jacques avec bonne humeur, vous m'enlevez ma femme de ménage ? – Je vous demande pardon… j'ignorais… s'excusait la jeune fille. – Je vous en prie, ne vous gênez pas… s'empressait de déclarer le reporter… Certes, je tenais beaucoup à Marie-Jeanne, mais je m'en voudrais de vous priver, ainsi que monsieur votre père, des services de cette excellente femme… J'en serai quitte pour me procurer une autre femme de ménage. – Marie-Jeanne vous trouvera ça… affirmait Gautrais, ravi de la tournure que prenaient pour lui les événements.

Et il ajouta rondement :

– Au revoir tout le monde et encore merci !

L'excellent homme s'éloigna, tout exubérant de joie. Alors, Colette, s'avançant vers Jacques qui s'apprêtait à prendre congé d'elle et de son père, lui dit : – Moi aussi, il faut que je vous remercie.

– De quoi donc, mademoiselle ?

– Mais du sacrifice que vous avez bien voulu consentir en notre faveur.

– N'est-ce pas tout naturel ? Et, s'adressant au détective qui regardait les deux jeunes gens avec un bon sourire, le reporter ajouta : – Quand aurai-je le grand plaisir de vous revoir ?

Avec bonhomie, Chantecoq répliquait :

– Mais quand vous voudrez, et le plus tôt sera le mieux. Au fait, j'y songe. Faites-nous donc l'amitié de venir dîner demain soir avec nous, sans cérémonie, en famille. Vous pourrez ainsi goûter à la cuisine de votre femme de ménage.

Instinctivement, les yeux de Jacques se dirigèrent vers Colette. Tout, en elle, semblait si bien exprimer qu'elle espérait une réponse favorable, que, sans hésiter, il répondit : – J'accepte avec plaisir. Après de cordiales poignées de main, tous trois se séparèrent. Colette, en voyant partir Jacques, dit à son père, avec cette exquise spontanéité qui la caractérisait :

– N'est-ce pas, qu'il est charmant ? – Comme le prince du même nom, dit Chantecoq en tapotant la joue de Colette qui se colora d'un joli rose. Et, prenant le bras de son père, elle s'en fut avec lui dans la direction du Carrousel. Quand ils eurent fait quelques pas, la tête du mystérieux bossu émergea lentement de la voiturette, au fond de laquelle il se cachait. Et tout en suivant de son regard de batracien le détective et sa fille qui s'éloignaient en devisant gaiement, il murmura avec un hideux sourire : – Je crois que Belphégor sera content de moi !…