VI. — La peine de mort (4)
Mais, comme le Président répétait sa question, il parvint à se dominer et répondit d'une voix tremblante :
— J'ai à dire, monsieur le président, que je suis coupable de bien des choses, c'est vrai… J'ai fait beaucoup de mal et je m'en repens du fond du cœur… Mais, tout de même, pas ça… non, je n'ai pas tué… je n'ai jamais tué… Et je ne veux pas mourir… ce serait trop horrible…
Il vacilla, soutenu par les gardes, et on l'entendit proférer, comme un enfant qui appelle au secours :
— Patron… sauvez-moi !… sauvez-moi ! je ne veux pas mourir.
Alors, dans la foule, au milieu de l'émotion de tous, une voix s'éleva qui domina le bruit :
— Aie pas peur, petit, le patron est là.
Ce fut un tumulte. Il y eut des bousculades. Les gardes municipaux et les agents envahirent la salle, et l'on empoigna un gros homme au visage rubicond, que les assistants désignaient comme l'auteur de cette apostrophe et qui se débattait à coups de poing et à coups de pied.
Interrogé sur l'heure, il donna son nom, Philippe Banel, employé aux pompes funèbres, et déclara qu'un de ses voisins lui avait offert un billet de cent francs, s'il consentait à jeter, au moment voulu, une phrase que ce voisin inscrivit sur une page de carnet. Pouvait-il refuser ?
Comme preuve, il montra le billet de cent francs et la page de carnet.
On relâcha Philippe Banel.
Pendant ce temps, Lupin, qui, bien entendu, avait puissamment contribué à l'arrestation du personnage et l'avait remis entre les mains des gardes, Lupin sortait du Palais, le cœur étreint d'angoisse. Sur le quai, il trouva son automobile. Il s'y jeta, désespéré, assailli par un tel chagrin qu'il lui fallut un effort pour retenir ses larmes. L'appel de Gilbert, sa voix éperdue de détresse, sa figure décomposée, sa silhouette chancelante, tout cela hantait son cerveau, et il lui semblait que jamais plus il ne pourrait oublier, ne fût-ce qu'une seconde, de pareilles impressions.
Il rentra chez lui, au nouveau domicile qu'il avait choisi parmi ses différentes demeures, et qui occupait un des angles de la place Clichy. Il y attendit Grognard et Le Ballu avec lesquels il devait procéder, ce soir-là, à l'enlèvement de Daubrecq.
Mais il n'avait pas ouvert la porte de son appartement qu'un cri lui échappa : Clarisse était devant lui ; Clarisse revenue de Bretagne à l'heure même du verdict.
Tout de suite, à son attitude, à sa pâleur, il comprit qu'elle savait. Et tout de suite, en face d'elle, reprenant courage, sans lui laisser le temps de parler, il s'exclama :
— Eh bien, oui, oui… mais cela n'a pas d'importance. C'était prévu. Nous ne pouvions pas l'empêcher. Ce qu'il faut, c'est conjurer le mal. Et cette nuit, vous entendez, cette nuit, ce sera chose faite.
Immobile, effrayante de douleur, elle balbutia :
— Cette nuit ?
— Oui. J'ai tout préparé. Dans deux heures, Daubrecq sera en ma possession. Cette nuit, quels que soient les moyens que je doive employer, il parlera.
— Vous croyez ? dit-elle faiblement, et comme si déjà un peu d'espoir eût éclairé son visage.
— Il parlera. J'aurai son secret. Je lui arracherai la liste des vingt-sept. Et, cette liste, ce sera la délivrance de votre fils.
— Trop tard, murmura Clarisse.
— Trop tard ! Et pourquoi ? Pensez-vous qu'en échange d'un tel document, je n'obtiendrai pas l'évasion simulée de Gilbert ?… Mais, dans trois jours, Gilbert sera libre ! Dans trois jours…
Un coup de sonnette l'interrompit.
— Tenez, voilà nos amis. Ayez confiance. Rappelez-vous que je tiens mes promesses. Je vous ai rendu votre petit Jacques. Je vous rendrai Gilbert.
Il alla au-devant de Grognard et Le Ballu et leur dit :
— Tout est prêt ? Le père Brindebois est au restaurant ? Vite, dépêchons-nous.
— Pas la peine, patron, riposta Le Ballu.
— Comment ! Quoi ?
— Il y a du nouveau.
— Du nouveau ? Parle.
— Daubrecq a disparu.
— Hein ! Qu'est-ce que tu chantes ? Daubrecq, disparu ?
— Oui, enlevé de son hôtel, en plein jour !
— Tonnerre ! Et par qui ?
— On ne sait pas… quatre individus… Il y a eu des coups de feu. La police est sur place. Prasville dirige les recherches.
Lupin ne bougea pas. Il regarda Clarisse Mergy, écroulée sur un fauteuil.
Lui-même dut s'appuyer, Daubrecq enlevé, c'était la dernière chance qui s'évanouissait…