×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, X. — Extra-dry ? (2)

X. — Extra-dry ? (2)

Toutes les dépêches envoyées à son patron et renvoyées par ledit patron seront lues par ledit domestique et, au besoin, interceptées.

Jeudi. — Monte-Carlo. Ces trois messieurs fouillent les hôtels.

Vendredi. — Excursions rapides à la Turbie, au Cap d'Ail, au Cap Martin. M. Daubrecq me téléphone. Il juge plus prudent d'expédier ces messieurs en Italie. Leur fais donc adresser, par le domestique de l'hôtel Franklin, une dépêche leur donnant rendez-vous à San-Remo. Samedi. — San-Remo, quai de la gare. Moyennant dix francs j'emprunte la casquette du portier de l'ambassadeur's Palace. Arrivée de ces trois messieurs. On s'aborde. Leur explique de la part d'une voyageuse, Mme Mergy, qu'on va jusqu'à Gênes, Hôtel Continental. Hésitation de ces messieurs. M. Nicole veut descendre. On le retient. Le train démarre. Bonne chance, messieurs. Une heure après, je reprends un train pour la France et m'arrête à Nice, où j'attends les ordres nouveaux. Le sieur Jacob ferma son carnet et conclut :

— C'est tout. La journée d'aujourd'hui ne sera inscrite que ce soir. — Vous pouvez l'inscrire dès maintenant, monsieur Jacob. « Midi. — M. Daubrecq m'envoie à la Compagnie des wagons-lits. Je retiens deux sleepings pour Paris, au train de deux heures quarante-huit, et les envoie à M. Daubrecq par un express. Ensuite, je prends le train de midi cinquante-huit pour Vintimille, station frontière où je passe la journée dans la gare, à surveiller tous les voyageurs entrant en France. Si MM. Nicole, Grognard et Le Ballu avaient l'idée de quitter l'Italie, de revenir par Nice et de retourner à Paris, j'ai ordre de télégraphier à la Préfecture de Police que le sieur Arsène Lupin et deux de ses complices sont dans le train numéro X. Tout en parlant, Daubrecq avait conduit le sieur Jacob jusqu'à la porte. Il la referma sur lui, tourna la clef, poussa le verrou, et, s'approchant de Clarisse, il lui dit : — Maintenant, écoute-moi, Clarisse…

Cette fois elle ne protesta point. Que faire contre un tel ennemi, si puissant, si ingénieux, qui prévoyait jusqu'aux moindres détails et qui se jouait de ses adversaires avec tant de désinvolture ? Si elle avait encore pu espérer dans l'intervention de Lupin, le pouvait-elle à cette heure qu'il errait en Italie à la poursuite de fantômes ? Elle comprenait enfin pourquoi trois télégrammes envoyés par elle à l'hôtel Franklin étaient restés sans réponse. Daubrecq était là, dans l'ombre, qui veillait, qui faisait le vide autour d'elle, qui la séparait de ses compagnons de lutte, qui l'amenait peu à peu, prisonnière et vaincue, entre les quatre murs de cette chambre. Elle sentit sa faiblesse. Elle était à la merci du monstre. Il fallait se taire et se résigner.

Il répéta, avec une joie mauvaise :

— Écoute-moi, Clarisse. Écoute les paroles irrémédiables que je vais prononcer. Écoute-les bien. Il est midi. Or, c'est à deux heures quarante-huit que part le dernier train, tu entends, ce dernier train qui peut me conduire à Paris demain lundi, à temps pour que je sauve ton fils. Les trains de luxe sont complets. Donc, c'est à deux heures quarante-huit qu'il faut que je parte… Dois-je partir ? — Oui.

— Nos sleepings sont retenus. Tu m'accompagnes ? — Oui.

— Tu connais les conditions de mon intervention ?

— Oui !

— Tu acceptes ?

— Oui.

— Tu seras ma femme ?

— Oui.

Ah ! ces réponses horribles, La malheureuse les fit dans une sorte de torpeur affreuse, en refusant même de comprendre à quoi elle s'engageait. Qu'il partît d'abord, qu'il écartât de Gilbert la machine sanglante dont la vision la hantait jour et nuit… Et puis, et puis, il arriverait ce qui devrait arriver… Il éclata de rire.

— Ah ! coquine, c'est bientôt dit… Tu es prête à tout promettre, hein ? L'essentiel, c'est de sauver Gilbert, n'est-ce pas ? Après, quand le naïf Daubrecq offrira sa bague de fiançailles, bernique, on se fichera de lui. Allons, voyons, assez de paroles vagues. Pas de promesses qu'on ne tient pas… des faits, des faits immédiats. Et, nettement, assis tout près d'elle, il articula : — Moi, voici ce que je propose… ce qui doit être… ce qui sera… Je demanderai, ou plutôt, j'exigerai, non pas encore la grâce de Gilbert, mais un délai, un sursis à l'exécution, un sursis de trois ou quatre semaines. On inventera n'importe quel prétexte, ça ne me regarde pas. Et quand Mme Mergy sera devenue Mme Daubrecq, alors seulement, je réclamerai la grâce, c'est-à-dire la substitution de peine. Et sois tranquille, on me l'accordera. — J'accepte… J'accepte… balbutia-t-elle. Il rit de nouveau.

— Oui, tu acceptes, parce que cela se passera dans un mois… et d'ici là tu comptes bien trouver quelque ruse, un secours quelconque… M. Arsène Lupin… — Je jure sur la tête de mon fils…

— La tête de ton fils !… Mais, ma pauvre petite, tu te damnerais pour qu'elle ne tombe pas… — Ah ! oui, murmura-t-elle en frissonnant, je vendrais mon âme avec joie !

Il se glissa contre elle et, la voix basse :

— Clarisse, ce n'est pas ton âme que je te demande… C'est autre chose… Voilà plus de vingt ans que toute ma vie tourne autour de ce désir. Tu es la seule femme que j'aie aimée… Déteste-moi… Exècre-moi, ça m'est indifférent… mais ne me repousse pas… Attendre ? attendre encore un mois ?… non, Clarisse, il y a trop d'années que j'attends… Il osa lui toucher la main. Clarisse eut un tel geste de dégoût qu'il fut pris de rage et s'écria : — Ah ! je te jure Dieu, la belle, que le bourreau n'y mettra pas tant de formes, quand il empoignera ton fils… Et tu fais des manières ! Mais pense donc, cela se passera dans quarante heures ! Quarante heures, pas davantage. Et tu hésites… et tu as des scrupules, alors qu'il s'agit de ton fils ! Allons, voyons, pas de pleurnicheries, pas de sentimentalité stupide… Regarde les choses bien en face. D'après ton serment, tu es ma femme, tu es ma fiancée, dès maintenant… Clarisse, Clarisse, donne-moi tes lèvres… Elle le repoussait à peine, le bras tendu, mais défaillante. Et, avec un cynisme où se révélait sa nature abominable, Daubrecq, entremêlant les paroles cruelles et les mots de passion, continuait :

— Sauve ton fils… pense au dernier matin, à la toilette funèbre, à la chemise qu'on échancre, aux cheveux que l'on coupe… Clarisse, Clarisse, je le sauverai… Sois-en sûre… toute ma vie t'appartiendra… Clarisse. Elle ne résistait plus. C'était fini. Les lèvres de l'homme immonde allaient toucher les siennes, et il fallait qu'il en fût ainsi, et rien ne pouvait faire que cela ne fût pas. C'était son devoir d'obéir aux ordres du destin. Elle le savait depuis longtemps. Elle comprit, et, en elle-même, les yeux fermés pour ne pas voir l'ignoble face qui se haussait vers la sienne, elle répétait : « Mon fils… mon pauvre fils… » Quelques secondes s'écoulèrent, dix, vingt peut-être. Daubrecq ne bougeait plus. Daubrecq ne parlait plus. Et elle s'étonna de ce grand silence et de cet apaisement subit. Au dernier instant, le monstre avait-il quelque remords ?

Elle leva les paupières.

Le spectacle qui s'offrit à elle la frappa de stupeur. Au lieu de la face grimaçante qu'elle s'attendait à voir, elle aperçut un visage immobile, méconnaissable, tordu par une expression d'épouvante extrême, et dont les yeux, invisibles sous le double obstacle des lunettes, semblaient regarder plus haut qu'elle, plus haut que le fauteuil où elle était prostrée. Clarisse se détourna. Deux canons de revolver, braqués sur Daubrecq, émergeaient à droite un peu au-dessus du fauteuil. Elle ne vit que cela, ces deux revolvers énormes et redoutables, que serraient deux poings crispés. Elle ne vit que cela, et aussi la figure de Daubrecq que la peur décolorait peu à peu, jusqu'à la rendre livide. Et, presque en même temps, derrière lui, quelqu'un se glissa, qui surgit brutalement, lui jeta l'un de ses bras autour du cou, le renversa avec une violence incroyable et lui appliqua sur le visage un masque d'ouate et d'étoffe. Une odeur soudaine de chloroforme se dégagea.

Clarisse avait reconnu M. Nicole.

— À moi, Grognard ! cria-t-il. À moi, Le Ballu ! Lâchez vos revolvers, je le tiens ! Ce n'est plus qu'une loque… Attache-le ! Daubrecq, en effet, se repliait sur lui-même et tombait à genoux comme un pantin désarticulé. Sous l'action du chloroforme, la brute formidable s'effondrait, inoffensive et ridicule. Grognard et Le Ballu le roulèrent dans une des couvertures du lit et le ficelèrent solidement.

— Ça y est ! ça y est ! clama Lupin en se relevant d'un bond. Et, par un retour de joie brusque, il se mit à danser une gigue désordonnée au milieu de la pièce, une gigue où il y avait du cancan et des contorsions de matchiche, et des pirouettes de derviche tourneur, et des acrobaties de clown, et des zigzags d'ivrogne. Et il annonçait, comme des numéros de music-hall :

— La danse du prisonnier… Le chahut du captif… Fantaisie sur le cadavre d'un représentant du peuple !… La polka du chloroforme !… Le double boston des lunettes vaincues !… Ollé ! ollé !… le fandango du maître chanteur !… Et puis la danse de l'ours !… Et puis la tyrolienne ! Laïtou, laïtou, la, la !… Allons, enfants de la patrie !… Zimboumboum, Zimboumboum…

Toute sa nature de gavroche, tous ses instincts d'allégresse, étouffés depuis si longtemps par l'anxiété et par les défaites successives, tout cela faisait irruption, éclatait en accès de rire, en sursaut de verve, en un besoin pittoresque d'exubérance et de tumulte enfantin. Il esquissa un dernier entrechat, tourna autour de la chambre en faisant la roue, et finalement se planta debout, les deux poings sur les hanches, et un pied sur le corps inerte de Daubrecq.

— Tableau allégorique ! annonça-t-il. L'archange de la Vertu écrasant l'hydre du Vice ! Et c'était d'autant plus comique que Lupin apparaissait sous les espèces de M. Nicole, avec son masque et ses vêtements de répétiteur étriqué, compassé, et comme gêné dans ses entournures. Un triste sourire éclaira le visage de Mme Mergy, son premier sourire depuis des mois et des mois. Mais, tout de suite, reprise par la réalité, elle implora :

— Je vous en supplie… pensons à Gilbert.

Il courut à elle, la saisit à deux bras et, dans un mouvement spontané, si ingénu qu'elle ne pouvait qu'en rire, il lui appliqua sur les joues deux baisers sonores. — Tiens, la dame, voilà le baiser d'un honnête homme. Au lieu de Daubrecq, c'est moi qui t'embrasse… Un mot de plus et je recommence, et puis je te tutoie… Fâche-toi si tu veux… Ah ! ce que je suis content…

Il mit un genou à terre devant elle, et, respectueusement :

— Je vous demande pardon, madame, la crise est finie.

Et, se relevant, de nouveau narquois, il continua, tandis que Clarisse se demandait où il voulait en venir :

— Madame désire la grâce de son fils, peut-être ? Adjugé ! Madame, j'ai l'honneur de vous accorder la grâce de votre fils, la commutation de sa peine en celle des travaux forcés à perpétuité et, comme dénouement, son évasion prochaine. C'est convenu, hein, Grognard ? Convenu, Le Ballu ? On s'embarque pour Nouméa avant le gosse, et on prépare tout. Ah ! respectable Daubrecq, nous t'en devons une fière chandelle ! et c'est bien mal te récompenser. Mais aussi avoue que tu en prenais par trop à ton aise. Comment ! traiter ce bon monsieur Lupin de collégien, de pauvre hère, et cela pendant qu'il écoute à la porte ! le traiter d'illustre fantoche ! Dis donc, il me semble que l'illustre fantoche n'a pas mal manœuvré, et que tu n'en mènes pas très large, représentant du peuple… Non ! mais quelle binette ! Quoi ? Qu'est-ce que tu demandes ? Une pastille de Vichy ? Non ? Une dernière pipe peut-être ! Voilà, voilà !

Il prit une des pipes sur la cheminée, s'inclina vers le captif, écarta son masque, et entre ses dents introduisit le bout d'ambre. — Aspire, mon vieux, aspire. Vrai, ce que tu as une drôle de tête, avec ton tampon sur le nez et ton brûle-gueule au bec. Allons, aspire, crebleu, mais j'oubliais de la bourrer, ta pipe ! Où est ton tabac ? Ton maryland préféré ?… Ah ! voici…

Il saisit sur la cheminée un paquet jaune, non entamé, dont il déchira la bande.

— Le tabac de monsieur !

X. — Extra-dry ? (2) X. - Extra-dry ? (2) X. - Экстра-сухой ? (2)

Toutes les dépêches envoyées à son patron et renvoyées par ledit patron seront lues par ledit domestique et, au besoin, interceptées.

Jeudi. — Monte-Carlo. Ces trois messieurs fouillent les hôtels.

Vendredi. — Excursions rapides à la Turbie, au Cap d'Ail, au Cap Martin. M. Daubrecq me téléphone. Il juge plus prudent d'expédier ces messieurs en Italie. He thought it prudent to send these gentlemen to Italy. Leur fais donc adresser, par le domestique de l'hôtel Franklin, une dépêche leur donnant rendez-vous à San-Remo. Samedi. — San-Remo, quai de la gare. - San-Remo, station platform. Moyennant dix francs j'emprunte la casquette du portier de l'ambassadeur's Palace. Arrivée de ces trois messieurs. On s'aborde. We approach each other. Leur explique de la part d'une voyageuse, Mme Mergy, qu'on va jusqu'à Gênes, Hôtel Continental. Hésitation de ces messieurs. M. Nicole veut descendre. On le retient. Le train démarre. The train starts. Bonne chance, messieurs. Une heure après, je reprends un train pour la France et m'arrête à Nice, où j'attends les ordres nouveaux. Le sieur Jacob ferma son carnet et conclut :

— C'est tout. La journée d'aujourd'hui ne sera inscrite que ce soir. — Vous pouvez l'inscrire dès maintenant, monsieur Jacob. « Midi. "Noon. — M. Daubrecq m'envoie à la Compagnie des wagons-lits. Je retiens deux sleepings pour Paris, au train de deux heures quarante-huit, et les envoie à M. Daubrecq par un express. Ensuite, je prends le train de midi cinquante-huit pour Vintimille, station frontière où je passe la journée dans la gare, à surveiller tous les voyageurs entrant en France. Then I take the 12:58pm train to Ventimiglia, a border station where I spend the day in the station, watching all travelers entering France. Si MM. Nicole, Grognard et Le Ballu avaient l'idée de quitter l'Italie, de revenir par Nice et de retourner à Paris, j'ai ordre de télégraphier à la Préfecture de Police que le sieur Arsène Lupin et deux de ses complices sont dans le train numéro X. Tout en parlant, Daubrecq avait conduit le sieur Jacob jusqu'à la porte. Il la referma sur lui, tourna la clef, poussa le verrou, et, s'approchant de Clarisse, il lui dit : — Maintenant, écoute-moi, Clarisse…

Cette fois elle ne protesta point. Que faire contre un tel ennemi, si puissant, si ingénieux, qui prévoyait jusqu'aux moindres détails et qui se jouait de ses adversaires avec tant de désinvolture ? Si elle avait encore pu espérer dans l'intervention de Lupin, le pouvait-elle à cette heure qu'il errait en Italie à la poursuite de fantômes ? Elle comprenait enfin pourquoi trois télégrammes envoyés par elle à l'hôtel Franklin étaient restés sans réponse. Daubrecq était là, dans l'ombre, qui veillait, qui faisait le vide autour d'elle, qui la séparait de ses compagnons de lutte, qui l'amenait peu à peu, prisonnière et vaincue, entre les quatre murs de cette chambre. Elle sentit sa faiblesse. Elle était à la merci du monstre. Il fallait se taire et se résigner.

Il répéta, avec une joie mauvaise :

— Écoute-moi, Clarisse. Écoute les paroles irrémédiables que je vais prononcer. Écoute-les bien. Il est midi. Or, c'est à deux heures quarante-huit que part le dernier train, tu entends, ce dernier train qui peut me conduire à Paris demain lundi, à temps pour que je sauve ton fils. Les trains de luxe sont complets. Donc, c'est à deux heures quarante-huit qu'il faut que je parte… Dois-je partir ? — Oui. - Yes.

— Nos sleepings sont retenus. Tu m'accompagnes ? — Oui.

— Tu connais les conditions de mon intervention ?

— Oui !

— Tu acceptes ?

— Oui.

— Tu seras ma femme ?

— Oui.

Ah ! ces réponses horribles, La malheureuse les fit dans une sorte de torpeur affreuse, en refusant même de comprendre à quoi elle s'engageait. Qu'il partît d'abord, qu'il écartât de Gilbert la machine sanglante dont la vision la hantait jour et nuit… Et puis, et puis, il arriverait ce qui devrait arriver… Let him go first, away from Gilbert the bloody machine whose vision haunted her day and night... And then, and then, what should happen would happen... Il éclata de rire.

— Ah ! coquine, c'est bientôt dit… Tu es prête à tout promettre, hein ? L'essentiel, c'est de sauver Gilbert, n'est-ce pas ? Après, quand le naïf Daubrecq offrira sa bague de fiançailles, bernique, on se fichera de lui. Afterwards, when the naive Daubrecq offers his engagement ring, who cares? Allons, voyons, assez de paroles vagues. Come on, enough vague words. Pas de promesses qu'on ne tient pas… des faits, des faits immédiats. Et, nettement, assis tout près d'elle, il articula : And, clearly, sitting close to her, he articulated: — Moi, voici ce que je propose… ce qui doit être… ce qui sera… Je demanderai, ou plutôt, j'exigerai, non pas encore la grâce de Gilbert, mais un délai, un sursis à l'exécution, un sursis de trois ou quatre semaines. On inventera n'importe quel prétexte, ça ne me regarde pas. We'll invent any pretext, it's none of my business. Et quand Mme Mergy sera devenue Mme Daubrecq, alors seulement, je réclamerai la grâce, c'est-à-dire la substitution de peine. Et sois tranquille, on me l'accordera. — J'accepte… J'accepte… balbutia-t-elle. Il rit de nouveau.

— Oui, tu acceptes, parce que cela se passera dans un mois… et d'ici là tu comptes bien trouver quelque ruse, un secours quelconque… M. Arsène Lupin… — Je jure sur la tête de mon fils…

— La tête de ton fils !… Mais, ma pauvre petite, tu te damnerais pour qu'elle ne tombe pas… - Your son's head! But, my poor little girl, you'd damn yourself not to let it fall off... — Ah ! oui, murmura-t-elle en frissonnant, je vendrais mon âme avec joie !

Il se glissa contre elle et, la voix basse :

— Clarisse, ce n'est pas ton âme que je te demande… C'est autre chose… Voilà plus de vingt ans que toute ma vie tourne autour de ce désir. - Clarisse, it's not your soul I'm asking for... It's something else... For more than twenty years, my whole life has revolved around this desire. Tu es la seule femme que j'aie aimée… Déteste-moi… Exècre-moi, ça m'est indifférent… mais ne me repousse pas… Attendre ? attendre encore un mois ?… non, Clarisse, il y a trop d'années que j'attends… Il osa lui toucher la main. Clarisse eut un tel geste de dégoût qu'il fut pris de rage et s'écria : — Ah ! je te jure Dieu, la belle, que le bourreau n'y mettra pas tant de formes, quand il empoignera ton fils… Et tu fais des manières ! Mais pense donc, cela se passera dans quarante heures ! But just think, it's going to happen in forty hours! Quarante heures, pas davantage. Et tu hésites… et tu as des scrupules, alors qu'il s'agit de ton fils ! And you hesitate... and you have scruples, even though it's your son! Allons, voyons, pas de pleurnicheries, pas de sentimentalité stupide… Regarde les choses bien en face. D'après ton serment, tu es ma femme, tu es ma fiancée, dès maintenant… Clarisse, Clarisse, donne-moi tes lèvres… Elle le repoussait à peine, le bras tendu, mais défaillante. Et, avec un cynisme où se révélait sa nature abominable, Daubrecq, entremêlant les paroles cruelles et les mots de passion, continuait :

— Sauve ton fils… pense au dernier matin, à la toilette funèbre, à la chemise qu'on échancre, aux cheveux que l'on coupe… Clarisse, Clarisse, je le sauverai… Sois-en sûre… toute ma vie t'appartiendra… Clarisse. - Rette deinen Sohn ... denke an den letzten Morgen, an die Beerdigungstoilette, an das Hemd, das ausgebreitet wird, an die Haare, die abgeschnitten werden ... Clarisse, Clarisse, ich werde ihn retten ... Sei dir sicher ... mein ganzes Leben wird dir gehören ... Clarisse. - Save your son... think of the last morning, the funeral toilette, the shirt being torn, the hair being cut... Clarisse, Clarisse, I'll save him... Be sure of it... my whole life will belong to you... Clarisse. Elle ne résistait plus. C'était fini. Les lèvres de l'homme immonde allaient toucher les siennes, et il fallait qu'il en fût ainsi, et rien ne pouvait faire que cela ne fût pas. C'était son devoir d'obéir aux ordres du destin. Elle le savait depuis longtemps. She'd known it for a long time. Elle comprit, et, en elle-même, les yeux fermés pour ne pas voir l'ignoble face qui se haussait vers la sienne, elle répétait : « Mon fils… mon pauvre fils… » Quelques secondes s'écoulèrent, dix, vingt peut-être. Daubrecq ne bougeait plus. Daubrecq ne parlait plus. Et elle s'étonna de ce grand silence et de cet apaisement subit. Au dernier instant, le monstre avait-il quelque remords ?

Elle leva les paupières.

Le spectacle qui s'offrit à elle la frappa de stupeur. Au lieu de la face grimaçante qu'elle s'attendait à voir, elle aperçut un visage immobile, méconnaissable, tordu par une expression d'épouvante extrême, et dont les yeux, invisibles sous le double obstacle des lunettes, semblaient regarder plus haut qu'elle, plus haut que le fauteuil où elle était prostrée. Instead of the grimacing face she'd expected to see, she saw a motionless, unrecognizable face, twisted by an expression of extreme terror, and whose eyes, invisible under the double obstacle of the glasses, seemed to look higher than her, higher than the armchair where she was prostrate. Clarisse se détourna. Deux canons de revolver, braqués sur Daubrecq, émergeaient à droite un peu au-dessus du fauteuil. Two revolver barrels, aimed at Daubrecq, emerged on the right a little above the armchair. Elle ne vit que cela, ces deux revolvers énormes et redoutables, que serraient deux poings crispés. Elle ne vit que cela, et aussi la figure de Daubrecq que la peur décolorait peu à peu, jusqu'à la rendre livide. Et, presque en même temps, derrière lui, quelqu'un se glissa, qui surgit brutalement, lui jeta l'un de ses bras autour du cou, le renversa avec une violence incroyable et lui appliqua sur le visage un masque d'ouate et d'étoffe. Then, almost at the same time, someone crept up behind him, threw one of his arms around his neck, knocked him over with incredible violence and applied a mask of absorbent cotton and cloth to his face. Une odeur soudaine de chloroforme se dégagea.

Clarisse avait reconnu M. Nicole.

— À moi, Grognard ! cria-t-il. À moi, Le Ballu ! Lâchez vos revolvers, je le tiens ! Ce n'est plus qu'une loque… Attache-le ! Daubrecq, en effet, se repliait sur lui-même et tombait à genoux comme un pantin désarticulé. Daubrecq, in fact, folded in on himself and fell to his knees like a disjointed puppet. Sous l'action du chloroforme, la brute formidable s'effondrait, inoffensive et ridicule. Grognard et Le Ballu le roulèrent dans une des couvertures du lit et le ficelèrent solidement.

— Ça y est ! ça y est ! clama Lupin en se relevant d'un bond. Et, par un retour de joie brusque, il se mit à danser une gigue désordonnée au milieu de la pièce, une gigue où il y avait du cancan et des contorsions de matchiche, et des pirouettes de derviche tourneur, et des acrobaties de clown, et des zigzags d'ivrogne. Et il annonçait, comme des numéros de music-hall :

— La danse du prisonnier… Le chahut du captif… Fantaisie sur le cadavre d'un représentant du peuple !… La polka du chloroforme !… Le double boston des lunettes vaincues !… Ollé ! - The prisoner's dance... The captive's horseplay... Fantasy on the corpse of a representative of the people!.. The chloroform polka!.. The double boston of defeated spectacles!.. Ollé! ollé !… le fandango du maître chanteur !… Et puis la danse de l'ours !… Et puis la tyrolienne ! Laïtou, laïtou, la, la !… Allons, enfants de la patrie !… Zimboumboum, Zimboumboum…

Toute sa nature de gavroche, tous ses instincts d'allégresse, étouffés depuis si longtemps par l'anxiété et par les défaites successives, tout cela faisait irruption, éclatait en accès de rire, en sursaut de verve, en un besoin pittoresque d'exubérance et de tumulte enfantin. Seine ganze Gavroche-Natur, alle seine Instinkte der Fröhlichkeit, die so lange durch die Angst und die aufeinanderfolgenden Niederlagen erstickt worden waren, all das brach hervor, brach in Lachanfälle aus, in ein Aufbäumen der Verve, in ein malerisches Bedürfnis nach Überschwang und kindlichem Tumult. Il esquissa un dernier entrechat, tourna autour de la chambre en faisant la roue, et finalement se planta debout, les deux poings sur les hanches, et un pied sur le corps inerte de Daubrecq.

— Tableau allégorique ! annonça-t-il. he announced. L'archange de la Vertu écrasant l'hydre du Vice ! Et c'était d'autant plus comique que Lupin apparaissait sous les espèces de M. Nicole, avec son masque et ses vêtements de répétiteur étriqué, compassé, et comme gêné dans ses entournures. And it was all the more comical because Lupin appeared in the guise of M. Nicole, with his mask and clothes of a cramped, stuffy tutor, as if embarrassed in his girth. Un triste sourire éclaira le visage de Mme Mergy, son premier sourire depuis des mois et des mois. Mais, tout de suite, reprise par la réalité, elle implora :

— Je vous en supplie… pensons à Gilbert.

Il courut à elle, la saisit à deux bras et, dans un mouvement spontané, si ingénu qu'elle ne pouvait qu'en rire, il lui appliqua sur les joues deux baisers sonores. — Tiens, la dame, voilà le baiser d'un honnête homme. Au lieu de Daubrecq, c'est moi qui t'embrasse… Un mot de plus et je recommence, et puis je te tutoie… Fâche-toi si tu veux… Ah ! Instead of Daubrecq, I'm kissing you... One more word and I'll do it again, and then I'll be on first-name terms with you... Get angry if you want... Ah! ce que je suis content…

Il mit un genou à terre devant elle, et, respectueusement :

— Je vous demande pardon, madame, la crise est finie.

Et, se relevant, de nouveau narquois, il continua, tandis que Clarisse se demandait où il voulait en venir :

— Madame désire la grâce de son fils, peut-être ? Adjugé ! Sold! Madame, j'ai l'honneur de vous accorder la grâce de votre fils, la commutation de sa peine en celle des travaux forcés à perpétuité et, comme dénouement, son évasion prochaine. Madame, I have the honor of granting you your son's pardon, the commutation of his sentence to hard labor for life, and, as a finale, his imminent escape. C'est convenu, hein, Grognard ? Convenu, Le Ballu ? On s'embarque pour Nouméa avant le gosse, et on prépare tout. Ah ! respectable Daubrecq, nous t'en devons une fière chandelle ! et c'est bien mal te récompenser. Mais aussi avoue que tu en prenais par trop à ton aise. But you also have to admit that you were taking too much for granted. Comment ! traiter ce bon monsieur Lupin de collégien, de pauvre hère, et cela pendant qu'il écoute à la porte ! le traiter d'illustre fantoche ! Dis donc, il me semble que l'illustre fantoche n'a pas mal manœuvré, et que tu n'en mènes pas très large, représentant du peuple… Non ! Well, it seems to me that the illustrious puppet didn't do too badly, and that you're not doing very well, representative of the people... No! mais quelle binette ! Quoi ? Qu'est-ce que tu demandes ? What are you asking? Une pastille de Vichy ? A Vichy lozenge? Non ? Une dernière pipe peut-être ! Voilà, voilà !

Il prit une des pipes sur la cheminée, s'inclina vers le captif, écarta son masque, et entre ses dents introduisit le bout d'ambre. — Aspire, mon vieux, aspire. Vrai, ce que tu as une drôle de tête, avec ton tampon sur le nez et ton brûle-gueule au bec. You do look funny, with your tampon on your nose and your mouth-burner in your beak. Allons, aspire, crebleu, mais j'oubliais de la bourrer, ta pipe ! Come on, suck it up, damn it, but I forgot to fill your pipe! Où est ton tabac ? Ton maryland préféré ?… Ah ! voici…

Il saisit sur la cheminée un paquet jaune, non entamé, dont il déchira la bande.

— Le tabac de monsieur !