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Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, VIII. — La tour des Deux-Amants (1)

VIII. — La tour des Deux-Amants (1)

La salle des tortures s'arrondissait au-dessous de lui, vaste, de forme irrégulière, distribuée en parties inégales par les quatre gros piliers massifs qui soutenaient ses voûtes. Une odeur de moisissure et d'humidité montait de ses murailles et de ses dalles mouillées par les infiltrations. L'aspect devait en être, à toute époque, sinistre. Mais, à cette heure-là, avec les hautes silhouettes de Sébastiani et de ses fils, avec les lueurs obliques qui jouaient sur les piliers, avec la vision du captif enchaîné sur un grabat, elle prenait une allure mystérieuse et barbare.

Il était au premier plan, Daubrecq, à cinq ou six mètres en contrebas de la lucarne où Lupin se tenait blotti. Outre les chaînes antiques dont on s'était servi pour l'attacher à son lit et pour attacher ce lit à un crochet de fer scellé dans le mur, des lanières de cuir entouraient ses chevilles et ses poignets, et un dispositif ingénieux faisait que le moindre de ses gestes mettait en mouvement une sonnette suspendue au pilier voisin.

Une lampe posée sur un escabeau l'éclairait en plein visage.

Debout près de lui, le marquis d'Albufex, dont Lupin voyait le pâle visage, la moustache grisonnante, la taille haute et mince, le marquis d'Albufex regardait son prisonnier avec une expression de contentement et de haine assouvie.

Il s'écoula quelques minutes dans un silence profond. Puis le marquis ordonna :

— Sébastiani, allume donc ces trois flambeaux, afin que je le voie mieux !

Et, lorsque les trois flambeaux furent allumés et qu'il eut bien contemplé Daubrecq, il se pencha et lui dit presque doucement :

— Je ne sais pas trop ce qu'il adviendra de nous deux. Mais, tout de même, j'aurai eu là, dans cette salle, de sacrées minutes de joie. Tu m'as fait tant de mal, brecq ! Ce que j'ai pleuré par toi !… Oui… de vraies larmes… de vrais sanglots de désespoir… M'en as-tu volé de l'argent ! Une fortune ! Et c'est la peur que j'avais de ta dénonciation !… Mon nom prononcé, c'était l'achèvement de ma ruine, le déshonneur. Ah ! gredin !…

Daubrecq ne bougeait pas. Démuni de son lorgnon, il gardait cependant ses lunettes où la clarté des lumières se reflétait. Il avait considérablement maigri, et les os de ses pommettes saillaient au-dessus de ses joues creuses.

— Allons, dit d'Albufex, il s'agit maintenant d'en finir. Il paraîtrait qu'il y a des coquins qui rôdent dans le pays. Dieu veuille que ce ne soit pas à ton intention et qu'ils n'essaient pas de te délivrer, car ce serait ta perte immédiate, comme tu le sais… Sébastiani, la trappe fonctionne toujours bien ?

Sebastiani s'approcha, mit un genou en terre, souleva et tourna un anneau que Lupin n'avait pas remarqué et qui se trouvait au pied même du lit. Une des dalles bascula, découvrant un trou noir.

— Tu vois, reprit le marquis, tout est prévu, et j'ai sous la main tout ce qu'il faut, même des oubliettes… et des oubliettes insondables, dit la légende du château. Donc, rien à espérer, aucun secours. Veux-tu parler ?

Daubrecq ne répondant pas, il continua :

— C'est la quatrième fois que je t'interroge, Daubrecq. C'est la quatrième fois que je me dérange pour te demander le document que tu possèdes et pour me soustraire ainsi à ton chantage. C'est la quatrième et dernière fois. Veux-tu parler ?

Même silence. D'Albufex fit un signe à Sébastiani. Le garde s'avança, suivi de deux de ses fils. L'un d'eux tenait un bâton à la main.

— Vas-y, ordonna d'Albufex, après quelques secondes d'attente.

Sébastiani relâcha les lanières qui serraient les poignets de Daubrecq, introduisit et fixa le bâton entre les lanières.

— Je tourne, monsieur le marquis ?

Un silence encore. Le marquis attendait. Daubrecq ne bronchant pas, il murmura :

— Parle donc ! À quoi bon t'exposer à souffrir ?

Aucune réponse.

— Tourne, Sébastiani.

Sébastiani fit accomplir au bâton une révolution complète. Les liens se tendirent. Daubrecq poussa un gémissement.

— Tu ne veux pas parler ? Tu sais bien pourtant que je ne céderai pas, qu'il m'est impossible de céder, que je te tiens, et que, s'il le faut, je te démolirai jusqu'à t'en faire mourir. Tu ne veux pas parler ? Non ?… Sébastiani, un tour de plus.

Le garde obéit. Daubrecq eut un soubresaut de douleur et retomba sur son lit en râlant.

— Imbécile ! cria le marquis tout frémissant. Parle donc ! Quoi ? Tu n'en as donc pas assez, de cette liste ? C'est bien le tour d'un autre, pourtant. Allons, parle… Où est-elle ? Un mot… un mot seulement… et on te laisse tranquille… Et demain, quand j'aurai la liste, tu seras libre. Libre… tu entends ? Mais pour Dieu, parle !… Ah ! la brute ! Sébastiani, encore un tour.

Sébastiani fit un nouvel effort. Les os craquèrent.

— Au secours ! au secours ! articula Daubrecq d'une voix rauque et en cherchant vainement à se dégager.

Et, tout bas, il bégaya :

— Grâce… grâce…

Spectacle horrible ! Les trois fils avaient des visages convulsés. Lupin, frissonnant, écœuré, et qui comprenait que jamais il n'aurait pu accomplir lui-même cette abominable chose, Lupin épiait les paroles inévitables. Il allait savoir. Le secret de Daubrecq allait s'exprimer en syllabes, en mots arrachés par la douleur. Et Lupin pensait déjà à la retraite, à l'automobile qui l'attendait, à la course éperdue vers Paris, à la victoire si proche !…

— Parle… murmurait d'Albufex… parle, et ce sera fini.

— Oui… oui… balbutia Daubrecq.

— Eh bien…

— Plus tard… demain…

— Ah ! ça, tu es fou ! Demain ! Qu'est-ce que tu chantes ? Sébastiani, encore un tour.

— Non, non, hurla Daubrecq, non, arrête.

— Parle !

— Eh bien, voilà… J'ai caché le papier…

Mais la souffrance était trop grande. Daubrecq releva sa tête dans un effort suprême, émit des sons incohérents, réussit deux fois à prononcer : « Marie… Marie… » et se renversa, épuisé, inerte.

— Lâche donc, ordonna d'Albufex à Sébastiani. Sacrebleu ! est-ce que nous aurions forcé la dose ?

Mais un examen rapide lui prouva que Daubrecq était simplement évanoui. Alors lui-même, exténué, il s'écroula sur le pied du lit en essuyant les gouttes de sueur qui mouillaient son front, et il bredouilla :

— Ah ! la sale besogne…

— C'est peut-être assez pour aujourd'hui, dit le garde, dont la rude figure trahissait l'émotion… On pourrait recommencer demain… après-demain.

Le marquis se taisait. Un des fils lui tendit une gourde de cognac. Il en remplit la moitié d'un verre et but d'un trait.

— Demain ? dit-il ; non, tout de suite. Encore un petit effort. Au point où il en est, ce ne sera pas difficile.

Et prenant le garde à part :

— Tu as entendu ? qu'a-t-il voulu dire par ce mot de « Marie » ? Deux fois il l'a répété.

— Oui, deux fois, dit le garde. Il a peut-être confié ce document que vous lui réclamez à une personne qui porte le nom de Marie.

— Jamais de la vie ! protesta d'Albufex. Il ne confie rien… Cela signifie autre chose.

— Mais quoi, monsieur le marquis ?

— Quoi ? Nous n'allons pas tarder à le savoir, je t'en réponds.

À ce moment, Daubrecq eut une longue aspiration et remua sur sa couche.

D'Albufex, qui maintenant avait recouvré tout son sang-froid, et qui ne quittait pas l'ennemi des yeux, s'approcha et lui dit :

— Tu vois bien, Daubrecq… c'est de la folie de résister… Quand on est vaincu, il n'y a qu'à subir la loi du vainqueur, au lieu de se faire torturer bêtement… Voyons, sois raisonnable.

Et s'adressant à Sébastiani :

— Tends la corde… qu'il la sente un peu… ça le réveillera… Il fait le mort…

Sébastiani reprit le bâton et tourna jusqu'à ce que la corde revînt en contact avec les chairs tuméfiées. Daubrecq sursauta.

— Arrête, Sébastiani, commanda le marquis. Notre ami me paraît avoir les meilleures dispositions du monde et comprendre la nécessité d'un accord. N'est-ce pas, Daubrecq ? Tu préfères en finir. Combien tu as raison !

Les deux hommes étaient inclinés au-dessus du patient, Sébastiani le bâton en main, d'Albufex tenant la lampe afin d'éclairer en plein le visage.

— Ses lèvres s'agitent… il va parler… Desserre un peu, Sébastiani, je ne veux pas que notre ami souffre… Et puis, non, serre davantage… je crois que notre ami hésite… Encore un tour… Halte !… nous y sommes… Ah ! mon cher Daubrecq, si tu n'articules pas mieux que ça, c'est du temps perdu. Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ?

Arsène Lupin mâchonna un juron. Daubrecq parlait, et lui, Lupin, ne pouvait pas l'entendre ! Il avait beau prêter l'oreille, étouffer les battements de son cœur et le bourdonnement de ses tempes, aucun son ne parvenait jusqu'à lui.

— Crénom d'un nom, pensa-t-il, je n'avais pas prévu cela. Que faire ? » Il fut sur le point de braquer son revolver et d'envoyer à Daubrecq une balle qui couperait court à toute explication. Mais il songea que lui non plus n'en saurait pas davantage, et qu'il valait mieux s'en remettre aux événements pour en tirer le meilleur parti.

En bas, cependant, la confession se poursuivait, indistincte, entrecoupée de silences et mêlée de plaintes. D'Albufex ne lâchait pas sa proie.

— Encore… Achève donc…

Et il ponctuait les phrases d'exclamations approbatives.

— Bien !… Parfait !… Pas possible ? Répète un peu, Daubrecq… Ah ! ça, c'est drôle… Et personne n'a eu l'idée ? Pas même Prasville ?… Quel idiot !… Desserre donc, Sébastiani… Tu vois bien que notre ami est tout essoufflé… Du calme, Daubrecq… ne te fatigue pas… Et alors, cher ami, tu disais…

C'était la fin. Il y eut un chuchotement assez long que d'Albufex écouta sans interruption et dont Arsène Lupin ne put saisir la moindre syllabe, puis le marquis se leva et s'exclama d'une voix joyeuse :

— Ça y est !… Merci, Daubrecq. Et crois bien que je n'oublierai jamais ce que tu viens de faire. Quand tu seras dans le besoin, tu n'auras qu'à frapper à ma porte, il y aura toujours un morceau de pain pour toi à la cuisine, et un verre d'eau filtrée. Sébastiani, soigne monsieur le député absolument comme si c'était un de tes fils. Et tout d'abord, débarrasse-le de ses liens. Il ne faut pas avoir de cœur pour attacher ainsi un de ses semblables, comme un poulet à la broche.

— Si on lui donnait à boire ? proposa le garde.

— C'est ça ! donne-lui donc à boire.

Sébastiani et ses fils défirent les courroies de cuir, frictionnèrent les poignets endoloris et les entourèrent de bandes de toile enduites d'un onguent. Puis Daubrecq avala quelques gorgées d'eau-de-vie.

— Ça va mieux ? dit le marquis. Bah ! ce ne sera rien. Dans quelques heures, il n'y paraîtra plus, et tu pourras te vanter d'avoir subi la torture, comme au bon temps de l'Inquisition. Veinard !

Il consulta sa montre.

— Assez bavardé, Sébastiani. Que tes fils le veillent à tour de rôle. Toi, conduis-moi jusqu'à la station, pour le dernier train.

— Alors, monsieur le marquis, nous le laissons comme ça, libre de ses mouvements ?

— Pourquoi pas ? T'imagines-tu que nous allons le tenir ici jusqu'à sa mort ? Non. Daubrecq, dors tranquille. Demain après-midi, j'irai chez toi… et si le document se trouve bien à la place que tu m'as dite, aussitôt un télégramme, et on te donne la clef des champs. Tu n'as pas menti, hein ?

Il était revenu vers Daubrecq, et, de nouveau courbé sur lui :

— Pas de blagues, n'est-ce pas ? Ce serait idiot de ta part. J'y perdrais un jour, voilà tout. Tandis que toi, tu y perdrais ce qui te reste de jours à vivre. Mais non, mais non, la cachette est trop bonne. On n'invente pas ça pour s'amuser. En route, Sébastiani. Demain, tu auras le télégramme.

— Et si on ne vous laisse pas entrer dans la maison, monsieur le marquis ?

— Pourquoi donc ?

— La maison du square Lamartine est occupée par des hommes de Prasville.

— Ne t'inquiète pas, Sébastiani, j'entrerai, et si on ne m'ouvre pas la porte, la fenêtre est là. Et si la fenêtre ne s'ouvre pas, je saurai bien m'arranger avec un des hommes de Prasville. C'est une question d'argent. Et, Dieu merci ! ce n'est pas ça qui manquera, désormais. Bonne nuit, Daubrecq.

Il sortit, accompagné de Sébastiani, et le lourd battant se referma.

VIII. — La tour des Deux-Amants (1) VIII - Der Zwei-Mann-Turm (1) VIII. - Tour des Deux-Amants (1)

La salle des tortures s'arrondissait au-dessous de lui, vaste, de forme irrégulière, distribuée en parties inégales par les quatre gros piliers massifs qui soutenaient ses voûtes. The torture chamber rounded off below him, vast and irregularly shaped, divided into unequal parts by the four massive pillars that supported its vaults. Une odeur de moisissure et d'humidité montait de ses murailles et de ses dalles mouillées par les infiltrations. L'aspect devait en être, à toute époque, sinistre. It must have looked grim at any time. Mais, à cette heure-là, avec les hautes silhouettes de Sébastiani et de ses fils, avec les lueurs obliques qui jouaient sur les piliers, avec la vision du captif enchaîné sur un grabat, elle prenait une allure mystérieuse et barbare. But at that hour, with the tall silhouettes of Sébastiani and his sons, with the oblique lights playing on the pillars, with the vision of the captive chained to a bed, it took on a mysterious and barbaric allure.

Il était au premier plan, Daubrecq, à cinq ou six mètres en contrebas de la lucarne où Lupin se tenait blotti. Outre les chaînes antiques dont on s'était servi pour l'attacher à son lit et pour attacher ce lit à un crochet de fer scellé dans le mur, des lanières de cuir entouraient ses chevilles et ses poignets, et un dispositif ingénieux faisait que le moindre de ses gestes mettait en mouvement une sonnette suspendue au pilier voisin.

Une lampe posée sur un escabeau l'éclairait en plein visage.

Debout près de lui, le marquis d'Albufex, dont Lupin voyait le pâle visage, la moustache grisonnante, la taille haute et mince, le marquis d'Albufex regardait son prisonnier avec une expression de contentement et de haine assouvie. Standing next to him, the Marquis d'Albufex, whose pale face Lupin could see, graying moustache, tall and slim waist, the Marquis d'Albufex looked at his prisoner with an expression of contentment and sated hatred.

Il s'écoula quelques minutes dans un silence profond. Puis le marquis ordonna : Then the Marquis ordered:

— Sébastiani, allume donc ces trois flambeaux, afin que je le voie mieux ! - Sébastiani, light these three torches so that I can see him better!

Et, lorsque les trois flambeaux furent allumés et qu'il eut bien contemplé Daubrecq, il se pencha et lui dit presque doucement :

— Je ne sais pas trop ce qu'il adviendra de nous deux. - I'm not sure what will become of us. Mais, tout de même, j'aurai eu là, dans cette salle, de sacrées minutes de joie. But all the same, I'll have had quite a few minutes of joy in that room. Tu m'as fait tant de mal, brecq ! Du hast mir so wehgetan, brecq! You've done me so much harm, brecq! Ce que j'ai pleuré par toi !… Oui… de vraies larmes… de vrais sanglots de désespoir… M'en as-tu volé de l'argent ! What I cried because of you!... Yes... real tears... real sobs of despair... Did you steal money from me! Une fortune ! Et c'est la peur que j'avais de ta dénonciation !… Mon nom prononcé, c'était l'achèvement de ma ruine, le déshonneur. And that's the fear I had of your denunciation!... My name pronounced, it was the completion of my ruin, dishonor. Ah ! gredin !…

Daubrecq ne bougeait pas. Démuni de son lorgnon, il gardait cependant ses lunettes où la clarté des lumières se reflétait. Although he didn't wear his lorgnon, he kept his glasses, which reflected the brightness of the lights. Il avait considérablement maigri, et les os de ses pommettes saillaient au-dessus de ses joues creuses. He had lost considerable weight, and his cheekbones protruded above his hollow cheeks.

— Allons, dit d'Albufex, il s'agit maintenant d'en finir. - Come on," says d'Albufex, "now it's time to get it over with. Il paraîtrait qu'il y a des coquins qui rôdent dans le pays. I hear there are some rascals roaming the country. Dieu veuille que ce ne soit pas à ton intention et qu'ils n'essaient pas de te délivrer, car ce serait ta perte immédiate, comme tu le sais… Sébastiani, la trappe fonctionne toujours bien ? God forbid that it's not your intention and that they don't try to free you, because that would be your immediate undoing, as you know... Sebastiani, is the trapdoor still working properly?

Sebastiani s'approcha, mit un genou en terre, souleva et tourna un anneau que Lupin n'avait pas remarqué et qui se trouvait au pied même du lit. Sebastiani approached, knelt down, lifted and turned a ring that Lupin hadn't noticed was at the foot of the bed. Une des dalles bascula, découvrant un trou noir. One of the slabs tilted, revealing a black hole.

— Tu vois, reprit le marquis, tout est prévu, et j'ai sous la main tout ce qu'il faut, même des oubliettes… et des oubliettes insondables, dit la légende du château. Donc, rien à espérer, aucun secours. Veux-tu parler ?

Daubrecq ne répondant pas, il continua :

— C'est la quatrième fois que je t'interroge, Daubrecq. C'est la quatrième fois que je me dérange pour te demander le document que tu possèdes et pour me soustraire ainsi à ton chantage. C'est la quatrième et dernière fois. Veux-tu parler ?

Même silence. D'Albufex fit un signe à Sébastiani. Le garde s'avança, suivi de deux de ses fils. L'un d'eux tenait un bâton à la main.

— Vas-y, ordonna d'Albufex, après quelques secondes d'attente.

Sébastiani relâcha les lanières qui serraient les poignets de Daubrecq, introduisit et fixa le bâton entre les lanières. Sébastiani loosened the straps tightening Daubrecq's wrists, and inserted and secured the stick between the straps.

— Je tourne, monsieur le marquis ?

Un silence encore. Le marquis attendait. Daubrecq ne bronchant pas, il murmura : Daubrecq did not flinch, and murmured:

— Parle donc ! À quoi bon t'exposer à souffrir ? What's the point of exposing yourself to suffering?

Aucune réponse.

— Tourne, Sébastiani.

Sébastiani fit accomplir au bâton une révolution complète. Les liens se tendirent. The bonds tightened. Daubrecq poussa un gémissement.

— Tu ne veux pas parler ? Tu sais bien pourtant que je ne céderai pas, qu'il m'est impossible de céder, que je te tiens, et que, s'il le faut, je te démolirai jusqu'à t'en faire mourir. But you know that I won't give in, that it's impossible for me to give in, that I've got you, and that, if need be, I'll smash you to death. Tu ne veux pas parler ? Non ?… Sébastiani, un tour de plus.

Le garde obéit. Daubrecq eut un soubresaut de douleur et retomba sur son lit en râlant. Daubrecq jerked in pain and fell back onto his bed, moaning.

— Imbécile ! cria le marquis tout frémissant. the marquis shouted, shuddering. Parle donc ! Quoi ? Tu n'en as donc pas assez, de cette liste ? Don't you have enough of this list? C'est bien le tour d'un autre, pourtant. It's someone else's turn, though. Allons, parle… Où est-elle ? Un mot… un mot seulement… et on te laisse tranquille… Et demain, quand j'aurai la liste, tu seras libre. Libre… tu entends ? Mais pour Dieu, parle !… Ah ! la brute ! Sébastiani, encore un tour.

Sébastiani fit un nouvel effort. Les os craquèrent.

— Au secours ! au secours ! articula Daubrecq d'une voix rauque et en cherchant vainement à se dégager. articulated Daubrecq in a hoarse voice, vainly trying to free himself.

Et, tout bas, il bégaya : And, low, he stammered:

— Grâce… grâce… - Grace... grace...

Spectacle horrible ! Horrible show! Les trois fils avaient des visages convulsés. The three sons had convulsed faces. Lupin, frissonnant, écœuré, et qui comprenait que jamais il n'aurait pu accomplir lui-même cette abominable chose, Lupin épiait les paroles inévitables. Lupin, shivering, sickened, and understanding that he could never have accomplished this abominable thing himself, Lupin spied the inevitable words. Il allait savoir. He was about to find out. Le secret de Daubrecq allait s'exprimer en syllabes, en mots arrachés par la douleur. Et Lupin pensait déjà à la retraite, à l'automobile qui l'attendait, à la course éperdue vers Paris, à la victoire si proche !… And Lupin was already thinking of the retreat, of the automobile waiting for him, of the mad dash to Paris, of the victory so close at hand!...

— Parle… murmurait d'Albufex… parle, et ce sera fini.

— Oui… oui… balbutia Daubrecq.

— Eh bien…

— Plus tard… demain…

— Ah ! ça, tu es fou ! You're crazy! Demain ! Qu'est-ce que tu chantes ? Sébastiani, encore un tour.

— Non, non, hurla Daubrecq, non, arrête.

— Parle !

— Eh bien, voilà… J'ai caché le papier…

Mais la souffrance était trop grande. Daubrecq releva sa tête dans un effort suprême, émit des sons incohérents, réussit deux fois à prononcer : « Marie… Marie… » et se renversa, épuisé, inerte.

— Lâche donc, ordonna d'Albufex à Sébastiani. - Coward," ordered d'Albufex to Sébastiani. Sacrebleu ! est-ce que nous aurions forcé la dose ? did we overdo it?

Mais un examen rapide lui prouva que Daubrecq était simplement évanoui. Alors lui-même, exténué, il s'écroula sur le pied du lit en essuyant les gouttes de sueur qui mouillaient son front, et il bredouilla : Dann brach er selbst erschöpft am Fußende des Bettes zusammen, wischte sich die Schweißtropfen von der Stirn und stammelte: Then he himself, exhausted, collapsed on the foot of the bed, wiping the drops of sweat that wet his forehead, and stammered:

— Ah ! la sale besogne… the dirty work...

— C'est peut-être assez pour aujourd'hui, dit le garde, dont la rude figure trahissait l'émotion… On pourrait recommencer demain… après-demain. - Maybe that's enough for today," said the guard, whose rough face betrayed emotion... We could start again tomorrow... the day after tomorrow.

Le marquis se taisait. Un des fils lui tendit une gourde de cognac. Il en remplit la moitié d'un verre et but d'un trait. He filled half a glass with it and drank it in one gulp.

— Demain ? dit-il ; non, tout de suite. Encore un petit effort. A little more effort. Au point où il en est, ce ne sera pas difficile. At this point, it won't be difficult.

Et prenant le garde à part : And taking the guard aside:

— Tu as entendu ? - Did you hear that? qu'a-t-il voulu dire par ce mot de « Marie » ? what did he mean by "Mary"? Deux fois il l'a répété.

— Oui, deux fois, dit le garde. Il a peut-être confié ce document que vous lui réclamez à une personne qui porte le nom de Marie.

— Jamais de la vie ! protesta d'Albufex. Il ne confie rien… Cela signifie autre chose.

— Mais quoi, monsieur le marquis ?

— Quoi ? Nous n'allons pas tarder à le savoir, je t'en réponds. We'll soon find out, I promise.

À ce moment, Daubrecq eut une longue aspiration et remua sur sa couche.

D'Albufex, qui maintenant avait recouvré tout son sang-froid, et qui ne quittait pas l'ennemi des yeux, s'approcha et lui dit :

— Tu vois bien, Daubrecq… c'est de la folie de résister… Quand on est vaincu, il n'y a qu'à subir la loi du vainqueur, au lieu de se faire torturer bêtement… Voyons, sois raisonnable.

Et s'adressant à Sébastiani : And addressing Sébastiani:

— Tends la corde… qu'il la sente un peu… ça le réveillera… Il fait le mort… - Tighten the rope... let him feel it... it'll wake him up... He's playing dead...

Sébastiani reprit le bâton et tourna jusqu'à ce que la corde revînt en contact avec les chairs tuméfiées. Daubrecq sursauta.

— Arrête, Sébastiani, commanda le marquis. Notre ami me paraît avoir les meilleures dispositions du monde et comprendre la nécessité d'un accord. N'est-ce pas, Daubrecq ? Tu préfères en finir. You'd rather get it over with. Combien tu as raison ! How right you are!

Les deux hommes étaient inclinés au-dessus du patient, Sébastiani le bâton en main, d'Albufex tenant la lampe afin d'éclairer en plein le visage.

— Ses lèvres s'agitent… il va parler… Desserre un peu, Sébastiani, je ne veux pas que notre ami souffre… Et puis, non, serre davantage… je crois que notre ami hésite… Encore un tour… Halte !… nous y sommes… Ah ! - His lips are twitching... he's about to speak... Loosen a little, Sébastiani, I don't want our friend to suffer... And then, no, tighten more... I think our friend is hesitating... One more turn... Halt!... here we are... Ah! mon cher Daubrecq, si tu n'articules pas mieux que ça, c'est du temps perdu. my dear Daubrecq, if you don't articulate better than that, it's a waste of time. Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ?

Arsène Lupin mâchonna un juron. Daubrecq parlait, et lui, Lupin, ne pouvait pas l'entendre ! Il avait beau prêter l'oreille, étouffer les battements de son cœur et le bourdonnement de ses tempes, aucun son ne parvenait jusqu'à lui.

— Crénom d'un nom, pensa-t-il, je n'avais pas prévu cela. - Crénom d'un nom," he thought, "I hadn't anticipated that. Que faire ? » Il fut sur le point de braquer son revolver et d'envoyer à Daubrecq une balle qui couperait court à toute explication. Mais il songea que lui non plus n'en saurait pas davantage, et qu'il valait mieux s'en remettre aux événements pour en tirer le meilleur parti. But he felt that he wouldn't know any better either, and that it was better to leave it to events to make the best of it.

En bas, cependant, la confession se poursuivait, indistincte, entrecoupée de silences et mêlée de plaintes. D'Albufex ne lâchait pas sa proie.

— Encore… Achève donc…

Et il ponctuait les phrases d'exclamations approbatives.

— Bien !… Parfait !… Pas possible ? Répète un peu, Daubrecq… Ah ! ça, c'est drôle… Et personne n'a eu l'idée ? Pas même Prasville ?… Quel idiot !… Desserre donc, Sébastiani… Tu vois bien que notre ami est tout essoufflé… Du calme, Daubrecq… ne te fatigue pas… Et alors, cher ami, tu disais… Not even Prasville?... What an idiot!... Loosen up, Sébastiani... You can see that our friend is out of breath... Calm down, Daubrecq... don't tire yourself... And then, dear friend, you said...

C'était la fin. Il y eut un chuchotement assez long que d'Albufex écouta sans interruption et dont Arsène Lupin ne put saisir la moindre syllabe, puis le marquis se leva et s'exclama d'une voix joyeuse :

— Ça y est !… Merci, Daubrecq. Et crois bien que je n'oublierai jamais ce que tu viens de faire. And believe me, I'll never forget what you just did. Quand tu seras dans le besoin, tu n'auras qu'à frapper à ma porte, il y aura toujours un morceau de pain pour toi à la cuisine, et un verre d'eau filtrée. Sébastiani, soigne monsieur le député absolument comme si c'était un de tes fils. Et tout d'abord, débarrasse-le de ses liens. Il ne faut pas avoir de cœur pour attacher ainsi un de ses semblables, comme un poulet à la broche. You don't need a heart to tie up a fellow human being like that, like a chicken on a spit.

— Si on lui donnait à boire ? - How about a drink? proposa le garde.

— C'est ça ! donne-lui donc à boire.

Sébastiani et ses fils défirent les courroies de cuir, frictionnèrent les poignets endoloris et les entourèrent de bandes de toile enduites d'un onguent. Puis Daubrecq avala quelques gorgées d'eau-de-vie. Then Daubrecq swallowed a few sips of brandy.

— Ça va mieux ? dit le marquis. Bah ! ce ne sera rien. it will be nothing. Dans quelques heures, il n'y paraîtra plus, et tu pourras te vanter d'avoir subi la torture, comme au bon temps de l'Inquisition. In a few hours, it'll be gone, and you'll be able to boast that you've been tortured, just like in the good old days of the Inquisition. Veinard !

Il consulta sa montre.

— Assez bavardé, Sébastiani. Que tes fils le veillent à tour de rôle. Let your sons take turns watching over him. Toi, conduis-moi jusqu'à la station, pour le dernier train.

— Alors, monsieur le marquis, nous le laissons comme ça, libre de ses mouvements ?

— Pourquoi pas ? T'imagines-tu que nous allons le tenir ici jusqu'à sa mort ? Non. Daubrecq, dors tranquille. Demain après-midi, j'irai chez toi… et si le document se trouve bien à la place que tu m'as dite, aussitôt un télégramme, et on te donne la clef des champs. Tomorrow afternoon, I'll go to your place... and if the document is in the place you told me it was, I'll send you a telegram right away, and we'll give you the key to the field. Tu n'as pas menti, hein ?

Il était revenu vers Daubrecq, et, de nouveau courbé sur lui :

— Pas de blagues, n'est-ce pas ? Ce serait idiot de ta part. J'y perdrais un jour, voilà tout. Tandis que toi, tu y perdrais ce qui te reste de jours à vivre. You, on the other hand, would lose what days you have left to live. Mais non, mais non, la cachette est trop bonne. But no, but no, the hiding place is too good. On n'invente pas ça pour s'amuser. We don't invent these things for fun. En route, Sébastiani. Demain, tu auras le télégramme.

— Et si on ne vous laisse pas entrer dans la maison, monsieur le marquis ? - What if they don't let you in the house, Monsieur le Marquis?

— Pourquoi donc ? - Why is that?

— La maison du square Lamartine est occupée par des hommes de Prasville. - The house in Square Lamartine is occupied by men from Prasville.

— Ne t'inquiète pas, Sébastiani, j'entrerai, et si on ne m'ouvre pas la porte, la fenêtre est là. Et si la fenêtre ne s'ouvre pas, je saurai bien m'arranger avec un des hommes de Prasville. C'est une question d'argent. Et, Dieu merci ! And, thank God! ce n'est pas ça qui manquera, désormais. that's not what we'll be lacking from now on. Bonne nuit, Daubrecq.

Il sortit, accompagné de Sébastiani, et le lourd battant se referma. He left, accompanied by Sébastiani, and the heavy door closed.