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TEDx Talks, Que faire des cons ? | Maxime Rovere | TEDxTours (1)

Que faire des cons ? | Maxime Rovere | TEDxTours (1)

Transcription: eric vautier Relecteur: Claire Ghyselen

Oh…

Je pense que tout le monde en connaît au moins un,

ou une,

peut-être plusieurs,

c'est la personne qui vous a coupé la route ce matin en voiture,

c'est celle qui vous a marché sur les pieds sans s'excuser

dans les transports,

c'est peut-être votre chef qui a refusé

la promotion que vous demandez légitimement,

ou peut-être un autre chef,

ou une cheffe,

qui vous met la pression tous les jours, tout aussi inutilement,

et à un moment ou à un autre, vous avez pensé de lui ou d'elle :

« Quel con, quelle conne. »

(Rires)

C'est ce problème-là

que je voudrais affronter avec vous ce soir.

(Rires) (Applaudissements)

Je sais que vous souffrez.

C'est peut-être celui qui a allumé le chauffage dans cette salle,

(Rires)

et je sais que vous en souffrez.

Dans mon cas, c'est quelqu'un qui m'a empêché d'écrire un livre.

J'étais en collocation, elle s'est mal passée,

j'ai dû renoncer à écrire le livre que je préparais

et je ne savais pas encore qu'il allait m'en inspirer un autre,

dont je voudrais vous livrer les conclusions.

Ce que j'ai découvert, lors de mon enquête philosophique,

sur ce que c'est que la connerie,

c'est d'abord que,

avant d'être une qualité ou un défaut propre à une personne,

c'est l'objet d'un jugement

qu'une personne émet sur une autre personne.

Par exemple, moi, qui suis, comme vous l'imaginez, un saint,

ou plus ou moins digne d'un ange -

en tout cas, c'est la position de la personne qui émet un jugement -

je prête cet attribut de connerie à une autre personne,

c'est lui -

ici je vous le représente entre parenthèses -

puisque bien sûr, ce qu'il ressent ou ses motivations,

en fait, nous ne voulons rien en savoir,

nous ne cherchons plus à comprendre,

nous sommes dans le jugement,

c'est-à-dire, dans ce cas-ci, dans le rejet.

Or, ce rejet s'explique évidemment

par quelque chose de l'ordre de l'émotion

et c'est ce sur quoi je voudrais qu'on travaille ensemble ce soir.

Au lieu de vous résumer mon livre,

je vous propose de faire ensemble de la recherche en philosophie,

vous allez voir comment ça marche.

Comme dans les avions,

vous ne vous mettez pas à crier « On va tous mourir ! »

à la première turbulence,

là, si à un moment vous ne comprenez pas,

ne vous mettez pas à penser : « Je n'y comprends rien ! »

parce qu'il y a un moment où vous allez raccrocher,

vous allez voir, ça ne va pas faire mal.

Lorsqu'on ressent une émotion,

on est évidemment concentré sur son intimité.

On est convaincu que cette émotion,

elle vient du coeur,

qu'on la ressent dans son for intérieur,

et donc qu'elle est à soi.

Bien sûr, si nous nous mettons à réfléchir philosophiquement sur cette émotion,

on va bien sûr lui restituer ce qu'on appelle généralement un contexte.

Le contexte est constitué de choses qui se trouvent autour de la personne.

Dans un contexte, il y a plusieurs éléments,

qui en réalité sont fixes,

prédéterminés,

ils préexistent à la situation qui va créer l'émotion

et pourtant ils y participent.

Ce sont des éléments objectifs,

contrairement à l'émotion, qui évidemment est subjective.

Et enfin, les éléments du contexte

sont divers facteurs que l'on peut étudier d'une manière objective,

c'est-à-dire qu'ils sont de l'ordre du connaissable.

Ce que je voudrais faire avec vous ce soir, c'est justement substituer

à cette dualité entre une émotion qui est fondamentalement la mienne,

qui est dans mon for intérieur,

qui est quelque chose de subjectif,

et l'idée du contexte,

qui lui est objectif et qui se trouve à l'extérieur,

un autre dispositif, un autre système.

C'est ce que j'appelle une configuration.

Pour commencer, dans une configuration,

on prend d'abord en compte une perspective.

Comme vous le voyez, au lieu de présenter dans l'absolu

mes deux petits personnages à l'intérieur du contexte,

à présent, nous avons pris la perspective d'un des acteurs de l'événement.

Et dans cette configuration,

ce qui apparaît

n'est évidemment qu'une partie de ce que nous appelions le contexte.

C'est très important,

ça signifie qu'une configuration,

c'est d'abord une perspective d'éléments.

Ce qui complexifie un peu le phénomène,

c'est que bien sûr, dans cette configuration,

tous les éléments ne sont pas à l'extérieur.

Par exemple,

lorsque je me mets en colère contre mon colocataire,

il y a tout un tas de petits moi, qui existent en moi,

qui entrent en lutte les uns avec les autres -

c'est un peu l'image du diable et de l'ange qu'on connaît bien -

en réalité, il y en a beaucoup plus

parce qu'ils sont faits notamment de nos expériences passées,

mais aussi de tout un tas de personnalités,

le petit garçon en moi, la petite fille en vous,

qui vont réagir à des stimuli extérieurs,

et qui vont prendre le pas sur ce que vous êtes aujourd'hui.

Ainsi, vous voyez que la configuration,

ce ne sont plus seulement des éléments objectifs situés à l'extérieur,

ce sont aussi des éléments considérés comme subjectifs,

mais qui, petit à petit, déconstruisent la notion même de sujet,

puisque vous ne contrôlez pas

ces éléments qui prennent possession de vous.

Et puis enfin, il faut admettre

qu'une configuration se transforme directement selon le point de vue.

Bien sûr,

si, dans une situation qui vous paraît sans issue,

cet affrontement permanent que vous avez avec votre chef

ces plaintes perpétuelles de votre ex pour ce qui concerne la garde des enfants,

ou cette personne

qui vous agresse tous les matins quand vous arrivez au bureau,

toutes ces situations-là sont déterminées, comme je l'ai dit, par des perspectives,

qui, si elles changeaient,

changeraient entièrement la configuration.

Dans mon petit schéma,

j'ai imaginé qu'une porte dérobée se trouvait sur le côté -

elle était jusqu'alors cachée -

et en tenant compte d'une nouvelle perspective,

en fait, toute la configuration change.

C'est très important parce que ça signifie

qu'au lieu de vous focaliser

d'une part sur votre émotion,

d'autre part sur la personne qui est en face de vous et qui la suscite,

qui fait que vous vous enflammez, que vous entrez dans la colère,

ou dans la tristesse, ou dans le désespoir -

les émotions sont très nombreuses -

vous allez vous concentrer, justement, sur ces éléments extrêmement complexes

et qui, en réalité, sont en interaction.

La grande difficulté, c'est que le complexe, ça ne s'arrête jamais,

et on peut toujours complexifier encore.

En l'occurrence,

ce que je vous ai présenté comme étant une configuration simple,

est compliqué

par ce que j'appelle des matrices.

Les matrices sont les codes

qui permettent de mettre en forme la configuration

à partir de nos représentations.

En effet,

nous parlons une certaine langue

dans laquelle, par exemple,

le mot « con » a un spectre d'usages extrêmement large.

On est en train de traduire le livre dont je parle

et c'est très difficile de restituer dans d'autres langues

ce que nous signifions nous, Français, lorsque nous disons :

« Quel con, quelle conne »,

un mot qu'en plus, on peut utiliser pour soi-même,

en disant : « Qu'est-ce que je suis con ! »

ou en se disant qu'on est toujours le con de quelqu'un.

Donc, la langue est l'un des éléments,

mais il y a aussi les expériences passées, j'en ai parlé tout à l'heure,

il y a même les expériences passées dont vous avez entendu parler,

les livres que vous avez lus, les films que vous avez vus.

Tout cela façonne votre sensibilité, de telle sorte qu'en réalité,

lorsque vous êtes confronté à un événement,

ce sont ces matrices-là qui vont le mettre en forme.

Donc en fait, ce sont des configurations passées,

pour la plupart,

qui nous hantent exactement comme des fantômes,

dont nous ne savons plus exactement d'où ils viennent

mais qui font partie de notre monde,

sans que nous ne nous en apercevions.

Et il y a encore un troisième élément que je voudrais prendre en compte,

que j'appelle les scénarios.

Les scénarios décrivent des fictions de configuration,

c'est-à-dire ce que vous vous représentez mentalement, parfois très rapidement,

comme des possibles.

En l'occurrence,

j'ai parfois pensé au meurtre

dans le cas de ma colocation.

(Rires)

Je vous rassure,

par chance, j'avais des scénarios alternatifs.

(Rires)

J'ai pris mes jambes à mon cou et changé de maison,

c'était relativement facile à résoudre comme problème.

Il y en a des plus compliqués.

Justement, quand les cons font partie de votre famille,

et que vous les retrouvez systématiquement à Noël.

(Rires)

Mes parents ne sont pas dans la salle.

(Rires)

Je ne pensais pas à eux, je le jure.

Comme vous le voyez, il n'est pas toujours possible de trouver une issue simple.

Et pour trouver ces issues qui n'apparaissent pas à l'oeil nu,

il est absolument indispensable de considérer des scénarios

qui ne tiennent pas exactement compte de ce qu'on appelle le possible,

mais qui, au contraire, assument le caractère fictionnel,

ou plus exactement fictionnant,

du désir.

Le désir fabrique de la fiction,

et c'est avec ces fictions qu'en réalité,

nos rêves deviennent réalité,

et que je suis enfin libéré

de ma muse la plus improbable qui m'a inspiré ce travail sur les cons.

Vous comprenez à partir de maintenant

que ce qu'on considérait

au début de cette présentation

comme une émotion sise au creux de notre intimité,

au fond de notre coeur,

en réalité, circule,

d'une manière extrêmement complexe,

entre trois ensembles qui ne sont ni subjectifs ni objectifs :

ce que j'appelais les matrices,

qui sont en fait des configurations passées ;

ce qu'on considère comme étant la configuration actuelle -

comme je vous l'ai dit, il y a beaucoup de passé qui fabrique notre présent -

et puis enfin, des configurations que l'on se représente

comme des futurs possibles,

et qui sont en réalité des fictions

qui mettent en forme notre désir.

Voilà ce que c'est que l'émotion,

c'est l'énergie qui circule entre ces trois ensembles.

Pour le dire d'une manière à la fois plus simple et plus compliquée,

on pourrait dire que l'émotion,

c'est une qualité de présence interactionnelle.

Interactionnelle parce que, comme vous l'avez vu, ça circule,

ce sont des interactions entre des éléments

qui vont très très vite,

c'est très complexe,

c'est de la présence puisqu'en réalité,

tout se met à exister au même moment -

ce qu'on appelle un événement, c'est ça qui se passe -

et donc cet événement n'est pas seulement subjectif,

puisqu'au contraire, il est extraordinairement complexe.

Cela signifie que lorsque vous allez vouloir contrôler vos émotions,

vous essayez de toucher à quelque chose

qui n'est pas complètement à vous,

sur lequel vous n'avez pas complètement la main.

Et vous croyez que la volonté va suffire ?

Vous vous trompez

parce que ce qui fabrique l'émotion,

c'est justement la circulation entre trois ensembles complexes.

Vous n'avez pas le choix de ressentir vos émotions.

En revanche, ce que vous pouvez faire, c'est orienter vos émotions

de telle sorte à ce qu'elles puissent transformer les configurations.

C'est cela qui est la seule porte de sortie d'une émotion quelconque,

et c'est cela qui m'autorise à vous donner à présent

trois conseils contre les cons,

ceux qui vous blessent, ceux qui vous irritent,

ceux qui vous mettent en danger inutilement,

ceux qui vous accablent.

Le premier,

c'est : raffinez vos matrices.

C'est-à-dire lisez des livres, des romans, des livres de philosophie,

des livres qui vont faire en sorte

que les cadres à partir desquels vous concevez votre présent

soient plus sophistiqués, le plus sophistiqué possible.

Le deuxième conseil :

étendez vos configurations.

Lorsque vous vous trouvez en proie à une émotion,

une émotion qui vous submerge,

faites en sorte que

le monde auquel vous vous référez,

le nombre d'éléments que vous prenez en compte,

le nombre d'interactions que vous considérez,

soit le plus grand possible.

Compliquez, complexifiez les situations de référence.

Et puis enfin,

je vous demanderais de multiplier les scénarios,

puisqu'en réalité,

pour faire en sorte que le désir trouve sa voie,

il est indispensable de fictionner,

c'est-à-dire d'envisager encore une fois des futurs.

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Oh…

Je pense que tout le monde en connaît au moins un,

ou une,

peut-être plusieurs,

c'est la personne qui vous a coupé la route ce matin en voiture,

c'est celle qui vous a marché sur les pieds sans s'excuser

dans les transports,

c'est peut-être votre chef qui a refusé

la promotion que vous demandez légitimement,

ou peut-être un autre chef,

ou une cheffe,

qui vous met la pression tous les jours, tout aussi inutilement,

et à un moment ou à un autre, vous avez pensé de lui ou d'elle :

« Quel con, quelle conne. »

(Rires)

C'est ce problème-là

que je voudrais affronter avec vous ce soir.

(Rires) (Applaudissements)

Je sais que vous souffrez.

C'est peut-être celui qui a allumé le chauffage dans cette salle,

(Rires)

et je sais que vous en souffrez.

Dans mon cas, c'est quelqu'un qui m'a empêché d'écrire un livre.

J'étais en collocation, elle s'est mal passée,

j'ai dû renoncer à écrire le livre que je préparais

et je ne savais pas encore qu'il allait m'en inspirer un autre,

dont je voudrais vous livrer les conclusions.

Ce que j'ai découvert, lors de mon enquête philosophique,

sur ce que c'est que la connerie,

c'est d'abord que,

avant d'être une qualité ou un défaut propre à une personne,

c'est l'objet d'un jugement

qu'une personne émet sur une autre personne.

Par exemple, moi, qui suis, comme vous l'imaginez, un saint,

ou plus ou moins digne d'un ange -

en tout cas, c'est la position de la personne qui émet un jugement -

je prête cet attribut de connerie à une autre personne,

c'est lui -

ici je vous le représente entre parenthèses -

puisque bien sûr, ce qu'il ressent ou ses motivations,

en fait, nous ne voulons rien en savoir,

nous ne cherchons plus à comprendre,

nous sommes dans le jugement,

c'est-à-dire, dans ce cas-ci, dans le rejet.

Or, ce rejet s'explique évidemment

par quelque chose de l'ordre de l'émotion

et c'est ce sur quoi je voudrais qu'on travaille ensemble ce soir.

Au lieu de vous résumer mon livre,

je vous propose de faire ensemble de la recherche en philosophie,

vous allez voir comment ça marche.

Comme dans les avions,

vous ne vous mettez pas à crier « On va tous mourir ! »

à la première turbulence,

là, si à un moment vous ne comprenez pas,

ne vous mettez pas à penser : « Je n'y comprends rien ! »

parce qu'il y a un moment où vous allez raccrocher,

vous allez voir, ça ne va pas faire mal.

Lorsqu'on ressent une émotion,

on est évidemment concentré sur son intimité.

On est convaincu que cette émotion,

elle vient du coeur,

qu'on la ressent dans son for intérieur,

et donc qu'elle est à soi.

Bien sûr, si nous nous mettons à réfléchir philosophiquement sur cette émotion,

on va bien sûr lui restituer ce qu'on appelle généralement un contexte.

Le contexte est constitué de choses qui se trouvent autour de la personne.

Dans un contexte, il y a plusieurs éléments,

qui en réalité sont fixes,

prédéterminés,

ils préexistent à la situation qui va créer l'émotion

et pourtant ils y participent.

Ce sont des éléments objectifs,

contrairement à l'émotion, qui évidemment est subjective.

Et enfin, les éléments du contexte

sont divers facteurs que l'on peut étudier d'une manière objective,

c'est-à-dire qu'ils sont de l'ordre du connaissable.

Ce que je voudrais faire avec vous ce soir, c'est justement substituer

à cette dualité entre une émotion qui est fondamentalement la mienne,

qui est dans mon for intérieur,

qui est quelque chose de subjectif,

et l'idée du contexte,

qui lui est objectif et qui se trouve à l'extérieur,

un autre dispositif, un autre système.

C'est ce que j'appelle une configuration.

Pour commencer, dans une configuration,

on prend d'abord en compte une perspective.

Comme vous le voyez, au lieu de présenter dans l'absolu

mes deux petits personnages à l'intérieur du contexte,

à présent, nous avons pris la perspective d'un des acteurs de l'événement.

Et dans cette configuration,

ce qui apparaît

n'est évidemment qu'une partie de ce que nous appelions le contexte.

C'est très important,

ça signifie qu'une configuration,

c'est d'abord une perspective d'éléments.

Ce qui complexifie un peu le phénomène,

c'est que bien sûr, dans cette configuration,

tous les éléments ne sont pas à l'extérieur.

Par exemple,

lorsque je me mets en colère contre mon colocataire,

il y a tout un tas de petits moi, qui existent en moi,

qui entrent en lutte les uns avec les autres -

c'est un peu l'image du diable et de l'ange qu'on connaît bien -

en réalité, il y en a beaucoup plus

parce qu'ils sont faits notamment de nos expériences passées,

mais aussi de tout un tas de personnalités,

le petit garçon en moi, la petite fille en vous,

qui vont réagir à des stimuli extérieurs,

et qui vont prendre le pas sur ce que vous êtes aujourd'hui.

Ainsi, vous voyez que la configuration,

ce ne sont plus seulement des éléments objectifs situés à l'extérieur,

ce sont aussi des éléments considérés comme subjectifs,

mais qui, petit à petit, déconstruisent la notion même de sujet,

puisque vous ne contrôlez pas

ces éléments qui prennent possession de vous.

Et puis enfin, il faut admettre

qu'une configuration se transforme directement selon le point de vue.

Bien sûr,

si, dans une situation qui vous paraît sans issue,

cet affrontement permanent que vous avez avec votre chef

ces plaintes perpétuelles de votre ex pour ce qui concerne la garde des enfants,

ou cette personne

qui vous agresse tous les matins quand vous arrivez au bureau,

toutes ces situations-là sont déterminées, comme je l'ai dit, par des perspectives,

qui, si elles changeaient,

changeraient entièrement la configuration.

Dans mon petit schéma,

j'ai imaginé qu'une porte dérobée se trouvait sur le côté -

elle était jusqu'alors cachée -

et en tenant compte d'une nouvelle perspective,

en fait, toute la configuration change.

C'est très important parce que ça signifie

qu'au lieu de vous focaliser

d'une part sur votre émotion,

d'autre part sur la personne qui est en face de vous et qui la suscite,

qui fait que vous vous enflammez, que vous entrez dans la colère,

ou dans la tristesse, ou dans le désespoir -

les émotions sont très nombreuses -

vous allez vous concentrer, justement, sur ces éléments extrêmement complexes

et qui, en réalité, sont en interaction.

La grande difficulté, c'est que le complexe, ça ne s'arrête jamais,

et on peut toujours complexifier encore.

En l'occurrence,

ce que je vous ai présenté comme étant une configuration simple,

est compliqué

par ce que j'appelle des matrices.

Les matrices sont les codes

qui permettent de mettre en forme la configuration

à partir de nos représentations.

En effet,

nous parlons une certaine langue

dans laquelle, par exemple,

le mot « con » a un spectre d'usages extrêmement large.

On est en train de traduire le livre dont je parle

et c'est très difficile de restituer dans d'autres langues

ce que nous signifions nous, Français, lorsque nous disons :

« Quel con, quelle conne »,

un mot qu'en plus, on peut utiliser pour soi-même,

en disant : « Qu'est-ce que je suis con ! »

ou en se disant qu'on est toujours le con de quelqu'un.

Donc, la langue est l'un des éléments,

mais il y a aussi les expériences passées, j'en ai parlé tout à l'heure,

il y a même les expériences passées dont vous avez entendu parler,

les livres que vous avez lus, les films que vous avez vus.

Tout cela façonne votre sensibilité, de telle sorte qu'en réalité,

lorsque vous êtes confronté à un événement,

ce sont ces matrices-là qui vont le mettre en forme.

Donc en fait, ce sont des configurations passées,

pour la plupart,

qui nous hantent exactement comme des fantômes,

dont nous ne savons plus exactement d'où ils viennent

mais qui font partie de notre monde,

sans que nous ne nous en apercevions.

Et il y a encore un troisième élément que je voudrais prendre en compte,

que j'appelle les scénarios.

Les scénarios décrivent des fictions de configuration,

c'est-à-dire ce que vous vous représentez mentalement, parfois très rapidement,

comme des possibles.

En l'occurrence,

j'ai parfois pensé au meurtre

dans le cas de ma colocation.

(Rires)

Je vous rassure,

par chance, j'avais des scénarios alternatifs.

(Rires)

J'ai pris mes jambes à mon cou et changé de maison,

c'était relativement facile à résoudre comme problème.

Il y en a des plus compliqués.

Justement, quand les cons font partie de votre famille,

et que vous les retrouvez systématiquement à Noël.

(Rires)

Mes parents ne sont pas dans la salle.

(Rires)

Je ne pensais pas à eux, je le jure.

Comme vous le voyez, il n'est pas toujours possible de trouver une issue simple.

Et pour trouver ces issues qui n'apparaissent pas à l'oeil nu,

il est absolument indispensable de considérer des scénarios

qui ne tiennent pas exactement compte de ce qu'on appelle le possible,

mais qui, au contraire, assument le caractère fictionnel,

ou plus exactement fictionnant,

du désir.

Le désir fabrique de la fiction,

et c'est avec ces fictions qu'en réalité,

nos rêves deviennent réalité,

et que je suis enfin libéré

de ma muse la plus improbable qui m'a inspiré ce travail sur les cons.

Vous comprenez à partir de maintenant

que ce qu'on considérait

au début de cette présentation

comme une émotion sise au creux de notre intimité,

au fond de notre coeur,

en réalité, circule,

d'une manière extrêmement complexe,

entre trois ensembles qui ne sont ni subjectifs ni objectifs :

ce que j'appelais les matrices,

qui sont en fait des configurations passées ;

ce qu'on considère comme étant la configuration actuelle -

comme je vous l'ai dit, il y a beaucoup de passé qui fabrique notre présent -

et puis enfin, des configurations que l'on se représente

comme des futurs possibles,

et qui sont en réalité des fictions

qui mettent en forme notre désir.

Voilà ce que c'est que l'émotion,

c'est l'énergie qui circule entre ces trois ensembles.

Pour le dire d'une manière à la fois plus simple et plus compliquée,

on pourrait dire que l'émotion,

c'est une qualité de présence interactionnelle.

Interactionnelle parce que, comme vous l'avez vu, ça circule,

ce sont des interactions entre des éléments

qui vont très très vite,

c'est très complexe,

c'est de la présence puisqu'en réalité,

tout se met à exister au même moment -

ce qu'on appelle un événement, c'est ça qui se passe -

et donc cet événement n'est pas seulement subjectif,

puisqu'au contraire, il est extraordinairement complexe.

Cela signifie que lorsque vous allez vouloir contrôler vos émotions,

vous essayez de toucher à quelque chose

qui n'est pas complètement à vous,

sur lequel vous n'avez pas complètement la main.

Et vous croyez que la volonté va suffire ?

Vous vous trompez

parce que ce qui fabrique l'émotion,

c'est justement la circulation entre trois ensembles complexes.

Vous n'avez pas le choix de ressentir vos émotions.

En revanche, ce que vous pouvez faire, c'est orienter vos émotions

de telle sorte à ce qu'elles puissent transformer les configurations.

C'est cela qui est la seule porte de sortie d'une émotion quelconque,

et c'est cela qui m'autorise à vous donner à présent

trois conseils contre les cons,

ceux qui vous blessent, ceux qui vous irritent,

ceux qui vous mettent en danger inutilement,

ceux qui vous accablent.

Le premier,

c'est : raffinez vos matrices.

C'est-à-dire lisez des livres, des romans, des livres de philosophie,

des livres qui vont faire en sorte

que les cadres à partir desquels vous concevez votre présent

soient plus sophistiqués, le plus sophistiqué possible.

Le deuxième conseil :

étendez vos configurations.

Lorsque vous vous trouvez en proie à une émotion,

une émotion qui vous submerge,

faites en sorte que

le monde auquel vous vous référez,

le nombre d'éléments que vous prenez en compte,

le nombre d'interactions que vous considérez,

soit le plus grand possible.

Compliquez, complexifiez les situations de référence.

Et puis enfin,

je vous demanderais de multiplier les scénarios,

puisqu'en réalité,

pour faire en sorte que le désir trouve sa voie,

il est indispensable de fictionner,

c'est-à-dire d'envisager encore une fois des futurs.