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Jules Verne - Vingt mille lieues sous les mers, Partie II; Chapitre 9: UN CONTINENT DISPARU

Partie II; Chapitre 9: UN CONTINENT DISPARU

Le lendemain matin, 19 février, je vis entrer le Canadien dans ma chambre.

J'attendais sa visite. Il avait l'air très désappointé. " Eh bien, monsieur? me dit-il. - Oui! il a fallu que ce damné capitaine s'arrêtât précisément à l'heure ou nous allions fuir son bateau. - Oui, Ned, il avait affaire chez son banquier. - Son banquier! - Ou plutôt sa maison de banque. J'entends par là cet Océan où ses richesses sont plus en sûreté qu'elles ne le seraient dans les caisses d'un État. " Je racontai alors au Canadien les incidents de la veille, dans le secret espoir de le ramener à l'idée de ne point abandonner le capitaine; mais mon récit n'eut d'autre résultat que le regret énergiquement exprimé par Ned de n'avoir pu faire pour son compte une promenade sur le champ de bataille de Vigo. " Enfin, dit-il, tout n'est pas fini! Ce n'est qu'un coup de harpon perdu! Une autre fois nous réussirons, et dès ce soir s'il le faut... - Quelle est la direction du Nautilus? demandai-je. - Je l'ignore, répondit Ned. - Eh bien! à midi, nous verrons le point. " Le Canadien retourna près de Conseil. Dès que je fus habillé, je passai dans le salon. Le compas n'était pas rassurant. La route du Nautilus était sud-sud-ouest. Nous tournions le dos à l'Europe. J'attendis avec une certaine impatience que le point fut reporté sur la carte. Vers onze heures et demie, les réservoirs se vidèrent, et notre appareil remonta à la surface de l'Océan. Je m'élançai vers la plate-forme. Ned Land m'y avait précédé. Plus de terres en vue. Rien que la mer immense. Quelques voiles à l'horizon, de celles sans doute qui vont chercher jusqu'au cap San-Roque les vents favorables pour doubler le cap de Bonne-Espérance. Le temps était couvert. Un coup de vent se préparait. Ned rageant, essayait de percer l'horizon brumeux. Il espérait encore que, derrière tout ce brouillard, s'étendait cette terre si désirée. A midi, le soleil se montra un instant. Le second profita de cette éclaircie pour prendre sa hauteur. Puis, la mer devenant plus houleuse, nous redescendîmes, et le panneau fut refermé. Une heure après, lorsque je consultai la carte, je vis que la position du Nautilus était indiquée par 16°17' de longitude et 33°22' de latitude, à cent cinquante lieues de la côte la plus rapprochée. Il n'y avait pas moyen de songer à fuir, et je laisse à penser quelles furent les colères du Canadien, quand je lui fis connaître notre situation. Pour mon compte, je ne me désolai pas outre mesure. Je me sentis comme soulagé du poids qui m'oppressait, et je pus reprendre avec une sorte de calme relatif mes travaux habituels. Le soir, vers onze heures, je reçus la visite très inattendue du capitaine Nemo. Il me demanda fort gracieusement si je me sentais fatigué d'avoir veillé la nuit précédente. Je répondis négativement. " Alors, monsieur Aronnax, je vous proposerai une curieuse excursion. - Proposez, capitaine. - Vous n'avez encore visité les fonds sous-marins que le jour et sous la clarté du soleil. Vous conviendrait-il de les voir par une nuit obscure? - Très volontiers. - Cette promenade sera fatigante, je vous en préviens. Il faudra marcher longtemps et gravir une montagne. Les chemins ne sont pas très bien entretenus. - Ce que vous me dites là, capitaine, redouble ma curiosité. Je suis prêt à vous suivre. - Venez donc, monsieur le professeur, nous allons revêtir nos scaphandres. " Arrivé au vestiaire, je vis que ni mes compagnons ni aucun homme de l'équipage ne devait nous suivre pendant cette excursion. Le capitaine Nemo ne m'avait pas même proposé d'emmener Ned ou Conseil. En quelques instants, nous eûmes revêtu nos appareils. On plaça sur notre dos les réservoirs abondamment chargés d'air, mais les lampes électriques n'étaient pas préparées. Je le fis observer au capitaine. " Elles nous seraient inutiles ", répondit-il. Je crus avoir mal entendu, mais je ne pus réitérer mon observation, car la tête du capitaine avait déjà disparu dans son enveloppe métallique. J'achevai de me harnacher, je sentis qu'on me plaçait dans la main un bâton ferré, et quelques minutes plus tard, après la manœuvre habituelle, nous prenions pied sur le fond de l'Atlantique, à une profondeur de trois cents mètres. Minuit approchait. Les eaux étaient profondément obscures, mais le capitaine Nemo me montra dans le lointain un point rougeâtre, une sorte de large lueur, qui brillait à deux milles environ du Nautilus. Ce qu'était ce feu, quelles matières l'alimentaient, pourquoi et comment il se revivifiait dans la masse liquide, je n'aurais pu le dire. En tout cas, il nous éclairait, vaguement il est vrai, mais je m'accoutumai bientôt à ces ténèbres particulières, et je compris, dans cette circonstance, l'inutilité des appareils Ruhmkorff. Le capitaine Nemo et moi, nous marchions l'un près de l'autre, directement sur le feu signalé. Le sol plat montait insensiblement. Nous faisions de larges enjambées, nous aidant du bâton; mais notre marche était lente, en somme, car nos pieds s'enfonçaient souvent dans une sorte de vase pétrie avec des algues et semée de pierres plates. Tout en avançant, j'entendais une sorte de grésillement au-dessus de ma tête. Ce bruit redoublait parfois et produisait comme un pétillement continu. J'en compris bientôt la cause. C'était la pluie qui tombait violemment en crépitant à la surface des flots. Instinctivement, la pensée me vint que j'allais être trempé! Par l'eau, au milieu de l'eau! Je ne pus m'empêcher de rire à cette idée baroque. Mais pour tout dire, sous l'épais habit du scaphandre, on ne sent plus le liquide élément, et l'on se croit au milieu d'une atmosphère un peu plus dense que l'atmosphère terrestre, voilà tout. Après une demi-heure de marche, le sol devint rocailleux. Les méduses, les crustacés microscopiques, les pennatules l'éclairaient légèrement de lueurs phosphorescentes. J'entrevoyais des monceaux de pierres que couvraient quelques millions de zoophytes et des fouillis d'algues. Le pied me glissait souvent sur ces visqueux tapis de varech, et sans mon bâton ferré, je serais tombé plus d'une fois. En me retournant, je voyais toujours le fanal blanchâtre du Nautilus qui commençait à pâlir dans l'éloignement. Ces amoncellements pierreux dont je viens de parler étaient disposés sur le fond océanique suivant une certaine régularité que je ne m'expliquais pas. J'apercevais de gigantesques sillons qui se perdaient dans l'obscurité lointaine et dont la longueur échappait à toute évaluation. D'autres particularités se présentaient aussi, que je ne savais admettre. Il me semblait que mes lourdes semelles de plomb écrasaient une litière d'ossements qui craquaient avec un bruit sec. Qu'était donc cette vaste plaine que je parcourais ainsi? J'aurais voulu interroger le capitaine, mais son langage par signes, qui lui permettait de causer avec ses compagnons, lorsqu'ils le suivaient dans ses excursions sous-marines, était encore incompréhensible pour moi. Cependant, la clarté rougeâtre qui nous guidait, s'accroissait et enflammait l'horizon. La présence de ce foyer sous les eaux m'intriguait au plus haut degré. Était-ce quelque effluence électrique qui se manifestait? Allais-je vers un phénomène naturel encore inconnu des savants de la terre? Ou même - car cette pensée traversa mon cerveau - la main de l'homme intervenait-elle dans cet embrasement? Soufflait-elle cet incendie? Devais-je rencontrer sous ces couches profondes, des compagnons, des amis du capitaine Nemo, vivant comme lui de cette existence étrange, et auxquels il allait rendre visite? Trouverais-je là-bas toute une colonie d'exilés, qui, las des misères de la terre, avaient cherché et trouvé l'indépendance au plus profond de l'Océan? Toutes ces idées folles, inadmissibles, me poursuivaient, et dans cette disposition d'esprit, surexcité sans cesse par la série de merveilles qui passaient sous mes yeux, je n'aurais pas été surpris de rencontrer, au fond de cette mer, une de ces villes sous-marines que rêvait le capitaine Nemo! Notre route s'éclairait de plus en plus. La lueur blanchissante rayonnait au sommet d'une montagne haute de huit cents pieds environ. Mais ce que j'apercevais n'était qu'une simple réverbération développée par le cristal des couches d'eau. Le foyer, source de cette inexplicable clarté, occupait le versant opposé de la montagne. Au milieu des dédales pierreux qui sillonnaient le fond de l'Atlantique, le capitaine Nemo s'avançait sans hésitation. Il connaissait cette sombre route. Il l'avait souvent parcourue, sans doute, et ne pouvait s'y perdre. Je le suivais avec une confiance inébranlable. Il m'apparaissait comme un des génies de la mer, et quand il marchait devant moi, j'admirais sa haute stature qui se découpait en noir sur le fond lumineux de l'horizon. Il était une heure du matin. Nous étions arrivés aux premières rampes de la montagne. Mais pour les aborder, il fallut s'aventurer par les sentiers difficiles d'un vaste taillis. Oui! un taillis d'arbres morts, sans feuilles, sans sève, arbres minéralisés sous l'action des eaux, et que dominaient çà et là des pins gigantesques. C'était comme une houillère encore debout, tenant par ses racines au sol effondré, et dont la ramure, à la manière des fines découpures de papier noir, se dessinait nettement sur le plafond des eaux. Que l'on se figure une forêt du Hartz, accrochée aux flancs d'une montagne, mais une forêt engloutie. Les sentiers étaient encombrés d'algues et de fucus, entre lesquels grouillait un monde de crustacés. J'allais, gravissant les rocs, enjambant les troncs étendus, brisant les lianes de mer qui se balançaient d'un arbre à l'autre, effarouchant les poissons qui volaient de branche en branche. Entraîné, je ne sentais plus la fatigue. Je suivais mon guide qui ne se fatiguait pas. Quel spectacle! Comment le rendre? Comment peindre l'aspect de ces bois et de ces rochers dans ce milieu liquide, leurs dessous sombres et farouches, leurs dessus colorés de tons rouges sous cette clarté que doublait la puissance réverbérante des eaux? Nous gravissions des rocs qui s'éboulaient ensuite par pans énormes avec un sourd grondement d'avalanche. A droite, à gauche, se creusaient de ténébreuses galeries où se perdait le regard. Ici s'ouvraient de vastes clairières, que la main de l'homme semblait avoir dégagées, et je me demandais parfois si quelque habitant de ces régions sous-marines n'allait pas tout à coup m'apparaître. Mais le capitaine Nemo montait toujours. Je ne voulais pas rester en arrière. Je le suivais hardiment. Mon bâton me prêtait un utile secours. Un faux pas eût été dangereux sur ces étroites passes évidées aux flancs des gouffres; mais j'y marchais d'un pied ferme et sans ressentir l'ivresse du vertige. Tantôt je sautais une crevasse dont la profondeur m'eût fait reculer au milieu des glaciers de la terre; tantôt je m'aventurais sur le tronc vacillant des arbres jetés d'un abîme à l'autre, sans regarder sous mes pieds, n'ayant des yeux que pour admirer les sites sauvages de cette région. Là, des rocs monumentaux, penchant sur leurs bases irrégulièrement découpées, semblaient défier les lois de l'équilibre. Entre leurs genoux de pierre, des arbres poussaient comme un jet sous une pression formidable, et soutenaient ceux qui les soutenaient eux-mêmes. Puis, des tours naturelles, de larges pans taillés à pic comme des courtines, s'inclinaient sous un angle que les lois de la gravitation n'eussent pas autorisé à la surface des régions terrestres. Et moi-même ne sentais-je pas cette différence due à la puissante densité de l'eau, quand, malgré mes lourds vêtements, ma tête de cuivre, mes semelles de métal, je m'élevais sur des pentes d'une impraticable raideur, les franchissant pour ainsi dire avec la légèreté d'un isard ou d'un chamois! Au récit que je fais de cette excursion sous les eaux, je sens bien que je ne pourrai être vraisemblable! Je suis l'historien des choses d'apparence impossible qui sont pourtant réelles, incontestables. Je n'ai point rêvé. J'ai vu et senti! Deux heures après avoir quitté le Nautilus, nous avions franchi la ligne des arbres, et à cent pieds au-dessus de nos têtes se dressait le pic de la montagne dont la projection faisait ombre sur l'éclatante irradiation du versant opposé. Quelques arbrisseaux pétrifiés couraient çà et là en zigzags grimaçants. Les poissons se levaient en masse sous nos pas comme des oiseaux surpris dans les hautes herbes. La masse rocheuse était creusée d'impénétrables anfractuosités, de grottes profondes, d'insondables trous, au fond desquels j'entendais remuer des choses formidables. Le sang me refluait jusqu'au cœur, quand j'apercevais une antenne énorme qui me barrait la route, ou quelque pince effrayante se refermant avec bruit dans l'ombre des cavités! Des milliers de points lumineux brillaient au milieu des ténèbres. C'étaient les yeux de crustacés gigantesques, tapis dans leur tanière, des homards géants se redressant comme des hallebardiers et remuant leurs pattes avec un cliquetis de ferraille, des crabes titanesques, braqués comme des canons sur leurs affûts, et des poulpes effroyables entrelaçant leurs tentacules comme une broussaille vivante de serpents. Quel était ce monde exorbitant que je ne connaissais pas encore? A quel ordre appartenaient ces articulés auxquels le roc formait comme une seconde carapace? Où la nature avait-elle trouvé le secret de leur existence végétative, et depuis combien de siècles vivaient-ils ainsi dans les dernières couches de l'Océan? Mais je ne pouvais m'arrêter. Le capitaine Nemo, familiarisé avec ces terribles animaux, n'y prenait plus garde. Nous étions arrivés à un premier plateau, ou d'autres surprises m'attendaient encore. Là se dessinaient de pittoresques ruines, qui trahissaient la main de l'homme, et non plus celle du Créateur. C'étaient de vastes amoncellements de pierres où l'on distinguait de vagues formes de châteaux, de temples, revêtus d'un monde de zoophytes en fleurs, et auxquels, au lieu de lierre, les algues et les fucus faisaient un épais manteau végétal. Mais qu'était donc cette portion du globe engloutie par les cataclysmes? Qui avait disposé ces roches et ces pierres comme des dolmens des temps anté-historiques? Où étais-je, où m'avait entraîné la fantaisie du capitaine Nemo? J'aurais voulu l'interroger. Ne le pouvant, je l'arrêtai. Je saisis son bras. Mais lui, secouant la tête, et me montrant le dernier sommet de la montagne, sembla me dire: " Viens! viens encore! viens toujours! " Je le suivis dans un dernier élan, et en quelques minutes, j'eus gravi le pic qui dominait d'une dizaine de mètres toute cette masse rocheuse. Je regardai ce côté que nous venions de franchir. La montagne ne s'élevait que de sept à huit cents pieds au-dessus de la plaine; mais de son versant opposé, elle dominait d'une hauteur double le fond en contre bas de cette portion de l'Atlantique. Mes regards s'étendaient au loin et embrassaient un vaste espace éclairé par une fulguration violente. En effet, c'était un volcan que cette montagne. A cinquante pieds au-dessous du pic, au milieu d'une pluie de pierres et de scories, un large cratère vomissait des torrents de lave, qui se dispersaient en cascade de feu au sein de la masse liquide. Ainsi posé, ce volcan, comme un immense flambeau, éclairait la plaine inférieure jusqu'aux dernières limites de l'horizon. J'ai dit que le cratère sous-marin rejetait des laves, mais non des flammes. Il faut aux flammes l'oxygène de l'air, et elles ne sauraient se développer sous les eaux; mais des coulées de lave, qui ont en elles le principe de leur incandescence, peuvent se porter au rouge blanc, lutter victorieusement contre l'élément liquide et se vaporiser à son contact. De rapides courants entraînaient tous ces gaz en diffusion, et les torrents laviques glissaient jusqu'au bas de la montagne, comme les déjections du Vésuve sur un autre Torre del Greco. En effet, là, sous mes yeux, ruinée, abîmée, jetée bas, apparaissait une ville détruite, ses toits effondrés, ses temples abattus, ses arcs disloqués, ses colonnes gisant à terre, où l'on sentait encore les solides proportions d'une sorte d'architecture toscane; plus loin, quelques restes d'un gigantesque aqueduc; ici l'exhaussement empâté d'une acropole, avec les formes flottantes d'un Parthénon; là, des vestiges de quai, comme si quelque antique port eût abrité jadis sur les bords d'un océan disparu les vaisseaux marchands et les trirèmes de guerre; plus loin encore, de longues lignes de murailles écroulées, de larges rues désertes, toute une Pompéi enfouie sous les eaux, que le capitaine Nemo ressuscitait à mes regards! Où étais-je? Où étais-je? Je voulais le savoir à tout prix, je voulais parler, je voulais arracher la sphère de cuivre qui emprisonnait ma tête. Mais le capitaine Nemo vint à moi et m'arrêta d'un geste. Puis, ramassant un morceau de pierre crayeuse, il s'avança vers un roc de basalte noire et traça ce seul mot: ATLANTIDE

Quel éclair traversa mon esprit!

L'Atlantide, l'ancienne Méropide de Théopompe, l'Atlantide de Platon, ce continent nié par Origène, Porphyre, Jamblique, D'Anville, Malte-Brun, Humboldt, qui mettaient sa disparition au compte des récits légendaires, admis par Possidonius, Pline, Ammien-Marcellin, Tertullien, Engel, Sherer, Tournefort, Buffon, d'Avezac, je l'avais là sous les yeux, portant encore les irrécusables témoignages de sa catastrophe! C'était donc cette région engloutie qui existait en dehors de l'Europe, de l'Asie, de la Libye, au-delà des colonnes d'Hercule, où vivait ce peuple puissant des Atlantes, contre lequel se firent les premières guerres de l'ancienne Grèce! L'historien qui a consigné dans ses écrits les hauts faits de ces temps héroïques, c'est Platon lui-même. Son dialogue de Timée et de Critias a été, pour ainsi dire, tracé sous l'inspiration de Solon, poète et législateur. Un jour, Solon s'entretenait avec quelques sages vieillards de Saïs, ville déjà vieille de huit cents ans, ainsi que le témoignaient ses annales gravées sur le mur sacré de ses temples. L'un de ces vieillards raconta l'histoire d'une autre ville plus ancienne de mille ans. Cette première cité athénienne, âgée de neuf cents siècles, avait été envahie et en partie détruite par les Atlantes. Ces Atlantes, disait-il, occupaient un continent immense plus grand que l'Afrique et l'Asie réunies, qui couvrait une surface comprise du douzième degré de latitude au quarantième degré nord. Leur domination s'étendait même à l'Égypte. Ils voulurent l'imposer jusqu'en Grèce, mais ils durent se retirer devant l'indomptable résistance des Hellènes. Des siècles s'écoulèrent. Un cataclysme se produisit, inondations, tremblements de terre. Une nuit et un jour suffirent à l'anéantissement de cette Atlantide dont les plus hauts sommets, Madère, les Açores, les Canaries, les îles du cap Vert, émergent encore. Tels étaient ces souvenirs historiques que l'inscription du capitaine Nemo faisait palpiter dans mon esprit. Ainsi donc, conduit par la plus étrange destinée, je foulais du pied l'une des montagnes de ce continent! Je touchais de la main ces ruines mille fois séculaires et contemporaines des époques géologiques! Je marchais là même où avaient marché les contemporains du premier homme! J'écrasais sous mes lourdes semelles ces squelettes d'animaux des temps fabuleux, que ces arbres, maintenant minéralisés, couvraient autrefois de leur ombre! Ah! pourquoi le temps me manquait-il! J'aurais voulu descendre les pentes abruptes de cette montagne, parcourir en entier ce continent immense qui sans doute reliait l'Afrique à l'Amérique, et visiter ces grandes cités antédiluviennes. Là, peut-être, sous mes regards, s'étendaient Makhimos, la guerrière, Eusebès, la pieuse, dont les gigantesques habitants vivaient des siècles entiers, et auxquels la force ne manquait pas pour entasser ces blocs qui résistaient encore à l'action des eaux. Un jour peut-être, quelque phénomène éruptif les ramènera à la surface des flots, ces ruines englouties! On a signalé de nombreux volcans sous-marins dans cette portion de l'Océan, et bien des navires ont senti des secousses extraordinaires en passant sur ces fonds tourmentés. Les uns ont entendu des bruits sourds qui annonçaient la lutte profonde des éléments; les autres ont recueilli des cendres volcaniques projetées hors de la mer. Tout ce sol jusqu'à l'Équateur est encore travaillé par les forces plutoniennes. Et qui sait si, dans une époque éloignée, accrus par les déjections volcaniques et par les couches successives de laves, des sommets de montagnes ignivomes n'apparaîtront pas à la surface de l'Atlantique! Pendant que je rêvais ainsi, tandis que je cherchais à fixer dans mon souvenir tous les détails de ce paysage grandiose, le capitaine Nemo, accoudé sur une stèle moussue, demeurait immobile et comme pétrifié dans une muette extase. Songeait-il à ces générations disparues et leur demandait-il le secret de la destinée humaine? Était-ce à cette place que cet homme étrange venait se retremper dans les souvenirs de l'histoire, et revivre de cette vie antique, lui qui ne voulait pas de la vie moderne? Que n'aurais-je donné pour connaître ses pensées, pour les partager, pour les comprendre! Nous restâmes à cette place pendant une heure entière, contemplant la vaste plaine sous l'éclat des laves qui prenaient parfois une intensité surprenante. Les bouillonnements intérieurs faisaient courir de rapides frissonnements sur l'écorce de la montagne. Des bruits profonds, nettement transmis par ce milieu liquide, se répercutaient avec une majestueuse ampleur. En ce moment, la lune apparut un instant à travers la masse des eaux et jeta quelques pâles rayons sur le continent englouti. Ce ne fut qu'une lueur, mais d'un indescriptible effet. Le capitaine se leva, jeta un dernier regard à cette immense plaine; puis de la main il me fit signe de le suivre. Nous descendîmes rapidement la montagne. La forêt minérale une fois dépassée, j'aperçus le fanal du Nautilus qui brillait comme une étoile. Le capitaine marcha droit à lui, et nous étions rentrés à bord au moment où les premières teintes de l'aube blanchissaient la surface de l'Océan.

Partie II; Chapitre 9: UN CONTINENT DISPARU Part II; Chapter 9: A DISAPPEARED CONTINENT Parte II; Capítulo 9: UM CONTINENTE DESAPARECIDO

Le lendemain matin, 19 février, je vis entrer le Canadien dans ma chambre. The next morning, February 19, I saw the Canadian enter my room.

J'attendais sa visite. I expected his visit. Il avait l'air très désappointé. " He looked very disappointed. " Eh bien, monsieur? Well sir? Ну, сер? me dit-il. he told me. - Oui! - Yes! il a fallu que ce damné capitaine s'arrêtât précisément à l'heure ou nous allions fuir son bateau. this damned captain had to stop precisely on time when we were going to flee his boat. - Oui, Ned, il avait affaire chez son banquier. - Yes, Ned, he was dealing with his banker. - Так, Неде, у нього був бізнес зі своїм банкіром. - Son banquier! - His banker! - Ou plutôt sa maison de banque. - Or rather his bank house. - Точніше, його банк. J'entends par là cet Océan où ses richesses sont plus en sûreté qu'elles ne le seraient dans les caisses d'un État. " By that I mean this Ocean where its wealth is more secure than it would be in the coffers of a State. " Під цим я маю на увазі океан, де його багатство в більшій безпеці, ніж у державній скарбниці. " Je racontai alors au Canadien les incidents de la veille, dans le secret espoir de le ramener à l'idée de ne point abandonner le capitaine; mais mon récit n'eut d'autre résultat que le regret énergiquement exprimé par Ned de n'avoir pu faire pour son compte une promenade sur le champ de bataille de Vigo. " I then told the Canadian of the incidents of the day before, in the secret hope of bringing him back to the idea of not abandoning the captain; but my story had no other result than the regret strongly expressed by Ned at not having been able to take a walk on his own account on the battlefield of Vigo. " Потім я розповів канадцеві про події попереднього дня, в таємній надії повернути його до думки не залишати капітана; але моя розповідь не мала іншого результату, окрім того, що Нед висловив жаль, що не зміг прогулятися від свого імені по полю битви при Віґо. " Enfin, dit-il, tout n'est pas fini! Finally, he said, all is not over! Ce n'est qu'un coup de harpon perdu! It's just a lost harpoon shot! Une autre fois nous réussirons, et dès ce soir s'il le faut... - Quelle est la direction du Nautilus? Ein anderes Mal werden wir es schaffen, und wenn es sein muss, schon heute Abend... - Wie ist die Richtung der Nautilus? Another time we will succeed, and from this evening if necessary ... - What is the direction of the Nautilus? demandai-je. I asked. - Je l'ignore, répondit Ned. "I don't know," Ned replied. - Eh bien! à midi, nous verrons le point. " at noon we will see the point. " Опівдні ми підведемо підсумки. " Le Canadien retourna près de Conseil. The Canadian returned to Conseil. Dès que je fus habillé, je passai dans le salon. As soon as I was dressed, I went into the living room. Одягнувшись, я пішов до вітальні. Le compas n'était pas rassurant. The compass was not reassuring. Компас не заспокоював. La route du Nautilus était sud-sud-ouest. The Nautilus' route was south-southwest. Nous tournions le dos à l'Europe. We were turning our backs on Europe. Ми відверталися від Європи. J'attendis avec une certaine impatience que le point fut reporté sur la carte. I waited with some impatience for the point to be put on the map. Я з деяким нетерпінням чекав, поки точку нанесуть на карту. Vers onze heures et demie, les réservoirs se vidèrent, et notre appareil remonta à la surface de l'Océan. Around half past eleven, the tanks were emptied, and our aircraft rose to the surface of the ocean. Je m'élançai vers la plate-forme. I rushed to the platform. Ned Land m'y avait précédé. Нед Ленд передував мені. Plus de terres en vue. More land in sight. Більше землі не видно. Rien que la mer immense. Nothing but the immense sea. Quelques voiles à l'horizon, de celles sans doute qui vont chercher jusqu'au cap San-Roque les vents favorables pour doubler le cap de Bonne-Espérance. A few sails on the horizon, probably those which will seek favorable winds as far as Cape San-Roque to double the Cape of Good Hope. Le temps était couvert. The weather was overcast. Погода була похмурою. Un coup de vent se préparait. A gust of wind was brewing. Насувався шторм. Ned rageant, essayait de percer l'horizon brumeux. Ned fuming, trying to pierce the misty horizon. Нед лютував, намагаючись пробити туманний горизонт. Il espérait encore que, derrière tout ce brouillard, s'étendait cette terre si désirée. He still hoped that, behind all this fog, lay this so desired land. Він все ще сподівався, що за цим туманом лежить земля, якої він так прагнув. A midi, le soleil se montra un instant. At noon, the sun appeared for a moment. Le second profita de cette éclaircie pour prendre sa hauteur. Der Zweite nutzte den Lichtblick, um seine Höhe zu erreichen. The second took advantage of this clearing to take his height. Друг скористався цим проміжком, щоб піднятися вище. Puis, la mer devenant plus houleuse, nous redescendîmes, et le panneau fut refermé. Then, the sea getting rougher, we went down again, and the panel was closed. Une heure après, lorsque je consultai la carte, je vis que la position du Nautilus était indiquée par 16°17' de longitude et 33°22' de latitude, à cent cinquante lieues de la côte la plus rapprochée. An hour later, when I looked at the chart, I saw that the position of the Nautilus was indicated by 16 ° 17 'longitude, 33 ° 22' latitude, one hundred and fifty leagues from the nearest coast. Годиною пізніше, звернувшись до карти, я побачив, що місцезнаходження "Наутілуса" було позначено 16°17' і 33°22' довготи і широти, за півтори сотні ліг від найближчого узбережжя. Il n'y avait pas moyen de songer à fuir, et je laisse à penser quelles furent les colères du Canadien, quand je lui fis connaître notre situation. There was no way to think of fleeing, and I let think what the anger of the Canadian was when I informed him of our situation. Pour mon compte, je ne me désolai pas outre mesure. For my own part, I did not feel too sorry. Зі свого боку, я не надто шкодував. Je me sentis comme soulagé du poids qui m'oppressait, et je pus reprendre avec une sorte de calme relatif mes travaux habituels. I felt relieved from the weight that was oppressing me, and I was able to resume my usual work with a sort of relative calm. Le soir, vers onze heures, je reçus la visite très inattendue du capitaine Nemo. In the evening, around eleven o'clock, I received a very unexpected visit from Captain Nemo. Il me demanda fort gracieusement si je me sentais fatigué d'avoir veillé la nuit précédente. He asked me very graciously if I felt tired of having stayed up the night before. Він люб'язно запитав мене, чи не відчуваю я втоми від того, що не спала всю ніч. Je répondis négativement. " I answered in the negative. " Alors, monsieur Aronnax, je vous proposerai une curieuse excursion. So, Mr. Aronnax, I will suggest a curious excursion. - Proposez, capitaine. - Suggest, captain. - Vous n'avez encore visité les fonds sous-marins que le jour et sous la clarté du soleil. - You have only visited the seabed during the day and under the light of the sun. - Ви коли-небудь бували на морському дні лише вдень і при яскравому сонячному світлі. Vous conviendrait-il de les voir par une nuit obscure? Would you like to see them on a dark night? - Très volontiers. - With pleasure. - Cette promenade sera fatigante, je vous en préviens. - This walk will be tiring, I warn you. Il faudra marcher longtemps et gravir une montagne. It will take a long walk and climb a mountain. Les chemins ne sont pas très bien entretenus. The paths are not very well maintained. Стежки не дуже доглянуті. - Ce que vous me dites là, capitaine, redouble ma curiosité. - What you are telling me there, captain, redoubles my curiosity. Je suis prêt à vous suivre. I am ready to follow you. - Venez donc, monsieur le professeur, nous allons revêtir nos scaphandres. " - Come on, Professor, we are going to put on our diving suits. " Arrivé au vestiaire, je vis que ni mes compagnons ni aucun homme de l'équipage ne devait nous suivre pendant cette excursion. When I got to the locker room, I saw that neither my companions nor any of the crew were to follow us on this excursion. Le capitaine Nemo ne m'avait pas même proposé d'emmener Ned ou Conseil. Captain Nemo hadn't even offered to take Ned or Conseil with me. En quelques instants, nous eûmes revêtu nos appareils. In a few moments, we had put on our devices. On plaça sur notre dos les réservoirs abondamment chargés d'air, mais les lampes électriques n'étaient pas préparées. The tanks heavily loaded with air were placed on our backs, but the electric lights were not prepared. Je le fis observer au capitaine. " I pointed it out to the captain. " Я вказав на це капітану. " Elles nous seraient inutiles ", répondit-il. They would be useless to us, ”he replied. Je crus avoir mal entendu, mais je ne pus réitérer mon observation, car la tête du capitaine avait déjà disparu dans son enveloppe métallique. I thought I misheard, but I couldn't repeat my observation, for the captain's head had already disappeared in its metal casing. Я подумав, що оглух, але повторити своє спостереження не зміг, бо голова капітана вже зникла в металевому корпусі. J'achevai de me harnacher, je sentis qu'on me plaçait dans la main un bâton ferré, et quelques minutes plus tard, après la manœuvre habituelle, nous prenions pied sur le fond de l'Atlantique, à une profondeur de trois cents mètres. Ich schirrte mich an, spürte, wie mir ein eisenbeschlagener Stock in die Hand gedrückt wurde, und einige Minuten später, nach dem üblichen Manöver, setzten wir auf dem Grund des Atlantiks in einer Tiefe von dreihundert Metern auf. I finished harnessing myself, I felt that a shod stick was placed in my hand, and a few minutes later, after the usual maneuver, we set foot on the bottom of the Atlantic, at a depth of three hundred meters . Minuit approchait. Midnight was approaching. Les eaux étaient profondément obscures, mais le capitaine Nemo me montra dans le lointain un point rougeâtre, une sorte de large lueur, qui brillait à deux milles environ du Nautilus. The waters were deeply dark, but Captain Nemo showed me a reddish spot in the distance, a sort of broad glow, which shone about two miles from the Nautilus. Води були непроглядно темні, але капітан Немо показав мені червонувату пляму вдалині, щось на кшталт широкого сяйва, яке світилося приблизно за дві милі від "Наутілуса". Ce qu'était ce feu, quelles matières l'alimentaient, pourquoi et comment il se revivifiait dans la masse liquide, je n'aurais pu le dire. What this fire was, what materials fed it, why and how it revived in the liquid mass, I could not have said. Що це був за вогонь, які матеріали його розпалювали, чому і як він оживлявся в рідкій масі, я не міг сказати. En tout cas, il nous éclairait, vaguement il est vrai, mais je m'accoutumai bientôt à ces ténèbres particulières, et je compris, dans cette circonstance, l'inutilité des appareils Ruhmkorff. In any case, it enlightened us, vaguely it is true, but I soon got used to this particular darkness, and I understood, in this circumstance, the uselessness of the Ruhmkorff apparatus. У всякому разі, воно давало нам світло, щоправда, неясне, але незабаром я звик до цієї специфічної темряви і зрозумів, за цих обставин, марність приладів Румкорфа. Le capitaine Nemo et moi, nous marchions l'un près de l'autre, directement sur le feu signalé. Captain Nemo and I were walking close to each other, directly on the signaled fire. Le sol plat montait insensiblement. The flat ground rose imperceptibly. Рівна земля непомітно піднялася. Nous faisions de larges enjambées, nous aidant du bâton; mais notre marche était lente, en somme, car nos pieds s'enfonçaient souvent dans une sorte de vase pétrie avec des algues et semée de pierres plates. We took wide strides, helping each other with the stick; but our walk was slow, in short, for our feet often sank into a sort of mud kneaded with seaweed and strewn with flat stones. Ми робили довгі кроки, допомагаючи собі палицею, але йшли повільно, оскільки ноги часто провалювалися в якусь багнюку, змішану з водоростями і посипану пласким камінням. Tout en avançant, j'entendais une sorte de grésillement au-dessus de ma tête. As I walked forward, I heard a sort of sizzle above my head. Ce bruit redoublait parfois et produisait comme un pétillement continu. This noise sometimes redoubled and produced a continuous sparkle. Іноді цей шум подвоювався, створюючи безперервне шипіння. J'en compris bientôt la cause. I soon understood the cause. Незабаром я зрозумів причину. C'était la pluie qui tombait violemment en crépitant à la surface des flots. It was the rain that fell violently, crackling on the surface of the waves. Дощ падав несамовито, з тріском розбиваючись об поверхню води. Instinctivement, la pensée me vint que j'allais être trempé! Instinctively, the thought occurred to me that I was going to be soaked! Інстинктивно мені спало на думку, що я змокну! Par l'eau, au milieu de l'eau! By water, in the middle of the water! Je ne pus m'empêcher de rire à cette idée baroque. I couldn't help laughing at this baroque idea. Я не міг не сміятися з цієї барокової ідеї. Mais pour tout dire, sous l'épais habit du scaphandre, on ne sent plus le liquide élément, et l'on se croit au milieu d'une atmosphère un peu plus dense que l'atmosphère terrestre, voilà tout. But to be honest, under the thick suit of the diving-suit, you no longer feel the liquid element, and you believe yourself in the middle of an atmosphere a little denser than the terrestrial atmosphere, that's all. Але, по правді кажучи, під товстим скафандром ти вже не відчуваєш рідкої стихії, і тобі здається, що ти знаходишся посеред атмосфери, яка трохи щільніша за земну, ось і все. Après une demi-heure de marche, le sol devint rocailleux. After half an hour of walking, the ground became rocky. Les méduses, les crustacés microscopiques, les pennatules l'éclairaient légèrement de lueurs phosphorescentes. J'entrevoyais des monceaux de pierres que couvraient quelques millions de zoophytes et des fouillis d'algues. I glimpsed heaps of stones covered with a few million zoophytes and clumps of algae. Я бачив купи каміння, вкриті мільйонами зоофітів і заростями водоростей. Le pied me glissait souvent sur ces visqueux tapis de varech, et sans mon bâton ferré, je serais tombé plus d'une fois. My foot often slipped on those slimy kelp mats, and without my shod stick I would have fallen more than once. Моя нога часто ковзала на цих слизьких килимках водоростей, і якби не взута палиця, я б не раз впала. En me retournant, je voyais toujours le fanal blanchâtre du Nautilus qui commençait à pâlir dans l'éloignement. When I turned around, I still saw the whitish lantern of the Nautilus which began to fade in the distance. Ces amoncellements pierreux dont je viens de parler étaient disposés sur le fond océanique suivant une certaine régularité que je ne m'expliquais pas. These stony piles of which I have just spoken were arranged on the ocean floor according to a certain regularity that I could not understand. J'apercevais de gigantesques sillons qui se perdaient dans l'obscurité lointaine et dont la longueur échappait à toute évaluation. I saw gigantic furrows which were lost in the distant darkness and whose length was beyond any estimate. Я бачив гігантські борозни, які губилися в далекій темряві і довжина яких не піддавалася ніякій оцінці. D'autres particularités se présentaient aussi, que je ne savais admettre. Es traten auch andere Besonderheiten auf, die ich nicht zugeben konnte. There were also other peculiarities that I could not admit. Il me semblait que mes lourdes semelles de plomb écrasaient une litière d'ossements qui craquaient avec un bruit sec. It seemed to me that my heavy lead soles were crushing a litter of bones which creaked with a snap. Qu'était donc cette vaste plaine que je parcourais ainsi? What was this vast plain that I was traversing in this way? Що це була за величезна рівнина, якою я їхав? J'aurais voulu interroger le capitaine, mais son langage par signes, qui lui permettait de causer avec ses compagnons, lorsqu'ils le suivaient dans ses excursions sous-marines, était encore incompréhensible pour moi. I would have liked to question the captain, but his sign language, which allowed him to chat with his companions as they followed him on his underwater excursions, was still incomprehensible to me. Cependant, la clarté rougeâtre qui nous guidait, s'accroissait et enflammait l'horizon. However, the reddish light which guided us increased and set the horizon ablaze. La présence de ce foyer sous les eaux m'intriguait au plus haut degré. The presence of this home under water intrigued me to the highest degree. Était-ce quelque effluence électrique qui se manifestait? Це був якийсь електричний потік? Allais-je vers un phénomène naturel encore inconnu des savants de la terre? Was I heading towards a natural phenomenon still unknown to the scientists of the earth? Ou même - car cette pensée traversa mon cerveau - la main de l'homme intervenait-elle dans cet embrasement? Or even - because this thought crossed my brain - the hand of the man intervened in this conflagration? Soufflait-elle cet incendie? Was she blowing this fire? Devais-je rencontrer sous ces couches profondes, des compagnons, des amis du capitaine Nemo, vivant comme lui de cette existence étrange, et auxquels il allait rendre visite? Was I to meet under these deep layers, companions, friends of Captain Nemo, living like him in this strange existence, and whom he was going to visit? Trouverais-je là-bas toute une colonie d'exilés, qui, las des misères de la terre, avaient cherché et trouvé l'indépendance au plus profond de l'Océan? Would I find there a whole colony of exiles, who, weary of the miseries of the earth, had sought and found independence in the depths of the ocean? Toutes ces idées folles, inadmissibles, me poursuivaient, et dans cette disposition d'esprit, surexcité sans cesse par la série de merveilles qui passaient sous mes yeux, je n'aurais pas été surpris de rencontrer, au fond de cette mer, une de ces villes sous-marines que rêvait le capitaine Nemo! Notre route s'éclairait de plus en plus. La lueur blanchissante rayonnait au sommet d'une montagne haute de huit cents pieds environ. The whitening glow radiated from the top of a mountain about eight hundred feet high. Mais ce que j'apercevais n'était qu'une simple réverbération développée par le cristal des couches d'eau. Doch was ich sah, war nur ein einfacher Nachhall, der sich aus dem Kristall der Wasserschichten entwickelt hatte. But what I saw was a simple reverberation developed by the crystal of the layers of water. Але те, що я побачив, було простою реверберацією, створеною кристалом шарів води. Le foyer, source de cette inexplicable clarté, occupait le versant opposé de la montagne. The hearth, source of this inexplicable art, occupied the opposite side of the mountain. Вогнище, джерело цього незрозумілого світла, знаходилося на протилежному боці гори. Au milieu des dédales pierreux qui sillonnaient le fond de l'Atlantique, le capitaine Nemo s'avançait sans hésitation. Amidst the stony labyrinths that crisscrossed the bottom of the Atlantic, Captain Nemo advanced without hesitation. Посеред кам'янистого лабіринту, що перетинав дно Атлантики, капітан Немо без вагань ступив уперед. Il connaissait cette sombre route. He knew this dark road. Він знав цю темну дорогу. Il l'avait souvent parcourue, sans doute, et ne pouvait s'y perdre. He had gone through it often, no doubt, and could not get lost in it. Je le suivais avec une confiance inébranlable. I followed him with unwavering confidence. Il m'apparaissait comme un des génies de la mer, et quand il marchait devant moi, j'admirais sa haute stature qui se découpait en noir sur le fond lumineux de l'horizon. He appeared to me as one of the geniuses of the sea, and when he walked in front of me, I admired his tall stature which stood out in black against the luminous background of the horizon. Il était une heure du matin. It was one a.m. Nous étions arrivés aux premières rampes de la montagne. Mais pour les aborder, il fallut s'aventurer par les sentiers difficiles d'un vaste taillis. But to approach them, it was necessary to venture along the difficult paths of a vast copse. Але щоб дістатися до них, нам довелося йти складними стежками величезного лісу. Oui! un taillis d'arbres morts, sans feuilles, sans sève, arbres minéralisés sous l'action des eaux, et que dominaient çà et là des pins gigantesques. a thicket of dead trees, without leaves, without sap, trees mineralized by the action of the water, and dominated here and there by gigantic pines. C'était comme une houillère encore debout, tenant par ses racines au sol effondré, et dont la ramure, à la manière des fines découpures de papier noir, se dessinait nettement sur le plafond des eaux. Es war wie ein noch stehender Kohlehaufen, der sich mit seinen Wurzeln an den eingestürzten Boden klammerte und dessen Geweih sich wie die feinen Ausschnitte aus schwarzem Papier deutlich auf der Wasserdecke abzeichnete. It was like a coal mine still standing, holding by its roots to the collapsed ground, and whose branches, like fine cutouts of black paper, were clearly outlined against the ceiling of the water. Це було схоже на вугільну електростанцію, яка все ще стоїть, її коріння тримається за обвалену землю, а гілки, як тонкі вирізки з чорного паперу, чітко видніються на водній гладіні. Que l'on se figure une forêt du Hartz, accrochée aux flancs d'une montagne, mais une forêt engloutie. Imagine a Hartz forest, clinging to the sides of a mountain, but a submerged forest. Уявіть собі ліс у регіоні Харц, що притулився до схилу гори, але затонулий ліс. Les sentiers étaient encombrés d'algues et de fucus, entre lesquels grouillait un monde de crustacés. The paths were cluttered with seaweed and fucus, between which swarmed a world of crustaceans. J'allais, gravissant les rocs, enjambant les troncs étendus, brisant les lianes de mer qui se balançaient d'un arbre à l'autre, effarouchant les poissons qui volaient de branche en branche. I went, climbing the rocks, stepping over the extended trunks, breaking the sea vines which swayed from one tree to another, frightening the fish which flew from branch to branch. Я лазив по скелях, перелазив через розпростерті стовбури, ламав морські водорості, які гойдалися від дерева до дерева, лякаючи рибу, що перелітала з гілки на гілку. Entraîné, je ne sentais plus la fatigue. Trained, I no longer felt the fatigue. Захоплений, я більше не відчував втоми. Je suivais mon guide qui ne se fatiguait pas. I followed my guide who did not get tired. Quel spectacle! What show! Comment le rendre? Як його повернути? Comment peindre l'aspect de ces bois et de ces rochers dans ce milieu liquide, leurs dessous sombres et farouches, leurs dessus colorés de tons rouges sous cette clarté que doublait la puissance réverbérante des eaux? How to paint the aspect of these woods and these rocks in this liquid medium, their dark and fierce undersides, their tops colored with red tones under this clarity doubled by the reverberating power of the waters? Як можна намалювати вигляд цих лісів і скель у цьому рідкому середовищі, їх темні, люті низини, червоні верхівки під світлом, яке подвоюється силою реверберації води? Nous gravissions des rocs qui s'éboulaient ensuite par pans énormes avec un sourd grondement d'avalanche. We climbed rocks which then crumbled in huge sections with a muffled avalanche rumbling. A droite, à gauche, se creusaient de ténébreuses galeries où se perdait le regard. To the right, to the left, dark galleries were hollowed out where the gaze was lost. Ici s'ouvraient de vastes clairières, que la main de l'homme semblait avoir dégagées, et je me demandais parfois si quelque habitant de ces régions sous-marines n'allait pas tout à coup m'apparaître. Here opened vast clearings, which the hand of man seemed to have cleared, and I sometimes wondered if some inhabitant of these underwater regions would not suddenly appear to me. Тут були величезні галявини, які, здавалося, були розчищені рукою людини, і я іноді думав, чи не з'явиться раптом переді мною якийсь мешканець цих підводних країв. Mais le capitaine Nemo montait toujours. Je ne voulais pas rester en arrière. Je le suivais hardiment. Mon bâton me prêtait un utile secours. My staff lent me a useful help. Un faux pas eût été dangereux sur ces étroites passes évidées aux flancs des gouffres; mais j'y marchais d'un pied ferme et sans ressentir l'ivresse du vertige. A false step would have been dangerous on those narrow passes, hollowed out on the sides of the abysses; but I walked there with a firm footing and without feeling the intoxication of vertigo. Помилковий крок був би небезпечним на цих вузьких проходах, врізаних у боки прірв, але я йшов, твердо стоячи на ногах і не відчуваючи п'янкого запаморочення. Tantôt je sautais une crevasse dont la profondeur m'eût fait reculer au milieu des glaciers de la terre; tantôt je m'aventurais sur le tronc vacillant des arbres jetés d'un abîme à l'autre, sans regarder sous mes pieds, n'ayant des yeux que pour admirer les sites sauvages de cette région. Manchmal sprang ich über eine Spalte, deren Tiefe mich inmitten der Gletscher der Erde zurückgeworfen hätte; manchmal wagte ich mich auf den schwankenden Stämmen der Bäume, die von einem Abgrund zum anderen geworfen wurden, ohne unter meine Füße zu schauen, und hatte nur Augen, um die wilden Orte dieser Gegend zu bewundern. Sometimes I jumped over a crevasse the depth of which would have made me retreat in the midst of the glaciers of the earth; sometimes I would venture on the wavering trunk of trees thrown from one abyss to another, without looking under my feet, having eyes only to admire the wild sites of this region. Là, des rocs monumentaux, penchant sur leurs bases irrégulièrement découpées, semblaient défier les lois de l'équilibre. There, monumental rocks, leaning on their irregularly cut bases, seemed to defy the laws of balance. Entre leurs genoux de pierre, des arbres poussaient comme un jet sous une pression formidable, et soutenaient ceux qui les soutenaient eux-mêmes. Between their stone knees, trees grew like a jet under tremendous pressure, and supported those who supported them themselves. Між їхніми кам'яними колінами дерева росли, як струмінь під величезним тиском, підтримуючи тих, хто їх підтримував. Puis, des tours naturelles, de larges pans taillés à pic comme des courtines, s'inclinaient sous un angle que les lois de la gravitation n'eussent pas autorisé à la surface des régions terrestres. Then, natural towers, large sections cut as steep as curtain walls, inclined at an angle that the laws of gravitation would not have allowed on the surface of terrestrial regions. Et moi-même ne sentais-je pas cette différence due à la puissante densité de l'eau, quand, malgré mes lourds vêtements, ma tête de cuivre, mes semelles de métal, je m'élevais sur des pentes d'une impraticable raideur, les franchissant pour ainsi dire avec la légèreté d'un isard ou d'un chamois! And didn't I myself feel this difference due to the powerful density of the water, when, despite my heavy clothes, my copper head, my metal soles, I climbed on slopes of impracticable steepness? , crossing them, so to speak, with the lightness of a chamois or chamois! І хіба я не відчув різницю завдяки потужній щільності води, коли, незважаючи на важкий одяг, мідну голову і металеві підошви, я піднімався на непрохідні круті схили, перетинаючи їх з легкістю ізард або сарни! Au récit que je fais de cette excursion sous les eaux, je sens bien que je ne pourrai être vraisemblable! From the story I tell of this excursion under the waters, I feel that I cannot be probable! Розповідаючи історію своєї підводної екскурсії, я розумію, що мені не повірять! Je suis l'historien des choses d'apparence impossible qui sont pourtant réelles, incontestables. Я історик, який досліджує, здавалося б, неможливі речі, які, тим не менш, є реальними і незаперечними. Je n'ai point rêvé. J'ai vu et senti! Я побачив і відчув це! Deux heures après avoir quitté le Nautilus, nous avions franchi la ligne des arbres, et à cent pieds au-dessus de nos têtes se dressait le pic de la montagne dont la projection faisait ombre sur l'éclatante irradiation du versant opposé. Two hours after leaving the Nautilus, we had crossed the tree line, and a hundred feet above our heads rose the peak of the mountain, the projection of which cast a shadow on the dazzling irradiation of the opposite slope. Quelques arbrisseaux pétrifiés couraient çà et là en zigzags grimaçants. Some petrified shrubs ran here and there in grimacing zigzags. Les poissons se levaient en masse sous nos pas comme des oiseaux surpris dans les hautes herbes. The fish rose en masse under our feet like birds surprised in the tall grass. Риба масово піднімалася під нашими ногами, як птахи, здивовані у високій траві. La masse rocheuse était creusée d'impénétrables anfractuosités, de grottes profondes, d'insondables trous, au fond desquels j'entendais remuer des choses formidables. The rocky mass was carved with impenetrable crevices, deep caves, unfathomable holes, at the bottom of which I could hear tremendous things moving. Скелястий масив був порізаний непрохідними тріщинами, глибокими печерами, бездонними ямами, на дні яких я чув, як ворушилися грізні істоти. Le sang me refluait jusqu'au cœur, quand j'apercevais une antenne énorme qui me barrait la route, ou quelque pince effrayante se refermant avec bruit dans l'ombre des cavités! Blood was flowing back to my heart, when I saw an enormous antenna blocking my way, or some frightful claw closing with noise in the shadow of the cavities! Des milliers de points lumineux brillaient au milieu des ténèbres. Thousands of luminous points shone amid the darkness. Тисячі точок світла пронизували темряву. C'étaient les yeux de crustacés gigantesques, tapis dans leur tanière, des homards géants se redressant comme des hallebardiers et remuant leurs pattes avec un cliquetis de ferraille, des crabes titanesques, braqués comme des canons sur leurs affûts, et des poulpes effroyables entrelaçant leurs tentacules comme une broussaille vivante de serpents. They were the eyes of gigantic crustaceans, lurking in their den, giant lobsters straightening up like halberdiers and moving their legs with a clatter of junk, titanic crabs, pointed like cannons on their carriages, and dreadful octopuses intertwining their tentacles like a living brush of snakes. Це були очі велетенських ракоподібних, що причаїлися у своїх лігвах, гігантські омари, що піднялися, наче алебардисти, і ворушили ногами з брязкотом металобрухту, титанічні краби, що націлилися, як гармати, зі своїх карет, і страшні восьминоги, що переплели свої щупальця, наче живі зарості змій. Quel était ce monde exorbitant que je ne connaissais pas encore? What was this exorbitant world that I did not know yet? Що це був за величезний світ, якого я ще не знав? A quel ordre appartenaient ces articulés auxquels le roc formait comme une seconde carapace? To what order did these joints belong to which the rock formed like a second shell? До якого порядку належали ці членисті люди, яким скеля утворила другу оболонку? Où la nature avait-elle trouvé le secret de leur existence végétative, et depuis combien de siècles vivaient-ils ainsi dans les dernières couches de l'Océan? Where had nature found the secret of their vegetative existence, and for how many centuries had they lived thus in the last layers of the ocean? Mais je ne pouvais m'arrêter. But I couldn't stop. Le capitaine Nemo, familiarisé avec ces terribles animaux, n'y prenait plus garde. Captain Nemo, familiar with these terrible animals, no longer took notice. Капітан Немо, добре знайомий з цими страшними тваринами, більше не звертав на них уваги. Nous étions arrivés à un premier plateau, ou d'autres surprises m'attendaient encore. We had arrived at a first plateau, or other surprises still awaited me. Là se dessinaient de pittoresques ruines, qui trahissaient la main de l'homme, et non plus celle du Créateur. There were picturesque ruins that betrayed the hand of man, and no longer that of the Creator. Там були мальовничі руїни, які видавали руку людини, а не Творця. C'étaient de vastes amoncellements de pierres où l'on distinguait de vagues formes de châteaux, de temples, revêtus d'un monde de zoophytes en fleurs, et auxquels, au lieu de lierre, les algues et les fucus faisaient un épais manteau végétal. They were vast piles of stones where one could distinguish vague forms of castles, temples, covered with a world of blooming zoophytes, and to which, instead of ivy, algae and wrack formed a thick vegetal mantle. . Mais qu'était donc cette portion du globe engloutie par les cataclysmes? But what was this portion of the globe swallowed up by the cataclysms? Qui avait disposé ces roches et ces pierres comme des dolmens des temps anté-historiques? Who had arranged these rocks and stones like dolmens from prehistoric times? Où étais-je, où m'avait entraîné la fantaisie du capitaine Nemo? Where was I, where had Captain Nemo's fantasy led me? Де я був, куди мене занесла фантазія капітана Немо? J'aurais voulu l'interroger. I would have liked to question him. Ne le pouvant, je l'arrêtai. Not being able to, I stopped him. Je saisis son bras. I grab his arm. Mais lui, secouant la tête, et me montrant le dernier sommet de la montagne, sembla me dire: " Viens! But he, shaking his head, and showing me the last summit of the mountain, seemed to say: "Come! viens encore! viens toujours! " always come! " Je le suivis dans un dernier élan, et en quelques minutes, j'eus gravi le pic qui dominait d'une dizaine de mètres toute cette masse rocheuse. I followed him in a last rush, and in a few minutes, I had climbed the peak which dominated by ten meters all this rocky mass. Я пішов за ним, зробивши останній поштовх, і за кілька хвилин піднявся на вершину, що височіла на десять метрів над усією скелястою масою. Je regardai ce côté que nous venions de franchir. Ich schaute auf die Seite, die wir gerade überschritten hatten. I looked at this side we had just crossed. Я подивився на той бік, який ми щойно перетнули. La montagne ne s'élevait que de sept à huit cents pieds au-dessus de la plaine; mais de son versant opposé, elle dominait d'une hauteur double le fond en contre bas de cette portion de l'Atlantique. The mountain rose only seven to eight hundred feet above the plain; but from its opposite slope, it dominated by a height double the bottom against the bottom of this portion of the Atlantic. Гора здіймалася над рівниною лише на сім чи вісімсот футів, але з протилежного боку вона домінувала над дном цієї частини Атлантики вдвічі більше. Mes regards s'étendaient au loin et embrassaient un vaste espace éclairé par une fulguration violente. My eyes stretched out into the distance and embraced a vast space lit by a violent flash. Мій погляд простягнувся вдалину, охоплюючи величезний простір, освітлений сильним спалахом світла. En effet, c'était un volcan que cette montagne. In der Tat war dieser Berg ein Vulkan. In fact, this mountain was a volcano. A cinquante pieds au-dessous du pic, au milieu d'une pluie de pierres et de scories, un large cratère vomissait des torrents de lave, qui se dispersaient en cascade de feu au sein de la masse liquide. Fifty feet below the peak, in the midst of a shower of stones and slag, a large crater spewed out torrents of lava, which dispersed in a cascade of fire within the liquid mass. Ainsi posé, ce volcan, comme un immense flambeau, éclairait la plaine inférieure jusqu'aux dernières limites de l'horizon. Thus posed, this volcano, like an immense torch, lit the lower plain to the very last limits of the horizon. J'ai dit que le cratère sous-marin rejetait des laves, mais non des flammes. I said that the underwater crater was releasing lava, but not flames. Il faut aux flammes l'oxygène de l'air, et elles ne sauraient se développer sous les eaux; mais des coulées de lave, qui ont en elles le principe de leur incandescence, peuvent se porter au rouge blanc, lutter victorieusement contre l'élément liquide et se vaporiser à son contact. Aber Lavaströme, die das Prinzip ihrer Glut in sich tragen, können sich weißrot färben, siegreich gegen das flüssige Element kämpfen und bei Berührung verdampfen. Flames need the oxygen of the air, and they cannot develop under water; but lava flows, which have in them the principle of their incandescence, can turn to white red, fight victoriously against the liquid element and vaporize on contact. De rapides courants entraînaient tous ces gaz en diffusion, et les torrents laviques glissaient jusqu'au bas de la montagne, comme les déjections du Vésuve sur un autre Torre del Greco. Rapid currents carried all these diffusing gases, and lava torrents slipped down the mountain, like the droppings of Vesuvius on another Torre del Greco. Швидкі течії розносили всі ці гази в дифузії, і лавинні потоки сповзали до підніжжя гори, як гній Везувію на інший Торре дель Греко. En effet, là, sous mes yeux, ruinée, abîmée, jetée bas, apparaissait une ville détruite, ses toits effondrés, ses temples abattus, ses arcs disloqués, ses colonnes gisant à terre, où l'on sentait encore les solides proportions d'une sorte d'architecture toscane; plus loin, quelques restes d'un gigantesque aqueduc; ici l'exhaussement empâté d'une acropole, avec les formes flottantes d'un Parthénon; là, des vestiges de quai, comme si quelque antique port eût abrité jadis sur les bords d'un océan disparu les vaisseaux marchands et les trirèmes de guerre; plus loin encore, de longues lignes de murailles écroulées, de larges rues désertes, toute une Pompéi enfouie sous les eaux, que le capitaine Nemo ressuscitait à mes regards! Indeed, there, before my eyes, ruined, damaged, thrown down, appeared a destroyed city, its collapsed roofs, its demolished temples, its dislocated arches, its columns lying on the ground, where one could still feel the solid proportions of a kind of Tuscan architecture; further on, some remains of a gigantic aqueduct; here the thickened elevation of an acropolis, with the floating forms of a Parthenon; there, remains of a quay, as if some ancient port had once sheltered merchant ships and war triremes on the shores of a vanished ocean; farther still, long lines of crumbling walls, wide deserted streets, a whole Pompeii buried under the waters, which Captain Nemo brought back to life before my eyes! Où étais-je? На чому я зупинився? Où étais-je? Je voulais le savoir à tout prix, je voulais parler, je voulais arracher la sphère de cuivre qui emprisonnait ma tête. I wanted to know at all costs, I wanted to talk, I wanted to tear off the copper sphere that imprisoned my head. Mais le capitaine Nemo vint à moi et m'arrêta d'un geste. But Captain Nemo came to me and stopped me with a gesture. Puis, ramassant un morceau de pierre crayeuse, il s'avança vers un roc de basalte noire et traça ce seul mot: Then, picking up a piece of chalky stone, he walked towards a rock of black basalt and traced this single word: ATLANTIDE

Quel éclair traversa mon esprit! What lightning flashed through my mind!

L'Atlantide, l'ancienne Méropide de Théopompe, l'Atlantide de Platon, ce continent nié par Origène, Porphyre, Jamblique, D'Anville, Malte-Brun, Humboldt, qui mettaient sa disparition au compte des récits légendaires, admis par Possidonius, Pline, Ammien-Marcellin, Tertullien, Engel, Sherer, Tournefort, Buffon, d'Avezac, je l'avais là sous les yeux, portant encore les irrécusables témoignages de sa catastrophe! C'était donc cette région engloutie qui existait en dehors de l'Europe, de l'Asie, de la Libye, au-delà des colonnes d'Hercule, où vivait ce peuple puissant des Atlantes, contre lequel se firent les premières guerres de l'ancienne Grèce! It was therefore this submerged region that existed outside of Europe, Asia, Libya, beyond the Pillars of Hercules, where lived this powerful people of the Atlanteans, against whom the first wars of ancient Greece! L'historien qui a consigné dans ses écrits les hauts faits de ces temps héroïques, c'est Platon lui-même. Der Historiker, der die Taten dieser heroischen Zeiten in seinen Schriften festgehalten hat, ist Platon selbst. The historian who recorded in his writings the great deeds of those heroic times is Plato himself. Істориком, який зафіксував у своїх працях діяння цих героїчних часів, був сам Платон. Son dialogue de Timée et de Critias a été, pour ainsi dire, tracé sous l'inspiration de Solon, poète et législateur. His dialogue of Timaeus and Critias was, so to speak, traced under the inspiration of Solon, poet and legislator. Його діалог між Тімеєм і Крітієм був, так би мовити, натхненний Солоном, поетом і законодавцем. Un jour, Solon s'entretenait avec quelques sages vieillards de Saïs, ville déjà vieille de huit cents ans, ainsi que le témoignaient ses annales gravées sur le mur sacré de ses temples. One day, Solon was talking to some wise old men of Sais, a city already eight hundred years old, as his annals engraved on the sacred walls of his temples testified. L'un de ces vieillards raconta l'histoire d'une autre ville plus ancienne de mille ans. One of these old men told the story of another city that was a thousand years older. Cette première cité athénienne, âgée de neuf cents siècles, avait été envahie et en partie détruite par les Atlantes. This first Athenian city, nine hundred centuries old, had been invaded and partly destroyed by the Atlanteans. Ces Atlantes, disait-il, occupaient un continent immense plus grand que l'Afrique et l'Asie réunies, qui couvrait une surface comprise du douzième degré de latitude au quarantième degré nord. These Atlanteans, he said, occupied an immense continent larger than Africa and Asia combined, which covered an area ranging from the twelfth degree latitude to the fortieth degree north. Leur domination s'étendait même à l'Égypte. Their domination extended even to Egypt. Ils voulurent l'imposer jusqu'en Grèce, mais ils durent se retirer devant l'indomptable résistance des Hellènes. They wanted to impose it as far as Greece, but they had to withdraw before the indomitable resistance of the Hellenes. Des siècles s'écoulèrent. Centuries passed. Минули століття. Un cataclysme se produisit, inondations, tremblements de terre. A cataclysm occurred, floods, earthquakes. Стався катаклізм, з повенями і землетрусами. Une nuit et un jour suffirent à l'anéantissement de cette Atlantide dont les plus hauts sommets, Madère, les Açores, les Canaries, les îles du cap Vert, émergent encore. One night and one day were enough to destroy this Atlantis from which the highest peaks, Madeira, the Azores, the Canaries, the Cape Verde Islands, are still emerging. Tels étaient ces souvenirs historiques que l'inscription du capitaine Nemo faisait palpiter dans mon esprit. Such were those historical memories that Captain Nemo's inscription made flutter in my mind. Це були історичні спогади, які напис капітана Немо оживив у моїй свідомості. Ainsi donc, conduit par la plus étrange destinée, je foulais du pied l'une des montagnes de ce continent! So, led by the strangest destiny, I trod on one of the mountains of this continent! Je touchais de la main ces ruines mille fois séculaires et contemporaines des époques géologiques! I touched with my hand these ruins a thousand times secular and contemporary to geological eras! Я міг торкатися руїн рукою, руїн, яким тисячі років і які були сучасними геологічним епохам! Je marchais là même où avaient marché les contemporains du premier homme! I was walking where the contemporaries of the first man had walked! J'écrasais sous mes lourdes semelles ces squelettes d'animaux des temps fabuleux, que ces arbres, maintenant minéralisés, couvraient autrefois de leur ombre! I crushed under my heavy soles these animal skeletons from fabulous times, which these trees, now mineralized, once covered with their shadow! Ah! pourquoi le temps me manquait-il! why was I running out of time! чому у мене закінчився час! J'aurais voulu descendre les pentes abruptes de cette montagne, parcourir en entier ce continent immense qui sans doute reliait l'Afrique à l'Amérique, et visiter ces grandes cités antédiluviennes. I would have liked to descend the steep slopes of this mountain, to travel all over this immense continent which undoubtedly linked Africa to America, and to visit these great antediluvian cities. Là, peut-être, sous mes regards, s'étendaient Makhimos, la guerrière, Eusebès, la pieuse, dont les gigantesques habitants vivaient des siècles entiers, et auxquels la force ne manquait pas pour entasser ces blocs qui résistaient encore à l'action des eaux. There, perhaps, under my gaze, extended Makhimos, the warrior, Eusebes, the pious, whose gigantic inhabitants lived for whole centuries, and whose strength was not lacking to pile up those blocks which still resisted the action. waters. Можливо, там, перед моїми очима, лежав Махімос, воїн, Євсевій, благочестивий, чиї велетенські мешканці жили століттями, і чиїм силам не бракувало нагромаджувати ці брили, які все ще чинили опір дії води. Un jour peut-être, quelque phénomène éruptif les ramènera à la surface des flots, ces ruines englouties! One day perhaps, some eruptive phenomenon will bring them back to the surface of the waves, these engulfed ruins! On a signalé de nombreux volcans sous-marins dans cette portion de l'Océan, et bien des navires ont senti des secousses extraordinaires en passant sur ces fonds tourmentés. Numerous submarine volcanoes have been reported in this portion of the ocean, and many ships have felt extraordinary tremors while passing over these troubled bottoms. Повідомлялося про численні підводні вулкани в цій частині океану, і багато кораблів відчували надзвичайні поштовхи, коли проходили над цими стражденними глибинами. Les uns ont entendu des bruits sourds qui annonçaient la lutte profonde des éléments; les autres ont recueilli des cendres volcaniques projetées hors de la mer. Some have heard muffled noises which announced the profound struggle of the elements; the others collected volcanic ash thrown out of the sea. Хтось чув глухі удари, які провіщали глибоку боротьбу стихій; хтось збирав вулканічний попіл, який видувало з моря. Tout ce sol jusqu'à l'Équateur est encore travaillé par les forces plutoniennes. All this soil up to Ecuador is still worked by the plutonic forces. Et qui sait si, dans une époque éloignée, accrus par les déjections volcaniques et par les couches successives de laves, des sommets de montagnes ignivomes n'apparaîtront pas à la surface de l'Atlantique! And who knows if, in a distant time, increased by volcanic excreta and by successive layers of lava, ignivome mountain peaks will not appear on the surface of the Atlantic! Pendant que je rêvais ainsi, tandis que je cherchais à fixer dans mon souvenir tous les détails de ce paysage grandiose, le capitaine Nemo, accoudé sur une stèle moussue, demeurait immobile et comme pétrifié dans une muette extase. Songeait-il à ces générations disparues et leur demandait-il le secret de la destinée humaine? Чи думав він про ті зниклі покоління і чи запитував у них таємницю людської долі? Était-ce à cette place que cet homme étrange venait se retremper dans les souvenirs de l'histoire, et revivre de cette vie antique, lui qui ne voulait pas de la vie moderne? Чи саме сюди приїхав цей дивний чоловік, щоб зануритися у спогади історії, пережити це давнє життя, той, хто не бажав сучасного життя? Que n'aurais-je donné pour connaître ses pensées, pour les partager, pour les comprendre! What would I not have given to know his thoughts, to share them, to understand them! Чого б я тільки не віддав, щоб знати його думки, ділитися ними, розуміти їх! Nous restâmes à cette place pendant une heure entière, contemplant la vaste plaine sous l'éclat des laves qui prenaient parfois une intensité surprenante. We stayed in this place for a whole hour, contemplating the vast plain under the glow of lava which sometimes took on a surprising intensity. Les bouillonnements intérieurs faisaient courir de rapides frissonnements sur l'écorce de la montagne. Бульбашки всередині викликали швидке тремтіння, що пробігало по корі гори. Des bruits profonds, nettement transmis par ce milieu liquide, se répercutaient avec une majestueuse ampleur. Deep noises, clearly transmitted by this liquid medium, reverberated with majestic amplitude. En ce moment, la lune apparut un instant à travers la masse des eaux et jeta quelques pâles rayons sur le continent englouti. At that moment, the moon appeared for a moment through the mass of the waters and cast a few pale rays on the sunken continent. Ce ne fut qu'une lueur, mais d'un indescriptible effet. It was only a glimmer, but an indescribable effect. Le capitaine se leva, jeta un dernier regard à cette immense plaine; puis de la main il me fit signe de le suivre. The captain got up, took a last look at this immense plain; then with his hand he signed to me to follow him. Nous descendîmes rapidement la montagne. We quickly descended the mountain. La forêt minérale une fois dépassée, j'aperçus le fanal du Nautilus qui brillait comme une étoile. The mineral forest once passed, I saw the Nautilus beacon shining like a star. Пройшовши повз мінеральний ліс, я побачив ліхтар "Наутілуса", що сяяв, як зірка. Le capitaine marcha droit à lui, et nous étions rentrés à bord au moment où les premières teintes de l'aube blanchissaient la surface de l'Océan. The captain walked straight up to him, and we were back on board just as the first tints of dawn whitened the surface of the ocean.