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Bram Stoker - Dracula, Part (81)

Part (81)

Je commençais à avoir peur –horriblement peur, mais alors, j'éprouvai un sentiment de sécurité en songeant à cet anneau dans lequel je me tenais. Je commençai aussi à penser que j'étais travaillé par mon imagination, à cause de cette nuit, de cette obscurité, et aussi de toute cette agitation, et de cette terrible anxiété que j'avais éprouvée. C'était comme si j'étais rendu fou par tous les souvenirs que j'avais des horribles aventures de Jonathan, car les flocons de neige et la brume commençaient à tourbillonner tout autour de nous, jusqu'à je puisse presque percevoir comme les silhouettes de ces femmes qui l'avaient embrassé. Et les chevaux se blottissaient toujours plus, et gémissaient de terreur comme des hommes gémiraient de douleur. Pourtant ils n'étaient pas gagnés par la peur au point de s'enfuir. Je craignis pour ma chère Madam Mina lorsque j'eus l'impression que ces terribles silhouettes s'approchaient et nous encerclaient. Je la regardai, mais elle était assise, et me souriait calmement. Lorsque je me dirigeai vers le feu pour l'entretenir, elle me retint et murmura, d'une voix semblable à celles qu'on entend dans les rêves, tant elle était basse : « Non ! Non ! Ne sortez pas. Ici vous êtes en sécurité ! » Je me retournai vers elle, et lui dis, la regardant dans les yeux : « Mais vous ? C'est pour vous que je crains ! » A quoi elle rit – un rire bas et irréel -, puis elle dit : « Peur pour moi ! Et pourquoi craindre pour moi ? Personne au monde n'est mieux protégé que moi contre eux », et tandis que je m'interrogeais sur la signification de ses paroles, une bourrasque de vent raviva la flamme, et je pus voir la cicatrice rouge sur son front. Alors, hélas, je compris. Si ce n'avait pas été le cas, je n'aurais pas tardé à comprendre, car les silhouettes tourbillonnantes de brume et de neige se rapprochaient, tout en restant toujours en dehors du Cercle Sacré. Puis elles

commencèrent à se matérialiser, jusqu'à ce qu'enfin – si Dieu veut que je n'aie pas perdu la raison, car j'ai vu cela de mes propres yeux – s'incarnent devant moi les trois femmes qu'avait vues Jonathan dans cette chambre lorsqu'elles avaient embrassé sa gorge. Je reconnaissais ces rondeurs voluptueuses, ces yeux brillants et impitoyables, ces dents blanches, ces couleurs, ces lèvres sensuelles. Elles souriaient à la pauvre Madam Mina, et tandis que leur rire perçait le silence de la nuit, elles joignirent leurs bras et les pointèrent vers elle, puis dirent, de ces voix si douces et si cristallines que Jonathan avait comparées à l'insupportable douceur d'un doigt jouant sur le bord d'un verre à eau. « Viens, sœur. Viens avec nous. Viens ! Viens ! » Je craignais de me retourner vers la pauvre Madam Mina, mais mon cœur bondit de joie comme une flamme, car oh ! la terreur que je lus dans son doux regard, la répulsion, l'horreur, emplirent mon cœur d'espoir. Dieu en soit remercié, elle n'était pas encore des leurs. Je saisis quelques-unes des bûches préparées pour le feu qui étaient près de moi, et brandissant l'une des hosties, m'avançai vers les femmes en direction du feu. Elles reculèrent devant moi, et se mirent à rire, de leur abominable rire grave. J'alimentai le feu, et je ne les craignais plus : je savais que nous étions en sécurité derrières nos protections. Elles ne pouvaient m'approcher tant que j'étais armé, pas plus qu'elles ne pouvaient approcher Madam Mina tant qu'elle restait à l'intérieur de ce cercle, aussi infranchissable pour elle que pour ces femmes. . Les chevaux avaient cessé de hennir, et étaient allongés en silence sur le sol. La neige tombait doucement sur eux, et ils commençaient à blanchir. Je savais que les pauvres bêtes étaient maintenant bien au-delà de la terreur. Et nous restâmes ainsi jusqu'à ce que la lueur rouge de l'aube commence à percer à travers la neige. J'étais affligé et apeuré, et plein de désespoir et de terreur, mais lorsque ce beau soleil commença à monter au-dessus de l'horizon, la vie me revint. Dès les premiers signes de l'aube, les horribles silhouettes se mêlèrent à nouveau à la brume et à la neige, et les tourbillons de brouillard transparent se dirigèrent vers le château, et se perdirent au loin. Instinctivement, au moment où l'aube se leva, je me retournai vers Madam Mina, dans l'intention de l'hypnotiser, mais elle était tombée dans un soudain et profond sommeil, dont je ne pus la tirer. J'essayai de l'hypnotiser dans son sommeil, mais il n'y eut aucune réponse de sa part, pas la moindre, et alors le jour se leva. Mais j'ai encore peur de partir. Je suis allé m'occuper du feu, et suis allé voir les chevaux : ils sont tous morts. Aujourd'hui j'ai beaucoup à faire ici, et je vais attendre que le soleil soit haut dans le ciel, car je vais devoir me rendre dans des endroits où la lumière du soleil, bien qu'obscurcie par la neige et la brume, sera gage de ma sécurité. Je vais reprendre des forces avec un petit déjeuner, puis je m'attèlerai à ma terrible tâche. Madam Mina dort toujours, Dieu soit loué ! et elle dort paisiblement… Journal de Jonathan Harker 4 novembre, au soir L'accident du steamer a été un évènement terrible pour nous. Sans cela nous aurions déjà dû dépasser l'embarcation du Comte depuis longtemps, et maintenant ma chère Mina serait libérée. J'ai peur de penser à elle, perdue dans ces collines tout près de cet horrible endroit. Nous avons maintenant des chevaux, et nous allons suivre les traces. J'écris ceci tandis que Lord Godalming se prépare. Nous avons nos armes. Les Tziganes devront prendre garde s'ils ont l'intention de se battre. Oh, si seulement Morris et Seward étaient avec nous. Mais nous devons garder l'espoir ! Si je ne devais plus écrire, au revoir, Mina ! Dieu te bénisse et te protège. Journal du Docteur Seward 5 novembre L'aube venue, nous pûmes voir les silhouettes des Tziganes devant nous ; ils s'éloignaient en toute hâte de la rivière avec leur chariot. Ils entouraient celui-ci de très près, et semblaient se précipiter comme s'ils étaient attaqués. La neige tombe

légèrement, et il y a une étrange excitation dans l'air. Peut-être n'est-ce que l'expression de nos propres sentiments, mais c'est étrange. Au loin, j'entends le hurlement des loups ; la neige les a fait descendre des montagnes, et nous sommes entourés de dangers de toutes parts. Les chevaux sont presque prêts maintenant, et nous allons bientôt partir. Nous allons au-devant de la mort… Dieu seul sait la mort de qui, ou quoi, ou quand, ou comment… Memorandum d'Abraham Van Helsing 5 novembre, après-midi Au moins, je ne suis pas fou. J'en remercie en tout cas la miséricorde divine, même si l'épreuve fut terrible. Lorsque je laissai Madam Mina endormie au milieu de Cercle Sacré, je me dirigeai vers le château. Le marteau de forgeron que je m'étais procuré à Veresti se révéla utile : bien que les portes fussent toutes ouvertes, je les arrachai de leurs gonds rouillés, afin d'éviter qu'elles se referment, par malveillance ou par malchance, et que je me retrouve incapable de ressortir une fois entré. L'amère expérience de Jonathan me fut ici très utile. Me remémorant son journal, je pus trouver le chemin de la vieille chapelle, car je savais que là se trouvait la tâche qui m'attendait. L'air était oppressant, comme empli de vapeurs sulfureuses, qui par moments me donnaient le tournis. Il y avait un bourdonnement dans mes oreilles, ou alors était-ce le hurlement des loups que j'entendais encore au loin ? Alors, je pensai à ma chère Madam Mina, et je sombrai dans une profonde détresse. J'étais tenaillé par l'indécision. Elle, que je n'avais pas osé amener en ce lieu, mais que j'avais laissée à l'abri du Vampire dans ce Cercle Sacré, et maintenant des loups ! Mais je décidai finalement que mon devoir se trouvait là où j'étais, et que nous devions nous soumettre à la volonté de Dieu en ce qui concernait les loups. Au moins, ce n'était là que la mort, et après la mort, la liberté. Ainsi, j'avais choisi pour elle. Si ce n'avait été que pour moi, le choix eût été aisé : la mâchoire du loup me semblait préférable à la tombe du Vampire ! Ainsi je fis le choix de poursuivre ma tâche. Je savais qu'il me fallait trouver au moins trois tombes – des tombes habitées, alors je me mis à leur recherche, et finis par en trouver une. Elle était étendue dans son sommeil de Vampire, si pleine de vie et de voluptueuse beauté que je frémis comme si je m'apprêtais à commettre un meurtre. Ah, je ne doute pas que dans les temps anciens, quand existaient de telles choses, plus d'un homme qui avait entrepris la même tâche que moi avait dû, au dernier moment, voir son cœur lui manquer. Alors ils hésitait, hésitait, hésitait, jusqu'à ce que la beauté même de la belle Non-morte l'hypnotise, et il restait là, jusqu'à ce que le soleil se couche, et que le Vampire s'éveille. Alors les beaux yeux de la fascinante jeune femme s'ouvraient, débordant d'amour, et la bouche voluptueuse s'offrait aux baisers – et l'homme est faible. Et voilà une victime de plus pour le Vampire, une de plus qui ira rejoindre l'armée sinistre et monstrueuse des Non-morts ! Oui, ce fut bien de la fascination que j'éprouvais, lorsque je vis celle-ci, bien qu'elle fût étendue dans une tombe antique et lourde de la poussière des siècles, au milieu de l'horrible odeur qui caractérisait tous les repaires du Comte. Oui, j'étais ému – moi, Van Helsing, malgré les décisions que j'avais prises et les raisons que j'avais de la haïr, j'étais ému par un désir ardent de suspendre mon geste, et qui semblait paralyser toutes mes facultés et entraver mon âme même. Etait-ce le manque de sommeil, ou cette étrange oppression dans l'air, qui commençait à avoir raison de moi ? Ce qui était certain, c'est que je commençais à sombrer dans le sommeil, dans ce rêve éveillé de celui qui s'abandonne à une douce fascination, lorsque soudain me parvint, à travers l'air chargé de neige, un long, long gémissement, si plein de terreur et de souffrance qu'il m'éveilla aussi promptement que l'aurait fait le son du clairon. Car c'était la voix de ma chère Madam Mina que j'entendais. Je rassemblai alors mes forces pour poursuivre ma monstrueuse tâche, et en soulevant d'autres pierres tombales, je trouvai une autre des trois sœurs, qui avait aussi une chevelure noire. Je n'osai pas m'arrêter pour la regarder comme je l'avais fait pour sa sœur, car je risquais une fois de plus d'être ensorcelé, mais je continuai mes recherches jusqu'à ce qu'enfin, je finisse par trouver, dans une grande tombe, comme si elle avait été destinée à un être aimé, cette sœur blonde que j'avais, comme Jonathan, vue se matérialiser à partir du brouillard. Elle était tellement charmante, d'une beauté tellement radieuse, si exquisément sensuelle, que tous mes instincts d'homme, qui poussent ceux de mon sexe à protéger ses pareilles, submergeaient mon cœur sous une nouvelle vague d'émotion. Mais Dieu en soit remercié, le hurlement de l'âme de ma chère Madam Mina résonnait encore à mes oreilles, et avant que le sortilège ne pût être tissé autour de moi, j'avais repris possession de moi et m'étais contraint à poursuivre mes horribles recherches. A ce moment j'avais fouillé toutes les tombes de la chapelle, du moins me semblait-il, et comme il n'y avait eu autour de nous dans la nuit que trois spectres Non-morts, j'en déduisis qu'il n'existait plus aucun Non-mort actif. Il y avait une grande tombe, plus imposante que les autres ; elle était immense, et de nobles proportions. Un seul mot y était gravé :

DRACULA Ainsi donc, c'était là la demeure sépulcrale du Roi des Vampires, qui en avait entraîné tant d'autres à sa suite. Elle était vide, ce qui me confirma ce que je savais déjà. Avant de commencer mon abominable travail afin de ramener ces trois femmes à leur mort véritable, je déposai dans la tombe de Dracula quelques hosties, afin d'en bannir le Nom-mort à jamais. Alors, commença ma terrible tâche. Je la redoutai.

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Je commençais à avoir peur –horriblement peur, mais alors, j'éprouvai un sentiment de sécurité en songeant à cet anneau dans lequel je me tenais. Je commençai aussi à penser que j'étais travaillé par mon imagination, à cause de cette nuit, de cette obscurité, et aussi de toute cette agitation, et de cette terrible anxiété que j'avais éprouvée. C'était comme si j'étais rendu fou par tous les souvenirs que j'avais des horribles aventures de Jonathan, car les flocons de neige et la brume commençaient à tourbillonner tout autour de nous, jusqu'à je puisse presque percevoir comme les silhouettes de ces femmes qui l'avaient embrassé. Et les chevaux se blottissaient toujours plus, et gémissaient de terreur comme des hommes gémiraient de douleur. Pourtant ils n'étaient pas gagnés par la peur au point de s'enfuir. Je craignis pour ma chère Madam Mina lorsque j'eus l'impression que ces terribles silhouettes s'approchaient et nous encerclaient. Je la regardai, mais elle était assise, et me souriait calmement. Lorsque je me dirigeai vers le feu pour l'entretenir, elle me retint et murmura, d'une voix semblable à celles qu'on entend dans les rêves, tant elle était basse : « Non ! Non ! Ne sortez pas. Ici vous êtes en sécurité ! » Je me retournai vers elle, et lui dis, la regardant dans les yeux : « Mais vous ? C'est pour vous que je crains ! » A quoi elle rit – un rire bas et irréel -, puis elle dit : « Peur pour moi ! Et pourquoi craindre pour moi ? Personne au monde n'est mieux protégé que moi contre eux », et tandis que je m'interrogeais sur la signification de ses paroles, une bourrasque de vent raviva la flamme, et je pus voir la cicatrice rouge sur son front. Alors, hélas, je compris. Si ce n'avait pas été le cas, je n'aurais pas tardé à comprendre, car les silhouettes tourbillonnantes de brume et de neige se rapprochaient, tout en restant toujours en dehors du Cercle Sacré. Puis elles

commencèrent à se matérialiser, jusqu'à ce qu'enfin – si Dieu veut que je n'aie pas perdu la raison, car j'ai vu cela de mes propres yeux – s'incarnent devant moi les trois femmes qu'avait vues Jonathan dans cette chambre lorsqu'elles avaient embrassé sa gorge. Je reconnaissais ces rondeurs voluptueuses, ces yeux brillants et impitoyables, ces dents blanches, ces couleurs, ces lèvres sensuelles. Elles souriaient à la pauvre Madam Mina, et tandis que leur rire perçait le silence de la nuit, elles joignirent leurs bras et les pointèrent vers elle, puis dirent, de ces voix si douces et si cristallines que Jonathan avait comparées à l'insupportable douceur d'un doigt jouant sur le bord d'un verre à eau. They smiled at poor Madam Mina, and as their laughter pierced the silence of the night, they linked arms and pointed them at her, then said, in voices so soft and crystalline that Jonathan had compared them to the unbearable sweetness of a finger playing on the rim of a water glass. « Viens, sœur. Viens avec nous. Viens ! Viens ! » Je craignais de me retourner vers la pauvre Madam Mina, mais mon cœur bondit de joie comme une flamme, car oh ! la terreur que je lus dans son doux regard, la répulsion, l'horreur, emplirent mon cœur d'espoir. Dieu en soit remercié, elle n'était pas encore des leurs. Je saisis quelques-unes des bûches préparées pour le feu qui étaient près de moi, et brandissant l'une des hosties, m'avançai vers les femmes en direction du feu. Elles reculèrent devant moi, et se mirent à rire, de leur abominable rire grave. J'alimentai le feu, et je ne les craignais plus : je savais que nous étions en sécurité derrières nos protections. Elles ne pouvaient m'approcher tant que j'étais armé, pas plus qu'elles ne pouvaient approcher Madam Mina tant qu'elle restait à l'intérieur de ce cercle, aussi infranchissable pour elle que pour ces femmes. . Les chevaux avaient cessé de hennir, et étaient allongés en silence sur le sol. La neige tombait doucement sur eux, et ils commençaient à blanchir. Je savais que les pauvres bêtes étaient maintenant bien au-delà de la terreur. Et nous restâmes ainsi jusqu'à ce que la lueur rouge de l'aube commence à percer à travers la neige. J'étais affligé et apeuré, et plein de désespoir et de terreur, mais lorsque ce beau soleil commença à monter au-dessus de l'horizon, la vie me revint. Dès les premiers signes de l'aube, les horribles silhouettes se mêlèrent à nouveau à la brume et à la neige, et les tourbillons de brouillard transparent se dirigèrent vers le château, et se perdirent au loin. Instinctivement, au moment où l'aube se leva, je me retournai vers Madam Mina, dans l'intention de l'hypnotiser, mais elle était tombée dans un soudain et profond sommeil, dont je ne pus la tirer. J'essayai de l'hypnotiser dans son sommeil, mais il n'y eut aucune réponse de sa part, pas la moindre, et alors le jour se leva. Mais j'ai encore peur de partir. Je suis allé m'occuper du feu, et suis allé voir les chevaux : ils sont tous morts. Aujourd'hui j'ai beaucoup à faire ici, et je vais attendre que le soleil soit haut dans le ciel, car je vais devoir me rendre dans des endroits où la lumière du soleil, bien qu'obscurcie par la neige et la brume, sera gage de ma sécurité. Je vais reprendre des forces avec un petit déjeuner, puis je m'attèlerai à ma terrible tâche. Madam Mina dort toujours, Dieu soit loué ! et elle dort paisiblement… Journal de Jonathan Harker 4 novembre, au soir L'accident du steamer a été un évènement terrible pour nous. Sans cela nous aurions déjà dû dépasser l'embarcation du Comte depuis longtemps, et maintenant ma chère Mina serait libérée. J'ai peur de penser à elle, perdue dans ces collines tout près de cet horrible endroit. Nous avons maintenant des chevaux, et nous allons suivre les traces. J'écris ceci tandis que Lord Godalming se prépare. Nous avons nos armes. Les Tziganes devront prendre garde s'ils ont l'intention de se battre. Oh, si seulement Morris et Seward étaient avec nous. Mais nous devons garder l'espoir ! Si je ne devais plus écrire, au revoir, Mina ! Dieu te bénisse et te protège. Journal du Docteur Seward 5 novembre L'aube venue, nous pûmes voir les silhouettes des Tziganes devant nous ; ils s'éloignaient en toute hâte de la rivière avec leur chariot. Ils entouraient celui-ci de très près, et semblaient se précipiter comme s'ils étaient attaqués. La neige tombe

légèrement, et il y a une étrange excitation dans l'air. Peut-être n'est-ce que l'expression de nos propres sentiments, mais c'est étrange. Au loin, j'entends le hurlement des loups ; la neige les a fait descendre des montagnes, et nous sommes entourés de dangers de toutes parts. Les chevaux sont presque prêts maintenant, et nous allons bientôt partir. Nous allons au-devant de la mort… Dieu seul sait la mort de qui, ou quoi, ou quand, ou comment… Memorandum d'Abraham Van Helsing 5 novembre, après-midi Au moins, je ne suis pas fou. J'en remercie en tout cas la miséricorde divine, même si l'épreuve fut terrible. Lorsque je laissai Madam Mina endormie au milieu de Cercle Sacré, je me dirigeai vers le château. Le marteau de forgeron que je m'étais procuré à Veresti se révéla utile : bien que les portes fussent toutes ouvertes, je les arrachai de leurs gonds rouillés, afin d'éviter qu'elles se referment, par malveillance ou par malchance, et que je me retrouve incapable de ressortir une fois entré. L'amère expérience de Jonathan me fut ici très utile. Me remémorant son journal, je pus trouver le chemin de la vieille chapelle, car je savais que là se trouvait la tâche qui m'attendait. L'air était oppressant, comme empli de vapeurs sulfureuses, qui par moments me donnaient le tournis. Il y avait un bourdonnement dans mes oreilles, ou alors était-ce le hurlement des loups que j'entendais encore au loin ? Alors, je pensai à ma chère Madam Mina, et je sombrai dans une profonde détresse. J'étais tenaillé par l'indécision. Elle, que je n'avais pas osé amener en ce lieu, mais que j'avais laissée à l'abri du Vampire dans ce Cercle Sacré, et maintenant des loups ! Mais je décidai finalement que mon devoir se trouvait là où j'étais, et que nous devions nous soumettre à la volonté de Dieu en ce qui concernait les loups. Au moins, ce n'était là que la mort, et après la mort, la liberté. Ainsi, j'avais choisi pour elle. Si ce n'avait été que pour moi, le choix eût été aisé : la mâchoire du loup me semblait préférable à la tombe du Vampire ! Ainsi je fis le choix de poursuivre ma tâche. Je savais qu'il me fallait trouver au moins trois tombes – des tombes habitées, alors je me mis à leur recherche, et finis par en trouver une. Elle était étendue dans son sommeil de Vampire, si pleine de vie et de voluptueuse beauté que je frémis comme si je m'apprêtais à commettre un meurtre. Ah, je ne doute pas que dans les temps anciens, quand existaient de telles choses, plus d'un homme qui avait entrepris la même tâche que moi avait dû, au dernier moment, voir son cœur lui manquer. Alors ils hésitait, hésitait, hésitait, jusqu'à ce que la beauté même de la belle Non-morte l'hypnotise, et il restait là, jusqu'à ce que le soleil se couche, et que le Vampire s'éveille. Alors les beaux yeux de la fascinante jeune femme s'ouvraient, débordant d'amour, et la bouche voluptueuse s'offrait aux baisers – et l'homme est faible. Et voilà une victime de plus pour le Vampire, une de plus qui ira rejoindre l'armée sinistre et monstrueuse des Non-morts ! Oui, ce fut bien de la fascination que j'éprouvais, lorsque je vis celle-ci, bien qu'elle fût étendue dans une tombe antique et lourde de la poussière des siècles, au milieu de l'horrible odeur qui caractérisait tous les repaires du Comte. Oui, j'étais ému – moi, Van Helsing, malgré les décisions que j'avais prises et les raisons que j'avais de la haïr, j'étais ému par un désir ardent de suspendre mon geste, et qui semblait paralyser toutes mes facultés et entraver mon âme même. Etait-ce le manque de sommeil, ou cette étrange oppression dans l'air, qui commençait à avoir raison de moi ? Ce qui était certain, c'est que je commençais à sombrer dans le sommeil, dans ce rêve éveillé de celui qui s'abandonne à une douce fascination, lorsque soudain me parvint, à travers l'air chargé de neige, un long, long gémissement, si plein de terreur et de souffrance qu'il m'éveilla aussi promptement que l'aurait fait le son du clairon. Car c'était la voix de ma chère Madam Mina que j'entendais. Je rassemblai alors mes forces pour poursuivre ma monstrueuse tâche, et en soulevant d'autres pierres tombales, je trouvai une autre des trois sœurs, qui avait aussi une chevelure noire. Je n'osai pas m'arrêter pour la regarder comme je l'avais fait pour sa sœur, car je risquais une fois de plus d'être ensorcelé, mais je continuai mes recherches jusqu'à ce qu'enfin, je finisse par trouver, dans une grande tombe, comme si elle avait été destinée à un être aimé, cette sœur blonde que j'avais, comme Jonathan, vue se matérialiser à partir du brouillard. Elle était tellement charmante, d'une beauté tellement radieuse, si exquisément sensuelle, que tous mes instincts d'homme, qui poussent ceux de mon sexe à protéger ses pareilles, submergeaient mon cœur sous une nouvelle vague d'émotion. Mais Dieu en soit remercié, le hurlement de l'âme de ma chère Madam Mina résonnait encore à mes oreilles, et avant que le sortilège ne pût être tissé autour de moi, j'avais repris possession de moi et m'étais contraint à poursuivre mes horribles recherches. A ce moment j'avais fouillé toutes les tombes de la chapelle, du moins me semblait-il, et comme il n'y avait eu autour de nous dans la nuit que trois spectres Non-morts, j'en déduisis qu'il n'existait plus aucun Non-mort actif. Il y avait une grande tombe, plus imposante que les autres ; elle était immense, et de nobles proportions. Un seul mot y était gravé :

DRACULA Ainsi donc, c'était là la demeure sépulcrale du Roi des Vampires, qui en avait entraîné tant d'autres à sa suite. Elle était vide, ce qui me confirma ce que je savais déjà. Avant de commencer mon abominable travail afin de ramener ces trois femmes à leur mort véritable, je déposai dans la tombe de Dracula quelques hosties, afin d'en bannir le Nom-mort à jamais. Alors, commença ma terrible tâche. Je la redoutai.