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Bram Stoker - Dracula, Part (76)

Part (76)

Il est près de la côte ; il a quitté sa caisse de terre. Mais il lui faut encore prendre pied sur le sol. Pendant la nuit, il peut encore se coucher, caché quelque part, mais s'il n'est pas transporté sur la côte, ou si le navire ne la touche pas directement, il ne peut débarquer. Dans ce cas il peut, s'il fait nuit, changer de forme, et donc gagner la côte en sautant ou en volant, comme il le fit à Whitby. Mais si le jour se lève avant qu'il n'ait débarqué, alors, il ne peut s'échapper, à moins qu'on le transporte. Et si on le transporte, alors les agents des douanes pourraient bien découvrir ce que contient la caisse. Donc, pour conclure, s'il ne gagne pas la côte cette nuit, ou avant l'aube, il perdra une journée entière et nous pourrons donc arriver à temps : et s'il ne s'échappe pas la nuit, nous tomberons sur lui en plein jour, enfermé dans sa caisse et à notre merci. Car il n'osera pas se révéler sous sa vraie forme, éveillé et visible, de peur d'être découvert. » Il n'y avait rien de plus à dire, et nous patientâmes donc jusqu'à l'aube, moment où nous serions en mesure d'en apprendre plus par l'intermédiaire de Mrs. Harker. Tôt le matin, nous attendions, le souffle coupé par l'angoisse, d'entendre ce qu'elle nous dirait dans son état de transe. Elle mit encore plus longtemps à atteindre un état hypnotique, et lorsqu'il vint enfin, le temps qui restait avant le complet lever du soleil était si court que nous commencions à désespérer. Van Helsing semblait jeter toute son âme dans cet effort. Enfin, se soumettant à sa volonté, Mrs. Harker lui répondit : « Tout est noir. J'entends les clapotis de l'eau, au même niveau que moi, et comme des craquements de bois. » Elle fit une pause, et alors le soleil rouge jaillit au-dessus de l'horizon. Nous allions devoir attendre jusqu'à ce soir. Et c'est ainsi que nous poursuivîmes notre voyage vers Galatz dans les affres de l'angoisse. Nous devions arriver entre deux et trois heures du matin, mais déjà à Bucarest, nous avons trois heures de retard ; il est donc impossible que nous arrivions avant le lever du soleil. D'ici là nous aurons donc encore deux séances d'hypnotisme avec Mrs. Harker, et l'une ou l'autre nous éclairera peut-être sur les évènements.

Plus tard. A nouveau, le coucher du soleil. Heureusement, il n'y avait rien pour nous distraire à ce moment, car si cela s'était produit lorsque nous étions en gare, nous n'aurions pas été en mesure de nous assurer le calme et l'isolement nécessaires. Mrs. Harker se soumit à l'influence hypnotique encore moins promptement que ce matin. Je crains que ses capacités à partager les sensations du Comte ne soit en train de s'affaiblir, et ceci juste au moment où nous en avons le plus besoin. Il me semble que son imagination commence à travailler, alors que jusqu'ici, lorsqu'elle était en transe, elle se limitait aux faits les plus simples. Cela pourrait à terme nous induire en erreur. Si je pensais que le pouvoir du Comte sur elle décroît dans les mêmes proportions, ce serait une pensée rassurante, mais je crains que cela ne soit pas le cas. Lorsqu'elle se mit à parler, ses paroles furent énigmatiques : « Quelque chose s'éloigne. Je sens que cela passe sur moi comme un vent glacial. J'entends, au loin, des sons confus – comme des hommes parlant des langues étrangères, et aussi une cascade d'eau furieuse, et le hurlement des loups. » Elle s'arrêta et fut secouée d'un frisson, qui gagna en intensité pendant quelques secondes, puis elle sembla à la fin comme frappée de paralysie. Elle ne dit plus rien, et ne répondit même pas aux questions impérieuses du Professeur. Quand elle sortit de la transe, elle avait froid, elle était épuisée et alanguie, mais son esprit était vif. Elle ne se rappelait de rien, et nous demanda ce qu'elle avait dit. Lorsqu'elle l'apprit, elle y réfléchit en silence, profondément, pendant un long moment. 30 octobre, après-midi. Nous approchons de Galatz, et je n'aurai peut-être plus le temps d'écrire par la suite. Ce matin, nous attendions tous avec inquiétude le lever du soleil. Van Helsing commença ses passes plus tôt que d'habitude, car il était conscient de la difficulté croissante à faire entrer en transe Mrs. Harker. Mais elles ne produisirent aucun effet, jusqu'à ce qu'enfin elle se soumette, à l'heure habituelle, avec toujours plus de difficultés, une minute avant le lever du soleil. Le Professeur ne perdit pas de temps en questions inutiles, et les réponses de Mrs. Harker vinrent avec une égale promptitude : « Tout est noir. J'entends le bruit de l'eau, au même niveau que moi, et le craquement du bois sur le bois. Du bétail, au loin. Il y a un autre son, un son étrange, comme – elle s'interrompit, et devint pâle, de plus en plus pâle. « Continuez, continuez ! Parlez, je vous l'ordonne ! » dit Van Helsing d'une voix tourmentée. Et en même temps, il y avait du désespoir dans sa voix, car le soleil levant rougissait même le pâle visage de Mrs. Harker. Elle ouvrit les yeux, et nous sursautâmes tous quand elle dit, d'une voix douce et avec en apparence une totale insouciance : « Oh, Professeur, pourquoi me demandez-vous ce qui, vous le savez, m'est impossible ? Je ne me rappelle rien. » Alors, voyant la stupéfaction qui se peignait sur nos visages, elle dit, se tournant successivement vers chacun d'entre nous, d'un air troublé : « Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? Je ne sais rien, si ce n'est que j'étais étendue ici, à demi endormie, et que je vous ai entendu crier : ‘Continuez, continuez ! Parlez, je vous l'ordonne !'. C'était si étrange de vous entendre me donner ainsi des ordres, comme si j'étais un enfant désobéissant ! » « Oh, Madam Mina » répondit-il tristement, « Cela prouve, s'il en était besoin, combien je vous aime et vous respecte ; ces mots plus vifs que d'ordinaire, étaient prononcés pour votre bien. Il peut sembler étrange que je donne ainsi des ordres à celle à laquelle je m'empresserais d'obéir ! » Les sifflets annoncent que nous approchons de Galatz. Nous brûlons d'angoisse et d'excitation. Journal de Mina Harker, 30 0ctobre Mr Morris, qui est celui dont les autres pouvaient le plus facilement se passer, puisqu'il ne parle aucune langue étrangère, m'a emmenée à l'hôtel où des chambres avaient été réservées par le télégraphe. Les rôles ont été répartis à peu près de la même manière qu'à Varna, sauf que Lord Godalming s'est rendu chez le Vice-Consul, parce que son rang, dans notre extrême

urgence, peut servir de garantie immédiate pour les autorités. Jonathan et les deux docteurs sont allés voir l'officier maritime pour en savoir plus sur les circonstances de l'arrivée du Czarina Catherine. Plus tard Lord Godalming est revenu. Le consul est absent, et le Vice-Consul, malade. Aussi les affaires courantes sont-elles expédiées par un clerc. Il s'est montré très obligeant, et a offert sa pleine coopération. Journal de Jonathan Harker , 30 octobre. A neuf heures, le Dr. Van Helsing, le Dr. Seward et moi-même rendîmes visite à Messrs. Mackenzie & Steinkoff, agents de la firme londonienne Hapgood. Ils avaient reçu un câble de Londres, en réponse à la demande par télégramme de Lord Godalming, les enjoignant de se mettre à notre disposition. Ils furent particulièrement aimables et courtois, et nous conduisirent à bord du Czarina Catherine, qui était ancré dans le port fluvial. Là, nous rencontrâmes le capitaine, un nommé Donelson, qui nous parla de son voyage. Il nous dit que de toute sa vie, jamais il n'avait fait une course dans des conditions aussi favorables. « Mon vieux » dit-il, « Ca nous f'sait même peur, parce qu'on pensait qu'on aurait à payer ça plus tard avec un bon coup d'malchance, histoire d'faire une moyenne. C'est pas prudent d'naviguer d'puis Londres jusqu'à la Mer Noire avec un vent arrière, comme si l'diable soufflait lui-même sur nos voiles pour ses prop'z-affaires. Et par moments on pouvait rien voir du tout : dès qu'on approchait d'un navire, ou d'un port, ou de la côte, y avait un brouillard qui tombait sur nous et qui voyageait avec nous, et quand y nous quittait et qu'on regardait autour de nous, y avait plus rien à voir. On a passé Gibraltar sans êt' capables de nous signaler, et jusqu'à c'qu'on arrive aux Dardanelles et qu'on attende l'autorisation d'passer, on n'a jamais été en vue de quoi que ce soit. Au début j' pensais plutôt amener les voiles et louvoyer en attendant qu'le brouillard se lève, mais aussi, j'me suis dit qu'si l'diable avait décidé d'nous am'ner vite à la Mer Noire, y s'rait bien capable de l'faire quand même, quoi qu'on fasse. Si on f'sait l'voyage rapidement, ça serait plutôt bon pour not'réputation auprès d'l'armateur, et pas mauvais pour nos affaires, et l'vieux Satan aurait atteint son but, et y nous s'rait sans doute bien r'connaissant de pas l'avoir contrarié. » Ce mélange de simplicité et de ruse, de superstition et de raisonnement commercial énerva Van Helsing, qui dit : « Mon ami, le diable est plus malin que d'aucuns ne le croient, et il sait à qui il a affaire ! » Le compliment ne déplut pas au marin, qui continua : « Une fois qu'on avait passé l'Bosphore, les hommes ont commencé à murmurer. Certains d'entre eux, les Roumains, sont v'nus m'voir et m'ont d'mandé d'passer par-dessus bord une grande caisse qu'avait été embarquée par un drôle d'vieux bonhomme juste avant qu'on quitte Londres. J'les avais bien vus regarder c'gars-là et tend' deux doigts vers lui quand ils le voyaient, pour s'protéger du mauvais œil. Mais bon ! Les superstitions d'ces étrangers sont vraiment ridicules ! J'les ai renvoyés à leur travail vite fait, mais comme juste après ça l'brouillard nous est tombé d'ssus, je m'demandais s'y z'avaient pas raison, même si jamais j'aurais dit qu'ça v'nait d'cette caisse. Bon, on continue, et comme le brouillard nous a pas quittés pendant cinq jours, j'ai juste laissé le vent nous pousser, parce que si le diable voulait nous emmener queque part, eh ben, il y arriverait d'toute façon. Et sinon, eh ben on resterait vigilants. Mais c'qu'est sûr, c'est qu'on a fait bonne route sur des eaux bien profondes tout l'temps, et y'a deux jours, quand l'soleil du matin a percé l'brouillard, on était rendus sur l'fleuve en face de Galatz. Les Roumains étaient comme fous, et y voulaient que j'prenne la caisse et que j'la balance par-dessus bord dans l'fleuve. J'ai dû discuter d'ça avec eux avec un bâton à la main, et quand l'dernier d'entre eux a quitté le pont en s'tenant la tête à deux mains, j'avais réussi à les convaincre que, mauvais œil ou pas, la propriété des armateurs et la confiance qu'y-z-ont en moi étaient mieux placés s'ils restaient entre mes mains que s'y-z-allaient au fond du Danube. Figurez-vous qu'y-z-avaient déjà hissé la caisse sur le pont, prête à être balancée, et comme c'était marqué d'ssus Galatz via Varna, je pensais que j'pourrais là laisser là après avoir déchargé au port, et m'en débarrasser. On n'a pas beaucoup avancé ce jour-là, et on a dû rester toute la nuit à l'ancre, mais au p'tit matin, une heure avant l'lever du soleil, un homme est monté à bord avec un papier, qui lui v'nait d'Angleterre, qui lui ordonnait de prend' livraison d'une caisse adressée à un certain Comte Dracula. C'est sûr qu'c'était bien pour lui ; il avait les papiers qu'y fallait, et j'étais bien content d'me débarrasser d'cette saleté, parce que ça

commençait à m'inquiéter moi aussi. Si l'diable avait des bagages à bord du navire, j'crois bien qu'c'était cette caisse là et rien d'autre ! » « Et quel était le nom de l'homme qui en prit livraison ? » demanda Van Helsing, en contenant son impatience. » « J'vais vous l'dire ! » répondit-il, et, descendant dans sa cabine, il produisit un reçu signé : Immanuel Hildesheim, résidant au 16, Burgen-Starsse. Nous comprîmes bien vite que le capitaine n'en savait pas plus, aussi, après l'avoir remercié, nous prîmes congé.

Part (76) Anteil (76) Part (76) パート (76)

Il est près de la côte ; il a quitté sa caisse de terre. Mais il lui faut encore prendre pied sur le sol. Pendant la nuit, il peut encore se coucher, caché quelque part, mais s'il n'est pas transporté sur la côte, ou si le navire ne la touche pas directement, il ne peut débarquer. Dans ce cas il peut, s'il fait nuit, changer de forme, et donc gagner la côte en sautant ou en volant, comme il le fit à Whitby. Mais si le jour se lève avant qu'il n'ait débarqué, alors, il ne peut s'échapper, à moins qu'on le transporte. Et si on le transporte, alors les agents des douanes pourraient bien découvrir ce que contient la caisse. Donc, pour conclure, s'il ne gagne pas la côte cette nuit, ou avant l'aube, il perdra une journée entière et nous pourrons donc arriver à temps : et s'il ne s'échappe pas la nuit, nous tomberons sur lui en plein jour, enfermé dans sa caisse et à notre merci. Car il n'osera pas se révéler sous sa vraie forme, éveillé et visible, de peur d'être découvert. » Il n'y avait rien de plus à dire, et nous patientâmes donc jusqu'à l'aube, moment où nous serions en mesure d'en apprendre plus par l'intermédiaire de Mrs. Harker. Tôt le matin, nous attendions, le souffle coupé par l'angoisse, d'entendre ce qu'elle nous dirait dans son état de transe. Elle mit encore plus longtemps à atteindre un état hypnotique, et lorsqu'il vint enfin, le temps qui restait avant le complet lever du soleil était si court que nous commencions à désespérer. Van Helsing semblait jeter toute son âme dans cet effort. Enfin, se soumettant à sa volonté, Mrs. Harker lui répondit : « Tout est noir. J'entends les clapotis de l'eau, au même niveau que moi, et comme des craquements de bois. » Elle fit une pause, et alors le soleil rouge jaillit au-dessus de l'horizon. Nous allions devoir attendre jusqu'à ce soir. Et c'est ainsi que nous poursuivîmes notre voyage vers Galatz dans les affres de l'angoisse. Nous devions arriver entre deux et trois heures du matin, mais déjà à Bucarest, nous avons trois heures de retard ; il est donc impossible que nous arrivions avant le lever du soleil. D'ici là nous aurons donc encore deux séances d'hypnotisme avec Mrs. Harker, et l'une ou l'autre nous éclairera peut-être sur les évènements.

Plus tard. A nouveau, le coucher du soleil. Heureusement, il n'y avait rien pour nous distraire à ce moment, car si cela s'était produit lorsque nous étions en gare, nous n'aurions pas été en mesure de nous assurer le calme et l'isolement nécessaires. Mrs. Harker se soumit à l'influence hypnotique encore moins promptement que ce matin. Je crains que ses capacités à partager les sensations du Comte ne soit en train de s'affaiblir, et ceci juste au moment où nous en avons le plus besoin. Il me semble que son imagination commence à travailler, alors que jusqu'ici, lorsqu'elle était en transe, elle se limitait aux faits les plus simples. Cela pourrait à terme nous induire en erreur. Si je pensais que le pouvoir du Comte sur elle décroît dans les mêmes proportions, ce serait une pensée rassurante, mais je crains que cela ne soit pas le cas. Lorsqu'elle se mit à parler, ses paroles furent énigmatiques : « Quelque chose s'éloigne. Je sens que cela passe sur moi comme un vent glacial. J'entends, au loin, des sons confus – comme des hommes parlant des langues étrangères, et aussi une cascade d'eau furieuse, et le hurlement des loups. » Elle s'arrêta et fut secouée d'un frisson, qui gagna en intensité pendant quelques secondes, puis elle sembla à la fin comme frappée de paralysie. Elle ne dit plus rien, et ne répondit même pas aux questions impérieuses du Professeur. Quand elle sortit de la transe, elle avait froid, elle était épuisée et alanguie, mais son esprit était vif. Elle ne se rappelait de rien, et nous demanda ce qu'elle avait dit. Lorsqu'elle l'apprit, elle y réfléchit en silence, profondément, pendant un long moment. 30 octobre, après-midi. Nous approchons de Galatz, et je n'aurai peut-être plus le temps d'écrire par la suite. Ce matin, nous attendions tous avec inquiétude le lever du soleil. Van Helsing commença ses passes plus tôt que d'habitude, car il était conscient de la difficulté croissante à faire entrer en transe Mrs. Harker. Mais elles ne produisirent aucun effet, jusqu'à ce qu'enfin elle se soumette, à l'heure habituelle, avec toujours plus de difficultés, une minute avant le lever du soleil. Le Professeur ne perdit pas de temps en questions inutiles, et les réponses de Mrs. Harker vinrent avec une égale promptitude : « Tout est noir. J'entends le bruit de l'eau, au même niveau que moi, et le craquement du bois sur le bois. Du bétail, au loin. Il y a un autre son, un son étrange, comme – elle s'interrompit, et devint pâle, de plus en plus pâle. « Continuez, continuez ! Parlez, je vous l'ordonne ! » dit Van Helsing d'une voix tourmentée. Et en même temps, il y avait du désespoir dans sa voix, car le soleil levant rougissait même le pâle visage de Mrs. Harker. Elle ouvrit les yeux, et nous sursautâmes tous quand elle dit, d'une voix douce et avec en apparence une totale insouciance : « Oh, Professeur, pourquoi me demandez-vous ce qui, vous le savez, m'est impossible ? Je ne me rappelle rien. » Alors, voyant la stupéfaction qui se peignait sur nos visages, elle dit, se tournant successivement vers chacun d'entre nous, d'un air troublé : « Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? Je ne sais rien, si ce n'est que j'étais étendue ici, à demi endormie, et que je vous ai entendu crier : ‘Continuez, continuez ! Parlez, je vous l'ordonne !'. C'était si étrange de vous entendre me donner ainsi des ordres, comme si j'étais un enfant désobéissant ! » « Oh, Madam Mina » répondit-il tristement, « Cela prouve, s'il en était besoin, combien je vous aime et vous respecte ; ces mots plus vifs que d'ordinaire, étaient prononcés pour votre bien. Il peut sembler étrange que je donne ainsi des ordres à celle à laquelle je m'empresserais d'obéir ! » Les sifflets annoncent que nous approchons de Galatz. Nous brûlons d'angoisse et d'excitation. Journal de Mina Harker, 30 0ctobre Mr Morris, qui est celui dont les autres pouvaient le plus facilement se passer, puisqu'il ne parle aucune langue étrangère, m'a emmenée à l'hôtel où des chambres avaient été réservées par le télégraphe. Les rôles ont été répartis à peu près de la même manière qu'à Varna, sauf que Lord Godalming s'est rendu chez le Vice-Consul, parce que son rang, dans notre extrême

urgence, peut servir de garantie immédiate pour les autorités. Jonathan et les deux docteurs sont allés voir l'officier maritime pour en savoir plus sur les circonstances de l'arrivée du Czarina Catherine. Plus tard Lord Godalming est revenu. Le consul est absent, et le Vice-Consul, malade. Aussi les affaires courantes sont-elles expédiées par un clerc. Il s'est montré très obligeant, et a offert sa pleine coopération. Journal de Jonathan Harker , 30 octobre. A neuf heures, le Dr. Van Helsing, le Dr. Seward et moi-même rendîmes visite à Messrs. Mackenzie & Steinkoff, agents de la firme londonienne Hapgood. Ils avaient reçu un câble de Londres, en réponse à la demande par télégramme de Lord Godalming, les enjoignant de se mettre à notre disposition. Ils furent particulièrement aimables et courtois, et nous conduisirent à bord du Czarina Catherine, qui était ancré dans le port fluvial. Là, nous rencontrâmes le capitaine, un nommé Donelson, qui nous parla de son voyage. Il nous dit que de toute sa vie, jamais il n'avait fait une course dans des conditions aussi favorables. « Mon vieux » dit-il, « Ca nous f'sait même peur, parce qu'on pensait qu'on aurait à payer ça plus tard avec un bon coup d'malchance, histoire d'faire une moyenne. C'est pas prudent d'naviguer d'puis Londres jusqu'à la Mer Noire avec un vent arrière, comme si l'diable soufflait lui-même sur nos voiles pour ses prop'z-affaires. Et par moments on pouvait rien voir du tout : dès qu'on approchait d'un navire, ou d'un port, ou de la côte, y avait un brouillard qui tombait sur nous et qui voyageait avec nous, et quand y nous quittait et qu'on regardait autour de nous, y avait plus rien à voir. On a passé Gibraltar sans êt' capables de nous signaler, et jusqu'à c'qu'on arrive aux Dardanelles et qu'on attende l'autorisation d'passer, on n'a jamais été en vue de quoi que ce soit. Au début j' pensais plutôt amener les voiles et louvoyer en attendant qu'le brouillard se lève, mais aussi, j'me suis dit qu'si l'diable avait décidé d'nous am'ner vite à la Mer Noire, y s'rait bien capable de l'faire quand même, quoi qu'on fasse. Si on f'sait l'voyage rapidement, ça serait plutôt bon pour not'réputation auprès d'l'armateur, et pas mauvais pour nos affaires, et l'vieux Satan aurait atteint son but, et y nous s'rait sans doute bien r'connaissant de pas l'avoir contrarié. » Ce mélange de simplicité et de ruse, de superstition et de raisonnement commercial énerva Van Helsing, qui dit : « Mon ami, le diable est plus malin que d'aucuns ne le croient, et il sait à qui il a affaire ! » Le compliment ne déplut pas au marin, qui continua : « Une fois qu'on avait passé l'Bosphore, les hommes ont commencé à murmurer. Certains d'entre eux, les Roumains, sont v'nus m'voir et m'ont d'mandé d'passer par-dessus bord une grande caisse qu'avait été embarquée par un drôle d'vieux bonhomme juste avant qu'on quitte Londres. J'les avais bien vus regarder c'gars-là et tend' deux doigts vers lui quand ils le voyaient, pour s'protéger du mauvais œil. Mais bon ! Les superstitions d'ces étrangers sont vraiment ridicules ! J'les ai renvoyés à leur travail vite fait, mais comme juste après ça l'brouillard nous est tombé d'ssus, je m'demandais s'y z'avaient pas raison, même si jamais j'aurais dit qu'ça v'nait d'cette caisse. Bon, on continue, et comme le brouillard nous a pas quittés pendant cinq jours, j'ai juste laissé le vent nous pousser, parce que si le diable voulait nous emmener queque part, eh ben, il y arriverait d'toute façon. Et sinon, eh ben on resterait vigilants. Mais c'qu'est sûr, c'est qu'on a fait bonne route sur des eaux bien profondes tout l'temps, et y'a deux jours, quand l'soleil du matin a percé l'brouillard, on était rendus sur l'fleuve en face de Galatz. Les Roumains étaient comme fous, et y voulaient que j'prenne la caisse et que j'la balance par-dessus bord dans l'fleuve. J'ai dû discuter d'ça avec eux avec un bâton à la main, et quand l'dernier d'entre eux a quitté le pont en s'tenant la tête à deux mains, j'avais réussi à les convaincre que, mauvais œil ou pas, la propriété des armateurs et la confiance qu'y-z-ont en moi étaient mieux placés s'ils restaient entre mes mains que s'y-z-allaient au fond du Danube. Figurez-vous qu'y-z-avaient déjà hissé la caisse sur le pont, prête à être balancée, et comme c'était marqué d'ssus Galatz via Varna, je pensais que j'pourrais là laisser là après avoir déchargé au port, et m'en débarrasser. On n'a pas beaucoup avancé ce jour-là, et on a dû rester toute la nuit à l'ancre, mais au p'tit matin, une heure avant l'lever du soleil, un homme est monté à bord avec un papier, qui lui v'nait d'Angleterre, qui lui ordonnait de prend' livraison d'une caisse adressée à un certain Comte Dracula. C'est sûr qu'c'était bien pour lui ; il avait les papiers qu'y fallait, et j'étais bien content d'me débarrasser d'cette saleté, parce que ça

commençait à m'inquiéter moi aussi. Si l'diable avait des bagages à bord du navire, j'crois bien qu'c'était cette caisse là et rien d'autre ! » « Et quel était le nom de l'homme qui en prit livraison ? » demanda Van Helsing, en contenant son impatience. » « J'vais vous l'dire ! » répondit-il, et, descendant dans sa cabine, il produisit un reçu signé : Immanuel Hildesheim, résidant au 16, Burgen-Starsse. Nous comprîmes bien vite que le capitaine n'en savait pas plus, aussi, après l'avoir remercié, nous prîmes congé.