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Bram Stoker - Dracula, Part (75)

Part (75)

Harker entra dans la pièce, l'air tout à fait joyeux, et semblant même oublier ses soucis dans l'accomplissement de ses tâches. En entrant, elle tendit un certain nombre de feuillets dactylographiés à Van Helsing. Il les regarda avec attention, son visage s'éclairant tandis qu'il les parcourait. Puis, tenant les feuillets entre le pouce et l'index, il dit : « Ami John, pour vous, qui avez déjà une certaine expérience, et pour vous aussi, chère Madam Mina, qui êtes encore jeune, voici une leçon : il ne faut jamais craindre de trop réfléchir. Un début de pensée s'agite fréquemment dans mon cerveau, mais j'avais peur de lui laisser prendre toute son envergure. Et maintenant que j'en sais beaucoup plus, je reviens à l'origine de ce début de pensée, et je me rends compte qu'il ne s'agissait pas du tout d'un début de pensée, mais d'une pensée complète, même si elle est si jeune qu'elle n'est pas encore assez forte pour utiliser ses petites ailes. Eh bien, tout comme le ‘Vilain petit canard' de mon ami Hans Andersen, elle n'est pas du tout la pensée d'un canard, mais celle d'un grand cygne qui planera noblement à l'aide de ses vastes ailes, quand le moment sera venu pour lui d'essayer de voler. Ecoutez ; je vous lis ce que Jonathan a écrit : « D'autres de sa race, qui, encore et encore, firent passer à leurs troupes le grand fleuve pour envahir la Turquie, lui qui, une fois battu, revenait encore et encore et encore, même s'il devait laisser sur le champ de bataille ensanglanté ses troupes massacrées, car il savait qu'à la fin, même seul, il triompherait ! » « Qu'est-ce que cela nous apprend ? Pas grand-chose ? Non ! L'esprit infantile du Comte ne voit rien, et en conséquence il parle librement. Votre esprit d'homme ne voit rien, mon esprit d'homme ne voit rien, jusqu'à maintenant. Non ! Mais voici un autre mot prononcé par une personne qui parle sans réfléchir parce qu'elle non plus ne sait pas ce que cela veut dire – ou ce que cela voudrait dire. De la même façon qu'il y a dans la nature des éléments immobiles, qui se mettent en mouvement avec le mouvement général de la nature, et alors crac, voici un éclair de lumière qui emplit le ciel, qui aveugle et tue et détruit ceux qui sont là, mais qui éclaire la terre sur des lieues et des lieues. N'est-ce pas ainsi ? Bien, je vais m'expliquer. Pour commencer, avez-vous déjà étudié la philosophie du crime ? « Oui » et « non ». Vous, John, oui, puisqu'il s'agit là de l'étude de la folie. Vous, non, Madam Mina, car le crime ne vous a jamais approchée – à part une fois. Pourtant, votre esprit fonctionne bien et ne raisonne pas a particulari ad universale. C'est une spécificité des criminels. Elle est si constante, en tous temps et en tous pays, que même la police, qui ne connaît pas grand-chose en philosophie, en est venue à le constater empiriquement. Le criminel répète indéfiniment le même crime – je parle du véritable criminel, qui semble prédestiné au crime, et ne se préoccupe de rien d'autre. Ce criminel ne dispose pas pleinement du cerveau d'un homme. Il est intelligent et rusé, et plein de ressources, mais son cerveau n'a pas la stature d'un cerveau d'homme. C'est avant tout le cerveau d'un enfant. Maintenant, le criminel qui nous préoccupe est lui aussi prédestiné au crime ; lui aussi a le cerveau d'un enfant, et c'est l'enfant qui a agi à travers les actes qu'il a accomplis. Le petit oiseau, le petit poisson, le petit animal n'apprennent pas par des principes, mais empiriquement, et lorsqu'il apprennent, alors ils posent les fondations pour apprendre plus encore. ‘Dos pon sto' disait Archimède. « Donnez-moi un point d'appui, et je pourrai soulever le monde ! » Agir une première fois, voilà le point d'appui par lequel le cerveau d'un enfant devient le cerveau d'un homme, mais jusqu'à ce qu'il ait formulé le désir d'aller plus loin il continuera à répéter les mêmes actions encore et encore, comme il l'a toujours fait auparavant ! Oh, ma chère, je vois que vos yeux sont ouverts, et que pour vous l'éclair de lumière éclaire tout le pays à des lieues et des lieurs à la ronde ! ». En effet Mrs. Harker avait commencé à taper dans ses mains et ses yeux brillaient. Il poursuivit : « Maintenant, c'est vous qui allez parler. Dites à ces deux arides hommes de science qui sont devant vous ce que vous voyez de vos yeux si brillants. » Il lui prit la main, et la garda dans la sienne tandis qu'elle parlait, son index et son pouce placés comme pour prendre son pouls, de façon j'imagine aussi instinctive qu'inconsciente. « Le Comte est un criminel du type le plus classique. Nordau et Lombroso le classifieraient ainsi, et en tant que criminel, son esprit est imparfaitement formé. En conséquence, quand il est confronté à une difficulté, il cherche une solution dans ses habitudes. Son passé est pour nous un indice, et la partie que nous en connaissons – et que nous tenons de ses propres lèvres – nous apprend qu'une fois déjà jadis, alors qu'il traversait ce que Mr. Morris appellerait ‘une mauvaise passe', il a quitté les terres qu'il essayait d'envahir pour retourner dans son propre pays, et alors, sans perdre de vue son but, il s'est préparé à une nouvelle tentative. Il revint, mieux équipé pour accomplir sa tâche, et fut vainqueur. Ainsi donc, il est venu à Londres pour envahir de nouvelles terres. Il a été battu, et lorsque tout espoir de victoire a été perdu, et que son existence même était en danger, il a fui à travers les mers pour regagner son foyer, tout comme il avait fui jadis le pays des turcs en traversant le Danube. » « Bien, bien ! Oh, intelligente jeune femme ! » dit Van Helsing avec enthousiasme, tandis qu'il se penchait pour embrasser sa main. Un moment plus tard il me dit, aussi calmement que s'il s'agissait d'une consultation médicale : « Soixante-douze seulement, malgré toute cette excitation. J'ai bon espoir. » Puis, se retournant vers elle, il lui dit, avec une certaine impatience : « Mais continuez, continuez ! Il y a plus à dire si vous le voulez bien. N'ayez crainte, John et moi sommes au courant. Je le suis en tout cas, et je vous dirai si vous faites erreur. Parlez sans crainte ! » « Je vais essayer, mais vous voudrez bien m'excuser si je vous semble égoïste. » « Non ! N'ayez crainte, vous devez être égoïste, car c'est avant tout à vous que nous pensons ! » « Bien. Comme il est un criminel, il est égoïste, et comme son intellect est limité et que ses actions sont basées sur l'égoïsme, il se limite à un seul but, auquel il se consacre sans aucun remords. Tout comme il s'enfuit jadis par-delà le Danube, laissant ses forces se faire tailler en pièces, il se préoccupe maintenant de se mettre à l'abri, sans se soucier du reste. C'est pourquoi c'est son propre égoïsme qui libère quelque peu mon âme du terrible ascendant qu'il a pris sur moi pendant cette sinistre nuit. Je l'ai senti, je l'ai bien senti ! Dieu soit remercié pour sa grande miséricorde ! Mon âme est plus libre qu'elle ne l'a jamais été depuis ce moment abominable, et je ne crains qu'une chose, c'est qu'il n'ait utilisé mes connaissances à ses propres fins, tandis que j'étais livrée aux transes ou aux rêves. » Le professeur se leva : « Il a en effet utilisé votre esprit, et par ce moyen il nous a laissés attendre ici à Varna, tandis que le vaisseau qui le transportait se précipitait, enveloppé de brumes, jusqu'à Galatz, où, sans aucun doute, il avait fait des préparatifs afin de nous échapper. Mais son esprit infantile n'a pas vu plus loin, et il se pourrait bien, comme le veut toujours la Providence de Dieu, que ce sur quoi cet être maléfique comptait le plus pour assurer la sécurité de sa personne, devienne la source de ses plus grands maux . Le chasseur est pris à son propre piège, comme le dit le grand psalmiste. Car maintenant qu'il pense qu'il s'est libéré de toute poursuite de notre part, et qu'il nous a échappé, avec tellement d'heures d'avance, alors son cerveau infantile et égoïste va lui chuchoter qu'il faut dormir. Il pense, aussi, que comme il s'est coupé de votre esprit, aucune information en sa possession ne peut parvenir jusqu'à vous, et c'est là qu'il fait erreur ! Ce terrible baptême du sang qu'il vous a infligé vous laisse libre d'aller à lui en esprit, comme vous l'avez déjà fait pendant vos moments de liberté, lorsque le soleil se lève ou se couche. A ces moments, vous allez à lui de par ma propre volonté, et non la sienne, et ce pouvoir de faire le bien pour vous-même et pour les autres, vous l'avez obtenu par la souffrance qu'il vous a infligée de ses mains. Cette faculté est d'autant plus précieuse que le Comte l'ignore, et afin de se protéger, il s'est même coupé de tout moyen d'obtenir des informations sur nous. Nous, toutefois, ne sommes pas égoïstes, et nous pensons que Dieu reste à nos côtés à travers toutes ces ténèbres, et toutes ces heures sombres. Nous allons le traquer, et nous ne faiblirons pas, même si nous risquons nous-mêmes de devenir semblables à lui. Ami John, ceci fut un grand moment, qui a fait beaucoup pour avancer nos affaires. Soyez notre scribe et couchez tout cela sur le papier, afin que lorsque les autres auront accompli leurs tâches, vous puissiez le leur faire connaître ; ainsi ils sauront ce que nous savons. » Et c'est ainsi que j'ai écrit en attendant leur retour, et que Mrs. Harker a tout dactylographié, grâce à la machine qu'elle a apportée avec elle.

Chapitre 26 Journal du Docteur Seward 29 octobre. J'écris ceci dans le train qui me transporte de Varna à Galatz. Hier soir nous nous sommes brièvement réunis un peu avant l'heure du coucher du soleil. Chacun d'entre nous avait accompli ses tâches du mieux qu'il avait pu. Si l'intelligence, l'opiniâtreté et la chance sont avec nous, nous sommes préparés pour notre voyage, et pour ce que nous aurons à faire une fois à Galatz. A l'heure habituelle, Mrs. Harker s'est préparée à sa séance d'hypnotisme, et après un effort plus long et plus sérieux pour Van Helsing qu'il n'est habituellement nécessaire, elle est entrée en transe. D'ordinaire, elle se mettait à parler au premier signe, mais cette fois, le Professeur dut lui poser des questions, et d'un ton plutôt résolu, avant que nous puissions apprendre quoi que ce soit. La réponse finit par venir : « Je ne puis rien voir ; nous sommes immobiles, il n'y a pas de vagues, seulement le clapotis continuel de l'eau qui s'écoule doucement contre la haussière. J'entends des voix d'hommes qui appellent, certaines proches, d'autres éloignées, et le roulement et le craquement des rames contre les dames de nage. Quelque part un coup de feu est tiré, l'écho en semble très lointain. J'entends des piétinements au-dessus de moi, et on tire des cordes et des chaînes. Qu'est-ce que ceci ? Il y a un rayon de lumière. Je sens le vent souffler sur moi. » Là, elle s'arrêta. Comme sous le coup d'une impulsion, elle s'était relevée du sofa où elle était étendue, et elle leva les deux mains, les paumes en l'air, comme si elle soulevait un poids. Van Helsing et moi-même nous regardâmes l'un l'autre d'un air entendu. Quincey releva légèrement les sourcils et la regarda intensément, tandis que la main de Harker se refermait instinctivement sur la poignée de son Kukri. Il y eut une longue pause. Nous savions tous que bientôt Mrs. Harker ne pourrait plus nous parler, mais nous sentions qu'il était inutile de dire quoi que ce soit. Soudain elle se rassit, et tandis qu'elle ouvrait les yeux, elle dit doucement : « L'un de vous aimerait-il une tasse de thé ? Vous devez tous être si fatigués ! » Nous avions envie de lui faire plaisir, et nous acceptâmes. Elle partit préparer le thé, et lorsqu'elle fut sortie, Van Helsing dit : « Vous voyez, mes amis.

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Harker entra dans la pièce, l'air tout à fait joyeux, et semblant même oublier ses soucis dans l'accomplissement de ses tâches. En entrant, elle tendit un certain nombre de feuillets dactylographiés à Van Helsing. Il les regarda avec attention, son visage s'éclairant tandis qu'il les parcourait. Puis, tenant les feuillets entre le pouce et l'index, il dit : « Ami John, pour vous, qui avez déjà une certaine expérience, et pour vous aussi, chère Madam Mina, qui êtes encore jeune, voici une leçon : il ne faut jamais craindre de trop réfléchir. Un début de pensée s'agite fréquemment dans mon cerveau, mais j'avais peur de lui laisser prendre toute son envergure. Et maintenant que j'en sais beaucoup plus, je reviens à l'origine de ce début de pensée, et je me rends compte qu'il ne s'agissait pas du tout d'un début de pensée, mais d'une pensée complète, même si elle est si jeune qu'elle n'est pas encore assez forte pour utiliser ses petites ailes. Eh bien, tout comme le ‘Vilain petit canard' de mon ami Hans Andersen, elle n'est pas du tout la pensée d'un canard, mais celle d'un grand cygne qui planera noblement à l'aide de ses vastes ailes, quand le moment sera venu pour lui d'essayer de voler. Ecoutez ; je vous lis ce que Jonathan a écrit : « D'autres de sa race, qui, encore et encore, firent passer à leurs troupes le grand fleuve pour envahir la Turquie, lui qui, une fois battu, revenait encore et encore et encore, même s'il devait laisser sur le champ de bataille ensanglanté ses troupes massacrées, car il savait qu'à la fin, même seul, il triompherait ! » « Qu'est-ce que cela nous apprend ? Pas grand-chose ? Non ! L'esprit infantile du Comte ne voit rien, et en conséquence il parle librement. Votre esprit d'homme ne voit rien, mon esprit d'homme ne voit rien, jusqu'à maintenant. Non ! Mais voici un autre mot prononcé par une personne qui parle sans réfléchir parce qu'elle non plus ne sait pas ce que cela veut dire – ou ce que cela voudrait dire. De la même façon qu'il y a dans la nature des éléments immobiles, qui se mettent en mouvement avec le mouvement général de la nature, et alors crac, voici un éclair de lumière qui emplit le ciel, qui aveugle et tue et détruit ceux qui sont là, mais qui éclaire la terre sur des lieues et des lieues. N'est-ce pas ainsi ? Bien, je vais m'expliquer. Pour commencer, avez-vous déjà étudié la philosophie du crime ? « Oui » et « non ». Vous, John, oui, puisqu'il s'agit là de l'étude de la folie. Vous, non, Madam Mina, car le crime ne vous a jamais approchée – à part une fois. Pourtant, votre esprit fonctionne bien et ne raisonne pas a particulari ad universale. C'est une spécificité des criminels. Elle est si constante, en tous temps et en tous pays, que même la police, qui ne connaît pas grand-chose en philosophie, en est venue à le constater empiriquement. Le criminel répète indéfiniment le même crime – je parle du véritable criminel, qui semble prédestiné au crime, et ne se préoccupe de rien d'autre. Ce criminel ne dispose pas pleinement du cerveau d'un homme. Il est intelligent et rusé, et plein de ressources, mais son cerveau n'a pas la stature d'un cerveau d'homme. C'est avant tout le cerveau d'un enfant. Maintenant, le criminel qui nous préoccupe est lui aussi prédestiné au crime ; lui aussi a le cerveau d'un enfant, et c'est l'enfant qui a agi à travers les actes qu'il a accomplis. Le petit oiseau, le petit poisson, le petit animal n'apprennent pas par des principes, mais empiriquement, et lorsqu'il apprennent, alors ils posent les fondations pour apprendre plus encore. ‘Dos pon sto' disait Archimède. « Donnez-moi un point d'appui, et je pourrai soulever le monde ! » Agir une première fois, voilà le point d'appui par lequel le cerveau d'un enfant devient le cerveau d'un homme, mais jusqu'à ce qu'il ait formulé le désir d'aller plus loin il continuera à répéter les mêmes actions encore et encore, comme il l'a toujours fait auparavant ! Oh, ma chère, je vois que vos yeux sont ouverts, et que pour vous l'éclair de lumière éclaire tout le pays à des lieues et des lieurs à la ronde ! ». En effet Mrs. Harker avait commencé à taper dans ses mains et ses yeux brillaient. Il poursuivit : « Maintenant, c'est vous qui allez parler. Dites à ces deux arides hommes de science qui sont devant vous ce que vous voyez de vos yeux si brillants. » Il lui prit la main, et la garda dans la sienne tandis qu'elle parlait, son index et son pouce placés comme pour prendre son pouls, de façon j'imagine aussi instinctive qu'inconsciente. « Le Comte est un criminel du type le plus classique. Nordau et Lombroso le classifieraient ainsi, et en tant que criminel, son esprit est imparfaitement formé. En conséquence, quand il est confronté à une difficulté, il cherche une solution dans ses habitudes. Son passé est pour nous un indice, et la partie que nous en connaissons – et que nous tenons de ses propres lèvres – nous apprend qu'une fois déjà jadis, alors qu'il traversait ce que Mr. Morris appellerait ‘une mauvaise passe', il a quitté les terres qu'il essayait d'envahir pour retourner dans son propre pays, et alors, sans perdre de vue son but, il s'est préparé à une nouvelle tentative. Il revint, mieux équipé pour accomplir sa tâche, et fut vainqueur. Ainsi donc, il est venu à Londres pour envahir de nouvelles terres. Il a été battu, et lorsque tout espoir de victoire a été perdu, et que son existence même était en danger, il a fui à travers les mers pour regagner son foyer, tout comme il avait fui jadis le pays des turcs en traversant le Danube. » « Bien, bien ! Oh, intelligente jeune femme ! » dit Van Helsing avec enthousiasme, tandis qu'il se penchait pour embrasser sa main. Un moment plus tard il me dit, aussi calmement que s'il s'agissait d'une consultation médicale : « Soixante-douze seulement, malgré toute cette excitation. J'ai bon espoir. » Puis, se retournant vers elle, il lui dit, avec une certaine impatience : « Mais continuez, continuez ! Il y a plus à dire si vous le voulez bien. N'ayez crainte, John et moi sommes au courant. Je le suis en tout cas, et je vous dirai si vous faites erreur. Parlez sans crainte ! » « Je vais essayer, mais vous voudrez bien m'excuser si je vous semble égoïste. » « Non ! N'ayez crainte, vous devez être égoïste, car c'est avant tout à vous que nous pensons ! » « Bien. Comme il est un criminel, il est égoïste, et comme son intellect est limité et que ses actions sont basées sur l'égoïsme, il se limite à un seul but, auquel il se consacre sans aucun remords. Tout comme il s'enfuit jadis par-delà le Danube, laissant ses forces se faire tailler en pièces, il se préoccupe maintenant de se mettre à l'abri, sans se soucier du reste. C'est pourquoi c'est son propre égoïsme qui libère quelque peu mon âme du terrible ascendant qu'il a pris sur moi pendant cette sinistre nuit. Je l'ai senti, je l'ai bien senti ! Dieu soit remercié pour sa grande miséricorde ! Mon âme est plus libre qu'elle ne l'a jamais été depuis ce moment abominable, et je ne crains qu'une chose, c'est qu'il n'ait utilisé mes connaissances à ses propres fins, tandis que j'étais livrée aux transes ou aux rêves. » Le professeur se leva : « Il a en effet utilisé votre esprit, et par ce moyen il nous a laissés attendre ici à Varna, tandis que le vaisseau qui le transportait se précipitait, enveloppé de brumes, jusqu'à Galatz, où, sans aucun doute, il avait fait des préparatifs afin de nous échapper. Mais son esprit infantile n'a pas vu plus loin, et il se pourrait bien, comme le veut toujours la Providence de Dieu, que ce sur quoi cet être maléfique comptait le plus pour assurer la sécurité de sa personne, devienne la source de ses plus grands maux . Le chasseur est pris à son propre piège, comme le dit le grand psalmiste. Car maintenant qu'il pense qu'il s'est libéré de toute poursuite de notre part, et qu'il nous a échappé, avec tellement d'heures d'avance, alors son cerveau infantile et égoïste va lui chuchoter qu'il faut dormir. Il pense, aussi, que comme il s'est coupé de votre esprit, aucune information en sa possession ne peut parvenir jusqu'à vous, et c'est là qu'il fait erreur ! Ce terrible baptême du sang qu'il vous a infligé vous laisse libre d'aller à lui en esprit, comme vous l'avez déjà fait pendant vos moments de liberté, lorsque le soleil se lève ou se couche. A ces moments, vous allez à lui de par ma propre volonté, et non la sienne, et ce pouvoir de faire le bien pour vous-même et pour les autres, vous l'avez obtenu par la souffrance qu'il vous a infligée de ses mains. Cette faculté est d'autant plus précieuse que le Comte l'ignore, et afin de se protéger, il s'est même coupé de tout moyen d'obtenir des informations sur nous. Nous, toutefois, ne sommes pas égoïstes, et nous pensons que Dieu reste à nos côtés à travers toutes ces ténèbres, et toutes ces heures sombres. Nous allons le traquer, et nous ne faiblirons pas, même si nous risquons nous-mêmes de devenir semblables à lui. Ami John, ceci fut un grand moment, qui a fait beaucoup pour avancer nos affaires. Soyez notre scribe et couchez tout cela sur le papier, afin que lorsque les autres auront accompli leurs tâches, vous puissiez le leur faire connaître ; ainsi ils sauront ce que nous savons. » Et c'est ainsi que j'ai écrit en attendant leur retour, et que Mrs. Harker a tout dactylographié, grâce à la machine qu'elle a apportée avec elle.

Chapitre 26 Journal du Docteur Seward 29 octobre. J'écris ceci dans le train qui me transporte de Varna à Galatz. Hier soir nous nous sommes brièvement réunis un peu avant l'heure du coucher du soleil. Chacun d'entre nous avait accompli ses tâches du mieux qu'il avait pu. Si l'intelligence, l'opiniâtreté et la chance sont avec nous, nous sommes préparés pour notre voyage, et pour ce que nous aurons à faire une fois à Galatz. A l'heure habituelle, Mrs. Harker s'est préparée à sa séance d'hypnotisme, et après un effort plus long et plus sérieux pour Van Helsing qu'il n'est habituellement nécessaire, elle est entrée en transe. D'ordinaire, elle se mettait à parler au premier signe, mais cette fois, le Professeur dut lui poser des questions, et d'un ton plutôt résolu, avant que nous puissions apprendre quoi que ce soit. La réponse finit par venir : « Je ne puis rien voir ; nous sommes immobiles, il n'y a pas de vagues, seulement le clapotis continuel de l'eau qui s'écoule doucement contre la haussière. J'entends des voix d'hommes qui appellent, certaines proches, d'autres éloignées, et le roulement et le craquement des rames contre les dames de nage. Quelque part un coup de feu est tiré, l'écho en semble très lointain. J'entends des piétinements au-dessus de moi, et on tire des cordes et des chaînes. Qu'est-ce que ceci ? Il y a un rayon de lumière. Je sens le vent souffler sur moi. » Là, elle s'arrêta. Comme sous le coup d'une impulsion, elle s'était relevée du sofa où elle était étendue, et elle leva les deux mains, les paumes en l'air, comme si elle soulevait un poids. Van Helsing et moi-même nous regardâmes l'un l'autre d'un air entendu. Quincey releva légèrement les sourcils et la regarda intensément, tandis que la main de Harker se refermait instinctivement sur la poignée de son Kukri. Il y eut une longue pause. Nous savions tous que bientôt Mrs. Harker ne pourrait plus nous parler, mais nous sentions qu'il était inutile de dire quoi que ce soit. Soudain elle se rassit, et tandis qu'elle ouvrait les yeux, elle dit doucement : « L'un de vous aimerait-il une tasse de thé ? Vous devez tous être si fatigués ! » Nous avions envie de lui faire plaisir, et nous acceptâmes. Elle partit préparer le thé, et lorsqu'elle fut sortie, Van Helsing dit : « Vous voyez, mes amis.