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Bram Stoker - Dracula, Part (53)

Part (53)

Nous savons, par l'enquête de Jonathan, que cinquante boîtes de terre ont été transportées du Château jusqu'à Whitby, et qu'elles ont ensuite été livrées à Carfax; nous savons également qu'au moins certaines de ces boîtes ont été enlevées. Il me semble que la première des étapes devrait être de s'assurer si les boîtes restantes se trouvent toujours dans la maison derrière ce mur, que nous voyons aujourd'hui, ou si d'autres boîtes ont été enlevées. Dans ce dernier cas, nous devons retrouver… » A cet instant, nous fumes interrompus d'une manière très surprenante. De l'extérieur du bâtiment nous parvint le bruit d'un coup de feu; la vitre de la fenêtre fut soufflée par une balle qui, ricochant sur la partie supérieure de l'encadrement, finit sa course dans le mur opposé de la pièce. J'ai grand peur d'être, au fond du coeur, bien lâche, car j'ai poussé un hurlement. Les hommes sautèrent tous sur leurs pieds; Lord Godalming bondit à travers la fenêtre et repoussa le battant. Pendant ce temps, nous entendimes la voix de Mr Morris : « Désolé, je crains de vous avoir effrayés. Je vais rentrer et vous expliquer ». Une minute après il entra effectivement, et dit : « C'était complètement idiot de ma part, et je vous demande pardon, Mrs Harker, très sincèrement. Je crains de vous avoir causé une terrible frayeur. Mais le fait est que tandis que le Professeur parlait, une grosse chauve-souris est arrivée et s'est posée sur le bord de la fenêtre. J'ai une telle horreur de ces satanées bestioles, depuis les récents événements, que je ne peux plus les supporter, et je suis sorti pour la tirer, ainsi que j'ai pris l'habitude de le faire ces derniers soirs, à chaque fois que j'en ai aperçu une. Vous vous êtes même moqué de moi à ce propos, Art. » « L'avez-vous touchée ? » demanda le Dr Van Helsing. « Je ne sais; je crains que non, car elle s'est enfuie à tire d'aile dans le bois. » Sans ajouter un mot il revint à son siège, et le Professeur reprit son exposé. « Nous devons retrouver la trace de chacune de ces boîtes; et quand nous serons prêts, nous devrons soit capturer ou tuer ce monstre dans son repaire; soit, si l'on peut dire, stériliser la terre, afin qu'il ne puisse plus y trouver refuge .Alors, enfin, nous le trouverons peut-être sous sa forme humaine entre midi et le coucher du soleil, et engager le combat avec lui alors qu'il est au plus faible. « Et maintenant, s'agissant de vous, Madam Mina, votre participation s'arrête cette nuit, jusqu'à ce que tout soit heureusement fini. Vous êtes trop précieuse à nos yeux pour que nous vous laissions courir un tel risque. Quand nous nous quitterons ce soir, vous ne devrez plus nous poser de questions. Nous vous dirons tout en temps voulu. Nous sommes des hommes, et donc capables de supporter bien des choses; mais vous, vous devez être notre étoile et notre espoir, et nous n'agirons que plus librement si nous vous savons hors du danger où nous sommes nous-mêmes. » Tous les hommes, et même Jonathan, parurent soulagés; mais il ne me semblait pas bon qu'ils bravent le danger, et, peut- être, qu'il mettent en péril leur sécurité - la force étant la meilleure des sécurités - sous prétexte de me protéger… Malheureusement, leur décision était prise, et, quelque difficile à avaler que soit cette couleuvre, je ne pus rien dire, à part accepter leur protection chevaleresque. Mr Morris reprit la discussion :

« Comme il n'y a pas de temps à perdre, je propose que nous allions jeter un oeil à cette maison sur le champ. Le temps fait tout, dans ce combat, et une action rapide de notre part pourrait bien sauver une autre victime. » Je reconnais que le coeur me manqua lorsque le passage à l'action fut imminent, mais je ne dis rien, car je craignais encore plus qu'en leur apparaissant comme un frein ou un embarras dans leur travail, ils ne décident de me laisser carrément en dehors de leurs conciliabules. Ils sont maintenant tous partis à Carfax, bardés de l'équipement nécessaire pour pénétrer dans la maison. Pendant ce temps, ils m'ont dit d'aller au lit et de dormir - comme si une femme pouvait dormir quand ceux qu'elle aime sont en danger ! Je vais m'allonger et faire semblant de dormir, pour éviter que Jonathan n'éprouve une anxiété supplémentaire à mon sujet à son retour. Journal du Dr. Seward 1er octobre, quatre heures. Alors que nous nous préparions à sortir, un message urgent de Renfield me fut remis pour me demander de venir le voir immédiatement : il avait en effet une information de la plus haute importance à me communiquer. Je répondis au messager que je passerais le voir le lendemain matin, étant pour l'heure très occupé. Le surveillant répondit : « Il était très pressant, Sir. Je ne l'ai jamais vu aussi impatient. J'ignore de quoi il s'agit, mais si vous ne le voyez pas rapidement, il aura un nouvel accès de violence. » Je savais qu'il n'aurait pas parlé ainsi sans une bonne raison. « Très bien, je vais y aller maintenant », et je demandai aux autres de m'attendre quelques minutes, car je devais aller voir mon patient. « Emmenez-moi avec vous, ami John », dit le Professeur. « Ce que vous avez rapporté de son cas dans votre journal m'intéresse au plus haut point, et il y a de plus des liens avec notre affaire. J'aimerais beaucoup le voir, et particulièrement lorsque son esprit est perturbé. » « Puis-je venir également ? » demanda Lord Godalming. « Et moi » dit Quincey Morris. « Puis-je venir ? » demanda Harker. J'acceptai, et nous descendîmes tous ensemble. Nous le trouvâmes dans un état de grande agitation, mais plus rationnel que jamais dans son discours et dans ses manières. Il avait une étonnante conscience de lui-même et de son état, cas que je n'avais jamais rencontré auparavant chez un aliéné, et il tenait pour acquis que ses raisons l'emporteraient sur toutes celles que nous pourrions lui opposer. Nous entrâmes tous les quatre dans la pièce, mais les autres ne prononcèrent pas un mot. Sa demande était d'être relâché immédiatement, et reconduit chez lui. A l'appui de cette requête, il faisait état de sa complète guérison et de sa parfaite santé mentale. « J'en appelle à vos amis » dit-il, « peut-être accepteront-ils de donner leur avis sur mon cas. Et d'ailleurs, vous ne m'avez pas présenté. » J'étais si surpris, que sur le coup le fait de présenter un fou dans un asile d'aliéné ne me parut pas incongru. Comme, par ailleurs, il faisait preuve d'une certaine dignité dans ses manières, et que je suis habitué à traiter les gens sans distinction de statut, je fis les présentations sur le champ : « Lord Godalming, Professeur Van Helsing, Mr. Quincey Morris, du Texas, Mr. Renfield. » Il serra la main à chacun d'entre eux : « Lord Godalming, j'ai eu l'honneur de servir votre père, à Widham ; je devine, au fait que vous portez le titre, qu'il n'est plus des nôtres. Il était aimé et honoré par tous ceux qui le connaissaient, et j'ai entendu dire que dans sa jeunesse, il avait été l'inventeur d'un punch flambé au rhum, très apprécié les soirs de Derby. Mr. Morris, vous devez être fier de votre grand Etat. Son admission dans l'Union est un précédent qui aura de très lointaines répercussions dans le futur, quand le Pôle et les tropiques prêteront allégeance à la bannière étoilée. Le Traité se révèlera un puissant facteur d'expansion, quand la Doctrine Monroe sera enfin reconnue comme une fable politique. Et que dire du plaisir de rencontrer Van Helsing ? Sir, je ne m'excuse nullement pour avoir délibérément omis toute forme de titre conventionnel. Quand un individu a révolutionné la thérapeutique par sa découverte de l'évolution continue de la matière cérébrale, les formules convenues ne sont plus de mise, car elles sembleraient vouloir le ramener au niveau des autres hommes. Je fais appel à vous, Gentlemen, qui, par votre nationalité,

votre hérédité, ou vos talents naturels, occupez la place qui est la vôtre dans ce monde en perpétuel mouvement, pour témoigner que je suis aussi sain d'esprit que la majorité des hommes qui sont en pleine jouissance de leur liberté. Et je suis certain que vous, Dr. Seward, scientifique humaniste, et versé dans les sciences médico-légales, verrez comme un devoir moral la nécessité d'examiner mon cas dans tout ce qu'il a d'exceptionnel. » Il fit cette demande sur un ton courtois, mais en montrant beaucoup de conviction, ce qui n'était pas sans un certain charme. Je crois que nous étions tous sidérés. Pour ma part, j'étais absolument convaincu, malgré ce que je savais du caractère et de l'histoire de cet homme, qu'il avait recouvré la raison ; j'étais tenté de lui répondre que j'étais tout à fait satisfait quant à sa santé mentale, et que je m'occuperais dans la matinée des formalités nécessaires à sa sortie. Mais je jugeai préférable d'attendre, toutefois, avant de prendre une aussi grave décision, car je savais depuis longtemps à quel point ce patient était sujet à des changements soudains. Je me contentai donc de quelques généralités, remarquant que son état semblait en effet s'améliorer rapidement, et lui disant que nous aurions un entretien un peu plus long dans la matinée, et que je verrais ensuite ce que je pourrais faire pour lui. Cette réponse ne parut pas le satisfaire du tout ; il me répondit tout de suite : « Mais je crains, Dr. Seward, que vous n'ayez pas bien compris ma demande. Je désire partir immédiatement, là, maintenant, en cet instant précis, si c'est possible. Le temps me presse, et c'est dans l'essence même du contrat que j'ai passé avec la Vieille Faucheuse. Je suis certain qu'avec un praticien aussi admirable que le Dr. Seward, il suffit d'énoncer un souhait aussi simple, même s'il est d'une importance capitale, pour qu'il soit immédiatement accepté. » Il me regardait avec espoir, mais, lisant de la désapprobation sur mon visage, il se retourna vers les autres, et les regarda attentivement. Ne percevant aucun signe positif, il continua : « Serait-il possible que je me soie trompé dans mes suppositions ? » « En effet, lui dis-je avec franchise, mais en même temps, je m'en rendis compte, avec une certaine brutalité. Il y eut une longue pause, puis il dit, lentement : « Alors, je pense que je dois vous présenter ma requête autrement. Permettez-moi de vous demander cette concession – cette faveur, ce privilège, ou tout ce que vous voudrez – non pour des motifs personnels, mais pour le salut d'autres personnes. Je n'ai pas la liberté de vous donner toutes mes raisons, mais vous pouvez, je vous assure, me croire lorsque je vous affirme qu'elles sont les meilleures du monde, généreuses et altruistes, et me sont inspirées par un sens élevé du devoir. Si vous pouviez lire dans mon cœur, Sir, vous approuveriez les sentiments qui m'animent. Mieux encore, vous me compteriez parmi vos amis les meilleurs et les plus loyaux. » A nouveau, il nous regardait avec enthousiasme. J'étais de plus en plus convaincu que ce changement soudain dans ses raisonnements n'était rien d'autre qu'une nouvelle forme de sa folie, en conséquence je décidai de continuer encore un peu cette discussion, sachant par expérience qu'il finirait, comme tous les aliénés, par se trahir. Van Helsing le regardait avec beaucoup d'attention, ses sourcils broussailleux se touchant presque, tant il était intensément concentré. Il dit à Renfield, d'un ton qui ne me surprit pas sur le moment, mais seulement lorsque j'y repensai plus tard – car c'était comme s'il s'adressait à un égal : « Ne pouvez-vous pas nous dire la vraie raison pour laquelle vous désirez être libéré ce soir ? Si vous vous en ouvrez à moi – moi, un étranger, sans préjugés, et habitué à garder l'esprit ouvert - je m'engage à ce que le Dr. Seward vous accorde, à ses propres risques et sous sa propre responsabilité, ce que vous lui demandez. » Renfield hocha tristement la tête, et on pouvait lire une expression de poignant regret sur son visage. Le Professeur continua : « Allons, Sir, réfléchissez. Vous prétendez avoir complètement recouvré votre raison, et cherchez à nous impressionner par votre lucidité. Vous, dont nous avons des raisons de douter de la santé mentale, puisque vous n'avez justement pas encore terminé le traitement que vous suivez ici.

Part (53) Anteil (53) Part (53) Parte (53) Parte (53) Часть (53)

Nous savons, par l'enquête de Jonathan, que cinquante boîtes de terre ont été transportées du Château jusqu'à Whitby, et qu'elles ont ensuite été livrées à Carfax; nous savons également qu'au moins certaines de ces boîtes ont été enlevées. Il me semble que la première des étapes devrait être de s'assurer si les boîtes restantes se trouvent toujours dans la maison derrière ce mur, que nous voyons aujourd'hui, ou si d'autres boîtes ont été enlevées. Dans ce dernier cas, nous devons retrouver… » A cet instant, nous fumes interrompus d'une manière très surprenante. De l'extérieur du bâtiment nous parvint le bruit d'un coup de feu; la vitre de la fenêtre fut soufflée par une balle qui, ricochant sur la partie supérieure de l'encadrement, finit sa course dans le mur opposé de la pièce. J'ai grand peur d'être, au fond du coeur, bien lâche, car j'ai poussé un hurlement. Les hommes sautèrent tous sur leurs pieds; Lord Godalming bondit à travers la fenêtre et repoussa le battant. Pendant ce temps, nous entendimes la voix de Mr Morris : « Désolé, je crains de vous avoir effrayés. Je vais rentrer et vous expliquer ». Une minute après il entra effectivement, et dit : « C'était complètement idiot de ma part, et je vous demande pardon, Mrs Harker, très sincèrement. Je crains de vous avoir causé une terrible frayeur. Mais le fait est que tandis que le Professeur parlait, une grosse chauve-souris est arrivée et s'est posée sur le bord de la fenêtre. J'ai une telle horreur de ces satanées bestioles, depuis les récents événements, que je ne peux plus les supporter, et je suis sorti pour la tirer, ainsi que j'ai pris l'habitude de le faire ces derniers soirs, à chaque fois que j'en ai aperçu une. Vous vous êtes même moqué de moi à ce propos, Art. » « L'avez-vous touchée ? » demanda le Dr Van Helsing. « Je ne sais; je crains que non, car elle s'est enfuie à tire d'aile dans le bois. » Sans ajouter un mot il revint à son siège, et le Professeur reprit son exposé. « Nous devons retrouver la trace de chacune de ces boîtes; et quand nous serons prêts, nous devrons soit capturer ou tuer ce monstre dans son repaire; soit, si l'on peut dire, stériliser la terre, afin qu'il ne puisse plus y trouver refuge .Alors, enfin, nous le trouverons peut-être sous sa forme humaine entre midi et le coucher du soleil, et engager le combat avec lui alors qu'il est au plus faible. « Et maintenant, s'agissant de vous, Madam Mina, votre participation s'arrête cette nuit, jusqu'à ce que tout soit heureusement fini. Vous êtes trop précieuse à nos yeux pour que nous vous laissions courir un tel risque. Quand nous nous quitterons ce soir, vous ne devrez plus nous poser de questions. Nous vous dirons tout en temps voulu. Nous sommes des hommes, et donc capables de supporter bien des choses; mais vous, vous devez être notre étoile et notre espoir, et nous n'agirons que plus librement si nous vous savons hors du danger où nous sommes nous-mêmes. » Tous les hommes, et même Jonathan, parurent soulagés; mais il ne me semblait pas bon qu'ils bravent le danger, et, peut- être, qu'il mettent en péril leur sécurité - la force étant la meilleure des sécurités - sous prétexte de me protéger… Malheureusement, leur décision était prise, et, quelque difficile à avaler que soit cette couleuvre, je ne pus rien dire, à part accepter leur protection chevaleresque. Mr Morris reprit la discussion :

« Comme il n'y a pas de temps à perdre, je propose que nous allions jeter un oeil à cette maison sur le champ. Le temps fait tout, dans ce combat, et une action rapide de notre part pourrait bien sauver une autre victime. » Je reconnais que le coeur me manqua lorsque le passage à l'action fut imminent, mais je ne dis rien, car je craignais encore plus qu'en leur apparaissant comme un frein ou un embarras dans leur travail, ils ne décident de me laisser carrément en dehors de leurs conciliabules. Ils sont maintenant tous partis à Carfax, bardés de l'équipement nécessaire pour pénétrer dans la maison. Pendant ce temps, ils m'ont dit d'aller au lit et de dormir - comme si une femme pouvait dormir quand ceux qu'elle aime sont en danger ! Je vais m'allonger et faire semblant de dormir, pour éviter que Jonathan n'éprouve une anxiété supplémentaire à mon sujet à son retour. Journal du Dr. Seward 1er octobre, quatre heures. Alors que nous nous préparions à sortir, un message urgent de Renfield me fut remis pour me demander de venir le voir immédiatement : il avait en effet une information de la plus haute importance à me communiquer. Je répondis au messager que je passerais le voir le lendemain matin, étant pour l'heure très occupé. Le surveillant répondit : « Il était très pressant, Sir. Je ne l'ai jamais vu aussi impatient. J'ignore de quoi il s'agit, mais si vous ne le voyez pas rapidement, il aura un nouvel accès de violence. » Je savais qu'il n'aurait pas parlé ainsi sans une bonne raison. « Très bien, je vais y aller maintenant », et je demandai aux autres de m'attendre quelques minutes, car je devais aller voir mon patient. « Emmenez-moi avec vous, ami John », dit le Professeur. « Ce que vous avez rapporté de son cas dans votre journal m'intéresse au plus haut point, et il y a de plus des liens avec notre affaire. J'aimerais beaucoup le voir, et particulièrement lorsque son esprit est perturbé. » « Puis-je venir également ? » demanda Lord Godalming. « Et moi » dit Quincey Morris. « Puis-je venir ? » demanda Harker. J'acceptai, et nous descendîmes tous ensemble. Nous le trouvâmes dans un état de grande agitation, mais plus rationnel que jamais dans son discours et dans ses manières. Il avait une étonnante conscience de lui-même et de son état, cas que je n'avais jamais rencontré auparavant chez un aliéné, et il tenait pour acquis que ses raisons l'emporteraient sur toutes celles que nous pourrions lui opposer. Nous entrâmes tous les quatre dans la pièce, mais les autres ne prononcèrent pas un mot. Sa demande était d'être relâché immédiatement, et reconduit chez lui. A l'appui de cette requête, il faisait état de sa complète guérison et de sa parfaite santé mentale. « J'en appelle à vos amis » dit-il, « peut-être accepteront-ils de donner leur avis sur mon cas. Et d'ailleurs, vous ne m'avez pas présenté. » J'étais si surpris, que sur le coup le fait de présenter un fou dans un asile d'aliéné ne me parut pas incongru. Comme, par ailleurs, il faisait preuve d'une certaine dignité dans ses manières, et que je suis habitué à traiter les gens sans distinction de statut, je fis les présentations sur le champ : « Lord Godalming, Professeur Van Helsing, Mr. Quincey Morris, du Texas, Mr. Renfield. » Il serra la main à chacun d'entre eux : « Lord Godalming, j'ai eu l'honneur de servir votre père, à Widham ; je devine, au fait que vous portez le titre, qu'il n'est plus des nôtres. Il était aimé et honoré par tous ceux qui le connaissaient, et j'ai entendu dire que dans sa jeunesse, il avait été l'inventeur d'un punch flambé au rhum, très apprécié les soirs de Derby. Mr. Morris, vous devez être fier de votre grand Etat. Son admission dans l'Union est un précédent qui aura de très lointaines répercussions dans le futur, quand le Pôle et les tropiques prêteront allégeance à la bannière étoilée. Le Traité se révèlera un puissant facteur d'expansion, quand la Doctrine Monroe sera enfin reconnue comme une fable politique. Et que dire du plaisir de rencontrer Van Helsing ? Sir, je ne m'excuse nullement pour avoir délibérément omis toute forme de titre conventionnel. Quand un individu a révolutionné la thérapeutique par sa découverte de l'évolution continue de la matière cérébrale, les formules convenues ne sont plus de mise, car elles sembleraient vouloir le ramener au niveau des autres hommes. Je fais appel à vous, Gentlemen, qui, par votre nationalité,

votre hérédité, ou vos talents naturels, occupez la place qui est la vôtre dans ce monde en perpétuel mouvement, pour témoigner que je suis aussi sain d'esprit que la majorité des hommes qui sont en pleine jouissance de leur liberté. Et je suis certain que vous, Dr. Seward, scientifique humaniste, et versé dans les sciences médico-légales, verrez comme un devoir moral la nécessité d'examiner mon cas dans tout ce qu'il a d'exceptionnel. » Il fit cette demande sur un ton courtois, mais en montrant beaucoup de conviction, ce qui n'était pas sans un certain charme. Je crois que nous étions tous sidérés. Pour ma part, j'étais absolument convaincu, malgré ce que je savais du caractère et de l'histoire de cet homme, qu'il avait recouvré la raison ; j'étais tenté de lui répondre que j'étais tout à fait satisfait quant à sa santé mentale, et que je m'occuperais dans la matinée des formalités nécessaires à sa sortie. Mais je jugeai préférable d'attendre, toutefois, avant de prendre une aussi grave décision, car je savais depuis longtemps à quel point ce patient était sujet à des changements soudains. Je me contentai donc de quelques généralités, remarquant que son état semblait en effet s'améliorer rapidement, et lui disant que nous aurions un entretien un peu plus long dans la matinée, et que je verrais ensuite ce que je pourrais faire pour lui. Cette réponse ne parut pas le satisfaire du tout ; il me répondit tout de suite : « Mais je crains, Dr. Seward, que vous n'ayez pas bien compris ma demande. Je désire partir immédiatement, là, maintenant, en cet instant précis, si c'est possible. Le temps me presse, et c'est dans l'essence même du contrat que j'ai passé avec la Vieille Faucheuse. Je suis certain qu'avec un praticien aussi admirable que le Dr. Seward, il suffit d'énoncer un souhait aussi simple, même s'il est d'une importance capitale, pour qu'il soit immédiatement accepté. » Il me regardait avec espoir, mais, lisant de la désapprobation sur mon visage, il se retourna vers les autres, et les regarda attentivement. Ne percevant aucun signe positif, il continua : « Serait-il possible que je me soie trompé dans mes suppositions ? » « En effet, lui dis-je avec franchise, mais en même temps, je m'en rendis compte, avec une certaine brutalité. Il y eut une longue pause, puis il dit, lentement : « Alors, je pense que je dois vous présenter ma requête autrement. Permettez-moi de vous demander cette concession – cette faveur, ce privilège, ou tout ce que vous voudrez – non pour des motifs personnels, mais pour le salut d'autres personnes. Je n'ai pas la liberté de vous donner toutes mes raisons, mais vous pouvez, je vous assure, me croire lorsque je vous affirme qu'elles sont les meilleures du monde, généreuses et altruistes, et me sont inspirées par un sens élevé du devoir. Si vous pouviez lire dans mon cœur, Sir, vous approuveriez les sentiments qui m'animent. Mieux encore, vous me compteriez parmi vos amis les meilleurs et les plus loyaux. » A nouveau, il nous regardait avec enthousiasme. J'étais de plus en plus convaincu que ce changement soudain dans ses raisonnements n'était rien d'autre qu'une nouvelle forme de sa folie, en conséquence je décidai de continuer encore un peu cette discussion, sachant par expérience qu'il finirait, comme tous les aliénés, par se trahir. Van Helsing le regardait avec beaucoup d'attention, ses sourcils broussailleux se touchant presque, tant il était intensément concentré. Il dit à Renfield, d'un ton qui ne me surprit pas sur le moment, mais seulement lorsque j'y repensai plus tard – car c'était comme s'il s'adressait à un égal : « Ne pouvez-vous pas nous dire la vraie raison pour laquelle vous désirez être libéré ce soir ? Si vous vous en ouvrez à moi – moi, un étranger, sans préjugés, et habitué à garder l'esprit ouvert - je m'engage à ce que le Dr. Seward vous accorde, à ses propres risques et sous sa propre responsabilité, ce que vous lui demandez. » Renfield hocha tristement la tête, et on pouvait lire une expression de poignant regret sur son visage. Le Professeur continua : « Allons, Sir, réfléchissez. Vous prétendez avoir complètement recouvré votre raison, et cherchez à nous impressionner par votre lucidité. Vous, dont nous avons des raisons de douter de la santé mentale, puisque vous n'avez justement pas encore terminé le traitement que vous suivez ici.