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Bram Stoker - Dracula, Part (52)

Part (52)

Car si nous échouons dans notre combat, cela signifie qu'il va gagner, et alors que deviendrons-nous ? La vie n'est rien, je ne lui prête pas tant de valeur. Mais un échec, ici, ne serait pas une simple question de vie ou de mort. Cela engage à devenir comme lui; comme lui, de hideuses créatures de la nuit - sans coeur et sans conscience, des prédateurs se repaissant des corps et des âmes de ceux que nous aimons le plus. Devant nous, pour toujours, les portes des cieux seront closes; car qui les rouvrira pour nous ? Nous traverserons l'éternité abhorrés de tous; comme une souillure sur le visage rayonnant de Dieu; une flèche dans le flanc de celui qui est mort pour racheter les hommes. Mais nous faisons face à notre devoir; et dans de telles circonstances, avons-nous le droit de flancher? Pour moi, je dis non; mais je suis vieux, et la vie, avec ses rayons de soleil, ses lieux enchanteurs, ses chants d'oiseaux, sa musique et son amour, est loin derrière moi. Vous autres êtes jeunes. Certains éprouvent du chagrin, mais il vous reste à tous des jours heureux à vivre. Qu'en dites-vous ? » Alors qu'il était en train de parler, Jonathan avait pris ma main. Je craignis – je craignis très fort, quand je vis sa main se tendre - que l'épouvante, face à ce danger, ne le submergeât ; mais je me sentis revivre à son contact - si fort, si plein de confiance, si résolu. La main d'un homme courageux peut parler à sa place; elle n'a même pas besoin de l'amour d'une femme pour comprendre sa musique. Quand le Professeur eut fini de parler, mon mari regarda dans mes yeux, et je regardai dans les siens; nous n'avions nul besoin de nous parler. « Je réponds de Mina et de moi », dit-il. « Comptez-moi sur moi, Professeur », dit Mr Quincey Morris, laconique, comme à l'accoutumée. Le Dr Seward se contenta de hocher la tête. Le Professeur se leva et, après avoir déposé son crucifix d'or sur la table, il tendit ses deux mains de chaque côté. Je pris sa main droite, et Lord Godalming sa main gauche; Jonathan tint ma main droite et donna l'autre à Mr Morris. Et ces mains serrées furent le ciment qui nous lia. Je sentais dans mon coeur un froid glacé, mais il ne me vint même pas à l'esprit de reculer. Nous reprîmes nos places, et le Dr Van Helsing continua avec une chaleur nouvelle, qui indiquait que le vrai travail venait de commencer. Et ce travail devait, comme toute autre affaire dans la vie, être pris au sérieux, avec gravité. « Bien, vous savez à quoi nous devons nous mesurer; mais nous ne sommes pas, nous non plus, dépourvus d'atouts. Nous avons de notre côté la puissance de notre union - une puissance qui est refusée aux vampires; nous avons les ressources de la science; nous sommes libres d'agir et de penser; et les heures du jour et de la nuit nous appartiennent également. En fait, aussi loin que nos pouvoirs s'étendent, ils sont sans entrave, et nous sommes libres d'en user. Nous avons notre dévouement pour notre cause, et un but à accomplir qui n'est pas un but égoïste. Ces choses-là sont d'une grande importance. Et maintenant, voyons toutes les restrictions qui viennent limiter les puissances qui se dressent contre nous; et par quoi l'individu est empêché. En d'autres termes, examinons les limitations des vampires en général, et de celui-ci en particulier.

Ce sur quoi nous devons nous appuyer, ce sont les traditions et les superstitions. Celles-ci ne semblent pas déterminantes, quand il s'agit de vie et de mort – et même quand il s'agit de choses plus graves encore que la vie ou la mort. Et pourtant nous devons nous en satisfaire, tout d'abord parce que nous y sommes obligés, puisque nous ne disposons d'aucun autre moyen - et ensuite parce que, après tout, ces choses que sont la tradition et la superstition, sont l'alpha et l'omega. Est-ce que la croyance dans les vampires ne repose pas entièrement sur elles - même si, hélas, ce n'est pas le cas pour nous ? Il y a un an, lequel d'entre nous aurait accepté une telle possibilité, au milieu de notre dix-neuvième siècle scientifique, sceptique et factuel ? Nous avons même douté d'une croyance que nous voyions pourtant justifiée de nos propres yeux. Nous pouvons donc partir du principe que le vampire, et la croyance dans ses limitations et dans son remède, reposent sur la même base. Car, laissez-moi vous dire que le vampire est connu partout où l'homme s'est développé. Dans la Grèce antique, dans la Rome antique; il a prospéré partout en Allemagne, en France, en Inde, même dans la péninsule du Chersonèse, et il se trouve même en Chine, ce pays si distant de nous à tous les égards, où les gens le craignent encore de nos jours. Il a suivi l'Islandais forcené, le Hun possédé du diable, le Slave, le Saxon, le Magyar. Ainsi donc, nous avons là toute la documentation nécessaire pour agir; et soyez assurés que la plupart de ces croyances se basent sur des faits identiques à ceux qui ont constitué notre douloureuse expérience personnelle. Les vampires survivent, et ne peuvent mourir par le seul passage du temps; ils peuvent croître et se multiplier lorsqu'ils s'abreuvent du sang des vivants. Plus encore, certains d'entre nous ont pu constater qu'ils pouvaient même rajeunir; que leurs facultés vitales s'intensifient, et paraissent se régénérer lorsqu'ils se gorgent de leur aliment spécial. Mais ils ne peuvent prospérer sans ce régime; ils ne mangent pas comme les autres. Même l'ami Jonathan, qui a vécu avec le Comte pendant des semaines, ne l'a jamais vu manger, jamais ! Il ne projette aucune ombre, et il ne se reflète pas dans le miroir, ce que, encore une fois, Jonathan a pu observer. Il a dans la poigne la force de plusieurs hommes, ce que Jonathan a constaté lorsqu'il a claqué la porte au nez des loups, et lorsqu'il l'a aidé à descendre de la diligence. Il peut se transformer en loup lui-même, ce que nous avons déduit du récit de l'arrivée du bateau à Whitby, et notamment de l'épisode du chien lacéré; il peut apparaître sous la forme d'une chauve-souris, ce que Madam Mina a vu à la fenêtre de Whitby, ce que l'ami John a vu quand la créature s'est envolée vers cette maison voisine, et ce que mon ami Quincey a vu à la fenêtre de Miss Lucy. Il peut arriver par une brume qu'il crée - ainsi qu'en témoigne ce noble capitaine de navire; mais, de ce que nous savons, la distance à laquelle il peut créer cette brume est limitée, et il ne peut la faire surgir qu'autour de lui. Il chevauche les rayons de lune sous forme de fines particules - ce que Jonahtan, encore, a vu faire par ses soeurs au château de Dracula. Il peut devenir minuscule - nous mêmes nous vîmes Miss Lucy, avant qu'elle ne trouve la paix, passer par une fente de l'épaisseur d'un cheveu à la porte du tombeau. Il peut, une fois qu'il connaît le chemin, sortir de n'importe quoi ou entrer dans n'importe quoi, de quelque manière que ce lieu soit scellé, verrouillé, ou même soudé par la force du feu. Il peut voir dans le noir, ce qui n'est pas un pouvoir négligeable, dans un monde qui est toujours à moitié dans l'ombre. Ah, mais écoutez-moi bien - certes il peut faire tout ceci, mais il n'est pas libre. Non - il est même plus prisonnier qu'un esclave aux galères ou qu'un fou dans sa cellule. Il ne peut se rendre où il veut; lui qui est surnaturel doit pourtant se plier à certaines lois de la nature - nous ne savons pas pourquoi. Il ne peut entrer nulle part, tout d'abord, si un habitant de la maison ne l'y a pas invité - bien que par la suite, il puisse aller et venir à sa guise. Son pouvoir cesse, comme celui de toutes les créatures infernales, au lever du jour. Il ne peut jouir d'une liberté relative qu'à certains moments. S'il ne se trouve pas à l'endroit auquel il est attaché, il ne peut se transformer qu'à midi, ou au moment précis du lever ou du coucher du soleil. Toutes ces choses nous ont été rapportées, et dans ces documents nous en trouvons des preuves, par inférence. Ainsi, même s'il peut faire ce qu'il veut à l'intérieur de ces limites, quand il détient de la terre de chez lui, un cercueil, un enfer ou un lieu impie pour se réfugier - comme par exemple la tombe du suicidé à Whitby; à d'autres moments il peut seulement se métamorphoser à heures fixes. Il est dit également qu'il ne peut traverser les eaux vives que lorsque la mer est étale, ou à marée haute. Ensuite, il y a des choses qui lui retirent son pouvoir, comme l'ail, que nous connaissons; et en ce qui concerne les objets sacrés, il y a les symboles comme mon crucifix, que nous devons toujours garder avec nous, parce que sa présence tient le vampire en respect et le réduit au silence. Il y en a d'autres encore, dont je vous parlerai, car, au cours de notre quête, nous en aurons certainement besoin. Une branche de rosier sauvage sur le cercueil empêche le vampire d'en sortir; une balle bénite, tirée dans le cercueil, le tuera d'une véritable mort; quant au pieu à travers son corps, nous connaissons déjà la paix qu'il apporte, ainsi que le repos donné par la décapitation. Nous l'avons vu de nos yeux. Donc, quand nous trouverons l'habitation de ce qui fut autrefois un homme, nous pourrons l'enfermer dans son cercueil et le détruire, à condition de suivre les règles que nous connaissons. Mais il est intelligent. J'ai demandé à mon ami Arminius, de l'université de Budapest, de faire des recherches sur lui, et, usant de tous les moyens qui existent, il a réussi à rassembler pour moi les éléments de son histoire. Il doit, en vérité, avoir été ce Voivode Dracula qui a gagné son renom dans sa lutte contre les Turcs, en traversant le grand fleuve qui formait la frontière de la Turquie. Si c'est le cas, alors il ne s'agissait pas, de son vivant, d'un homme ordinaire; car dans ce temps-là, et pendant les siècles qui suivirent, on parla de lui comme de l'homme le plus intelligent et le plus pénétrant, et comme l'un des fils les plus courageux de ce « pays d'au-delà les forêts ». Cet esprit puissant, et cette résolution de fer, l'ont suivi dans la tombe, et sont en ce moment-même déployés contre nous. Les Dracula étaient, selon Arminius, une grande et noble lignée, bien que çà et là, quelques un de ses rejetons eussent été soupçonnés par leurs contemporains d'avoir commerce avec le démon. Ils apprirent ses secrets dans le Scholomance, parmi les montagnes qui dominent le Lac Hermanstadt, où le diable revendique comme sien le dixième des érudits. Dans les archives on rencontre des mots comme « stregoica » - sorcière - « ordog » et « pokol » - Satan et enfer; et dans un manuscrit,

ce Dracula est justement décrit comme un « wampyr », ce que nous ne comprenons tous que trop bien. De ses entrailles sont sortis de grands hommes et de nobles femmes, et leurs tombes sanctifient la seule terre où cette chose immonde peut résider. Car cela n'est pas la moindre des terreurs qu'inspire cette chose maléfique, que d'être enracinée profondément dans le Bien; dans un sol vide de souvenirs sacrés, il ne pourrait reposer. » Pendant qu'ils étaient en train de parler, Mr Morris regardait obstinément par la fenêtre, et il se leva soudain, calmement, pour sortir de la pièce. Il y eut une petite pause, puis le Professeur reprit : « Et maintenant nous devons organiser notre action. Nous avons ici beaucoup de données, et nous devons mettre au point notre stratégie de campagne.

Part (52) Anteil (52) Part (52) Parte (52)

Car si nous échouons dans notre combat, cela signifie qu'il va gagner, et alors que deviendrons-nous ? La vie n'est rien, je ne lui prête pas tant de valeur. Mais un échec, ici, ne serait pas une simple question de vie ou de mort. Cela engage à devenir comme lui; comme lui, de hideuses créatures de la nuit - sans coeur et sans conscience, des prédateurs se repaissant des corps et des âmes de ceux que nous aimons le plus. Devant nous, pour toujours, les portes des cieux seront closes; car qui les rouvrira pour nous ? Nous traverserons l'éternité abhorrés de tous; comme une souillure sur le visage rayonnant de Dieu; une flèche dans le flanc de celui qui est mort pour racheter les hommes. Mais nous faisons face à notre devoir; et dans de telles circonstances, avons-nous le droit de flancher? Pour moi, je dis non; mais je suis vieux, et la vie, avec ses rayons de soleil, ses lieux enchanteurs, ses chants d'oiseaux, sa musique et son amour, est loin derrière moi. Vous autres êtes jeunes. Certains éprouvent du chagrin, mais il vous reste à tous des jours heureux à vivre. Qu'en dites-vous ? » Alors qu'il était en train de parler, Jonathan avait pris ma main. Je craignis – je craignis très fort, quand je vis sa main se tendre - que l'épouvante, face à ce danger, ne le submergeât ; mais je me sentis revivre à son contact - si fort, si plein de confiance, si résolu. La main d'un homme courageux peut parler à sa place; elle n'a même pas besoin de l'amour d'une femme pour comprendre sa musique. Quand le Professeur eut fini de parler, mon mari regarda dans mes yeux, et je regardai dans les siens; nous n'avions nul besoin de nous parler. « Je réponds de Mina et de moi », dit-il. « Comptez-moi sur moi, Professeur », dit Mr Quincey Morris, laconique, comme à l'accoutumée. Le Dr Seward se contenta de hocher la tête. Le Professeur se leva et, après avoir déposé son crucifix d'or sur la table, il tendit ses deux mains de chaque côté. Je pris sa main droite, et Lord Godalming sa main gauche; Jonathan tint ma main droite et donna l'autre à Mr Morris. Et ces mains serrées furent le ciment qui nous lia. Je sentais dans mon coeur un froid glacé, mais il ne me vint même pas à l'esprit de reculer. Nous reprîmes nos places, et le Dr Van Helsing continua avec une chaleur nouvelle, qui indiquait que le vrai travail venait de commencer. Et ce travail devait, comme toute autre affaire dans la vie, être pris au sérieux, avec gravité. « Bien, vous savez à quoi nous devons nous mesurer; mais nous ne sommes pas, nous non plus, dépourvus d'atouts. Nous avons de notre côté la puissance de notre union - une puissance qui est refusée aux vampires; nous avons les ressources de la science; nous sommes libres d'agir et de penser; et les heures du jour et de la nuit nous appartiennent également. En fait, aussi loin que nos pouvoirs s'étendent, ils sont sans entrave, et nous sommes libres d'en user. Nous avons notre dévouement pour notre cause, et un but à accomplir qui n'est pas un but égoïste. Ces choses-là sont d'une grande importance. Et maintenant, voyons toutes les restrictions qui viennent limiter les puissances qui se dressent contre nous; et par quoi l'individu est empêché. En d'autres termes, examinons les limitations des vampires en général, et de celui-ci en particulier.

Ce sur quoi nous devons nous appuyer, ce sont les traditions et les superstitions. Celles-ci ne semblent pas déterminantes, quand il s'agit de vie et de mort – et même quand il s'agit de choses plus graves encore que la vie ou la mort. Et pourtant nous devons nous en satisfaire, tout d'abord parce que nous y sommes obligés, puisque nous ne disposons d'aucun autre moyen - et ensuite parce que, après tout, ces choses que sont la tradition et la superstition, sont l'alpha et l'omega. Est-ce que la croyance dans les vampires ne repose pas entièrement sur elles - même si, hélas, ce n'est pas le cas pour nous ? Il y a un an, lequel d'entre nous aurait accepté une telle possibilité, au milieu de notre dix-neuvième siècle scientifique, sceptique et factuel ? Nous avons même douté d'une croyance que nous voyions pourtant justifiée de nos propres yeux. Nous pouvons donc partir du principe que le vampire, et la croyance dans ses limitations et dans son remède, reposent sur la même base. Car, laissez-moi vous dire que le vampire est connu partout où l'homme s'est développé. Dans la Grèce antique, dans la Rome antique; il a prospéré partout en Allemagne, en France, en Inde, même dans la péninsule du Chersonèse, et il se trouve même en Chine, ce pays si distant de nous à tous les égards, où les gens le craignent encore de nos jours. Il a suivi l'Islandais forcené, le Hun possédé du diable, le Slave, le Saxon, le Magyar. Ainsi donc, nous avons là toute la documentation nécessaire pour agir; et soyez assurés que la plupart de ces croyances se basent sur des faits identiques à ceux qui ont constitué notre douloureuse expérience personnelle. Les vampires survivent, et ne peuvent mourir par le seul passage du temps; ils peuvent croître et se multiplier lorsqu'ils s'abreuvent du sang des vivants. Plus encore, certains d'entre nous ont pu constater qu'ils pouvaient même rajeunir; que leurs facultés vitales s'intensifient, et paraissent se régénérer lorsqu'ils se gorgent de leur aliment spécial. Mais ils ne peuvent prospérer sans ce régime; ils ne mangent pas comme les autres. Même l'ami Jonathan, qui a vécu avec le Comte pendant des semaines, ne l'a jamais vu manger, jamais ! Il ne projette aucune ombre, et il ne se reflète pas dans le miroir, ce que, encore une fois, Jonathan a pu observer. Il a dans la poigne la force de plusieurs hommes, ce que Jonathan a constaté lorsqu'il a claqué la porte au nez des loups, et lorsqu'il l'a aidé à descendre de la diligence. Il peut se transformer en loup lui-même, ce que nous avons déduit du récit de l'arrivée du bateau à Whitby, et notamment de l'épisode du chien lacéré; il peut apparaître sous la forme d'une chauve-souris, ce que Madam Mina a vu à la fenêtre de Whitby, ce que l'ami John a vu quand la créature s'est envolée vers cette maison voisine, et ce que mon ami Quincey a vu à la fenêtre de Miss Lucy. Il peut arriver par une brume qu'il crée - ainsi qu'en témoigne ce noble capitaine de navire; mais, de ce que nous savons, la distance à laquelle il peut créer cette brume est limitée, et il ne peut la faire surgir qu'autour de lui. Il chevauche les rayons de lune sous forme de fines particules - ce que Jonahtan, encore, a vu faire par ses soeurs au château de Dracula. Il peut devenir minuscule - nous mêmes nous vîmes Miss Lucy, avant qu'elle ne trouve la paix, passer par une fente de l'épaisseur d'un cheveu à la porte du tombeau. Il peut, une fois qu'il connaît le chemin, sortir de n'importe quoi ou entrer dans n'importe quoi, de quelque manière que ce lieu soit scellé, verrouillé, ou même soudé par la force du feu. Il peut voir dans le noir, ce qui n'est pas un pouvoir négligeable, dans un monde qui est toujours à moitié dans l'ombre. Ah, mais écoutez-moi bien - certes il peut faire tout ceci, mais il n'est pas libre. Non - il est même plus prisonnier qu'un esclave aux galères ou qu'un fou dans sa cellule. Il ne peut se rendre où il veut; lui qui est surnaturel doit pourtant se plier à certaines lois de la nature - nous ne savons pas pourquoi. Il ne peut entrer nulle part, tout d'abord, si un habitant de la maison ne l'y a pas invité - bien que par la suite, il puisse aller et venir à sa guise. Son pouvoir cesse, comme celui de toutes les créatures infernales, au lever du jour. Il ne peut jouir d'une liberté relative qu'à certains moments. S'il ne se trouve pas à l'endroit auquel il est attaché, il ne peut se transformer qu'à midi, ou au moment précis du lever ou du coucher du soleil. Toutes ces choses nous ont été rapportées, et dans ces documents nous en trouvons des preuves, par inférence. Ainsi, même s'il peut faire ce qu'il veut à l'intérieur de ces limites, quand il détient de la terre de chez lui, un cercueil, un enfer ou un lieu impie pour se réfugier - comme par exemple la tombe du suicidé à Whitby; à d'autres moments il peut seulement se métamorphoser à heures fixes. Il est dit également qu'il ne peut traverser les eaux vives que lorsque la mer est étale, ou à marée haute. Ensuite, il y a des choses qui lui retirent son pouvoir, comme l'ail, que nous connaissons; et en ce qui concerne les objets sacrés, il y a les symboles comme mon crucifix, que nous devons toujours garder avec nous, parce que sa présence tient le vampire en respect et le réduit au silence. Il y en a d'autres encore, dont je vous parlerai, car, au cours de notre quête, nous en aurons certainement besoin. Une branche de rosier sauvage sur le cercueil empêche le vampire d'en sortir; une balle bénite, tirée dans le cercueil, le tuera d'une véritable mort; quant au pieu à travers son corps, nous connaissons déjà la paix qu'il apporte, ainsi que le repos donné par la décapitation. Nous l'avons vu de nos yeux. Donc, quand nous trouverons l'habitation de ce qui fut autrefois un homme, nous pourrons l'enfermer dans son cercueil et le détruire, à condition de suivre les règles que nous connaissons. Mais il est intelligent. J'ai demandé à mon ami Arminius, de l'université de Budapest, de faire des recherches sur lui, et, usant de tous les moyens qui existent, il a réussi à rassembler pour moi les éléments de son histoire. Il doit, en vérité, avoir été ce Voivode Dracula qui a gagné son renom dans sa lutte contre les Turcs, en traversant le grand fleuve qui formait la frontière de la Turquie. Si c'est le cas, alors il ne s'agissait pas, de son vivant, d'un homme ordinaire; car dans ce temps-là, et pendant les siècles qui suivirent, on parla de lui comme de l'homme le plus intelligent et le plus pénétrant, et comme l'un des fils les plus courageux de ce « pays d'au-delà les forêts ». Cet esprit puissant, et cette résolution de fer, l'ont suivi dans la tombe, et sont en ce moment-même déployés contre nous. Les Dracula étaient, selon Arminius, une grande et noble lignée, bien que çà et là, quelques un de ses rejetons eussent été soupçonnés par leurs contemporains d'avoir commerce avec le démon. Ils apprirent ses secrets dans le Scholomance, parmi les montagnes qui dominent le Lac Hermanstadt, où le diable revendique comme sien le dixième des érudits. Dans les archives on rencontre des mots comme « stregoica » - sorcière - « ordog » et « pokol » - Satan et enfer; et dans un manuscrit,

ce Dracula est justement décrit comme un « wampyr », ce que nous ne comprenons tous que trop bien. De ses entrailles sont sortis de grands hommes et de nobles femmes, et leurs tombes sanctifient la seule terre où cette chose immonde peut résider. Car cela n'est pas la moindre des terreurs qu'inspire cette chose maléfique, que d'être enracinée profondément dans le Bien; dans un sol vide de souvenirs sacrés, il ne pourrait reposer. » Pendant qu'ils étaient en train de parler, Mr Morris regardait obstinément par la fenêtre, et il se leva soudain, calmement, pour sortir de la pièce. Il y eut une petite pause, puis le Professeur reprit : « Et maintenant nous devons organiser notre action. Nous avons ici beaucoup de données, et nous devons mettre au point notre stratégie de campagne.