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Bram Stoker - Dracula, Part (50)

Part (50)

C'est, je pense, une sorte de réaction après avoir été été rongée par la peur – la peur que cette terrible affaire, et la réouverture de sa vieille blessure, aient des conséquences néfastes sur Jonathan. J'ai assisté à son départ pour Whitby, avec un visage aussi encourageant que possible, mais en mon for intérieur, j'étais malade d'appréhension. L'effort, cependant, lui a fait du bien. Il n'a jamais été aussi résolu, aussi fort, aussi plein d'une énergie volcanique, qu'en ce moment. Il en est exactement comme ce cher et excellent Professeur Van Helsing l'avait dit : il est un vrai brave, et il sort renforcé des épreuves qui tueraient probablement une nature plus faible. Il est revenu plein de vie, d'espoir et de détermination; nous avons tout mis en ordre pour ce soir. Je me sens moi-même un peu surexcitée. Une chose aussi traquée que le Comte mérite-t-elle la pitié ? Là où le bât blesse, c'est que justement cette Chose n'est pas humaine - et pas même animale. La lecture du récit que le Dr Seward a fait de la mort de cette pauvre Lucy, et de ce qui a suivi, est suffisant pour tarir, au fond du coeur, toutes les sources de la pitié. Plus tard - Lord Godalming et Mr Morris arrivèrent plus tôt que nous ne les attendions. Le Dr Seward était sorti pour affaires, et avait emmené Jonathan avec lui, aussi je dus les recevoir. C'était pour moi une rencontre douloureuse, car elle me rappelait tous les espoirs que ma pauvre Lucy avait nourris, il y avait seulement quelque mois. Bien sûr ils avaient entendu Lucy parler de moi, et il semblerait que le Dr Van Helsing, également, m'ait passablement « fait reluire », selon l'expression de Mr Morris. Les pauvres garçons, ils ne savent ni les uns ni les autres que je sais tout de leurs demandes en mariage à la pauvre Lucy. Ils ne savaient pas trop quoi dire ou quoi faire, ne sachant pas jusqu'à quel point j'étais informée; aussi ils s'en tinrent à des sujets neutres. Je réfléchis, et en vins à la conclusion que la meilleure chose à faire pour moi était de mettre à jour leurs propres connaissances. Je savais, grâce au journal du Dr Seward, qu'ils avaient assisté à la mort de Lucy - sa vraie mort - et que je ne risquais pas de trahir quelque secret que ce fût. Aussi les informai-je, comme je le pus, que j'avais lu tous les papiers, tous les journaux, et que mon mari et moi, après les avoir tapés à la machine, avions juste fini de les remettre dans l'ordre. Je les installai dans la Bibliothèque avec chacun une copie à lire. Quand Lord Godalming reçut la sienne et la retourna dans ses mains - cela représente, à vrai dire, un paquet assez conséquent - il me demanda : « Avez-vous tapé tout cela, Mrs Harker ? » J'acquiesçai, et il continua : « Je ne comprends pas vraiment le sens de tout cela; mais vous êtes tous si bons et si gentils, et vous avez tous travaillé avec tant d'énergie et de ferveur, que tout ce que je peux faire est d'accepter vos interprétations aveuglément et d'essayer de vous aider. J'ai déjà reçu, en matière d'acceptation des faits, une leçon d'humilité que je ne risque pas d'oublier de toute ma vie. De plus, je sais que vous aimiez ma pauvre Lucy - » A cet instant, il se détourna et se couvrit le visage de ses mains. Je pouvais

entendre les larmes dans sa voix. Mr Morris, avec une délicatesse instinctive, posa pendant un moment la main sur son épaule, avant de quitter discrètement la pièce. Je crois qu'il existe quelque chose, dans la nature de la femme, qui autorise un homme à craquer devant elle et à exprimer ses sentiments, du côté de la tendresse et de l'émotion, sans avoir l'impression de déroger à sa virilité; car quand Lord Godalming se trouva seul avec moi, il s'assit dans le sofa et se laissa aller, ouvertement et complètement. Je m'assis à son côté et pris sa main. J'espère que ce geste ne l'a pas heurté sur le moment, et ne lui paraîtra pas trop audacieux quand il y repensera par la suite. Mais je ne lui rends pas justice par cette crainte; je sais que cela n'arrivera pas - il est un gentleman trop authentique. Je lui dis, comme je voyais que son coeur se brisait : « J'aimais notre chère Lucy, et je sais ce qu'elle était pour vous, et ce que vous étiez pour elle. Elle et moi étions comme des soeurs. Maintenant qu'elle est partie, ne me laisserez-vous pas être comme une soeur pour vous dans votre peine ? Je sais par quels tourments vous êtes passés, bien que je ne puisse en mesurer vraiment la profondeur. Si la sympathie et la compassion peuvent vous aider dans votre affliction, ne me laisserez-vous pas vous apporter ce petit réconfort - pour l'amour de Lucy ? » En un instant, le pauvre garçon était submergé par son deuil. Il me sembla qu'il lâchait la bonde à tout ce qu'il avait dû souffrir en silence ces derniers temps. Il devint presque hystérique, et, levant ses mains ouvertes, il frappa ses paumes l'une contre l'autre dans un paroxysme de souffrance. Il se leva, puis se rassit, et les larmes pleuvaient sur ses joues. Je ressentais une pitié infinie pour lui, et ouvris mes bras sans réfléchir. Dans un sanglot il appuya sa tête contre mon épaule et pleura comme un enfant épuisé, tout tremblant d'émotion. Nous, femmes, avons en nous un instinct maternel, qui s'élève au-dessus des autres considérations lorsque l'esprit de la mère est invoqué; et cette grande tête d'homme éploré, qui se reposait sur moi, je la considérais exactement comme celle du bébé qu'un jour peut-être je tiendrais contre ma poitrine, et je lui caressai les cheveux comme s'il était mon enfant. Je ne réalisai à aucun moment à quel point tout ceci était étrange. Au bout d'un petit moment, ses sanglots cessèrent, et il se redressa, en s'excusant, bien qu'il ne cherchât pas à déguiser son émotion. Il me dit que pendant les jours et les nuits passés - jours épuisants et nuits sans sommeil - il avait été incapable de parler à qui que ce fût, comme un homme devait le faire lorsqu'il se trouve dans le chagrin. Il n'y avait autour de lui aucune femme pour lui témoigner de la sympathie, ou même avec laquelle, il pût parler librement, à cause des terribles circonstances qui entouraient son deuil, « C'est maintenant que je me rends compte à quel point j'ai souffert », dit-il en se séchant les yeux « mais je ne sais toujours pas, même à présent - et nul autre ne le saura jamais - tout ce que je dois à votre douce compassion. Je le saurai avec le temps; et croyez-moi, bien que je ne sois pas ingrat aujourd'hui, ma gratitude envers vous ne fera que croître avec ma compréhension. Vous me laisserez être un frère pour vous, n'est-ce pas, pour le restant de nos existences - au nom de notre chère Lucy ? » « Au nom de notre chère Lucy », dis-je tandis que nous nous serrions la main. « Et pour votre bien aussi », ajouta-t-il, « car pour autant que l'estime et la gratitude d'un homme valent quelque chose, vous avez gagné les miennes aujourd'hui. Si d'aventure un jour vous avez besoin d'une aide, croyez-moi, vous ne réclamerez pas la mienne en vain. Que Dieu fasse qu'un tel jour n'arrive jamais, et que le soleil qui éclaire votre vie ne s'assombrisse pas; mais si cela devait arriver, promettez-moi que vous me le ferez savoir. » Il était si ardent, et sa douleur était si vive, que j'ai pensé que cela pourrait le réconforter, et je dis : « Je vous le promets ». Lorsque je m'engageai dans le corridor, je vis Mr Morris qui regardait dehors par une fenêtre. Il se tourna vers moi quand il entendit mes pas. « Comment va Art ? » demanda-t-il. Puis, remarquant mes yeux rougis, il continua : « Ah, je vois que vous lui avez apporté du réconfort. Pauvre vieux ! Il en a bien besoin. Il n'y a qu'une femme pour aider un homme dont le coeur saigne; et il n'avait personne pour le réconforter. » Il portait lui-même sa douleur si courageusement que mon coeur se brisa de pitié pour lui. Je vis le manuscrit dans sa main, et je savais que lorsqu'il le lirait, il prendrait conscience de l'étendue de mes connaissances, aussi je lui dis :

« J'aimerais être capable de consoler tous ceux dont le coeur souffre. Serez-vous mon ami, et me laisserez-vous être votre réconfort si vous en avez besoin ? Vous comprendrez, plus tard, ce qui me fait parler ainsi. » Il vit ma sincérité, et, se penchant, prit ma main, la porta à ses lèvres, et la baisa. Cela semblait être un bien maigre réconfort pour une âme aussi courageuse et aussi altruiste, et, sur une impulsion, je me penchai vers lui pour l'embrasser. Les larmes montèrent à ses yeux, et il resta un moment étranglé par l'émotion, puis il dit d'une voix calme : « Petite fille, vous ne regretterez jamais l'élan de bonté de votre coeur pur, aussi longtemps que vous vivrez! » Puis il retourna dans le bureau, vers son ami. « Petite fille » - les mêmes mots que ceux qu'il avait adressés à Lucy… Oh, cela fait de lui un ami véritable !

Chapitre 18 Journal du Dr. Seward , 30 septembre Je rentrai à la maison à cinq heures, et découvris que non seulement Godalming et Morris étaient arrivés, mais qu'en plus ils avaient déjà étudié les retranscriptions des différents journaux et lettres que Harker et sa merveilleuse femme ont produites et classées. Harker n'était pas encore rentré de sa visite aux transporteurs à propos desquels le Dr. Hennessey m'a écrit. Mrs. Harker nous servit une tasse de thé, et je dois honnêtement reconnaître que, pour la première fois depuis que j'y suis installé, la vieille maison me semble être véritablement un home. Quand nous eûmes terminé, Mrs. Harker me dit : « Dr. Seward, puis-je vous demander une faveur ? J'aimerais voir votre patient, Mr. Renfield. Laissez-moi le voir. Ce que vous avez écrit sur lui dans votre journal m'intéresse tellement ! » Elle était si suppliante et si charmante que je ne pouvais le lui refuser ; de plus je n'avais aucune raison valable de lui dire non ; je l'emmenai donc avec moi. En entrant dans la chambre, je dis à Renfield qu'une Dame souhaitait le voir, à quoi il répondit simplement : « Pourquoi ? » « Elle visite l'établissement et elle souhaite voir tout le monde » répondis-je. « Oh, très bien », dit-il, « Faites-la entrer dans ce cas, mais attendez une minute que j'aie le temps de mettre un peu d'ordre. » Sa façon de mettre de l'ordre était assez particulière : il avala tout simplement toutes les mouches et toutes les araignées qui se trouvaient dans les boites, avant que je puisse l'arrêter. Il était évident qu'il craignait que quelqu'un d'autre ne s'en occupât. Quand il eut accompli cette tâche répugnante, il dit joyeusement : « Faites entrer la Dame », et s'assit sur le bord de son lit, la tête baissée, mais les yeux levés, afin d'être en mesure de la voir lorsqu'elle entrerait. Pendant un instant, je crus qu'il pourrait avoir quelque pulsion homicide ; je me souvenais combien il m'avait paru calme juste avant de m'attaquer dans mon bureau, et je pris garde de rester près de lui afin de pouvoir le saisir si jamais il se jetait sur elle. Elle pénétra dans la pièce avec une grâce et une simplicité qui étaient à même d'imposer immédiatement le respect à un aliéné – la simplicité des manières est en effet l'une des qualités que les fous respectent le plus. Elle se dirigea vers lui, aimable et souriante, et lui tendit la main. « Bonsoir, Mr. Renfield » dit-elle. « Vous voyez, je vous connais, car le Dr. Seward m'a parlé de vous. » Il ne répondit pas tout de suite, mais la regarda intensément, les sourcils froncés.

Part (50) Anteil (50) Part (50) Parte (50) Parte (50)

C'est, je pense, une sorte de réaction après avoir été été rongée par la peur – la peur que cette terrible affaire, et la réouverture de sa vieille blessure, aient des conséquences néfastes sur Jonathan. J'ai assisté à son départ pour Whitby, avec un visage aussi encourageant que possible, mais en mon for intérieur, j'étais malade d'appréhension. L'effort, cependant, lui a fait du bien. Il n'a jamais été aussi résolu, aussi fort, aussi plein d'une énergie volcanique, qu'en ce moment. Il en est exactement comme ce cher et excellent Professeur Van Helsing l'avait dit : il est un vrai brave, et il sort renforcé des épreuves qui tueraient probablement une nature plus faible. Il est revenu plein de vie, d'espoir et de détermination; nous avons tout mis en ordre pour ce soir. Je me sens moi-même un peu surexcitée. Une chose aussi traquée que le Comte mérite-t-elle la pitié ? Là où le bât blesse, c'est que justement cette Chose n'est pas humaine - et pas même animale. La lecture du récit que le Dr Seward a fait de la mort de cette pauvre Lucy, et de ce qui a suivi, est suffisant pour tarir, au fond du coeur, toutes les sources de la pitié. Plus tard - Lord Godalming et Mr Morris arrivèrent plus tôt que nous ne les attendions. Le Dr Seward était sorti pour affaires, et avait emmené Jonathan avec lui, aussi je dus les recevoir. C'était pour moi une rencontre douloureuse, car elle me rappelait tous les espoirs que ma pauvre Lucy avait nourris, il y avait seulement quelque mois. Bien sûr ils avaient entendu Lucy parler de moi, et il semblerait que le Dr Van Helsing, également, m'ait passablement « fait reluire », selon l'expression de Mr Morris. Les pauvres garçons, ils ne savent ni les uns ni les autres que je sais tout de leurs demandes en mariage à la pauvre Lucy. Ils ne savaient pas trop quoi dire ou quoi faire, ne sachant pas jusqu'à quel point j'étais informée; aussi ils s'en tinrent à des sujets neutres. Je réfléchis, et en vins à la conclusion que la meilleure chose à faire pour moi était de mettre à jour leurs propres connaissances. Je savais, grâce au journal du Dr Seward, qu'ils avaient assisté à la mort de Lucy - sa vraie mort - et que je ne risquais pas de trahir quelque secret que ce fût. Aussi les informai-je, comme je le pus, que j'avais lu tous les papiers, tous les journaux, et que mon mari et moi, après les avoir tapés à la machine, avions juste fini de les remettre dans l'ordre. Je les installai dans la Bibliothèque avec chacun une copie à lire. Quand Lord Godalming reçut la sienne et la retourna dans ses mains - cela représente, à vrai dire, un paquet assez conséquent - il me demanda : « Avez-vous tapé tout cela, Mrs Harker ? » J'acquiesçai, et il continua : « Je ne comprends pas vraiment le sens de tout cela; mais vous êtes tous si bons et si gentils, et vous avez tous travaillé avec tant d'énergie et de ferveur, que tout ce que je peux faire est d'accepter vos interprétations aveuglément et d'essayer de vous aider. J'ai déjà reçu, en matière d'acceptation des faits, une leçon d'humilité que je ne risque pas d'oublier de toute ma vie. De plus, je sais que vous aimiez ma pauvre Lucy - » A cet instant, il se détourna et se couvrit le visage de ses mains. Je pouvais

entendre les larmes dans sa voix. Mr Morris, avec une délicatesse instinctive, posa pendant un moment la main sur son épaule, avant de quitter discrètement la pièce. Je crois qu'il existe quelque chose, dans la nature de la femme, qui autorise un homme à craquer devant elle et à exprimer ses sentiments, du côté de la tendresse et de l'émotion, sans avoir l'impression de déroger à sa virilité; car quand Lord Godalming se trouva seul avec moi, il s'assit dans le sofa et se laissa aller, ouvertement et complètement. Je m'assis à son côté et pris sa main. J'espère que ce geste ne l'a pas heurté sur le moment, et ne lui paraîtra pas trop audacieux quand il y repensera par la suite. Mais je ne lui rends pas justice par cette crainte; je sais que cela n'arrivera pas - il est un gentleman trop authentique. Je lui dis, comme je voyais que son coeur se brisait : « J'aimais notre chère Lucy, et je sais ce qu'elle était pour vous, et ce que vous étiez pour elle. Elle et moi étions comme des soeurs. Maintenant qu'elle est partie, ne me laisserez-vous pas être comme une soeur pour vous dans votre peine ? Je sais par quels tourments vous êtes passés, bien que je ne puisse en mesurer vraiment la profondeur. Si la sympathie et la compassion peuvent vous aider dans votre affliction, ne me laisserez-vous pas vous apporter ce petit réconfort - pour l'amour de Lucy ? » En un instant, le pauvre garçon était submergé par son deuil. Il me sembla qu'il lâchait la bonde à tout ce qu'il avait dû souffrir en silence ces derniers temps. Il devint presque hystérique, et, levant ses mains ouvertes, il frappa ses paumes l'une contre l'autre dans un paroxysme de souffrance. Il se leva, puis se rassit, et les larmes pleuvaient sur ses joues. Je ressentais une pitié infinie pour lui, et ouvris mes bras sans réfléchir. Dans un sanglot il appuya sa tête contre mon épaule et pleura comme un enfant épuisé, tout tremblant d'émotion. Nous, femmes, avons en nous un instinct maternel, qui s'élève au-dessus des autres considérations lorsque l'esprit de la mère est invoqué; et cette grande tête d'homme éploré, qui se reposait sur moi, je la considérais exactement comme celle du bébé qu'un jour peut-être je tiendrais contre ma poitrine, et je lui caressai les cheveux comme s'il était mon enfant. Je ne réalisai à aucun moment à quel point tout ceci était étrange. Au bout d'un petit moment, ses sanglots cessèrent, et il se redressa, en s'excusant, bien qu'il ne cherchât pas à déguiser son émotion. Il me dit que pendant les jours et les nuits passés - jours épuisants et nuits sans sommeil - il avait été incapable de parler à qui que ce fût, comme un homme devait le faire lorsqu'il se trouve dans le chagrin. Il n'y avait autour de lui aucune femme pour lui témoigner de la sympathie, ou même avec laquelle, il pût parler librement, à cause des terribles circonstances qui entouraient son deuil, « C'est maintenant que je me rends compte à quel point j'ai souffert », dit-il en se séchant les yeux « mais je ne sais toujours pas, même à présent - et nul autre ne le saura jamais - tout ce que je dois à votre douce compassion. Je le saurai avec le temps; et croyez-moi, bien que je ne sois pas ingrat aujourd'hui, ma gratitude envers vous ne fera que croître avec ma compréhension. Vous me laisserez être un frère pour vous, n'est-ce pas, pour le restant de nos existences - au nom de notre chère Lucy ? » « Au nom de notre chère Lucy », dis-je tandis que nous nous serrions la main. « Et pour votre bien aussi », ajouta-t-il, « car pour autant que l'estime et la gratitude d'un homme valent quelque chose, vous avez gagné les miennes aujourd'hui. Si d'aventure un jour vous avez besoin d'une aide, croyez-moi, vous ne réclamerez pas la mienne en vain. Que Dieu fasse qu'un tel jour n'arrive jamais, et que le soleil qui éclaire votre vie ne s'assombrisse pas; mais si cela devait arriver, promettez-moi que vous me le ferez savoir. » Il était si ardent, et sa douleur était si vive, que j'ai pensé que cela pourrait le réconforter, et je dis : « Je vous le promets ». Lorsque je m'engageai dans le corridor, je vis Mr Morris qui regardait dehors par une fenêtre. Il se tourna vers moi quand il entendit mes pas. « Comment va Art ? » demanda-t-il. Puis, remarquant mes yeux rougis, il continua : « Ah, je vois que vous lui avez apporté du réconfort. Pauvre vieux ! Il en a bien besoin. Il n'y a qu'une femme pour aider un homme dont le coeur saigne; et il n'avait personne pour le réconforter. » Il portait lui-même sa douleur si courageusement que mon coeur se brisa de pitié pour lui. Je vis le manuscrit dans sa main, et je savais que lorsqu'il le lirait, il prendrait conscience de l'étendue de mes connaissances, aussi je lui dis :

« J'aimerais être capable de consoler tous ceux dont le coeur souffre. Serez-vous mon ami, et me laisserez-vous être votre réconfort si vous en avez besoin ? Vous comprendrez, plus tard, ce qui me fait parler ainsi. » Il vit ma sincérité, et, se penchant, prit ma main, la porta à ses lèvres, et la baisa. Cela semblait être un bien maigre réconfort pour une âme aussi courageuse et aussi altruiste, et, sur une impulsion, je me penchai vers lui pour l'embrasser. Les larmes montèrent à ses yeux, et il resta un moment étranglé par l'émotion, puis il dit d'une voix calme : « Petite fille, vous ne regretterez jamais l'élan de bonté de votre coeur pur, aussi longtemps que vous vivrez! » Puis il retourna dans le bureau, vers son ami. « Petite fille » - les mêmes mots que ceux qu'il avait adressés à Lucy… Oh, cela fait de lui un ami véritable !

Chapitre 18 Journal du Dr. Seward , 30 septembre Je rentrai à la maison à cinq heures, et découvris que non seulement Godalming et Morris étaient arrivés, mais qu'en plus ils avaient déjà étudié les retranscriptions des différents journaux et lettres que Harker et sa merveilleuse femme ont produites et classées. Harker n'était pas encore rentré de sa visite aux transporteurs à propos desquels le Dr. Hennessey m'a écrit. Mrs. Harker nous servit une tasse de thé, et je dois honnêtement reconnaître que, pour la première fois depuis que j'y suis installé, la vieille maison me semble être véritablement un home. Quand nous eûmes terminé, Mrs. Harker me dit : « Dr. Seward, puis-je vous demander une faveur ? J'aimerais voir votre patient, Mr. Renfield. Laissez-moi le voir. Ce que vous avez écrit sur lui dans votre journal m'intéresse tellement ! » Elle était si suppliante et si charmante que je ne pouvais le lui refuser ; de plus je n'avais aucune raison valable de lui dire non ; je l'emmenai donc avec moi. En entrant dans la chambre, je dis à Renfield qu'une Dame souhaitait le voir, à quoi il répondit simplement : « Pourquoi ? » « Elle visite l'établissement et elle souhaite voir tout le monde » répondis-je. « Oh, très bien », dit-il, « Faites-la entrer dans ce cas, mais attendez une minute que j'aie le temps de mettre un peu d'ordre. » Sa façon de mettre de l'ordre était assez particulière : il avala tout simplement toutes les mouches et toutes les araignées qui se trouvaient dans les boites, avant que je puisse l'arrêter. Il était évident qu'il craignait que quelqu'un d'autre ne s'en occupât. Quand il eut accompli cette tâche répugnante, il dit joyeusement : « Faites entrer la Dame », et s'assit sur le bord de son lit, la tête baissée, mais les yeux levés, afin d'être en mesure de la voir lorsqu'elle entrerait. Pendant un instant, je crus qu'il pourrait avoir quelque pulsion homicide ; je me souvenais combien il m'avait paru calme juste avant de m'attaquer dans mon bureau, et je pris garde de rester près de lui afin de pouvoir le saisir si jamais il se jetait sur elle. Elle pénétra dans la pièce avec une grâce et une simplicité qui étaient à même d'imposer immédiatement le respect à un aliéné – la simplicité des manières est en effet l'une des qualités que les fous respectent le plus. Elle se dirigea vers lui, aimable et souriante, et lui tendit la main. « Bonsoir, Mr. Renfield » dit-elle. « Vous voyez, je vous connais, car le Dr. Seward m'a parlé de vous. » Il ne répondit pas tout de suite, mais la regarda intensément, les sourcils froncés.