×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Bram Stoker - Dracula, Part (46)

Part (46)

» Ce fut cette réponse qui convainquit les plus sceptiques d'entre nous, et nous sentîmes individuellement qu'en présence d'un dessein aussi fervent que celui du Professeur, un dessein qui lui faisait utiliser les objets les plus sacrés, il était impossible de ne pas le croire. Dans un silence respectueux nous reprîmes les places qui nous étaient assignées autour du mausolée, mais cachés à la vue de quiconque approcherait. Je plaignais les autres, et particulièrement Arthur. J'étais moi-même aguerri par mes premières visites à cette horreur aux aguets, et pourtant, moi qui, moins d'une heure auparavant, étais capable de récuser toutes les preuves, je sentais mon coeur chavirer dans ma poitrine. Jamais les tombes n'avaient paru si terriblement blanches; jamais les cyprès, les ifs, les genévriers, n'avaient à ce point semblé des incarnations de l'ombre funèbre; jamais les herbes et les arbres n'avaient frémi ou brui de manière si menaçante; jamais les branches n'avaient craqué si mystérieusement; et jamais les hurlements lointains des chiens n'avaient envoyé de présage si triste à travers la nuit. Il y eut un silence, un long vide douloureux, et soudain, émanant du Professeur, un vigoureux « S-s-s » . Il pointait, tout en bas de l'avenue bordée d'ifs, une silhouette blanche qui avançait - une silhouette d'un blanc terne, qui tenait quelque chose de sombre à sa poitrine. Elle s'arrêta, et à ce moment un rayon de lune tomba des nuages filants et dévoila avec une terrible netteté une femme aux cheveux sombres, vêtue avec toute la pompe des apprêts funèbres. Nous ne pûmes voir le visage, car il était penché sur ce que nous pûmes identifier comme un enfant blond. Il y eut une pause, et un petit cri aigu, tel que les enfants en poussent dans leur sommeil, ou les chiens lorsqu'ils rêvent en dormant devant la cheminée. Nous étions prêts à nous élancer, mais le Professeur, que nous voyions debout derrière un if, nous fit signe avec la main et nous arrêta; et alors, comme nous la regardions, la silhouette blanche reprit sa marche dans notre direction. Nous étions maintenant suffisamment proches pour voir clairement, grâce au clair de lune qui n'était pas encore voilé. Mon propre coeur se glaça, et j'entendis le

hoquet d'Arthur, tandis que nous reconnaissions les traits de Lucy Westenra. Lucy Westenra, et pourtant si différente d'elle- même. La douceur s'était changée en une cruauté impitoyable, et la pureté, en une luxure voluptueuse. Van Helsing se mit en marche, et, imitant son geste, nous avançâmes tous également, jusqu'à former une ligne de quatre pour barrer l'accès à la porte de la tombe. Van Helsing leva sa lanterne et la dirigea; le rai de lumière concentré qui éclaira le visage de Lucy nous permit de voir que ses lèvres étaient rougies par un sang frais, qui avait dégouliné de son menton et souillé la blancheur immaculée de sa robe mortuaire. L'horreur nous fit frissonner. Je voyais, aux tremblements de la lumière, que même les nerfs d'acier de Van Helsing étaient ébranlés. Arthur était à côté de moi, et si je n'avais pas pris son bras pour le soutenir, il se serait écroulé. Quand Lucy nous vit - j'appelle Lucy la chose qui était devant nous parce qu'elle avait pris sa forme - elle recula avec un grognement furieux, semblable au feulement d'un chat pris par surprise; puis ses yeux nous balayèrent. Les yeux de Lucy par leur forme et leur couleur; mais des yeux impurs et pleins du feu de l'enfer, à la place des orbes purs et gracieux que nous connaissions. A ce moment les vestiges de mon amour se muèrent en haine et en aversion ; si elle avait dû être tuée à cet instant, je l'eusse fait avec un plaisir sauvage. Comme elle nous regardait, ses yeux brillèrent d'une lueur maudite, et le visage s'éclaira d'un sourire sensuel. Oh Dieu, comme cela me fit frissonner ! Avec un mouvement brutal, elle jeta au sol, sans pitié, comme un démon, l'enfant que jusqu'ici elle avait tenu vigoureusement contre sa poitrine, et se mit à gronder comme un chien qui protège un os. L'enfant, gisant, émit une plainte aiguë. Il y avait dans les gestes de Lucy une insensibilité qui arracha un soupir à Arthur; quand elle s'avança vers lui, les bras grands ouverts, un sourire impudique aux lèvres, il tomba en arrière et se cacha le visage dans les mains. Elle continua à avancer, cependant, et dit avec une grâce langoureuse, voluptueuse : « Viens à moi, Arthur. Laisse les autres et viens à moi. Mes bras ont faim de toi. Viens, et nous pourrons nous reposer tous les deux. Viens, mon mari, viens ! » Il y avait quelque chose de diabolique dans la douceur de son intonation - quelque chose qui rappelait le tintement du verre que l'on heurte - qui pénétrait l'âme de ceux qui l'écoutaient, même quand les paroles ne leur étaient pas adressées. Quant à Arthur, il paraissait envouté; retirant les mains de son visage, il ouvrit grand les bras. Elle bondissait vers lui, quand Van Helsing s'interposa en brandissant son petit crucifix d'or. Elle recula à sa vue, et, avec un visage soudain déformé par la rage, elle fit mine de passer outre pour entrer dans la tombe. A un pas ou deux de la porte, cependant, elle s'arrêta, bloquée par une force irrésistible. Et elle se tourna, son visage brillamment éclairé par l'éclat de la lune ainsi que par la lampe, que Van Helsing, ayant recouvré ses nerfs d'acier, tenait maintenant sans trembler. Je n'ai jamais vu une telle expression de malice déconcertée sur un visage ; et je pense qu'aucun mortel n'en verra jamais plus de semblable. Le joli teint devint livide, les yeux parurent lancer des éclairs infernaux, les rides creusées par le froncement des sourcils rappelèrent les queues des serpents de Méduse, et la charmante bouche tachée de sang s'ouvrit en un carré béant, semblable au trou des masques de théâtre Grec ou Japonais. Si un visage a jamais exprimé la mort - si un regard pouvait tuer - nous le vîmes à cet instant. Ainsi, pendant trente secondes, qui semblèrent une éternité, elle demeura entre le crucifix brandi et le scellement sacré de la porte. Van Helsing brisa le silence et demanda à Arthur : « Répondez-moi, mon ami. Dois-je accomplir mon oeuvre ? » Arthur tomba à genoux, et, sa face dans les mains, il répondit : « Faites comme vous voulez, mon ami, comme vous voulez. Une pareille horreur ne peut continuer à exister », et il défaillit. Quincey et moi nous élançâmes simultanément vers lui pour le soutenir par les bras. Nous pûmes entendre le cliquetis de la lanterne qui s'éteignait quand Van Helsing la posa. S'approchant de la tombe, il commença à retirer des fentes certains des emblèmes sacrés qu'il y avait déposés. Nous fûmes tous pétrifiés d'horreur lorsque nous vîmes, tandis qu'il se reculait, la femme, dont le corps était à l'instant aussi solide que le nôtre, passer à travers un interstice dont l'épaisseur ne dépassait celle de la lame d'un couteau. Nous ressentîmes tous un immense soulagement quand nous vîmes le Professeur replacer calmement les lanières d'enduit sur les bords de la porte.

Quand cela fut fait, il souleva l'enfant et dit : « Venez maintenant, mes amis; nous ne pouvons pas en faire davantage avant demain. Il y a un enterrement à midi, et nous devrons tous nous retrouver peu après. Les amis du mort seront tous partis vers deux heures, et quand le sacristain verrouillera la grille, nous nous laisserons enfermer. Alors il y aura fort à faire; mais pas comme cette nuit. Quant au petit, il n'a pas grand mal, et d'ici demain soir il ira parfaitement bien. Nous le laisserons à un endroit où la police le trouvera, comme l'autre nuit, et ensuite, à la maison. » S'approchant d'Arthur, il ajouta : « Ami Arthur, vous avez été mis à rude épreuve, mais après, quand vous regarderez en arrière, vous vous rendrez compte que cela était nécessaire. Vous vous trouvez pour le moment dans des eaux amères, mon enfant. A cette heure, demain, vous en aurez fini, s'il plaît à Dieu, et vous goûterez des eaux plus douces; aussi, ne vous désolez pas trop. Mais jusque là, je ne vous demanderai pas de me pardonner. » Arthur et Quincey revinrent à la maison avec moi, et nous essayâmes de nous remonter le moral en chemin. Nous avions laissé l'enfant en sécurité, et nous nous sentions fatigués; aussi nous nous abandonnâmes à un sommeil plus ou moins réparateur. 29 septembre, nuit Un peu avant midi, tous les trois - Arthur, Quincey Morris et moi - nous allâmes chercher le Professeur. Il était étrange de noter que, par un accord tacite, nous étions tous vêtus de noir. Bien sûr, Arthur portait le noir parce qu'il est en grand deuil, mais les autres en firent de même par instinct. Nous nous rendîmes au cimetière vers 13h30, et rodâmes dans les parages, un peu dérobés à la vue, de sorte que lorsque les fossoyeurs eurent terminé leur tâche, et que le sacristain, certain que tout le monde était parti, eut verrouillé la grille, nous fûmes maîtres des lieux. Van Helsing, au lieu de son petit sac noir, portait avec lui un grand sac de cuir, semblable à un sac de cricket, qui pesait manifestement un poids considérable. Quand nous fumes seuls et que nous entendîmes les derniers bruits de pas mourir sur la route, nous suivîmes le Professeur jusqu'à la tombe, aussi silencieusement que si on nous en eût donné l'ordre. Il déverrouilla la porte, et nous entrâmes, la refermant derrière nous. Puis il sortit de son sac la lanterne, qu'il alluma, ainsi que deux chandelles de cire, qu'il fixa avec un peu de cire chaude sur le dessus d'autres cercueils, afin que nous puissions bénéficier d'une lumière suffisante pour notre travail. Quand nous soulevâmes à nouveau le couvercle du cercueil de Lucy, nous regardâmes tous - Arthur tremblant comme une feuille - et nous vîmes que le corps était là, étendu dans toute sa beauté funèbre. Mais il n'y avait aucun amour dans mon coeur, rien que du dégoût pour la chose immonde qui avait pris la forme de Lucy, et non son âme. Je pus voir le visage d'Arthur se durcir tandis qu'il la regardait. Il dit à Van Helsing : « Est-ce réellement le corps de Lucy, ou bien seulement un démon à sa ressemblance ? » « C'est son corps, et en même temps ce n'est pas son corps. Mais attendez un peu, et vous la verrez telle qu'elle fut, et est encore. » Ce qui gisait là était une Lucy de cauchemar : les dents saillantes, la bouche sensuelle tachée de sang, qui nous faisait frissonner - l'apparence entière, charnelle et sans âme, diabolique caricature de la douce pureté de Lucy. Van Helsing, avec sa minutie habituelle, commença à sortir les différents objets que contenait son sac et les disposa. D'abord il prit un fer à souder et du plomb à souder, puis une petite lampe à huile, qui dégagea, quand il l'alluma sur un coin de la tombe, un gaz qui s'embrasa avec une flamme bleue; ensuite, ses couteaux de chirurgien, qu'il place à portée de main; et enfin un pieu de bois, épais de deux ou trois pouces et long d'environ trois pieds. L'une de ses extrémités avait été durcie au feu, et il était taillé en une pointe acérée. Avec ce pieu venait un lourd marteau, comme on en utilise dans les caves à charbon des maisons, pour

casser les plus gros morceaux. Pour moi, les préparatifs du Docteur, pour quelque travail que ce soit, sont toujours stimulants et vivifiants, mais sur Arthur et Quincey, leur effet était plutôt consternant. Toutefois, ils gardèrent tous deux leur courage, et se tinrent calmes et silencieux. Quand tout fut prêt, Van Helsing dit : « Avant de faire quoi que ce soit, laissez-moi vous dire ceci : cela me vient des traditions et de l'expérience des anciens et de tous ceux qui ont étudié les pouvoirs des Non-Morts. Quand ils se transforment ainsi, la malédiction de l'immortalité survient avec leur métamoprhose; ils ne peuvent mourir, et doivent poursuivre leur existence d'âge en âge, ajoutant sans cesse de nouvelles victimes, et multipliant les démons sur la Terre; car tous ceux qui meurent la proie des Non-Morts deviennent Non- Morts eux-mêmes, et prédateurs à leur tour.

Part (46) Part (46) Parte (46)

» Ce fut cette réponse qui convainquit les plus sceptiques d'entre nous, et nous sentîmes individuellement qu'en présence d'un dessein aussi fervent que celui du Professeur, un dessein qui lui faisait utiliser les objets les plus sacrés, il était impossible de ne pas le croire. Dans un silence respectueux nous reprîmes les places qui nous étaient assignées autour du mausolée, mais cachés à la vue de quiconque approcherait. Je plaignais les autres, et particulièrement Arthur. J'étais moi-même aguerri par mes premières visites à cette horreur aux aguets, et pourtant, moi qui, moins d'une heure auparavant, étais capable de récuser toutes les preuves, je sentais mon coeur chavirer dans ma poitrine. Jamais les tombes n'avaient paru si terriblement blanches; jamais les cyprès, les ifs, les genévriers, n'avaient à ce point semblé des incarnations de l'ombre funèbre; jamais les herbes et les arbres n'avaient frémi ou brui de manière si menaçante; jamais les branches n'avaient craqué si mystérieusement; et jamais les hurlements lointains des chiens n'avaient envoyé de présage si triste à travers la nuit. Il y eut un silence, un long vide douloureux, et soudain, émanant du Professeur, un vigoureux « S-s-s » . Il pointait, tout en bas de l'avenue bordée d'ifs, une silhouette blanche qui avançait - une silhouette d'un blanc terne, qui tenait quelque chose de sombre à sa poitrine. Elle s'arrêta, et à ce moment un rayon de lune tomba des nuages filants et dévoila avec une terrible netteté une femme aux cheveux sombres, vêtue avec toute la pompe des apprêts funèbres. Nous ne pûmes voir le visage, car il était penché sur ce que nous pûmes identifier comme un enfant blond. Il y eut une pause, et un petit cri aigu, tel que les enfants en poussent dans leur sommeil, ou les chiens lorsqu'ils rêvent en dormant devant la cheminée. Nous étions prêts à nous élancer, mais le Professeur, que nous voyions debout derrière un if, nous fit signe avec la main et nous arrêta; et alors, comme nous la regardions, la silhouette blanche reprit sa marche dans notre direction. Nous étions maintenant suffisamment proches pour voir clairement, grâce au clair de lune qui n'était pas encore voilé. Mon propre coeur se glaça, et j'entendis le

hoquet d'Arthur, tandis que nous reconnaissions les traits de Lucy Westenra. Lucy Westenra, et pourtant si différente d'elle- même. La douceur s'était changée en une cruauté impitoyable, et la pureté, en une luxure voluptueuse. Van Helsing se mit en marche, et, imitant son geste, nous avançâmes tous également, jusqu'à former une ligne de quatre pour barrer l'accès à la porte de la tombe. Van Helsing leva sa lanterne et la dirigea; le rai de lumière concentré qui éclaira le visage de Lucy nous permit de voir que ses lèvres étaient rougies par un sang frais, qui avait dégouliné de son menton et souillé la blancheur immaculée de sa robe mortuaire. L'horreur nous fit frissonner. Je voyais, aux tremblements de la lumière, que même les nerfs d'acier de Van Helsing étaient ébranlés. Arthur était à côté de moi, et si je n'avais pas pris son bras pour le soutenir, il se serait écroulé. Quand Lucy nous vit - j'appelle Lucy la chose qui était devant nous parce qu'elle avait pris sa forme - elle recula avec un grognement furieux, semblable au feulement d'un chat pris par surprise; puis ses yeux nous balayèrent. Les yeux de Lucy par leur forme et leur couleur; mais des yeux impurs et pleins du feu de l'enfer, à la place des orbes purs et gracieux que nous connaissions. A ce moment les vestiges de mon amour se muèrent en haine et en aversion ; si elle avait dû être tuée à cet instant, je l'eusse fait avec un plaisir sauvage. Comme elle nous regardait, ses yeux brillèrent d'une lueur maudite, et le visage s'éclaira d'un sourire sensuel. Oh Dieu, comme cela me fit frissonner ! Avec un mouvement brutal, elle jeta au sol, sans pitié, comme un démon, l'enfant que jusqu'ici elle avait tenu vigoureusement contre sa poitrine, et se mit à gronder comme un chien qui protège un os. L'enfant, gisant, émit une plainte aiguë. Il y avait dans les gestes de Lucy une insensibilité qui arracha un soupir à Arthur; quand elle s'avança vers lui, les bras grands ouverts, un sourire impudique aux lèvres, il tomba en arrière et se cacha le visage dans les mains. Elle continua à avancer, cependant, et dit avec une grâce langoureuse, voluptueuse : « Viens à moi, Arthur. Laisse les autres et viens à moi. Mes bras ont faim de toi. Viens, et nous pourrons nous reposer tous les deux. Viens, mon mari, viens ! » Il y avait quelque chose de diabolique dans la douceur de son intonation - quelque chose qui rappelait le tintement du verre que l'on heurte - qui pénétrait l'âme de ceux qui l'écoutaient, même quand les paroles ne leur étaient pas adressées. Quant à Arthur, il paraissait envouté; retirant les mains de son visage, il ouvrit grand les bras. Elle bondissait vers lui, quand Van Helsing s'interposa en brandissant son petit crucifix d'or. Elle recula à sa vue, et, avec un visage soudain déformé par la rage, elle fit mine de passer outre pour entrer dans la tombe. A un pas ou deux de la porte, cependant, elle s'arrêta, bloquée par une force irrésistible. Et elle se tourna, son visage brillamment éclairé par l'éclat de la lune ainsi que par la lampe, que Van Helsing, ayant recouvré ses nerfs d'acier, tenait maintenant sans trembler. Je n'ai jamais vu une telle expression de malice déconcertée sur un visage ; et je pense qu'aucun mortel n'en verra jamais plus de semblable. Le joli teint devint livide, les yeux parurent lancer des éclairs infernaux, les rides creusées par le froncement des sourcils rappelèrent les queues des serpents de Méduse, et la charmante bouche tachée de sang s'ouvrit en un carré béant, semblable au trou des masques de théâtre Grec ou Japonais. Si un visage a jamais exprimé la mort - si un regard pouvait tuer - nous le vîmes à cet instant. Ainsi, pendant trente secondes, qui semblèrent une éternité, elle demeura entre le crucifix brandi et le scellement sacré de la porte. Van Helsing brisa le silence et demanda à Arthur : « Répondez-moi, mon ami. Dois-je accomplir mon oeuvre ? » Arthur tomba à genoux, et, sa face dans les mains, il répondit : « Faites comme vous voulez, mon ami, comme vous voulez. Une pareille horreur ne peut continuer à exister », et il défaillit. Quincey et moi nous élançâmes simultanément vers lui pour le soutenir par les bras. Nous pûmes entendre le cliquetis de la lanterne qui s'éteignait quand Van Helsing la posa. S'approchant de la tombe, il commença à retirer des fentes certains des emblèmes sacrés qu'il y avait déposés. Nous fûmes tous pétrifiés d'horreur lorsque nous vîmes, tandis qu'il se reculait, la femme, dont le corps était à l'instant aussi solide que le nôtre, passer à travers un interstice dont l'épaisseur ne dépassait celle de la lame d'un couteau. Nous ressentîmes tous un immense soulagement quand nous vîmes le Professeur replacer calmement les lanières d'enduit sur les bords de la porte.

Quand cela fut fait, il souleva l'enfant et dit : « Venez maintenant, mes amis; nous ne pouvons pas en faire davantage avant demain. Il y a un enterrement à midi, et nous devrons tous nous retrouver peu après. Les amis du mort seront tous partis vers deux heures, et quand le sacristain verrouillera la grille, nous nous laisserons enfermer. Alors il y aura fort à faire; mais pas comme cette nuit. Quant au petit, il n'a pas grand mal, et d'ici demain soir il ira parfaitement bien. Nous le laisserons à un endroit où la police le trouvera, comme l'autre nuit, et ensuite, à la maison. » S'approchant d'Arthur, il ajouta : « Ami Arthur, vous avez été mis à rude épreuve, mais après, quand vous regarderez en arrière, vous vous rendrez compte que cela était nécessaire. Vous vous trouvez pour le moment dans des eaux amères, mon enfant. A cette heure, demain, vous en aurez fini, s'il plaît à Dieu, et vous goûterez des eaux plus douces; aussi, ne vous désolez pas trop. Mais jusque là, je ne vous demanderai pas de me pardonner. » Arthur et Quincey revinrent à la maison avec moi, et nous essayâmes de nous remonter le moral en chemin. Nous avions laissé l'enfant en sécurité, et nous nous sentions fatigués; aussi nous nous abandonnâmes à un sommeil plus ou moins réparateur. 29 septembre, nuit Un peu avant midi, tous les trois - Arthur, Quincey Morris et moi - nous allâmes chercher le Professeur. Il était étrange de noter que, par un accord tacite, nous étions tous vêtus de noir. Bien sûr, Arthur portait le noir parce qu'il est en grand deuil, mais les autres en firent de même par instinct. Nous nous rendîmes au cimetière vers 13h30, et rodâmes dans les parages, un peu dérobés à la vue, de sorte que lorsque les fossoyeurs eurent terminé leur tâche, et que le sacristain, certain que tout le monde était parti, eut verrouillé la grille, nous fûmes maîtres des lieux. Van Helsing, au lieu de son petit sac noir, portait avec lui un grand sac de cuir, semblable à un sac de cricket, qui pesait manifestement un poids considérable. Quand nous fumes seuls et que nous entendîmes les derniers bruits de pas mourir sur la route, nous suivîmes le Professeur jusqu'à la tombe, aussi silencieusement que si on nous en eût donné l'ordre. Il déverrouilla la porte, et nous entrâmes, la refermant derrière nous. Puis il sortit de son sac la lanterne, qu'il alluma, ainsi que deux chandelles de cire, qu'il fixa avec un peu de cire chaude sur le dessus d'autres cercueils, afin que nous puissions bénéficier d'une lumière suffisante pour notre travail. Quand nous soulevâmes à nouveau le couvercle du cercueil de Lucy, nous regardâmes tous - Arthur tremblant comme une feuille - et nous vîmes que le corps était là, étendu dans toute sa beauté funèbre. Mais il n'y avait aucun amour dans mon coeur, rien que du dégoût pour la chose immonde qui avait pris la forme de Lucy, et non son âme. Je pus voir le visage d'Arthur se durcir tandis qu'il la regardait. Il dit à Van Helsing : « Est-ce réellement le corps de Lucy, ou bien seulement un démon à sa ressemblance ? » « C'est son corps, et en même temps ce n'est pas son corps. Mais attendez un peu, et vous la verrez telle qu'elle fut, et est encore. » Ce qui gisait là était une Lucy de cauchemar : les dents saillantes, la bouche sensuelle tachée de sang, qui nous faisait frissonner - l'apparence entière, charnelle et sans âme, diabolique caricature de la douce pureté de Lucy. Van Helsing, avec sa minutie habituelle, commença à sortir les différents objets que contenait son sac et les disposa. D'abord il prit un fer à souder et du plomb à souder, puis une petite lampe à huile, qui dégagea, quand il l'alluma sur un coin de la tombe, un gaz qui s'embrasa avec une flamme bleue; ensuite, ses couteaux de chirurgien, qu'il place à portée de main; et enfin un pieu de bois, épais de deux ou trois pouces et long d'environ trois pieds. L'une de ses extrémités avait été durcie au feu, et il était taillé en une pointe acérée. Avec ce pieu venait un lourd marteau, comme on en utilise dans les caves à charbon des maisons, pour

casser les plus gros morceaux. Pour moi, les préparatifs du Docteur, pour quelque travail que ce soit, sont toujours stimulants et vivifiants, mais sur Arthur et Quincey, leur effet était plutôt consternant. Toutefois, ils gardèrent tous deux leur courage, et se tinrent calmes et silencieux. Quand tout fut prêt, Van Helsing dit : « Avant de faire quoi que ce soit, laissez-moi vous dire ceci : cela me vient des traditions et de l'expérience des anciens et de tous ceux qui ont étudié les pouvoirs des Non-Morts. Quand ils se transforment ainsi, la malédiction de l'immortalité survient avec leur métamoprhose; ils ne peuvent mourir, et doivent poursuivre leur existence d'âge en âge, ajoutant sans cesse de nouvelles victimes, et multipliant les démons sur la Terre; car tous ceux qui meurent la proie des Non-Morts deviennent Non- Morts eux-mêmes, et prédateurs à leur tour.