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Bram Stoker - Dracula, Part (42)

Part (42)

Ne pensez-vous pas que certaines choses que vous ne pouvez comprendre,

existent pourtant ? que certaines personnes voient des choses que d'autres ne peuvent voir ? Mais il y a des choses, anciennes et nouvelles, que les hommes ne peuvent contempler avec leurs yeux, parce que les hommes savent, ou croient savoir, des choses que d'autres hommes leur ont dites. Ah, c'est de la faute de notre science qui veut tout expliquer - quand elle n'explique pas, alors elle dit qu'il n'y a rien à expliquer. Et pourtant nous voyons autour de nous tous les jours le développement de nouvelles croyances, qui se croient nouvelles tout au moins; et qui ne sont autres que les vieilles croyances prétendant être jeunes - comme les belles dames de l'opéra. Je suppose que vous ne croyez pas au transfert corporel ? Non ? Ni à la matérialisation ? Non ? Ni aux corps astraux ? Non ? Ni à la télépathie ? Non ? Ni à l'hypnotisme - « « Si », dis-je. « Charcot a démontré cela assez brillamment. » Il sourit en continuant : « Alors vous êtes d'accord avec cela. Oui ? Et bien sûr vous comprenez comment ça fonctionne, et vous êtes capable de suivre l'esprit du grand Charcot - paix à son âme ! - à l'intérieur-même de l'âme du patient qu'il soumet à son influence. Non ? Alors, ami John, dois-je en conclure que vous acceptez simplement le fait, et que vous supportez qu'entre les prémices et la conclusion, il y ait un blanc ? Non ? Alors dites-moi - car j'étudie le cerveau - comment vous acceptez l'hypnotisme tout en rejetant la télépathie. Laissez-moi vous dire, mon ami, qu'il y a des avancées, de nos jours, dans la science électrique, qui auraient paru diaboliques aux inventeurs-mêmes de l'électricité - qui eussent été eux-mêmes, il n'y a pas si longtemps, brûlés pour hérésie. Il y a toujours eu des mystères dans la vie. Pourquoi donc Mathusalem a-t-il vécu 900 ans, et « Old Parr » 169, alors que la pauvre Lucy, avec le sang de quatre hommes dans ses veines, n'a pas pu survivre ne serait-ce qu'un seul jour ? Car, si elle avait vécu un seul jour de plus, nous aurions pu la sauver. Connaissez-vous tous les mystères de la vie et de la mort ? Connaissez-vous tous les tenants de l'anatomie comparée, et êtes-vous capable de dire pourquoi des caractéristiques animales se retrouvent chez certains hommes, mais pas chez les autres ? Pouvez-vous me dire pourquoi, alors que les autres araignées meurent petites et rapidement, une énorme araignée a vécu pendant des siècles dans la tour de la vieille église Espagnole, et n'a cessé de grandir, et de grandir, jusqu'à ce qu'elle fût capable, en descendant, de boire l'huile de toutes les lampes de l'église ? Pouvez-vous m'expliquer pourquoi, dans la Pampa, et également ailleurs, il y a des chauve-souris qui viennent la nuit, ouvrent les veines du bétail et des chevaux et sucent leur sang jusqu'à la dernière goutte; comment il se fait que dans certaines îles des mers occidentales, des chauve-souris se suspendent à des arbres toute la journée, semblables, d'après ceux qui les ont vues, à des noix ou à des cosses géantes, et se laissent tomber sur les marins qui dorment sur le pont, en raison de la chaleur… des marins que l'on retrouve au matin raides morts, aussi livides que l'était Miss Lucy ? » « Grand Dieu, Professeur ! » m'exclamai-je. « Etes-vous en train de suggérer que Lucy a été mordue par une telle chauve- souris, et qu'une telle chose existe ici à Londres en plein dix-neuvième siècle ? » Il agita sa main pour obtenir le silence, et poursuivit : « Pouvez-vous me dire pourquoi les tortues vivent plus longtemps que des générations d'hommes; pourquoi l'éléphant se maintient indéfiniment, jusqu'à ce qu'il ait survécu à des dynasties; et pourquoi le perroquet ne meurt jamais, à moins d'être mordu par un chat ou un chien, ou d'être atteint d'un autre mal ? Pouvez-vous me dire pourquoi les hommes ont toujours cru, en tous lieux et à toutes les époques, qu'il existe un petit nombre d'immortels, que certains hommes, certaines femmes, ne peuvent mourir ? Nous savons tous - car la science l'a attesté - qu'il y a eu des crapauds emprisonnés dans la pierre, dans des trous si petits qu'ils ne pouvaient contenir que leur corps, pendant des milliers d'années, depuis la jeunesse du monde… Pouvez-vous m'expliquer comment le fakir indien s'y prend pour mourir, être enterré, avoir sa tombe scellée, recouverte de blé, pendant un temps si long que le blé a le temps de pousser, d'être fauché, ressemé, et de pousser à nouveau et d'être fauché une fois encore… et, lorsque des hommes arrivent et descellent la pierre tombale, le fakir est retrouvé vivant, se lève et marche parmi eux comme avant ? » Ici, je l'interrompis. Je commençai à être submergé : il noyait mon esprit d'un tel flot d'excentricités naturelles, et de possibles potentialités, que mon imagination s'enflammait. J'avais vaguement conscience qu'il essayait de m'enseigner quelque chose, comme il avait l'habitude de le faire dans son bureau à Amsterdam - mais à l'époque il me disait ce qu'il entendait démontrer, afin que je garde cette idée à l'esprit pendant toute sa démonstration. Pour l'heure je me retrouvais sans cette béquille, mais je désirais le suivre malgré tout, et je dis : « Professeur, laissez-moi redevenir votre étudiant favori. Dites-moi la thèse, que je puisse appliquer vos connaissances tandis que vous continuez. Sans cette boussole, mon esprit erre d'un point à un autre à la manière dont un fou poursuit une idée. Je

me sens comme un novice traversant un marais dans le brouillard, sautant d'une touffe d'herbe à une autre dans l'effort aveugle de me mouvoir sans savoir où je vais. » « C'est une bonne image », dit-il. « Eh bien, je vais vous le dire. Ma thèse est la suivante : je veux que vous croyiez. » « Que je croie quoi ? » « Que vous croyiez des choses que vous ne pouvez pas croire. Laissez-moi illustrer ma thèse. J'ai entendu parler un jour d'un Américain qui définissait ainsi la foi : « la faculté qui nous permet de croire des choses dont nous savons qu'elles ne sont pas vraies ». Pour une fois, je suis d'accord avec cet homme. Il a voulu dire que nous devons tous avoir un esprit ouvert, et ne pas laisser un petit morceau de vérité compromettre l'avènement d'une grande vérité; comme une petite pierre peut entraver un wagon sur des rails. Nous avons la petite vérité en premier. Bien ! Nous la tenons, nous l'apprécions; mais tout de même nous ne devons pas lui laisser croire que c'est la seule vérité de l'univers. » « Ainsi, vous souhaitez que je ne laisse pas quelque conviction déjà formée entamer la réceptivité de mon esprit à un sujet étrange ? Est-ce que j'ai bien compris votre leçon ? » « Oui, vous êtes toujours mon élève favori. Vous enseigner est gratifiant. Maintenant que vous voulez comprendre, vous avez réalisé le premier pas vers la compréhension. Vous pensez donc que ces petits trous dans la gorge des enfants ont été faits par la même chose qui a fait les trous sur Miss Lucy ? » « Oui, je crois. » Il se leva et dit avec solennité : « Alors vous avez tort. Oh, j'aimerais qu'il en fût ainsi ! Mais hélas ! Non. C'est pire, c'est bien, bien pire que cela. » « Au nom de Dieu, Professeur Van Helsing, qu'insinuez-vous ? » criai-je. Il se jeta, avec un geste désespéré, sur une chaise, et plaça ses coudes sur la table, couvrant sa face de ses mains tandis qu'il articulait : « Ces trous ont été faits par Miss Lucy ! » CHAPITRE 15 Journal du Dr. Seward – suite Pendant un moment, je fus envahi par une pure colère, c'était comme si, quand elle était encore vivante, il avait frappé Lucy au visage. Je frappai violemment la table, et me levai en lui disant : « Dr. Van Helsing, êtes-vous fou ? » Il leva la tête et me regarda, et d'une certaine façon le regard empreint de tendresse qu'il m'adressa me calma tout de suite. « Si seulement je l'étais ! » dit-il. « La folie serait un fardeau facile à porter, en comparaison d'une vérité telle que celle-ci. Oh, mon ami, pourquoi à votre avis ai-je fait de telles circonlocutions pour vous expliquer une chose si simple ? Etait-ce parce que je vous détestais, et vous ai détesté toute ma vie ? Etait-ce pour vous infliger de la souffrance ? Etait-ce parce que je voulais, après toutes ces années, me venger de vous qui m'avez sauvé d'une mort atroce ? Ah, non ! » « Veuillez m'excuser » dis-je, et il continua : « Mon ami, c'était parce que je voulais vous épargner autant que possible, car je sais que vous avez aimé cette douce jeune fille. Mais même maintenant, je n'espère pas que vous allez me croire. Il est si difficile d'accepter d'emblée une vérité abstraite, que nous continuons à douter, surtout lorsque nous avons toujours été persuadés du contraire. Il est toujours difficile d'accepter une réalité concrète aussi triste que celle qui concerne Miss Lucy. Mais ce soir, je vais prouver mes dires. Oserez-vous m'accompagner ? » J'étais stupéfié. On ne peut trouver de plaisir à prouver une telle vérité ; sauf dans le cas de la jalousie, comme le disait Byron : « Et prouve la vérité qui t'est la plus détestable ». Il me vit hésiter : « La logique est simple ; ce n'est pas ici la logique du fou, qui saute d'une touffe d'herbe à l'autre dans un marécage brumeux. Si tout est faux, alors la preuve nous apportera le réconfort ; en tout cas, elle ne fera aucun mal. Mais si c'est la vérité ! Ah, voilà ce qui serait terrible, et pourtant cela même servirait ma cause, car j'ai besoin qu'on y croie. Ecoutez, voilà ce que je propose : d'abord, nous allons maintenant voir cet enfant à l'hôpital. Le Dr. Vincent, du North Hospital, où les journaux indiquent que se trouve l'enfant, est un de mes amis, et l'un des vôtres aussi je pense, puisque vous étudiiez ensemble à Amsterdam. Ce qu'il refuserait peut-être à deux amis, il ne le refusera pas à deux confrères : il nous laissera voir son patient. Nous ne lui dirons rien, si ce n'est que nous désirons l'examiner. Et alors… » « Et alors ? » Il sortit une clé de sa poche et me la montra. « Et alors, nous passons la nuit, vous et moi, au cimetière où repose Lucy. Voici la clé du tombeau. Le fossoyeur me l'a donnée pour que je la remette à Arthur. » Le cœur me manqua, car je savais que quelque terrible épreuve nous attendait. Je n'y pouvais rien, cependant, alors je rassemblai tout mon courage et lui dis que nous ferions mieux de nous hâter, car l'après-midi s'avançait… Nous trouvâmes l'enfant éveillé. Il avait dormi et avait pris quelque nourriture, et n'était pas en mauvaise santé. Le Dr. Vincent ôta le bandage de sa gorge, et nous montra les blessures. Sans aucun doute, c'étaient les mêmes que celles que nous avions vues sur la gorge de Lucy. Elles étaient plus petites, er semblaient plus fraîches, c'était tout. Nous demandâmes à Vincent à quoi il les attribuait. Il répondit qu'il devait s'agir de la morsure d'un petit animal, peut-être un rat, mais pour sa part, il inclinait à penser qu'il s'agissait d'une de ces chauve-souris qui sont si nombreuses sur les hauteurs du nord de Londres. « Parmi tant de spécimens inoffensifs, » dit-il, « il peut y a en avoir de plus nuisibles, venant des pays du sud. Des marins peuvent en avoir ramenées chez eux, et elles ont réussi à s'échapper, ou peut-être un jeune est parvenu à s'échapper du jardin zoologique, et dans ce cas, pourquoi ne serait-ce pas une chauve-souris vampire. De telles choses arrivent, vous savez. Il n'y a pas plus de dix jours, un loup s'est échappé, et je crois qu'on l'a aperçu dans les parages. Pendant toute la semaine suivante, les enfants du quartier ne jouaient plus qu'au petit chaperon rouge, jusqu'à ce que cette « dame sanglante » apparaisse, et dès lors il ne fut plus question que d'elle. Même ce pauvre petit, quand il s'est éveillé aujourd'hui, a demandé à l'infirmière s'il pouvait sortir. Quand elle lui a demandé pourquoi, il lui a répondu qu'il voulait aller jouer avec la « dame sanglante ».

« J'espère » dit Van Helsing, « que quand vous renverrez l'enfant chez lui, vous avertirez ses parents qu'ils doivent le surveiller de près.

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Ne pensez-vous pas que certaines choses que vous ne pouvez comprendre,

existent pourtant ? que certaines personnes voient des choses que d'autres ne peuvent voir ? Mais il y a des choses, anciennes et nouvelles, que les hommes ne peuvent contempler avec leurs yeux, parce que les hommes savent, ou croient savoir, des choses que d'autres hommes leur ont dites. Ah, c'est de la faute de notre science qui veut tout expliquer - quand elle n'explique pas, alors elle dit qu'il n'y a rien à expliquer. Et pourtant nous voyons autour de nous tous les jours le développement de nouvelles croyances, qui se croient nouvelles tout au moins; et qui ne sont autres que les vieilles croyances prétendant être jeunes - comme les belles dames de l'opéra. Je suppose que vous ne croyez pas au transfert corporel ? Non ? Ni à la matérialisation ? Non ? Ni aux corps astraux ? Non ? Ni à la télépathie ? Non ? Ni à l'hypnotisme - « « Si », dis-je. « Charcot a démontré cela assez brillamment. “Charcot demostró esto de manera bastante brillante. » Il sourit en continuant : « Alors vous êtes d'accord avec cela. Sonríe mientras continúa, "Así que estás de acuerdo con eso". Oui ? Et bien sûr vous comprenez comment ça fonctionne, et vous êtes capable de suivre l'esprit du grand Charcot - paix à son âme ! - à l'intérieur-même de l'âme du patient qu'il soumet à son influence. Non ? Alors, ami John, dois-je en conclure que vous acceptez simplement le fait, et que vous supportez qu'entre les prémices et la conclusion, il y ait un blanc ? Non ? Alors dites-moi - car j'étudie le cerveau - comment vous acceptez l'hypnotisme tout en rejetant la télépathie. Laissez-moi vous dire, mon ami, qu'il y a des avancées, de nos jours, dans la science électrique, qui auraient paru diaboliques aux inventeurs-mêmes de l'électricité - qui eussent été eux-mêmes, il n'y a pas si longtemps, brûlés pour hérésie. Il y a toujours eu des mystères dans la vie. Pourquoi donc Mathusalem a-t-il vécu 900 ans, et « Old Parr » 169, alors que la pauvre Lucy, avec le sang de quatre hommes dans ses veines, n'a pas pu survivre ne serait-ce qu'un seul jour ? Car, si elle avait vécu un seul jour de plus, nous aurions pu la sauver. Connaissez-vous tous les mystères de la vie et de la mort ? Connaissez-vous tous les tenants de l'anatomie comparée, et êtes-vous capable de dire pourquoi des caractéristiques animales se retrouvent chez certains hommes, mais pas chez les autres ? Pouvez-vous me dire pourquoi, alors que les autres araignées meurent petites et rapidement, une énorme araignée a vécu pendant des siècles dans la tour de la vieille église Espagnole, et n'a cessé de grandir, et de grandir, jusqu'à ce qu'elle fût capable, en descendant, de boire l'huile de toutes les lampes de l'église ? Pouvez-vous m'expliquer pourquoi, dans la Pampa, et également ailleurs, il y a des chauve-souris qui viennent la nuit, ouvrent les veines du bétail et des chevaux et sucent leur sang jusqu'à la dernière goutte; comment il se fait que dans certaines îles des mers occidentales, des chauve-souris se suspendent à des arbres toute la journée, semblables, d'après ceux qui les ont vues, à des noix ou à des cosses géantes, et se laissent tomber sur les marins qui dorment sur le pont, en raison de la chaleur… des marins que l'on retrouve au matin raides morts, aussi livides que l'était Miss Lucy ? » « Grand Dieu, Professeur ! » m'exclamai-je. « Etes-vous en train de suggérer que Lucy a été mordue par une telle chauve- souris, et qu'une telle chose existe ici à Londres en plein dix-neuvième siècle ? » Il agita sa main pour obtenir le silence, et poursuivit : « Pouvez-vous me dire pourquoi les tortues vivent plus longtemps que des générations d'hommes; pourquoi l'éléphant se maintient indéfiniment, jusqu'à ce qu'il ait survécu à des dynasties; et pourquoi le perroquet ne meurt jamais, à moins d'être mordu par un chat ou un chien, ou d'être atteint d'un autre mal ? Pouvez-vous me dire pourquoi les hommes ont toujours cru, en tous lieux et à toutes les époques, qu'il existe un petit nombre d'immortels, que certains hommes, certaines femmes, ne peuvent mourir ? Nous savons tous - car la science l'a attesté - qu'il y a eu des crapauds emprisonnés dans la pierre, dans des trous si petits qu'ils ne pouvaient contenir que leur corps, pendant des milliers d'années, depuis la jeunesse du monde… Pouvez-vous m'expliquer comment le fakir indien s'y prend pour mourir, être enterré, avoir sa tombe scellée, recouverte de blé, pendant un temps si long que le blé a le temps de pousser, d'être fauché, ressemé, et de pousser à nouveau et d'être fauché une fois encore… et, lorsque des hommes arrivent et descellent la pierre tombale, le fakir est retrouvé vivant, se lève et marche parmi eux comme avant ? » Ici, je l'interrompis. Je commençai à être submergé : il noyait mon esprit d'un tel flot d'excentricités naturelles, et de possibles potentialités, que mon imagination s'enflammait. J'avais vaguement conscience qu'il essayait de m'enseigner quelque chose, comme il avait l'habitude de le faire dans son bureau à Amsterdam - mais à l'époque il me disait ce qu'il entendait démontrer, afin que je garde cette idée à l'esprit pendant toute sa démonstration. Pour l'heure je me retrouvais sans cette béquille, mais je désirais le suivre malgré tout, et je dis : « Professeur, laissez-moi redevenir votre étudiant favori. Dites-moi la thèse, que je puisse appliquer vos connaissances tandis que vous continuez. Sans cette boussole, mon esprit erre d'un point à un autre à la manière dont un fou poursuit une idée. Je

me sens comme un novice traversant un marais dans le brouillard, sautant d'une touffe d'herbe à une autre dans l'effort aveugle de me mouvoir sans savoir où je vais. » « C'est une bonne image », dit-il. « Eh bien, je vais vous le dire. Ma thèse est la suivante : je veux que vous croyiez. » « Que je croie quoi ? » « Que vous croyiez des choses que vous ne pouvez pas croire. Laissez-moi illustrer ma thèse. J'ai entendu parler un jour d'un Américain qui définissait ainsi la foi : « la faculté qui nous permet de croire des choses dont nous savons qu'elles ne sont pas vraies ». Pour une fois, je suis d'accord avec cet homme. Il a voulu dire que nous devons tous avoir un esprit ouvert, et ne pas laisser un petit morceau de vérité compromettre l'avènement d'une grande vérité; comme une petite pierre peut entraver un wagon sur des rails. Nous avons la petite vérité en premier. Bien ! Nous la tenons, nous l'apprécions; mais tout de même nous ne devons pas lui laisser croire que c'est la seule vérité de l'univers. » « Ainsi, vous souhaitez que je ne laisse pas quelque conviction déjà formée entamer la réceptivité de mon esprit à un sujet étrange ? Est-ce que j'ai bien compris votre leçon ? » « Oui, vous êtes toujours mon élève favori. Vous enseigner est gratifiant. Maintenant que vous voulez comprendre, vous avez réalisé le premier pas vers la compréhension. Vous pensez donc que ces petits trous dans la gorge des enfants ont été faits par la même chose qui a fait les trous sur Miss Lucy ? » « Oui, je crois. » Il se leva et dit avec solennité : « Alors vous avez tort. Oh, j'aimerais qu'il en fût ainsi ! Mais hélas ! Non. C'est pire, c'est bien, bien pire que cela. » « Au nom de Dieu, Professeur Van Helsing, qu'insinuez-vous ? » criai-je. Il se jeta, avec un geste désespéré, sur une chaise, et plaça ses coudes sur la table, couvrant sa face de ses mains tandis qu'il articulait : « Ces trous ont été faits par Miss Lucy ! » CHAPITRE 15 Journal du Dr. Seward – suite Pendant un moment, je fus envahi par une pure colère, c'était comme si, quand elle était encore vivante, il avait frappé Lucy au visage. Je frappai violemment la table, et me levai en lui disant : « Dr. Van Helsing, êtes-vous fou ? » Il leva la tête et me regarda, et d'une certaine façon le regard empreint de tendresse qu'il m'adressa me calma tout de suite. « Si seulement je l'étais ! » dit-il. « La folie serait un fardeau facile à porter, en comparaison d'une vérité telle que celle-ci. Oh, mon ami, pourquoi à votre avis ai-je fait de telles circonlocutions pour vous expliquer une chose si simple ? Etait-ce parce que je vous détestais, et vous ai détesté toute ma vie ? Etait-ce pour vous infliger de la souffrance ? Etait-ce parce que je voulais, après toutes ces années, me venger de vous qui m'avez sauvé d'une mort atroce ? Ah, non ! » « Veuillez m'excuser » dis-je, et il continua : « Mon ami, c'était parce que je voulais vous épargner autant que possible, car je sais que vous avez aimé cette douce jeune fille. Mais même maintenant, je n'espère pas que vous allez me croire. Il est si difficile d'accepter d'emblée une vérité abstraite, que nous continuons à douter, surtout lorsque nous avons toujours été persuadés du contraire. Il est toujours difficile d'accepter une réalité concrète aussi triste que celle qui concerne Miss Lucy. Mais ce soir, je vais prouver mes dires. Oserez-vous m'accompagner ? » J'étais stupéfié. On ne peut trouver de plaisir à prouver une telle vérité ; sauf dans le cas de la jalousie, comme le disait Byron : « Et prouve la vérité qui t'est la plus détestable ». Il me vit hésiter : « La logique est simple ; ce n'est pas ici la logique du fou, qui saute d'une touffe d'herbe à l'autre dans un marécage brumeux. Si tout est faux, alors la preuve nous apportera le réconfort ; en tout cas, elle ne fera aucun mal. Mais si c'est la vérité ! Ah, voilà ce qui serait terrible, et pourtant cela même servirait ma cause, car j'ai besoin qu'on y croie. Ecoutez, voilà ce que je propose : d'abord, nous allons maintenant voir cet enfant à l'hôpital. Le Dr. Vincent, du North Hospital, où les journaux indiquent que se trouve l'enfant, est un de mes amis, et l'un des vôtres aussi je pense, puisque vous étudiiez ensemble à Amsterdam. Ce qu'il refuserait peut-être à deux amis, il ne le refusera pas à deux confrères : il nous laissera voir son patient. Nous ne lui dirons rien, si ce n'est que nous désirons l'examiner. Et alors… » « Et alors ? » Il sortit une clé de sa poche et me la montra. « Et alors, nous passons la nuit, vous et moi, au cimetière où repose Lucy. Voici la clé du tombeau. Le fossoyeur me l'a donnée pour que je la remette à Arthur. » Le cœur me manqua, car je savais que quelque terrible épreuve nous attendait. Je n'y pouvais rien, cependant, alors je rassemblai tout mon courage et lui dis que nous ferions mieux de nous hâter, car l'après-midi s'avançait… Nous trouvâmes l'enfant éveillé. Il avait dormi et avait pris quelque nourriture, et n'était pas en mauvaise santé. Le Dr. Vincent ôta le bandage de sa gorge, et nous montra les blessures. Sans aucun doute, c'étaient les mêmes que celles que nous avions vues sur la gorge de Lucy. Elles étaient plus petites, er semblaient plus fraîches, c'était tout. Nous demandâmes à Vincent à quoi il les attribuait. Il répondit qu'il devait s'agir de la morsure d'un petit animal, peut-être un rat, mais pour sa part, il inclinait à penser qu'il s'agissait d'une de ces chauve-souris qui sont si nombreuses sur les hauteurs du nord de Londres. « Parmi tant de spécimens inoffensifs, » dit-il, « il peut y a en avoir de plus nuisibles, venant des pays du sud. Des marins peuvent en avoir ramenées chez eux, et elles ont réussi à s'échapper, ou peut-être un jeune est parvenu à s'échapper du jardin zoologique, et dans ce cas, pourquoi ne serait-ce pas une chauve-souris vampire. De telles choses arrivent, vous savez. Il n'y a pas plus de dix jours, un loup s'est échappé, et je crois qu'on l'a aperçu dans les parages. Pendant toute la semaine suivante, les enfants du quartier ne jouaient plus qu'au petit chaperon rouge, jusqu'à ce que cette « dame sanglante » apparaisse, et dès lors il ne fut plus question que d'elle. Même ce pauvre petit, quand il s'est éveillé aujourd'hui, a demandé à l'infirmière s'il pouvait sortir. Quand elle lui a demandé pourquoi, il lui a répondu qu'il voulait aller jouer avec la « dame sanglante ».

« J'espère » dit Van Helsing, « que quand vous renverrez l'enfant chez lui, vous avertirez ses parents qu'ils doivent le surveiller de près.